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TROISIÈME SERMON
LE PREMIER DIMANCHE DE CARÊME (a).

 

Non in solo pane vivit homo, sed in omni verbo quod procedit de ore Dei.

 

L'homme ne vit pas seulement de pain, mais il vit de toute parole qui sort de la bouche de Dieu, Matth., IV, 4.

 

C'est une chose surprenante que ce grand silence de Dieu parmi les désordres du genre humain : tous les jours ses commandements sont méprisés, ses vérités blasphémées, les droits de son empire violés ; et cependant son soleil ne s'éclipse pas sur les impies; la pluie arrose leurs champs; la terre ne s'ouvre pas sous leurs pieds ; il voit tout et il dissimule, il considère tout et il se tait. Je me trompe, chrétiens, il ne se tait pas ; et sa bonté, ses bienfaits, son silence même est une voix publique qui invite tous les pécheurs à se convertir (b) : mais comme nos cœurs endurcis sont sourds à de tels propos, il fait résonner une voix plus claire , une voix nette et intelligible, qui nous appelle à la pénitence. Il ne parle pas pour nous juger ; mais il parle pour nous avertir, et

 

(a) Prêché dans le premier Carême du Louvre, le 26 février 1662, devant Louis XIV, les deux reines, Monsieur frère du roi, Mademoiselle d'Orléans, etc.

L'auteur a écrit lui-même au commencement du manuscrit: « Prêché devant le roi; » et il lui adresse la parole dans la péroraison. On voit aussi dans le même endroit qu'il annonce pour la première fois la parole divine à la Cour : « O Dieu, donnez efficace à votre parole. O Dieu, vous voyez en quel lien je prêche; et vous savez, ô Dieu, ce qu'il y faut dire   Donnez-moi des paroles sages, donnez-moi des paroles efficaces.....» Il dit aussi à la fin de l'exorde : «Comme ces trois grands effets comprennent tout le fruit des discours sacrés, j'en ferai aussi le sujet et le partage de celui-ci, qui sera, comme vous voyez, le préparatif nécessaire et le fondement de tous les autres. » Or Bossuet a prêché pour la première fois devant le roi dans le Carême de 1662.

 

(b) Var. : A se reconnaître.

 

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cette parole d'avertissement qui retentit en ces temps dans toutes les chaires (a), doit servir de préparatif à son jugement redoutable. C'est, Messieurs, cette parole de vérité que les prédicateurs de l’Evangile sont chargés de vous annoncer durant cette sainte quarantaine; c'est elle qui nous est présentée (b) dans notre évangile pour nous servir de nourriture dans notre jeûne, de délices dans notre abstinence et de soutien dans notre faiblesse : Non in solo pane vivit homo, sed in omni verbo quod procedit de ore Dei. J'ai dessein aujourd'hui de vous préparer (c) à recevoir saintement cette nourriture immortelle. Mais, ô Dieu, que serviront, mes paroles, si vous-même n'ouvrez les cœurs et si vous ne disposez les esprits des hommes à donner l'entrée à votre Esprit-Saint? Descendez donc, ô divin Esprit, et venez vous-même préparer vos voies. Et vous, ô divine Vierge , donnez-nous votre secours charitable, pour accomplir dans les cœurs l'ouvrage de votre Fils bien-aimé. Nous vous en prions humblement par les paroles de l'ange. Ave.

 

Jésus-Christ, Seigneur des seigneurs et Prince des rois de la terre, quoique élevé dans un trône souverainement indépendant, néanmoins pour donner à tous les monarques qui relèvent de sa puissance l'exemple de modération et de justice, il a voulu lui-même s'assujettir aux règlements qu'il a faits et aux lois qu'il a établies. Il a ordonné dans son Evangile que les voies douces et amiables précédassent toujours les voies de rigueur, et que les pécheurs fussent avertis avant que d'être jugés. Ce qu'il a prescrit, il l'a pratiqué; car « ayant, comme dit l'Apôtre, établi un jour dans lequel il doit juger le monde en équité, il dénonce auparavant à tous les pécheurs qu'ils fassent une sérieuse pénitence ; (d) c'est-à-dire qu'avant que de monter sur son tribunal pour condamner les coupables par une sentence rigoureuse il parle premièrement dans les chaires pour les ramener à la droite voie par des avertissements charitables.

 

(a) Var. : Qu'il fait retentir dans toutes les chaires. — (b) Montrée. — (c) Je me propose aujourd'hui de préparer vos esprits. — (d) Note marg. : Nunc annuntiat omnibus hominibus, ut omnes ubique pœnitentiam agant, eò quòd statuit diem in quo judicaturus est orbem in œquitate (Act. XVII, 30, 31).

 

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C'est en ce saint temps de pénitence que nous devons une attention extraordinaire à cette voix paternelle qui nous avertit. Car encore qu'elle mérite en tout temps (a) un profond respect et que ce soit toujours un des devoirs des plus importais de la piété chrétienne que de donner audience aux discours sacrés, c'a été toutefois un sage conseil de leur consacrer un temps arrêté par une destination particulière, afin que si tel est notre aveuglement, que nous abandonnions presque toute notre vie aux pensées de vanité qui nous emportent, il y ait du moins quelques jours dans lesquels nous écoutions la vérité qui nous conseille charitablement avant que de prononcer notre sentence, et qui s'avance à nous pour nous éclairer avant que de s'élever contre nous pour nous confondre (b).

