Sainte Catherine
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Académie Française

 

PANÉGYRIQUE DE SAINTE   CATHERINE   (a).

SECONDE PÉRORAISON POUR LE PANÉGYRIQUE  DE  SAINTE CATHERINE.

Dedit illi scientiam sanctorum.

Il lui a donné la science des saints. Sapient., X, 10.

 

Encore que l'ennemi de notre salut ne se désiste jamais de la folle et téméraire entreprise de renverser l'Eglise de Dieu, toutefois nous voyons par les Ecritures qu'il n'agit pas toujours par

 

(a) Prêché le 25 novembre, en 1661 d'abord, puis en 1663 au séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet.

Pourquoi ces deux époques? Avant toutes choses, le style du discours nous semble révéler la première date ; et le lecteur en trouvera dans l'ouvrage, si je ne me trompe, des indications nombreuses; le Panégyrique de sainte Catherine fut donc prononcé en 1661.

Ensuite il retentit du haut de la chaire deux années plus tard. Fondé en 1642 pour l'éducation des jeunes lévites qui se destinaient au sacerdoce, le séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet ne se soutenait que parles dons des fidèles, et l'abbé Ledieu nous apprend dans ses Mémoires que Bossuet y fit plusieurs sermons de charité en 1663. C'est dans cette circonstance qu'il prêcha pour la seconde fois le Panégyrique de sainte Catherine, en y faisant deux changements pour l'approprier à son nouvel auditoire. A la suite de la division, après avoir assigné trois effets que la science produisit dans sainte Catherine, l'orateur dit, comme porte une variante : « Ce sont trois effets admirables de la science des saints en sa personne; et connue cette maison se propose de s'y avancer, ce seront les trois points de cette méditation. » Et répétant la même pensée dans une nouvelle péroraison, après avoir parlé du commerce des âmes : « C'est pour ce négoce céleste, dit-il, que cette maison est établie : on leur apprend la science, non pour retentir dans un barreau ; c'est la science ecclésiastique, destinée pour négocier le salut des âmes. » Et plus loin : « Que reste-t-il maintenant, Messieurs, sinon que pendant que la science comme un soleil fera mûrir les fruits, vous arrosiez la racine?... Cette eau salutaire de vos aumônes, » etc. En un mot Bossuet, si justement nommé l'avocat des pauvres par ses contemporains, implore la charité des fidèles eu faveur d'un établissement destiné à donner des ministres aux autels du Seigneur.

Dans une note reproduite par ses successeurs, Déforis renverse la base de notre panégyrique : il déclare apocryphe la légende de sainte Catherine. Il est vrai que plusieurs critiques en contestent l'authenticité, et la fête de sainte Catherine fut supprimée avec beaucoup d'autres dans le diocèse de Paris par l’archevêque Hardouin de Péréfixe en 1666; mais quel catholique croira qu'une le le religieuse se soit établie dans toute l'Eglise sur l'autorité d'une fable? Bossuet admettait la légende de sainte Catherine, puisqu'il en a fait la base de son panégyrique ; l’Eglise romaine l'admet aussi, puisqu'elle la conserve dans le bréviaire universel : entre Bossuet et Déforis, le choix ne m'embarrasse guère, et je n’ai garde de sacrifier l’autorité de l'Eglise romaine à l'opinion de quelques critiques plus ou moins raffinés.

 

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la force ouverte. Souvent il paraît en tyran, il persécute les fidèles ; mais souvent, dit saint Augustin, il fait le docteur et il se mêle de les enseigner : de sorte qu'il ne suffit pas que Dieu ait opposé à ses violences la victorieuse armée des martyrs, dont le courage invincible a épuisé la cruauté de tous les supplices ; mais il est également nécessaire qu'il éclaire aussi des docteurs, pour combattre les dangereuses maximes par lesquelles son ennemi tâche de corrompre la simplicité de la foi et de détruire la vérité de son Evangile.

C'est un grand miracle, Messieurs, qu'une fille de dix-huit ans ait osé marcher sous les étendards de cette armée (a) laborieuse et entreprenante, dont la discipline est si dure qu'elle ne doit l'emporter sur ses ennemis qu'en les lassant par sa patience : mais je ne crains point d'assurer que c'est quelque chose encore de plus admirable, qu'elle tienne rang parmi les docteurs ; et que Dieu unissant en elle, si je puis parler de la sorte, toute la force de son Saint-Esprit, elle ait été aussi éclairée pour annoncer la vérité qu'elle a paru déterminée à mourir pour elle. Un tel prodige, Messieurs, n'est pas proposé en vain à l'Eglise ; et nous en tirerons de grandes lumières pour la conduite de notre vie, si Dieu fléchi par la sainte Vierge dont nous implorons le secours, daigne diriger nos pensées et bénir nos intentions. Disons donc avant toutes choses, Ave.

 

Je n'ignore pas, chrétiens, que la science ne soit un présent du ciel, et qu'elle n'apporte au monde de grands avantages : je sais

 

(a) Var. : Ecrire son nom dans cette armée.

 

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qu'elle est la lumière de l'entendement, la guide de la volonté , la nourrice de la vertu, l’âme de la vérité, la compagne de la sagesse, la mère des bons conseils, en un mot l’âme de l'esprit et la maîtresse (a) de la vie humaine. Mais comme il est naturel à l'homme de corrompre les meilleures choses , cette science qui a mérité de si grands éloges, se gâte le plus souvent en nos mains par l'usage que nous en faisons. C'est elle qui s'est élevée contre la science de Dieu ; c'est elle qui promettant de nous éclaircir, nous aveugle plutôt par l'orgueil ; c'est elle qui nous fait adorer nos propres pensées sous le nom auguste de la vérité ; qui sous prétexte de nourrir l'esprit étouffe les bonnes affections, et enfin qui fait succéder à la recherche du bien véritable une curiosité vague et infinie , source inépuisable (b) d'erreurs et d'égarements très-pernicieux.

Mais je n'aurais jamais fait, Messieurs, si je voulais raconter les maux que fait naître l'amour des sciences, et vous dire tous les périls dans lesquels il engage les enfants d'Adam, qu'un aveugle désir de savoir a rendu avec sa race justement maudite le jouet de la vanité, aussi bien que le théâtre de la misère. Un docteur inspiré de Dieu et qui a puisé sa science dans l'oraison , en réduit tous les abus à trois chefs. Trois sortes d'hommes, dit saint Bernard, recherchent la science désordonnément. « Il y en a qui veulent savoir, mais seulement pour savoir; et c'est une mauvaise curiosité : » Quidam scire volunt ut sciant, et turpis curiositas est (1). « Il y en a qui veulent savoir, mais qui se proposent pour but de leurs grandes et vastes connaissances, de se faire connaître eux-mêmes et de se rendre célèbres : et c'est une vanité dangereuse : » Quidam scire volunt ut sciantur ipsi, et turpis vanitas est. « Enfin il y en a qui veulent savoir; mais qui ne désirent avoir de science que pour en faire trafic et pour amasser des richesses (c) ; et c'est une honteuse avarice : » Quidam scire volunt ut scientiam suam vendant, et turpis quœstus est. Il y en a donc, comme vous voyez , à qui la science ne sert

 

1 In Cant., serm. XXXVI, n. 3.

 

(a) Var. : Et l'arbitre. — (b) Féconde,— éternelle. — (c) ... qui veulent savoir pour vendre chèrement leur science et ménager leurs intérêts.

