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REMARQUES HISTORIQUES.

 

Père de l'ignorance et de la superstition, l'orgueil a produit dans tous les temps et dans tous les lieux des hommes qui cherchaient la perfection religieuse hors des voies suivies par les simples mortels : ainsi les faquires et les gymnosophistes en Orient, les platoniciens et les stoïciens dans la Grèce, les esséniens et les pharisiens au milieu des Juifs, les saliens et les augures chez les Romains, lés druides parmi les Gaulois, etc.

Après les gnostiques qui souillèrent les premiers temps du christianisme, à côté des sectes manichéennes qui se plongeaient dans le vice immonde pour s'élever à la pureté de la vertu, on vit paraître au milieu du onzième siècle les contemplatifs visionnaires de l'Eglise grecque. Sans espérance ni crainte, dans le calme et l'inaction, disaient-ils, ces sublimes contemplatifs, gardant une certaine attitude et

 

II

 

retenant leur haleine convenablement, voyaient les choses divines, les plus grands mystères, quelquefois la sainte Trinité, des yeux du corps. C'était là pour eux le dernier terme de la perfection, et leur prétendu repos les fit appeler Hésicastes, c'est-à-dire quiétistes.

Passant sous silence les béguards qui furent condamnés par le concile général de Vienne en 1311, et les illuminés d'Espagne qui remplaçaient les œuvres chrétiennes par la tranquillité passive ; sans parler ni de Guérin, ni de Jean Labadie, ni d'Antainette Bourignon, ni d'autres faux contemplatifs qui faisaient consister la perfection de l'homme dans l'enchaînement des facultés religieuses et morales, nous venons tout de suite au patriarche du quiétisme moderne, à Molinos.

Molinos, prêtre espagnol, reçut le jour à Saragosse en 1627. Il alla se fixer a Rome. Modeste, charitable, pieux, il acquit une grande réputation de sainteté; adroit, souple, insinuant, il se fit rechercher comme directeur dans les voies du salut. Il avait un cœur ardent mais peu de jugement, des idées subtiles mais peu de connaissances théologiques : il s'égara doublement, sous le rapport du dogme et de la morale, dans un ouvrage intitulé : La Conduite spirituelle. Dans une longue procédure, par l'examen de la doctrine et des faits, on découvrit, comme sous un voile pieux, de graves erreurs d'une part et de grands désordres de l'autre; en 1085, le saint Office censura soixante-huit propositions de l'hérésiarque, et le condamna lui-même à la détention perpétuelle. Michel Molinos mourut dans des sentiments de pénitence en 1696, à l'âge de soixante-neuf ans.

On peut réduire ses erreurs aux points suivants. 1° Dans la contemplation parfaite, L'aine ne réfléchit ni ne raisonne; mais elle reçoit passivement la lumière céleste, sans produire aucun acte d'amour ni de culte intérieur. 2° En cet état, l’âme ne désire rien, pas même le ciel ; elle ne craint rien, pas même l'enfer; elle s'abandonne au bon plaisir du suprême Ordonnateur, et consent malgré ses mérites aux supplices éternels. 3° Ainsi disposée, l’âme n'est plus atteinte par les actes extérieurs : comme les bonnes œuvres, la mortification chrétienne et les sacrements n'augmentent pas la justice, de même le désordre, le vice et la corruption ne ternissent point la sainteté; le péché reste dans la partie inférieure de l'homme sans entrer dans sa partis supérieure. Les quiétistes français retranchaient ordinairement le dernier article de leur symbole; mais ils professaient le premier et le deuxième avec une pieuse vénération. Au reste, tout le monde a reconnu, dans les erreurs de Molinos, les principes fondamentaux du protestantisme enseigné par Luther : l'homme passif sous la main de Dieu comme la scie dans la main du charpentier, la vertu divine justifiant le pécheur sans sa coopération, les sacrements ne produisant point la grâce par leur propre efficacité, les bonnes œuvres inutiles

 

III

 

au salut, la justice inamissible et le péché ne souillant point la conscience du juste. Esprit de mensonge et d'hérésie, qu'as-tu produit de nouveau ?

