R.P. Bourgoing
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Académie Française

 

ORAISON FUNÈBRE
DU
RÉVÉREND  PÈRE BOURGOING,
SUPÉRIEUR GÉNÉRAL
DE LA CONGREGATION DE L'ORATOIRE.

 

Oraison Funèbre

REMARQUES HISTORIQUES.

 

Né à Paris le 18 mars 1585, François Bourgoing fut élevé sous la direction de son père, conseiller à la Cour des Aides, «homme docte ès-langues et bien versé dans la poésie, » dit Lacroix du Maine. Originaire du Nivernois, sa famille remplit dans la province des charges importantes, puis elle donna plusieurs conseillers au parlement de Paris.

Le jeune Bourgoing, doué d'un esprit facile et d'une mémoire heureuse , fit des progrès rapides dans les lettres et dans les sciences théologiques. Après avoir été reçu bachelier, il se préparait à la licence, lorsque son zèle pour le salut des âmes lui fit accepter en 1609 la petite cure de Clichy, près de Paris.

Deux ans plus tard, en 1611, il entra, lui le premier avec trois autres prêtres, dans la Congrégation de l'Oratoire, que formait le cardinal de Bérulle. Il fit éclater partout, dans cette nouvelle position, sa science, sa sagesse, sa vertu, son zèle infatigable. Joignant les fonctions de docteur a celles d'apôtre, il se livrait tour à tour et quelquefois tout ensemble à l'enseignement de la théologie, aux œuvres du saint ministère, à la dispensation de la parole divine ; dans un long séjour qu'il fit à Lyon, par exemple, il donnait deux leçons chaque jour, prêchait les dimanches, et les fêtes et tout le carême. C'est ainsi qu'il évangélisa les principales villes du royaume; c'est au milieu de

 

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ces travaux qu'il fonda les Congrégations de Nantes, de Dieppe, de Rouen et particulièrement celle de Flandre.

Le P. Bourgoing fut nommé en 1041, après la mort du P. de Condren, le troisième supérieur général de l'Oratoire. Si nous en croyons quelques-uns de ses historiens, c'est au cardinal de Richelieu qu'il dut cette nomination ; car les Oratoriens redoutaient l'excès de son zèle ou de sa sévérité. Revêtu du pouvoir, il déploya une surveillance qui s'étendait à tout, il fit des règlements qui prévoyaient tout, il porta des statuts qui fixaient tout; et dans plusieurs actes il entreprit sur la liberté des membres pour rendre l'autorité du chef plus solide, plus large, plus absolue. Toutes ces mesures étaient bonnes sous plusieurs rapports, on le reconnaît; mais sous d'autres elles blessaient, dit-on, la constitution fondamentale d'une société où « l'on obéit sans dépendre et l'on gouverne sans commander, » comme s'exprime Bossuet (1). Les assemblées de la Compagnie rejetèrent plusieurs de ses statuts, et restreignirent son pouvoir par des dispositions répressives; puis considérant qu'il trouvait comme confesseur du duc d'Orléans un puissant appui dans l'autorité civile, elles décidèrent que le supérieur général ne pourrait plus accepter à la Cour aucun emploi, pas même celui de confesseur des princes.

Cependant l'Oratoire jetait un vif éclat sous son gouvernement : il donnait à l'Eglise des prêtres exemplaires, des confesseurs habiles, des prédicateurs distingués. Et pendant que le P. Bourgoing faisait ainsi régner dans la Compagnie la science et la piété, le zèle et la vertu, il composa plusieurs ouvrages justement estimés (2).

 

1 Si l'on doit prendre au pied de la lettre les paroles de Bossuet, s'il n'y avait dans l'Oratoire ni commandement ni dépendance, il ne devait pas être facile de gouverner cette société. — 2  Ces ouvrages sont: Ratio studiorum, 1645; donnant des règles judicieuses pour l'étude et l'enseignement des belles-lettres. — Directoire des missions, 1646; renfermant trois parties : de la piété nécessaire aux missionnaires, de leurs fonctions, de la discipline qu'ils doivent observer. — Lignum Crucis, 1629; exposant les devoirs des pasteurs des âmes. — Veritates et sublimes excellentiœ Verbi incarnati, 1630, 2 vol. in 8°; traduit en français par l'auteur sous ce titre : Vérités et excellences de Jésus-Christ, disposées par méditations ; on verra que Bossuet loue ces méditations, et Massillon s'en est servi avec avantage. — Exercices des Retraites, 1648; quatre cours d'exercices : le premier pour ceux qui veulent se convertir, le deuxième pour les âmes avancées dans la perfection, le troisième pour les communautés religieuses, le quatrième pour les ecclésiastiques. — Institutio spiritualis ordinandorum, 1639. — Homélies chrétiennes sur les évangiles des dimanches et des fêtes principales, 1642; instructions pour le peuple, suivies de courtes élévations. — Homélies des saints sur le Martyrologe romain, 1651 ; ne renfermant que les trois premiers mois de l'année. — Les œuvres du cardinal de Bérulle; avec une préface remarquable de l'éditeur. — Déclaration présentée à la Reine régente, par le R. P. général au nom de la Congrégation, sur quelques points touchant le sacrement de Pénitence : la Compagnie déclara ne pas reconnaître sa doctrine dans ce livre, et l'auteur le désavoua. — Tous ces ouvrages, excepté le dernier, obtinrent un grand succès. Toutefois le V. Bourgoing écrivait beaucoup mieux en latin qu'eu français.

 

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Dans la dernière année de sa vie, il eut plusieurs attaques d'apoplexie, et l'affaiblissement de ses forces lui fit donner sa démission. Il mourut le 28 octobre 1662, à l'âge de soixante-dix-sept ans.

 

L'Oraison funèbre du P. Bourgoing fut prononcée le 20 décembre 1662, dans l'église de l'Oratoire, devant l'évêque de Vence (1) et les membres de la Compagnie.

Ce panégyrique funèbre est le premier que fit Bossuet. On verra dans l'exorde combien il redoutait les écueils qu'offrent ces sortes de discours.