 

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que d'un vain spectacle ; d'autres à qui elle sert pour la montre et pour l'appareil ; d'autres à qui elle ne sert que pour le trafic , si je puis parler de la sorte. Tous trois corrompent la science , tous trois sont corrompus par la science. La science considérée de ces trois (a) manières, qu'est-ce autre chose, mes Frères, « qu'une très-mauvaise occupation qui travaille les enfants des hommes, » comme parle l’Ecclésiaste? Pessimam hanc occupationem dedit Deus filiis hominum, ut occuparentur in eâ (1).

Curieux, qui vous repaissez d'une spéculation (b) stérile et oisive, sachez que cette vive lumière qui vous charme dans la science, ne lui est pas donnée seulement pour réjouir votre vue , mais pour conduire vos pas et régler vos volontés (c). Esprits vains, qui faites trophée de votre doctrine avec tant de pompe (d) pour attirer des louanges, sachez que ce talent glorieux ne vous a pas été confié pour vous faire valoir vous-mêmes, mais pour faire triompher la vérité. Ames lâches et intéressées, qui n'employez la science que pour gagner les biens de la terre, méditez sérieusement qu'un trésor si divin (e) n'est pas fait pour cet indigne trafic; et que s'il entre dans le commerce, c'est d'une manière plus haute et pour une fin plus sublime, c'est-à-dire pour négocier le salut des âmes. C'est ainsi que la glorieuse sainte Catherine, que nous honorons, a usé de ce don du ciel (f). Elle a contemplé au dedans la lumière de la science, non pour contenter son esprit, mais pour diriger ses affections ; elle l’a répandue au dehors au milieu des philosophes et des grands du monde, non pour établir sa réputation, mais faire (g) triompher l'Evangile; enfin elle l'a fait profiter et l'a mise dans le commerce, non pour acquérir des biens  temporels, mais pour gagner des âmes à Jésus-Christ : c'est par où je me propose de vous faire entendre qu'elle possède la science des saints, et c'est tout le sujet de ce discours (h).

 

1 Eccles., I, 13.

(a) Var., Etant regardée en ces trois. — (b) D’une contemplation. — (c) Et diriger tous vos mouvements. — (d) Esprits vains, vous qui étalez votre doctrine. — (e) Ce céleste trésor. — (f) A mis la science en usage. — (g) Pour donner la victoire à la vérité . — (h) Ce sont ces trois effets admirables de la science des saints en sa personne ; et comme cette maison se propose de s’y avancer, ce seront les trois points de cette méditation.

 

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PREMIER POINT.

 

Je ne suis pas fort surpris que les sciences profanes soient considérées comme un divertissement de l'esprit : elles ont si peu de solidité, que l'on peut sans grande injure n'eu faire qu'un jeu. Mais que l'on regarde (a) Jésus-Christ comme un sujet de recherches curieuses, et que tant d'hommes se persuadent d'être bien savants dans les mystères de sou royaume, quand ils ont trouvé dans son Evangile de quoi exercer leur esprit par des questions délicates, ou de quoi l'amuser (b) par des méditations agréables ; c'est ce qui ne se peut souffrir à des chrétiens. Parce que Jésus-Christ est une lumière, ils s'imaginent peut-être qu'il suffit de la contempler et de se réjouir à sa vue ; mais ils- devraient penser au contraire que cette lumière n'éclaire que ceux qui la suivent, et non simplement ceux qui la regardent. « Qui me suit, nous dit-il, et non qui me voit, ne marche point dans les ténèbres : » Qui sequitur me, non ambulat in tenebris (1). Par où il nous fait entendre que qui le voit sans le suivre, n'en marche pas moins dans la nuit et dans les ombres de la mort. Ainsi « celui qui se vante de le connaître, et qui ne garde pas ses commandements , est un menteur, dit saint Jean , et la vérité n'est pas en lui (c) : » Qui dicit se nosse Deum, et mandata ejus non custodit, mendax est et in hoc veritas non est (2). Pourquoi ne connaît-il point Jésus-Christ ? Parce qu'il ne le connaît point tel qu'il est : je veux dire qu'il le connaît comme la vérité, mais il ne le connaît pas comme la voie ; et Jésus-Christ, comme vous savez, est l'un et l'autre, « Je suis, dit-il, la voie et la vérité : » Ego sum via et veritas (3) ; vérité qui doit être méditée par une sérieuse contemplation, mais voie où il faut entrer par de pieuses pratiques.

 

1 Joan., VIII, 12. — 2 I Joan., II, 4. — 8 Joan., XIV, 6.

 

(a) Var. : Le bien est ce qui nous rend meilleurs, comme les richesses ce qui nous rend riches. La science ne nous rend pas meilleurs, quand elle n'est que pour satisfaire la curiosité. Qu'on se serve ainsi des sciences humaines : mais que l'on regarde...— (b) Var.: Le contenter.— (c) On peut regarder Jésus-Christ en deux manières, ou comme un sujet de spéculation ou comme une règle de vie. Des premiers il est écrit : Qui dicit se nosse Deum et mandata ejus non custodit, mendax est. Ceux qui le connaissent de la sorte , il ne les connaît pas : Nescio vos. C’est pourquoi pour le bien connaître, il faut l'embrasser comme règle; et de là vient qu'en nous disant qu'il est la vérité, il dit premièrement qu'il est la voie.

 

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C'est donc une maxime infaillible, que la science du christianisme tend à la pratique et l'action, et qu'elle n'illumine que pour échauffer la connaissance, que pour exciter les affections. Mais nous l'entendrons beaucoup mieux, si nous réduisons les choses au premier principe et à la source de cette science. Cette source, ce premier principe de la science des Saints, c'est la foi, de laquelle il nous importe aujourd'hui de bien entendre la nature, afin de connaître aussi son usage et celui de toutes les connaissances qui en dépendent.

Pour cela nous remarquerons que toute la vie chrétienne nous étant représentée dans les Ecritures comme un édifice spirituel, ces mêmes Ecritures nous disent aussi que la foi en est le fondement. Saint Pierre ne paraît dans l'Evangile comme le fondement de l'Eglise qu'à cause qu'en reconnaissant Jésus-Christ, il a posé la première pierre et établi le fondement de la foi. L'Apôtre enseigne aux Colossiens que « nous sommes fondés sur la foi, et que c'est la fermeté de ce fondement qui nous rend immobiles et inébranlables dans l'espérance de l'Evangile : In fide fundati, et stabiles, et immobiles à spe Evangelii (1). Et ensuite le même saint Paul définit la foi « l'appui et le fondement des choses qu'il faut espérer (2). » C'est pourquoi le saint concile de Trente, suivant les traces de cette doctrine, nous décrit aussi la foi en ces termes : Humanœ salutis initium, fundamentum et radix totius justifîcationis (3) : « Le commencement du salut de l'homme, la racine et le fondement de toute la justice chrétienne. »

Cette qualité de fondement attribuée à la foi par le Saint-Esprit met, ce me semble, dans un grand jour la vérité (a) que j'annonce ; et il est maintenant bien aisé d'entendre que la foi n'est pas destinée pour attirer des regards curieux, mais pour fonder une conduite constante et réglée. Car qui ne sait, chrétiens, qu on ne cherche pas la curiosité dans le fondement que l'on cache en terre, mais la solidité et la consistance ? Ainsi la foi chrétienne n'est pas un spectacle pour les yeux, mais un appui pour les mœurs. Ce fondement est mis dans l'obscurité; mais ce fondement

 

1 Coloss., I, 23. — 2 Hebr., XI, 1. — 3 Sess. VI, cap. VIII.

 

(a) Var. : Apporte une grade lumière à.

 

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est établi avec certitude. Telle est la nature de la foi, laquelle, comme vous voyez, ne pouvant avoir l'évidence qui satisfait la curiosité , mais seulement la fermeté et la certitude capable de soutenir la conduite, il est aisé de comprendre qu'elle déploie toute sa vertu à nous appliquer à l'action, et non à nous arrêter à la connaissance.