Paraissez donc, ô vérité sainte, faites la censure publique des mauvaises mœurs; illuminez par votre présence ce siècle obscur et ténébreux ; brillez aux yeux des fidèles, afin que ceux qui ne vous connaissent pas vous entendent, que ceux qui ne pensent pas à vous vous regardent, que ceux qui ne vous aiment pas vous embrassent.

Voilà, chrétiens, en peu de paroles trois utilités principales de la prédication évangélique. Car ou les hommes ne connaissent pas la vérité, ou les hommes ne pensent pas à la vérité, ou les hommes ne sont pas touchés de la vérité. Quand ils ne connaissent pas la vérité, parce qu'elle ne veut pas les tromper, elle leur parle pour éclairer leur intelligence; quand ils ne pensent pas à la vérité, parce qu'elle ne veut pas les surprendre, elle leur parle pour attirer leur attention ; quand ils ne sont pas touchés de la vérité, parce qu'elle ne veut pas les condamner, elle leur parle pour échauffer leurs désirs et exciter après elle leur affection languissante.

Que si je puis aujourd'hui mettre dans leur jour ces trois importantes raisons, les fidèles verront clairement combien ils doivent se rendre attentifs à la prédication de l'Evangile, parce que s'ils ne sont pas bien instruits, elle leur découvrira ce qu'ils ignorent ; et s'ils sont assez éclairés, elle les fera penser à ce qu’ils savent; et s'ils y pensent sans être émus, le Saint-Esprit agissant

 

(a) Var. : Toujours. — (b) Convaincre.

 

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par l'organe de ses ministres, elle fera entrer dans le fond du cœur ce qui ne fait qu'effleurer la surface de leur esprit. Et comme ces trois grands effets comprennent tout le fruit des discours sacrés, j'en ferai aussi le sujet et le partage de celui-ci, qui sera, comme vous voyez, le préparatif nécessaire et le fondement de tous les autres.

 

PREMIER POINT.

 

Comme la vérité de Dieu, qui est notre loi immuable, a deux états différents, l'un qui touche le siècle présent et l'autre qui regarde le siècle à venir; l'un où elle règle la vie humaine et l'autre où elle la juge, aussi le Saint-Esprit nous la fait paraître dans son Ecriture sous deux visages divers et lui donne des qualités convenables à l'un et à l'autre. Dans le psaume CXVIII, où David parle si bien de la loi de Dieu, on a remarqué, chrétiens, qu'il l'appelle tantôt du nom de commandement, tantôt de celui de conseil ; quelquefois il la nomme un jugement, et quelquefois un témoignage. Mais encore que ces quatre titres ne signifient autre chose que la loi de Dieu, toutefois il faut observer que les deux premiers lui sont propres au siècle où nous sommes, et que les deux autres lui conviennent mieux dans celui que nous attendons. Dans le cours du siècle présent cette même vérité de Dieu, qui nous paraît dans sa loi, est tout ensemble un commandement absolu et un conseil charitable. Elle est un commandement qui enferme la volonté d'un souverain, elle est aussi un conseil qui propose l'avis d'un ami. Elle est un commandement, parce que ce souverain y prescrit ce qu'il exige de nous pour les intérêts de son service (a) ; et elle mérite le nom de conseil, parce que cet ami y expose en ami sincère ce que demande le soin de notre salut. Les prédicateurs de l'Evangile font paraître la loi de Dieu dans les chaires en ces deux augustes qualités : en qualité de commandement, en tant qu'elle est nécessaire et indispensable (b) ; et en qualité de conseil, en tant qu'elle est utile et avantageuse. Que si manquant par un même crime à ce que nous devons à Dieu et à ce que nous nous

 

(a) Var. : Parce que Dieu y prescrit ce qu'il exige de nous pour les intérêts de su gloire. — (b) De commandement mû dit ce qui est nécessaire.

 

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devons à nous-mêmes, nous méprisons tout ensemble et les ordres de ce souverain et les conseils de cet ami, alors cette même vérité prenant en son temps une autre forme, elle sera un témoignage pour nous convaincre et une sentence dernière pour nous condamner. « La parole que j'ai prêchée, dit le Fils de Dieu, jugera le pécheur au dernier jour : » Sermo quem locutus sum, ille judicabit eum in novissimo die (1). C'est-à-dire que ni on ne recevra d'excuse, ni on ne cherchera de tempérament. La parole, dit-il, vous jugera; la loi elle-même fera la sentence selon sa propre teneur, dans l'extrême rigueur du droit, et de là vous devez entendre que ce sera un jugement sans miséricorde.

C'est donc la crainte de ce jugement qui fait monter les prédicateurs dans les chaires évangéliques. « Nous savons, dit le saint Apôtre, que nous devons tous comparaître un jour devant le tribunal de Jésus-Christ : » Omnes nos manifestari oportet ante tribunal Christi (2). « Mais sachant cela, poursuit-il, nous venons persuader aux hommes la crainte de Dieu : » Scientes ergo, timorem Domini hominibus suademus (3). Sachant combien ce jugement est certain, combien il est rigoureux, combien il est inévitable, nous venons de bonne heure vous y préparer; nous venons vous proposer les lois immuables sur lesquelles votre vie sera jugée (a), par lesquelles votre cause sera décidée, et vous mettre en main les articles sur lesquels vous serez interrogés, afin que vous commenciez pendant qu'il est temps à méditer vos réponses. Que si vous pensez peut-être que l'on sait assez ces vérités saintes et que les fidèles n'ont pas besoin qu'on les en instruise, c'est donc en vain, chrétiens, que Dieu se plaint hautement par la bouche de son prophète Isaïe, que non-seulement les infidèles et les étrangers, mais « son peuple, oui son peuple même est mené captif, pour n'avoir pas la science : » Captivus ductus est populus meus, eu quòd non habeat scientiam (4). Mais parce qu'on pourrait se persuader que la troupe n'est pas fort grande parmi les fidèles, de ceux qui périssent faute de connaître, il assure au contraire qu'elle est si nombreuse que « l'enfer est obligé de se dilater et

 

1 Joan., XII, 48. — 2 II Cor., V, 10. — 3 Ibid., II. — 4 Isa., V, 13.

 

(a) Var. : Confrontée.

