Passion II
Précédente Accueil Remonter Suivante
Bibliothèque

Accueil
Remonter
I Carême I
I Carême II
I Carême III
I Carême IV
I Carême Plan
I Carême Ld
I Carême Vd
II Carême I
II Carême II
II Carême Ld
Honneur
II Carême Jd I
II Carême Jd II
III Carême I
III Carême II
III Carême Mardi
III Carême Vdi
III Carême Sdi
III Carême Sdi abr.
IV Carême I
IV Carême II
IV Carême III
IV Carême Mardi abr.
IV Carême Mcdi Plan
IV Carême Vdi
Brièveté Vie frg
Passion I
Passion II
Passion III
Passion Mardi
Sem. Passion (3) I
Sem. Passion (3) II
Sem. Passion (3) III
Vendr. Passion I
Vendr. Passion II
Sem. Passion abrg.
Rameaux I
Rameaux II
Rameaux III
Rameaux IV

 

SECOND SERMON
POUR
LE DIMANCHE DE LA PASSION,
SUR LA SOUMISSION ET LE RESPECT DU A LA VÉRITÉ (a).

 

Si veritatem dico robis, quare non creditis mihi ?

 

Si je vous dis la vérité, pourquoi ne me croyez-vous pas? Joan., VIII, 46.

 

On a dit il y a longtemps qu'il n'y a rien de plus fort que la vérité, et cela se doit entendre particulièrement de la vérité de l'Evangile. Cette vérité, chrétiens, que la foi nous propose en énigme, comme parle l'apôtre saint Paul, paraît dans le ciel à découvert, révérée de tous les esprits bienheureux; elle étend son empire jusqu'aux enfers, et quoiqu'elle n'y trouve que ses ennemis, elle les force néanmoins de la reconnaître. « Les démons la croient, dit saint Jacques (1) ; non-seulement ils croient, mais ils tremblent. » Ainsi la vérité est respectée dans le ciel et dans les enfers. La terre est au milieu, et c'est là seulement qu'elle est méprisée. Les anges la voient, et ils l'adorent; les démons la haïssent, mais ils ne la méprisent pas, puisqu'ils tremblent sous sa puissance. C'est nous seuls, ô mortels, qui la méprisons, lorsque nous l'écoutons froidement et comme une chose indifférente que

 

1 Jacob., II, 19. 

(a) Prêché en 1663, dans le Carême du Val-de-Grace, devant les religieuses de l'abbaye, la reine mère et plusieurs courtisans.

On lit dans l'exorde de ce sermon : « En effet, âmes saintes, ces lois immuables de la société, sur lesquelles notre conduite doit être réglée...., crient toujours contre les pécheurs. » Et dans le troisième point : « Où sont ceux qui ne craignent pas les embûches de la flatterie? Mais celle de la Cour est si délicate qu'on ne peut presque en éviter les pièges. » On voit par ces deux passades que notre sermon a été prêché tout ensemble et devant des religieuses et devant des personnes de la Cour. Or le Val-de-Grâce nous montre seul, autour de la chaire du grand prédicateur, un auditoire composé de ces deux classes de la société.

 

399

 

nous voulons bien avoir dans l'esprit, mais à laquelle il ne nous plaît pas de donner aucune place dans notre vie. Et ce qui rend notre audace plus inexcusable (a), c'est que cette vérité éternelle n'a pas fait comme le soleil, qui demeurant toujours dans sa sphère, se contente d'envoyer ses rayons aux hommes; elle, dont le ciel est le lieu natal, a voulu aussi naître sur la terre : Veritas de terra orta est (1). Elle n'a pas envoyé de loin ses lumières, elle-même est venue nous les apporter, et les hommes toujours obstinés ont fermé les yeux ; ils ont haï sa clarté à cause que leurs œuvres étaient mauvaises, et ont contraint le Fils de Dieu de leur faire aujourd'hui ce juste reproche : Si veritatem dico vobis, quare non creditis mihi? Puisqu'il nous ordonne, Messieurs, de vous faire aujourd'hui ses plaintes touchant cette haine de la vérité, qu'il nous accorde aussi son secours pour plaider fortement sa cause la plus juste qui fut jamais. C'est ce que nous lui demandons par les prières de la sainte Vierge. Ave (b), etc.

 

La vérité est une reine qui a dans le ciel son trône éternel et le siège de son empire dans le sein de Dieu. Il n'y a rien de plus noble que son domaine, puisque tout ce qui est capable d'entendre en relève et qu'elle doit régner sur la raison même, qui a été destinée pour régir et gouverner toutes choses. Il pourrait sembler, chrétiens, qu'une reine si adorable ne pourrait perdre son autorité que par l'ignorance; mais, comme le Fils de Dieu nous le reproche , que la malice des hommes lui refuse son obéissance lors même qu'elle leur est le mieux annoncée, c'est véritablement ce qui m'étonne, et je prétends aujourd'hui rechercher la cause d'un dérèglement si étrange. Il est bien aisé de comprendre que c'est une haine secrète que nous avons pour la vérité, qui nous fait secouer le joug dune puissance si légitime. Mais d'où nous vient cette haine, et quels en sont les motifs? C'est ce qui mérite une grande considération et ce que je tâcherai de vous expliquer par

 

1 Psal. LXXXIV, 12. 

(a) Var. : Et ce qui nous rend plus inexcusables.— (b) Bienheureux Marie, voua êtes la première qui l'avez reçue; mais il fallait, pour la recevoir, que le Saint-Esprit vous ouvrit le coeur : obtenez-nous par vos prières cet Esprit qui survint en vous après que l'ange vous eut salade, en disant : Ave.

