Réponse à Mme de Maisonfort
Précédente Accueil Remonter Suivante
Bibliothèque

Accueil
Remonter
Remarques
Nouveaux Mystiques I-VI
Nouveaux Mystiques VII-X
Nouveaux Mystiques XI-XVII
Réponse à Mme de Maisonfort
Réponse à M. de Cambray
Expl. Maximes des Saints
Préface Instr. Pastorale I-II
Préface Instr. Pastorale III-IV
Préface Instr. Pastorale V-VI
Préface Instr. Pastorale VII-X
Préface Instr. Pastorale X-XIII
Préface Instr. Pastorale Conclusion
Mémoire Cambray I
Mémoire Cambray II
Mémoire Cambray III
Mémoire Cambray IV
Mémoire Cambray V
Sommaire Max. des Saints
Déclaration des 3 Evêques
Réponse à 4 lettres

 

RÉPONSE AUX DIFFICULTÉS
DE Mme DE MAISONFORT. (a)

  

(a) Madame de Maisonfort, parente et amie de madame Guyon, avait assez bien saisi les principes des nouveaux quiétistes; elle voulut en répandre la doctrine à Saint-Cyr, où elle était supérieure : madame de Maintenon pria M. de Meaux de venir à Saint-Cyr pour faire des conférences à ce sujet. Elles firent impression sur madame de Maisonfort : cependant elle ne se rendit pas d'abord ; elle écrivit plusieurs lettres à M. Bossuet pour lui proposer des difficultés, qu'elle le priait de résoudre en écrivant sa réponse à côté sur des marges assez amples qu'elle laissait exprès. Cela formait un écrit à deux colonnes, tel qu'on le voit ici imprimé. ( Edit. de Paris.)

  

M. DE MEAUX.

 

Il faut d'abord supposer que le simple retour à Dieu contient un acte de foi fort simple et fort nu, avec toute son obscurité et toute sa certitude, et qu'il contient aussi un acte d'amour d'une pareille simplicité. Les oraisons qu'on appelle jaculatoires sont des affections expresses, qui pourraient sortir de ce fond de foi d'amour, mais l’âme qui a ce fond peut se passer de ces affections, et jusque-là je suis d'accord avec vous.

La difficulté commence lorsqu'après avoir dit l'état où vous êtes durant le cours delà journée, vous réduisez toute votre action à une simple attente du recueillement, de sorte que de journée à journée il ne reste aucun lieu pour les actes expressément commandés de Dieu.

Le recueillement qui revient à la simple présence, ne contient ni

 

Mme DE MAISONFORT.

 

Décrivant l'état de son oraison, elle dit:

Il me paraît que ce qui est plus conforme à ma disposition, est un simple retour de mon cœur vers Dieu. Je trouve que ce simple retour me convient, non-seulement pour l'oraison, mais dans le cours de la journée, pour revenir à Dieu; et que les oraisons jaculatoires ne me seraient pas si convenables, et que la simple attente du recueillement, pour ainsi dire, m'y prépare mieux que ne feraient les efforts; j'entends par cette attente, une certaine tranquillité dans laquelle je tâche de me mettre, et une certaine sorte d'attention à Dieu, qui est quelquefois bien sèche et presque imperceptible ; mais cela dispose, je crois, mieux au recueillement, si Dieu le veut donner, que ne feraient certains efforts.

 

 

141

 

espérance, ni désir, ni demande, ni actions de grâces, qui bien assurément ne compatit pas avec l'Evangile.

La simple attente est très-distinguée de l'excitation que l'on se fait à soi-même : or de croire qu'on en vienne dans cette vie à un état où l'on n'ait jamais besoin de cette excitation, David nous est un bon témoin du contraire, puisqu'il en revient si souvent à dire : « Elevez-vous, ma langue : Mon âme, bénis le Seigneur : J'ai dit : J'observerai mes voies, pour ne point pécher par la parole, » etc.

Il y a de doux efforts que la foi et l'amour inspirent, et rendent fort naturels.