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d'ouvrir sa bouche démesurément pour l'engloutir, la recevoir : » Propterea dilatavit infernus animam tuam, et aperuit os suum absque ullo termino (1). Et de peur qu'on ne s'imagine que ceux qui périssent ainsi faute de- science, ce sont les pauvres et les simples qui n'ont pas les moyens d'apprendre (a), il déclare en termes formels, et je puis bien le dire après cet oracle, que ce sont les puissants, les riches, les grands et les princes mêmes, qui négligent presque toujours de se faire instruire et de leurs obligations particulières, et même des devoirs communs de la piété, et qui tombent par le défaut de cette science pêle-mêle avec la foule dans les abîmes éternels (b) : Et descendent fortes ejus et populus ejus, et sublimes gloriosique ejus ad eum (2).

Non-seulement, chrétiens, souvent nous ignorons les vérités saintes, mais même nous les combattons par des sentiments tout contraires. Vous êtes surpris de cette parole ; et peut-être me répondez-vous dans votre cœur que vous n'avez point d'erreur contre la foi, que vous n'écoutez pas ces docteurs de cour qui font des leçons publiques de libertinage et établissent de propos délibéré des opinions dangereuses. Je loue votre piété dans une précaution si nécessaire; mais ne vous persuadez pas que vous soyez pour cela exempts de l'erreur. Car il faut entendre, Messieurs, qu'elle nous gagne en deux sortes : quelquefois elle se déborde à grands flots comme un torrent et nous emporte tout à coup, quelquefois elle tombe peu à peu et nous corrompt goutte à goutte (c). Je veux dire que quelquefois un libertinage déclaré renverse d'un grand effort les principes de la religion; quelquefois une force plus cachée, comme celle des mauvais exemples et des pratiques du grand  monde, en sape les fondements par plusieurs coups

 

1 Isa., V, 14.— 2 Ibid.

 

(a) Var. : Que ceux qui composent cette multitude, ce sont les pauvres et les ignorants qui n'ont pas le  moyen   de  se   faire  instruire. — (b) Qui souvent sont très-mal informés des devoirs communs de la piété, qui ne savent presque jamais fort exactement leurs obligations particulières  et qui tombent... — (c) ..... Exempts de l'erreur. Ce qui nous trompe, Messieurs, et ceci mérite que nous y pensions, c'est que les fidèles s'imaginent être sans erreur, quand ils ne s'opposent pas directement aux vérités chrétiennes, ou qu'ils ne donnent pas audience à ceux qui de propos délibéré établissent des opinions dangereuses. Mais il importe de tout le repos de nos consciences que nous apprenions aujourd'hui de saint Augustin que l'erreur nous gagne de deux sortes...

 

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redoublés et par un progrès insensible. Ainsi vous n'avancez rien de n'avaler pas tout à coup le poison du libertinage, si cependant vous le sucez peu à peu, si vous laissez insensiblement gagner jusqu'au cœur cette subtile contagion qu'on respire avec l'air du monde dans ses conversations et dans ses coutumes.

Qui pourrait ici raconter toutes les erreurs du monde? Ce maître subtil et dangereux tient école publique sans dogmatiser ; il a sa méthode particulière de ne prouver pas ses maximes, mais de les imprimer sans qu'on y pense. Autant d'hommes qui nous parlent, autant d'organes qui nous les inspirent. Nos ennemis par leurs menaces, et nos amis par leurs bons offices, concourent également à nous donner de fausses idées du bien et du mal. Tout ce qui se dit dans les compagnies (a), nous recommande ou l'ambition sans laquelle on n'est pas du monde, ou la fausse galanterie sans laquelle on n'a point d'esprit. Car c'est le plus grand malheur des choses humaines, que nul ne se contente d'être insensé seulement pour soi, mais veut faire passer sa folie aux autres : si bien que ce qui nous serait indifférent, souvent, tant nous sommes faibles, attire notre imprudente curiosité par le bruit qu'on en fait autour de nous. (b) Tantôt une raillerie fine et ingénieuse, tantôt une peinture agréable d'une mauvaise action impose doucement à notre esprit. Ainsi dans cet étrange empressement de nous entrecommuniquer nos folies, les âmes les plus innocentes prennent quelque teinture du vice et des maximes du siècle; et recueillant le mal deçà et delà dans le monde, comme à une table couverte de mauvaises viandes, elles y amassent aussi peu à peu (c), comme des humeurs peccantes, les erreurs qui offusquent notre intelligence. Telle est à peu près la séduction qui règne publiquement dans le monde; de sorte que si vous demandez à Tertullien ce qu'il craint pour nous dans cette école : « Tout, vous répondra ce grand homme, jusqu'à l'air qui est infecté par tant de mauvais discours, par tant de maximes antichrétiennes, corrompues : » Ipsumque aerem... scelestis vocibus constupratum (1).

 

1 Tertull., De Spect., n. 27.

 

(a) Var. : Dans le siècle. — (b) Note marg. : Que dirai-je maintenant de ceux qui vous engagent dans l'estime des biens périssables, par l'ostentation de leurs délices et par la vanité qu'ils en tirent?— (c) Var. : Insensiblement.