 

400

 

les principes, suivant la doctrine de saint Thomas, qui traite expressément cette question ». Pour cela il faut entendre avant toutes choses que le principe de la haine, c'est la contrariété et la répugnance; et en ce regard (a), chrétiens, il ne tombe pas sous le sens qu'on puisse haïr la vérité prise en elle-même et dans cette idée générale (b), « parce que, dit très-bien le grand saint Thomas, ce qui est vague de cette sorte et universel ne répugne jamais à personne, et ne peut être par conséquent un objet de haine. » Ainsi les hommes ne sont pas capables d'avoir de l'aversion pour la vérité, sinon autant qu'ils (c) la considèrent dans quelque sujet particulier où elle combat leurs inclinations, où elle contredit leurs sentiments ; et en cette vue, chrétiens, il me sera facile de vous convaincre (d) que nous pouvons haïr la vérité en trois sortes, par rapport à trois sujets où elle se trouve et dans lesquels elle contrarie nos mauvais désirs. Car nous la pouvons regarder ou en tant qu'elle réside en Dieu, ou en tant qu'elle nous paraît dans les autres hommes, ou en tant que nous la sentons en nous-mêmes ; et il est certain qu'en ces trois états toujours elle contrarie les mauvais désirs, et toujours elle donne aussi un sujet de haine aux hommes déréglés et mal vivants.

Et en effet, âmes saintes, ces lois immuables de la vérité, sur lesquelles notre conduite doit être réglée (g), soit que nous les regardions en leur source, c'est-à-dire en Dieu, soit qu'elles nous soient montrées dans les autres hommes, soit que nous les écoutions parler en nous-mêmes, crient toujours contre les pécheurs, quoiqu'en des manières différentes. En Dieu qui est le juge suprême , elles les condamnent ; dans les hommes qui sont des témoins présents, elles les reprennent et les convainquent ; en eux-mêmes et dans le secret de leur conscience, elles les troublent et les inquiètent : et c'est pourquoi partout elles leur déplaisent. Car ni l'orgueil de l'esprit humain ne peut permettre (f ) qu'on le condamne, ni l'opiniâtreté des pécheurs ne peut souffrir qu'on la

 

1 IIa IIae, Quœst. XXIX, art. 5. 

(a) Var. : Selon ce regard, — selon cette idée. — (b) Et dans cette vue générale.— (c) En tant qu’ils.— (d) Nous serons facilement convaincus; — il nous est aisé de comprendre. — (e) Qui doivent régler notre vie. — (f) Ne peut endurer.

 

401

 

convainque, et l'amour aveugle qu'ils ont pour leurs vices peut encore moins consentir qu'on l'inquiète. C'est pourquoi ils haïssent la vérité ; d'où vous pouvez comprendre combien ils sont éloignes de lui obéir. Mais si vous ne l'avez pas encore entendu, la conduite des Juifs envers Jésus-Christ (a) vous le fera aisément connaître. Il leur prêche les vérités qu'il dit avoir vues dans le sein du Père (b); ces vérités les condamnent, et ils haïssent son Père où elles résident : Oderunt et me et Patrem meum (1).

Il les reprend en vérité de leurs vices; et pendant que ses discours les convainquent, la haine de la vérité leur fait haïr celui qui l'annonce (c) ; ils s'irritent contre lui-même, ils l'appellent samaritain et démoniaque; ils courent aux pierres pour le lapider, comme il se voit dans notre évangile. Il les presse encore de plus près, il leur porte jusqu'au fond du cœur la lumière de la vérité, conformément à cette parole : « La lumière est en vous pour un peu de temps (d) : » Adhuc modicùm lumen in vobis est (2); et ils la haïssent si fort cette vérité adorable, qu'ils en éteignent encore ce faible rayon, parce qu'ils cherchent (g) la nuit entière pour couvrir leurs mauvaises œuvres. Dans cette aversion furieuse (f) qu'ils témoignent à la vérité, et parmi tant d'outrages qu'ils lui font souffrir, n'a-t-il pas raison, chrétiens, de leur faire aujourd'hui ce juste reproche : « Si je vous dis la vérité, pourquoi refusez-vous de la croire? » Pourquoi une haine aveugle vous empêche-t-elle de lui obéir ?

Mais il ne parle pas seulement aux Juifs ses ennemis déclarés, et son dessein principal est d'apprendre à ses serviteurs à aimer et respecter sa vérité sainte, en quelque endroit qu'elle leur paraisse. Quand ils la regardent en leur juge, qu'ils permettent, qu'elle les règle ; quand elle les reprend par les autres hommes, qu'ils souffrent qu'elle les corrige; quand elle leur parle dans leurs consciences, qu'ils consentent non-seulement qu'elle les éclaire, mais encore qu'elle les change et les convertisse. Trois parties de ce discours.

 

1 Joan., XV, 24. — 2 Ibid., XII, 35. 

(a) Var. : Envers le Sauveur. — (b) Au sein de son Père. — (c) Celui qui la prêche. — (d) « Il y a encore en vous un peu de lumière. » — (e) Parce qu'ils veulent — (f) Dans cette haine invétérée et opiniâtre.

 

402

 

PREMIER POINT.

