Expl. Maximes des Saints
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DIVERS ÉCRITS OU MÉMOIRES
SUR LE LIVRE INTITULÉ :
EXPLICATION DES MAXIMES DES SAINTS. etc.

 

AVERTISSEMENT SUR LES ÉCRITS SUIVANTS  ET SUR UN NOUVEAU LIVRE  DE M. L’ARCHEVÊQUE DE CAMBRAI  IMPRIMÉ A BRUXELLES.

I. L'utilité des écrits dans les disputes qui s'élèvent dans l'Eglise.

II. La matière réduite à quatre points principaux, où la vérité est manifeste.

III. Premier point : sur le désespoir et le sacrifice du salut.

IV.  Second point : le prétendu amour pur, qui fait cesser les désirs de la béatitude et du salut.

V. Troisième point : le fanatisme, et la suppression des actes de propre industrie et de propre effort.

VI. Quatrième point : la contemplation dont Jésus-Christ est exclu.

VII. Trois autres erreurs.

VIII. Nul passage de l'Ecriture : pure et fausse métaphysique : seule objection tirée des Pères dans leurs trois états, combien aisément résolue.

IX. L'Ecole mal objectée par de fausses imputations dans le nouveau livre contre le Summa doctrinœ: quelle doctrine j'ai enseignée sur le précepte de la charité.

X. Article XIII d'Issy mal allégué : que saint Paul au chap. XIII de la première aux Cor. définit la charité commune à tous les fidèles.

XI. Etrange doctrine de la Réponse au Summa doctrinœ sur le péché véniel, et sur le rapport à Dieu dans la charité justifiante.

XII. Si c'est ici prévenir le jugement de l'Eglise, et faire de rudes censures.

XIII. Qu'il faut aller à la source de la vérité.

XIV. Sur le nouveau dénouement de l'amour naturel et délibéré , proposé dans l’Instruction pastorale.

XV. Seconde démonstration de la même chose par la Réponse au Summa.

XVI. Deux choses certaines sur les passages qui sont cités dans l'Instruction pastorale.

XVII. Moyen facile et décisif pour bien entendre saint François de Sales.

XVIII. Doctrine importante en explication du Catéchisme du concile, et de la préface de ce livre.

 

 

AVERTISSEMENT SUR LES ÉCRITS SUIVANTS
ET SUR UN NOUVEAU LIVRE
DE M. L’ARCHEVÊQUE DE CAMBRAI
IMPRIMÉ A BRUXELLES.

 

I. L'utilité des écrits dans les disputes qui s'élèvent dans l'Eglise.

 

Lorsqu'on multiplie les écrits sur une matière contestée, les gens du monde se persuadent qu'il est impossible d'y rien connaître, et qu'il n'y a qu'à tout tenir dans l'indifférence : d'autres blâment également tous les écrivains, qui, dit-on, sans tant disputer et sans composer des livres sans fin, comme disait l’Ecclésiaste (1), feraient mieux d'attendre tranquillement la décision de l'Eglise : et ceux qui veulent paraître les plus modérés concluent du moins qu'il faudrait laisser tous les raisonnements difficiles à pénétrer au commun du monde, et se renfermer dans les preuves ou dans les réponses que tous les hommes peuvent entendre. Mais l'Eglise a pratiqué le contraire : les saints Pères n'ont pas cru embrouiller les choses, mais au contraire les mettre au net, quand ils ont écrit contre les erreurs. Saint Augustin, par exemple, après avoir répondu à ceux qui ne cessaient d'attaquer ses livres, est mort en défendant les écrits que ces subtils adversaires avoient combattus, et dès son temps il a remporté cette louange, « que sa ville étant assiégée et au milieu des assauts que lui livraient les Vandales, cet évêque excellent en tout a persisté jusqu'à la mort dans la défense de la grâce chrétienne. »

 

1 Eccl., XII, 12.

 

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Il est vrai qu'on était soumis au jugement de l'Eglise, et qu'on l'attendait avec respect et avec humilité : mais cependant on travaillent sans relâche à défendre et à éclaircir la vérité, de peur que les erreurs spécieuses qu'on répandait parmi le peuple ne gagnassent comme la gangrène. La voie de l'autorité n'a jamais empêché dans l'Eglise celle de l'éclaircissement qu'on tirait de la parole de Dieu et de la tradition des saints; et loin de se taire avant la décision, l'on y préparait la voie par la manifestation de la vérité, qui veut non-seulement être autorisée par les jugements ecclésiastiques, mais encore expliquée par de plus amples traités, afin de demeurer victorieuse en toutes manières ; et encore qu'il soit véritable que dans les matières de la foi il faut, autant qu'il se peut, éloigner les subtilités; quand on y est jeté malgré soi par ceux qui les aiment et qui y mettent leur confiance, l'exemple de saint Augustin aussi bien que des autres Pères, nous fait voir qu'il les faut suivre partout, et que les défenseurs de la vérité également redevables, comme dit saint Paul, aux sa vans et aux ignorants, doivent donner aux uns et aux autres la nourriture proportionnée à leur capacité.

Ainsi nous avertissons en Notre-Seigneur ceux qui liront ces écrits, qu'ils doivent s'attendre à y trouver en beaucoup d'endroits des matières souvent très-subtiles, dont la lecture les pourra peiner, parce que je ne puis les omettre lorsqu'on tâche de s'en prévaloir, ni les mettre dans l'esprit des hommes sans qu'ils y donnent de attention, ni faire que l'attention ne soit pas pénible.

 

II. La matière réduite à quatre points principaux, où la vérité est manifeste.

 

Mais quoique cette peine soit inévitable, il ne s'ensuit pas qu'il soit difficile à un chrétien de savoir précisément à quoi s'en tenir dans la matière du parfait amour et de l'oraison, puisque même les subtilités dû se jettent ceux qui en ont ému la dispute, seront une marque aux hommes droits et sensés, qu'on s'est éloigné par de vains raffinements de la simplicité de l'Evangile; et pour ne nous pas tenir à des discours vagues, je réduis toute la matière

 

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du livre des Maximes des Saints à quatre principales questions : la première, s'il est permis de se livrer au désespoir, et de sacrifier absolument son salut éternel : la seconde, s'il est permis en général et s'il est possible, non-seulement d'avoir un amour d'où l'on détache le motif du salut et le désir de la béatitude ; mais encore de regarder cet amour comme le seul parfait et pur : la troisième, s'il est permis d'établir un certain état où l'on soit presque toujours guidé par instinct, en éloignant tous les actes qu'on appelle de propre industrie et de propre effort: la quatrième, s'il faut admettre un état de contemplation d'où les attributs absolus ou relatifs, d'où les personnes divines, d'où Jésus-Christ même présent par la foi se trouvent exclus.