 

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Sauvez-nous, sauvez-nous, Seigneur, de la contagion de ce siècle: « Sauvez-nous, disait le prophète, parce qu'il n'y a plus de saint sur la terre et que les vérités ont été diminuées par la malice des enfants des hommes : » Salvum me fac, Domine, quoniam defecit sanctus, quoniam diminutœ sunt veritates à filiis hominum (1). Où il ne faut pas se persuader qu'il se plaigne des infidèles et des idolâtres; ceux-là ne diminuent pas seulement les vérités, mais ils les méconnaissent (a) : il se plaint des enfants de Dieu qui ne les pouvant tout à fait éteindre à cause de leur évidence, les retranchent et les diminuent au gré de leurs passions. Car le monde n'a-t-il pas entrepris de faire une distinction entre les vices? Il y en a que nous laissons volontiers dans l'exécration et dans la haine publique, comme l'avarice, la cruauté, la perfidie ; il y en a que nous tâchons de mettre en honneur, comme ces passions délicates qu'on appelle les vices des honnêtes gens. Malheureux, qu'entreprenez-vous? « Jésus-Christ est-il divisé: » Divisus est Christus (2)? Que vous a-t-il fait ce Jésus-Christ, que vous le déchirez hardiment et défigurez sa doctrine par celle distinction injurieuse? Le même Dieu, qui est le protecteur de la bonne foi, n'est-il pas aussi l'auteur de la tempérance? « Jésus-Christ est tout sagesse, dit Tertullien, tout lumière, tout vérité; pourquoi le partagez-vous par votre mensonge, » comme si son saint Evangile n'était qu'un assemblage monstrueux de vrai et de faux, ou comme si la justice même avait laissé quelque crime qui eût échappé à sa censure : Quid dimidias mendacio Christum? totus veritas fuit (3).

D'où vient un si grand désordre, si ce n'est que les vérités sont diminuées : diminuées dans leur pureté, parce qu'on les falsifie et on les mêle ; diminuées dans leur intégrité, parce qu'on les tronque et on les retranche; diminuées dans leur majesté, parce que faute de les pénétrer, on perd le respect qui leur est dû, on les ravilit, on leur ôle tellement leur juste grandeur qu'à peine les voyons-nous; (b) ces grands astres ne nous semblent qu'un petit point,

 

1 Psal. XI, 2.— 2 I Cor., I, 13. — 3 Tertull., De Carn. Christ., n. 5.

 

(a) Var. : Mais ils les méprisent et les méconnaissent. — (b) Note marg. : Mais quand même nous connaîtrons sans réserve toutes les vérités chrétiennes, n'est-il pas vrai toutefois qu'elles sont étrangement ravalées et diminuées dans nos esprits, puisqu'au lieu qu'elles devraient paraître à nos yeux si grandes, si augustes, si majestueuses, que rien ne puisse entrer en comparaison avec elles, à peine les voyons-nous? Ces grands astres ne nous semblent plus qu'un petit point, etc.

 

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tant nous les mettons loin de nous, ou tant notre vue est troublée (a) par les nuages épais de nos ignorances et de nos opinions anticipées : Diminutœ sunt veritates à filiis hominum.

Puisque les maximes de l'Evangile (b) sont si fort diminuées dans le siècle, puisque tout le monde conspire contre elles et qu'elles sont accablées par tant d'iniques préjugés, Dieu par sa justice suprême a dû pourvoir à la défense de ces illustres abandonnées et commettre des avocats pour plaider leur cause. C'est pour cela, chrétiens, que ces chaires sont élevées auprès des autels, afin que pendant que la vérité est si hardiment déchirée dans les compagnies des mondains, il y ait du moins quelque lieu où l'on parle hautement en sa faveur et que la cause la plus juste ne soit pas la plus délaissée. Venez donc écouter attentivement la défense de la vérité dans la bouche des prédicateurs ; venez recevoir par leur ministère la parole de Jésus-Christ condamnant le monde et ses vices, et ses coutumes et ses maximes antichrétiennes (c). Car, comme dit saint Jean Chrysostome (1), Dieu nous ayant ordonné deux choses, d'écouter et d'accomplir sa sainte parole, quand aura le courage de la pratiquer, celui qui n'a pas la patience de l'entendre? quand lui ouvrira-t-il son cœur, s'il lui ferme jusqu'à ses oreilles? quand lui donnera-t-il sa volonté, s'il lui refuse même son attention? Mais, Messieurs, cette attention, c'est ce que nous avons à considérer dans la seconde partie.

 

SECOND  POINT.

 

Lorsque la vérité jugera les hommes, il ne faut pas croire, Messieurs, ni qu'elle paroisse au dehors ni qu'elle ait besoin pour se faire entendre de sons distincts et articulés ; elle est dans les consciences, je dis même dans les consciences des plus grands pécheurs ; mais elle y est souvent oubliée durant cette vie. Qu'ar-rivera-t-il après la mort ? La vérité se fera sentir, et l'arrêt en même temps sera prononcé. Quelle sera cette surprise, combien étrange , combien terrible, lorsque ces saintes vérités auxquelles

 

1 De Mutat. nomin., tom. III, p. 107, 108, 109.

 

(a) Var. : obscurcie. — (b) Les vérités du christianisme — (c) Trompeuses.