Dans le second point, il parle de l'unité de l'Eglise et de « l'adhérence immuable » qu'on doit « à tout le corps épiscopal. » C'est que le jansénisme avait déjà porté le trouble et la rébellion dans l'Oratoire. L'orateur le fait entendre, quand il ajoute : « Eteignez ces feux de division, ensevelissez sans retour ces noms de parti, » etc.

On lira plus loin : « La chair changera de nature, le corps prendra un autre nom; même celui de cadavre ne lui demeurera pas longtemps, etc. Nous avons déjà signalé le passage qui commence par ces paroles; il se trouve dans le Discours pour la profession de madame de la Vallière et dans le Sermon sur la mort.

L'Oraison funèbre du P. Bourgoing a été publiée pour la première fois en 1778, par les Bénédictins des Blancs-Manteaux. C'est l'abbé de la Motte, docteur de Sorbonne, qui en avait communiqué le manuscrit à don Déforis.

 

1 Située dans la rue Saint-Honoré, près du Louvre, l'église de l'Oratoire fut bâtie de 1621 à 1631. Elle est aujourd'hui livrée au culte protestant. — L'évêque de Vence était Antoine Godeau, poète et littérateur.

 

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ORAISON FUNÈBRE
DU
RÉVÉREND PÈRE FRANÇOIS BOURGOING.

 

Qui benè praesunt presbyteri, duplici honore digni habeantur.

Les prêtres qui gouvernent sagement, doivent être tenus dignes d'un double honneur. I Timoth., V, 17.

 

Je commencerai ce discours en faisant au Dieu vivant des remerciements solennels , de ce que la vie de celui dont je dois prononcer l'éloge a été telle par sa grâce, que je ne rougirai point de la célébrer en présence de ses saints autels et au milieu de son Eglise. Je vous avoue, chrétiens, que j'ai coutume de plaindre les prédicateurs, lorsqu'ils font les panégyriques funèbres des princes et des grands du monde. Ce n'est pas que de tels sujets ne fournissent ordinairement de nobles idées : il est beau de raconter (a) les secrets d'une sublime politique, ou les sages tempéraments d'une négociation importante, ou les succès glorieux de quelque entreprise militaire. L'éclat de telles actions semble illuminer un discours ; et le bruit qu'elles font déjà dans le monde , aide celui qui parle à se faire entendre d'un ton plus ferme et plus magnifique. Mais la licence et l'ambition, compagnes presque inséparables des grandes fortunes; mais l'intérêt et l'injustice, toujours mêlés trop avant dans les grandes affaires du monde, font qu'on marche parmi des écueils ; et il arrive ordinairement que Dieu a si peu de part dans de telles vies, qu'on a peine à y trouver quelques actions qui méritent d'être louées par ses ministres.

Grâce à la miséricorde divine, le Révérend Père Bourgoing, supérieur général de la Congrégation de l'Oratoire, a vécu de telle sorte que je n'ai point à craindre aujourd'hui de pareilles difficultés. Pour orner une telle vie, je n'ai pas besoin d'emprunter

 

(a) Var. : De découvrir.

 

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les fausses couleurs de la rhétorique, et encore moins les détours de la flatterie. Ce n'est pas ici de ces discours où l'on ne parle qu'en tremblant, où il faut plutôt passer avec adresse que s'arrêter avec assurance, où la prudence et la discrétion tiennent toujours en contrainte l'amour de la vérité. Je n'ai rien ni à taire ni à déguiser; et si la simplicité vénérable d'un prêtre de Jésus-Christ, ennemi du faste et de l'éclat, ne présente pas à nos yeux de ces actions pompeuses qui éblouissent les hommes , son zèle, son innocence, sa piété éminente nous donneront des pensées plus dignes de cette chaire. Les autels ne se plaindront pas que leur sacrifice soit interrompu par un entretien profane : au contraire celui que j'ai à vous faire vous proposera de si saints exemples, qu'il méritera de faire partie d'une cérémonie si sacrée, et qu'il ne sera pas une interruption, mais plutôt une continuation du mystère.

N'attendez donc pas, chrétiens, que j'applique au Père Bourgoing des ornements étrangers, nique j'aille rechercher bien loin sa noblesse dans sa naissance, sa gloire dans ses ancêtres, ses titres dans l'antiquité de sa famille : car encore qu'elle soit noble et ancienne dans le Nivernois, où elle s'est même signalée depuis plusieurs siècles par des fondations pieuses ; encore que la grand'chambre du Parlement de Paris et les autres Compagnies souveraines aient vu les Bourgoings, les Leclercs, les Friches, ses parents paternels et maternels, rendre la justice aux peuples avec une intégrité exemplaire, je ne m'arrête pas à ces choses, et je ne les touche qu'en passant. Vous verrez le Père Bourgoing illustre d'une autre manière, et noble de cette noblesse que saint Grégoire de Nazianze appelle si élégamment la noblesse personnelle (1) : vous verrez en sa personne un catholique zélé, un chrétien de l'ancienne marque , un théologien enseigné de Dieu, un prédicateur apostolique, ministre non de la lettre , mais de l'esprit de l'Evangile ; et, pour tout dire en un mot, un prêtre digne de ce nom, un prêtre de l'institution et selon l'ordre de Jésus-Christ, toujours prêt à être victime; un prêtre non-seulement prêtre, mais chef par son mérite d'une Congrégation de saints

 

1 Orat. XXVIII.

 

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prêtres, et que je vous ferai voir par cette raison, « digne véritablement d'un double honneur, » selon le précepte de l'Apôtre , et pour avoir vécu saintement en l'esprit du sacerdoce , et pour avoir élevé dans le même esprit la sainte Congrégation qui était commise à ses soins : c'est ce que je me propose de vous expliquer dans les deux points de ce discours.

 

PREMIER POINT.

