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PREMIER ÉCRIT OU MÉMOIRE
DE M. L'ÉVÊQUE DE MEAUX
A M. L'ARCHEVÊQUE DE CAMBRAY

 

Envoyé par les mains de M. l'archevêque de Paris, le lundi 15 de Juillet  I697.

 

PREMIER ÉCRIT OU MÉMOIRE  DE M. L'ÉVÊQUE DE MEAUX  A M. L'ARCHEVÊQUE DE CAMBRAY;

AVERTISSEMENT.

I. — Que notre conscience ne nous permet pas de nous taire sur le livre intitulé, Explication des Maximes, etc.

II. — Que dans l'état où sont les choses, on n'a plus besoin de s'expliquer davantage avec l'auteur sur les difficultés de son livre.

III. — Abrégé des principales difficultés que nous trouvons dans le livre.

IV. — Sur les explications.

V. — Argument de l'auteur pour faire recevoir son explication.

VI. — Sur les demandes que fait l'auteur à M. de Meaux.

RÉFLEXIONS SUR LE MÉMOIRE PRÉCÉDENT:

 

AVERTISSEMENT.

 

Il y a, dit le Sage (1), le temps de se taire et le temps de parler : comme on passe de l'un à l'autre ; et du silence que la charité impose, à la déclaration nette et précise que demande la vérité, plusieurs ne l'entendent pas ou ne veulent pas l'entendre. Ils veulent qu'on cherche toujours, même dans les affaires de la foi, des ménagements politiques, des excuses, des tempéraments; et sont ordinairement pour ceux qui se plaignent. C'est pour ceux-là qu'on est obligé de publier ces écrits. Il faut que les ministres de Jésus-Christ, qui sont appelés à la défense de la vérité, pour l'honneur de la cause qu'ils soutiennent, aient raison dans le procédé comme dans le fond. La Déclaration qu'on a publiée, justifie assez que les évêques, qui se sont opposés au livre qui a pour titre: Explication des Maximes des Saints, etc., avoient raison dans le fond de la doctrine. Il est temps maintenant de montrer que la raison n'est pas moins pour eux dans la manière d'agir. La chose parlera d'elle-même : et pour ne rien dire que ce que demande la seule nécessité, dans une matière où l'on ne parle qu'à regret ; sans préparer le lecteur par un long avertissement,

 

1 Eccl., III, 8.

 

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ni lui expliquer davantage ce qu'on réservait à la conférence proposée, on lui présente d'abord ce premier mémoire, dans toute la simplicité où il fut produit, lorsque sans étude, sans dessein de le publier, et de l'abondance du cœur, il partit pour attirer seulement des entretiens, d'où l'on espérait un entier éclaircissement de la vérité.

 

I. — Que notre conscience ne nous permet pas de nous taire sur le livre intitulé, Explication des Maximes, etc.

 

L'auteur a déclaré dès son avertissement, pag. 16, « que deux grands prélats (1) l’ayant donné au public XXXIV propositions, qui contiennent en substance toute la doctrine des voies intérieures, il ne prétendait dans cet ouvrage qu'en expliquer les principes avec plus d'étendue. »

Si au lieu d'expliquer ces principes, il les détruit, et que la doctrine qu'il enseigne soit mauvaise, ces prélats qu'il appelle ainsi comme en garantie à la tête de son livre, sont indispensablement obligés à parler, à moins de vouloir que toute l'Eglise leur impute cette mauvaise doctrine, et se déclarer prévaricateurs de leur ministère.

Pendant qu'ils étaient occupés d'un travail si nécessaire, M. l'archevêque de Cambray a écrit au Pape pour la défense et en partie pour l'explication de son livre : il déclare de nouveau dans sa lettre, qu'il n'a fait que suivre les XXXIV Articles de ces évêques, et la commence en disant à Sa Sainteté qu'il les a posés pour fondement.

Il pose aussi pour fondement de la condamnation de quelques endroits (quaedam loca) de quelques libelles, les censures de trois évêques, c'est-à-dire celle de M. l'archevêque de Paris, celle de l'évêque de Chartres (2), et la mienne.

Après avoir exposé dans la même lettre sept articles où il a paru vouloir réduire toute sa doctrine, il conclut en disant : hactenùs omnia XXXIV Articulis episcoporum consona.

 

1 M. de Paris, alors évêque de Châlons, et M. de Meaux.

2 M. de Chartres , dans le diocèse duquel le mal avait commencé de se déclarer, comme ou sait.

 

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Il paraît donc de plus en plus qu'il veut s'appuyer du sentiment de ces évêques, et il en porte la déclaration jusqu'aux oreilles du Pape, qui par là aurait sujet de les envelopper dans la condamnation d'un livre qui a scandalisé toute l'Eglise, s'ils ne faisaient voir qu'ils en improuvent la doctrine, et ne portaient cette déclaration partout où l'on a porté la doctrine même.

 

II. — Que dans l'état où sont les choses, on n'a plus besoin de s'expliquer davantage avec l'auteur sur les difficultés de son livre.

 

Il est vrai pourtant que la charité et l'amitié les obligeaient à s'expliquer à l'amiable avec l'auteur, avant que de déclarer leur sentiment au public; et c'est aussi pour cela qu'ils ont rédigé par écrit les propositions qu'ils ont jugées dignes de censures, dans le dessein de les lui communiquer, s'étant fait une loi inviolable de ne les faire voir auparavant à qui que ce soit. Mais la lettre de l'auteur au Pape les obligeait à prendre une voie plus courte, et où aussi on s'explique plus précisément, qui est celle de la conférence de vive voix.

Cette voie, cpù a toujours élé pratiquée en cas semblable, a été proposée à M. de Cambray par M. de Paris : et sur le refus perpétuel qu'il a fait de vouloir conférer avec moi, ce prélat lui a déclaré, à ma très-humble prière, que je lui demandois en mon nom particulier cette conférence avec nous trois, dans le désir que j'avais de recevoir ses instructions, et avec une ferme espérance que la manifestation de la vérité serait le fruit de ces entretiens, pourvu que nous y apportassions toutes les dispositions nécessaires, qui sont l'amour de la vérité, la charité et la paix.

Je n'ai jamais douté que je ne trouvasse ces dispositions dans M. de Cambray, et je ne sais pourquoi il n'a pas voulu croire qu'il les trouverait en moi. Il sait que depuis trente ans, par la disposition de la divine Providence, je suis accoutumé à des conférences importantes sur la religion, sans que par la grâce de Dieu, on se soit jamais plaint que j'y aie porté des dispositions contentieuses, ni que j'y aie passé au delà des bornes de la charité et de la bienséance : ce qu'ayant toujours gardé avec des

 

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hérétiques et des ministres, avec combien plus de religion et de respect me serais-je contenu avec un confrère, avec un ami, si accoutumé à entendre ma voix, comme j'étais de ma part si accoutumé à la sienne !