 

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les pécheurs ne pensaient jamais et qu'ils laissaient inutiles et négligées dans un coin de leur mémoire, enverront tout d'un coup à leurs yeux un trait de flamme si vif, qu'ils découvriront d'une même vue la loi et le péché confrontés ensemble ; et que voyant dans cette lumière l'énormité de l'un par sa répugnance (a) avec l'autre, ils reconnaîtront en tremblant la honte de leurs actions et l'équité de leur supplice !

        Sachant cela, chrétiens, je reviens encore à l'Apôtre : « Etant persuadés de ces choses, nous venons enseigner aux hommes la crainte de Dieu : » Scientes ergo, timorem Domini hominibus suademus. Nous venons les exhorter de sa part qu'ils souffrent qu'on les entretienne des vérités de l'Evangile, et qu'ils préviennent le trouble de cette attention forcée par une application volontaire.

Vous qui dites que vous savez tout et que vous n'avez pas besoin qu'on vous avertisse, vous montrez bien par un tel discours que même vous ne savez pas quelle est la nature de votre esprit. Esprit humain, abîme infini, trop petit pour toi-même et trop étroit pour te comprendre tout entier, tu as des conduites si enveloppées, des retraites si profondes et si tortueuses dans lesquelles tes connaissances se recèlent, que souvent tes propres lumières ne te sont pas plus présentes (b) que celles des autres : souvent ce que tu sais, tu ne le sais pas ; ce qui est en toi, est loin de toi ; tu n'as pas ce que tu possèdes : « Donc, dit excellemment saint Augustin, notre esprit est trop étroit pour se posséder lui-même tout entier : » Ergo animus ad habendum seipsum angustus est (1). Prouvons ceci par quelque exemple.

En quels antres profonds s'étaient retirées les lois de l'humanité et de la justice, que David savait si parfaitement, lorsqu'il fallut lui envoyer Nathan le prophète pour les rappeler en sa mémoire ? Nathan lui parle, Nathan l'entretient ; et il entend si peu ce qu'il faut entendre, qu'on est enfin contraint de lui dire (c) :

 

1 Confess., lib. X, cap. XIII.

 

(a) Var. : Dissonance. — (b) Connues. — (c) Considérez, chrétiens, pendant que ce prophète lui parle, comme il passe d'un profond oubli ù des notions générales; et quoiqu'il commence à se réveiller, il entend si peu ce qu'il faut entendre, qu'on est enfin contraint de lui dire :...

 

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O prince ! c'est à vous qu'on parle (1), parce qu'enchanté par sa passion et détourné par les affaires , il laissait la vérité dans l'oubli. Alors savait-il ce qu'il savait? entendait-il ce qu'il entendait? Chrétiens, ne m'en croyez pas, mais croyez sa déposition et son témoignage. C'est lui-même qui s'étonne que ses propres lumières l'avaient quitté dans cet état malheureux : Lumen oculorum meorum, et ipsum non est mecum (2). Ce n'est pas une lumière étrangère, c'est la lumière de mes yeux, de mes propres yeux, c'est celle-là même que je n'avais plus. Ecoutez, homme savant, homme habile en tout, qui n'avez pas besoin qu'on vous avertisse; votre propre connaissance n'est pas avec vous, et vous n'avez pas de lumière. Peut-être que vous avez la lumière de la science ; mais vous n'avez pas la lumière de la réflexion, et sans la lumière de la réflexion, la science n'éclaire pas et ne chasse point les ténèbres (a). Ne me dites donc pas, chrétiens, que vous avez de la connaissance, que vous êtes fort bien instruits des vérités nécessaires. Je ne veux pas vous contredire dans cette pensée, (b) Eh bien, vous avez des yeux, mais ils sont fermés ; les vérités de Dieu sont dans votre esprit comme de grands flambeaux, mais qui sont éteints. Ah ! souffrez qu'on vienne ouvrir ces yeux appesantis (c) par le sommeil et qu'on les applique (d) à ce qu'il faut voir. Souffrez que les prédicateurs de l'Evangile vous parlent des vérités de votre salut (e), afin que la rencontre bienheureuse de vos pensées et des leurs excite en votre âme la réflexion comme une étincelle de lumière qui rallumera ces flambeaux éteints et les mettra devant vos yeux pour les éclairer, autrement toutes vos lumières ne vous sont qu'inutiles.

 

1 II Reg., XII, 7. — 2 Psal. XXXVII, 11.

 

(a) Var. : Et l'esprit est dans les ténèbres. — (b) Note marg. : Bien loin de vous accorder que votre science doive vous suffire, je crains même qu'elle ne vous nuise. Je connais le naturel de l'esprit humain ; je sais que l'une de ses maladies, c'est d'acquérir avec plus de soin qu'il ne conserve. Il se dégoûte facilement de ce qu'il sait, aussi bien que de ce qu'il possède; et c'est ce qui fait dire à saint Augustin que « les hommes malheureux qui dédaignent ce qu'ils entendent, apprennent plus volontiers qu'ils ne savent : » Miseri homines quibus cognita vilescunt, libentiùs discunt quàm norunt. Et ne le voit-on pas tous les jours par expérience? Souvent ce que nous avons appris avec ardeur, n'est pas plutôt dans notre esprit que nous le laissons égarer, nous le laissons perdre dans ces castes replis de notre mémoire.— (c) Var. : Assoupis.— (d) Les tourne. — (e) Des choses de votre salut, — des desseins de Dieu pour votre salut.

