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LES SERMONS.
PREMIER SERMON
POUR
LE PREMIER DIMANCHE DE CARÊME,
SUR LES DÉMONS (a).
Ductus est Jesus in desertum à Spiritu, ut tentaretur à
diabolo.
Jésus fut conduit par l'Esprit dans le désert, pour y être
tenté par le diable. Matth., IV, 1.
Si la mort de Jésus est notre
vie, si son infirmité est notre force, si ses blessures sont notre guérison,
aussi pouvons-nous assurer que sa tentation est notre victoire. Ne nous
persuadons pas, chrétiens, qu'il eût été permis à Satan de tenter aujourd'hui le
Sauveur sans quelque haut conseil de la Providence divine. Jésus-Christ étant le
Verbe, et la raison et la sapience du Père, comme toutes ses paroles sont esprit
et vie, ainsi toutes ses actions sont spirituelles et mystérieuses ; tout y est
intelligence, tout y est raison.
(a) Premier point. — Ce qui est donné pour
ornement aux natures intelligentes leur tourne en supplice. Opération cachée de
la main de Dieu.
Second point.— Envie. Espèce d'orgueil, mais qui va
à ses fins par des voies cachées, parce que c'est un orgueil lâche et timide.
L'orgueil naturellement se découvre, parce qu'il fait le généreux.
Jalousie des anges. Pharaon. Ezéchiel, chap. XXXII. Moyens
imperceptibles du malin esprit. Tertullien. Comparaison du serpent. Tertullien.
Indépendance du diable. Saint Chrysostome. Exemples.
Troisième point. — Nos vices, plus à craindre que le
diable. Exemple de Saül. Envie.
Les deux premiers sermons pour le Carême se sont suivis de
près dans leur origine; car ils présentent les mêmes caractères, les mêmes idées
fondamentales et les mêmes expressions; cela est si vrai que Déforis a fait de
grands efforts, nous dit-il, pour foudre ces deux ouvrages eu un seul, et ses
successeurs, chose incroyable, regrettent dans une note calquée sur la sienne
qu'il n'y ait pas réussi. On verra que le second de ces sermons a été prêché
dans le Carême de 1660, aux Minimes. Il est donc probable que le premier l'a été
dans le commencement de la même année ou dans le courant de 1659.
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Mais parce qu'il est la Sagesse incarnée qui est venue
accomplir dans le monde l'ouvrage de notre salut, toute cette raison est pour
notre instruction, et tous ces mystères sont pour nous sauver. Selon cette
maxime, je ne doute pas que comme on vous aura exposé aujourd'hui le sens
profond de cet évangile, vous n'ayez bien compris les enseignements que nous
donne la tentation de Jésus. C'est pourquoi il n'est pas nécessaire que je vous
entretienne par un long discours. Seulement pour satisfaire votre piété, autant
qu'il plaira à notre grand Dieu m'enseigner par son Saint-Esprit, je tâcherai de
vous exposer quel est cet esprit tentateur qui ose attaquer le Sauveur Jésus.
Implorons les lumières célestes pour découvrir les fraudes du diable ; et contre
la malice des démons demandons l'assistance de la sainte Vierge, que les anges
ont toujours honorée, mais particulièrement depuis qu'un des premiers de leur
hiérarchie, envoyé de la part de Dieu, la salua par ces belles paroles : Ave,
Maria.
Qu'il y ait dans le monde un
certain genre d'esprits malfaisants que nous appelons des démons, outre le
témoignage évident des Ecritures divines, c'est une chose qui a été reconnue par
le consentement commun de toutes les nations et de tous les peuples. Ce qui les
a portés à cette créance, ce sont certains effets extraordinaires et prodigieux
qui ne pouvaient être rapportés qu'à quelque mauvais principe et à quelque
secrète vertu dont l'opération fût maligne et pernicieuse. Les histoires
grecques et romaines nous parlent en divers endroits de voix inopinément
entendues, et de plusieurs apparitions funèbres arrivées à des personnes
très-graves et dans des circonstances qui les rendent très-assurées. Et cela se
confirme encore par cette noire science de la magie , à laquelle plusieurs
personnes trop curieuses se sont adonnées dans toutes les parties de la terre.