Les spirituels nous enseignent que s'il y a quelques âmes qui soient tellement mues de Dieu qu'elles n'aient aucun besoin de faire effort, ce sont des âmes uniques et privilégiées, comme serait la sainte Vierge, ou quelque autre qui en ail approché.

Il faut même prendre garde de ne point faire une règle d'exclure du temps spécial de l'oraison l'espérance, la demande et l'action de grâces. Dieu peut à certains moments suspendre ces actes, ils peuvent à certains moments ne pas venir ; mais il n'y a nul moment où l'on doive les exclure, parce qu'ils sont naturellement unis à la foi et à l'amour. Cela se peut par abstraction et non par exclusion.

 

 

M. DE MEAUX.

 

Je tiendrais une oraison fort suspecte, où des actes si précieux ne viendraient jamais ; ils viennent en deux tarons, ou par une espèce de saint emportement dont on n'est pas maître, ou par une douce inclination et impulsion, qui veut être aidée par un simple et doux effort du libre arbitre coopérant. On peut et on doit aussi s'y exciter, quand Dieu laisse l’âme à elle-même.

C'est une manière de s'exciter, que de ramener doucement son esprit à Dieu. Quand Dieu retire son opération un long temps, je crois que c'est le cas de se recueillir , et s'exciter comme les autres fidèles, mais avec douceur,

 

Mme DE MAISONFORT.

 

Dans une seconde lettre, elle dit: Vous me faites remarquer qu'il faut prendre garde de ne pas se faire une règle d'exclure du temps spécial de l'oraison l'espérance, la demande et l'action de grâces. Je n'en ai pas douté ; mais je voudrais savoir s'il suffit d'être disposée à faire ces actes, quand Dieu y excitera, comme il paraît dans tant d'endroits de saint François de Sales. Je demande encore une fois, si dans l'oraison cela peut suffire. Vous en êtes, ce me semble, convenu ; mais comme vous avez dit ailleurs que quand Dieu retire son opération il faut s'exciter; je voudrais savoir si vous avez prétendu parler du temps de l'oraison, et si de se contenter de ramener son esprit

 

 

142

 

M. DE MEAUX.

 

et surtout sans anxiété ni inquiétude ; car c'est la ruine de l'oraison. Il n'y a d'actes qu'on puisse exclure sans crainte, que les inquiets, et les turbulents qui tourmentent l'âme.

Cela peut être, et n'être pas, l'amour ne peut être longtemps sans espérance, ni l'espérance sans désir, ni le désir sans demande et sans action de grâces: ni ces actes ne peuvent revenir souvent, sans que souvent on les aperçoive, comme on aperçoit la foi et l'amour dont le recueillement est inséparable.

Le mal est d'exclure ces actes comme peu convenables à l'état; mais quand on y demeure disposé, ils viennent infailliblement à la manière qui a été dite, et c'est une erreur de croire qu'ils soient moins aisés que les autres, puisqu'ils viennent du même fond.

J'approuve de ne se point gêner, et d'éloigner tout effort inquiet ; mais je tiendrais votre état suspect, si jamais vos fautes ne vous revenaient, ou si elles ne revenaient pas assez ordinairement.

J'en dis autant du regret, qui peut n'être pas sensible, mais qui ne peut pas toujours ne l'être pas, surtout quand on dit: Pardonnez-nous nos fautes. L'attachement aux temps précis n'est pas absolument nécessaire, et il faut marcher dans une sainte liberté.

 

 

Je ne sais pas ce qu'a dit M. du Bellay; mais je crois savoir que

 

Mme DE MAISONFORT.

 

à Dieu, comme par le saint François de Sales, c'est s'exciter suffisamment.

J'ai lu quelque part que la quiétude est un tissu d'actes très-simples, et presque imperceptibles. Ceux d'espérance, d'action de grâces, de demande, quoiqu'ils ne soient pas, ce me semble, si aisés à y distinguer que ceux d'amour et de foi, n'y sont-ils pas compris? Mais outre l'oraison, Dieu prescrit d'autres exercices, dites-vous, Monsieur, et on n'en peut douter; mais dans ces sortes d'exercices, on porte son même attrait ; et par conséquent je crois que le mieux que puissent faire les âmes attirées à cette sorte de simplicité, c'est de tacher de demeurer dans le recueillement et la présence de Dieu.