 

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Et en effet, chrétiens, combien de fois nous sommes-nous plaints que les choses que nous savons ne nous viennent pas dans l'esprit , que l'oubli ou la surprise ou la passion les rend sans effet (a) ? Par conséquent apprenons que les vérités de pratique doivent être souvent remuées, souvent agitées par de continuels avertissements, de peur que si on les laisse en repos, elles ne perdent l'habitude de se présenter et ne demeurent sans force, stériles en affections, ornements inutiles de notre mémoire.

Ce n'est pas pour un tel dessein que les vérités du salut doivent être empreintes dans nos esprits. Les saintes vérités du ciel ne sont pas des meubles curieux et superflus qu'il suffise de conserver dans un magasin ; ce sont des instruments nécessaires qu'il faut avoir pour ainsi dire toujours sous la main et que l'on ne doit presque jamais cesser de regarder, parce qu'on en a toujours besoin pour agir (b). Et toutefois, chrétiens, il n'est rien, pour notre malheur, qui se perde sitôt dans nos esprits que les saintes vérités du christianisme. Car outre qu'étant détachées des sens, elles tiennent peu à notre mémoire, le mépris injurieux que nous en faisons nous empêche de prendre à cœur de les pénétrer comme il faut; au contraire nous sommes bien aises de les éloigner par une malice affectée : « Ils ont résolu, dit le saint prophète, de détourner leurs yeux sur la terre : » Oculos suos statuerunt declinare in terram (1). Remarquez : ils ont résolu; c'est-à-dire que lorsque les vérités du salut se présentent à nos yeux pour nous les faire lever au ciel, c'est de propos délibéré, c'est par une volonté déterminée que nous les détournons sur la terre, que nous les arrêtons sur d'autres objets : tellement qu'il est nécessaire que les prédicateurs de l'Evangile par des avertissements chrétiens, comme par une main invisible, les tirent de ces lieux profonds où nous les avions reléguées, et les ramènent de loin à nos yeux qui les voulaient perdre.

Aidez-les vous-mêmes, Messieurs, dans une œuvre si utile pour votre salut. Pratiquez ce que dit l'Ecclésiastique : Verbum sapiens

 

1 Psal. XVI, 11.

(a) Var. : Nous les rend inutiles. — (b) Et qu'on ne doit presque jamais perdre de vue, parce qu'on eu a toujours besoin pour l'action.

 

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quodcumque audierit scius, laudabit et ad se adjiciet (1). Voici un avis d'un habile homme : « Le sage qui entend, dit-il, quelque parole sensée, la loue et se l'applique à lui-même. » (a) Il ne se contente pas de louer cette parole : il ne va pas regarder autour de lui à qui elle est propre ; il ne s'amuse pas à deviner la pensée de celui qui parle, ni à lui faire dire des choses qu'il ne songe pas; il croit que c'est à lui seul qu'on en veut. Et en effet, chrétiens, quiconque sent en lui-même que c'est son vice qu'on attaque, doit croire que c'est à lui personnellement que s'adresse tout le discours. Si donc quelquefois nous y remarquons je ne sais quoi de tranchant qui, à travers nos voies tortueuses et nos passions compliquées, aille mettre non point par hasard, mais par une secrète conduite de la grâce (b), la main sur notre blessure et aille trouver à point nommé dans le fond du cœur, ce péché que nous dérobons , c'est alors, c'est alors, Messieurs, qu'il faut écouter attentivement Jésus-Christ qui vient troubler notre fausse paix et qui met la main tout droit sur notre blessure ; c'est alors qu'il faut croire le conseil du sage et appliquer tout à nous-mêmes. Si le coup ne porte pas encore assez loin, prenons nous-mêmes le glaive et enfonçons-le plus avant. Plût à Dieu que nous le fassions entrer, qu'il entre si profondément que la blessure aille jusqu'au vif; que le cœur soit serré par la componction, que le sang de la plaie coule par les yeux, je veux dire les larmes, que saint Augustin appelle si élégamment le sang de l’âme (2) ; c'est alors que Jésus-Christ aura prêché, et c'est ce dernier effet de la sainte prédication qui me reste à examiner en peu de paroles dans ma dernière partie.

 

1 Eccli., XXI, 18. — 2 Serm. CCCLI, n. 7.

 

(a) Note marg. : On est bien aise d'entendre parler contre les vices des hommes, et l'esprit se divertit à écouter reprendre les mauvaises mœurs ; mais l'on ne s'émeut non plus que si l'on n'avait aucune part à ces justes censures : Verbum sapiens quodcumque audierit scius..., ad se adjiciet. Il rentre profondément dans sa conscience et s'applique à lui-même tout ce qui se dit. C'est là tout le fruit des discours sacrés. Pendant que l'Evangile parle à tous, chacun se doit parler en son particulier, confesser humblement ses fautes, trembler dans la vue de ses périls.— (b) Var. : Par une grâce secrète.

 

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TROISIÈME POINT.

 

Quand je considère les raisons pour lesquelles les discours sacrés, qui sont pleins d'avis si pressants, sont néanmoins si peu efficaces, voici celle qui me semble la plus apparente. C'est que les hommes du monde présument trop de leur sens pour croire que l'on puisse leur persuader ce qu'ils ne veulent pas faire d'eux-mêmes; et d'ailleurs n'étant pas touchés par la vérité qui luit clairement dans leur conscience, ils ne croient pas pouvoir être émus des paroles qu'elle inspire aux autres; si bien qu'ils écoutent la prédication ou comme un entretien indifférent par coutume et par compagnie ; ou tout au plus, si le hasard veut qu'ils rencontrent à leur goût, comme un entretien agréable qui ne fait que chatouiller les oreilles par la douceur d'un plaisir qui passe.