Sainte Catherine, Messieurs, surmontant par la grandeur de son génie la faiblesse ordinaire de son sexe , avait appris dès sa tendre enfance toutes les sciences curieuses qui peuvent ou égayer, ou polir, ou enfin illuminer un esprit bien fait. Mais le Maître qui l'enseignait au dedans, avait rempli son esprit de connaissances bien plus pénétrantes. Aussi le chaste amour qu'elle avait pour elles, l'a voit tellement touchée , que méprisant tout le reste, elle rappelait de toutes parts ses autres pensées pour les réduire à la foi, pour les appuyer sur ce fondement, pour ensuite les appliquer de toute sa force aux saintes et bienheureuses pratiques de la piété chrétienne.

Si je ne me trompe, Messieurs, souvent elle méditait ce raisonnement, et je ne me trompe pas ; car quiconque est rempli de l'esprit de Dieu, s'il ne le fait pas dans la même forme que j'ai dessein de le proposer, il ne laisse pas toutefois d'être persuadé de son efficace. Voici donc le raisonnement de la sainte que nous honorons, ou plutôt le raisonnement du vrai chrétien, que chacun de nous doit faire en soi-même : J'ai cru à la parole du Fils de Dieu ; j'ai reçu la doctrine de son Evangile ; j'ai posé par ce moyen un lion fondement, fondement assuré et inébranlable, contre lequel les portes de l'enfer ne prévaudront pas : c'est le fondement de la foi, capable de soutenir immuablement la conduite de la vie présente et l'espérance de la vie future. Mais qui dit fondement, dit le commencement de quelque édifice; et qui dit fondement, dit le soutien de quelque chose. Que si la foi n'est encore qu'un commencement, il faut donc achever l'ouvrage ; et si la foi doit être un soutien, c'est une nécessité de bâtir dessus. Notre Sainte voit si clairement dans une lumière céleste cette conséquence importante, qu'elle n'a point de repos jusqu'à ce qu'elle ait bâti sur la foi et réduit sa connaissance en pratique. Mais un

 

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commencement aussi beau qu'est celui de la foi en Notre-Seigneur demande, pour y répondre , un bâtiment magnifique ; et un soutien aussi ferme, aussi solide, attend quelque structure hardie et quelque miracle d'architecture, si je puis parler de la sorte. Remplie de cette pensée, elle ne médite plus rien qui soit ordinaire ; elle n'a plus dans l'esprit que des choses qui surpassent toute la nature : le martyre, la virginité : celui-là capable de nous faire vaincre toute la fureur des démons, de nous élever au-dessus de la violence des hommes ; celle-ci donnée pour nous égaler à la pureté des esprits célestes.

Et plût à Dieu, chrétiens, que nous eussions aujourd'hui compris à l'exemple de cette Sainte, que quelque grande que soit la foi, quelque lumineuse que soit la science qui est appuyée sur ces principes, tout cela n'est encore qu'un commencement de l'œuvre qui se prépare. Peut-être que nous rougirions de nous arrêter dès le premier pas, et que nous craindrions de nous attirer ce reproche de l'Evangile : Hic homo cœpit œdificare (1) ; voilà cet homme inconsidéré, ce fou , cet insensé, qui fait un grand amas de matériaux, et qui ayant posé tous les fondements d'un édifice superbe et royal, tout d'un coup a quitté l'ouvrage, et laissé tous ses desseins imparfaits. Quelle légèreté ou quelle imprudence !

Mais pensons à nous, chrétiens : c'est nous-mêmes qui sommes cet homme insensé. Nous avons commencé un grand bâtiment, nous avons déjà établi la foi qui en est le fondement immuable, qui rend présentes les choses qu'on espère : Sperandarum substantia rerum, dit l'Apôtre (2). Pour poser ce fondement de la foi, quel effort a-t-il fallu faire? Le fonds destiné (a) pour le bâtiment était plus mouvant que le sable : car est-il rien de moins fixe que l'esprit humain, toujours variable en ses pensées, vague en ses désirs, chancelant dans ses résolutions? Il a fallu l'affermir : que de miracles, que de souffrances, que de prophéties, que d'enseignements, que d'inspirations, que de grâces ont été nécessaires pour servir d'appui ! Il y avait d'un côté des hauteurs superbes qui s'élevaient contre Dieu, l'opiniâtreté et la présomption ; il a

 

1 Luc., XIV, 30. — 2 Hebr., XI, 1.

 

(a) Var. : La terre choisie.

 

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fallu les abattre et les aplanir : de l'autre, des précipices affreux, l'erreur, l'ignorance, l'irrésolution qui menaçaient de ruine ; il a fallu les combler. Enfin que n'a-t-il pas fallu entreprendre pour poser ce fondement de la foi? Et après de si grands efforts et tant de préparatifs extraordinaires, on abandonne toute l'entreprise, et on met des fondements sur lesquels on ne bâtit rien ; peut-on voir une pareille folie? Insensés, ne voyons-nous pas que ce fondement attend l'édifice, que ce commencement de la foi demande sa perfection par la bonne vie ; et que ces murailles à demi élevées, qui se ruinent parce qu'on néglige de les achever, rendent hautement témoignage contre notre folle et téméraire conduite ? Hic homo cœpit œdificare, et non potuit consummare.

Mais poussons encore plus loin, et par le même principe disons, insistons toujours : Quelles ehos.es devons-nous bâtir sur ce fondement de la foi? Quelles autres choses, Messieurs, il est bien aisé de l'entendre : des choses proportionnées au fondement même, des œuvres dignes de la foi que nous professons. Car un architecte avisé, qui conduit son entreprise régulièrement (a) proportionne de telle sorte le fondement avec l'édifice, qu'on mesure et qu'on découvre déjà l'étendue, l'ordre, les hauteurs de tout le palais , en voyant la profondeur , les alignements, la solidité des fondations. Ne doutez pas qu'il n'en soit de même, Messieurs, de l'édifice dont nous parlons, qui est la vie chrétienne et spirituelle. Que cet édifice est bien entendu! Que l’ architecte est habile, qui en a posé le fondement ! Mais de peur que vous en doutiez, écoutez l'apôtre saint Paul: « J'ai, dit-il, établi le fondement ainsi qu'un sage architecte : » Ut sapiens architectus fundamentum posui (1). Mais peut-être s'est-il trompé. A Dieu ne plaise, Messieurs, car il n'agit pas, dit-il, de lui-même : « il agit selon la grâce qui lui est donnée ; » il bâtit suivant les lumières qu'il a reçues : Secundùm gratiam quœ data est mihi. Il a donc gardé toutes les mesures; et il ne pouvait se tromper, parce qu'il ne faisait que suivre le plan qui lui avait été envoyé d'en haut : Secundùm gratiam quœ data est mihi. Que s'il a conduit toute

 

1 I Cor., III, 10.

(a) Var. : Avec art.

 

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l'entreprise suivant les instructions et les règles d'une architecture céleste, qui doute qu'il n'ait gardé toutes les mesures, et ainsi que le bâtiment et l'ordre de l'édifice ne doivent 'répondre au fondement qu'a posé ce sage entrepreneur?