 

Suivons la conduite de l'Esprit de Dieu ; et avant que de voir un prêtre à l'autel, voyons comme il se prépare à en approcher. La préparation pour le sacerdoce n'est pas, comme plusieurs pensent, une application de quelques jours, mais une étude de toute la vie : ce n'est pas un soudain effort de l'esprit pour se retirer du vice, mais une longue habitude de s'en abstenir; ce n'est pas une dévotion fervente seulement par sa nouveauté, mais affermie et enracinée par un grand usage. Saint Grégoire de Nazianze a dit ce beau mot du grand saint Basile : il était prêtre, dit-il, avant même que d'être prêtre (1) ; c'est-à-dire, si je ne me trompe, il en avait les vertus avant que d'en avoir le degré : il était prêtre par son zèle, par la gravité de ses mœurs, par l'innocence de sa vie, avant que de l'être par son caractère. Je puis dire la même chose du Père Bourgoing : toujours modeste , toujours innocent, toujours zélé comme un saint prêtre, il avait prévenu son ordination; il n'avait pas attendu la consécration mystique, il s'était dès son enfance consacré lui-même par la pratique persévérante de la piété ; et se tenant toujours sous la main de Dieu par la soumission à ses ordres, il se préparait excellemment à s'y abandonner tout à fait par l'imposition des mains de l'évêque. Ainsi son innocence l'ayant disposé à recevoir la plénitude du Saint-Esprit par l'ordination sacrée, il aspirait sans cesse à la perfection du sacerdoce ; et il ne faut pas s'étonner, si ayant l'esprit tout rempli des obligations de son ministère, il entra sans délibérer dans le dessein glorieux de l'Oratoire de Jésus , aussitôt qu'il vit paraître cette institution, qui avait pour son fondement le désir de la perfection sacerdotale.

 

1 Orat. XX.

 

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L'école de théologie de Paris, que je ne puis nommer sans éloge, quoique j'en doive parler avec modestie, est de tout temps en possession de donner (a) des hommes illustres à toutes les grandes entreprises qui se font pour Dieu. Le Père Bourgoing était sur ses bancs, faisant retentir toute la Sorbonne du bruit de son esprit et de sa science. Que vous dirai-je, Messieurs, qui soit digne de ses mérites? Ce qu'on a dit de saint Athanase : car les grands hommes sont sans envie, et ils prêtent toujours volontiers les éloges qu'on leur a donnés à ceux qui se rendent leurs imitateurs. Je dirai donc du Père Bourgoing, ce qu'un saint a dit d'un saint, le grand Grégoire du grand Athanase (1), que durant le temps de ses études il se faisait admirer de ses compagnons, qu'il surpassait de bien loin ceux qui étaient ingénieux par son travail, ceux qui étaient laborieux par son esprit ; ou bien, si vous le voulez, qu'il surpassait en esprit les plus éclairés, en diligence les plus assidus ; enfin en l'un et en l'autre ceux qui excellaient en l'un et en l'autre.

En ce temps, Pierre de Bérulle, homme vraiment illustre et recommandable, à la dignité duquel j'ose dire que même la pourpre romaine n'a rien ajouté, tant il était déjà relevé par le mérite de sa vertu et de sa science, commençait à faire luire à toute l'église gallicane les lumières les plus pures et les plus sublimes du sacerdoce chrétien et de la vie ecclésiastique. Son amour immense pour l'Eglise lui inspira le dessein de former une Compagnie à laquelle il n'a point voulu donner d'autre esprit que l'esprit même de l'Eglise, ni d'autres règles que ses canons, ni d'autres supérieurs que ses évoques, ni d'autres biens que sa charité, ni d'autres vœux solennels que ceux du baptême et du sacerdoce. Là une sainte liberté fait un saint engagement : on obéit sans dépendre; on gouverne sans commander; toute l'autorité est dans la douceur, et le respect s'entretient sans le secours de la crainte. La charité, qui bannit la crainte, opère un si grand miracle; et sans autre joug qu'elle-même, elle sait non-seulement captiver, mais encore anéantir la volonté propre. Là, pour

 

1 S. Greg. Naz., Orat. XXI.

(a) Var. : Fournir.

 

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former de vrais prêtres, on les mène à la source de la vérité : ils ont toujours (a) en main les saints Livres pour en chercher sans relâche la lettre par l'étude, l'esprit par l'oraison, la profondeur par la retraite, l'efficace parla pratique, la fin par la charité, à laquelle tout se termine, et « qui est l'unique trésor du christianisme , » christiani nominis thesaurus, comme parle Tertullien (1).

Tel est à peu près, Messieurs, l'esprit des prêtres de l'Oratoire ; et je pourrais en dire, beaucoup davantage, si je ne voulais épargner la modestie de ces Pères. Sainte Congrégation, le Père Bourgoing a besoin de vous pour acquérir la perfection du sacerdoce, après laquelle il soupire; mais je ne crains point d'assurer que vous aviez besoin de lui réciproquement, pour établir vos maximes et vos exercices. Et en effet, chrétiens, cette vénérable Compagnie est commencée entre ses mains : il en est un des quatre premiers avec lesquels son instituteur en a posé les fondements; c'est lui-même qui l'a étendue dans les principales villes de ce royaume. Que dis-je, de ce royaume? Nos voisins lui tendent les bras; les évoques des Pays-Bas l'appellent; et ces provinces florissantes lui doivent l'établissement de tant de maisons qui ont consolé leurs pauvres, humilié leurs riches, instruit leurs peuples, sanctifié leurs prêtres, et répandu bien loin aux environs la bonne odeur de l'Evangile.

La grande part qu'il a eue à fonder une institution si véritablement ecclésiastique, vous doit faire voir, chrétiens, combien ce grand homme était animé de l'esprit de l'Eglise et du sacerdoce. Mais venons aux exercices particuliers. Les ministres de Jésus-Christ ont deux principales fonctions : ils doivent parler à Dieu, ils doivent parler aux peuples; parler à Dieu par l'oraison, parler aux peuples fidèles par la prédication de l'Evangile. Ces deux fonctions sont unies, et il est aisé de les remarquer dans cette parole des saints apôtres : « Pour nous, disent-ils dans les Actes, nous demeurerons appliqués à l'oraison et au ministère de la parole : » Nos verò orationi et ministerio verbi instantes

 

1 De Patient., n. 12.

(a) Var. : Ils doivent toujours avoir.