Pour les examens que les règlements de communauté marquent, on m'a dit que je pouvais suivre cela, quand j'y aurais de la facilité, et de ne me point gêner; et aussi ne me suis-je point gênée sur cet article; je tache dans ce temps-là de me recueillir : si le souvenir de mes fautes se présentait, je les verrais; mais je ne fais point d'efforts pour les rechercher. Le souvenir de mes fautes, et le regret de les avoir faites vient indépendamment de ces temps marqués pour l'examen.

 

 

Dans une troisième lettre, elle dit:

 

M. L'évêque du Bellay paraît goûter les idées d'abandon et de

 

 

143

 

M. DE MEAUX.

 

saint François de Sales ne parle jamais d'indifférence dans le choix du paradis et de l'enfer. Il dit bien que si, par impossible, il y avait plus du plaisir de Dieu dans l'enfer, le juste le préférerait; ce qui

est certain ; mais comme cela n'est pas, et ne peut être, c'est précisément pour cela qu'il n'y a point d'indifférence, ne pouvant jamais y en avoir entre le possible et l'impossible, entre ce que Dieu veut effectivement, et ce que non-seulement il ne veut pas, mais encore qu'il ne peut pas vouloir.

 

    Je ne saurais approuver cette alternative, ni que l'homme puisse consentir à sa damnation : c'est une chose qui n'a d'exemple, ni dans l'Ecriture, ni dans aucun saint. J'entends Lien qu'on abandonne son salut à Dieu, parce qu'on ne peut remettre en meilleures mains ce qu'on désire le plus, et ce que lui-même nous commande de désirer.

 

Le souhait ou consentement de sainte Catherine de Sienne, est le munie que celui de Moïse, ou de saint Paul, qui procède toujours par impossible, et ainsi ne présuppose aucun souhait réel, ni aucune indifférence dans le fond. Car on ne peut dire que Moïse et saint Paul aient sacrifié à Dieu une chose indifférente; au contraire, tout le mérite de cette action ne peut être que de lui avoir sacrifié ce qu'on désire le plus, et encore de le lui avoir sacrifié sous une condition impossible de soi. Or en cela il n'y a rien moins qu'indifférence, puisque l'impossible ne peut pas même être l'objet de la volonté, et qu'il ne peut y avoir d'indifférence entre le possible et l'impossible, c'est-à-dire entre ce qu'on sait que Dieu veut et ce qu'on sait qu'il veut si peu, qu'il ne peut pas même le vouloir, ainsi qu'il a été dit.

 

       Ces expressions doivent être entendues avec un grain de sel, c'est-à-dire en expliquant que la charité

 

Mme DE MAISONFORT.

 

désintéressement qui semblent aller un peu plus loin. Il cite avec éloge ce que saint François de Sales dit dans le quatrième chapitre du neuvième livre de l’Amour de Dieu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

     M. du Bellay dit encore que quand saint Philippe de Néri assistait certaines personnes à la mort, il leur disait : Abandonnez-vous à Dieu sans réserve, soit à salut, soit à damnation : il n'y a rien à craindre en s'abandonnant ainsi.

 

 

 

 

M. du Bellay cite encore dans le même endroit, que sainte Catherine de Sienne consentit d'être en enfer, pourvu que ce fut sans perdre la grâce ; et il ajoute que plusieurs autres saints ont eu la même pensée, qui semble, dit-il, fondée sur ce souhait de Moïse, d'être effacé du livre de vie, pourvu que Dieu pardonnât à son peuple ; et sur celui de saint Paul, d'être anathème pour ses frères.

Le Père Saint-Jure dit que la charité n'est touchée ni des menaces ni des promesses, mais des 

 

 

144

 

M. DE MEAUX.

 

ou l'amour pur n'est pas touché des promesses, en tant qu'elles tournent à notre avantage, mais en tant qu'elles opèrent la gloire de Dieu et l'accomplissement parfait de sa volonté, comme il est ici remarqué. Il y faut encore ajouter que la gloire de Dieu est la fin naturelle de ces désirs, de sorte que le désir du salut, naturellement et de soi, est un acte de pur amour. Saint Jean nous dit bien que la parfaite charité chasse la crainte; mais il ne dit pas de même, qu'elle chasse l'espérance, ni le désir qui en est le fruit naturel.