Le molinosisme, dégagé de ses erreurs les plus grossières , franchit les Alpes sous une enveloppe de faux spiritualisme. Son passeport fut, si l'on peut ainsi dire, signé à Marseille. La se trouvait un homme aveugle dès sa naissance, qui avait appris la langue latine par l'enseignement oral; et de fréquentes lectures entendues passionnément avoient laissé dans son esprit un peu de philosophie, un peu de théologie, mais beaucoup de rêves mystiques ; des idées confuses roulaient pêle-mêle dans sa tête ; il enseigna le quiétisme mitigé dans un ouvrage portant ce titre : Pratique facile pour élever l’âme à la contemplation. Ce livre ayant été condamné par le Saint-Siège, Malaval se soumit de bonne foi, sans réserve ni restriction, ni retour.

Une femme reprit en sous-œuvre son échafaudage. Née a Montargis en 1648, Jeanne Bouvier de la Mothe épousa, dès l'âge de seize ans, le fils de l'entrepreneur Guyon, qui devait sa fortune et sa noblesse à la construction du canal de Briare. Devenue veuve a l'âge de vingt-huit ans, elle abandonna ses jeunes enfans pour suivre l'entraînement d'une imagination vive et les séductions d'une fausse spiritualité. M. Duranthon, évoque de Genève, l'ayant rencontrée à Paris, voulut remployer dans son diocèse à l'instruction des nouvelles catholiques. Envoyée dans un couvent de Gex, elle y retrouva le P. Lacombe, qu'elle connaissait déjà par plusieurs entrevues et par une longue correspondance ; le P. Lacombe, originaire de Thonon, religieux barnabite, esprit exalté, facilement accessible aux illusions sentimentales, infecté du nouveau quiétisme. Après quelques conférences, ils crurent lire leur destinée dans les décrets divins. Madame Guyon devait fonder une association mystique, et le P. Lacombe lui servir de directeur. Aussitôt ils se mirent à l'œuvre, prêchant la passiveté de l'âme, l'anéantissement de ses facultés, l'indifférence pour la vie ou la mort, pour le ciel ou l'enfer. Le saint évêque de Genève fut alarmé des progrès de leur doctrine : il les renvoya. Commençant alors une sorte d'odyssée, les promoteurs du nouveau mysticisme allèrent à Thonon, ensuite à Grenoble, puis à Verceil, puis à Turin, puis encore à Grenoble, et revinrent à Paris en 1087. Partout ils tirent des prosélytes; mais ils furent chassés partout. Pendant son séjour à Grenoble, Madame Guyon fit imprimer son Moyen court et facile pour faire l'oraison, et le P. Lacombe avait déjà publié l'Analyse de l'oraison mentale. Les deux illuminés continuaient encore leur apostolat ambulant, que ces livres étaient déjà condamnés par plusieurs évêques.

 

Dès son retour à Paris, le P. Lacombe déploya dans le saint ministère l'activité de son zèle toujours empressé, et bientôt la chaire et le

 

IV

 

confessionnal lui donnèrent de la réputation dans une certaine classe de fidèles. Cependant arrivaient chaque jour des rapports qui présentaient sa conduite sous des couleurs peu favorables, et la lecture attentive de sou ouvrage inspira des craintes sur la pureté de sa foi. M. de Harlay, archevêque de Paris, l'appela devant l'officialité ; convaincu par des preuves irrésistibles, comme il manifestait la plus grande opiniâtreté, il fut conduit à la Bastille par ordre du roi, ensuite transféré dans le château de Lourdes au pied des Pyrénées, puis ramené au château de Vincennes, enfin mis à Charenton, où il mourut en 1699 dans l'état de démence.

Madame Guyon, prêchant, dogmatisant, convertissant de son côté, fut arrêtée peu de temps après son maître, et conduite chez les filles de Sainte-Marie dans le faubourg Saint-Antoine. Elle sut intéresser, pendant sa détention même, de puissantes protectrices : les comtesses de Chevreuse, de Béthune, de Mortemart, de Beauvilliers ; madame de Maisonfort sa parente, et madame de Miramion pleine de mérites devant Dieu et devant les hommes, lui obtinrent, non-seulement la liberté, mais la permission d'aller à Saint-Cyr. La beauté de son esprit, le brillant de sa parole, l'ardeur de sa dévotion, peut-être aussi la nouveauté de ses principes et les attraits de ses maximes, lui donnèrent de nouveaux adeptes dans cette maison. C'est alors qu'elle produisit un nouvel ouvrage manuscrit sur la vie intérieure; on le lut, on le goûta, on le prôna ; on le fit imprimer à Lyon, en 1088, sous ce titre : Le Cantique des Cantiques interprété selon le sens mystique. Madame de Maintenon ne partagea point l'engouement général : « Il y a dans le Cantique des Cantiques, disait-elle, des passages édifiants, il y en a d'obscurs, il y en a que je n'approuve d'aucune manière (1). » Louis XIV, avec la pénétration du génie, appela l'auteur la plus grande folle de son royaume.