Dieu, sous les yeux de qui j'écris, sait avec quel gémissement je lui ai porté ma triste plainte, sur ce qu'un ami de tant d'années me jugeait indigne de traiter avec moi, comme nous avions toujours fait, de la religion, dans une matière où l'intérêt de l'Eglise demandait notre union plus que jamais. Hélas ! j'avais traité si aimablement avec lui des raisons de réprouver certains ouvrages, et de se défier du moins d'une certaine personne ; et il peut se souvenir qu'en cette occasion, comme en quelques autres qui ont suivi, je n'ai pas élevé la voix d'un demi-ton seulement.

Quoi qu'il en soit, et en imputant seulement à mes péchés l'éloignement qu'un tel ami a marqué de moi, je me consolais de voir les conférences journalières qu'il avait avec M. de Paris et M. de Chartres, par lesquelles il apprenait les communs sentiments de tous les trois.

Ces prélats les lui ont donnés en toutes les manières qu'il a désirées ; et M. de Paris nous a dit souvent qu'il n'ignorait rien, puisque outre la vive voix il lui avait laissé sur ce sujet plusieurs mémoires par écrit.

M. de Chartres pareillement lui a proposé nos communes difficultés, et même par écrit quelques-unes des principales, s'étant expliqué amplement, et ayant reçu aussi d'amples réponses.

On lui a aussi mis en main deux mémoires très-amples de M. l'abbé Pirot, où sont toutes les difficultés, et une partie des preuves.

Pour moi, qu'on jugeait seul indigne d'être écouté, et qui pourtant n'ai jamais rien tant souhaité, que d'ouvrir, comme j'avais fait durant tant d'années sur cette même matière, le fond de mon cœur à un prélat que je porte, Dieu le sait, dans mes entrailles : je n'ai cessé de demander quelques conférences, au péril d'être déclaré ennemi de la paix, si elles n'étaient de mon côté amiables et respectueuses.

En attendant qu'il plaise à M. de Cambray de se radoucir

 

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vers un ami de toute la vie, qui pour avoir dit la vérité lorsqu'il n'y avait plus moyen de la taire, n'en a pas moins gardé la paix au fond de son cœur ; je me contente de dire que ce cher auteur n'a aucun sujet de se plaindre qu'il ignore mes difficultés sur sa doctrine, puisqu'elles me sont communes avec les prélats qui ont été assez heureux pour pouvoir communiquer avec lui par écrit et de vive voix : ce qui a produit les explications qu'à la fin il a bien voulu me communiquer par écrit, et sur lesquelles il a reçu de nouveau de très-amples éclaircissements de M. Chartres.

 

III. — Abrégé des principales difficultés que nous trouvons dans le livre.

 

Encore qu'il soit si clair par les remarques précédentes, que l'auteur est très-informé des difficultés que nous trouvons dans son livre, je ne laisserai pas, puisqu'il se plaint de mon silence, de lui en proposer les principales en abrégé, à commencer par son avertissement.

Nous nous plaignons donc à lui-même de ce qu'il y dit :

I. « Que toutes les voies intérieures tendent à l'amour pur et désintéressé : que cet amour pur est le plus haut degré de la perfection chrétienne : qu'il est le terme de toutes les voies que les saints ont connues, etc. (1) ; » et néanmoins :

II. « Qu'il fallait garder le silence sur cette matière, de peur d'exciter trop la curiosité du public (2) : » et que ce qui oblige l'auteur à parler, c'est que « cette curiosité est devenue universelle.»

A cela revient ce qui est porté dans le livre :

III. Que « la doctrine (de l'exercice du pur amour) est la pure et simple perfection de l'Evangile (3) : » et néanmoins :

IV. « Que les pasteurs et les saints de tous les temps ont eu une espèce d'économie et de secret pour n'en parler qu'aux aines a qui Dieu en donnait déjà l'attrait et la lumière (4) : » à quoi revient encore ce qui est répandu par tout le livre :

V. « Que, pour y parvenir (au pur amour), on n'a besoin d'aucune lumière que de celle de la foi même qui est commune à tous

 

1 Avert., p. 16, 23. Art. 7. p. 64. — 2 Avert., p. 4. — 3 Art. 44, p. 261. — 4 Ibid.

 

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les chrétiens, et de l'inspiration qui est commune à tous les justes (1) : » à l'exclusion « de toute inspiration miraculeuse et extraordinaire (2) : » et néanmoins :

VI. « Que la plupart des saintes âmes » sont si éloignées de la perfection, qu'il est inutile et indiscret de leur proposer un amour plus élevé (3). »

VII. « Qu'elles n'y peuvent atteindre, parce qu'elles n'en ont ni la lumière intérieure, ni l'attrait de grâce (4) : ce qui fait avouer :

VIII. « Qu'il y a dans tous les siècles un grand nombre de saints (expression qui emporte même les Saints dont on célèbre la mémoire dans l'Eglise) qui n'arrivent jamais à cette perfection et pureté d'amour en cette vie (5) : » d'où l'on infère :

IX. « Que dans la direction des âmes il faut se borner à laisser faire Dieu, et ne parler jamais du pur amour, que quand Dieu par l'onction intérieure commence à ouvrir le cœur à cette parole, qui est si dure aux âmes encore attachées à elles-mêmes, et si capable ou de les scandaliser ou de les jeter dans le trouble (6) : » d'où il s'ensuit, au grand opprobre de la vocation chrétienne :

X. Que la perfection de l'Evangile est un secret dont il faut faire mystère, non-seulement au commun des justes, mais encore aux saints : que cette doctrine les scandalise et les jette dans le trouble : qu'ils sont au rang des âmes encore attachées à elles-mêmes (7) , et qu'ils n'est pas permis de leur proposer l'accomplissement du précepte : Diliges, etc. : Vous aimerez de tout votre cœur, etc., ni de cette parole de l'Evangile : Soyez parfaits, etc.

Comme on met la contemplation ou oraison passive dans ce pur amour (8), où tout le monde et même des Saints ne sont pas appelés : il s'ensuit encore :

XI. Que lorsqu'on fait passer une âme de la méditation discursive à la contemplation (9), c'est lui dire qu'elle est élevée et encore par état à la plus haute perfection, et au-dessus des Saints qu'on honore d'un culte public : ce qui précipite les âmes dans la présomption qui les perd.

 

1 Art. 7, p. 64, 67. 150, etc. — 2 P. 65, 199, 201, 210, 212 , etc. — 3 Art. 3, p. 34.— 4 Ibid. — 5 Ibid. — 6 Art. 3, p. 35. — 7 Art 3, p. 35. — 8 P. 271, etc. — 9 P. 170, 171, etc.

