IV Carême Mardi abr.
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ABRÉGÉ D'UN SERMON
POUR
LE MARDI DE LA IVe SEMAINE DE CARÊME,
SUR LA MÉDISANCE (a).

 

Respondit turba et dixit : Daemonium habes: quis te quaerit interficere?

 

La troupe répondit et dit au Seigneur : Vous êtes possédé du démon; qui est-ce qui pense à vous tuer? Joan., VII, 20.

 

Apprendre aux hommes, par les médisances par lesquelles on a attaqué la vie du Sauveur et dédié ses actions les plus saintes, à vouloir être plutôt du parti de Jésus-Christ noirci par les calomnies, que du parti des Juifs qui l'ont déchiré par leurs injures.

 

(a) Médisance par haine.

Par envie, sa cause ordinaire,

L'amour de la société paraît seulement en ce qu’on a horreur de la solitude. Au reste nous ne pouvons souffrir. Cela paraît par l'inclination à la médisance:

Feliciùs in acerbis atrocibusque mentitur...... faciliùs denique falso malo quàm vero bono creditur (Tertull., Ad Nation., lib. I).

Maledicentia et contumelia, ancilla fur quae clam subripit (S. Chrysost., In Eccli. XX).

On médit pour montrer qu'on pénètre bien dans les choses cachées : Omnes aut penè omnes homines amamus nostras suscipiones vel vocare vel existimare cognitiones (S. August., homil. XXIX in Acta Apod.).

La charité se maintient par l'inclination et par l'estime. Elle est respectueuse : Honora invicem praevenientes (Rom., XII, 10 ). Vous dites peu de choses ; mais cela s'accroît ingenità quibusdam mentiendi voluptate (Tertull., Apolog., n. 7). Le médisant ne commit pins son ouvrage. Une pierre jetée dans un étang : s'agite en ronds.

Les Impressions demeurent, même les choses étant éclaircies. Comme dans un nœud bien serré.

Le monde hait les médisants, et tout le momie leur applaudit : Amant quos mulctant, depretiant quos probant (Tertull., de Spect., n. 22).

Se regarder comme devant être juge.

Jésus-Christ à l'adultère : Nec ego te condemnabo (Joan., VIII, 7).

 

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Pour détourner les hommes d'un péché aussi noir, aussi dangereux , aussi universel que la médisance, rien de plus important que de le faire bien connaître. Représenter ce que c'est que la médisance par ses causes et par ses effets, par la racine d'où elle est sortie, par les fruits qu'elle produit. Et quoique la bien connaître soit assez pour en donner de l'horreur, toutefois nous ajouterons les remèdes.

 

PREMIER  POINT.

 

Les causes. La plus apparente et la plus ordinaire, c'est la haine et le désir de vengeance. Si quelqu'un est notre ennemi, nous voudrions armer contre lui tous les autres hommes : de là nous les animons par nos médisances. Or encore que cette haine soit la cause la plus apparente de la médisance, ce n'est pas celle que nous avons à considérer, parce que cela est d'un autre sujet; et on l'a suffisamment combattue, quand on vous a fait voir le malheur de ceux qui nourrissent dans leur cœur des inimitiés. Celui qui médit par ce motif est plutôt vindicatif qu'il n'est médisant. Quel est donc proprement le médisant? Celui qui sans aucune autre raison particulière se plaît à dire du mal des uns et des autres, même des indifférents et des inconnus, et qui par une excessive liberté de langue n'épargne pas même ses meilleurs amis, si toutefois un tel médisant est capable d'avoir des amis.

C'est cette médisance que j'attaque. Mais en l'attaquant, chrétiens , que ceux qui médisent par haine ne croient pas que je les épargne. Car si c'est un grand crime de médire sans aucune inimitié particulière, que celui-là entende quel est son péché, qui joint le crime de la haine à celui de la médisance. Et toutefois pour ne pas omettre entièrement cette cause de la médisance, disons-en seulement ce mot. L'une des plus grandes obligations du christianisme, c'est de bénir ceux qui nous maudissent : Maledicimur, et benedicimus (1) ; si bien que quand nous ne nous serions jamais crus obligés à dire du bien de l'un de nos frères, il faudrait faire cet effort sur nous, lorsqu'une inimitié nous divise, ou du

 

1 I Cor., IV, 12.

 

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moins n'en dire aucun mal. Car il n'y a jamais tant d'obligation de résister à la passion, que lorsqu'elle est née ; de sorte qu'il n'est rien de plus criminel que de songer à l'entretenir dans le temps qu'il faut travailler à l'étouffer.