 

Comme ces lois primitives et invariables de vérité et de justice, qui sont dans l'intelligence divine, condamnent (a) directement la vie des pécheurs, il est très-certain qu'ils les haïssent et qu'ils voudraient par conséquent les pouvoir détruire. La raison solide, c'est le naturel de la haine de vouloir détruire son objet, comme de l'amour de le conserver. Sans que vous donniez la mort à votre ennemi, vous le tuez déjà par votre haine, qui porte toujours dans l’âme une disposition d'homicide. C'est pourquoi l'Apôtre dit : Omnis qui odit fratrem suum homicida est (1). Il le compare à Caïn. Il ne dit pas : Celui qui trempe les mains dans son sang ou qui enfonce un couteau dans son sein, mais celui qui le hait est homicide. C'est que le Saint-Esprit qui le guide n'arrête pas sa pensée à ce qui se fait au dehors : il va approfondissant les causes cachées, et c'est ce qui lui fait toujours trouver dans la haine une secrète intention de meurtre. Car si vous savez observer toutes les démarches de la haine (b), vous verrez qu'elle voudrait détruire partout ce qu'elle a déjà détruit dans nos cœurs, et les effets le font bien connaître. Si vous haïssez quelqu'un, aussitôt sa présence blesse votre vue, tout ce qui vient de sa part vous fait soulever le cœur ; se trouver avec lui dans le même lieu vous paraît une rencontre funeste. Au milieu de ces mouvements, si vous ne réprimez votre cœur, il vous dira (c), chrétiens, que ce qu'il n'a pu souffrir en soi-même, il ne le peut non plus souffrir nulle part ; qu'il n'y a bien qu'il ne lui ôtât après lui avoir ôté son affection, qu'il voudrait être défait sans réserve aucune de cet objet odieux : c'est l'intention secrète de la haine. C'est pourquoi l'apôtre saint Jean a raison de dire (d) qu'elle est toujours homicide.

Mais appliquons ceci maintenant à la conduite des pécheurs. Ils haïssent la loi de Dieu et sa vérité : qui doute qu'ils ne la haïssent, puisqu'ils ne lui veulent donner aucune place dans leurs mœurs? Mais l'ayant ainsi détruite en eux-mêmes, ils voudraient la

 

1 I Joan., III, 5. 

(a) Var. : Contrarient. — (b) Si vous observez tout ce que fait la haine par elle-même. — (c) Si vous laissez votre cœur s'expliquer avec sa liberté tout entière, il vous dira... — (d) Dit.

 

403

 

pouvoir détruire jusque dans sa source : Dùm esse volunt mali, nolunt esse veritatem quà damnantur mali (1) : « Comme ils ne veulent point être justes, ils voudraient que la vérité ne fût pas, parce qu'elle condamne les injustes. » Et ensuite on ne peut douter qu'ils ne veuillent, autant qu'ils peuvent, abolir la loi dont l'autorité les menace et dont la vérité les condamne.

C'est ce que Moïse nous fit connaître par une excellente figure, lorsqu'il descendait de la montagne où Dieu lui avait parlé face à face. Il avait en ses mains les tables sacrées où la loi de Dieu était gravée ; tables vraiment vénérables et sur lesquelles la main de Dieu et les caractères de son doigt tout-puissant se voyaient tout récents encore. Toutefois entendant les cris et voyant les danses des Israélites qui couraient après (a) le veau d'or, il les jette à terre et les brise : Vidit vitulum et choros, iratusque valde projecit de manu tabulas et confregit eas (2) : une sainte indignation lui fait jeter et rompre les tables. Que veut dire ce grand législateur (b)? Je ne m'étonne pas, chrétiens, que sa juste colère se soit élevée contre ce peuple idolâtre pour le faire périr par le glaive ; mais qu'avaient mérité ces tables augustes, gravées de la main de Dieu, pour obliger Moïse à les mettre en pièces ? Tout ceci se fait en figure et s'accomplit pour notre instruction. Il a voulu nous représenter ce que ce peuple faisait alors : il brise les tables de la loi de Dieu, pour montrer que dans l'intention des pécheurs la loi est détruite et anéantie. Quoique le peuple ne pèche que contre un chef de la loi, qui défendait d'adorer les idoles, il casse ensemble toutes les deux tables, parce que nous apprenons de l'oracle que « quiconque pèche en un seul article, viole l'autorité de tous les autres (3) » et abolit autant qu'il peut la loi tout entière. Evangile de même. Unité du corps de Jésus-Christ et de toute sa doctrine.

Mais l'audace du pécheur n'entreprend pas seulement de détruire les tables inanimées, qui sont comme des extraits de la loi divine ; il en veut à l'original, je veux dire à cette équité et à cette vérité primitive qui réside dans le sein de Dieu et qui est la règle immuable et éternelle de tout ce qui se meut dans le temps ; c'est-

 

1 S. August., Tract. XC in Joan. — 2 Exod., XXXII, 19. — 3 Jacob., II, 10.  

(a) Var. ; Qui adoraient. — (b) Prophète.

 

404

 

à-dire qu'il en veut à Dieu, qui est lui-même sa vérité et sa justice. « L'insensé a dit dans son cœur : Il n'y a point de Dieu (1). » Il l'a dit en son cœur, dit le saint prophète ; il a dit non ce qu'il pense, mais ce qu'il désire : il n'a pas démenti sa connaissance, mais il a confessé son crime, son attentat. Il voudrait qu'il n'y eût point de Dieu, parce qu'il voudrait qu'il n'y eût point de loi ni de vérité. Et afin que nous comprenions que tel est son secret désir, Dieu a permis qu'il se soit enfin découvert sur la personne de son Fils. Les méchants l'ont crucifié, et si vous voulez savoir pour quelle raison , qu'il vous le dise lui-même : « Vous voulez me tuer, dit-il (a), parce que mon discours ne prend point en vous (2) ; » c'est-à-dire, si nous l'entendons, parce que vous haïssez ma vérité sainte; parce que la rejetant de vos mœurs, partout où elle vous paraît elle vous choque, et partout où elle vous choque vous voudriez pouvoir la détruire.