 

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Si nous passons de  l’Avertissement, et des propositions du livre qui y ont rapport à celles du livre même, nous trouvons d'abord et dès les premières définitions :

XII. Que l'amour d'espérance est tel, que le motif de notre propre intérêt (ce qui est une chose créée) est son motif principal et dominant (1) : ce qui le rend vicieux et désordonné, en sorte que l'espérance, vertu théologale, qui se trouve dans les fidèles hors de l'état de grâce, est vicieuse : ce que l'auteur assure encore plus précisément dans cette proposition, où parlant de l'état d'une âme qui n'a encore qu'un amour d'espérance (2), il y applique ce principe de saint Augustin :

XIII. « Que tout ce qui ne vient pas du principe de la charité, vient de la cupidité et de cet amour, unique racine de tous les vices, que la jalousie de Dieu attaque en nous (3) : » à quoi revient :

XIV. « Que l'amour, dans lequel le motif de notre propre bonheur prévaut encore sur celui de la gloire de Dieu, est nommé l'amour d'espérance (4) : » où il faut remarquer en particulier, que le motif de notre bonheur est celui qu'on veut éloigner, et que c'est là ce qu'on appelle partout l'intérêt propre : surtout aux pages 10, 11, 15, U, 46, 57, 135, etc.

Toutes les propositions précédentes sont autant d'erreurs dans la foi. On ajoute :

XV. « Qu'on donnera à cet amour mélangé (5) ( qui est pourtant un amour de charité dominante ) et où l’âme ne cherche son bonheur propre que comme un moyen qu'elle rapporté et qu'elle subordonne à la fin dernière, qui est la gloire du Créateur : on lui donnera, dit l'auteur (6), le nom d'amour intéressé :» ce qui dégrade un amour si pur, et en même temps est contraire au langage de toute la théologie, formé sur celui de saint Paul, lorsqu'il dit que « la charité ne cherche point son propre intérêt (7). »

XVI. « Qu'on peut aimer d'un amour qui est une charité pure, et sans mélange du motif de l'intérêt propre (8) : » ce qui emporte

 

1 Expos. des div. Amours, p. 4, 5. — 2 P. 7, 8. — 3 Ibid. — 4 P. 14. — 5 P. 15. — 6 Expos., des div. Am., p. 9. — 7 I Cor., XIII, 5. — 8 Expos. des div. Am., p. 10, 11, 57, 135.

 

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l'exclusion de ce motif, et en même temps de celui de la crainte et de l'espérance, en disant :

XVII. « Que ni la crainte des châtiments ni le désir des récompenses n'ont plus de part à cet amour (1) : » ce qui revient aux endroits où le motif de la crainte, qui est la peine, est exclu en égalité avec celui de l'espérance, qui est la béatitude. Comme si saint Jean, qui a dit que la parfaite charité bannit la crainte (2), avait dit aussi qu'elle bannit l'espérance ou, ce qui est la même chose, son motif.

XVIII. « Que l'amour pour Dieu seul, considéré en lui-même et sans aucun mélange de motif intéressé ni de crainte ni d'espérance, est le pur amours (3) » à quoi revient l'amour « sans aucune idée qui soit relative à nous (4). »

On remarquera ici une fois pour toutes, qu'en effet il n'y a rien au-dessus de l'amour du quatrième degré de l'auteur, « où l'on ne cherche son propre bonheur, que comme un moyen qu'on rapporte et qu'on subordonne à Dieu (5); » il n'y a, dis-je, rien au-dessus de cet amour, que l'exclusion entière par état du motif qu'on nomme intéressé, qui est, comme on a vu, le propre bonheur.

XIX. « Que ce n'est plus le motif de son propre intérêt qui excite l’âme (6) : » ce qui montre que le motif de la récompense n'est plus un motif, puisqu'il cesse d'exciter : à quoi reviennent les passages des pages 10, 11, 21, 22, 23, 20, 27, 28, 29, 40, 44, qui est contradictoire, in terminis, avec 52 et 54. Il y faut joindre ce qui regarde la résignation et l'indifférence, pages 22, 40, 50, 51, 135, etc., passages que je tranche légèrement, parce que M. de Chartres les a traités.

Toutes ces propositions depuis la XVIe sont contre la foi, en tant qu'elles excluent l'espérance, en lui ôtant la vertu d'être le motif de nos actions, et contre toute la théologie, en lui ôtant d'être le motif puissant et véritable, quoique second et moins principal, de l'amour divin.

XX. « Que l'amour de pure concupiscence, où l'on ne regarderait

 

1 P. 15, 23, 24, 38, 102, etc. — 2 Joan., IV, 18. — 3 Expos. des div. Am., p. 15. — 4 P. 42. — 5 P. 9. — P. 12.

 

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Dieu que pour le seul intérêt de son bonheur, serait indigne de Dieu, un .amour sacrilège, une impiété sans pareille, et plutôt un amour mercenaire qu'un amour de Dieu (1) : » et néanmoins dans la même page, « il peut bien préparer à la justice et à la conversion des âmes pécheresses; » contre la foi de l'Eglise si clairement expliquée dans le concile de Trente (2), que toute préparation à la grâce justifiante est un don et un effet de la grâce.

XXI. « Que les motifs intéressés sont répandus dans toute l'Ecriture, dans toute la tradition, dans toutes les prières de l'Eglise (3) : » et néanmoins « qu'il y a des âmes qu'il faut détacher de cet intérêt ; » ce qui est répété page 36; en sorte que l'Ecriture, les principaux monuments de la tradition, et les prières de l'Eglise ne seraient que pour les imparfaits; ce qui est d'autant plus véritable, que, comme on dira dans la suite, on ne peut alléguer aucun passage pour ce prétendu détachement où l'on met la perfection.

XXII. « Qu'on ne veut la béatitude que par pure conformité à la volonté de Dieu (4). » Ce qui revient à ce qu'on a dit ailleurs, « qu'on ne la veut qu'à cause qu'on sait que Dieu la veut (5) : » ce qui met la béatitude au rang des choses indifférentes, qui ne sont bonnes que comme voulues, et non voulues comme bonnes: par où l'on induit les âmes à l'indifférence du salut, dont on réduit le désir en proposition équivoque (6).

XXIII. « Que parler ainsi (ôter la force et la raison de motif à l'espérance ), c'est conserver la distinction des vertus théologales (7) » (quoiqu'on n'en conserve que le nom, puisque le motif d'une d'elles, c'est-à-dire de l'espérance, n'agit plus, n'influe plus, ne meut plus) : « et que c'est par conséquent ne se départir en rien de la doctrine du concile de Trente (8). »

Le mal est de dire qu'en supprimant l'espérance comme motif, on ne se départe pas de la doctrine du concile de Trente : mais au contraire c'est s'en départir formellement, puisque ce concile suppose que les plus parfaits, comme David et Moïse, agissent en

 

1 Expos. des div. Am., p. 16, 17, 20, 21. — 2 Sess. VI, cap. VI, can. 1, 2, 3, 4. — 3 P. 83,84.— 4 P. 42, 45.— 5 P. 20, 27. — 6 P. 54, 55, 56, 57.— 7 Exp. des div. Am., p. 46. — 8 P. 47.