Les Chaldéens et les sages d'Egypte, et surtout cette secte de philosophes
indiens que les Grecs appellent gymnosophistes, étonnaient les peuples
par diverses illusions et par des prédictions trop précises pour venir purement
par la connaissance des astres. Ajoutons-y encore certaines agitations et des
esprits et des corps, que les païens mêmes attribuaient
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à la vertu des démons, comme vous le verrez par une
observation que nous en ferons en la dernière partie de cet entretien. Ces
oracles trompeurs, et ces mouvements terribles des idoles, et les prodiges qui
arrivaient dans les entrailles des animaux, et tant d'autres accidents
monstrueux des sacrifices des idolâtres, si célèbres dans les auteurs profanes,
à quoi les attribuerons-nous, chrétiens, sinon à quelque cause occulte qui se
plaisant d'entretenir les hommes dans une religion sacrilège par des miracles
pleins d'illusion, ne pouvait être que malicieuse ? Si bien que les sectateurs
de Platon et de Pythagore, qui du commun consentement de tout le monde sont ceux
qui de tous les philosophes ont eu les connaissances les plus relevées et qui
ont recherché plus curieusement les choses surnaturelles, ont assuré comme une
vérité très-constante qu'il y avait des démons, des esprits d'un naturel obscur
et malicieux, jusque-là qu'ils ordonnaient certains sacrifices pour les apaiser
et pour nous les rendre favorables. Ignorants et aveugles qu'ils étaient, qui
pensaient éteindre par leurs victimes cette haine furieuse et implacable que les
démons ont conçue contre le genre humain, comme je vous le ferai voir en son
temps. Et l'empereur Julien l'Apostat, lorsqu'en haine de la religion chrétienne
il voulut rendre le paganisme vénérable, voyant que nos pères en avoient
découvert trop manifestement la folie, il s'avisa d'enrichir de mystères son
impie et ridicule religion ; il observait exactement les abstinences et les
sacrifices que ces philosophes avoient enseignés; il les voulait faire passer
pour de saintes et mystérieuses institutions tirées des vieux livres de l'Empire
et de la secrète doctrine des platoniciens. Or ce que je vous dis ici de leurs
sentiments, ne vous persuadez pas que ce soit pour appuyer ce que nous croyons
par l'autorité des païens. A Dieu ne plaise que j'oublie si fort la dignité de
cette chaire et la piété de cet auditoire, que de vouloir établir par des
raisons et des autorités étrangères ce qui nous est si manifestement enseigné
par la sainte parole de Dieu et par la tradition ecclésiastique; mais j'ai cru
qu'il ne serait pas inutile de vous faire observer en ce lieu que la malignité
des démons est si grande, qu'ils n’ont pu la dissimuler, et qu'elle a même été
découverte par les
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idolâtres, qui étaient leurs esclaves et dont ils étaient
les divinités.
D’entreprendre maintenant de
prouver qu'il y a des démons par le témoignage des saintes Lettres, ne serait-ce
pas se donner une peine mutile, puisque c'est une vérité si bien reconnue et qui
nous est attestée dans toutes les pages du Nouveau Testament? Partant, pour
employer à quelque instruction plus utile le peu de temps que nous nous sommes
prescrit, j'irai avec l'assistance divine reconnaître cet ennemi qui s'avance si
résolument contre nous, pour vous faire un rapport fidèle de sa marche et de ses
desseins. Je vous dirai en premier lieu, avec les saints Pères, de quelle nature
sont ces esprits malfaisants, quelles sont leurs forces, quelles sont leurs
machines. Après je tâcherai de vous exposer les causes qui les ont mus à nous
déclarer une guerre si cruelle et si sanglante. Et comme j’espère que Dieu me
fera la grâce de traiter ces choses, non par des questions curieuses, mais par
une doctrine solidement chrétienne, il ne sera pas malaisé d'en tirer une
instruction importante, en faisant voir de quelle sorte nous devons résister à
cette nation de démons conjurés à notre ruine.
PREMIER POINT.
Chaque créature a ses caractères
propres avec ses qualités et ses excellences. Ainsi la terre a sa ferme et
immuable solidité, et l’eau sa liquidité transparente, et le feu sa subtile et
pénétrante chaleur. Et ces propriétés spécifiques des choses sont comme des
bornes qui leur sont données pour empêcher qu'elles ne soient confondues. Mais
Dieu étant une lumière infinie, il ramasse en l’unité simple et indivisible de
son essence toutes ces diverses perfections qui sont dispersées deçà et delà
dans le monde ; toutes choses se rencontrent en lui d'une manière très-éminente
; et c'est de cette source, que la beauté et la grâce sont dérivées dans les
créatures, d’autant que cette première beauté a laissé tomber sur les créatures
un éclat et un rayon de soi-même. Nous voyons bien toutefois, chrétiens, qu'elle
ne s'est pas toute jetée en un lieu, mais qu’elle s’est répandue par divers
degrés, descendant peu à peu depuis les ordres supérieurs jusqu'au dernier étage
de la nature. Ce que nous observerons aisément, si nous prenons
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garde qu'au-dessus des choses insensibles et inanimées Dieu
a établi la vie végétante, et un peu plus haut le sentiment, au-dessus duquel
nous voyons présider la raison humaine d'une immortelle vigueur, attachée
néanmoins à un corps mortel. Si bien que notre grand Dieu pour achever
l'univers, après avoir fait sur la terre une âme spirituelle dans des organes
matériels, il a créé aussi dans le ciel des esprits dégagés de toute matière,
qui vivent et se nourrissent d'une pure contemplation. C'est ce que nous
appelons les anges, que Dieu a divisés en leurs ordres et hiérarchies, et c'est
de cette race que sont les démons.
Après cela, qu'est-il nécessaire
que je vous fasse voir par de longs discours la dignité de leur nature? Si Dieu
est la souveraine perfection, ou plutôt s'il est toute perfection, comme nous
vous le disions tout à l'heure, n'est-ce pas une vérité très-constante que les
choses sont plus ou moins parfaites, selon qu'elles approchent plus ou moins de
cette essence infinie? Et les anges ne sont-ils pas parmi toutes les créatures
celles qui semblent toucher de plus près à la Majesté divine? Puisque Dieu les a
établis dans l'ordre suprême des créatures pour être comme sa Cour et ses
domestiques , c'est une chose assurée que les dons naturels dont nous avons reçu
quelques petites parcelles, la munificence divine les a répandus comme à main
ouverte sur ces belles intelligences. Et de même que ce qui nous paraît
quelquefois de si subtil et si inventif dans les animaux, n'est qu'une ombre des
opérations immortelles de l'intelligence des hommes ; ainsi pouvons-nous dire en
quelque sorte que les connaissances humaines ne sont qu'un crayon imparfait de
la science de ces esprits purs, dont la vie n'est que raison et intelligence.