Pour nous désabuser de cette pensée, considérons, chrétiens, que la parole de l'Evangile qui nous est portée de la part de Dieu, n'est pas un son qui se perde en l'air, mais un instrument de la grâce. On ne peut assez admirer l'usage de la parole dans les affaires humaines (a) : qu'elle soit, si vous voulez, l'interprète de tous les conseils, la médiatrice de tous les traités, le gage de la bonne foi et le lien de tout le commerce ; elle est et plus nécessaire et plus efficace dans le ministère de la religion, et en voici la preuve sensible. C'est une vérité fondamentale, que l'on ne peut obtenir la grâce que par les moyens établis de Dieu. Or est-il que le Fils de Dieu, l'unique médiateur de notre salut, a voulu choisir la parole pour être l'instrument de sa grâce et l'organe universel de son Saint-Esprit dans la sanctification des âmes. Car, je vous prie, ouvrez les yeux, contemplez tout ce que l'Eglise a de plus sacré, regardez les fonts baptismaux, les tribunaux de la pénitence, les très-augustes autels ; c'est la parole de Jésus-Christ qui régénère les enfants de Dieu, c'est elle qui les absout de leurs crimes; c'est elle qui leur prépare sur ces saints autels une

 

(a) Var.: Chrétiens, désabusez-vous; la parole que nous vous portons de la part de Dieu n'est autre chose qu'un son inutile qui se perd en l'air : relevez tant qu'il vous plaira l'usage de la parole dans les choses humaines.....

 

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nourriture (a) divine d'immortalité. Si elle opère si puissamment aux fonts du baptême, dans les tribunaux de la pénitence et sur les autels, gardons-nous bien de penser qu'elle soit inutile dans les chaires ; elle y agit d'une autre manière, mais toujours comme l'organe de l'Esprit de Dieu. Et en effet, qui ne le sait pas ? c'est par la prédication de l'Evangile que cet Esprit tout-puissant a donné des disciples, des imitateurs, des sujets et des enfants à Jésus-Christ (b). S'il a fallu effrayer les consciences criminelles, la parole a été le tonnerre ; s'il a fallu captiver les entendements sous l'obéissance de la foi, la parole a été la chaîne par laquelle on les a entraînés à Jésus-Christ (c) ; s'il a fallu percer les cœurs par l'amour divin, la parole a été le trait qui a fait ces blessures salutaires : Sagittœ tuœ acutœ, populi sub te cadent (1). Et il ne faut pas s'étonner si parmi tant de secours, tant de sacremens, tant de ministères divers de l'Eglise, le saint concile de Trente a déterminé  (2) qu'il n'y a rien de plus nécessaire que la prédication de l'Evangile (3), puisque c'est elle qui a opéré de si grands miracles. Elle a établi la foi, elle a rangé les peuples à l'obéissance , elle a renversé les idoles, elle a converti le monde.

Mais, Messieurs, tous ces effets furent autrefois, et il ne nous en reste plus que le souvenir. Jésus-Christ n'est plus écouté, ou il est écouté si négligemment, qu'on donnerait plus d'attention aux discours les plus inutiles. Sa parole cherche partout des âmes qui la reçoivent, et partout la dureté invincible des cœurs préoccupés lui ferme l'entrée. Ce n'est pas qu'on n'assiste aux discours sacrés, la presse est dans les églises durant cette sainte quarantaine. Plusieurs prêtent l'oreille attentivement; mais ce n'est ni l'oreille ni l'esprit que Jésus demande. « Mes frères, dit saint Augustin, la prédication est un grand mystère : Magnum sacramentum, fratres. Le son de la parole frappe au dehors, le maître est au dedans : » la véritable prédication se fait dans le cœur : Sonus verborum aures perculit, magister intus est (3). C'est pourquoi ce Maître céleste a dit tant de fois en prêchant : « Qui a des oreilles

 

1 Psal. XLIV, 6. — 2 Sess. V, cap. II. — 3 Tract. III in Epist. Joan., n. 13.

 

(a) Var. : Une viande. — (b) Au Père céleste. — (c) La parole a été la chaîne qui les a entraînés captifs aux pieds de Jésus-Christ crucifié. — (d) Que le plus nécessaire de tous c'est celui de la sainte prédication de l'Evangile.

 

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pour ouïr, qu'il écoute (1). » Certainement, chrétiens, il ne parlait pas à des sourds ; mais il savait, ce divin Docteur, qu'il y en a « qui en voyant ne voient pas, et qui en écoutant n'écoutent pas (2). » Il savait qu'il y a en nous un endroit profond où la voix humaine ne pénètre point, où lui seul a droit de se faire entendre : « Qu'elle est secrète, dit saint Augustin, qu'elle est éloignée des sens de la chair, cette retraite où Jésus-Christ fait leçon, cette école où Dieu est le maître ! » Valde remota est à sensibus carnis hœc schola (3). Pour rencontrer cette école et pour écouter cette leçon, il faut se retirer au plus grand secret et dans le centre du cœur. Pour entendre prêcher Jésus-Christ, il ne faut pas ramasser son attention au lieu où se mesurent les périodes, mais au lieu où se règlent les mœurs ; il ne faut pas se recueillir au lieu où se goûtent les belles pensées, mais au lieu où se produisent les bons désirs ; ce n'est pas même assez de se retirer au lieu où se forment les jugements, il faut aller à celui où se prennent les résolutions. Enfin s'il y a quelque endroit encore plus profond et plus retiré où se tienne le conseil du cœur, où se déterminent tous ses desseins, où l'on donne le branle à ses mouvements, c'est là que, sans s'arrêter à la chaire matérielle, il faut dresser à ce Maître invisible une chaire invisible et intérieure, où il prononce ses oracles avec empire. Là quiconque écoute, obéit; quiconque prête l'oreille, a le cœur touché. C'est là que la parole divine doit faire un ravage salutaire en brisant toutes les idoles, en renversant tous les autels où la créature est adorée, en répandant tout l'encens qu'on leur présente, en chassant toutes les victimes qu'on leur immole (a) ; et sur ce débris ériger le trône de Jésus-Christ victorieux : autrement on n'écoute pas Jésus-Christ qui prêche.