 

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erimus (1). Prêtres, qui êtes les anges du Dieu des armées, vous devez sans cesse monter et descendre, comme les anges que vit Jacob dans cette échelle mystique (2). Vous montez de la terre au ciel, lorsque vous unissez vos esprits à Dieu par le moyen de l'oraison; vous descendez du ciel en la terre, lorsque vous portez aux hommes ses ordres et sa parole. Montez donc et descendez sans cesse, c'est-à-dire, priez et prêchez : parlez à Dieu, parlez aux hommes ; allez premièrement recevoir, et puis venez répandre les lumières; allez puiser dans la source; après venez arroser la terre et faire germer le fruit de vie.

Voulez-vous voir, chrétiens, quel était l'esprit d'oraison de ce fidèle serviteur de Dieu, lisez ses Méditations, toutes pleines de lumière et de grâce. Elles sont entre les mains de tout le monde, des religieux, des séculiers, des prédicateurs, des contemplatifs, des simples et des savants : tant il a été saintement et charitablement industrieux à présenter tout ensemble le pain aux forts, le lait aux enfants, et dans ce pain et dans ce lait le même Jésus-Christ à tous.

Je ne m'étonne donc plus s'il prêchait si saintement au peuple fidèle le mystère de Jésus-Christ qu'il avait si bien médité. O Dieu vivant et éternel, quel zèle ! quelle onction ! quelle douceur ! quelle force ! quelle simplicité et quelle éloquence ! O qu'il était éloigné de ces prédicateurs infidèles, qui ravilissent leur dignité jusqu'à faire servir au désir de plaire le ministère d'instruire ; qui ne rougissent pas d'acheter des acclamations par des instructions; des paroles de flatterie par la parole de vérité; des louanges, vains aliments d'un esprit léger, par la nourriture solide et substantielle que Dieu a préparée à ses enfants ! Quel désordre! quelle indignité! Est-ce ainsi qu'on fait parler Jésus-Christ? Savez-vous, ô prédicateurs, que ce divin conquérant veut régner sur les cœurs par votre parole ? Mais ces cœurs sont retranchés contre lui; et pour les abattre à ses pieds, pour les forcer invinciblement au milieu de leurs défenses, que ne faut-il pas entreprendre? quels obstacles ne faut-il pas surmonter ? Ecoutez l'apôtre saint Paul : « Il faut renverser les remparts des mauvaises habitudes,

 

1 Act., VI, 4. — 2 Gen., XXVIII, 12.

 

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il faut détruire les conseils profonds d'une malice invétérée (a), il faut abattre toutes les hauteurs qu'un orgueil indompté et opiniâtre élève contre la science de Dieu, il faut captiver tout entendement sous l'obéissance de la foi. » Ad destructionem munitionum, consilia destruentes, et omnem altitudinem extollentem se adversùs scientiam Dei, et in captivitatem redigentes omnem inlellectum in obsequium Christi (1).

Que ferez-vous ici, faibles discoureurs? Détruirez-vous ces remparts en jetant des fleurs? Dissiperez-vous ces conseils cachés en chatouillant les oreilles? Croyez-vous que ces superbes hauteurs tombent au bruit de vos périodes mesurées ? Et pour captiver les esprits, est-ce assez de les charmer un moment par la surprise d'un plaisir qui passe ? Non, non, ne nous trompons pas : pour renverser tant de remparts et vaincre tant de résistance, et nos mouvements affectés, et nos paroles arrangées, et nos figures artificielles sont des machines trop faibles. Il faut prendre des armes plus puissantes (b), plus efficaces, celles qu'employait si heureusement le saint prêtre dont nous parlons.

La parole de l'Evangile sortait de sa bouche, vive, pénétrante, animée, toute pleine d'esprit et de feu. Ses sermons n'étaient pas le fruit d'une étude lente et tardive; mais d'une céleste ferveur, mais d'une prompte et soudaine illumination : c'est pourquoi deux jours lui suffisent pour faire l'oraison funèbre du grand Cardinal de Bérulle, avec l'admiration de ses auditeurs. Il n'en employa pas beaucoup davantage à ce beau panégyrique latin de saint Philippe de Néri; ce prêtre si transporté de l'amour de Dieu, dont le zèle était si grand et si vaste, que le monde entier était trop petit pour l'étendue de son cœur, pendant que son cœur même était trop petit pour l'immensité de son amour. Mais dois-je m'arrêter ici à deux actions particulières du Père Bourgoing, puisque je sais qu'il a fourni de la même force la carrière de plusieurs Carêmes, dans les chaires les plus illustres de la France et des Pays-Bas; toujours pressant, toujours animé; lumière ardente et luisante, qui ne brillait que pour échauffer, qui cherchait le

 

1 II Cor., X, 4, 5.

(a) Var. : Endurcie. — (b) Plus fortes.

 

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cœur par l'esprit et ensuite captivait (a) l'esprit par le cœur? D'où lui venait cette force ? C'est, mes Frères, qu'il était plein de la doctrine céleste ; c'est qu'il s'était nourri et rassasié du meilleur suc du christianisme; c'est qu'il faisait régner dans ses sermons la vérité et la sagesse : l'éloquence suivait comme la servante, non recherchée avec soin, mais attirée par les choses mêmes. Ainsi « son discours se répandait à la manière d'un torrent, et s'il trouvait en son chemin les fleurs de l'élocution , il les entraînait plutôt après lui par sa propre impétuosité qu'il ne les cueillait avec choix pour se parer d'un tel ornement : » Fertur quippe impetu suo; et elocutionis pulcritudinem, si occurrerit, vi rerum rapit, non cura dccoris assumit (1). C'est l'idée de l'éloquence que donne saint Augustin aux prédicateurs, et ce qu'a pratiqué celui dont nous honorons ici la mémoire.