C'est pour cela, chrétiens, qu'il n'y a rien de plus grand, ni de plus magnifique que cet édifice, parce qu'il n'y a rien de plus précieux, ni de plus solide que ce fondement. Car dites-nous, ô grand Paul, quel fondement avez-vous posé ? N'entendez-vous pas sa réponse ? « On ne peut point, dit-il, poser d'autre fondement, sinon celui que j'ai mis, qui est Jésus-Christ? » Fundamentum aliud nemo potest ponere prœter id quod positum est, quod est Christus Jesus (1). O le merveilleux fondement, qui est établi en nous par la foi! Et que saint Paul a raison de nous avertir de prendre garde avec soin à ce que nous aurons à bâtir dessus! Unusquisque videat quomodo superœdifcet (2). Certainement, chrétiens, sur un fondement si divin, il ne faut rien élever qui ne soit auguste : si bien que toute la science des saints consiste à connaître ce fondement, et toute la pratique de la sainteté à savoir ériger dessus des choses qui lui conviennent, des œuvres qui sentent son esprit, des mœurs tirées sur ses exemples, une vie toute formée sur ses préceptes, sur sa doctrine.

Ainsi sainte Catherine ayant établi ce fondement, plus elle en connaissait la dignité par la science des saints, plus elle s'étudiait à bâtir dessus un édifice proportionné, et il est aisé de l'entendre. Un Dieu s'est humilié et anéanti; voilà, Messieurs, le fondement. Qu'est-ce que notre Sainte a bâti dessus ? Un mépris de son rang et de sa noblesse (a), pour se couvrir toute entière des opprobres de Jésus-Christ et de la glorieuse infamie de son Evangile. Un Dieu est né d'une Vierge : voilà le fondement du christianisme; et Catherine érige dessus, quoi? L'amour immortel et incorruptible de ta pureté virginale. Un Dieu a comparu, dit le saint Apôtre (3), devant le tribunal de Ponce-Pilate pour y rendre un témoignage fidèle : voilà le fondement de la foi; et je vois sainte Catherine qui, pour bâtir sur ce fondement, marche au trône des

 

1 I Cor., III, 11. — 2 Ibid. 10. — 3 I Timoth., VI, 13

(a) Var. : Un dédain généreux des grandeurs du monde.

 

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empereurs pour y rendre un témoignage semblable, et y soutient invinciblement la vérité de l'Evangile (a). Si Jésus est étendu sur la croix, Catherine se présente aussi pour être étendue sur une roue : si Jésus donne tout son sang, Catherine lui rend tout le sien : et enfin, en toute manière, il n'y a rien de plus convenable que ce fondement et cet édifice.

Chrétiens, il est véritable : le même fondement est posé en nous parla grâce du saint baptême et par la profession du christianisme. Mais que l'édifice est différent, que le reste de la structure est dissemblable ! Est-ce vous, ô divin Jésus, qui êtes le fondement de notre foi ? Pourquoi donc ce mélange indigne de nos désirs criminels avec ce divin fondement? O foi et science des chrétiens! O vie et pratique des chrétiens ! Est-il rien de plus opposé, ni de plus discordant que vous êtes ? Voyez la bizarrerie : un fondement d'or et de pierres précieuses : un bâtiment de bois et de paille ! Je parle avec l'Apôtre (1), qui nous représente par là les péchés, matière vraiment combustible et propre à exciter et entretenir le feu de la vengeance divine. O foi, que vous êtes pure ! O vie, que vous êtes corrompue ! Quels yeux ne seraient pas choqués d'une si haute inégalité, si on la regardait avec attention? Et faut-il autre chose que la sainteté de ce fondement, pour convaincre l'extravagance criminelle de ceux qui ont élevé cet édifice ?

Eveillons-nous donc, chrétiens; et que ce mélange prodigieux de Jésus-Christ et du monde commençant à offenser notre vue, nous presse à nous accorder avec nos propres connaissances. Car comment nous pouvons-nous supporter nous-mêmes, en croyant de si grands mystères, et les déshonorant tout ensemble par un mépris si outrageux ? « Ne porterons-nous donc le nom de chrétiens, que pour déshonorer Jésus-Christ? » Dicuntur christiani ad contumeliam Christi (2). Quelle crainte vous peut empêcher de bâtir sur ces fondements? Ce qu'on vous prêche est grand, je le

 

1 I Cor., III, 12. — 2 Salv., de Gub. Dei, lib. VIII, n. 2.

 

(a) Var. : Jésus-Christ, fils d'une Vierge : Fundamentum posui : amour de la virginité : Alius autem superadificat. Jésus-Christ a rendu témoignage devant Ponce-Pilate, fundamentum posui. Sainte Catherine va trouver e tyran : Alius autem superaedificat. Ainsi nous devons bâtir sur notre foi, de peur qu'on ne dise : Hic homo cœpit œdificare et non potuit consummare.

 

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sais : se haïr soi-même, dompter ses passions, se contraindre, se mortifier, vaincre ses plaisirs, mépriser non-seulement ses biens, mais sa vie pour la gloire de Jésus-Christ, j'avoue que l'entreprise est hardie ; mais voyez aussi, chrétiens, combien ce fondement est inébranlable. Quoi! vous n'appuyez dessus qu'en tremblant, comme s'il était douteux et mal affermi : vous marchez dessus d'un pas incertain , vous n'osez y mettre qu'un pied et tenez l'autre posé sur la terre, comme si elle était plus ferme. Et pourquoi chancelez-vous si longtemps entre Jésus-Christ et le monde? Que vous sert de connaître les vérités saintes, si vous n'allez point après la lumière qu'elles allument devant vos yeux ?

O Jésus, ô divin Jésus, nous allons changer aujourd'hui par votre grâce une conduite si déréglée ; nous ne voulons plus de lumières que pour les réduire en pratique. Nous ne désirons de croître en science que pour nous affermir dans la piété : nous ferons céder au désir de faire la curiosité de connaître; et nous fortifierons notre volonté par la modération de notre esprit. Ainsi ayant appris saintement à profiter au dedans de notre science, nous pourrons la produire ensuite dans le même esprit que notre Sainte, pour glorifier la vérité par un témoignage fidèle : c'est ma seconde partie.

 

SECOND POINT.

 

La vérité est un bien commun : quiconque la possède, la doit à ses frères selon les occasions que Dieu lui présente : et « quiconque se veut rendre propre ce bien public de la nature raisonnable (a), mérite bien de le perdre et d'être réduit, dit saint Augustin, à ce qui est véritablement le propre de l'esprit de l'homme, c'est-à-dire le mensonge et l'erreur : » Quisquis suum vult esse quod omnium est, à commuai propellitur ad Sua, id est, à veritate ad mendacium (1).

Par ce principe, Messieurs, celui que Dieu a honoré (b) du don de science est obligé d'éclairer les autres (c). Mais comme en

 

1 Confess., lib. XII, cap. XXV.

(a) Var. : Veut se rendre particulier ce bien universel du genre humain. — (b) Rempli. — (c) N. marg. ; Il n'est pas permis de tenir la vérité cachée : elle ne craint rien que d'être cachée, dit un ancien. Et saint Augustin : Terribiliter

 

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faisant connaître la vérité il se fait paraître lui-même, et que ceux qui sont instruits par son entremise lui rendent ordinairement des louanges comme une juste reconnaissance d'un si grand bienfait, il est à craindre qu'il ne se corrompe par les marques de la faveur publique, et qu'il ne perde sa récompense par un désir empressé de la recevoir (a).

Que si les têtes les plus fortes sont souvent émues d'un encens si délicat et si pénétrant (b), combien plus celle d'une jeune fille, en qui l'opinion de science est d'autant plus applaudie qu'elle est plus extraordinaire en son sexe? C'est ici le miracle de la main de Dieu dans la Sainte que nous honorons; et quoique ce soit un grand prodige de voir Catherine savante, c'est encore quelque chose de plus surprenant de voir Catherine modeste, et ne se servir de cette science que pour faire régner Jésus-Christ.