S'il est ainsi, chrétiens, hélas ! que Jésus-Christ a peu d'auditeurs, et que dans la foule des assistants il se trouve peu de disciples ! Où sont-elles ces âmes soumises que l'Evangile attendrit, que la parole de vérité touche jusqu'au cœur? En effet ou nous

 

1 Matth., XIII, 9. — 2 Ibid., 13. — 3 S. August., De Prœdest. Sanct., cap. VIII, n. 13.

 

(a) Var. : C'est là qu'il faut écouter, non-seulement écouter, mais se rendre, mais obéir, mais faire régner la vérité, abattre à ses pieds tous ses ennemis, toutes les erreurs, tous les vices, toutes les maximes du monde.

 

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écoutons froidement, ou il s'élève seulement en nous des affections languissantes : faibles imitations des sentiments véritables, désirs toujours stériles et infructueux, qui demeurent toujours désirs et qui ne se tournent jamais en résolutions ; flamme errante et volage, qui ne prend pas à sa matière, mais qui court légèrement par-dessus et que le moindre souffle éteint tellement, que tout s'en perd en un instant, jusqu'au souvenir : Filii Ephrem intendentes et mittentes arcum, conversi sunt in die belli (1) : « Les enfants d'Ephrem, dit David, préparaient leurs flèches et bandaient leur arc, mais ils ont lâché le pied au jour de la bataille (a). » En écoutant la prédication, ils concevaient en eux-mêmes de grands desseins, ils semblaient aiguiser leurs armes contre leurs vices ; au jour de la tentation ils les ont rendues honteusement; ils promettaient beaucoup dans l'exercice, ils ont plié d'abord dans le combat ; ils semblaient animés quand on sonnait de la trompette , ils ont tourné le dos tout à coup quand il a fallu venir aux mains : Filii Ephrem intendentes et mittentes arcum, conversi sunt in die belli.

Dirai-je ici ce que je pense? De telles émotions, faibles, imparfaites et qui se dissipent en un moment, sont dignes d'être formées devant un théâtre où l'on ne joue que des choses feintes, et non devant les chaires évangéliques où la sainte vérité de Dieu paraît dans sa pureté. Car à qui est-ce qu'il appartient de toucher les cœurs, sinon à la vérité? C'est elle qui apparaîtra à tous les cœurs (b) rebelles au dernier jour, et alors on connaîtra combien la vérité est touchante. « En la voyant, dit le Sage, ils seront troublés d'une crainte horrible : » Videntes turbabuntur timore horribili (2) ; ils seront agités et angoissés, eux-mêmes se voudront cacher dans l'abîme. Pourquoi cette agitation, Messieurs? C'est que la vérité leur parle. Pourquoi cette angoisse ? C'est que la vérité les presse. Pourquoi cette fuite précipitée? C'est que la vérité les poursuit. Ah ! te trouverons-nous toujours partout, ô vérité persécutante? Oui, jusqu'au fond de l'abîme ils la trouveront : spectacle

 

1 Psal. LXXVII, 9. — 2 Sap., V, 2.

 

(a) Var. : Au jour de la guerre,— au jour du combat. — (b) C'est elle qui pénétrera tous les cœurs...

 

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horrible à leurs yeux, poids insupportable sur leurs consciences, flamme toujours dévorante dans leurs entrailles. Qui nous donnera, chrétiens, que nous soyons touchés de la vérité, de peur d'en être touchés de cette manière furieuse et désespérée ? O Dieu, donnez efficace à votre parole.

O Dieu, vous voyez en quel lieu je prêche; et vous savez, ô Dieu, ce qu'il y faut dire; donnez-moi des paroles sages, donnez-moi des paroles efficaces, puissantes ; donnez-moi la prudence, donnez-moi la force, donnez-moi la circonspection, donnez-moi la simplicité. Vous savez, ô Dieu vivant, que le zèle ardent qui m'anime pour le service de mon Roi, me fait tenir à bonheur d'annoncer votre Evangile à ce grand monarque, grand véritablement, et digne par la grandeur de son âme de n'entendre que de grandes choses, qu'on ne lui inspire que de grands desseins pour son salut, digne par l'amour qu'il a pour la vérité, de n'entendre jamais de flatteries (a). Sire , c'est Dieu qui doit parler dans cette chaire; qu'il fasse donc par son Saint-Esprit, car c'est lui seul qui peut faire un si grand ouvrage, que l'homme n'y paroisse pas, afin que Dieu y parlant tout seul par la pureté de son Evangile, il fasse dieux tous ceux qui l'écoutent, et particulièrement Votre Majesté, qui ayant déjà l'honneur de le représenter sur la terre, doit aspirer à celui d'être (b) semblable à lui dans l’éternité, en le voyant face à face, tel qu'il est et selon l'immensité de sa gloire, que je vous souhaite, au nom, etc.

 

(a) Var. : De n'être jamais déçu. — (b) Doit désirer ardemment d'être....

 

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