Vous trouverez étrange peut-être que je donne de si grands éloges aux anges
rebelles et déserteurs; mais souvenez-vous, s'il vous plaît, que je parle de
leur nature, et non pas de leur malice, de ce que Dieu les a faits, et non pas
de ce qu'ils se sont faits eux-mêmes. J'admire dans les anges damnés les marques
de la puissance et de la libéralité de mon Dieu ; et ainsi c'est le Créateur que
je loue, pour confondre l'ingratitude de ses ennemis.
Mais il s'élève ici une grande difficulté. Hélas ! comment
s'est-il pu faire que des créatures si excellentes se soient révoltées
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contre Dieu ? Que nous autres pauvres mortels, abîmés dans
une profonde ignorance, accablés de cette masse de chair, agités de tant de
convoitises brutales, nous abandonnions si souvent le chemin difficile de la loi
de Dieu, bien que ce soit une grande insolence, ce n'est pas un événement
incroyable. Mais que ces intelligences pleines de lumières divines, elles dont
les connaissances sont si distinctes et les mouvements si paisibles, qui n'ont
pas comme nous à combattre mille ennemis domestiques, qui étant indivisibles et
incorporelles, n'ont pas comme nous des membres mortels où la loi du péché
domine : qu'elles se soient retirées de Dieu, encore qu'elles sussent très-bien
qu'il était leur souveraine béatitude, c'est, mes frères, ce qui est terrible,
c'est ce qui m'étonne et ce qui m'effraie, c'est par où je reconnais
très-évidemment que toutes les créatures sont bien peu de chose.
Les fols marcionites et les
manichéens encore plus insensés, émus de cette difficulté, ont cru que les
démons étaient méchants par nature; ils n'ont pu se persuader que s'ils eussent
jamais été bons, ils eussent pu se séparer de Dieu volontairement, et de là ils
concluaient que la malice était une de leurs qualités naturelles. Mais cette
extravagante doctrine est très-expressément réfutée par un petit mot du Sauveur,
qui parlant du diable, en saint Jean, ne dit pas qu'il a été créé dans le
mensonge, mais « qu'il n'est pas demeuré dans la vérité : » In veritate non
stetit (1). Que s'il n'y est pas demeuré, il y avait donc été établi ; et
s'il en est tombé, ce n'est pas un vice de sa nature, mais une dépravation de sa
volonté. Pourquoi vous tourmentez-vous, ô marcionites, à chercher la cause du
mal dans un principe mauvais qui précipite les créatures dans la malice? Ne
comprenez-vous pas que Dieu étant lui seul la règle des choses, il est aussi le
seul qui ne peut être sujet à faillir : et sans avoir recours à aucune autre
raison, n'est-ce pas assez de vous dire que les anges étaient créatures, pour
vous faire entendre très-évidemment qu'ils n'étaient pas impeccables ?
Dieu est tout, ainsi qu'il
disait à Moïse : « Je te montrerai tout bien, quand je te manifesterai mon
essence (2). » Et puisqu'il est tout, il s'ensuit très-évidemment que les
créatures ne sont rien
1 Joan., VIII, 44. — 2 Exod., XXXIII, 19.
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d'elles-mêmes; elles ne sont autre chose que ce qu'il plait
à Dieu de les faire. Ainsi le néant est leur origine, c'est l'abîme dont elles
sont tirées par la seule puissance de Dieu : de sorte que ce n'est pas merveille
si elles retiennent toujours quelque chose de cette basse et obscure origine, et
si elles retombent aisément dans le néant par le péché qui les y précipite.
C'est ce que nous explique le grave Tertullien par une excellente comparaison :
« De même qu'une peinture, bien qu'elle représente tous les linéaments de
l'original, ne saurait exprimer sa vigueur, étant destituée de vie et de
mouvement ; ainsi, dit ce grand personnage, les natures spirituelles et
raisonnables expriment en quelque sorte la raison et l'intelligence de Dieu,
parce qu'elles sont ses images; mais elles ne peuvent jamais exprimer sa force,
qui est le bonheur de ne pouvoir pécher : » Imago, cùm omnes lineas exprimat
veritatis, vi tamen ipsâ caret, non habem motum ; ita et anima imago Spiritûs
solam vim ejus exprimere non valuit, id est, non delinquendi felicitatem
(1). De là il est arrivé que les anges rebelles se sont endormis en eux-mêmes
dans la complaisance de leur beauté : la douceur de leur liberté les a trop
charmés; ils en ont voulu faire une épreuve malheureuse et funeste ; et déçus
par leur propre excellence, ils ont oublié la main libérale qui les avait
comblés de ses grâces. L'orgueil insensiblement s'est emparé de leurs
puissances; ils n'ont plus voulu reconnaître Dieu; et quittant cette première
bonté, qui n'ôtait pas moins l'appui nécessaire de leur bonheur que le seul
fondement de leur être, tout est allé en ruine. Ainsi donc il ne faut pas
s'étonner si d'anges de lumière ils ont été faits esprits de ténèbres, si
d'enfants ils sont devenus déserteurs, et si de chantres divins qui par une
mélodie éternelle devaient célébrer les louanges de Dieu, ils sont tombés à un
tel point de misère que de s'adonner à séduire les hommes. Dieu l'a permis de la
sorte afin que nous reconnussions dans les diables ce que peut le libre arbitre
des créatures quand il s'écarte de son principe, pendant qu'il fait éclater dans
les anges et dans les hommes prédestinés ce que peut sa miséricorde et sa grâce
toute-puissante.