 

III. Premier point : sur le désespoir et le sacrifice du salut.

 

Et d'abord sur le sujet du désespoir, qui entraîne dans les prétendus parfaits le sacrifice absolu de leur salut éternel, il n'y a qu'un seul principe à considérer; c'est, dans l’ Instruction pastorale de M. l'archevêque de Cambray, « que la partie inférieure consiste dans l'imagination et dans les sens; que l'imagination est incapable de réfléchir; que les réflexions sont la partie supérieure qui consiste dans l'entendement et dans la volonté (1); » avec ce principe, ou ces principes si clairement énoncés et avoués, pensez seulement, que la persuasion, la conviction de sa juste réprobation est réfléchie, et en même temps invincible (2) : et si après cela vous pouvez douter un seul moment que cette persuasion, qui n'est rien moins que le désespoir, ne soit dans l'entendement et dans la volonté, lisez avec un peu d'attention (car ici je ne la demande que très-médiocre) ce qui est écrit dans la Préface de ce livre à l'endroit cité à la marge (3); et s'ils vous reste le moindre doute, ne me pardonnez jamais la témérité de vous avoir promis de les lever tous.

Si vous voulez toutefois voir les objections résolues, étendez vos soins jusqu'à lire tout de suite les premières pages de la

 

1 Inst. past., p. 28. — 2 Maxim. des Saints, p. 87. — 3 Préf. sur l’Instr. past. donnée à Cambray, n. 16; ci-après.

 

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section III (1), vous verrez plus clair que le jour qu'on n'oppose que des illusions à des vérités évidentes.

Mais dès là vous apercevrez que le livre tombe par son principal endroit, dont les principes et les conséquences règnent partout : car s'il est vrai, comme il est certain, qu'il aboutit tout à ce malheureux sacrifice où l'on met l'acte le plus héroïque du christianisme, il n'y a plus à s'étonner, ni qu'on y prépare les voies en se conformant aux volontés inconnues (2) : ni qu'on en pose le fondement par l'abnégation qui ne laisse aucune ressource à l’intérêt propre éternel (3); autrement, à l'intérêt propre pour l'éternité (4) ; ni qu'on en pousse les suites jusqu'à l'affreuse séparation des deux parties de l'âme, sans qu'on en puisse éviter les conséquences après en avoir posé les principes (5).

 

IV.  Second point : le prétendu amour pur, qui fait cesser les désirs de la béatitude et du salut.

 

Voulez-vous aller à la source de l'amour trop pur qui fait oublier le salut? c'est peut-être une discussion, quoique assez facile, de rechercher les moyens dont on se sert pour exténuer, pour détourner, pour éteindre le désir et l'espérance du salut : mais voici qui parle tout seul et ne laisse aucune réplique. On vient d'imprimer à Bruxelles une Réponse de M. l'archevêque de Cambrai au livre intitulé : Summa doctrinœ; ses amis répandent partout que c'est un livre victorieux, et qu'il y remporte sur moi de grands avantages. Nous verrons : mais en attendant il demeurera pour certain, qu'après avoir allégué deux passages de saint Chrysostome et un de saint Ambroise sur le salut, il décide que « le désir en est imparfait, et que les Pères ni ne le commandent, ni ne le conseillent aux âmes parfaites (6). »

Le grand reproche qu'on fait à M. de Meaux dans tout ce livre, c'est de croire « qu'on ne peut se détacher du motif de la béatitude dans aucun acte de raison (7) : ce qui retranche, dit-on (8), l'acte

 

1 Préface sur l'Instruction pastorale donnée à Cambray, n. 11, 12, etc. — 2 Ibid n. 27.— 3 Max. des Saints, art. 8, p. 73. — 4 Ibid., art. 10, p. 90.—5 Voyez ci-dessus, Summa doct., n. 3 et suiv.— 6 Respons. ad Summam doct., p. 54.— 7 Ibid., p. 5—  8 Ibid., p. 1, 19, 26, 34, 41.

 

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le plus véritable, le plus parfait, le plus merveilleux de la charité, en retranchant celui qui est dégagé de ce motif. »

Dans l’ Instruction pastorale il entreprend de prouver qu'on peut aimer Dieu sans le motif de notre béatitude (1). Il n'y a plus ici d'équivoque : on peut ne pas désirer son salut : ce désir n'est ni commandé ni conseillé aux parfaits : on peut tellement détacher son cœur du désir d'être heureux, qu'on exerce les plus grands actes sans ce motif.

J'ai démontré le contraire dans un écrit de ce livre (2), d'une manière, si je ne me trompe, à ne laisser aucun embarras. Mais pour abréger la preuve, il n'y a qu'à lire dans l'Instruction pastorale (3), « la nécessité indispensable où nous sommes de nous aimer toujours nous-mêmes : » à quoi l'on ajoute, « qu'on ne peut s'aimer soi-même sans se désirer le souverain bien. » Formez maintenant ce raisonnement : De nécessité on s'aime toujours : on ne s'aime point sans se désirer la béatitude : on se désire donc toujours la béatitude : on se la désire donc dans tout acte. M. de Meaux est mal repris d'avoir enseigné une vérité si constante, et l'auteur ne lui est pas plus opposé qu'il est opposé à soi-même ; son système demande une chose, la force de la vérité en arrache une autre, et il est vaincu par lui-même.

C'est ce qui se prouve encore par une autre voie. « Saint Augustin, dit-il, suppose dans l'homme une tendance continuelle à sa béatitude, qui est la jouissance de Dieu (4). » C'est pourquoi il nous avait déjà dit, qu'on s'aime toujours; par conséquent dans quelque acte que ce soit, et cette tendance n'en est que plus continuelle, « parce qu'elle est un poids invincible, une inclination nécessaire, dont on ne doit jamais disconvenir. »

Par là donc ce prétendu amour pur, qu'on imagine désintéressé de son propre bien, n'est qu'une illusion : on peut bien se détacher de soi-même jusqu'à s'aimer en Dieu et pour Dieu, lui rapporter son propre bonheur et le désirer pour sa gloire, c'est-à-dire pour honorer sa magnificence envers les siens ; mais se détacher de soi-même jusqu'à ne plus désirer d'être heureux,

 

1 Inst.past., p. 15. — 2 Quatrième écrit, Ire part. — 3 Inst. past., p. 24.—4 Ibid., p. 47.

 

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c'est une erreur que ni la nature, ni la grâce, ni la raison, ni la foi ne peuvent souffrir.