Le Fils de Dieu défend de se coucher sur sa colère, de peur que les images tristes et fâcheuses que l'imagination nous représente dans la solitude pendant la nuit, lorsque nous ne sommes plus divertis par d'autres objets, n'aigrissent notre plaie. Plus donc la passion est forte, plus il faut se roidir contre elle. Le médisant fait tout au contraire ; il s'échauffe en voulant échauffer les autres, il s'anime par ses propres discours, il grave de plus en plus en son cœur l'injure qu'il a reçue; à force de parler il croit tout à fait ce qu'il ne croyait qu'à demi. Ainsi il s'irrite soi-même. D'ailleurs il ferme de plus en plus la porte à toute réconciliation ; et il exerce la plus lâche de toutes les vengeances, puisque s'il ne peut se venger autrement, il montre que sa haine est bien furieuse par le plaisir qu'il prend de déchirer en idée celui qu'il ne peut blesser en effet ; et s'il a d'autres moyens de se satisfaire, il fait voir l'extrémité de sa rage en ce qu'il n'épargne pas même celui-ci, et qu'il croit que les effets ne suffisent pas s'il n'y joint même les paroles. C'est ce que j'avais à dire contre celui qui médit par un désir de vengeance.

La véritable médisance consiste en un certain plaisir que l'on a à entendre ou à dire du mal des autres, sans aucune autre raison particulière. Recherchons-en la cause ; il y a sujet de s'en étonner. Les hommes sont faits pour la société ; cependant ce plaisir malin que nous sentons quelquefois malgré nous dans la médisance, fait bien voir qu'il n'y a rien de plus farouche ni de moins sociable que le cœur de l'homme. Tertullien : Feliciùs in acerbis atrocibusque mentitur..., faciliùs denique falso malo quàm vero bono creditur (1). De là paraît le plaisir comme naturel que nous prenons à la médisance. La cause est qu'en effet nous étions faits pour une sainte société en Dieu et entre nous. La paix, la concorde, la charité devait régner parmi nous, parce que nous devions nous regarder, non point en nous-mêmes, mais en Dieu ; et c'est cela qui devait

 

1 Tertull., Ad Nation., lib. I.

 

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être le nœud sacré de notre union. Le péché a détruit cette concorde en gravant en nous l'amour de nous-mêmes. Car c'est l'orgueil qui nous désunit, parce que chacun cherche son bien propre. L'ange et l'homme n'ayant pu souffrir l'empire de Dieu, ne veut pas ensuite dépendre des autres. Chacun ne veut penser qu'à soi-même, et ne regarde les autres qu'avec dessein de dominer sur eux. Voilà donc la société détruite. Il y en a quelque petit reste. Car nous avons naturellement une certaine horreur de la solitude. Mais lorsque nous nous assemblons, nous ne pouvons nous souffrir ; et si les lois de la civilité nous obligent à dissimuler et feindre quelque concorde apparente, qui pourrait lire dans nos cœurs avec quel dédain, avec quel mépris nous nous regardons les uns les autres, il verroit bien que nous ne sommes pas si sociables que nous pensons être, et que c'est plutôt la crainte et quelque considération étrangère qui nous retient qu'un véritable et sincère amour de société et de concorde. Qui le fait, sinon l'amour-propre, le désir d'exceller? (a) C'est la cause de la médisance et du plaisir que nous y prenons : nous voulons être les seuls excellents, et voir tout le reste au-dessous de nous.

Et pour toucher encore plus expressément la cause de ce vice si universel, c'est une secrète haine qui vient de l'envie que nous avons les uns contre les autres; ce n'est pas un noble orgueil. De là ce plaisir malin de la médisance. Il ne faut qu'une médisance pour récréer une bonne compagnie. La moquerie. Nous prenons plaisir de nous comparer aux autres, et nous sommes bien aises d'avoir sujet de croire que nous sommes plus excellents. Voilà la cause de la médisance, l'envie; cause honteuse et qu'on n'ose pas avouer, mais qui se remarque par la manière d'agir. L'envie est une passion basse, obscure, lâche. Il y a un orgueil qu'on appelle noble, qui entreprend les choses ouvertement. L'envie ne va que par des menées secrètes. Ainsi le médisant; il se cache. L'envie est une passion timide qui a honte d'elle-même et ne craint rien tant que de paraître. Ainsi le médisant; il ronge secrètement. Saint Chrysostome dit : Ancilla fur, contumelia et maledicentia (1).

 

1 Homil. XXIX in Acta Apost.

(a) Note marg. ; Ainsi que dessus.

 

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Elle observe et se cache. L'envie n'a pas le courage assez bon pour chercher la véritable grandeur, mais elle ne tâche de s'élever qu'en abaissant les autres. Le médisant, de même. Il diminue; il biaise ; il ne s'explique qu'à demi-mot : paroles à double entente ; si ouvertement, il prend de beaux prétextes. Combien honteuse est donc cette passion !