Pensons-nous bien, ô pécheurs, sur qui nous mettons la main lorsque nous chassons de notre âme et que nous bannissons de notre vie la règle de la vérité? Nous crucifions Jésus-Christ encore une fois. Il nous dit aussi bien qu'aux Juifs : Quaeritis me interficere. Car quiconque hait la vérité et les lois immuables qu'elle nous donne, il tue spirituellement la justice et la sagesse éternelle qui est venue nous les apprendre ; et ainsi se revêtant d'un esprit de juif, il doit penser avec tremblement que son coeur n'est pas éloigné de se laisser aller à la cabale sacrilège qui l'a mis en croix (b). Folle et téméraire entreprise du pécheur, qui entreprend sur l'être de son Auteur même par l'aversion qu'il a pour la vérité ! Gladius eorum intret in corda ipsorum, et arcus eorum confringatur (3) : « Que son glaive lui perce le cœur, et que son arc soit brisé ! » Deux sortes d'armes dans les mains du pécheur : un arc pour tirer de loin, un glaive pour frapper de près. La première arme se rompt, et est inutile ; la seconde a son effet, mais contre lui-même. Il tire de loin, chrétiens, il tire contre Dieu; et non-seulement les coups n'y arrivent pas, mais encore l'arc se rompt

 

1 Psal. LII, 1. — 2 Joan., VIII, 37. — 3 Psal. XXXVI, 15.  

(a) Var.: «Vous voulez, dit-il, me donner la mort. » — (b) Qu’il se serait facilement laissé emporter à la cabale sacrilège qui l'a fait mourir.

 

405

 

au premier effort. Mais ce n'est pas assez que son arc se brise, que son entreprise demeure inutile ; il faut que son glaive lui perce le cœur, et que pour avoir tiré de loin contre Dieu, il se donne lui-même un coup sans remède. Ainsi son entreprise retombe sur lui ; il met son âme en pièces (a) par l'effort téméraire qu'il fait contre Dieu ; et pendant qu'il pense détruire la loi, il se trouve qu'il n'a de force que contre son âme (b). Mais revenons à notre sujet, et continuons de suivre la piste de l'aversion (c) que nous avons pour la vérité et pour ses règles invariables.

Vous avez vu, chrétiens, que le pécheur les détruit tout autant qu'il peut (d), non-seulement dans la loi et dans l'Evangile qui en sont, vous avons-nous dit, de fidèles copies (e), mais encore dans le sein de Dieu où elles sont écrites en original. Il voit qu'il est impossible : « Je suis Dieu, dit le Seigneur, et ne change point (1). » Quoi que l'homme puisse attenter, ce qu'a prononcé sa divine bouche est fixe et invariable ; ni le temps ni la coutume ne prescrivent point contre l'Evangile : Jesus Christus heri et hodie, ipse et in sœcula (2). Il ne faut donc pas espérer que la loi de Dieu se puisse détruire. Que feront ici les pécheurs toujours poussés secrètement de cette haine secrète de la vérité qui les condamne? Ce qu'ils ne peuvent corrompre, ils l'altèrent; ce qu'ils ne peuvent abolir, ils le détournent, ils le mêlent, ils le falsifient, ils tâchent de l'éluder par de vaines subtilités. Et de quelle sorte, Messieurs? En formant des doutes et des incidents, en réduisant l'Evangile à des questions artificieuses qui ne servent qu'à faire perdre parmi des détours infinis la trace toute droite de la vérité. Car ces pécheurs subtils et ingénieux, qui tournent de tous côtés l'Evangile, qui trouvent des raisons de douter sur l'exécution de tous ses préceptes, qui fatiguent les casuistes par leurs consultations infinies, ne travaillent qu'à envelopper la règle des mœurs. Ce sont des hommes, dit saint Augustin, « qui se tourmentent beaucoup pour ne trouver pas ce qu'ils cherchent : » Nihil laborant, nisi non invenire quod quœrunt (3); ou plutôt ce sont ceux

 

1 Malach., III, 6. — 2 Hebr., XIII, 8. — 3 De Genes., contra Manich., lib. II, cap. II, tom. I. 

(a) Var.: Il se met en pièces lui-même. — (b) Soi-même. — (c) De la haine. — (d) Les veut détruire. — (e) Les véritables copies.

 

406

 

dont parle l'Apôtre, qui n'ont jamais de maximes fixes ni de conduite certaine, « qui apprennent toujours, et qui n'arrivent jamais à la science de la vérité : » Semper discentes, et nunquam ad scientiam veritatis pervenientes (1).