Après ses fonctions publiques, il resterait encore, Messieurs, de vous faire voir ce saint homme dans la conduite des âmes, et de vous y faire admirer son zèle, sa discrétion, son courage et sa patience. Mais quoique les autres choses que j'ai à vous dire ne me laissent pas le loisir d'entrer bien avant dans cette matière, je ne dois pas omettre en ce lieu qu'il a été longtemps confesseur de feu monseigneur le duc d'Orléans, de glorieuse mémoire. C'est une marque de son mérite d'avoir été appelé à un tel emploi, après cet illustre Père Charles de Condren, dont le nom inspire la piété, dont la mémoire, toujours fraîche et toujours récente, est douce à toute l'Eglise comme une composition de parfums. Mais quelle a été la conduite de son successeur dans cet emploi délicat? N'entrons jamais dans ce détail ; honorons par notre silence le mystérieux secret que Dieu a imposé à ses ministres. Contentons-nous de savoir qu'il y a des plantes tardives dans le jardin de l'Epoux ; que pour en voir la fécondité, les directeurs des consciences, ces laboureurs spirituels, doivent attendre avec patience le fruit précieux de la terre, comme parle l'apôtre saint Jacques (2); et qu'enfin le Père Bourgoing a eu cette singulière consolation, qu'il n'a pas attendu eu vain, qu'il n'a pas travaillé inutilement, la terre qu'il

 

1 S. August., de Doct. Christ., lib. IV, n. 42. — 2 Jacob., V, 7.

(a) Var. : Gagnait.

 

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cultivait lui ayant donné avec abondance des fruits de bénédiction et de grâce. Ah ! si nous avons un cœur chrétien, ne passons pas cet endroit sans rendre à Dieu de justes louanges pour le don inestimable de sa clémence, et prions sa bonté suprême qu'elle fasse souvent de pareils miracles : Gratias Deo super inenarrabili dono ejus (1).

Rendons grâces aussi, chrétiens, à cette même bonté par Jésus-Christ Notre-Seigneur, de ce qu'elle a fait paraître en nos jours un prêtre si saint, qu'on a vu apporter persévéramment l'innocence à l'autel, le zèle à la chaire, l'assiduité à la prière, une patience vigoureuse dans la conduite des âmes, une ardeur infatigable à toutes les affaires de l'Eglise. Il ne vit que pour l'Eglise, il ne respire que l'Eglise : il veut non-seulement tout consacrer, mais encore tout sacrifier aux intérêts de l'Eglise, sa personne, ses frères, sa Congrégation. Il l'a gouvernée en cet esprit durant l'espace de vingt et un ans; et comme toute la conduite de cette sainte Compagnie consiste à s'attacher constamment à la conduite de l'Eglise, à ses évêques, à son Chef visible, je ne croirai pas m'éloigner de la suite de mon discours, si je trace ici en peu de paroles comme un plan de la sainte Eglise, selon le dessein éternel de son divin Architecte : je vous demande, Messieurs, que vous renouveliez vos attentions.

 

SECOND  POINT.

 

Vous comprenez, mes Frères, par tout ce que j'ai déjà dit, que le dessein de Dieu dans l'établissement de son Eglise est de faire éclater par toute la terre le mystère de son unité, en laquelle est ramassée toute sa grandeur. C'est pourquoi le Fils de Dieu est venu au monde, et « le Verbe a été fait chair, et il a daigné habiter en nous, et nous l'avons vu parmi les hommes plein de grâce et de vérité (2); » afin que par la grâce qui unit, il ramenât tout le genre humain à la vérité qui est une. Ainsi venant sur la terre avec cet esprit d'unité, il a voulu que tous ses disciples fussent unis, et il a fondé son Eglise unique et universelle, « afin que tout y fût consommé et réduit en un : » Ut sint consummati

 

1 II Cor., IX, 15. — 2 Joan., I, 14.

 

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in unum (1), comme il le dit lui-même dans son Evangile. Je vous le dis, chrétiens, c'est ici en vérité un grand mystère en Jésus-Christ et en son Eglise. « Il n'y a qu'une colombe et une parfaite : » Una est columba mea, perfecta mea (1); il n'y a qu'une seule Epouse, qu'une seule Eglise catholique, qui est la Mère commune de tous les fidèles. Mais comment est-elle la Mère de tous les fidèles, puisqu'elle n'est autre chose que l'assemblée de tous les fidèles ? C'est ici le secret de Dieu. Toute la grâce de l'Eglise, toute l'efficace du Saint-Esprit est dans l'unité : en l'unité est le trésor, en l'unité est la vie, hors de l'unité est la mort certaine. L'Eglise donc est une ; et par son esprit d'unité catholique et universelle, elle est la Mère toujours féconde de tous les particuliers qui la composent : ainsi tout ce qu'elle engendre, elle se l'unit très-intimement ; en cela dissemblable des autres mères, qui mettent hors d'elles-mêmes les enfants qu'elles produisent. Au contraire l'Eglise n'engendre les siens qu'en les recevant en son sein, qu'en les incorporant à son unité. Elle croit entendre sans cesse, en la personne de saint Pierre, ce commandement qu'on lui fait d'en haut : « Tue et mange, » unis, incorpore : Occide et manduca (3); et se sentant animée de cet esprit unissant, elle élève la voix nuit et jour pour appeler tous les hommes au banquet où tout est fait un. Et lorsqu'elle voit les hérétiques qui s'arrachent de ses entrailles, ou plutôt qui lui arrachent ses entrailles mêmes, et qui emportent avec eux en la déchirant le sceau de son unité, qui est le baptême, conviction visible de leur désertion : elle redouble son amour maternel envers ses enfants qui demeurent, les liant et les attachant toujours davantage h son esprit d'unité : tant il est vrai qu'il a plu à Dieu que tout concourût à l'œuvre de l'unité sainte de l'Eglise, et même le schisme, la rupture et la révolte.

Voilà donc le dessein du grand Architecte, faire régner l'unité en son Eglise et par son Eglise : voyons maintenant l'exécution. L'exécution, chrétiens, c'est l'établissement des pasteurs. Car de crainte que les troupeaux errants et vagabonds ne fussent dispersés deçà et delà, Dieu établit les pasteurs pour les rassembler.

