S. Pierre de Nolasque
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Académie Française

 

PANÉGYRIQUE DE SAINT  PIERRE  NOLASQUE (a).

 

Dedit semetipsum pro nobis.

Il s'est donné lui-même pour nous. Tit., II, 14.

 

C'est un plus grand bonheur, dit le Fils de Dieu, de donner que de recevoir. Cette parole était digne de celui qui a tout donné jusqu'à son sang, et qui se serait épuisé lui-même, si ses trésors n'étaient infinis aussi bien que ses largesses. Saint Paul, qui a recueilli ce beau sentiment de la bouche de notre Sauveur, le

 

(a) Prêché le 31 janvier 1665, dans l'église des Pères de la Merci, à Paris. Pierre Nolasque, né en 1189 dans le midi de la France, fonda en Espagne l'ordre de la Merci, qui se dévouait au rachat des captifs. Ami de saint Louis, puis précepteur du fds du roi d'Aragon, il fut canonisé en 1659 sur les prières de Louis XIV, et de ce moment les orateurs sacrés firent retentir son éloge du haut de la chaire chrétienne.

Bossuet prononça son panégyrique dans l'église de la Merci ; car il dit à la fin du deuxième point : « Renonçons à nous-mêmes pour gagner nos frères : c'est à quoi nous invite saint Pierre Nolasque. Il y invite les autres, mais, mes Pères, il vous y a dévoués. »

Le prédicateur devait nécessairement, dans l'éloge de Pierre Nolasque, parler de la puissance musulmane. Aussi Bossuet s'écria-t-il : « O Jésus, Seigneur «les seigneurs, arbitre de tous les empires et prince des rois de la terre, jusqu'à quand endurerez-vous que votre ennemi déclaré, assis sur le trône du grand Constantin, soutienne avec tant d'armées les blasphèmes de son Mahomet, abatte votre croix sous son croissant, et diminue tous les jours la chrétienté par des armes si fortunées? » etc. Bossuet tint a peu près le même langage l'année suivante devant Louis XIV. Pour montrer que la puissance, les sceptres et les couronnes n'ont aucun prix devant Dieu : «... Quand je vois, dit-il, cet ennemi déclaré du nom chrétien soutenir avec tant d'armées les blasphèmes de Mahomet contre l'Evangile, abattre sous son croissant la croix de Jésus-Christ notre Sauveur, diminuer tous les jours la chrétienté par des armes si fortunées; et que je considère d'ailleurs que tout déclaré qu'il est contre Jésus-Christ, ce sage distributeur des couronnes le voit du plus haut des cieux assis sur le trône du grand Constantin, et ne craint pas de lui abandonner un si grand empire comme un présent de peu d'importance : ah ! qu'il m'est aisé de comprendre qu'il fait peu d état de telles faveurs et de tous les biens qu'il donne pour la vie présente ! » etc. (Vol. IX, p. 174.)

Le manuscrit original du panégyrique de Pierre Nolasque se trouve à la bibliothèque du séminaire de Meaux. Le premier point n'est qu'esquissé vers la fin, et le troisième manque entièrement.

 

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pose à tous les fidèles pour servir de loi à leur charité. « Souvenez-vous, leur dit-il, de cette parole du Seigneur Jésus, qu'il vaut mieux donner que de recevoir (1), » parce que le bien que vous recevez est une consolation de votre indigence, et celui que vous répandez est la marque d'une plénitude qui s'étend à soulager les besoins des autres.

Jamais il n'y a eu sur la terre un homme plus libéral que le grand saint Pierre Nolasque, fondateur de l'ordre sacré de Notre-Dame de la Merci, dont nous honorons aujourd'hui la bienheureuse mémoire ; car il ne s'est rien proposé de moins que l'immense profusion d'un Dieu, qui s'est prodigué lui-même, et de là il a conçu le dessein de dévouer sa personne et de consacrer tout son ordre aux nécessités des misérables.

Tous les fidèles serviteurs de Dieu ont imité quelques traits du Sauveur des âmes : celui-ci a cette grâce particulière, de l'avoir fidèlement copié dans le caractère par lequel il est établi notre Rédempteur. Pour entendre un si grand dessein et imiter un si grand exemple, demandons l'assistance., etc. Ave.

 

La manière la plus excellente d'honorer les choses divines, c'est, Messieurs, de les imiter. Dieu nous ayant fait cet honneur de nous former à sa ressemblance, le plus grand hommage que nous puissions rendre à la souveraine vérité de Dieu, c'est de nous conformer à ce qu'il est ; car alors nous célébrons ses grandeurs, non point par nos paroles, ni par nos pensées, ni par quelques sentiments de notre cœur, mais ce qui est bien plus relevé, par toute la suite de nos actions et partout l'état de notre personne.

Nous pouvons donc honorer en deux façons les mystères de Jésus- Christ, ou par des actes particuliers de nos volontés, ou par tout l'état de notre vie. Nous les honorons par des actes, en les adorant par foi, en les ressentant par reconnaissance, en nous y attachant par amour ; mais voici que je vous montre avec l'Apôtre une voie bien plus excellente : Excellentiorem viam vobis demonstro (2); c'est d'honorer ces divins mystères par quelque chose de plus profond, en nous dévouant saintement à Dieu, non-seulement

 

1 Act., XX, 35.— II Cor., XII, 30.

 

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pour les aimer et pour les connaître, mais encore pour les imiter, pour en porter sur nous-mêmes l'impression et le caractère, pour en recevoir en nous-mêmes la bénédiction et la grâce.