Cependant Madame Guyon revoit, pour affermir son empire, la conquête de Fénelon. Fénelon, précepteur du petit-fils de Louis XIV et depuis archevêque de Cambray, montrait au milieu de la Cour la plus tendre piété : « Il avait pour plaire, dit Saint-Simon, des talents faits exprès : une douceur, une insinuation, des grâces naturelles qui coulaient de source; un esprit facile, ingénieux, fleuri ;... une conversation aisée, légère et toujours décente. » Avec des qualités si aimables et si gracieuses, d'un caractère si facile et si coulant, il devait trouver peu de charmes dans les ouvrages dogmatiques ; aussi avait-il étudié de préférence les chefs-dœuvre de la littérature païenne, et tout particulièrement les auteurs mystiques ; le brillant et l'éclat, la douce mélancolie et la vague métaphysique, formaient les traits de

 

1 Lettre à Mme de Saint Géran.

 

V

 

son génie (1). Madame Guyon n'eut pas de peine a lui faire goûter sa doctrine ; il crut reconnaître dans ses paroles les maximes de ses auteurs favoris, leurs vues profondes, leurs tendres effusions, leurs brûlants transports. Rien dès lors ne troubla plus la sécurité de son assentiment : les comparaisons singulières, les expressions trop fortes, les vœux outrés, il les entendit, non d'après les règles d'une critique vulgaire, mais selon la sagesse divine qui est folie devant les hommes ; ce qu'il trouva d'excessif, d'obscur, d'inintelligible, il le comprit à la lumière d'explications dictées par la simplicité de l'amour et la ferveur de la piété (2). Il apprit plus dans ce saint commerce que dans tous les livres. Voilà ce que disent ses admirateurs.

Bossuet avait d'autres maîtres, et ne jugeait point d'après ces principes. Suivant les conseils de ses amis, madame Guyon, dans l'espoir de s'assurer un nouveau protecteur, lui remit tous ses ouvrages, soit imprimés, soit manuscrits. Le profond docteur y trouva, non pas les splendeurs de la théologie mystique, mais un « amas d'extravagances, d'illusions et de puérilités (3). » En même temps madame Guyon lui écrivit plusieurs lettres, soutenant l'indolente quiétude des contemplatifs spirituels, professant son renoncement aux exercices de piété, et se disant dans l'impossibilité absolue de rien demander à Dieu, pas même dans l'Oraison dominicale (4). Néanmoins « rien ne

 

1 Bausset, Hist. de Fénel., vol. I, p. 289; Hist. de Bossuet. vol. III, p. 290, édit de Versailles. — 2 Dausset, Hist. de Fénel., vol. I, p. 284.— 3 Hist. de Bossuet, vol. III, p. 267.

 

4 Un petit volume qui parut sous ce titre : Recueil de Lettres tant en prose qu'en vers, sur le livre intitulé: Explication des Maximes des Saints, 1699, (Bibl. Imp., D. 6518) renferme la pièce suivante.

 

Le Pater renversé ou le Pater des quiétistes.

 

I.

Pater noster qui es in cœlis.

Chrétiens vides du pur amour

Et pleins d'un esprit mercenaire ,

Charmés du céleste séjour.

Vous y chercherez votre Père;

Mais pour nous il est en tous lieux

Et dans les enfers comme aux cieux.

III. 

Adveniat regnum tuum. 

Votre royaume a des appas

Pour des âmes intéressées,

Les nôtres d'un motif si bas

Se sont enfin débarrassées ;

S'il vient, il nous fera plaisir,

Mais Dieu nous garde du désir.

II.

Sanctificetur nomen tuum.

Je ne demande aucunement

Que votre nom soit sanctifié;

Si vous voulez absolument,

Dans le ciel et dans cette vie

On glorifiera ce saint nom,

Soit que je le demande ou non.

IV.

Fiat voluntas tua etc.

Afin qu'en terre comme aux cieux

Votre volonté s'effectue,

Vainement nous ferons des vœux :

Cette demande est superflue ;

Elle arrive infailliblement,

Résignons-nous-y seulement.