Loin de nous l'insupportable folie, comme l'appelle saint Augustin, de croire qu'on puisse ne se pas aimer, ni s'aimer sans désirer d'être heureux. « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, carie royaume des cieux leur appartient.» En souffrant persécution, ils sont dans la voie : en recevant le royaume, ils sont dans le terme : on peut bien ne rechercher pas la béatitude où Jésus-Christ nous la montre; mais on ne peut pas chercher ce qu'il nous montre, sans y attacher la béatitude que lui-même y a attachée : ainsi la nature et la grâce sont d'accord, et nier cette vérité universellement reconnue, c'est vouloir raffiner sur l'Evangile.

 

V. Troisième point : le fanatisme, et la suppression des actes de propre industrie et de propre effort.

 

L'instinct extraordinaire et particulier par lequel sont guidés nos parfaits, est renfermé dans ce faux principe de l’Instruction pastorale : « La volonté de bon plaisir se fait connaître à nous par la grâce actuelle (1) : » pour trouver dans ce principe tout le fanatisme des nouveaux mystiques, il ne faut que ce court raisonnement. La volonté de bon plaisir comprend tout ce que Dieu veut que nous pratiquions dans chaque événement particulier : or la grâce actuelle nous fait connaître la volonté de bon plaisir; par conséquent elle fait connaître le parti que Dieu veut qu'on prenne dans chacun de ces événements. Mais la grâce qui fait connaître tout cela dans le détail, n'est pas la grâce ordinaire; c'est un instinct extraordinaire et particulier: donc nos prétendus parfaits sont livrés à cet instinct : il les gouverne à chaque occasion, comme l'assure M. de Cambray (2); et il ne faut plus s'étonner si les actes de propre industrie sont supprimés : c'est une suite du principe, que la grâce actuelle nous instruit en particulier de tout ce que Dieu veut de nous à chaque occasion par sa volonté de bon plaisir. C'est ainsi manifestement, et de leur aveu, que sont mus

 

1 Inst. past., p. 8. — 2 Maxim., p. 217, Préf., n. 61, etc.

 

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et poussés nos faux mystiques : ils sont donc de purs fanatiques, et leur quiétisme est inexcusable.

 

VI. Quatrième point : la contemplation dont Jésus-Christ est exclu.

 

Les erreurs sur la contemplai ion ont trop de branches pour être expliquées en si peu de mots : tout se réduit néanmoins à peu près à ce seul principe, que « la contemplation directe ne s'attache volontairement qu'à l'être illimité et innommable (1) : » il faut doue être appliqué aux autres objets, et entre autres à Jésus -Christ même par une impulsion particulière, sans qu'on puisse s'y déterminer par son propre choix et par la bonté de la chose; de là vient qu'on n'y est pas toujours appliqué. Dieu tient les âmes parfaites dans cette privation en deux états d'une longueur indéterminée; dans les commencements de la contemplation, qui est celui de la vie parfaite, et dans les dernières épreuves, « elles sont alors privées de la vue simple et distincte de Jésus-Christ (2) ; » et comme l'auteur l'explique plus précisément, privées de Jésus-Christ présent par la foi (3) : mais si on le perd dans la haute et pure contemplation qu'il ravilirait par son humanité, on se sauve en le jetant dans les intervalles et lorsqu'elle cesse : voilà comme on traite Jésus-Christ. Le peu de principes qu'on vient de voir suffisent pour en convaincre ceux qui sont un peu exercés dans le raisonnement: mais dix pages de la Préface le prouveront si démonstrativement (4), que j'ose bien assurer qu'on n'y pourra pas répondre sans s'engager à de visibles absurdités.

 

VII. Trois autres erreurs.

 

Voilà donc les quatre erreurs principales et qui règnent dans tout le livre, démontrées en très-peu de mots. Le sage lecteur jugera s'il y a ou artifice, ou déguisement, ou faveur, ou autorité, ou effort qui puisse les faire passer dans l'Eglise. J'en dis

 

1 Maxim., p. 186, 187.— 2 Ibid., p. 194, etc.— 3 Ibid , p. 196.—  4 Préf., sect. v, n. 51 jusqu'à 60.

 

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autant de quelques autres aussi évidentes, qu'on trouve dans des endroits particuliers. Passera-t-on, par exemple , que la pure concupiscence, quoiqu'elle soit un sacrilège, devienne une préparation à la justice (1) ; et que l'espérance chrétienne soit rangée avec la cupidité qui est la racine de tous les vices (2)? Enfin passera-t-on dans l'Eglise, malgré l'autorité du concile vie, le trouble involontaire de la sainte âme de Jésus-Christ, que l'auteur n'ose avouer (3), sans néanmoins pouvoir se résoudre à l'abandonner tout à fait ? Souffrira-t-on jusqu'à cet excès dans un auteur, sous prétexte qu'il y aura des flatteurs qui lui auront montré, dans saint Thomas, que la passion de Jésus-Christ est involontaire? C'est une pure équivoque : l'involontaire de ce texte de saint Thomas (4), c'est-à-dire chose contraire à la volonté, et qui lui déplaît par elle-même, comme une médecine déplaît à celui qui veut guérir : et non pas un involontaire qui prévienne la volonté, qui est celui dont il s'agit, et que saint Thomas a rejeté si clairement dans le lieu même qu'on en cite (5).

 

VIII. Nul passage de l'Ecriture : pure et fausse métaphysique : seule objection tirée des Pères dans leurs trois états, combien aisément résolue.