Ce n'est pas ainsi, chrétiens, que doivent être les enfants de Dieu. A Dieu ne plaise que nous croyions que la doctrine chrétienne soit toute en doutes et en questions! L'Evangile nous adonné quelques principes, Jésus-Christ nous a appris quelque chose ; qu'il puisse se rencontrer quelquefois des difficultés extraordinaires, je ne m'y veux pas opposer ; mais je ne crains point d'assurer que pour bien régler notre conscience sur la plupart des devoirs du christianisme, la simplicité et la bonne foi sont de grands docteurs ; ils laissent peu de choses indécises. Par la grâce de Dieu, Messieurs, la vie pieuse et chrétienne ne dépend pas des subtilités ni des belles inventions de l'esprit humain. Pour savoir vivre (a) selon Dieu en simplicité, le chrétien n'a pas besoin d'une grande étude ni d'un grand appareil de littérature; peu de choses lui suffisent, dit Tertullien, pour connaître de la vérité autant qu'il lui en faut pour se conduire : Christiano paucis ad scientiam veritatis opus est (2). Qui nous a donc produit tant de doutes, tant de fausses subtilités, tant de dangereux adoucissements sur la doctrine des mœurs, si ce n'est que nous voulons tromper ou être trompés ? Ces deux excellents docteurs auxquels je vous renvoyais, la simplicité et la bonne foi, donnent des décisions trop formelles pour notre conduite. Ainsi nous pouvons dire avec certitude que la vérité est en nous ; mais si nous ne l'avons pas épargnée en Dieu qui en est l'original (b), il ne faut pas s'étonner que nous la violions (c) en nos cœurs, ni que nous tâchions d'effacer les extraits que Dieu même en a imprimés au fond de nos consciences.

Or il faut ici remarquer (d) qu'il y a cette différence entre ces deux attentats, que dans l'effort que nous faisons contre Dieu et contre sa vérité considérée en elle-même, nous nous perdons tous seuls, et que cette vérité primitive et originale demeure toujours

 

1 II Timoth., III, 7. — 2 Tertull., De Anim., n. 2. 

(a) Var. : Pour vivre. — (b) Le premier principe. — (c) La combattions.— (d) Remarquer attentivement.

 

407

 

ce qu'elle est, toujours entière et inviolable (a). Mais il n'en est pas de la sorte de la vérité (b) qui est inhérente en nous, laquelle étant à notre portée et pour ainsi dire sous nos mains, nous pouvons aussi pour notre malheur la corrompre et l'obscurcir (c), et même l'éteindre tout à fait. Alors qui pourrait penser dans quelles ténèbres et dans quelle horreur nous vivons ! Non, le soleil éteint tout à coup ne jetterait pas la nature étonnée dans un état plus horrible qu'est celui d'une âme malheureuse où la vérité est éteinte. Mais, mes frères, il nous faut entendre par quels degrés nous tombons dans cet abîme, et quel est le progrès d'un si grand mal.

 

SECOND  POINT.

 

La première atteinte que nous donnons à la vérité résidant en nous, c'est que nous ne rentrons point en nous-mêmes pour faire réflexion sur la connaissance qu'elle nous inspire ; d'où s'ensuit ce malheur extrême, qu'elle n'éclaire non plus notre esprit (d) que si nous l'ignorions tout à fait, (e) Certes il est véritable que notre âme n'est illuminée que par la réflexion : (f) nous l'éprouvons tous les jours. Ce n'est pas assez de savoir les choses et de les avoir cachées dans la mémoire ; si elles ne sont pas présentes à l'esprit, nous n'en demeurons pas moins dans les ténèbres, et cette connaissance ne les dissipe point (g). Si les vérités de pratique ne sont souvent remuées, souvent amenées à notre vue, elles perdent l'habitude de se présenter et cessent par conséquent d'éclairer; nous marchons également dans l'obscurité, soit que la lumière disparaisse, soit que nous fermions les yeux. Ainsi, comme enchantés par nos plaisirs ou détournés par nos affaires, nous négligeons de rappeler en notre mémoire les vérités du salut, et la foi

 

(a) Var.: Incorruptible, — (b) De cette vérité. — (c) La mutiler et la corrompre, la falsilier et l'obscurcir. — (d) C'est que nous ne faisons pas de réflexion sur la connaissance qu'elle nous donne, de sorte qu'elle n'éclaire non plus notre esprit... —  (e) Note marg. : Et non rogavimus faciem tuam, Domine Deus noster, ut reverteremur ab iniquitatibus nostris et cogitaremus veritatem tuum. (Dan., IX, 13). —  (f) Nous plaignons, et avec raison, tant de peuples infidèles qui ne connaissent pas la vérité; mais nous n'en sommes pas plus avances pour en avoir la connaissance; car il est très-indubitable que notre âme n'est illuminée que par la réflexion. — (g) Var. : Il faut qu'elles se présentent, autrement la connaissance en est inutile.

 

408

 

est en nous inutilement : toutes ses lumières se perdent, parce qu'elles ne trouvent pas les yeux ouverts ni les esprits attentifs : (a) Nous périssons tous, dit le saint prophète; et « toute la terre est désolée à cause qu'il n'y a personne qui pense ni qui réfléchisse : » Desolatione desolata est omnis terra, quia nemo est qui recogitet corde (1).

En effet, chrétiens, que peut-on jamais penser de plus funeste (b) ! Les gentils, qui ne connaissent pas Dieu, périssent dans leur ignorance ; les chrétiens, qui le connaissent, périssent faute d'y penser : les uns n'ont pas la lumière ; ceux qui l'ont détournent les yeux et se perdent d'autant plus misérablement, qu'ils s'enveloppent eux-mêmes dans des ténèbres volontaires. Mais de là il arrive un second malheur, que pendant que nous tournons le dos à la vérité et que nous tâchons, dit saint Augustin (2), de nous cacher dans notre ombre en éloignant de notre vue les maximes de la foi, peu à peu nous nous accoutumons (c) aies méconnaître. Ces saintes vérités du ciel sont trop graves et trop sérieuses pour ceux « qui estiment, comme dit le Sage, que toute notre vie n'est qu'un jeu : » Aestimaverunt lusum esse vitam nostram (3) : elles se présentent importunément et mal à propos parmi nos plaisirs, elles sont trop incompatibles et condamnent trop sévèrement ce que nous aimons (d) ; c'est pourquoi nous en éloignons la triste et importune pensée. Mais comme quelque effort que nous fassions pour détourner nos visages de peur que la vérité ne nous éclaire de front, elle nous environne par trop d'endroits pour nous permettre d'éviter tous ces rayons incommodes qui nous troublent, à moins que nous ne l'éteignions entièrement (e); nous en venons ordinairement par nos passions insensées à l'un de ces deux excès, ou de supprimer tout à fait en nous les vérités de la foi, ou bien