 

 

VI

 

peut être comparé à la bonté et à l'indulgence que Bossuet eut pour madame Gyon (3) ; » il l'éclaira sur ses erreurs, et lui donna les conseils les plus utiles; il eut avec elle des conférences, et lui écrivit des lettres aussi touchantes de charité que forte de raisons ; il reçut sa soumission, et la communia de sa main. Alors ses soins se tournèrent vers Fénelon ; il lui envoya de longs extraits tirés de la nouvelle mystique, avec des remarques savantes et profondes, les plus propres à dissiper toute erreur. Ces remarques et ces extraits servirent plus tard à un ouvrage du grand écrivain.

Bientôt après madame Guyon, en butte à de nouvelles attaques, demanda des commissaires pour juger sa doctrine. Ses amis, particulièrement le duc de Chevreuse, décidèrent Bossuet malgré sa répugnance à faire partie de la commission, car on ne pouvait en écarter un docteur qui était devenu pour ainsi dire en France l'arbitre des controverses dogmatiques ; mais comme madame Guyon connaissait les sentiments du saint évêque et ne pouvait en attendre un jugement favorable, elle demanda deux nouveaux juges ; M. Tronson, qu'elle savait affectionné particulièrement à Fénelon; et M. de Noailles, évêque de Châlons, depuis archevêque de Paris et cardinal, dont la nièce, comtesse de Guiche, figurait au premier rang parmi ses prosélytes. Ces choix furent agréés par le roi; et les commissaires ouvrirent des conférences à Issy, dans la maison de campagne de Saint-Sulpice, où des rhumatismes chroniques retenaient M. Tronson.

Pendant ces conférences M. de Harlay, archevêque de Paris, qui voyait le faux spiritualisme s'agiter dans son diocèse, condamna par une ordonnance du 16 octobre 1694, avec des qualifications justement

 

V. 

Panem nostrum quotidianum, etc.
Seigneur, notre pain quotidien
Ne peut être que votre grâce;
Donnez-la-moi, je le veux bien ;
Ne la donnez pas, je m'en passe ;
Que je l'aie ou ne l'aie pas,
Je suis content dans ces deux cas.

 

VII 

Et ne nos inducas, etc.
Seigneur, si votre volonté
Me met à ces grandes épreuves
Qui désespèrent le tenté,
Mon cœur pour vous donner des preuves
De mon humble soumission ,
Consent à la tentation.

 

VI. 

Dimitte nobis, etc.

Si vous pardonnez mon péché ,
Comme je pardonne à mon frère,
Tant mieux, je n'eu suis pas fâché;
Mais si pour moi, plein de colère,
Vous me réprouvez à jamais,
Vous le voulez , je m'y soumets.

 

VIII. 

Sed libera nos, etc.

Délivrez du mal temporel
Et du vice et de l'enfer même,
Le chrétien grossier et charnel,
Qui pour votre bonté vous aime :
Pour nous, soumis à vos arrêts ,
Nous vous aimons sans intérêts.

 

 

3 Hist. de Fénel., vol. I, p. 299.

 

VII

 

sévères, l'Oraison mentale du P. Lacombe, et les deux principaux ouvrages de madame Guyon, le Moyen court et l'Explication du Cantique des Cantiques. Sous l'impression de ce nouveau coup, peut-être aussi dans l'espoir de toucher favorablement ses juges, madame Guyon se retira dans le couvent de la Visitation, à Meaux. Dans le même temps, Fénelon envoyait a Bossuet des lettres qui l'assuraient de la plus entière soumission : « Ne soyez point en peine de moi, lui disait-il ; je suis dans vos mains comme un petit enfant;... j'aime autant croire d'une façon que d'une autre.....Je ne tiens qu'à une seule chose, qui est l'obéissance simple ; ma conscience est dans la vôtre... Traitez-moi comme un petit écolier, sans penser ni à ma place, ni à vos anciennes bontés pour moi... Quand vous le voudrez, je vous dirai comme à un confesseur tout ce qui peut être compris dans une confession générale de toute ma vie et de tout ce qui regarde mon intérieur (1). » Cette docilité qui aimait autant croire d'une façon que d'une autre ; cette obéissance simple, qui mettait sa conscience dans la conscience d'une autre, peut paraître difficile à comprendre ; mais Fénelon était sincère dans la profession de ses sentiments. Il voulait aussi, « quand le pape le jugerait à propos, lui rendre compte de toute sa vie comme dans une confession générale (2) ; » mais il était dangereux de recevoir de pareilles marques de confiance : le petit écolier, devenu grand, se servit de l'offre qu'il avait faite à Bossuet pour l'accuser d'avoir violé le secret de la confession  (3) ?