 

1 Joan., XVII, 23. — 2 Cant., VI, 8. — 3 Act., X, 13.

 

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Il a donc voulu imprimer dans l'ordre et dans l'office des pasteurs le mystère de l'unité de l'Eglise ; et c'est en ceci que consiste la dignité de l'épiscopat. Le mystère de l'unité ecclésiastique est dans la personne, dans le caractère, dans l'autorité des évêques. En effet, chrétiens, ne voyez-vous pas qu'il y a plusieurs prêtres, plusieurs ministres, plusieurs prédicateurs, plusieurs docteurs, mais il n'y a qu'un seul évoque dans un diocèse et dans une église. Et nous apprenons de l'histoire ecclésiastique que lorsque les factieux entreprenaient de diviser l'épiscopat, une voix commune de toute l'Eglise et de tout le peuple fidèle s'élevait contre cet attentat sacrilège par ces paroles remarquables : « Un Dieu, un Christ, un évoque : » Unus Deus, unus Christus, unus episcopus (1). Quelle merveilleuse association, un Dieu, un Christ, un évoque! un Dieu, principe de l'unité ; un Christ, médiateur de l'unité ; un évêque, marquant et représentant en la singularité de sa charge le mystère de l'unité de l'Eglise. Ce n'est pas assez, chrétiens : chaque évêque a son troupeau particulier. Parlons  plus correctement : les évêques n'ont tous ensemble qu'un même troupeau, dont chacun conduit une partie inséparable du tout ; de sorte qu'en vérité tous les évêques sont au tout et à l'unité, et ils ne sont partagés que pour la facilité de l'application. Mais Dieu voulant maintenir parmi ce partage l'unité inviolable du tout, outre les pasteurs des troupeaux particuliers, il a donné un Père commun, il a préposé un Pasteur à tout le troupeau, afin que la sainte Eglise fût une fontaine scellée par le sceau d'une parfaite unité, et « qu'y ayant un chef établi, l'esprit de division n'y entrât jamais : » Ut capite constituto schismatis tolleretur occasio ».

Ainsi Notre-Seigneur Jésus-Christ voulant commencer le mystère de l'unité de son Eglise, il a séparé les apôtres du nombre de tous les disciples; et ensuite voulant consommer le mystère de l'unité de l'Eglise, il a séparé l'apôtre saint Pierre du milieu des autres apôtres. Pour commencer l'unité dans toute la multitude, il en choisit douze; pour consommer l'unité parmi les douze, il en choisit un. En commençant l'unité, il n'exclut pas tout à fait

 

1 Cornel., Epist. ad Cypr., apud Cypr., ep. XLVI ; Theodoret., Hist. eccles., lib. II. cap. XIV. — 2 S. Hieron., adv. Jovin., lib. I.

 

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la pluralité : « Comme le Père m'a envoyé, ainsi, dit-il, je vous envoie (1).» Mais pour conduire à la perfection le mystère de l'unité de son Eglise, il ne parle pas à plusieurs, il désigne saint Pierre personnellement, il lui donne un nom particulier : « Et moi, dit-il, je te dis à toi : Tu es Pierre ; et, ajoute-t-il, sur cette pierre je bâtirai mon Eglise; et, conclut-il, les portes d'enfer ne prévaudront point contre elle (2): » afin que nous entendions que la police, le gouvernement et toute l'ordonnance de l'Eglise se doit enfin réduire à l'unité seule; et que le fondement de cette unité est et sera éternellement le soutien immobile de cet édifice.

Par conséquent, chrétiens, quiconque aime l'Eglise doit aimer l'unité ; et quiconque aime l'unité doit avoir une adhérence immuable à tout l'ordre épiscopal, dans lequel et par lequel le mystère de l'unité se consomme, pour détruire le mystère d'iniquité qui est l'œuvre de rébellion et de schisme. Je dis : A tout l'ordre épiscopal, au Pape chef de cet ordre et de l'Eglise universelle, aux évêques chefs et pasteurs des églises particulières. Tel est l'esprit de l'Eglise ; tel est principalement le devoir des prêtres, qui sont établis de Dieu pour être coopérateurs de l'épiscopat. Le cardinal de Bérulle, plein de l'esprit de l'Eglise et du sacerdoce, n'a formé sa Congrégation que dans la vue de ce dessein ; et le Père François Bourgoing l'a toujours très-saintement gouvernée dans cette même conduite.

Soyez bénie de Dieu, sainte Compagnie; entrez de plus en plus dans ces sentiments, éteignez ces feux de division, ensevelissez sans retour ces noms de parti. Laissez se débattre, laissez disputer et languir dans des questions ceux qui n'ont pas le zèle de servir l'Eglise : d'autres pensées vous appellent, d'autres affaires demandent vos soins. Employez tout ce qui est en vous d'esprit, et de cœur, et de lumière, et de zèle au rétablissement de la discipline si horriblement dépravée et dans le clergé et parmi le peuple.

Deux choses sont nécessaires à la sainte Eglise, la pureté de la foi et l'ordre de la discipline. La foi est toujours sans tache, la discipline souvent chancelante. D'où vient cette différence, si ce n'est que la foi est le fondement, lequel étant renversé, tout

 

1 Joan., XX, 21. — 2 Matth., XVI, 18.

 

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l'édifice tomberait par terre? Or il a plu à notre Sauveur, qui a établi son Eglise comme un édifice sacré, de permettre que, pour exercer le zèle de ses ministres, il y eût toujours à la vérité quelques réfections à faire dans le corps du bâtiment; mais que le fondement fût si ferme, que jamais il ne pût être ébranlé, parce que les hommes peuvent bien en quelque sorte contribuer par sa grâce à faire les réparations de l'édifice, mais qu'ils ne pourraient jamais le redresser de nouveau s'il était entièrement abattu (a). Il faudrait que le Fils de Dieu vînt encore au monde ; et comme il a résolu de n'y venir qu'une fois, il a fondé son temple si solidement, qu'il n'aura jamais besoin qu'on le rétablisse, et qu'il suffira seulement qu'on l'entretienne.