 

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l'exclusion de ce motif, et en même temps de celui de la crainte et de l'espérance, en disant :

XVII. « Que ni la crainte des châtiments ni le désir des récompenses n'ont plus de part à cet amour (1) : » ce qui revient aux endroits où le motif de la crainte, qui est la peine, est exclu en égalité avec celui de l'espérance, qui est la béatitude. Comme si saint Jean, qui a dit que la parfaite charité bannit la crainte (2), avait dit aussi qu'elle bannit l'espérance ou, ce qui est la même chose, son motif.

XVIII. « Que l'amour pour Dieu seul, considéré en lui-même et sans aucun mélange de motif intéressé ni de crainte ni d'espérance, est le pur amour (3) : » à quoi revient l'amour « sans aucune idée qui soit relative à nous (4). »

On remarquera ici une fois pour toutes, qu'en effet il n'y a rien au-dessus de l'amour du quatrième degré de l'auteur, « où l'on ne cherche son propre bonheur, que comme un moyen qu'on rapporte et qu'on subordonne à Dieu (5) ; » il n'y a, dis-je, rien au-dessus de cet amour, que l'exclusion entière par état du motif qu'on nomme intéressé, qui est, comme on a vu, le propre bonheur.

XIX. « Que ce n'est plus le motif de son propre intérêt qui excite l’âme6 : » ce qui montre que le motif de la récompense n'est plus un motif, puisqu'il cesse d'exciter : à quoi reviennent les passages des pages 10, 11, 21, 22, 23, 20, 27, 28, 29 , 40 , 41, qui est contradictoire, in terminis, avec 52 et 51. Il y faut joindre ce qui regarde la résignation et l'indifférence, pages 22, 49, 50, 51, 135, etc., passages que je tranche légèrement, parce que M. de Chartres les a traités.

Toutes ces propositions depuis la XVIe sont contre la foi, en tant qu'elles excluent l'espérance, en lui ôtant la vertu d'être le motif de nos actions, et contre toute la théologie, en lui ôtant d'être le motif puissant et véritable, quoique second et moins principal, de l'amour divin.

XX. « Que l'amour de pure concupiscence, où l'on ne regarderait

 

1 P. 15, 23, 24, 38, 102, etc. — 2 I Joan., IV, 18. — 3 Expos. des div. Am., p. 15. —  4 P. 42. — 5 P. 9. — 6 P. 12.

 

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Dieu que pour le seul intérêt de son bonheur, serait indigne de Dieu, un amour sacrilège, une impiété sans pareille, et plutôt un amour mercenaire qu'un amour de Dieu (1) : » et néanmoins dans la même page, « il peut bien préparer à la justice et à la conversion des âmes pécheresses; » contre la foi de l'Eglise si clairement expliquée dans le concile de Trente (2), que toute préparation à la grâce justifiante est un don et un effet de la grâce.

XXI. « Que les motifs intéressés sont répandus dans toute l'Ecriture, dans toute la tradition, dans toutes les prières de l'Eglise (3) : » et néanmoins « qu'il y a des âmes qu'il faut détacher de cet intérêt; » ce qui est répété page 36; en sorte que l'Ecriture, les principaux monuments de la tradition, et les prières de l'Eglise ne seraient que pour les imparfaits; ce qui est d'autant plus véritable, que, comme on dira dans la suite, on ne peut alléguer aucun passage pour ce prétendu détachement où l'on met la perfection.

XXII. « Qu'on ne veut la béatitude que par pure conformité à la volonté de Dieu (4) » Ce qui revient à ce qu'on a dit ailleurs, « qu'on ne la veut qu'à cause qu'on sait que Dieu la veut (5) : » ce qui met la béatitude au rang des choses indifférentes, qui ne sont bonnes que comme voulues, et non voulues comme bonnes : par où l'on induit les âmes à l’indifférence du salut, dont on réduit le désir en proposition équivoque (6).

XXIII. « Que parler ainsi (ôter la force et la raison de motif à l'espérance ), c'est conserver la distinction des vertus théologales (7) » (quoiqu'on n'en conserve que le nom, puisque le motif d'une d'elles, c'est-à-dire de l'espérance, n'agit plus, n'influe plus, ne meut plus ) : « et que c'est par conséquent ne se départir en rien de la doctrine du concile de Trente (8). »

Le mal est de dire qu'en supprimant l'espérance comme motif, on ne se départe pas de la doctrine du concile de Trente : mais au contraire c'est s'en départir formellement, puisque ce concile suppose que les plus parfaits, comme David et Moïse, agissent en

 

1 Expos. des div. Am., p. 16, 17, 20, 21. — 2 Sess. VI, cap. VI, can. 1, 2, 3, 4, — 3 P. 33, 34. — 4 P. 42, 45.—5P. 26, 27. — 5 P. 54, 55, 56, 57.— 7 Exp. des div. Am., p. 46. — 8 P. 47.

 

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vue de la récompense, intuitu mercedis œternœ (1) : et que l'auteur au contraire veut que les parfaits n'agissent plus en cette vue, comme on vient de voir, propositions 16 et 17.

XXIV. « La sainte indifférence admet des désirs généraux pour toutes les volontés de Dieu que nous ne connaissons pas (2). » Elle en admet donc pour les décrets de notre réprobation et de celle des autres : ce qui étant très-mauvais de soi, a d étranges effets dans la suite.

XXV. « Qu'il ne faut jamais prévenir la grâce, ni rien attendre de soi-même, de son industrie, de son propre effort (3) : » ce qui induit à toujours attendre, sans s'exciter comme de soi-même : Opération où l'auteur ne forme difficulté sur difficulté, et ne fait restriction sur restriction (4), que pour la rendre dangereuse et impossible, et par là induire tout le quiétisme, c'est-à-dire un pur tenter Dieu, et une attente oisive des mouvements de la grâce.

XXVI. « Que les actes directs sont l'opération que saint François de Sales nomme la pointe de l'esprit ou la cime de l’âme (5). »

XXVII. « Que les sacrifices que les âmes les plus désintéressées font d'ordinaire sur leur béatitude éternelle, sont conditionnels (6). » Ainsi ce qu'on sacrifie, c'est la propre béatitude éternelle, et non autre chose : mais en marquant que ces sacrifices d'ordinaire sont conditionnels, on suppose que quelquefois il y en a d'absolus : ce qui revient à ce qu'on ajoute, « que ce sacrifice est en quelque manière absolu. »

XXVIII. « Qu'une âme peut être invinciblement persuadée d'une persuasion réfléchie, et qui n'est pas le fond intime de la conscience, qu'elle est justement réprouvée de Dieu, et que c'est ainsi que saint François de Sales se trouva dans l'église de Saint-Etienne-des-Grès (7). » Sans avouer le fait de saint François de Sales sur sa réprobation, il me suffit de remarquer que c'est donc d'une véritable réprobation et de l'attente d'un vrai enfer qu'il s'agit.