Fénelon put bientôt parler de vive voix dans la commission. Louis XIV, si sévère dans le choix des évêques,mais ignorant les sentiments du précepteur de son petit-fils, le nomma à l'archevêché de Cambray ; et Bossuet, dans l'espoir d'arracher cette belle intelligence à de funestes illusions, voulut être son consécrateur, et fit ouvrir au nouveau dignitaire ecclésiastique les portes de la conférence. Déjà la commission touchait à la fin de ses travaux; les résolutions, formulées dans XXXIV Articles, reçurent leur rédaction définitive, et l'Archevêque de Cambray les signa comme les autres prélats. C'est que ces Articles ne sont pas une censure, mais une déclaration de doctrine; ils ne condamnent pas directement les faux spiritualistes, mais ils

 

1 Lettre du 28 juillet 1694, et Lettres depuis le 12 décembre 1694 jusqu'au 26 janvier 1693. — 2 Lettre de Fénelon à l'abbé de Chanterac, son agent à Rome, du 25 septembre 1694 ; correspondance de Fénelon sur le quiétisme.

3 Fénelon a formulé cette odieuse accusation dans sa Réponse à la relation sur le quiétisme, dans un mémoire adressé à Madame de Maintenon pour justifier son refus d'approuver l’Instruction sur les Etats d'Oraison, et ailleurs. Ses agents répandaient à Rome la même accusation ; voir deux lettres adressées à Bossuet, l'une par son neveu le 2 septembre 1698, l'autre par l'abbé Phelippeaux le 25 novembre de la même année.

 

VIII

 

posent les principes de la vraie spiritualité. Fénelon a prétendu plus tard, et ses historiens répètent après lui, qu'il fit ajouter quatre articles à ceux que les examinateurs avoient déjà rédigés ; mais la discussion le força d'en retrancher trois, et son récit n'est pas exact sur le quatrième (1). Tout ce qu'il y a de certain, c'est qu'il fit les plus grands efforts pour sauver madame Guyon ; avant son admission dans la conférence, il envoya à Bossuet de longues remarques intitulées le Gnostique, qui avoient pour but la justification de sa doctrine. La réponse que Bossuet fit à ces remarques, les profondes observations qu'il développa pour éclairer un ami tendrement aimé, forment un ouvrage important dans l'histoire du quiétisme.

Après les travaux d'Issy, Bossuet, retourné dans son diocèse, entoura pour la seconde fois madame Guyon des soins les plus touchants, lui donnant toutes les instructions qui pouvaient la retirer de l'erreur et la fixer dans la vérité. Madame Guyon sembla répondre à cette sollicitude paternelle : pendant qu'elle édifiait la communauté par sa douceur et sa résignation, elle témoignait la déférence la plus entière à l'Eglise; elle signa dans un acte public les articles d'Issy, la censure de sa doctrine et la condamnation de ses ouvrages. Rassuré sur sa conduite par le témoignage des religieuses et sur sa doctrine par la profession de sa foi, l'évoque de Meaux se crut obligé de l'admettre à l'usage des sacrements et de lui donner un certificat favorable. Cette indulgence, ou plutôt cette justice lui valut la double accusation de favoriser l'erreur par une condescendance coupable dans ses principes, et de profaner les divins mystères en donnant le Saint aux chiens.

Dès qu'elle eut obtenu le témoignage écrit de Bossuet, madame Guyon quitta son couvent sous différents prétextes, à la hâte, d'une manière peu convenable ; et la première chose qu'elle fit après son évasion, fut de violer tous ses engagements. Elle devait se retirer à la campagne, couper court à ses révélations mystiques et suspendre les actes de son ministère apostolique : elle se mit à prêcher, à dogmatiser, à prophétiser de plus belle. Après de longues recherches, la police la découvrit, vers la fin de 1095, cachée dans une petite maison du faubourg Saint-Antoine, et la conduisit d'abord à Vaugirard, puis à Vincennes. Dans les interrogatoires qu'on lui fit subir, elle rétracta, tant est rare la véritable obéissance, sa soumission de Meaux; elle déclara « qu'elle avait continué d'avoir commerce avec le P. Lacombe..., et qu'elle le regardait comme un saint homme; elle soutint... qu'elle n'avait jamais eu de mauvaises doctrines ; qu'on avait pu condamner