Voilà, voilà, mes frères, les
ennemis que nous avons à combattre,
1 Lib. II Advers. Marcion., n. 9.
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autant malins à présent comme ils étaient bons dans leur
origine, autant redoutables et dangereux comme ils étaient puissants et
robustes. Car ne vous persuadez pas que pour être tombés de si haut, ils aient
été blessés dans leur disposition naturelle. Tout est entier en eux, excepté
leur justice et leur sainteté, et conséquemment leur béatitude. Du reste cette
action vive et vigoureuse, cette ferme constitution, cet esprit délicat et
puissant, et ces vastes connaissances leur sont demeurées, et en voici la solide
raison que la théologie nous apprend.
Le bonheur des créatures
raisonnables ne consiste ni dans une nature excellente, ni dans un sublime
raisonnement, ni dans la force, ni dans la vigueur, mais seulement à s'unir à
Dieu. Quand donc elles se séparent de Dieu, comment est-ce qu'il les punit? En
se retirant lui-même de ces esprits ingrats et superbes ; et par là tous leurs
dons naturels, toutes leurs connaissances, tout leur pouvoir, en un mot tout ce
qui leur servait d'ornement, leur tourne aussitôt en supplice : ce qui leur
arrive, fidèles, selon cette juste, mais terrible maxime, que « chacun est puni
par les choses par lesquelles il a péché : » Per quœ peccat quis, per hœc et
torquetur (1). O anges inconsidérés, vous vous êtes soulevés contre Dieu,
vous avez abusé de vos qualités excellentes, elles vous ont rendus orgueilleux.
L'honneur de votre nature qui vous a enflés, ces belles lumières par lesquelles
vous vous êtes séduits, elles vous seront conservées ; mais elles vous seront un
fléau et un tourment éternel; vos perfections seront vos bourreaux, et votre
enfer ce sera vous-même. Comment cela arrivera-t-il, chrétiens? Par une
opération occulte de la main de Dieu, qui se sert comme il lui plaît de ses
créatures, tantôt pour la jouissance d'une souveraine félicité, tantôt pour
l'exercice de sa juste et impitoyable vengeance. C'est pourquoi l'Apôtre nous
crie dans l’Epître aux Ephésiens: « Revêtez-vous, mes frères, des armes
de Dieu, parce que nous n'avons point à combattre contre la chair ni le sang
(2), » ni contre des puissances visibles.
Pénétrons la force de ces
paroles. Ne voyez-vous pas, chrétiens, que dans toutes les choses corporelles,
outre la partie agissante,
1 Sap., XI, 17. — 2 Ephes., VI, 11, 12.
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il y en a une autre qui ne fait que souffrir, que nous
appelons la matière ? De là vient que toutes les actions des choses que nous
voyons ici-bas, si nous les comparons aux actions des esprits angéliques,
paraîtront languissantes et engourdies, à cause de la matière qui ralentit toute
leur vigueur. Mais les ennemis que nous avons à combattre, ce n'est pas, dit
l'Apôtre, la chair et le sang : les puissances qui s'opposent à nous, sont des
esprits purs et incorporels; tout y est actif, tout y est nerveux; et si Dieu ne
retenait leur fureur, nous les verrions agiter ce monde avec la même facilité
que nous tournons une petite boule. « Ce sont en effet les princes du monde, dit
le saint Apôtre ; ce sont des malices spirituelles, » spiritualia nequitiœ;
où il suppose manifestement que leurs forces naturelles n'ont point été altérées
, mais que par une rage désespérée ils les ont toutes converties en malice pour
les causes que je m'en vais vous déduire.
Cependant reconnaissons,
chrétiens, que ni les sciences, ni le grand esprit, ni les autres dons de nature
ne sont pas des avantages fort considérables, puisque Dieu les laisse entiers
aux diables ses capitaux ennemis, et par cela même les rend non-seulement
malheureux, mais encore infiniment méprisables (a) : de sorte que
nonobstant toutes ces qualités éminentes, misérables et impuissants que nous
sommes, nous leur semblons dignes d'envie, seulement parce qu'il plaît à notre
grand Dieu de nous regarder en pitié, comme vous le verrez tout à l'heure. O
importante réflexion par laquelle il me serait aisé, ce me semble , avec
l'assistance divine, de vous porter à profiter de l'exemple de ces esprits
dévoyés (b), si la brièveté que je vous ai promise ne m'obligeait à
passer à la seconde partie de cet entretien, qui vous expliquera les raisons
pour lesquelles ces anges rebelles nous persécutent si cruellement et avec cette
haine irréconciliable. Rendez-vous, s'il vous plaît, attentifs.
(a) Var. : Et même qu'il en tire leur
châtiment. — (b) Et sur cette importante réflexion, je vous exhorterais
de toute l'affection de mon cœur à profiter de l’exemple.....
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SECOND POINT.
Le péché de Satan a été une
insupportable arrogance, suivant ce qui est écrit en Job, que « c'est lui qui
domine sur tous les enfants d'orgueil : » Ipse est rex super universos filios
superbiœ (1). Or le propre de l'orgueil, c'est de s'attribuer tout à
soi-même, et par là les superbes se font eux-mêmes leurs dieux, secouant le joug
de l'autorité souveraine. C'est pourquoi le diable s'étant enflé par une
arrogance extraordinaire, les Ecritures ont dit qu'il avait affecté la divinité.