XXIX. « Qu'il n'est pas question de lui dire alors le dogme

 

1 Sess. VI, cap. XI. — 2 P. 61. — 3  P. 68, 69, 97, 98. — 4 P. 99, 100.— 5 Exp. des div. Am., p. 82, 87, 90, 91, 118, 122. — 6 P. 87. — 7 p. 87, 88.

 

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précis de la foi sur la volonté de Dieu de sauver tous les hommes (1); » par où il paraît toujours qu'il s'agit du véritable salut.

XXX. « Que dans ce trouble involontaire et invincible, rien ne peut la rassurer, ni lui découvrir ce que Dieu lui cache (2) ; » qui est sa justice, qu'elle croit avoir perdue pour jamais, selon l'auteur, et par conséquent être véritablement damnée.

XXXI. « Que c'est alors que divisée d'avec elle-même, elle expire sur la croix avec Jésus-Christ, en disant : O Dieu, mon Dieu, pourquoi, etc. (3). »

XXXII. Que l’âme qui parle ainsi avec Jésus-Christ (chose abominable), «a une impression involontaire de désespoir, et qu'elle fait le sacrifice absolu de son intérêt propre (qui est son salut)

pour l'éternité (4). »

XXXIII. « Que le cas impossible (qui est que Dieu damne une âme innocenta) lui paraît possible et actuel : qu'il n'est pas question de raisonner avec cette âme, qui est incapable de tout raisonnement (5). »

XXXIV. Que ce qui l'empêche de raisonner, c'est une conviction qui n'est pas intime, qui n'est qu'apparente, mais néanmoins invincible (6). »

XXXV. « Qu'en cet état l’âme ne perd jamais dans la partie supérieure, c'est-à-dire dans ses actes directs et intimes, l'espérance parfaite (7) : » de sorte qu'elle a tout ensemble l'espérance et le désespoir : l'une, dans l'acte direct qu'on prend pour la haute partie (8); et l'autre, dans l'acte réfléchi qu'on prend pour la basse: ce qui a les conséquences affreuses désavouées par l'auteur (9), mais dont il pose le principe.

XXXVI. « Qu'un directeur peut alors laisser faire un acquiescement simple à la perte de son intérêt propre , et à la condamnation juste où elle croit être de la part de Dieu, (10). » Ainsi il ne faut point ici pallier une doctrine qui fait horreur, et où l'on ne peut entendre qu'un jugement à toute rigueur, qui emporte la damnation et toutes ses suites.

XXXVII. « Que c'est alors qu'une âme est divisée d'avec elle-

 

1 P. 88, 80.— 2 Exp. des div. Am., p 88, 89. — 3 P. 90. — 4 Ibid. — 5 Ibid. — 6 Ibid. — 7 P. 91. — 8 ci-dessus, prop. 26. — 9 Expos. des div. Am., p. 91. —10 Ibid.

 

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même ; et qu'il se fait une séparation de la partie supérieure d'avec l'inférieure : à limitation de celle qui arriva à Jésus-Christ, notre parfait modèle (1).»

XXXVIII. Que cette séparation en Jésus-Christ opérait que « la partie inférieure ne communiquait pas à la supérieure son trouble involontaire : » et qu'en nous aussi « les actes de la partie inférieure sont d'un trouble entièrement aveugle et involontaire (2). »

Les erreurs sur la contemplation sont :

XXXIX. « Que l’âme ne s'y occupe volontairement d'aucune image sensible ni d'aucune idée nominable, etc. (3), » d'où l'on conclut :

XL. Que pour s'occuper des attributs et de Jésus-Christ, il faut y être appliqué par une impression particulière de la grâce qui nous présente ces objets (4) : ce qui est un pur quiétisme.

XLI. « Que l’âme ne considère plus les mystères de Jésus-Christ pour s'en imprimer des traces dans le cerveau, et s'en attendrir avec consolation (5). »

XLII. « Qu'on est privé de la vue distincte, sensible et réfléchie de Jésus-Christ en deux temps différents (6). » Vain raffinement

XLIII. « Qu'on n'est jamais privé pour toujours en cette vie de la vue simple et distincte de Jésus-Christ (7) : » où il insinue qu'on en peut être privé, non pas à la vérité pour toujours, mais dans des états fort longs, comme la suite le fait voir : ce qui n'est fait que pour chercher des occasions de se priver de Jésus-Christ.

Sur les vertus on est frappé de ces propositions qui en ôtent les motifs particuliers :

XLIV. « Que le pur amour fait lui seul toute la vie intérieure, et devient lui seul l'unique principe et l'unique motif de la vie intérieure (8) »

XLV. « Qu'un même exercice d'amour devient chaque vertu distincte, et tour à tour toutes les vertus, mais sans en vouloir aucune en tant que vertu (9). »

 

1 P. 90 , 121. — 2 P. 122, 123. — 3 P. Exp. des div. Am., p. 186. — 4 Ibid., p. 189. — 5 Ibid. — 6 P. 194. — 7 Ibid. — 8 P. 212. — 9 P. 224.

 

 

 

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XLVI. « Qu'on ne veut plus être vertueux (1) : » l’errata qui ajoute, pour soi, ne signifie rien.

XLVII. « Qu'on ne l'est jamais tant, que quand on n'est plus attaché à l'être (2). »

XLVIII « Que les saints mystiques ont exclu de cet état les pratiques de vertu (3). » Toutes propositions mauvaises par elles-mêmes, odieuses et inexcusables.

J'en pourrais marquer un grand nombre d'autres qui ne sont pas moins importantes : mais malgré le soin qu'on a d'être court, on est encore si long, en se restreignant, qu'on ne voit que trop que cette voie de procéder par écrit va à l'infini : et qu'il en faut venir à des conférences, à moins que de déclarer qu'on ne veut point voir de fin à cette affaire.

C'est là qu'on fera voir à l'ouverture du livre, que l'auteur a détruit en termes formels plusieurs articles de ceux qu'il a signés ;

Que les passages de saint François de Sales se trouvent (sans mauvais dessein, nous le croyons), supposés, tronqués, altérés dans les ternies, et pris à contre-sens par l'auteur au nombre de dix ou douze ; que tous les passages de l'Ecriture, qu'il allègue pour son prétendu amour pur, sont pareillement à contre-sens, sans qu'il y ait la moindre vraisemblance ; et enfin que tout son livre n'est depuis le commencement jusqu'à la fin, qu'une apologie cachée du quiétisme.

Il nous est dur de parler ainsi du cher auteur à lui-même; mais il voit bien que la cause nous y force, comme au reste qu'il va entendre.