 

1 Jerem., XII, 11. — 2 De Libr. arbitr., lib. II, cap. XVI. — 3 Sap., XV, 12.

(a) Note marg. : Lumen oculorum meorum , et ipsum non est mecum ( Psal. XXXVII, 11). Ce n'est pas une lumière étrangère, c'est la lumière de ses yeux qui l'a tout a fait abandonné, parce qu'il n'y faisait pas de réflexion, parce qu'il ne sait pas même ce qu'il doit penser, parce que faute de penser à ce qu'il sait, il est dans le même état que s'il ne le savait pas.— (b) Var. : Quelle étrange désolation! — (c) Nous commençons. — (d) Ce qui nous plaît. — (e) Elle nous environne par tant d'endroits, que nous ne pouvons éviter tous ses rayons, à moins de l'éteindre entièrement.

 

409

 

de les falsifier et de les corrompre par des maximes erronées.

Je n'entreprends pas, chrétiens, de réfuter en ce lieu ceux qui détruisent la foi dans leurs cœurs, et je leur dirai seulement que si leur esprit emporté refuse de céder (a) humblement à l'autorité de Jésus-Christ et de son Eglise, ils doivent craindre enfin la dernière preuve que Dieu réserve aux incrédules. Ceux qui ne veulent pas déférer à Jésus-Christ et à son Eglise, qui sont les maîtres des sages, par un juste jugement de Dieu sont renvoyés à l'expérience, qui est appelée si élégamment par saint Grégoire de Nazianze (1) «la maîtresse des téméraires et des insensés; » c'est le dernier argument sur lequel Dieu les convaincra. Car écoutez comme Dieu parle à ceux qui ne voulaient pas se persuader de la rigueur de ses jugements ni de la vérité de ses menaces : « Et moi, répond le Seigneur, j'épancherai sur vous ma colère, et je n'aurai point de pitié, » et vous sentirez ma main de près; « et alors vous saurez, » dit-il, vous qui n'avez pas voulu le croire, vous saurez par expérience, et vous aurez tout loisir d'apprendre dans l'éternité de votre supplice, « que je suis le Seigneur qui frappe : » Et scietis quia ego sum Dominus percutiens (2). Ainsi seront instruits, car ils en sont dignes, ceux qui ne veulent pas se laisser instruire par Jésus-Christ et par l'Evangile.

Mais plusieurs qui ne méprisent pas si ouvertement une autorité si vénérable, ne laissent pas toutefois de corrompre la vérité dans leurs consciences par des maximes trompeuses. L'intérêt et les passions nous ont fait un Evangile nouveau que Jésus-Christ ne connaît plus. Nul ne pardonne une injure de bonne foi, et nous trouvons toujours de bonnes raisons pour ne voir jamais un ennemi, si ce n'est que la mort nous presse. Mais ni à la vie, ni à la mort, nous ne songeons à restituer le bien d'autrui que nous avons usurpé; on s'imagine qu'on se le rend propre par l'habitude d'en user, et on cherche de tous côtés non point un fonds pour le rendre, mais quelque détour de conscience pour le retenir. On fatigue les casuistes par des consultations infinies; et «à quoi est-ce, dit saint Augustin, qu'on travaille par tant

 

1 Orat. XII, tom. 1, p. 202. — 2 Ezech., VII., 9.

 (a) Var. : Ne veut pas céder.

 

410

 

d'enquêtes, sinon à ne trouver pas ce qu'on cherche? » Hi homines nihil laborant nisi non invenire quod quœrunt. C'est pourquoi nous éprouvons tous les jours qu'on nous embarrasse la règle des mœurs par tant de questions et tant de chicanes, qu'il n'y en a pas davantage dans les procès les plus embrouillés ; et si Dieu n'arrête le cours des pernicieuses subtilités que l'intérêt nous suggère, les lois de la bonne foi et de l'équité ne seront bientôt qu'un problème. La chair qui est condamnée cherche des détours et des embarras : de là tant de questions et tant de chicanes. C'est pourquoi saint Augustin a raison de dire que ceux qui les forment « soufflent sur de la poussière et jettent de la terre dans leurs yeux : » Sufflantes in pulverem et excitantes terram in oculos suos (1). Ils étaient dans le grand chemin, et la voie de la justice chrétienne leur paraissait toute droite ; ils ont soufflé sur la terre ; de vaines contentions, des questions de néant (a) qu'ils ont excitées ont troublé leur vue comme une poussière importune, et ils ne peuvent plus se conduire. Sans faire ici la guerre à personne, si ce n'est à nous-mêmes et à nos vices, nous pouvons dire hautement que notre attachement à la terre et l'affaiblissement de la discipline ont fait naitre plus que jamais en nos jours ces vaines et pernicieuses subtilités.