Sainte Thérèse fait expressément cette supposition : qu'on aimerait Dieu à ce moment, quand même on devrait être anéanti dans le suivant; mais cela ne conclut point à l'indifférence entre le possible et l'impossible, pour les raisons qui ont été dites.

 

Par là on voit que je ne nie point les abstractions marquées dans cet écrit, mais ce qui fait que je ne les crois pas nécessaires pour la perfection, c'est que plusieurs saints n'y ont jamais songé. Les véritables motifs essentiels à la perfection, c'est d'y regarder le réel, comme Dieu l'a établi, et non pas ce qu'on imagine sans fondement. Ainsi ces expressions ne sont tout au plus que des manières d'exprimer que l'amour qu'on a pour Dieu est a toute épreuve : j'ajoute qu'il est dangereux de les rendre communes; car elles ne sont sérieuses que dans les Pauls, dans les Moïses, dans les plus parfaits, et après de grandes épreuves.

 

Mme DE MAISONFORT.

 

seuls intérêts de Dieu ; qu'une personne qui aime Dieu purement, ne le sert point pour la récompense considérée par rapport à son intérêt, mais seulement pour l'amour de Dieu; que si elle devait être anéantie à sa mort, elle ne l'aimerait pas moins : que celui qui aime ainsi n'observe point les commandements de Dieu par la crainte des châtiments éternels, et ne craint point l'enfer pour sa considération propre, mais pour celle de Dieu.

 

 

 

 

   

         De tout cela ne peut-on pas conclure que, quoique le bonheur éternel ne puisse être réellement séparé de l'amour de Dieu , que dans nos motifs, on peut néanmoins séparer ces deux choses, qu'on peut aimer Dieu purement pour lui-même, quand même cet amour ne devrait jamais nous rendre heureux, et que si Dieu devait nous anéantir à la mort, ou nous l'aire souffrir un supplice éternel, sans perdre son amour, on ne l'en servirait pas moins; que ce qu'on veut a l'égard du salut, c'est l'accomplissement de la volonté de Dieu, et la perpétuité de son amour : qu'enfin on ne peut point vouloir son salut comme son propre bonheur et à cet égard y être indifférent ; mais qu'on le veut comme une chose que Dieu veut, et autant que le salut est la perpétuité de l'amour divin : et c'est précisément ce que dit le Père Saint-Jure dans l'endroit cité.

 

 

145

 

M. DE MEAUX.

 

Cette proposition est de même que serait celle-ci : Si nous pouvions servir Dieu sans lui plaire, il le faudrait faire; car mériter et plaire a Dieu, est précisément la même chose. Il faut donc entendre sainement ces sortes de suppositions, et n'en conclure jamais qu'on doit être indifférent à mériter, ou à voir Dieu, non plus qu'à lui plaire. Qui dit charité, dit amitié des deux côtés, et un amour réciproque, pour lequel si on était indifférent, on cesserait d'aimer Dieu.

 

On trouve la même chose à peu près dans la vie de saint François de Sales, mais il y a deux observations à faire dans tous ces exemples. L'une, de les entendre sainement; l'autre, de se bien garder de rendre ces suppositions aussi vulgaires qu'on fait, parce que bien certainement c'est se mettre au hasard de les rendre illusoires, présomptueuses, et une pâture de l'amour-propre, par une vaine idée de perfection. Saint Pierre a été repris, pour avoir cru son amour, quoique fervent, à l'épreuve de la mort. Quelle distance entre un martyre passager, et un supplice éternel!