 

Mais peut-être qu'on se peut trouver embarrassé des passages de l'Ecriture que l'auteur aura employés : au contraire une des preuves les plus manifestes contre la nouvelle spiritualité, c'est qu'on ne songe seulement pas à l'appuyer de l'Ecriture. Le peu qu'on en cite est un abus manifeste du texte sacré et une nouvelle preuve d'erreur ; ce qu'un quart d'heure de temps fera trouver démontré dans le quatrième écrit de ce recueil. On est étonné de voir l'Ecriture si abandonnée dans les livres, où l'on ne promet rien moins que de montrer la perfection du christianisme : l'on en voit trois de cette nature, les Maximes des saints, l'Instruction pastorale, et le petit livre contre le Summa doctrinœ. On met toute sa confiance en apparence dans la scolastique ; en effet dans

 

1 Max., p. 17. Inst. past., p. 15, n. 8. Préf., n. 47. — 2 Max. des Saints, p. 7, 8. Inst. past., p. 16. Préf. n. 48. — 3 Max. des Saints, p. 90, 122. Inst. past., p. 33, n. 10. Préf., n. 49. — 4 III, p., q. 15, art., 6, ad 4. — 5 Ibid., art. 4.

 

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une creuse métaphysique, qui destituée du fondement de la parole de Dieu n'est rien moins que la scolastique, c'est-à-dire la sainte parole réduite en méthode. Ce qu'on tire de plus vraisemblable de la doctrine des Pères, qui est la distinction de leurs trois états, est expliqué par principes dans une courte analyse (1), où l’on verra aisément si c'est ici une affaire obscure, où il soit si difficile de prendre parti.

 

IX. L'Ecole mal objectée par de fausses imputations dans le nouveau livre contre le Summa doctrinœ: quelle doctrine j'ai enseignée sur le précepte de la charité.

 

Pour embrouiller la matière et sans que j'y donne aucun sujet, on me fait accroire que par un profond artifice (per altas machinationes), par des détours captieux (captio), par des travaux souterrains (per cuniculos), j'ai machiné la ruine entière des notions communes de l'Ecole; et que je ne donne pour objet à la charité que la seule béatitude trouvée en Dieu même : c'est ce qu'on répète à toutes les pages du livret, qu'on a opposé à celui qui a pour titre : Summa doctrinae. Mais si l'auteur a oublié mes sentiments, qu'il sait bien en sa conscience que je n'ai jamais cachés à personne, qu'il lise dès l'origine de cette dispute mes Additions aux Etats d'oraison : il y trouvera partout que l'objet primitif de la charité, c'est l'excellence et la perfection de la nature divine (3). J'établis encore cette vérité, non point en passant, mais de propos délibéré et par conclusion expresse, dans le Summa doctrinœ (4), où l'on m'accuse de l'attaquer. Ce traité se trouve dans cette édition en latin et en français, et l'on verra en termes formels la perfection de Dieu en elle-même comme le motif primitif et spécifique de la charité, c'est-à-dire la contradictoire de la proposition que l'on m'impute.

Que si j'unis à ce motif principal les autres motifs très-considérables, mais toutefois subsidiaires et moins principaux, qui ont rapport à nous et à notre béatitude, je le fais d'après le précepte même de la charité, en exécution de ces mots : Aimez le Seigneur

 

1 Cinquième écrit, ci-dessous. — 2 Resp. ad libel. cui tit. Summa doct., p. 9, 15. — 3 Etats d'Orais., addi., n. 2, 3, 4, 5. — 4 Summa doct., n. 7, 8.

 

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votre Dieu, et des autres, que Ton peut voir dans ce petit livre dont on a voulu faire de si grandes plaintes.

Et néanmoins, pour mieux expliquer mes sentiments et leur parfaite conformité avec l'Ecole,je lésai fidèlement proposés dans le second écrit de ce livre Le quatrième écrit expose aussi la vérité du précepte de la charité, et des motifs qui l'animent (2). Un cinquième écrit, qui est très-court, achève de mettre au jour la vérité et la pureté de cette vertu, soutenue de tous les motifs et toujours désintéressée. Parce qu'on m'accuse de vouloir confondre la charité avec l'espérance, j'expose en deux pages (3), mais toutefois, je l'ose espérer, dans la dernière évidence, la différence radicale de ces deux vertus : quand je parle ici d'évidence, on comprend bien que j'entends celle de la chose, et non pas celle de mes expressions : on n'a pu me séparer de l'Ecole qu'en m’imputant tout le contraire de ce que je dis ; j'en ai suivi la doctrine in terminis, comme on parle, et selon qu'elle est exprimée par tous les docteurs.

Mais ce que je ne puis dissimuler, c'est qu'on abuse de cette doctrine pour surprendre les théologiens, et établir la dangereuse chimère d'un prétendu amour pur. L'amour pur et désintéressé que veut établir la théologie, c'est l'amour de la charité commune à tous les fidèles ; c'est celle-là dont il est écrit qu'elle ne cherche point ses intérêts (4) : elle a pour fin principale la gloire de Dieu : elle y rapporte la sienne; et finalement elle prétend être heureuse, afin que Dieu soit glorifié dans son amour si bienfaisant envers ses créatures. Apprenez aux chrétiens qui; c'est là notre commune obligation. Mais si vous allez au delà : si pour rendre la charité apparemment plus parfaite, vous la voulez désintéresser davantage et jusqu'au point d'abandonner notre salut propre, notre propre béatitude même rapportée à Dieu comme à sa dernière fin : c'est alors que je vous soutiens que ce prétendu amour pur dont vous faites un degré suréminent, n'est qu'une illusion, un amusement dangereux, et une entière subversion de la religion et de l'Evangile.

 

1 Deuxième écrit, ci-dessous, depuis le n. 5 jusqu'à la fin. — 2 Quatrième écrit, n. 2, 3, 4. — 3 Cinquième écrit, n. 12. — 4 I Cor., XIII, 5.

 