Qui pourrait assez exprimer quel était le zèle du Père Bourgoing pour travailler à ce grand ouvrage? Il regardait les évêques comme ceux qui sont établis de Dieu pour faire vivre dans le peuple et dans le clergé la discipline chrétienne. Il révérait dans leur ordre la vigueur et la plénitude d'une puissance céleste, pour réprimer la licence et arrêter le torrent des mauvaises mœurs, qui s'enflant et s'élevant à grands flots, menace d'inonder toute la face de la terre. Non content d'exciter leur zèle, il travaillait nuit et jour à leur donner de fidèles ouvriers. Sa Compagnie lui doit le dessein d'avoir des institutions ecclésiastiques pour y former des saints prêtres, c'est-à-dire donner des pères aux enfants de Dieu. Et il ne faut pas sortir bien loin pour voir des fruits de son zèle. Allez à cette maison où reposent les os du grand saint Magloire : là, dans l'air le plus pur et le plus serein de la ville, un nombre infini d'ecclésiastiques respire un air encore plus pur de la discipline cléricale : ils se répandent dans les diocèses, et portent partout l'esprit de l'Eglise ; c'est l'effet des soins du Père Bourgoing. Mais pourquoi vous parler ici d'un séminaire particulier? Toutes les maisons de l'Oratoire n'étaient-elles pas sous sa conduite autant de séminaires des évêques? Il professait hautement que tous les sujets de sa Compagnie étaient plus aux prélats qu'à la Compagnie; et avec raison, chrétiens, puisque la gloire de la Compagnie c'est d'être toute entière à

 

(a) Var. : S'il avait été ruiné.

 

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eux, pour être par eux toute entière à l'Eglise et à Jésus-Christ.

De là vous pouvez connaître combien cette Compagnie est redevable aux soins de son général, qui savait si bien conserver en elle l'esprit de son institut, c'est-à-dire l'esprit primitif de la cléricature et du sacerdoce. Il en était tellement rempli, qu'il en animait tous ses frères ; et ceux qui auraient été assez insensibles pour ne se pas rendre à ses paroles, auraient été forcés de céder à la force toute-puissante de ses exemples. Et en effet, chrétiens, quel autre était plus capable de leur inspirer l'esprit d'oraison, que celui qu'ils voyaient toujours le plus assidu à ce divin exercice ? Qui pouvait plus puissamment enflammer leurs cœurs à travailler sans relâche pour les intérêts de l'Eglise, que celui dont les maladies n'étaient pas capables d'en ralentir l'action, ce grand homme ne voulant pas, autant qu'il pouvait, qu'il fût tant permis aux infirmités d'interrompre les occupations d'un prêtre de Jésus-Christ? Qui a pu leur enseigner plus utilement à conserver parmi les emplois une sainte liberté d'esprit, que celui qui s'est montré dans les plus grands embarras autant paisible, autant dégagé, qu'agissant et infatigable? Enfin de qui pou voient-ils apprendre avec plus de fruit à dompter par la pénitence la délicatesse des sens et de la nature, que de celui qu'ils ont toujours vu retrancher de son sommeil malgré son besoin, endurer la rigueur du froid malgré sa vieillesse, continuer (a) ses jeûnes malgré ses travaux, enfin affliger son corps par toutes sortes d'austérités malgré ses infirmités corporelles ?

O membres tendres et délicats, si souvent couchés sur la dure ! O gémissements ! ô cris de la nuit, pénétrant les nues, perçant jusqu'à Dieu! O fontaines de larmes, sources de joie! O admirable ferveur d'esprit et prière continuelle ! O âme qui soutenait le corps presque sans aucune nourriture ; ou plutôt, ô corps contraint de mourir avant la mort même, afin que l’âme fût en liberté ! O appât du plaisir sensible et goût du fruit défendu, surmonté par la continence du Père Bourgoing! O Jésus-Christ! ô sa mort ! ô son anéantissement et sa croix honorés par sa pénitence ! Plût à Dieu que touché d'un si saint exemple, je mortifie

 

(a) Var.: Prolonger.

 

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mes membres mortels, et que je commence à marcher par la voie étroite, et que je m'ensevelisse avec Jésus-Christ pour être son cohéritier!

Car que faisons-nous, chrétiens; que faisons-nous autre chose, lorsque nous flattons notre corps, que d'accroître la proie de la mort, lui enrichir son butin, lui engraisser sa victime? Pourquoi m’as-tu donné, ô corps mortel, fardeau accablant, soutien nécessaire , ennemi flatteur, ami dangereux, avec lequel je ne puis avoir ni guerre ni paix , parce qu'à chaque moment il faut s'accorder, et à chaque moment il faut rompre ? O inconcevable union, et aliénation non moins étonnante ! « Malheureux homme que je suis ! qui me délivrera de ce corps mortel?» In felix ego homo ! quis me liberabit de corpore mortis hujus (1) ? Si nous n'avons pas le courage d'imiter le Père Bourgoing dans ses austérités, pourquoi flattons-nous nos corps, nourrissons-nous ses convoitises par notre mollesse et les rendons-nous invincibles par nos complaisances?

Se peut-il faire, mes Frères , que nous ayons tant d'attache à cette vie et à ses plaisirs, si nous considérons attentivement combien est dure la condition avec laquelle on nous l'a prêtée? La nature, cruelle usurière, nous ôte tantôt un sens et tantôt un autre. Elle avait ôté l'ouïe au Père Bourgoing, et elle ne manque pas tous les jours de nous enlever quelque chose comme pour l'intérêt de son prêt, sans se départir pour cela du droit qu'elle se réserve, d'exiger en toute rigueur la somme totale à sa volonté. Et alors où serons-nous? Que deviendrons-nous? Dans quelles ténèbres serons-nous cachés? Dans quel gouffre serons-nous perdus? Il n'y aura plus sur la terre aucun vestige de ce que nous sommes. «La chair changera de nature, le corps prendra un autre nom ; même celui de cadavre, dit Tertullien, ne lui demeurera pas longtemps; il deviendra un je ne sais quoi qui n'a point de nom dans aucune langue : » tant il est vrai que tout meurt en nos corps, jusqu'à ces termes funèbres par lesquels on exprimait nos malheureux restes : Post totum illud ignobilitatis elogium, caducœ carnis in originem terrain, et cadaveris nomen; et de

 

1 Rom., VII, 24.

 

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isto quoque nomine periturœ in nullum inde jam nomen, in omnis jam vocabuli mortem (1).