 

Les dames modestes et chrétiennes voudront bien entendre en ce lieu les vérités de leur sexe. Leur plus grand malheur, chrétiens, c'est qu'ordinairement le désir de plaire est leur passion dominante; et comme pour le malheur des hommes, elles n'y réussissent que trop facilement, il ne faut pas s'étonner si leur vanité est souvent extrême, étant nourrie et fortifiée par une complaisance presque, universelle. Qui ne voit avec quelle pompe elles étalent cette beauté qui ne fait que colorer la superficie? Que si elles se sentent dans l'esprit quelques avantages plus considérables, combien les voit-on empressées à les faire éclater dans leurs entretien»? et quel paraît leur triomphe , lorsqu'elles s'imaginent charnier tout le monde? C'est la raison principale pour

 

admonens nos ut nolimus eum habere privatam. C'est un bien public : mais en la manifestant il faut craindre la vaine gloire. Pour l'empêcher, belle distinction que fait la théologie : Gratia gratum faciens, gratiae gratis datœ : celle-là, pour nous; celles-ci, toutes pour les autres. Sur cette distinction raisonner ainsi : Ces premières grâces, par exemple la charité, nous sont données pour nous-mêmes et pour l'ornement intérieur de nos aines; et néanmoins il n'est pas permis d'en tirer de la gloire, parce qu'encore qu'elles soient données pour nous, elles ne viennent pas de nous : Si accepisti, quid gloriaris ? De la seconde espèce il est bien moins permis de se glorifier. Elle a cela de commun avec la première qu'elle ne vient point de nous; et cela de particulier, qu'elle n'est pas pour nous. Vous faites un double vol : vous l'ôtez à celui dont elle vient; cela lui est commun avec la première : mais voici un redoublement de mal; c’est que vous la ravissez à celui pour qui elle est donnée. — (a) Var. : En la voulant trop tôt recevoir. — (b) Et si subtil.

 

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quelle, si je ne me trompe, on les exclut des sciences, parce que quand elles pourraient les acquérir, elles auraient trop de peine à les porter : de sorte que si on leur défend cette application, ce n'est pas tant à mon avis dans la crainte d'engager leur esprit à une entreprise trop haute, que dans celle d'exposer leur humilité à une épreuve trop dangereuse.

Pour guérir en elles cette maladie, l'Eglise leur propose sainte Catherine au milieu d'une assemblée de philosophes, également victorieuse de leurs flatteries et de leurs vaines subtilités, et se démêlant d'une même force des pièges qu'ils tendent à son esprit et des embûches qu'ils dressent à sa modestie : A laqueo linguœ iniquœ et à labiis operantium mendacium (1). C'est qu'elle sait, chrétiens, que ce beau talent de science ne lui a pas été confié pour en tirer avantage ; et lors même que Dieu nous le donne, qu'il n'est pas à nous pour deux raisons. Premièrement il n'est pas à nous, non plus que les autres dons de la grâce, parce qu'il nous est élargi d'en haut. Mais outre cette raison générale, qui est que ce don ne vient pas en nous de nous-mêmes, il a ceci de particulier, qu'il ne nous est pas donné pour nous-mêmes. Car la théologie n'ignore pas, et je le dirai en passant, que la science n'est pas de ces grâces qui nous rendent plus agréables à la divine Majesté; mais de cette autre espèce de grâces qui sont communiquées pour le bien des autres, tel qu'est, comme chacun sait, le don des miracles. Comme donc nous ne sommes pas plus saints ni plut justes pour être éclairés par la science, je ne crains point de vous dire, que ce n'est pas un avantage particulier. Car c'est une espèce de trésor public, auquel ceux qui le possèdent peuvent bien prendre leur part pour leur instruction, comme les autres enfants de l'Eglise ; mais dont ils ne peuvent se donner la gloire, non plus que s'attribuer la propriété, sans une espèce de vol sacrilège. Car si l’on nous défend de nous glorifier de ce qui nous est donné par nous-mêmes, combien moins le devons-nous faire de ce qui nous est donné pour les autres, pour toute l'Eglise.

Ainsi la science chrétienne ne se doit jamais produire au dehors pour se faire admirer elle-même. Elle a un plus digne office,

 

1 Eccli., LI, 3.

 

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dont elle se doit tenir assez glorieuse, c'est de faire paraître Jésus-Christ ; et la raison en est évidente. Quand on présente au miroir quelque beau visage, dites-le-moi, chrétiens, n'est-ce pas pour faire paraître, non la glace, mais le visage? Et tout l'honneur du miroir, si je puis parler de la sorte, n'est que dans une fidèle représentation. La science du christianisme, qu'est-ce autre chose qu'un miroir fidèle et céleste, dans lequel Jésus-Christ se représente ? Quand Jésus-Christ donne à ses fidèles la science de ses vérités, que fait-il autre chose en eux, sinon de poser dans leur esprit un miroir céleste de ses propres perfections (a) ? Ne vous persuadez pas, ô vous qui êtes ornés de cette science, que vous deviez la faire paraître avec soin, mais seulement Jésus-Christ, dont elle montre au naturel les perfections. C'est pourquoi, dit le saint Apôtre, nous ne nous prêchons pas nous-mêmes, mais Jésus-Christ Notre-Seigneur : nous ne montrons le miroir que pour faire voir le visage, nous ne produisons la science que pour faire connaître Jésus-Christ. Il est vrai qu'il a plu à Dieu de répandre sur nous ses lumières : « Le même Dieu qui a commandé que la lumière sortît des ténèbres, a fait luire sa clarté dans nos cœurs : » Qui dixit de tenebris lumen splendescere, ipse illuxit in cordibus nostris (1). Mais ce n'est pas pour nous donner un vain éclat, à nous qui n'étions que ténèbres ; c'est qu'il a voulu imprimer dans la science qu'il nous a donnée, comme dans une glace unie, l'image de son Fils notre Sauveur, afin que tout le monde admirât sa face et fût ravi de ses beautés immortelles : ipse illuxit in cordibus nostris, ad illuminationem scientiœ claritatis Dei in facie

Christi Jesu.

Catherine voyant reluire en son âme l'image de la vérité dans celle de Jésus-Christ, la trouve si belle et si accomplie, qu'elle veut l'exposer dans le plus grand jour : elle n'emploie sa science que pour faire connaître la vérité ; mais afin qu'elle paraisse

 

1 II Cor., IV, 6.

(a) Var. : Il faut se considérer connue un canal ou comme un miroir. Si le

miroir reluit, ce n'est que d'une lumière empruntée , qui ne vient pas de lui, mais du soleil; et qui n'est pas destinée pour lui, mais afin de rejaillir sur les autres objets par son moyen. Ainsi les docteurs sont des miroirs, ad illuminationem scientiae claritatis Dei in facie Christi Jesu.

 

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comme triomphante, elle met à ses pieds la philosophie, qui est son ennemie capitale. Pour confondre la philosophie, elle s'était instruite de tous ses détours ; et afin d'assurer le triomphe de la vérité sur cette rivale, elle fait deux choses admirables : elle la désarme et la dépouille. Elle la désarme, comment? Elle détruit les erreurs qu'elle a établies; c'est ainsi qu'elle la désarme. Elle la dépouille, en quelle manière ? Elle lui ôte les vérités qu'elle a usurpées; c'est ainsi qu'elle la dépouille. Voici, Messieurs, un beau combat, et qui mérite vos attentions.