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On ne doit point souffrir, dans cette vie, un amour qui n'ait plus besoin de s'exciter par la considération des bienfaits de Dieu, passés, présents et futurs : un amour, qui pour exclure d'entre ses motifs tout rapport à nous, regarde comme étrangères au précepte de la charité ces paroles par où il commence : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu (1). La pratique même a expliqué le précepte ; et David ne répéterait pas si souvent ces paroles : O Dieu, mon Dieu : et encore : Que Dieu notre Dieu, que Dieu nous bénisse ; et encore : Je vous aimerai, ô Dieu qui êtes ma force, mon Dieu et mon secours ; s'il ne trouvait dans ces paroles, mon Dieu, un motif puissant de l'aimer comme celui qui veut être à nous en tant de manières. Ce même attrait lui fait dire avec une ardeur et une suavité que la charité peut inspirer seule : « Racontez de race en race que celui-ci est Dieu, notre Dieu éternellement, et il nous gouvernera aux siècles des siècles (2). » Dites maintenant que Dieu appartient à la charité, et que notre Dieu n’y appartient pas ; que nous gouverner, n'est pas un droit de son excellente et souveraine nature, et en même temps le principe de notre félicité. C'est d'ailleurs une vérité déterminée par le concile de Trente (3), que la vue de la récompense anime les plus parfaits, et qu'ils croient en avoir besoin, pour exciter un fond de langueur qui reste dans les plus grands saints durant cette vie. Le même concile a défini « qu'il faut proposer la vie éternelle comme récompense aux enfants de Dieu (4); » c'est-à-dire à ceux qui doivent aimer par état, et qui ont reçu l'esprit d'adoption, pour, en bannissant l'esprit de crainte et de servitude, recevoir celui d'amour et de liberté. Tout cela conclut que Dieu notre Dieu, en quelque sorte que ce soit, nous est un objet d'amour, et qu'on ne peut rayer d'entre les motifs d'aimer les paroles qu'on trouve à la tête de ce grand commandement.

 

1 Deut., VI, 4 ; Resp. ad Summam doct., p. 23. — 2 Psal., XLVII, 14,15.— 3 Sess. VI, cap. 11. — 4 Ibid., cap. 16.

 

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X. Article XIII d'Issy mal allégué : que saint Paul au chap. XIII de la première aux Cor. définit la charité commune à tous les fidèles.

 

On allègue, je ne sais pourquoi, l'article XIII d'Issy, où il est porté « que dans la vie et dans l'oraison la plus parfaite, tous ces actes, » de foi explicite, d'espérance et de pénitence, « sont unis dans la charité, en tant qu'elle anime toutes les vertus, et quelle en commande l'exercice, selon ce que dit saint Paul : La charité souffre tout, elle croit tout, elle espère tout, elle soutient tout (1). » Si l'on voulait inférer de là que ce soient là seulement des actes de perfection, et non pas des avantages communs et de communes obligations de la charité, l'erreur serait trop grossière. Saint Paul ne voulait pas définir en particulier la charité, comme elle est seulement dans les parfaits : toute charité est patiente, bénigne , non ambitieuse, non intéressée (2) ; toute charité demeure, pendant que les autres dons s'évanouissent, et ainsi du reste. On a mis dans les Articles d'Issy, que ces caractères de la charité se trouvent dans la vie et dans l'oraison la plus parfaite ; pour montrer le tort de ceux qui bannissent de cette oraison et de cette vie les actes particuliers des vertus ; et décider en même temps, comme il paraît par toute la suite, qu'ils ne s'en trouvent pas moins dans tous les états, même dans celui de perfection, pour y être réunis ensemble dans la charité. Qu'on me donne une charité qui ne soit pas douce, qui soit soupçonneuse, jalouse et impatiente, je consentirai que ces attributs donnés à la charité par saint Paul, n'appartiennent qu'aux parfaits : sinon , il faut avouer qu'on abuse de l'article XIII d'Issy, comme de saint Paul.

 

XI. Etrange doctrine de la Réponse au Summa doctrinœ sur le péché véniel, et sur le rapport à Dieu dans la charité justifiante.

 

Au reste on est convaincu par le dernier livre de M. l'archevêque de Cambray, où il combat le Summa doctrinœ, qu'il érige l'édifice du faux pur amour sur les ruines des obligations communes de la charité chrétienne. J'avais cru qu'il avait sauvé le

 

1 I Cor., XIII, 7 — 2 Ibid., 4, 5.

 

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principal devoir de la charité dans tous les fidèles, en disant que dès le quatrième état, qui est celui des justifiés, l’âme juste « aime principalement la gloire de Dieu, et qu'elle n'y cherche son propre bonheur, que comme un moyen qu'elle rapporte et qu'elle subordonne à la fin dernière, qui est la gloire de son créateur (1).» Voilà, disais-je, la précise obligation de rapporter son bonheur à Dieu, très-certainement établie dans la justice chrétienne : mais l'auteur, dont ces paroles incommodaient le système par d'autres endroits, nous déclare dans ce dernier livre qu'il n'entend ce nécessaire rapport qu'en habitude, et non pas en acte, habitu ; non actu (2).

Mais qu'est-ce encore que ce rapport en habitude, et non pas en acte? L'auteur croit le prendre de saint Thomas, à qui il fait dire contre sa pensée, « que ce rapport habituel se rencontre dans les actes mêmes par lesquels les justes pèchent véniellement : » voyez saint, Thomas : Habitualis illa relatio occurrit etiam in actibus justorum, quibus peccant venialiter (3). » Il répète la même chose plus précisément s'il se peut, en disant (4) « que les actes mêmes par lesquels on pèche véniellement, sont habituellement soumis à Dieu et subordonnés à la fin dernière ; » et il donne pour règle générale (5), « que toutes les affections naturelles et délibérées des justes seraient autant de péchés mortels, si elles n'étaient habituellement et implicitement subordonnées à la fin dernière : » ainsi il dit par trois fois, que l'acte du péché véniel est habituellement et implicitement rapporté à Dieu : et il dit que la charité du quatrième état y est rapportée de la même sorte : en quoi il commet trois fautes essentielles : l'une de donner pour règle que tout ce qui n'est pas habituellement et implicitement rapporté à Dieu est péché mortel : la seconde, qui est une suite de ce principe trompeur, que l'acte du péché véniel a ce rapport avec Dieu ; ce que personne n'a jamais pensé : la troisième et la plus étrange, que la charité justifiante n'a pas d'autre rapport avec Dieu, que celui qui convient à l'acte du péché véniel.

 

1 Summa doct., n. 9; Deuxième écrit, n. 15, 16, etc. Max. des Saints, p. 9. — 2 Resp. ad Summum doct., p. 49, ad 11, ob. — 3 Vid. S. Thom. I, II, q. 88, 11, 1. — 4 Resp. ad Summum doct., p. 62.— 5 P. 63.

 

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Il faut avouer que l'auteur met ses défenseurs à de terribles épreuves : aillant de fois qu'il écrit, il leur donne à soutenir de nouvelles erreurs : toutes aussi aisées à découvrir que l'importance en est évidente.