 

IV. — Sur les explications.

 

Le livre dans son fond est une explication des Maximes des Saints pour en retrancher toutes les ambiguïtés « avec la plus rigoureuse précaution (4) : pour y apporter tous les correctifs nécessaires à prévenir l'illusion, et pour expliquer en rigueur le dogme théologique (5) : pour expliquer dans la partie fausse l'endroit

1 P. 225. — 2 Ibid. — 3 p. 253. — 4 Avertiss., p. 23. — 5 P. 10, 11.

 

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précis dans lequel le danger de l'illusion commence (1) : rapporter dans chaque article ce qui est excessif, et le qualifier dans toute la rigueur théologique : pour, en donnant des définitions exactes des expressions des saints, les réduire toutes à un sentiment incontestable : pour en composer une espèce de dictionnaire , par où l'on saura la valeur précise de chaque terme, et faire un système simple et complet de toutes les voies intérieures (2). »

Cependant pour expliquer un livre si clair et si précis, et pour en sauver le fondement, sans encore presque parler des conséquences, quels tours violents n'a-t-il pas fallu donner à son esprit? D'abord en écrivant au Pape, et ensuite à M. de Chartres, on prétend substituer et sous-entendre partout un interdùm, ou un d'ordinaire, qui ne se trouve nulle part dans tout le livre , et changer l'exclusion universelle en exclusion restreinte et particulière. Il eût donc fallu une fois au moins, et dès le commencement , proposer ce d'ordinaire : mais non : ce mot si nécessaire dès le commencement du livre, ne s'y trouve qu'en un seul endroit, vers la fin , dans l'article XXXVI, à la p. 233, et pour un autre sujet que celui dont il est ici question. Ce n'est rien. M. de Chartres a démontré par un ample écrit, que ce d'ordinaire était étranger au livre, et n'y pouvait convenir. Après quelques répliques de l'auteur, il est enfin venu au grand dénouement de la cupidité soumise, qui n'est ni nommée ni définie dans le livre, et à laquelle on ne songeait pas encore dans la réponse à M. de Chartres, qui n'était pas courte. Il est venu ensuite une autre réponse trois fois grande comme le livre, où la cupidité soumise commence à paraître : où l'auteur veut à toute force qu'elle soit sous-entendue dans tout son livre qui n'en dit mot : sous-entendue dans tous les Pères qui n'en parlent pas : et il a fallu en même temps, que l'intérêt propre, si connu et si usité depuis plusieurs siècles dans l'Ecole, pour signifier le motif de l'espérance et du salut; d'où aussi tout le monde entendait et entend encore que l'auteur l'a pris, ait eu tout à coup une nouvelle signification qui ne cadre plus avec le premier système. M. de Chartres l'a

 

1 Avertis., p. 25. — 2 Ibid., p. 26 et 27.

 

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démontré très-clairement, et cela paraît en ce que cette nouvelle signification ne peut être substituée, non plus que la cupidité soumise à laquelle on la réduit, à la plupart des endroits où se trouve le mot de propre intérêt. On en peut faire l’épreuve, et essayer seulement à substituer la cupidité soumise aux endroits qui sont marqués dans la XIVe proposition ci-dessus : on verra manifestement qu'elle n'y convient pas.

Elle ne convient non plus à aucun des Pères où l'on en veut montrer la tradition ; aucun mystique, aucun scolastique, aucun auteur ne s'en est servi avant cette réponse, c'est-à-dire avant quinze jours.

Mais, dira-t-on, saint Bernard ne s'en sert-il pas, et ne trouve-t-on pas dans l’Epître à Guigue, répétée dans le Traité de l'Amour de Dieu, le cupiditas ordinata, qu'on peut traduire indifféremment selon l'auteur, cupidité soumise ou réglée ? Il est vrai : elle s'y trouve : mais elle s'y trouve en un sens contraire à l'intention de l'auteur, comme M. de Chartres l'a démontré ; et on le pourrait démontrer encore plus amplement, et par d'autres raisons certaines, que ce prélat n'a pas voulu toucher. Ainsi que peut-on penser des explications de l'auteur, auxquelles il ne paraît point que qui que ce soit ait jamais songé, ni lui-même, avant quinze jours ou trois semaines au plus ?

 

V. — Argument de l'auteur pour faire recevoir son explication.

 

Mais, dira-t-on, n'est-il pas bien dur de refuser à un auteur vivant et encore à un archevêque, de recevoir une explication qui est bonne, et qu'il assure d'avoir toujours eue dans l'esprit? n'est-ce pas assez d'avoir pourvu à la vérité ? veut-on perdre la personne, et ne peut-on pas trouver des tempéraments?

On suppose ici deux choses : l'une que l'explication soit bonne en soi : l'autre que, pourvu qu'elle soit bonne en soi, il importe peu qu'elle cadre au livre. Mais nous sommes prêts à faire voir à l'auteur en très-peu de temps, que ces deux choses, avec le respect qui lui est dû, sont insoutenables.

 

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Nous sommes, dis-je, prêts à lui faire voir :

Que son explication ne convient pas à saint Bernard qu'il allègue seul, et qu'elle lui est contraire :

Qu'elle ne convient non plus à aucun Père, à aucun théologien, à aucun mystique :

Qu'elle est pleine d'erreurs, et que loin de purger celles du livre, elle y en ajoute d'autres :

Enfin que le système très-mauvais en soi, l'est encore plus avec l'explication.

Cela, dis-je, se verra en peu de temps clairement, amiablement; nous l'osons dire, certainement et sans réplique ; en très-peu de conférences : en une seule peut-être, et peut-être en moins de deux heures. Et si l'on demande d'où vient donc que nous refusons de donner une réponse par écrit : c'est à cause des équivoques des demandes de l'auteur dans ses vingt articles, qu'on serait longtemps à démêler, même après ses définitions : et à cause du temps trop long qu'il faudrait donner à écrire les réfutations et les preuves : il faudrait écrire sans fin : on a pour exemple les réponses de M. de Chartres qui ne font et ne feront qu'en attirer d'autres, et en entassant écritures sur écritures, le livre, qui fait la question, sera noyé dans ce déluge, en sorte qu'on ne saura plus où retrouver ce qui fait la question. Au lieu que la vive voix tranchera tout court : on saisira d'abord le point principal, et la vérité qui est toute-puissante éclatera par elle-même.

C'est ainsi, c'est par des conférences que les apôtres convainquaient leurs adversaires : c'est ainsi qu'on a confondu, ou qu'on a instruit amiablement les contredisants ; et ceux qui ont évité ces moyens naturels et doux, se sont toujours trouvés être ceux qui avaient tort, qui voulaient biaiser et chercher des avantages indirects.