Encore que les philosophes soient les protecteurs de l'erreur, toutefois ils ont découvert quelques rayons de la vérité. « Quelquefois, dit Tertullien, ils ont frappé à sa porte : » Veritatis fores pulsant (1). S'ils ne sont pas entrés dans son sanctuaire, s'ils n'ont pas eu le bonheur de la voir et de l'adorer dans son temple, ils se sont quelquefois présentés à ses portiques (a), et lui ont rendu de loin quelque hommage. Soit que dans ce grand débris des connaissances humaines, Dieu en ait voulu conserver quelque petit reste comme des vestiges de notre première institution ; soit, comme dit Tertullien, que « cette longue et terrible tempête d'opinions et d'erreurs les ait quelquefois jetés au port par aventure et par un heureux égarement (b) : » Nonnunquàm et in procellà, confusis vestigiis cœli et freti, aliquis portus offenditur, prospero errore (2); soit que la Providence divine ait voulu faire éclater sur eux quelque rayon de lumière pour la conviction de leurs erreurs : il est assuré, chrétiens, qu'au milieu de tant de ténèbres ils ont entrevu quelque jour et reconnu confusément quelques vérités. Mais le grand Paul leur reproche qu'ils les ont injustement détenues captives (3) ; et en voici la raison. C'est qu'ils voyaient le principe, et ils ne voulaient pas ouvrir les yeux pour en reconnaître les conséquences nécessaires (c). Par exemple, l'ordre visible du monde leur découvrait manifestement les invisibles

 

1 Tertull, De testim. anim., n. 1. — 2 De Anima, n. 2. — 3 Rom., I, 18.

(a) Var. : Ils ont paru à l'entrée. — (b) Soit que par une heureuse rencontre cette grande tempête d’opinions les ait comme par hasard conduits au port, caecà felicitate. — (c) Mais elles étaient captives, parce qu’ils ne permettaient pas qu’on en tirât les conséquences légitimes, si bien qu'il semblait qu'ils n'avaient la vérité que pour la falsifier et la corrompre par un indigne mélange.

 

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perfections de son Créateur ; et quoique la suite de cette doctrine fût de lui rendre l'hommage qu'une telle Majesté exige de nous , ils refusaient de servir celui qu'ils reconnaissaient pour leur Souverain. Ainsi la vérité gémissait captive sous une telle contrainte et souffrait violence en eux, parce qu'elle n'agissait pas dans toute sa force : de sorte qu'il la fallait délivrer du pouvoir (a) de ces violents usurpateurs, et la remettre comme une vierge honnête et pudique entre les mains du christianisme, qui seul la conserve dans sa pureté.

C'est ce que fait aujourd'hui sainte Catherine : elle fait paraître Jésus-Christ avec tant d'éclat, que les erreurs que soutenait la philosophie sont dissipées par sa présence ; et les vérités qu'elle avait enlevées violemment, viennent se rendre à lui comme à leur Maître, ou plutôt se réunir en lui comme dans leur centre : ainsi la philosophie est forcée de rendre les armes (b). Mais quoiqu'elle soit vaincue et persuadée, elle a peine à déposer son premier orgueil, et elle paraît encore étonnée d'être devenue chrétienne. Mais enfin les raisonnements de Catherine l'amènent captive au pied de la croix : elle ne rougit plus de ses fers; au contraire elle s'en trouve honorée, et il semble qu'elle prend plaisir de céder à une sagesse plus haute.

Apprenons d'un si saint exemple à rendre témoignage à la vérité, à la faire triompher du monde, à faire servir toutes nos lumières à un si juste devoir qu'elle nous impose (c). O sainte vérité, je vous dois trois sortes de témoignages : je vous dois le témoignage de ma parole ; je vous dois le témoignage de ma vie ; je vous dois le témoignage de mon sang. Je vous dois le témoignage de ma parole :ô Vérité, vous étiez cachée dans le sein du Père éternel, et vous avez daigné par miséricorde vous manifester à nos yeux. Pour honorer cette charitable manifestation , je vous dois manifester au dehors par le témoignage de ma parole. Périssent tous mes discours, disait le Prophète ', et que ma langue

 

1 Psal. CXXXVI, 6.

(a) Var. ; Arracher des main-. — (b) Elle veut faire régner la vérité sur les philosophes : elle apprend à  ces savants orgueilleux à parler le langage des pauvres pécheurs. — (c)   A donner la victoire à la vérité, en lui rendant témoignage.

 

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soit éternellement attachée à mon palais, si je t'oublie jamais ô vérité ! et si je ne te rends témoignage.

Mais, chrétiens, il ne suffit pas de lui donner celui de la voix, qui n'est qu'un son inutile; et notre zèle est trop languissant, s'il ne consacre que des paroles à la vérité, qui ne peut être assez honorée que par des effets dignes d'elle. Car sa solidité immuable n'est pas suffisamment reconnue par nos discours, qui ne sont que des ombres de nos pensées ; et il faut qu'elle soit gravée en nos mœurs par des marques effectives de notre affection. Ne donner que la parole à la vérité, c'est donner l'ombre pour le corps, et une image imparfaite pour l'original. Il faut honorer la vérité par la vérité, en la faisant paraître en nous-mêmes par des effets dignes d'elle.

Mais outre le témoignage des œuvres, nous devons encore à la vérité le témoignage du sang. Car la vérité c'est Dieu même : il lui faut un sacrifice complet pour lui rendre tout le culte qui lui est dû, et pour honorer dignement l'éternelle consistance de sa vérité (a). Nous devons nous préparer tous les jours à nous détruire pour elle, si jamais elle exige de nous ce service. Ainsi a fait Catherine, qui étant remplie si abondamment de la science des saints, pour en rendre ses actions de grâce à la vérité, l'a glorifiée devant tout le monde par le témoignage de sa parole, qu'elle a soutenu par celui de sa vie et enfin scellé et confirmé par celui de son sang : de sorte qu'il ne faut pas s'étonner si une science si bien employée au service de la vérité, a fait un si grand profit dans ce commerce spirituel et a gagné tant d’âmes à Jésus-Christ; c'est ce qui me reste à vous expliquer dans la troisième partie.

 

TROISIÈME POINT.

 

C'est un indigne spectacle que de voir les dons de l'esprit servir aux intérêts temporels. Je ne vois rien de plus servile que ces âmes (b) basses qui regrettent toutes, leurs veilles, qui murmurent  contre leur science et l'appellent stérile et infructueuse,

 

(a) Var. : Il lui faut un sacrifice complet pour l'honorer selon sa dignité. —

(b) Je ne puis souffrir ces âmes.

 

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quand elle ne fait pas leur fortune. Mais que les sciences humaines s'oublient de leur dignité jusqu'à n'avoir plus d'usage que dans le commerce, ce n'est pas à moi, chrétiens, de le déplorer dans cette chaire. Faut-il, sainte fille du ciel, source des conseils désintéressés, auguste science du christianisme, faut-il que je vous voie en nos jours si indignement ravilie que de vous rendre esclave de l'avarice ? Un tel opprobre, Messieurs, que font à Jésus-Christ et à l'Evangile les ouvriers mercenaires, mérite bien, ce me semble, que nous établissions ici des maximes fortes pour épurer les intentions ; et la science de notre Sainte consacrée uniquement au salut des âmes, nous en donnera l'ouverture.

Vous croirez aisément, Messieurs, que les lumières de son esprit et la vaste étendue de ses connaissances, soutenue de l'éclat d'une jeunesse florissante et de l'appui d'une race illustre dont elle était l'ornement, lui donnaient de grands avantages pour s'établir dans le monde. En effet ses historiens nous apprennent que l'empereur et toute sa Cour l'avoient regardée comme la merveille de son siècle. Mais elle n'a garde de rabaisser les lumières de l'Esprit de Dieu jusqu'à les faire servir à la fortune, surtout dans une Cour infidèle : elle fait valoir ce talent dans un commerce plus haut ; elle l'emploie à négocier le salut des âmes.