 

XII. Si c'est ici prévenir le jugement de l'Eglise, et faire de rudes censures.

 

Je m'attends qu'on m'objectera que je préviens le jugement du saint Siège ; c'est ce qu'on a déjà objecté à la Déclaration des trois évêques, que M. de Cambray appelle dans son dernier livre une censure ambitieuse et anticipée (1), faite au préjudice de l'autorité du saint Siège ; sans songer que c'était lui-même qui nous avait obliges à rendre ce témoignage de notre doctrine, qu'il faisait sans notre aveu conforme à la sienne. Il dit bien encore aujourd'hui dans le même livre, que j'enseigne « une doctrine suspecte, qui accuse d'impiété toute l'Ecole, et lui déclare la guerre (2). » Si la chose était véritable, je ne me fâcherais pas des paroles. On dira du moins que je trouve trop aisé ce qu'on pèse depuis si longtemps par un examen si sérieux ; comme si l'évidence de la chose au fond empêchait la maturité de la délibération; ou qu'il n'y ait pas toujours une tradition, qui précède les jugements de l'Eglise ; ou que ce soit les prévenir que de proposer, sans juger personne, la doctrine sur laquelle on ne doute point qu'ils ne soient fondés; ou qu'enfin ce soit être rude que de marquer les erreurs en paroles propres, qui aussi ne semblent faites qu'à cause qu'elles sont simples.

 

XIII. Qu'il faut aller à la source de la vérité.

 

Ce serait une autre extrémité, de ne pas approfondir les matières ou de n'aller pas à la source, à cause qu'on trouverait claires les eaux des ruisseaux. Il s'amasse des nuages autour du soleil, qui ne laisse pas de les dissiper, encore que le jour ne soit pas douteux. Parlons simplement et sans paraboles : il ne faut laisser aux nouveautés aucune espérance d'obscurcir la vérité

 

1 Resp. ad Summam, p. 71. — 2 Ibid., p. 53, ad 12 obj.

 

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par quelque endroit que ce puisse être. Vous allongez, dit-on, le procès. Oui, si Ton regarde nos écrits comme des pièces nécessaires à l'instruire ; mais on n'a pas cette vue : la nouvelle spiritualité accable l'Eglise de lettres éblouissantes , d'instructions pastorales, de réponses pleines d'erreurs : il faut qu'elle la trouve partout en armes, qu'on porte partout la lumière de la tradition et de l'Evangile.

Au reste ceux qui nous reprochent que nous prévenons le jugement du saint Siège, remplissent Home et la France de petits écrits qu'on trouve partout et que j'ai vus comme les autres, où, parce qu'ils n'espèrent pas de sauver le livre, ils donnent des vues aux examinateurs, et leur proposent la prohibition donec corrigatur : sans vouloir seulement entendre que ce livre étant un tissu de principes bons ou mauvais qui règnent partout, toutes les parties de l'ouvrage sont sujettes à un même sort.

 

XIV. Sur le nouveau dénouement de l'amour naturel et délibéré , proposé dans l’Instruction pastorale.

 

On demandera ce qu'il faut croire du nouveau système de l’ Instruction pastorale (1), et s'il est aisé d'entendre que ce dénouement ne peut être admis. Je réponds qu'il n'est pas aisé d'en relever toutes les erreurs, et qu'il y faut apporter du soin et de l'étude. Mais pour ce dénouement pris en lui-même, l'inconvénient en est manifeste, et la seule proposition lui donne une exclusion inévitable.

Il consiste à dire qu'il y a en nous, outre l'amour-propre vicieux et l'amour qu'on a pour soi-même par la charité, un certain amour naturel et délibéré de nous-mêmes, qui n'est de soi ni bon ni mauvais, mais seulement imparfait : et sur cela on prétend deux choses : l'une, que cet amour qui demeure pour l'ordinaire dans les imparfaits, y fait l'amour impur et mélange; au lieu que c'est l'exclusion, pour l'ordinaire, de ce même amour dans les parfaits, qui fait en eux l'amour pur : l'autre chose que l'auteur prétend, est que cet amour naturel et délibéré de nous-mêmes

 

1 Inst. past., n. 2 et 3. Préf., ci après, n. 4 et 5.

 

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est celui qu'il a entendu partout dans les Maximes des Saints sous le nom de l'intérêt propre.

Ce dénouement, sur lequel roule toute l’Instruction pastorale, s'évanouit de soi-même par la seule exposition des termes : ce qui se prouve premièrement par l’Instruction pastorale, et secondement par les propres termes du dernier livre de l'auteur.

On voit dans l’Instruction pastorale (1), que le sens de l'intérêt propre sur lequel M. de Cambray fait à présent tout rouler, n'est pas le seul qu'il ait suivi dans les Maximes des Saints; qu'il y a entendu quelquefois par ce terme tout avantage ou naturel ou surnaturel ; qu'il a changé ce sens, qu'il l'a quitté, qu'il l'a repris sans en avertir le lecteur, et qu'il n'a donné dans ce livre aucune explication ou définition de l'intérêt propre comme il l'entend aujourd'hui. A cela si l'on joint cette autre proposition du même prélat dans son Avertissement (2), que par une claire et rigoureuse définition de tous les termes dont il s'est servi, « il a réduit toutes ses expressions à un sens incontestable, qui ne puisse plus faire aucune équivoque ; » avec ce fondement de tout son discours on fait cette démonstration.

Le sens que l'auteur avoue une fois dans les Maximes des Saints doit régner partout, puisqu'il n'y a point d'équivoque dans ce livre : or est il que l'auteur avoue en quelques endroits le sens dont suivrait la destruction de son système ; et il n'a jamais averti qu'il le changeât, ni prévenu l'équivoque par aucune définition : on doit donc croire qu'il n'y en a point, et que son dénouement vient après coup.

 

XV. Seconde démonstration de la même chose par la Réponse au Summa.

 

Quelque facile que soit ce raisonnement, et quelque claires

qu'en soient toutes les parties, voici encore quelque chose de plus

décisif par la Réponse au Summa. L'auteur y dit que pour son

système, il n'a besoin que de ces deux choses (3): la première qu'on

lui accorde la définition de la charité qui est commune dans

1 Inst. past., n. 3. — 2 Max. des Saints, avert., p. 26.— 3 Resp. ad Summam, p. 7, 8.

 

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l'Ecole : la seconde qu'on lui accorde le XIIIe article d'Issy : or est-il que ces deux choses visiblement n'ont rien de commun avec l'amour naturel et délibéré. La définition de l'Ecole, c'est que la charité a pour son objet spécifique Dieu considéré en lui-même, sans rapport à nous : le XIIIe  article d'Issy se réduit à dire que la charité anime toutes les vertus : l'amour naturel n'entre point du tout dans ces deux choses, on n'y en fait aussi nulle mention ; on n'en fait, dis-je, nulle mention, ni dans la définition de l'Ecole, ni dans l'article d'Issy ; le passage de saint Paul dans la Première aux Corinthiens, chap. XIII, d'où il est tiré, n'en parle non plus ; il était donc inutile à expliquer l'amour pur dont il s'agissait, et on ne l'a inventé que pour embrouiller la matière, ou se sauver comme on pourrait par des équivoques.