 

Se perdre en Dieu, c'est s'oublier soi-même pour n'avoir le cœur occupé que de lui, et s'absorber tellement dans l'infinité de sa perfection par une ferme foi, qu'on ne puisse ni rien penser, ni rien faire qui soit digne de lui. On peut s'abandonner à. sa justice, comme a sa miséricorde, en considérant une justice qui est en effet une miséricorde, qui frappe en cette vie pour épargner en l'autre; mais qu'on puisse s'abandonner jamais à la justice de Dieu pour la porter en toute rigueur, c'est ce qui ne se trouve nulle part, parce que cette justice à toute rigueur enferme la damnation et toutes ses suites, jusqu'à l'éternelle privation de l amour de Dieu, qui entraîne l'esprit de blasphème et de désespoir, en un mot la haine de Dieu; ce qui fait horreur, et c'est ce qui me fait dire que ceux qui parlent ainsi, ne s'entendent pas eux-mêmes.

 

Mme DE MAISONFORT.

 

Saint François de Sales reprenait ses filles, quand elles parlaient du mérite, leur disant que si nous pouvions servir Dieu sans mériter, nous devrions choisir de le suivre ainsi.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Il est dit dans la vie de M. Ollier que la pureté de son amour fut telle, que dans une épreuve où il se trouva, il s'offrit de bon cœur à endurer les peines de l'enfer pour toute l'éternité, si Dieu devait trouver sa gloire à les lui faire souffrir.

 

 

 

     Je vous prie de me marquer en quoi consiste le véritable abandon, et comment on doit entendre les expressions suivantes : Se perdre en Dieu, se perdre soi-même, s'abandonner non-seulement à la miséricorde de Dieu, mais a sa justice; et celle-ci de Notre-Seigneur : Celui qui perd son âme, la recouvrera pour la vie éternelle.

 

 

146

 

Perdre son âme selon le précepte de Jésus-Christ, c'est, dans toute son étendue, renoncer entièrement à soi-même, et à toute propre satisfaction, pour uniquement contenter Dieu.

Quand on conclut de ce passage et de l'abnégation de soi-même, qu'il faut exterminer en son intérieur tous les actes qu'on y aperçoit, qui est en effet se déterminer à ne point agir du tout, on outre la matière jusqu'à l'absurdité et à l'hérésie.

 

M. DE MEAUX.

 

Saint François de Sales dit que dans l'état de perfection on perd les vertus, en tant qu'on y cherchait à se contenter soi-même, et qu'en même temps on les reprend comme contentant Dieu, ce qui est très-juste. Il n'est pas permis de songer à exterminer en soi-même ses bonnes œuvres ou ses actes, tant qu'on les aperçoit : car les apercevoir n'est pas mauvais, mais peut-être très-excellent, pourvu que ce soit pour en rendre grâces à Dieu et confesser son nom, comme ont fait les apôtres et les prophètes en cent et cent endroits: alors c'est une erreur de dire qu'on soit propriétaire de ces actes : en être propriétaire, c'est les faire de soi-même, comme de soi-même, contre la parole de saint Paul, et se les attribuer plutôt qu'a Dieu.

 

(Il serait trop long de rapporter ici les réponses de M. de Meaux à différentes questions ; mais il ne faut pas supprimer la suivante.)

 

Remarquez avec attention que tout chrétien qui fait bien, en tout et partout, est mû de Dieu, en sorte que Dieu commence tout, opère tout, achève tout en lui : je dis tout ce qu'il fait de bien, et en même temps l'homme ainsi mû de la grâce, commence, continue, achève tout ce qu'il fait de bonnes œuvres; il est excité, et il s'excite lui-même ; il est poussé, et il se pousse lui-même; et il est mû de Dieu, et il se meut lui-même, et c'est en tout cela que consiste ce que saint Augustin appelle l'effort du libre arbitre. Dans cet état, qui est l'état commun du chrétien, il n'est pas permis, pour agir, d'attendre que Dieu agisse en nous, et nous pousse; mais il faut autant agir, autant nous exciter, autant nous mouvoir que si nous

 

Mme DE MAISONFORT.

 

Quelque petit mot d'éclaircissements sur ce dénuement dont parle saint François de Sales, et cette perte même des vertus et du désir des vertus, fin du IXe livre de l'Amour de Dieu.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Dans une quatrième lettre, elle rapporte plusieurs passages de saint François de Sales, qui semblent prouver la suppression des actes, et elle demande ensuite si pour faire des actes intérieurs, on ne doit pas attendre qu'un certain mouvement de grâce nous y porte, principalement dans l'état passif. Elle fait plusieurs demandes sur les réflexions, et sur d'autres points de la nouvelle spiritualité.