Et vous vous attachez à ce corps, et vous bâtissez sur ces ruines, et vous contractez avec ce mortel une amitié immortelle ! O que la mort vous sera cruelle! ô que vainement vous soupirerez, disant avec ce roi des Amalécites : Siccine separat amara mors (2) ? « Est-ce ainsi que la mort amère sépare de tout ? » Quel coup ! quel état ! quelle violence !

Il n'y a que l'homme de bien qui n'a rien à craindre en ce dernier jour. La mortification lui rend la mort familière; le détachement des plaisirs le désaccoutume du corps, il n'a point de peine à s'en séparer ; il a déjà depuis fort longtemps, ou dénoué ou rompu les liens les plus délicats qui nous y attachent. Ainsi le Père Dourgoing ne peut être surpris de la mort : « Ses jeûnes et ses pénitences l'ont souvent avancé dans son voisinage, comme pour la lui faire observer de près : » Saepè jejunans mortem de proximo novit. « Pour sortir du monde plus légèrement, il s'est déjà déchargé lui-même d'une partie de son corps comme d'un empêchement importun à l’âme : » Prœmisso jam sanguinis succo, tanquam animœ impedimento (3). Un tel homme dégagé du siècle, qui a mis toute son espérance en la vie future, voyant approcher la mort, ne la nomme ni cruelle ni inexorable : au contraire, il lui tend les bras, il lui présente sans murmurer ce qui lui reste de corps, et lui montre lui-même l’endroit où elle doit frapper son dernier coup. O mort ! lui dit-il d'un visage ferme, tu ne me feras aucun mal, tu ne m'ôteras rien de ce qui m'est cher ; tu me sépareras de ce corps mortel : ô mort ! je t'en remercie; j'ai travaillé toute ma vie à m'en détacher, j'ai tâché de mortifier mes appétits sensuels ; ton secours, ô mort, m'était nécessaire pour en arracher jusqu'à la racine. Ainsi, bien loin d'interrompre le cours de mes desseins, tu ne fais qu'accomplir l'ouvrage que j'ai commencé; tu ne détruis pas ce que je prétends, mais tu l'achèves : achève donc, ô mort favorable, et rends-moi bientôt à mon Maître.

Ah ! « qu'il n'en est pas ainsi des impies ! » Non sic impii, non

 

1 Tertull., De Resur. carn., n. 4. — 2 I Reg., XV, 32. — 3 Tertull., de Jejun., n. 12.

 

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sic (1). La mort ne leur arrive jamais si tard, qu'elle ne soit toujours précipitée; elle n'est jamais prévenue par tant d'avertissements, qu'elle ne soit toujours imprévue. Toujours elle rompt quelque grand dessein et quelque affaire importante : au lieu qu'un homme de bien,-à chaque heure, à chaque moment a toujours ses affaires faites; il a toujours son âme en ses mains, prêt à la rendre au premier signal. Ainsi est mort le Père Bourgoing ; et voilà qu'étant arrivé en la bienheureuse terre des vivants, il voit et il goûte en la source même combien le Seigneur est doux ; et il chante, et il triomphe avec ses saints anges, pénétrant Dieu, pénétré de Dieu, admirant la magnificence de sa maison et s'enivrant du torrent de ses délices.

Qui nous donnera, chrétiens, que nous mourions de cette mort, et que notre mort soit un jour de fête, un jour de délivrance, un jour de triomphe? « Ah! que mon âme meure de la mort des justes ! » Moriatur anima mea morte justorum (2) ! Mais pour mourir de la mort des justes, vivez, mes Frères, de la vie des justes. Ne soyez pas de ceux qui diffèrent à se reconnaître quand ils ont perdu la connaissance ; et qui méprisent si fort leur âme, qu'ils ne songent à la sauver que lorsqu'ils sont en danger de perdre leur corps ; desquels certes on peut dire véritablement qu'ils se convertissent par désespoir plutôt que par espérance. Mes frères, faites pénitence, tandis que le médecin n'est pas encore à vos côtés, vous donnant des jours et des heures qui ne sont pas en sa puissance , et toujours prêt à philosopher admirablement de la maladie après la mort. Convertissez-vous de bonne heure ; que la pensée en vienne de Dieu et non de la fièvre, de la raison et non du trouble, du choix et non de la force ni de la contrainte. Si votre corps est une hostie, consacrez à Dieu une hostie vivante ; si c'est un talent précieux qui doive profiter entres ses; mains, mettez-le de bonne heure dans le commerce, et n'attendez pas à le lui donner qu'il le faille enfouir en terre : c'est ce que je dis à tous les fidèles.

Et vous, sainte Compagnie, qui avez: désiré d'ouïr de ma bouche le panégyrique de votre Père, vous ne m'avez pas appelé dans cette chaire, ni pour déplorer votre perte par des plaintes étudiées,

 

1 Psal. I, 4. — 2 Num., XXIII, 10.

 

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ni pour contenter les vivants par de vains éloges des morts. Un motif plus chrétien vous a excitée à me demander ce discours funèbre à la gloire de ce grand homme : vous avez prétendu que je consacrasse la mémoire de ses vertus, et que je vous proposasse comme en un tableau le modèle de sa sainte vie. Soyez donc ses imitateurs comme il l'a été de Jésus-Christ : c'est ce qu'il demande de vous aussi ardemment, j'ose dire plus ardemment que le sacrifice mystique : car si par ce sacrifice vous procurez son repos; en imitant ses vertus, vous enrichissez sa couronne. C'est vous-mêmes, mes Révérends Pères, qui serez et sa couronne et sa gloire au jour de Notre-Seigneur, si comme vous avez été durant tout le cours de sa vie obéissants à ses ordres, vous vous rendez de plus en plus après sa mort fidèles imitateurs de sa piété. Ainsi soit-il.

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