Et en effet, chrétiens, ce glorieux talent de science est destiné sans doute pour quelque commerce. Jésus-Christ en le confiant à ses serviteurs : « Négociez, leur a-t-il dit, jusqu'à ce que je vienne : » Negotiamini donec venio (1). Mais c'est un commerce divin où le monde ne peut avoir part, et deux raisons-invincibles nous le persuadent. La première se tire de la dignité de ce céleste dépôt ; la seconde, de celui qui nous l'a commis et qui s'en est toujours réservé le fonds. Mettons ces deux raisons dans un plus grand jour ; et premièrement, chrétiens , pour apprendre à n'avilir pas le talent de la science chrétienne, considérons sa valeur et sa dignité.

La matière dont est composée cette céleste monnaie, c'est l'Evangile et tous ses mystères. Mais quelle image admirable y vois-je empreinte? Cujus est imago hœc (2)? Je l'ai déjà dit,

 

1 Luc., XII, 13. — 2 Matth., XXII, 20.

 

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chrétiens, l'image qui est imprimée sur notre science , c'est l'image de Jésus-Christ, Roi des rois. O que la marque d'un si grand Prince rehausse le prix de ce talent, et que sa valeur est inestimable !

Que faites-vous, âmes mercenaires, lorsque vous n'avez autre but que d'en trafiquer avec le monde pour acquérir des biens temporels? Le commerce se fait par échange; l'échange est fondé sur l'égalité : quelle égalité trouvez-vous entre la science de Dieu, qui comprend en elle-même les trésors célestes, et ces malheureux avantages dont la fortuné dispose ?

Le premier homme, Messieurs, qui a osé (a) mettre de l'égalité entre des choses aussi dissemblables que l'argent et les dons de Dieu, c'est cet infâme Simon le Magicien, qui a mérité pour ce crime la malédiction des apôtres, et ensuite est devenu l'exécration de tous les siècles suivants. Mais je ne crains point d'assurer que ceux qui ne s'étudient à la science ecclésiastique que pour entrer dans les bénéfices, ou pour ménager par quelque autre voie leurs intérêts temporels, marchent sur les pas de ce magicien, et attirent sur eux comme un coup de foudre cette imprécation apostolique : Pecunia tecum sit in perditionem (1) : « Que ton argent, malheureux ! soit avec toi en perdition. »

Dirai-je ici ce que je pense ? Ils s'accordent avec Simon en égalant les choses divines aux biens périssables : mais il y a cette différence honteuse pour ceux dont je parle, que dans le marché de Simon l'argent est le prix qu'il offre, la grâce du Saint-Esprit le bien qu'il veut acquérir ; et que ceux-ci renversent l'ordre du contrat, pour le rendre plus profane et plus mercenaire. Ils prodiguent et prostituent le présent du ciel, pour avoir les biens de la terre. Simon donnait son argent pour le don de Dieu, et ceux-ci dispensent le don de Dieu pour mériter de l'argent : quelle indignité! Si bien qu'au lieu que saint Pierre reproche à Simon « qu'il avait voulu acquérir le don de Dieu par argent : » Donum Dei existimasti pecunia possideri (2), nous pouvons dire de ceux-ci qu'ils veulent acquérir de l'argent parle don de Dieu :

 

1 Act., VIII, 20. — 2 Ibid.

(a) Var. ; Voulu.

 

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en quoi ils seraient sans comparaison plus lâches et plus criminels que Simon, n'était qu'il a joint l'un et l'autre crime , et que. les Pères ont sagement remarqué (1) que sans doute il ne voulait acheter que dans le dessein de vendre.

Certainement, chrétiens, ceux qui profanent ainsi la science du christianisme n'en connaissent pas le mérite ; autrement ils rougiraient de la ravilir par un usage si bas : aussi voyons-nous ordinairement que ces ouvriers mercenaires altèrent et falsifient par un mélange étranger cette divine monnaie. Ils ne débitent point ces maximes pures qui enseignent à mépriser, et non à ménager les biens de la terre. La science qu'ils étudient n'est pas la science de Dieu, victorieuse du siècle et de ses convoitises (a) ; mais une science flatteuse et accommodante, propre aux négoces du monde, et non au sacré commerce du ciel : Et in avaritiâ fictis verbis de vobis negotiabuntur (2) : « L'avarice les portera à vous séduire par des paroles artificieuses, pour faire de vous une espèce de trafic. »

Que si nous méditons saintement la pure science du christianisme, mettons-la aussi à son droit usage, faisons notre gain du salut des âmes, prenons un noble intérêt et tâchons de profiter dans un commerce si honorable. Imitons sainte Catherine qui fait valoir de telle sorte ce divin talent, que les courtisans et les philosophes, ses amis et ses ennemis, enfin tous ceux qui l'approchent et même l'impératrice sont poussés d'un désir ardent de se donner à Jésus-Christ.

C'est ainsi qu'il fallait user de cet admirable trésor, qui avait été commis à sa foi. Car pour venir, chrétiens, à la seconde raison que j'ai promis de vous proposer, et avec laquelle je m'en vais conclure, la science du christianisme est un bien qui n'est pas à nous. Jésus-Christ, en le mettant en nos mains, s'en est réservé le fonds : nous l'avons de lui par emprunt, ou plutôt il nous l'a confié ainsi qu'un dépôt duquel nous devons un jour lui rendre raison : Negotiamini dùm venio : « Négociez, je vous le permets; » mais sachez que je viendrai vous demander compte

 

1 S. August., in Psal. CXXX, n. 5. — 2 II Petr., II,3.

(a) Var. : Du monde et de ses pompes.

 

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de toute votre administration et de l'emploi que vous aurez fait de mon bien.

S'il est ainsi, chrétiens, ne disposons pas de ce bien comme si nous en étions les propriétaires. Il est, ce me semble, assez équitable que si nous employons le bien d'autrui, ce soit dans quelque commerce dans lequel le maître puisse prendre part. Et quelle part donnerez-vous au divin Sauveur dans ces terres, dans ces revenus, dans ces bénéfices que vous accumulez sans mesure? « Ne savez-vous pas qu'il est notre Dieu, et qu'il n'a pas besoin de nos biens? » Deus meus es tu, quoniam bonorum meorum non eges (1). Mais s'il n'a pas besoin de nos biens, j'ose) dire qu'il a besoin de nos âmes. C'est pour ces âmes chéries qu'il descendra bientôt du ciel sur la terre : pour trouver ces âmes perdues et égarées comme des brebis, il a couru tous les déserts; pour les réunir au troupeau sacré, il les a portées sur ses épaules; pour les laver de leurs taches, il a versé tout son sang; pour les guérir de leurs maladies, il a répandu l'onction de son Saint-Esprit ; pour les nourrir et les fortifier, il leur a donné son propre corps.

Par conséquent, mes Frères, c'est dans ce commerce des âmes qu'il faut faire profiter ses dons; et quand viendra le temps de rendre les comptes, ce grand Econome ne rougira pas de partager avec vous un profit si honorable. Il recevra de votre main ces âmes que vous lui aurez amenées; et de sa part, pour reconnaître un si beau travail : Venez, dira-t-il, serviteur fidèle, qui avez fait valoir mon dépôt en mon esprit et selon mes ordres : il est temps que vous receviez votre récompense.

Quelle sera la proportion de cette glorieuse récompense? Le prophète Daniel nous le fait entendre : Qui docti fuerint, fulgebunt quasi splendor firmamenti; et qui ad, justitiam erudiunt multos, quasi stellœ in perpetuas œternitates (2) : « Ceux, dit-il, qui auront appris des autres la sainte doctrine, brilleront comme la splendeur du firmament; et ceux qui l'auront enseignée, paraîtront comme des étoiles durant toute l'éternité. » Où vous voyez, chrétiens, par quelle sage disposition de la justice divine , ceux qui ont reçu d'ailleurs leurs instructions sont comparés au

 

1 Psal. XV, 2. — 2 Dan., XII, 3.

 

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firmament qui luit seulement par réflexion de la lumière des astres; mais que ceux qui ont éclairé l'Eglise par la doctrine de vérité, sont eux-mêmes des astres brillants et sources d'une lumière vive et immortelle.