« Je monterai, dit-il, et placerai mon trône au-dessus des astres, et je serai
semblable au Très-Haut (2). » Mais Dieu qui résiste aux superbes (3), voyant ses
pensées arrogantes et que son esprit, emporté d'une téméraire complaisance de
ses propres perfections, ne pouvait plus se tenir dans les sentiments d'une
créature, du souffle de sa bouche le précipita au fond des abîmes. Il tomba du
ciel ainsi qu'un éclair, frémissant d'une furieuse colère ; et assemblant avec
lui tous les compagnons de son insolente entreprise, il conspira avec eux de
soulever contre Dieu toutes les créatures. Mais non content de les soulever, il
conçut dès lors l'insolent dessein de soumettre tout le monde à sa tyrannie ; et
voyant que Dieu par sa providence avait rangé toutes les créatures sous
l'obéissance de l'homme, il l'attaque au milieu de ce jardin de délices où il
vivait si heureusement dans son innocence ; il tâche de lui inspirer ce même
orgueil dont il était possédé , et à notre malheur, chrétiens, il réussit comme
vous le savez. Ainsi, selon la maxime de l'Evangile, «l'homme étant dompté par
le diable, il devint incontinent son esclave : » A quo enim quis superatus
est, hujus et servus est (4). Et le monarque du monde étant surmonté par ce
superbe vainqueur, tout le monde passa sous ses lois. Enflé de ce bon succès et
n'oubliant pas son premier dessein de s'égaler à la nature divine, il se déclare
ouvertement le rival de Dieu ; et tâchant de se revêtir de la majesté divine,
comme il n'est pas en son pouvoir de faire de nouvelles créatures pour les
opposer à son Maître, que fait-il ? « Du moins il adultère tous les
1 Job., XLI, 25. — 2 Isa.,
XIV, 13, 14. — 3 Jacob., IV, 6. — II Petr., II, 19.
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ouvrages de Dieu, dit le grave Tertullien (1) ; il apprend
aux hommes à en corrompre l'usage ; et les astres et les éléments, et les
plantes et les animaux, il tourne tout en idolâtrie; » il abolit la connaissance
de Dieu, et par toute l'étendue de la terre il se fait adorer en sa place,
suivant ce que dit le prophète : « Les dieux des nations, ce sont les démons
(2). » C'est pourquoi le Fils de Dieu l'appelle « le prince du monde (3), » et
l'Apôtre « le gouverneur des ténèbres (4) ; » et ailleurs avec plus d'énergie, «
le dieu de ce siècle, » deus hujus sœculi (5).
J'apprends aussi de Tertullien
que non-seulement les démons se faisaient présenter devant leurs idoles des vœux
et des sacrifices, le propre tribut de Dieu, mais qu'ils les faisaient parer des
robes et des ornements dont se revêtaient les magistrats, et faisaient porter
devant eux les faisceaux et les bâtons d'ordonnance et les autres marques
d'autorité publique, parce qu'en effet, dit ce grand personnage, « les démons
sont les magistrats du siècle : » Dœmones sunt magistratus sœculi (6). Et
à quelle insolence, mes frères, ne s'est pas porté ce rival de Dieu? Il a
toujours affecté de faire ce que Dieu faisait, non pas pour se rapprocher en
quelque sorte de la sainteté, c'est sa capitale ennemie, mais comme un sujet
rebelle qui par mépris ou par insolence affecte la même pompe que son souverain
: Ut Dei domini placita cum contumeliâ affectans (7). Dieu a ses vierges
qui lui sont consacrées, et le diable n'a-t-il pas eu ses vestales? N'a-t-il pas
eu ses autels et ses temples, ses mystères et ses sacrifices, et les ministres
de ses impures cérémonies qu'il a rendues autant qu'il a pu semblables à celles
de Dieu; pour quelle raison, fidèles? Parce qu'il est jaloux de Dieu et veut
paraître en tout son égal. Dieu dans la nouvelle alliance régénère ses enfants
par l'eau du baptême, et le diable faisait semblant de vouloir expier leurs
crimes par diverses aspersions; il promettait aux siens une régénération, comme
le rapporte Tertullien (8), et il se voit encore quelques monuments publics où
ce terme est employé dans ses profanes mystères. L'Esprit de Dieu au
commencement
1 De Idololat., n. 4; De Spect., n. 2. — 2
Psal. XCV, 5. — 3 Joan., XIV, 30. — 4 Ephes.,
VI, 12.— 5 II Cor., IV, 4.— 6 De Idololat., n. 18.—7 Tertull., Ad Uxor.,
n. 8, p. 186. — 8 Lib. De Bapt., n. 5.
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était porté sur les eaux; et « le diable, dit Tertullien,
se plaît à se reposer dans les eaux : » Immundi spiritus aquis incubant
(1) ; dans les fontaines cachées, et dans les lacs, et dans les ruisseaux
souterrains. Et l'Eglise de l'antiquité étant imbue de cette créance, nous a
laissé cette forme que nous observons encore aujourd'hui, d'exorciser les eaux
baptismales. Dieu par son immensité remplit le ciel et la terre ; « le diable
par ses anges impurs occupe autant qu'il peut toutes les créatures (2). » Et de
là vient cette coutume des premiers chrétiens, de les purger et de les
sanctifier par le signe de la croix comme par une espèce de saint exorcisme.