 

1 Dernier éclaircissement sur la réponse de Mgr l'archevêque de Cambray aux remarques de M. de Meaux,

 

IX

 

ses livres pour les expressions, mais que le dogme en était sans atteinte (1) etc. »

Cet inconcevable entêtement, le danger de ses principes, le nombre toujours croissant de ses prosélytes, les accusations qui se multipliaient dans la même proportion, la firent enfermer à la Bastille. Après le jugement du Saint-Siège, lorsque de longs efforts eurent extirpé la plus séduisante des hérésies, en 1702, elle put se retirer à Blois, où elle mourut en 1717, dans les transports d'une affectueuse piété (2).

Dans ce qui précède, on n'a rien dit des choses extraordinaires que l'illuminée raconte d'elle-même ; on n'a parlé ni de la plénitude surabondante qui « obligeait de la délacer, » ni des torrents de grâces qu'elle répandait sur ses disciples assis à ses côtés, ni de la lumière intérieure qui « lui faisait voir au fond des cœurs, » ni de « l'autorité miraculeuse qu'elle recevait sur les corps et sur les âmes de ceux que Notre-Seigneur lui avait donnés, » ni de « l'état apostolique » qui lui « conféroit le pouvoir de lier et de délier ; » on a passé sous silence sa maternité spirituelle, sa vocation surnaturelle pour détruire la raison humaine en établissant le règne de la sagesse divine, l'inspiration de ses écrits prouvée par la miraculeuse célérité de sa main, son esprit prophétique et ses prédictions de l'avenir, sa couronne merveilleuse formée du soleil et de toutes les vertus divines, sa qualité d'Epouse qui la rendait plus chère à Jésus-Christ que sa sainte Mère : le lecteur verra ces extravagances et d'autres non moins incroyables, dans la Relation de Bossuet sur le quiétisme. On trouva dans les papiers de la sainte, pendant sa détention à Vincennes, des lettres tendres, affectueuses, de Lacombe à son élève et de l'élève à son maître Lacombe : la délicatesse des personnes chrétiennes et la charité des évoques attribuèrent ces effusions sentimentales à l'exaltation de la prophétesse et a la folie du prophète.

O vanité de la sagesse humaine ! voilà l'illuminée, voilà les rêves qui ont perdu Fénelon ! « Un naturel si heureux, dit le chancelier d'Aguesseau, fut perverti comme celui du premier homme par la voix d'une femme.... On vit ce génie si sublime se borner à devenir le prophète des mystiques et l'oracle du quiétisme. Ebloui le premier par l'éclat de ses lumières et éblouissant ensuite les autres, suppléant au défaut de science par la beauté de son esprit, fertile en images

 

1 Bausset, Hist. de Fénel., vol. I, p. 344, d'après les manuscrits du Dr Pirot. Comp. Tabaraud, Suppl. à l'Hist. de Fénel. et de Bossuet, ch. V, n. 5, p. 200.

 

2 Ses ouvrages sont : le Moyen court et le Cantique des Cantiques, déjà mentionnés; la Vie de la prophétesse écrite par elle-même, 3 vol ; les Discours chrétiens, 2 vol.; l'Ancien et le Nouveau Testament, avec des explications et des réflexions, 20 vol.; les Lettres spirituelles, 4 vol.; des Cantiques spirituels et des Vers mystiques. En tout, 39 volumes.

 

X

 

spécieuses et séduisantes plutôt qu'en idées claires et précises, voulant toujours paraître philosophe ou théologien et n'étant jamais qu'orateur..., il osa se donner à lui-même la mission de purger le quiétisme de tout ce que cette secte avait d'odieux, de le renfermer dans ses véritables bornes, de faire le personnage d'interprète et comme de médiateur entre les mystiques et les autres théologiens, d'apprendre aux uns et aux autres la force des mots dont ils se servaient, et de se rendre par là comme arbitre suprême de la dévotion (1).» Pour qui sait comprendre, chaque mot de ce passage est un trait de lumière.

On parlera des ouvrages de Bossuet sur le quiétisme, dans les Remarques historiques du volume suivant.

 

1 Mémoires sur les affaires de l'Eglise.

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