Ainsi sainte Catherine réjouit par un double éclat la céleste Jérusalem. Elle est toute lumineuse pour avoir appris humblement et fidèlement pratiqué ce qu'on enseigne de plus excellent dans l'Ecole de Jésus-Christ : mais cet éclat est relevé au centuple, parce qu'elle a répandu bien loin les lumières de la science de Dieu, et qu'elle a fait luire sur plusieurs âmes les vérités éternelles.

Ne croyez pas, chrétiens, que ceux qui ont reçu dans l'Eglise le ministère d'enseigner les autres, soient les seuls à prétendre à cette récompense que même une fille a pu mériter. Tous les fidèles de Jésus-Christ doivent espérer cette gloire, parce que tous doivent travailler à s'édifier mutuellement par de saintes instructions. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul avertit en général les enfants de Dieu qu'ils doivent assaisonner leurs discours du sel de la sagesse divine : Sermo vester semper in gratiâ sale sit conditus, ut sciatis quomodo oporteat vos unicuique respondere (1) : « Que votre entretien soit toujours édifiant et assaisonné du sel de la sagesse, en sorte que vous sachiez comment vous devez répondre à chaque personne. » O que ces conversations sont remplies de grâce, et que ce sel a de force pour faire prendre goût à la vérité ! Lorsqu'on entend les prédicateurs, je ne sais quelle accoutumance malheureuse de recevoir par leur entremise la parole de l'Evangile fait qu'on l'écoute de leur bouche plus nonchalamment. On s'attend qu'ils reprendront les mauvaises mœurs; on dit qu'ils le font d'office, et l'esprit humain indocile y fait moins de réflexion. Mais quand un homme que l'on croit du monde, simplement et sans affectation propose de bonne foi ce qu'il sent de Dieu en lui-même; quand il ferme la bouche à un libertin qui fait vanité du vice ou qui raille impudemment des choses sacrées, encore une fois, chrétiens, qu'une telle conversation assaisonnée de ce sel de grâce a de force pour exciter l'appétit et réveiller le goût des biens éternels !

 

1 Coloss., IV, 6.

 

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Donc, mes Frères, que tout le monde prêche l'Evangile dans sa famille, parmi ses amis, dans les conversations et les compagnies ; que chacun emploie toutes ses lumières pour gagner les âmes que le monde engage, pour faire régner sur la terre la sainte vérité de Dieu que le monde tâche de bannir par ses illusions. Si l'erreur, si l'impiété, si tous les vices ont leurs défenseurs , ô sainte vérité ! serez-vous abandonnée de ceux qui vous servent? Quoi! ceux mêmes qui font profession d'être vos amis, n'oseront-ils parler pour votre gloire ? Parlons, mes Frères, parlons hautement pour une cause si juste; résistons à l'iniquité, qui ne se contentant plus qu'on la souffre, ose encore exiger qu'on lui applaudisse. Parlons souvent de nos espérances, de la douce tranquillité d'une âme fidèle, des ennuis dévorants de la vie présente, de la paix qui nous attend en la vie future. Ainsi la vérité éternelle que nous aurons glorifiée par nos discours , nous glorifiera par ses récompenses dans la sainte société que je vous souhaite aux siècles des siècles avec le Père, le Fils, et le Saint-Esprit. Amen.

 

SECONDE PÉRORAISON
POUR
LE PANÉGYRIQUE  DE  SAINTE CATHERINE.

 

La science du christianisme est un bien qui n'est pas à nous. Jésus-Christ, en le mettant en nos mains, s'en est réservé le fonds : nous l'avons de lui par emprunt, ou plutôt il nous l'a confié ainsi qu'un dépôt duquel nous devons un jour lui rendre raison: Negotiamini dùm venio : « Négociez, je vous le permets ; » mais sachez que je viendrai vous demander compte de toute votre administration et de l'emploi que vous aurez fait de mon bien.

S'il est ainsi, chrétiens, ne disposons pas de ce bien comme si nous en étions les propriétaires. Il est, ce me semble, assez

 

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équitable que si nous employons le bien d'autrui, ce soit dans quelque commerce dans lequel le Maître puisse prendre part. Et quelle part donnerez-vous au divin Sauveur dans ces terres, dans ces revenus, dans ces bénéfices que vous accumulez sans mesure? « Ne savez-vous pas qu'il est notre Dieu, et qu'il n'a pas besoin de nos biens? » Deus meus es tu, quoniam bonorum meorum non eges (1). Mais s'il n'a pas besoin de nos biens, j'ose dire qu'il a besoin de nos âmes. C'est pour ces âmes chéries qu'il descendra bientôt du ciel sur la terre : pour trouver ces âmes perdues et égarées comme des brebis, il a couru tous les déserts ; pour les réunir au troupeau sacré, il les a portées sur ses épaules; pour les laver de leurs taches, il a versé tout son sang ; pour les guérir de leurs maladies, il a répandu l'onction de son Saint-Esprit; pour les nourrir et les fortifier, il leur a donné son propre corps.

Par conséquent, mes Frères, c'est dans ce commerce des âmes qu'il faut faire profiter ses dons ; et quand viendra le temps de rendre les comptes, ce grand Econome ne rougira pas de partager avec vous un profit si honorable. Il recevra de votre main ces âmes que vous lui aurez amenées; et de sa part, pour reconnaître un si beau travail : Venez, dira-t-il, serviteur fidèle, qui avez fait valoir mon dépôt en mon esprit et selon mes ordres : il est temps que vous receviez votre récompense.

        C'est pour ce négoce céleste que cette maison est établie : on leur apprend la science, non pour retentir dans un barreau ; c'est la science ecclésiastique, destinée pour négocier le salut des âmes. C'est pourquoi on les choisit dès cet âge tendre, pour prévenir le cours de la corruption du siècle, et donner s'il se peut aux autels des ministres innocents. O innocence, que tu aurais de vertu dans les fonctions sacerdotales, que de bénédictions et de grâces ! Mais où te trouvera-t-on sur la terre? On travaille du moins en cette maison à te conserver des vaisseaux sans tache; c'a toujours été l'esprit de l'Eglise. « On les doit retenir sous la discipline, les instruire par la doctrine ecclésiastique, » ut ecclesiasticis utilitatibus pareant (1). Quelles sont ces utilités ecclésiastiques? Ce n'est pas d'augmenter les fermes, ni d'accroître le revenu de l'Eglise;

 

1 Psal., XV, 2. — 2 Concil. Aquisgr., cap, CXXXV,

 

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mais c'est afin de gagner les âmes. C'est dans ce dessein qu'on les élève comme de jeunes plantes, et qu'on les fait instruire dans cette maison. Que reste-t il maintenant, Messieurs, sinon que pendant que la science comme un soleil fera mûrir les fruits, vous arrosiez la racine ? La science éclaire par en haut la partie qui regarde le ciel ; il reste que vous donniez la nourriture à celle qui est engagée dans la terre. Cette eau salutaire de vos aumônes, en passant par ces plantes que l'on vous cultive , se tournera en fruits de vie pour leur profit particulier, pour celui de toute l'Eglise au service de laquelle on les destine, et enfin, Messieurs, pour le vôtre, en vous amassant dans le ciel des couronnes d'immortalité, que je vous souhaite. Amen.

 

 

FIN  DES  PANÉGYRIQUES.

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