On demandera si nous refusons d'écrire ce que nous pensons ? A Dieu ne plaise. Nous l'écrirons, et même nous écrirons et souscrirons sans peine toutes les propositions que nous aurons avancées dans la conférence, si on le demande : mais il faut commencer par ce qui est le plus court, le plus décisif, le plus précis,

 

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et j'ajoute, le plus charitable. Rien ne peut suppléer ce que fait la présence, la vive voix et le discours animé, mais simple, entre amis, entre chrétiens, entre théologiens , entre évêques : rien, dis-je, ne peut suppléer cette présence , ni celle de Jésus-Christ, qui sera au milieu de nous par son Saint-Esprit, lorsque nous serons assemblés en son nom pour convenir de la vérité.

Quant à ce qu'on dit en faveur des explications, qui visiblement ne cadrent pas avec un livre, constamment elles ne sont pas recevables, parce qu'elles ne sont pas sincères.

Nous approuvons les explications dans les expressions ambiguës : il y en peut avoir quelques-unes de cette sorte dans le livre dont il s'agit, et nous convenons que, dans celles de cette nature, la présomption est pour l'auteur, surtout quand cet auteur est un évêque dont nous honorons la piété ; mais ici, où le principal de ses sentiments est si clair à ceux qui les examinent de près, il n'y a qu'à le juger par ses paroles expresses, en lui laissant à justifier ses intentions devant Dieu : toute autre chose produirait un mauvais effet, tant envers le peuple qu'envers les savants.

Le peuple ne saurait à quoi s'en tenir, entre une explication qui serait orthodoxe, et un livre qui ne l'est pas. Il ne sert de rien de dire que la vérité dans l'explication est une rétractation équivalente de la fausseté qui est dans un livre. Le peuple ne connaît point ces équivalons : en matière de foi, il ne lui faut rien laisser à deviner : si on ne lui donne les choses toutes mâchées, comme on dit, toutes digérées, la crudité, le venin, parlons sans figure, l'erreur le perdra : surtout s'agissant d'un livre petit, en langue vulgaire, qui est entre les mains de tout le monde, qui a troublé et scandalisé toute l'Eglise : ce que nous ne disons point pour insulter à l'auteur, à Dieu ne plaise, mais pour le faire entrer dans nos raisons indépendamment de son propre intérêt. Si l'on n'abandonne expressément un tel livre, ou si, faute d'être abandonné par l'auteur, on ne le note par tous les moyens possibles, il demeure en autorité et en honneur : on dira qu'on est revenu de cette grande clameur que l'esprit de la foi avait excitée : trompé par des expressions spécieuses, on avalera

 

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tout le mal : on se dégoûtera des Ecritures, des passages de tant de saints, des prières de l'Eglise comme de choses qui ne regardent que les imparfaits, et on ne trouvera rien de parfait que de tenir sa damnation pour indifférente : on croira qu'on a pu dire impunément, que le motif du salut ne touche pas, qu'on est résigné à le perdre, qu'on en fait le sacrifice absolu; c'est-à-dire qu'on croira pouvoir dire en un certain sens, ce qui est mauvais en tout sens. Il en est de même de ce qui est dit sur la contemplation des attributs et de la sainte humanité de Jésus-Christ : de la vertu qu'on n'aime point en tant que vertu : de sa pratique bannie par les saints : du nom de vertueux dont on se défend comme d'un crime, ou du moins comme d'une chose suspecte. Il ne servira de rien de dire le contraire de tout cela, non plus que du trouble involontaire de l’âme de Jésus-Christ. Le blasphème est prononcé, l'erreur est énoncée en termes formels dans un livre qui reste en honneur : on croira que la religion n'a rien de fixe dans ses expressions ; en tout cas, que ses expressions et tout le langage théologique n'est qu'un jargon : que l'on peut dire tout ce que l'on veut, et que tout est bon ou mauvais ad arbitrium.

L'auteur ne doit donc point imputer à défaut de charité dans ses amis et dans ses confrères, si dans la nécessité où il les a mis de s'expliquer sur son livre, ils refusent de consentir à une interprétation pour cela seul, quand il n'y aurait que cela, qu'elle ne convient pas avec le texte. Ils ne sont pas ses juges, il est vrai : mais ils sont témoins nécessaires, que lui-même a appelés en témoignage dans sa préface, et encore dans sa lettre au Pape ; il les prend pour ses garants et s'appuie sur eux : tout le inonde attend de leur témoignage une approbation ou une improbation de son livre et de la doctrine qu'il contient : en cet état de la question, tout ce qu'ils taisent ils l'approuvent.

Après tout, que veut-on qu'ils disent sur la tradition alléguée à toutes les pages? peuvent-ils se taire là-dessus sans l'avouer? peuvent-ils se taire sur saint François de Sales, et laisseront-ils penser que tant de passages altérés en tant de manières sont bien allégués ? quelle explication peut sauver un fait si constant ? Si

 

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on l'avoue, comment peut-on espérer de laisser le livre en sou entier ?

Mais veut-on perdre un grand archevêque ? A Dieu ne plaise : c'est lui-même qui se perdrait, s'il n'abandonnait expressément son livre comme contenant une mauvaise doctrine. Quand il n'y aurait qu'une seule proposition mauvaise : quand il n'y aurait que le trouble involontaire de Jésus-Christ, et que son imitation qu'on trouve dans ceux qui consentent, qui acquiescent à leur désespoir avec l'avis de leur directeur, c'en est assez pour renoncer expressément à un livre qui d'ailleurs (nous le disons avec peine, mais la vérité nous y force), qui d'ailleurs n'a rien de particulier que cela même qui le rend suspect. Oui, nous le disons devant Dieu : l'auteur ne peut plus sauver sa réputation qu'en s'humiliant. Toutes les fois qu'il tiendra sur son livre un langage ambigu, on dira toujours qu'il garde dans son cœur toute sa doctrine, et qu'il n'attend qu'un temps favorable, qui pourtant, s'il plaît à Dieu, n'arrivera pas, pour y revenir.

Plus les savants ont de lumière, plus ils verront ces inconvénients : les savants bien intentionnés verront plus clairement que les autres, qu'on biaise, qu'on dissimule, qu'on épargne un mauvais livre par considération pour la personne : si c'était un simple docteur, on s'écrierait contre son livre : on épargne, diront-ils , un archevêque accrédité, dont le nom pourtant n'est que plus propre à donner de l'autorité à ce qui sera trouvé mauvais. Ils savent les tristes effets de pareilles tolérances : les livres qu'on a épargnés de cette sorte sont restés avec leurs erreurs qu'on a sucées : les évêques n'entrent point dans ces connivences : apertè, apertè; c'est ce qu'ils demandent à leurs confrères plus encore qu'à tous les autres. Il faut que les livres qui peuvent tromper le peuple par leurs douces insinuations, ou par le nom de leurs auteurs, soient notés ou par leurs auteurs, ou par l'Eglise, ou par tous les deux : on n'a jamais fait autrement : et présentement toute la gloire de l'auteur consiste d'autant plus dans un entier désaveu de son livre, qu'il a dit lui-même dès l'entrée (1), qu’il ne fallait rien laisser à désirer pour l'édification

 

1 Avertissement, p. 15, 31.

 

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de l'Eglise, et le reste que nous voulons bien ne pas répéter par respect, à cause de l'application qu'il en faudrait faire : nous la laissons à Fauteur. Après la déclaration qu'il a faite dans sa préface, on doit croire qu'il ne veut point être épargné ; de sorte que son livre passera pour bon et édifiant, si l'on n'en dit mot.