Mais il y a, direz-vous, d'autres causes. Il est vrai; mais toujours de l'orgueil. Pour montrer que nous savons bien pénétrer dans les sentiments des autres, omnes aut penè omnes homines amamus nostras suspiciones vel vocare vel existimare cognitiones (1). Multa incredibilia vera. Exemple de Susanne, de Judith. Mais les effets ont fait connaître. Mais Dieu se réserve bien des choses : nous faisons les dieux.

Autre sorte d'orgueil, le plaisir de reprendre, comme pour faire parade de la vertu. Curiosum genus humanum ad cognoscendam vitam alienam, desidiosum ad corrigendam suam (2). — Hypocrita, dit le Fils de Dieu, ejice primùm trabem de oculo tuo, et tunc videbis ejicere festucam de oculo fratris tui (3). Il fait le vertueux en reprenant les autres ; il ne l'est pas, parce qu'il ne se corrige pas soi-même. Il affecte une certaine liberté de parler des autres et des abus publics : hypocrite, commence par toi-même à réformer le monde. Il reprend ce qu'il ne peut pas amender; il n'amende pas ce qu'il peut corriger. Il y a plaisir à parler des vices d'autrui, parce qu'on remarque sans peine les défauts des autres, et on ne surmonte les siens qu'avec peine.

La première de ces médisances est basse et honteuse ; la seconde est fière et insolente; la troisième trompeuse et hypocrite. Tout vient de l'orgueil : Si superbus est, et invidus est (4) ; et après diabolus, médisant, calomniateur. Il nous mène par les mêmes degrés : Eritis sicut dii (5). Une suite de cela, c'est que nous rapportons tout à nous-mêmes.

 

1 S. August., Epist. CLIII ad Maced., n. 22. — 2 S. August., Confess., lib. X, cap. III. — 3 Matth., VII, 5. — 4 S. August., Enarr. in Psal. C, n. 9. — 5 Genes., III, 5.

 

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SECOND POINT.

 

Les effets : rompre la charité. Et ne dites pas : Ce que je dis c'est peu de chose pour deux raisons. 1° Par ce peu de chose vous tendez à rendre un homme ridicule. Deux fondements sur lesquels la charité chrétienne s'appuie, l'inclination et l'estime. La charité est tendre, bénigne, douce ; mais la charité est respectueuse : Honore invicem praevenientes (1). Vous renversez cette amitié, quand vous détruisez l'estime ; vous excluez un homme de la société. 2° C'est peu de chose ! Mais vous ne connaissez pas quelle est la nature des bruits populaires. Au commencement ce n'est rien ; mais les médisances vont se grossissant peu à peu dans la bouche de ceux qui les répètent, ingenità quibusdam, dit Tertullien, mentiendi voluptate (2). En sorte que le médisant voyant jusqu'où est crû le petit bruit qu'il avait semé, ne reconnaît plus son propre ouvrage. Cependant il est cause de tout le désordre, comme lorsque vous jetez une petite pierre dans un étang, vous voyez se former sur la surface de l'eau des ronds petits, plus grands, et enfin tout l'étang en est agité. Qui en est la cause? Celui qui a jeté la pierre.

Outre cela le médisant ne peut pas réparer le mal qu'il fait. Les impressions demeurent, même les choses étant éclaircies. On dit : Si cela n'était vrai, cela était du moins vraisemblable. Comme lorsqu'une chose a été serrée par un nœud bien ferme, les impressions du lien demeurent même après que le nœud a été brisé : ainsi ceux qui sont serrés par la médisance. Beatus qui tectus est à linguà nequam, qui in iracundiam illius non transivit, et qui non attraxit jugum illius, et invinculis ejus non est ligatus: jugum enim illius jugum ferreum est, et vinculum illius vinculum œreum est (3).

 

1 Rom., XII, 10. — 2 Apolog., n. 7. — 3 Eccli., XXVIII, 23, 24.

 

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TROISIÈME POINT.

 

Remèdes. Général : ne pas applaudir aux médisants, leur montrer un visage sévère, parce que leur dessein ce n'est que d'être plaisants. Le médisant, voleur; saint Paul les met avec les voleurs : Neque maledici, neque rapaces (1). Celui qui l'écoute, receleur. Tout le monde hait les médisants, et tout le monde leur applaudit. On leur peut appliquer ce que dit Tertullien des comédiens : Amant quos mulctant, depretiant quos probant (2).

Second remède : se regarder comme devant être jugé, et l'on n'aura pas envie de juger : (a) Qui sine peccato est vestrûm, primus in eam lapidem mittat (3). Tous furent détournés par cette parole. Celui qui n'a point de défauts, qu'il commence le premier à reprendre. Jésus-Christ même dit à cette femme : Nec ego te condemnabo (4). Si l'innocent pardonne aux pécheurs, combien plus les pécheurs se doivent-ils pardonner les uns les autres !

 

1 I Cor., VI, 10. — 2 De Spect., n. 22. — 3 Joan., VIII, 7. — 4 Ibid., 11.

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