Règle pour s'examiner. Les uns cherchent Jésus-Christ comme les Mages pour adorer sa vérité ; les autres le cherchent dans l'esprit d'Hérode pour faire outrage à sa vérité. Quiconque cherche est inquiet et veut se mettre en repos : Ubi est qui natus est rex Judaeorum (2)? Voyez Hérode, quelle est cette inquiétude et de quelle veine elle vient; par là vous pouvez connaître votre disposition véritable. Mais si vous voulez ne vous tromper pas à connaître quelle est cette inquiétude et de quelle veine elle vient, examinez attentivement ce que vous craignez. Ou vous craignez de mal faire, ou vous craignez qu'on vous dise que vous faites mal : l'une est la crainte des enfants de Dieu, l'autre est la crainte des enfants du siècle. Si vous craignez de mal faire, vous cherchez Jésus-Christ dans l'esprit des Mages pour rendre honneur à sa vérité ; sinon,

 

1 Confess., lib. XII, cap. XVI. — 2 Matth., II, 2.

 (a) Var. : De nul poids.

 

411

 

vous cherchez Jésus-Christ dans l'esprit d'Hérode pour lui faire outrage. Je ne rougirai pas, chrétiens, de vous rapporter en ce lieu les paroles d'un auteur profane, et de confondre par la droiture de ses sentiments nos détours et nos artifices. « Quand nous doutons, disait l'orateur romain, de la justice de nos entreprises, c'est une bonne maxime de s'en désister tout à fait. Car l'équité, poursuit-il, reluit assez d'elle-même, et le doute semble envelopper dans son obscurité quelque dessein d'injustice : » Bene prœcipiunt qui vetant quidquam agere, quod dubites œquum sit an iniquum; œquitas enim lucet ipsa per se, dubitatio cogitationem significat injuriae (1).

Et en effet, chrétiens, nous trouvons ordinairement que ce qui a tant besoin de consultation a quelque chose d'inique; le chemin de la justice n'est pas de ces chemins tortueux qui ressemblent à des labyrinthes où on craint toujours de se perdre. « C'est une route toute droite, dit le prophète Isaïe; c'est un sentier étroit à la vérité, mais qui n'a point de détours : » Semita justi recta est, rectus callis justi ad ambulandum (2). Voulez-vous savoir, chrétiens, le chemin de la justice? Marchez dans le pays découvert, allez où vous conduit votre vue : la justice ne se cache pas, et sa propre lumière nous la manifeste. Si vous trouvez à côté quelque passage (a) obscur et embarrassé, c'est là que la fraude se réfugie, c'est là que l'injustice se met à couvert, c'est là que l'intérêt dresse ses embûches. Toutefois je ne veux pas dire qu'il ne se rencontre quelquefois des obscurités même dans les voies de la justice. La variété des faits, les changements de la discipline, le mélange des lois positives, font naître assez souvent des difficultés qui obligent de consulter ceux à qui Dieu a confié le dépôt de la science. Mais il ne laisse pas d'être véritable, et nous le voyons tous les jours par expérience, que les consultations empressées nous cachent ordinairement quelque tromperie; et je ne crains point de vous assurer que pour régler notre conscience sur la plupart des devoirs de la justice chrétienne, la bonne foi est un grand docteur qui laisse peu d'embarras et de questions indécises.

 

1 Cicer., De Offic., lib. I, n. 29. — 2 Isa., XXVI, 7.

 

(a) Var. : Quelque endroit.

 

412

 

Mais notre corruption ne nous permet pas de marcher par des voies si droites; nous formons notre conscience au gré de nos passions, et nous croyons avoir tout gagné, pourvu que nous puissions nous tromper nous-mêmes. Cette sainte violence, ces maximes vigoureuses du christianisme qui nous apprennent à combattre en nous la nature trop dépravée, sont abolies parmi nous. Nous faisons régner (a) en leur place un mélange monstrueux de Jésus-Christ et du monde, des maximes moitié saintes et moitié profanes, moitié chrétiennes et moitié mondaines, ou plutôt toutes mondaines, toutes profanes, parce qu'elles ne sont qu'à demi chrétiennes et à demi saintes. C'est pourquoi nous ne voyons presque plus de piété véritable; tout est corrompu et falsifié ; et si Jésus-Christ revenait au monde, il ne connaîtrait plus ses disciples et ne verrait rien dans leurs mœurs (b) qui ne démentit hautement la sainteté de sa doctrine (c).

 

TROISIÈME  POINT.

 

Parmi ces désordres infinis, et pendant que nos passions et nos intérêts nous séduisent de telle sorte que nous éteignons dans nos consciences les lumières de la vérité, nous aurions besoin, chrétiens, que de puissants avertissements pénétrassent vivement notre conscience et la rappelassent à elle-même (d), comme disait ce prophète : Redite, praevaricatores, ad cor (1). Mais, ô malheur des malheurs! au lieu de ces charitables avertissements, la flatterie nous obsède et nous environne; je dis les grands et les petits; car les hommes sont si faibles, qu'ils ont une condescendance presque universelle et qu'ils répandent les flatteries sur toutes les têtes. Nous achevons de nous perdre parmi les complaisances que l'on a pour nous, les flatteurs nous donnent le dernier coup; et comme dit saint Paulin, « ils mettent le comble à l'iniquité par leurs

 

1 Isa., XLVI, 8.

 

(a) Var. : Nous voyons régner.— (b) Il ne verrait rien dans nos mœurs.....