 

XVI. Deux choses certaines sur les passages qui sont cités dans l'Instruction pastorale.

 

Il n'y a donc plus d'embarras que dans la discussion des passages particuliers dont l’Instruction pastorale est composée : celui-là est inévitable, et quiconque voudra entrer dans cet examen, doit se préparer à être fort attentif à cette lecture; mais en attendant qu'on fasse voir au nouvel auteur les caractères certains qui séparent d'avec sa doctrine les Pères qu'il cite, sans lui en laisser un seul, il sera aisé de s'assurer de deux choses : l’une que l'auteur dans toute son Instruction pastorale ne cite pas un seul passage de l'Ecriture pour son prétendu amour naturel, ni pour l'usage qu'il en fait : la seconde, que parmi tant de passages des Pères où il le veut établir, il ne cite rien où il soit compris, et ne le tire que par des conséquences que personne n'a jamais connues que ce seul prélat.

Il produit à la vérité au commencement de son livre un passage de saint Thomas, et un d'Estius (1), qu'il fait servir de fondement à tout son discours : j'avoue qu'il y est parlé d'un certain amour naturel de soi même, distingué de la charité, qui peut être bon et mauvais ; mais en lisant seulement ce qu'il cite de ces deux

 

1 Instr. past., n. 4.

 

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docteurs et sans un plus grand examen, on verra d'abord que cet amour n'étant ni délibéré, ni employé à la différence des parfaits et des imparfaits, ce n'est pas celui de l'auteur.

 

XVII. Moyen facile et décisif pour bien entendre saint François de Sales.

 

Je veux bien encore donner ici un moyen facile pour entendre quelques auteurs particuliers, par exemple saint François de Sales, un de ceux que l'on fait servir de fondement au système. Tout le dénouement de la doctrine de ce Saint consiste en trois passages décisifs : l'un est le chapitre de la résignation et de l'indifférence chrétienne dont M. l'archevêque de Cambray fait partout son fondement; mais qui se tourne contre lui, dès qu'il est constant par le titre et par tout le texte, qu'elles ne regardent que les événements de la vie et la dispensation des consolations et des sécheresses; sans avoir le moindre; rapport au salut, à la perfection, aux mérites, aux vertus, ni au désir ou naturel ou surnaturel que L'auteur prétend qu'on peut avoir ou n'avoir pas de toutes ces choses.

Le second passage est celui où l'on trouvera cette règle : « Il ne faut vouloir que Dieu absolument, invariablement, inviolablement ; mais les moyens de le servir, il ne les faut vouloir que faiblement et doucement, afin que si l'on nous empêche dans l'emplette d'iceux, nous ne soyons pas grandement secoués (1). »

On voit là manifestement ce que c'est que l'indifférence, et on écarte les fausses idées dont on tâche d'embarrasser nos esprits.

Le troisième passage, et lopins important de tous, est rapporté dans l’Instruction pastorale de M. l'archevêque de Paris ; et c'est là que saint François de Sales décide « que si, par imagination de chose impossible, il y avait une infinie bonté à laquelle nous n'eussions nulle sorte d'appartenance, nous l'estimerions certes plus que nous-mêmes ; mais à proprement parler nous ne l'aimerions pas : beaucoup moins pourrions-nous avoir la charité, puisque la charité est une amitié, ayant pour fondement la communication :

 

1 Amour de Dieu, liv. IX. ch. IV. — 2  Liv. III, Ep, 42. Ci-dessous, troisième écrit.

 

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ce que je dis pour certains esprits chimériques et vains (1) : » par où l'on voit l'estime qu'il fait de la fausse métaphysique, qui détache l'amour de Dieu du motif de la béatitude. On peut rapporter à cette fin l'endroit que nous avons allégué dons nos Etats d'oraison (2), où le Saint enseigne : « que la charité est une vraie amitié, c'est-à-dire un amour réciproque (3) : » ce qui montre l'erreur de ceux qui veulent dans la charité séparer l'amour de Dieu comme parfait, de l'amour de Dieu comme bienfaisant et béatifiant.

Il y a encore un petit mot, mais de grand poids, du saint évêque, lorsque expliquant ce qu'il dit souvent, qu'il ne faut aimer les vertus qu'à cause que Dieu les aime (4), il entend cette unique cause principalement, et non pas exclusivement ; ce qui lui fait dire (5) : « Aimons les vertus particulières, principalement parce qu'elles sont agréables à Dieu. Tant qu'on aura ce principe en vue, on ne s'étonnera pas de tout ce qu'enseigne le Saint sur la charité, comme étant la fin dernière et universelle de toutes les vertus; et on ne dira jamais, comme fait l'auteur, « qu'on ne veut aucune vertu en tant que vertu ; qu'on ne veut plus être vertueux; qu'on ne l'est jamais tant que quand on n'est plus attaché à l'être (6) : » et ce qui passe toute croyance, « que les saints mystiques ont exclu de l'état parfait les pratiques de vertu (7) : » propositions scandaleuses, dont aussi on ne trouve aucune apparence dans les ouvrages du saint évêque, quoiqu'on les ait tous remués pour y en découvrir quelque vestige.

 

XVIII. Doctrine importante en explication du Catéchisme du concile, et de la préface de ce livre.

 

Après avoir donné le moyen facile d'entendre les autres auteurs, il faut que je m'explique moi-même dans un endroit de ma Préface (8).

Il s'agit de faire connaître dans le Catéchisme du concile de Trente ceux dont on y parle ainsi : Amanter Deo serviunt, pretii

 

1 Amour de Dieu, liv. X, chap. X. — 2 Liv. VIII, n. 18. — 3 Amour de Dieu, liv. II ch. XXII. — 4 Ibid., liv. XI, ch. XIV. — 5 Ibid., liv. III, ch. XIV. — 6  Max. des Saints, p. 224, 225, 226.— 7 P. 253.— 8 Préf., n. 79, 80, 81. ci-après.