Ce lui est à la vérité un sujet
d'une douleur enragée, de ce qu'il voit que toutes ses entreprises sont vaines,
et que bien loin de pouvoir parvenir à égaler la nature divine, comme il l'avait
témérairement projeté, il faut qu'il ploie malgré qu'il en ait sous la main
toute-puissante de Dieu ; mais il ne désiste pas pour cela de sa fureur
obstinée. Au contraire considérant que la majesté de Dieu est inaccessible à sa
colère, il décharge sur nous, qui en sommes les images vivantes, toute
l'impétuosité de sa rage, comme on voit un ennemi impuissant, qui ne pouvant
atteindre celui qu'il poursuit, repaît en quelque façon son esprit d'une vaine
imagination de vengeance en déchirant sa peinture. Ainsi en est-il de Satan. Il
remue le ciel et la terre pour susciter des ennemis à Dieu parmi les hommes qui
sont ses enfants; il tâche de les engager tous dans son audacieuse et téméraire
rébellion (a), pour les faire compagnons et de ses erreurs et de ses
tourments. Il croit par là se venger de Dieu. Comme il n'ignore pas qu'il n'y a
point pour lui de ressource (6), il n'est plus capable que de cette maligne joie
qui revient à un méchant d'avoir des complices, et à un esprit mal fait de voir
des malheureux et des affligés. Furieux et désespéré, il ne songe plus qu'à tout
perdre après s'être perdu lui-même, et envelopper tout le monde avec lui dans
une commune ruine.
Et ne croyez pas, chrétiens,
qu'il nous donne jamais aucun
1 Tertull., De Bapt., n. 5. — 2 Tertull., De
Spect., n. 8.
(a) Var.: Dans sa malheureuse rébellion.— (b)
Qu'il ne peut y avoir pour lui...
13
relâche. Tous les esprits angéliques, comme remarque
très-bien le grand saint Thomas, sont très-arrêtés dans leur entreprise. Car au
lieu que les objets ne se présentent à nous qu'à demi, si bien que par de
secondes réflexions nous avons de nouvelles vues qui nous font changer
très-souvent tout l'ordre de nos desseins, les anges au contraire, dit saint
Thomas (1), embrassent tout leur objet du premier regard, avec toutes ses
circonstances; et partant leur résolution est fixe et déterminée, mais
particulièrement celle de Satan est puissamment appliquée à notre ruine. Son
esprit entreprenant et audacieux, fortifié par tant de succès et envenimé par
une haine mortelle et invétérée, l'incite jour et nuit contre nous. C'est
pourquoi les Ecritures nous le dépeignent comme un ennemi toujours vigilant, qui
rôde sans cesse aux environs pour tâcher de nous dévorer (2). Lorsque par la
grâce de Dieu nous l'avons chassé de nos âmes, c'est alors qu'il s'anime le
plus. En voulez-vous une preuve évidente de la bouche même de Notre-Seigneur? «
L'esprit immonde sortant de l'homme va chercher du repos, dit le Fils de Dieu
dans son Evangile (3), et n'en trouve pas. » C'est que l'esprit humain est la
seule retraite où il semble se rafraîchir, parce que du moins il y contente sa
haine. Voyez les fols amoureux du siècle : comme ils sont patients et
persévérants dans leurs convoitises brutales! Or ce vieux adultère, dit saint
Augustin (4), n'a point d'autres délices que de corrompre les âmes pudiques;
ainsi ne vous étonnez pas si ses poursuites sont opiniâtres (a). Ayant
bien eu l'insolence de traiter d'égal avec Dieu, il croit qu'il ne lui sera pas
difficile d'abattre une créature impuissante. Et si renversé comme il est par le
bras de Dieu dans les gouffres éternels, remarquez ce raisonnement, chrétiens,
il ne cesse néanmoins par une vaine opiniâtreté de traverser autant qu'il peut
les desseins de sa providence; s'il se roidit avec tant de fermeté contre Dieu,
bien qu'il sache que tous ses efforts seront inutiles, que n'entreprendra-t-il
pas contre nous dont il a si souvent expérimenté la faiblesse? Ainsi je vous
avertis, mes chers frères, de vous défier
1 I part., Quœst. LVIII, art.
3. — 2 I Petr., V, 8. — 3 Luc, XI, 24. — 4 Psal.
XXXIX, n. 1.
(a) Var. : Et c'est pour cette raison que ses
poursuites sont opiniâtres.
14
toujours de cet ennemi. Quand même vous le surmontez, vous
ne domptez pas son audace, mais vous enflammez son indignation : Tunc
plurimùm accenditur, cùm extinguitur, dit Tertullien (1) : « Quand on
l'éteint, c'est alors qu'il s'allume. » Il veut dire que ce superbe, cet
audacieux ne croira jamais que vous soyez capables de lui résister; et plus vous
ferez d'efforts, plus il dressera contre vous ses diverses et furieuses
machines.
Vous vous imaginez peut-être,
fidèles, que s'il est si audacieux, il vous attaquera par la force ouverte. Ah !