Pour les savants mal intentionnés, que la démangeaison d'écrire des nouveautés tient pour ainsi dire au bout des doigts, ils croiront qu'on peut hasarder tout ce qu'on veut, et qu'après tout on en sera quitte en disant contre la foi des paroles, qu'on n'a voulu dire que ceci ou que cela, à sa fantaisie : c'est ainsi qu'on sauvera tout, excepté les misérables qui seront destitués d'appui : pour les autres on connivera, pour ne pas perdre un auteur, quoique ce soit le perdre plutôt de laisser croire qu'il déguise ses sentiments.

Nous travaillons donc pour la gloire de l'auteur par l’humble désaveu que nous lui demandons : c'est ce qu'on attend de sa magnanimité et de l'amour qu'il a pour l'Eglise. Il a tant de rares talents, qu'il se fera bientôt pardonner et oublier tout à fait un court éblouissement qu'il aura reconnu lui-même : plus il y apporte de difficultés, plus il retarde sa gloire, et plus il fait révoquer sa sincérité en doute.

 

VI. — Sur les demandes que fait l'auteur à M. de Meaux.

 

L'auteur le prie de répondre à quatre de ses demandes : c'est une nouvelle dispute au lieu de finir celle où nous sommes : c'est donner lieu à des répliques, dupliques et dissertations infinies. Par la grâce de Dieu, on ne m'accuse de rien ; et je n'ai point à me justifier, ni à expliquer ma doctrine. Je ne ferais donc qu'émouvoir de nouvelles questions, et donner lieu à des longueurs infinies, en répondant par écrit à ces demandes. Si l'auteur se résout enfin, comme on l'en conjure de nouveau, de venir à des conférences de vive voix, nous aurons vu en un moment ce que nous pouvons attendre les uns des autres : je lui répondrai à tout ce qu'il voudra : ce que je puis lui dire en attendant, c'est que, lorsqu'il s'agit de la foi, je ne fais aucun cas de mes opinions

 

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particulières, si j'en ai : que je ne rejette aucune des opinions de l'Ecole; et que, pourvu qu'on sache bien prendre le fonds commun dont elles conviennent toutes, je n'ai rien à demander davantage.

 

RÉFLEXIONS SUR LE MÉMOIRE PRÉCÉDENT:

 

Ces réflexions seront courtes et fort simples : car c'est ainsi que la vérité aime à être dite. La 1ère est que l'on n'a reçu aucune réponse à cet écrit, quoiqu'on l'ait attendue quinze jours durant, après avoir auparavant insisté environ trois mois à demander des conférences réglées avec ceux que la divine Providence et l'auteur même avoient mis dès le commencement dans cette affaire.

2. Les dates justifient ce qu'on vient de dire, puisque celle de l'envoi de ce mémoire est du 15 de juillet, plus de quinze jours ayant la Déclaration des trois évêques, qui est du 6 d'août, et qui même n'a été envoyée pour Rome que le 12 du même mois. Ainsi il s'est écoulé près d'un mois sans que l'auteur ait rien dit sur cet écrit.

3. Cependant les trois évêques, qui ne différaient de s'expliquer que pour éviter l'éclat et pousser les voies amiables le plus loin qu'il serait possible, étaient accusés de ne garder le silence qu'à cause qu'ils ne trouvaient rien sur quoi on pût appuyer une censure. On répandait aussi dans le monde, qu'ils ne faisaient rien connaître de leurs difficultés à l'auteur : encore qu'il les apprit toutes par les moyens qu'on a vus, et même par un ample écrit de M. l'abbé Pirot, dont l'auteur n'a non plus fait de mention que s'il ne l'eût jamais reçu. Ce qui semblait tendre à se faire plaindre, et à tourner contre les évoques le silence que leur inspirait l'amour de la paix.

4. Ces évêques, et en particulier celui de Meaux, qui demande la liberté de parler ainsi de lui en tierce personne tant qu'il s'agira des procédés, insistait toujours, comme il avait fait, aux conférences amiables, et nous avons pour témoin du refus constant qu'on en a fait ce qu'il y a de plus auguste dans le monde.

5. On a offert d'y admettre les évoques et les docteurs que M. l'archevêque de Cambray y voudrait appeler, et on a proposé toutes les conditions les plus équitables à ce prélat.

 

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6. Ce n'est qu'après tout cela et après qu'il a souvent déclaré qu'il n'avait rien à nous dire sur son livre, ni rien autre chose à faire qu'à attendre le jugement de Rome, où il avait porté l'affaire par une lettre expresse adressée au Pape ; ce n'est, dis-je, qu'après tout pela, que nous avons fait à la fin la Déclaration solennelle de nos sentiments , au temps que nous venons de marquer.

7. On voit par les termes de cette Déclaration, par l'écrit qu'on vient d'entendre, et par toute la suite du procédé amiable, que nous n'avons point agi comme dénonciateurs ou accusateurs, et encore moins comme juges. Nous sommes, comme on a vu, appelés par l'auteur du livre en témoignage et en garantie, et par là contraints à déclarer notre sentiment : nous ne l'avons fait qu'à l'extrémité, et après avoir tenté toutes les voies douces. Voilà tout notre procédé : il n'y a rien de plus simple.

8. L'évêque de Meaux n'est pas plus' accusateur que les deux autres prélats : malgré l'affectation de le prendre seul à partie, tout le monde sait qu'il n'a aucune affaire particulière avec l'auteur, ni aucune autre contestation que sur le sujet de son livre.

9. Il a espéré, comme les autres, qu'un si grand prélat, qu'il ne peut maintenant nommer qu'avec douleur, se ferait bientôt nommer avec joie ; et il souhaitait seulement que dans une matière si claire il n'attendît pas les extrémités pour se déterminer.

10. Si après avoir longtemps examiné le livre dont il s'agit, il en a dit dans l'occasion ce que la sincérité et la vérité requéraient, il peut assurer sous les yeux de Dieu qu'il a été prévenu par le sentiment du public.

11. Ce qui reste à expliquer dépend du fond. C'est assez qu'on ait vu d'abord que les principales difficultés dont on réservait un plus ample éclaircissement à la vive voix, ont été proposées : et plût à Dieu qu'on eût eu moins de sujet de parler.

12. La Déclaration des trois évêques s'explique plus amplement : mais non pas encore avec toute l'étendue que demandait la matière. Chaque chose a ses mesures et son temps; et chacun selon la grâce qui lui est donnée, doit tâcher à prévenir les erreurs, en attendant le jugement du saint Siège avec tout respect.

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