 

 

147

 

devions agir seuls, avec néanmoins une ferme foi que c'est Dieu qui commence, continue, achève en nous toutes nos bonnes œuvres. Qu'y a-t-il donc de plus, direz-vous, dans l'état passif? Il y a de plus que la manière d'agir naturelle est entièrement changée ; c'est-à-dire qu'au lieu que dans la voie commune, on met toutes ses facultés et tous ses efforts en usage; dans l'état passif, on est entraîné comme par une force majeure, et que la manière d'agir naturelle est totalement absorbée ; ce qui fait qu'il n'y a plus ni discours, ni propre industrie, ni propre excitation, ni propre effort.

M. de Meaux finit la quatrième lettre en ces termes : Toute la doctrine contenue dans ces réponses se réduit à ces chefs.

1. Il faut croire comme une vérité révélée de Dieu, qu'on doit expressément et distinctement pratiquer toutes les vertus, et en particulier ces trois : la foi, l'espérance, la charité, parce que Dieu les a commandées et leur exercice.

2. Il faut croire avec la mémo certitude, qu'il a pareillement commandé les actes qu'elles inspirent, qui sont la demande et l'action de grâces, comme des actes où consiste la perfection de l'âme en cette vie, et la vraie adoration qu'elle doit à Dieu.

3. Pour s'exciter à faire ces actes, il suffit de connaître que Dieu les a commandés; et il n'est pas permis pour cela de demeurer dans l'attente d'une impulsion et opération extraordinaire, ce qui serait tenter Dieu, et ne se pas contenter de son commandement exprès.

4. Il faut croire pourtant qu'on ne pratique aucun acte de vertu sans une grâce qui nous prévienne, qui nous soutienne et qui nous fasse agir.

5. Cette grâce n'est pas celle qui met les hommes dans l'état passif, puisqu'elle est commune à tous les saints, qui pourtant ne sont pas tous passifs.

6. L'état qu'on nomme passif consiste dans la suspension du discours, des réflexions et des actes qu'on nomme de propre effort et de propre industrie, non pour exclure la grâce, puisque ce serait l'erreur de Pelage, mais pour exclure les voies et manières d'agir ordinaires.

7. C'est une erreur de croire que cet état passif soit perpétuel, si ce n'est peut être dans la sainte Vierge, ou dans quelque âme d'élite qui approche en quelque façon d'une perfection si éminente.

8. De là il s'ensuit que l'état passif ne regarde que certains moments, et entre autres ceux de l'oraison actuelle, et non tout le cours de la vie.

9. C'est pareillement une erreur de croire qu'il y ait un acte qui contienne tellement tous les autres qui sont expressément commandés de Dieu, qu'il exempte de les produire distinctement dans les temps convenables; ainsi on doit toujours être dans cette disposition.

10. Il se peut donc faire qu'on soit en certains moments dans l'impuissance

 

148

 

de faire de certains actes commandés de Dieu, mais cela ne peut pas s'étendre à un long temps.

11. L'obligation de faire des actes est douce, aussi bien que la pratique, parce que c'est l'amour qui l'impose, l'amour qui commande cet exercice, l'amour qui l'inspire et le dirige.

12. Il ne faut point gêner, sur la pratique de ces actes, les âmes qu'on voit sincèrement disposées à les faire : au contraire, on doit présumer qu'elles font dans le temps ce qu'il faut, surtout quand on les voit persévérer dans la vertu ; car au lieu de gêner les âmes de bonne volonté, il faut au contraire leur dilater le cœur, soit qu'elles soient dans les voies communes, ou dans les voies extraordinaires; ce qui en soi est indifférent, et tout consiste à être dans l'ordre de Dieu.

 

FIN DE LA RÉPONSE AUX DIFFICULTÉS DE Mme DE MAISONFORT.

Précédente Accueil Suivante