qu'il n'en est pas de la sorte! Il est vrai, c'est l'ordinaire des orgueilleux
d'exercer ouvertement leurs inimitiés ; mais l'inimitié de Satan n'est pas d'une
nature vulgaire, elle est mêlée d'une noire envie qui le ronge éternellement. Il
ne peut souffrir que nous vivions dans l'espérance de la félicité qu'il a
perdue, que Dieu par sa grâce nous égale aux anges, que son Fils se soit revêtu
d'une chair humaine pour nous faire des hommes divins. Il enrage quand il
considère que les serviteurs de Jésus, hommes misérables et pécheurs, assis dans
des trônes augustes, le jugeront à la fin des siècles avec les anges ses
sectateurs. Cette envie le brûle plus que ses flammes. C'est, mes frères, ce qui
lui fait embrasser les fraudes et les tromperies, parce que l'envie, comme vous
savez, est une passion froide et obscure, qui ne parvient à ses fins que par de
secrètes menées. Et c'est par là que Satan est infiniment redoutable; ses
finesses sont plus à craindre que ses violences. De même qu'une vapeur
pestilente se coule au milieu des airs, et imperceptible à nos sens insinue (a)
son venin dans nos cœurs; ainsi cet esprit malin par une subtile et insensible
contagion corrompt la pureté de nos âmes. Nous ne nous apercevons pas qu'il
agisse en nous, parce qu'il suit le courant de nos inclinations. Il nous pousse
et il nous précipite du côté qu'il nous voit pencher : il ne cesse d'enflammer
nos premiers désirs, jusqu'à tant que par ses suggestions il les fasse croître
en passions violentes. Si nous avons commencé à aimer, de fols il nous rend
furieux ; si l'avarice nous inquiète, il nous représente un avenir toujours
incertain, il étonne notre âme
1 Lib. De Pœnit., n. 7.
(a) Var. : Inspire.
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timide par des objets de famine et de guerre. Sa malice est
spirituelle et ingénieuse ; il trompe les plus déliés. Sa haine désespérée et sa
longue expérience le rendent de plus en plus inventif; il se change en toutes
sortes de formes; et cet esprit si beau, orné de tant de connaissances si
ravissantes, parmi tant de merveilleuses conceptions, n'estime et ne chérit que
celles qui lui servent à renverser l'homme : Operatio eorum est hominis
eversio (1).
Voulez-vous, pour une plus ample
confirmation, que je vous fasse voir en raccourci dans notre évangile tout ce
que je viens de vous dire ? Il transporte le Fils de Dieu sur le pinacle du
temple, il lui représente en un seul instant tous les royaumes du monde. Qui
n'admirerait sa puissance? et le Fils de Dieu le permet de la sorte, afin que
nous comprenions ce qu'il pourrait faire sur nous, si Dieu nous abandonnait à sa
violence. Jugez, s'il vous plaît, de sa haine et de son orgueil tout ensemble
par le conseil qu'il donne à notre Sauveur, de se prosterner à ses pieds et de
l'adorer ; conseil pernicieux et insolence inouïe. D'ailleurs pou voit-il
prendre un dessein plus plausible à l'égard de Notre-Seigneur, que de le tenter
de gourmandise après un jeune de quarante jours, et de vaine gloire après une
action d'une patience héroïque? Ce sont ses finesses et ses artifices. Mais ce
qui nous paraît plus évidemment est son opiniâtreté. Surmonté par trois fois, il
ne peut encore perdre courage : Recessit ab illo usque ad tempus (1),
remarque le texte sacré : « Il le laisse, dit-il, pour un temps, » non point
fatigué ni désespérant de le vaincre, mais attendant une heure plus propre et
une occasion plus pressante, usque ad tempus. O Dieu! que dirons-nous
ici, chrétiens? Si une résistance si vigoureuse ne ralentit pas sa fureur, quand
pourrons-nous espérer de trêve avec lui? Et si la guerre est continuelle, si cet
ennemi irréconciliable veille sans cesse à notre ruine, comment pourrons-nous
résister, faibles et impuissants que nous sommes? Toutefois, fidèles, ne le
craignez pas. Cet ennemi redoutable, il redoute lui-même les chrétiens. Il
tremble au seul nom de Jésus; et malgré son orgueil et son arrogance, il est
forcé par une secrète vertu de respecter ceux qui portent sa marque : c'est ce
que vous allez voir par un beau
1 Tertull., Apolog., n. 22. — 2 Luc, IV, 13.
16
passage du grand Tertullien, d'où je tirerai une
instruction importante, qui sera le fruit de tout ce discours.