 

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causa quò amorem referunt (1) : « Ils servent Dieu avec amour, pour la récompense à laquelle ils rapportent leur amour. » Sur cet endroit du Catéchisme, j'ai bien montré que M. de Cambray l’a mal entendu (5) ; mais je ne l'ai pas moi-même assez expliqué.

Pour tout dire, il fallait marquer plus distinctement que l'Ecole reconnaît deux sortes d'amours : l'amour d'amitié, qui est la charité même, où l'on aime Dieu pour l'amour de lui ; et l'amour de concupiscence, où l'on veut l'avoir pour soi. Cela est certain; mais il y fallait ajouter que la plupart des théologiens subdivisent ce dernier amour, en amour de concupiscence, innocent et saint, où l'on désire seulement de posséder Dieu; et en amour de pure concupiscence, où l'on n'aime Dieu que pour sa propre utilité, comme on ferait un autre bien, et uniquement pour l'amour de la récompense. Ainsi à parler généralement, on pourrait reconnaître trois sortes d'amours : le premier est justifiant, puisque c'est la charité même qui, comme parle saint Augustin, est la véritable justice : le second, que l'Ecole appelle simplement de concupiscence, où l'on veut avoir Dieu comme récompense, est bon en soi, puisque c'est l'amour de l'espérance chrétienne ; mais il n'est pas justifiant, et de soi ne met pas un homme au rang des amis de Dieu : le troisième amour qu'on appelle de pure concupiscence, a cela de commun avec le second, qu'il n'est pas justifiant , mais il a cela de particulier, que ne regardant que la récompense pour en faire sa dernière fin au préjudice de la gloire de Dieu, il est vicieux et désordonné.

J'ai dit que l’amanter Deo serviunt : ils servent Dieu avec amour : dans le Catéchisme du concile, était de ce dernier genre, à cause de ces paroles : Propter pretium quò amorem referunt : ils servent Dieu à cause du prix où ils rapportent leur amour. Le mot de prix, pretium, ressent un bas intérêt, tel qu'on le voit dans les âmes serviles , qui veulent qu'un maître fâcheux se fasse servir, pour ainsi dire, l'argent à la main ; qui est ce qu'on appelle pretium. Ceux-là n'aiment pas Dieu véritablement, puisqu'au lieu de faire servir la récompense d'un maître pour s'exciter à l'aimer, tout leur amour se tourne à la récompense : c'était pourtant

 

1 Cat. conc. Trid., part. IV, de Orat. cap. XII, n. 27. — 2 Inst. past., p. VI,

 

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le style du temps, de dire qu'ils aimaient Dieu, à cause, comme je l'ai remarqué (1), que c'est aimer en quelque façon que de servir quelqu'un pour la récompense. J'ai prouvé ce style du temps et de l'Ecole par Sylvestre de Prière, par Sylvius, auxquels j'ajoute à présent Estius (2) qui parle de même ; et il n'en faut pas davantage pour bien expliquer le Catéchisme du concile. Ainsi M. de Cambray, qui veut que cet amour rapporté au prix, au paiement, soit un amour justifiant et de charité, ne suit ni les idées de l'Ecole, ni celles du Catéchisme qui en sont tirées, ni les siennes propres, et ne cherche qu'à trouver partout son prétendu amour pur du cinquième degré, qu'il ne peut trouver nulle part.

A l'endroit même du Catéchisme où il croit le voir, parce qu'il y est marqué « qu'une âme ne cherche Dieu que touchée par sa vertu et par sa boute : Nihil spectant nisi ejus virtutem atque bonitatem, » il ne prend pas garde à deux choses : la première, que cette bonté n'est pas seulement excellente, mais encore bienfaisante, et qu'elle renferme ces deux idées dans sa notion : la seconde, que ces âmes s'estiment « heureuses de pouvoir servir un Dieu si grand : Se beatos arbitrantes, quod ei suum officium prœstare possint. » Ce qui montre que bien éloignées de séparer la béatitude d'avec le pur et parfait amour, elles les joignent ensemble en termes formels.

Au reste il faut ici se souvenir que le dessein du Catéchisme est de nous représenter, dans tous ces endroits, non pas un prétendu amour pur, qui se détache entièrement de la béatitude, mais la charité elle-même, qui par sa nature, en tous les sujets où elle est, la rapporte à la gloire de Dieu comme à sa dernière fin. Il ne faut pas imaginer pour cela qu'il y ait deux fins dernières, dont l'une soit la béatitude et l'autre Dieu même. La jouissance de Dieu par la vision bienheureuse et par l'amour immuable qui fait notre béatitude, sans doute se rapporte à Dieu comme à son objet béatifiant : c'est pourquoi Dieu est appelé la béatitude objective, et la jouissance de Dieu est appelée la béatitude formelle : celle-ci en un sens se rapporte à l'autre comme à sa dernière fin ;

 

1 Préf., ibid. — 2 « Culpanda talis dilectio Dei propter indebitum finem quo vitiatur, » in I. dist.., 1, p. 3.

 

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et cependant en un autre sens, toute l'Ecole est d'accord, après saint Thomas , qu'elles ne font toutes deux ensemble qu'une seule et même fin, qu'une seule et même béatitude : de même que la lumière, qui fait, pour ainsi parler, la félicité des yeux, ne les pouvant rendre heureux qu'à cause qu'elle est aperçue, il se fait de la perception et de la lumière un seul et même bonheur de l'œil qui la voit.

Avec ces explications du langage de l'Ecole, que j'ai crues nécessaires au lecteur, afin qu'il ne fût point arrêté lorsqu'il le rencontrerait en son chemin, j'espère qu'on ne trouvera aucun embarras dans cette Préface. Pour ceux qui voudraient que dans le n° 80 j'eusse marqué davantage la distinction de l'amour de concupiscence innocent, et de l'amour déréglé de pure concupiscence, ils voient bien par l'explication qu'ils viennent d'entendre, que je suis de leur avis, puisque assurément, si je ne croyais avoir failli en ce lieu, je ne travaillerais pas à réparer cette faute. Elle serait plus grande, si je n'avais pas expliqué ailleurs ce qui manque ici ; quoi qu'il en soit, je ne demande qu'à me corriger : heureux de pouvoir donner ces petits exemples à ceux qui seraient capables de m'en donner de plus grands.

 

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