—  (c) Note marg. : Attendi et auscultavi ; nemo quod bonum est loquitur, nullus est qui agat paenitentiam super peccato suo, dicens : Quid feci? Omnes conversi sunt ad cursum tuum, quari equus impetu vadens ad proelium (Jerem., VIII, 6). — (d) Var.: Nous pénétrassent le cœur et le rappelassent à lui-même.

 

413

 

louanges injustes et artificieuses (a) : » Sarcinam peccatorum pondere indebitœ laudis accumulant ».

Que dirai-je ici, chrétiens, et quel remède pourrai-je trouver à un poison si subtil et si dangereux? Il ne suffit pas d'avertir les hommes de se tenir sur leurs gardes. Car qui ne se tient pas pour tout averti? où sont ceux qui ne craignent pas les embûches de la flatterie? Mais celle de la Cour est si délicate, qu'on ne peut presque éviter ses pièges. Elle imite tout de l'ami, jusqu'à sa franchise et sa liberté ; elle sait non-seulement applaudir, mais encore résister et contredire pour céder plus agréablement en d'autres rencontres; et nous voyons tous les jours que pendant que nous triomphons d'être sortis des mains d'un flatteur, un autre nous engage insensiblement que nous ne croyons plus flatteur, parce qu'il flatte d'une autre manière : tant la séduction est puissante, tant l'appât est délicat et imperceptible.

Donc pour arracher la racine d'un mal si pernicieux, allons, Messieurs, au principe. Ne parlons plus des flatteurs qui nous environnent au dehors; parlons d'un flatteur qui est au dedans, par lequel tous les autres sont autorisés. Toutes nos passions sont des flatteuses, nos plaisirs sont des flatteurs, surtout notre amour-propre est un grand flatteur qui ne cesse de nous applaudir; et tant que nous écouterons ce flatteur caché, jamais nous ne manquerons d'écouter les autres. Car les flatteurs du dehors, âmes vénales et prostituées, savent bien connaître la force de cette flatterie intérieure. C'est pourquoi ils s'accordent avec elle; ils agissent de concert et d'intelligence; ils s'insinuent si adroitement dans ce commerce de nos passions, dans cette complaisance de notre amour-propre, dans cette secrète intrigue de notre cœur, que nous ne pouvons nous tirer de leurs mains ni reconnaître leur tromperie. Que si nous voulons les déconcerter et rompre cette intelligence, voici l'unique remède : un amour généreux de la vérité, un désir de nous connaître nous-mêmes tels que nous sommes, à quelque prix que ce soit. Quelle honte et quelle faiblesse que nous voulions tout connaître excepté nous-mêmes; que

 

1 Epist. XXIV ad Sever., n. 1. 

(a) Var. : « Par leurs injustes louanges. »

 

414

 

les autres sachent nos défauts, qu'ils soient la fable du monde, et que nous seuls ne les sachions pas! Nous ne lisons pas sans pitié cotte réponse d'Achab, roi de Samarie, à qui Josaphat, roi de Judée, ayant demandé s'il n'y avait point dans sa ville et dans son royaume quelque prophète du Seigneur : « Il y en a un, répondit Achab, qu'on nomme Michée; mais je ne le puis souffrir, parce qu'il ne me prédit que des malheurs. » (a) C'était un homme de bien qui lui représentait naïvement de la part de Dieu ses fautes et le mauvais état de ses affaires (b), que ce prince n'avait pas la force de vouloir apprendre; et il voulait que Michée, c'est ainsi que s'appelait ce prophète, lui contât avec ses flatteurs des triomphes imaginaires.

Loin de nous, loin de nous, Messieurs, cette honteuse faiblesse !  « Il vaut mieux, dit saint Augustin (1), savoir nos défauts que de pénétrer tous les secrets de la nature et tous ceux des Etats et des empires; » cette connaissance est si nécessaire, que sans elle notre santé est désespérée. Ouvrez donc les yeux, chrétiens, et envisagez vos défauts. Aimez ceux qui vous les découvrent, et croyez avec saint Grégoire « que ceux-là sont véritables amis, par le secours desquels vous pouvez effacer les taches de votre conscience : » Hunc solum mihi amicum reputo, per cujus unquam ante apparitionem districti judicii meœ maculas mentis tergo (2). Il importe de bien connaître ses fautes, quand même vous ne voudriez pas encore vous en corriger. Car quand vos maux vous plairaient encore, il ne faudrait pas pour cela les rendre incurables ; et si le malade ne presse pas sa guérison, du moins ne doit-il pas assurer sa perte. Du moins apprenons à connaître nos défauts de la bouche des prédicateurs : car Jésus-Christ n'est-il pas dans cette chaire et ne rend-il pas encore témoignage au monde que ses œuvres sont mauvaises? Et s'il faut des avertissements plus particuliers, voici les jours salutaires où l'Eglise nous invite à la pénitence. Il n'est rien de plus malheureux que de vouloir être flatté où nous-mêmes

 

1 De Trinit., lib. IV, n. 1. — 2 S. Greg., Epist., lit. II, Epist. LII.

 

(a) Note marg. : Remansit vir unus, per quem possumus interrogare Dominum ; sed ego odi eum, quia non prophetat mihi bonum, sed malum, Michœas filius Jermla ( III Reg., XXII, 8). — (b) Var. : Qui lui disait de la part de Dieu la vérité de ses fautes et de ses affaires.

 

415

 

nous nous rendons nos accusateurs. Si veritatem dico vobis..... Loin de nous..... Choisissons un homme d'une vigueur apostolique, qui nous fasse rentrer en nous-mêmes.

 

Précédente Accueil Suivante