Le grave Tertullien, dans ce
merveilleux Apologétique qu'il a fait pour la religion chrétienne, avance
une proposition bien hardie aux juges de l'empire romain, qui procédaient contre
les chrétiens avec une telle inhumanité (1). Après leur avoir reproché que tous
leurs dieux c'étaient des démons, il leur donne le moyen de s'en éclaircir par
une expérience bien convaincante. Que l'on produise, dit-il, devant vos
tribunaux, je ne veux pas que ce soit une chose cachée, devant vos tribunaux et
à la face de tout le monde, que l'on produise un homme notoirement possédé du
diable; il dit notoirement possédé, et que ce soit une chose constante; après,
que l'on fasse venir quelque fidèle, qu'il commande à cet esprit de parler; s'il
ne vous dit tout ouvertement ce qu'il est, s'il n'avoue publiquement que lui et
ses compagnons sont les dieux que vous adorez ; si, dis-je, il n'avoue ces
choses n'osant mentir à un chrétien, là même sans différer, sans aucune nouvelle
procédure, faites mourir ce chrétien impudent, qui n'aura pu soutenir par
l'effet une promesse si extraordinaire. Ah! mes frères, quelle joie à des
chrétiens d'entendre une telle proposition faite si hautement et avec une telle
énergie par un homme si posé et si sérieux, et vraisemblablement de l'avis de
toute l'Eglise dont il soutenait l'innocence! Quoi donc! cet esprit trompeur et
ce père de mensonge n'ose mentir à un chrétien ! devant un chrétien ce front de
fer s'amollit, et forcé par la parole d'un fidèle, il dépose son impudence ; et
les chrétiens sont si assurés de le faire obéir, qu'ils s'y engagent au péril de
leur vie, en présence de leurs propres juges! Eh! pourquoi craindrions-nous un
ennemi si faible et si impuissant? C'est la même foi que nous professons, c'est
le même Jésus que nous adorons, c'est la même parole de Dieu que nous avons
toujours à la bouche; et si le diable est puissant contre nous, il ne le faut
attribuer qu'au dérèglement de nos mœurs, qu'à notre vie toute séculière et
toute païenne, qu'à la dureté de nos cœurs pour les saintes vérités du
christianisme. C'est pourquoi je ne m'étonne pas si le diable nous est dépeint
dans les
1 Apolog., n. 23.
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Ecritures tantôt fort et tantôt faible. « C'est un lion
rugissant. » dit saint Pierre (1) : y a-t-il rien de plus terrible? « Mais, dit
saint Jacques (2), résistez-lui, et il s'enfuira. » Se peut-il une plus grande
faiblesse? En effet il n'est fort, chrétiens, que par notre lâche
condescendance; et si, au lieu de lui tendre les mains volontairement, nous
avions soin de les fortifier par les armes que Jésus notre maître nous a
données, ce loup affamé avec sa rage et ses artifices n'aurait qu'une fureur
inutile. Et pour vous dire des choses convenables au temps où nous sommes, le
jeune, mes frères, le jeune célébré selon l'intention de l'Eglise, c'est un
rempart invincible contre ses attaques.
Vous me direz peut-être que
c'est dans le jeune qu'il présente le combat au Sauveur avec une plus grande
furie. Mais prenez garde, mes frères, que si c'est dans le jeune que cet ennemi
fait ses efforts les plus redoutables, c'est aussi dans le jeune que Jésus notre
capitaine a daigné nous faire paraître sa victoire la plus glorieuse, pour nous
apprendre par son exemple que ce sera toujours en vain que le diable
entreprendra contre nous, quand nous serons armés par le jeûne et par
l'abstinence.
Et pour vous en
convaincre davantage, remettez, s'il vous plaît, en votre mémoire ce que je vous
disais tout à l'heure, que c'est une envie furieuse qui enflamme les démons
contre nous. Ils voient qu'étant leurs inférieurs par nature, nous les passons
de beaucoup par la grâce ; ils ne sauraient considérer sans un déplaisir extrême
que, dans des membres mortels, nous puissions par la miséricorde divine
approcher de la pureté des substances incorporelles. Et comme ce qui élève les
bons chrétiens presque à l'égalité des saints anges, c'est que, dédaignant le
commerce du corps, ils conversent en esprit dans le ciel, ces malins et ces
envieux ne tâchent qu'à les abîmer dans la chair, afin d'en faire des bêtes
brutes, au lieu qu'en s'élevant au-dessus de cette masse du corps, ils entrent
en société avec les intelligences célestes. C'est pourquoi la sainte Eglise de
Dieu voulant purifier nos âmes de l'attachement excessif qu'elles ont au corps,
nous ordonne une salutaire abstinence. Ce que nous perdons pour la chair, nous
le
1 Petr., V, 8. — 2 Jacob., IV, 7.
18
gagnons pour l'esprit; le jeune fortifie et engraisse
l’âme; et autant que nous assujettissons nos corps par la mortification et la
pénitence, autant diminuons-nous les forces de notre irréconciliable ennemi.
Par conséquent, mes frères, embrassons avec grand courage
cette pénitence de quarante jours pour les péchés de toute l'année. Certes
puisque nous offensons tous les jours, aucun moment de notre vie ne devrait être
exempt de l'exercice de la pénitence. Mais puisque la sainte Eglise a choisi
particulièrement ce temps pour nous recueillir en nous-mêmes, faisons pénitence
sans murmurer. Ne nous plaignons pas des incommodités du Carême. C'est par la
mortification et la patience, et non pas par les voluptés et par les délices que
nous désarmerons et le diable et ses satellites. Et que ne dirai-je donc point
de ces délicats à qui la moindre peine fait tomber incontinent le courage, qui
par des excuses frivoles méprisent l'observation d'un jeune si universel, ou
bien qui vivent de sorte que s'ils jeûnent de corps, ils abhorrent le jeune en
esprit?
O ignorance! ô brutalité! Dieu par sa
miséricorde, mes frères, nous donne de meilleurs sentiments. Jeûnons et d'esprit
et de corps. Comme nous ôtons pour un temps à notre corps sa nourriture
ordinaire, ôtons aussi à notre aine les vanités dont nous la repaissons tous les
jours. Retirons-nous un peu des conversations et des divertissements mondains.
Modérons et nos ris et nos jeux. C'est là le vrai jeûne de l’âme, qui lui fait
trouver une nourriture solide dans la méditation des choses célestes.
Sanctifions le jeûne par l'oraison, purifions l'oraison par le jeûne. L'oraison
est plus pure qui vient d'un corps exténué et d'une âme dégoûtée des plaisirs
sensibles. Ainsi nous serons terribles aux diables. Voyez les petits enfants :
quand il leur paraît quelque chose qui leur semble hideux et terrible, aussitôt
ils se cachent au sein de leur mère. Ainsi considérons, chrétiens, cette bête
farouche qui nous menace, jetons-nous par l'oraison entre les bras de notre bon
Père ; nous serons à couvert et en assurance, nous verrons notre ancien ennemi
consumer sa rage par de vains efforts; et soulevés sur ces deux ailes du jeûne
et de l'oraison que nous soutiendrons par l'aumône, au lieu de succomber aux
attaques des esprits
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rebelles et dévoyés; nous irons remplir les places qu'ils
ont laissées vacantes au ciel par leur infâme désertion. Dieu nous en fasse la
grâce. Amen.
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