C'est en cette sorte, mes Frères, que saint Pierre Nolasque a été choisi pour honorer le mystère de la Rédemption. Il l'a honoré véritablement, entrant dans les devoirs, dans la gratitude , dans toutes les dépendances d'une créature rachetée. Mais afin qu'il fût lié plus intimement à la grâce de ce mystère, il a plu au Saint-Esprit qu'il se dévouât volontairement à l'imitation de cette immense charité par laquelle « Jésus-Christ a donné son âme pour être, comme il le dit lui-même (1), la rédemption de plusieurs (a). »

S'il y a quelque chose au monde, quelque servitude capable de représenter à nos yeux la misère extrême de la captivité horrible de l'homme sous la tyrannie des démons, c'est l'état d'un chrétien captif sous la tyrannie des mahométans (b). Car et le corps et l'esprit y souffrent une égale violence, et l'on n'est pas moins en péril de son salut que de sa vie. C'est donc au soulagement de cet état misérable qu'est appliqué saint Pierre Nolasque, pour honorer les bontés de Jésus délivrant les hommes de la tyrannie de Satan. Il se donne de tout son cœur à ces malheureux esclaves, et il s'y donne dans le même esprit que Jésus s'est donné aux hommes captifs, pour les affranchir de leur servitude : Dedit semetipsum pro nobis.

Jésus-Christ a donné aux hommes et à l'œuvre de la rédemption, premièrement ses soins paternels, secondement sa propre personne, troisièmement ses disciples. Il nous a donné ses soins, parce qu'il a toujours eu l'esprit occupé de la pensée de notre salut (c); il nous a donné sa propre personne, parce qu'il s'est immolé pour nous ; il nous a donné ses disciples, qui étant la plus noble partie du peuple qu'il a racheté, est appliquée par lui-même et entièrement dévouée à coopérer par sa charité à la délivrance de tous les autres. C'est ainsi que le Fils de Dieu a consommé l'œuvre de notre

 

1 Matth., XX, 28.

(a) Var. : A donné son âme pour la vie, pour la liberté, pour la rédemption de notre nature. — (b) C'est de voir un chrétien captif sous celle des mahométans. — (c) Parce qu'il a toujours pensé à notre salut.

 

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rédemption, et c'est par les mêmes voies que le Saint que nous révérons a imité son amour et honoré son mystère. Fidèle imitateur du Sauveur des âmes, il a été touché aussi bien que lui des cruelles extrémités où sont réduits les captifs; il leur a donné aussi bien que lui, premièrement tous ses soins, secondement toute sa personne, troisièmement tous ses disciples et l'Ordre religieux qu'il a établi dans l'Eglise. C'est ce que nous aurons à considérer dans les trois points de ce discours.

 

PREMIER  POINT.

 

L'une des raisons principales qui a rendu les infidèles si fortin-crédules au mystère du Verbe incarné, c'est qu'ils n'ont pu se persuader que Dieu eût tant d'amour pour le genre humain que les chrétiens le publiaient. Celse dans cet écrit si envenimé qu'il a fait contre l'Evangile, auquel le docte Origène a si fortement répondu l, se moque des chrétiens de ce qu'ils osaient présumer que Dieu même était descendu du ciel pour venir à leur secours. Ils trouvoient indigne de Dieu d'avoir un soin si particulier des choses humaines; et c'est pourquoi l'Ecriture sainte pour établir dans les cœurs la croyance d'un si grand mystère, ne cesse de publier la bonté de Dieu et son amour pour les hommes. C'est aussi ce qui a obligé l'apôtre saint Jean à confesser en ces termes la foi de la rédemption : « Pour nous , nous croyons, dit-il (2), à la charité que Dieu a eue pour les hommes. » Voilà une belle profession de foi, et conçue d'une façon bien singulière, mais absolument nécessaire pour combattre et déraciner l'incrédulité. Car c'est de même que s'il disait : Les Juifs et les gentils ne veulent pas croire que Dieu ait si fort aimé la nature humaine, que de s'en revêtir pour la racheter. Mais pour nous, dit ce saint apôtre, nous n'ignorons pas ses bontés; et connaissant comme nous faisons ses miséricordes et ses entrailles paternelles, nous croyons facilement cet amour immense qu'il a témoigné aux hommes en se livrant lui-même pour eux : Et nos cognovimus et credidimus charitati quam habet Deus in nobis.

Elevons donc nos voix, mes Frères, et confessons hautement

 

1 Orig., cont. Cels., lib. V, tom. I, p. 578 et seq. — 2 I Joan. IV  16.

 

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que nous croyons à la charité que le Fils de Dieu a eue pour nous. Nous croyons qu'il s'est fait homme pour notre salut. Nous croyons qu'il n'a vécu sur la terre que pour travailler à ce grand ouvrage. Il nous a toujours portés dans son cœur, dans sa naissance et dans sa mort, dans son travail et dans son repos, dans ses conversations et dans ses retraites, dans les villes et dans le désert, dans la gloire et clans les opprobres, dans ses humiliations et dans ses miracles. Il n'a rien fait que pour nous durant tout le cours de sa vie mortelle ; et maintenant qu'il est dans le ciel à la droite de la majesté de Dieu son Père, dans les lieux très-hauts (1), il ne nous a pas oubliés. Au contraire, dit le saint Apôtre, il y est monté pour y être notre avocat, notre ambassadeur et notre pontife ; il traite nos affaires auprès de son Père, « toujours vivant, dit le même Apôtre, afin d'intercéder pour nous : » Semper vivens ad interpellandum pro nobis (2) ; comme s'il n'avait ni de vie, ni de félicité, ni de gloire que pour l'avantage et le bien des hommes.

Ce n'est pas assez, chrétiens. Si nous croyons véritablement que Dieu nous a aimés avec tant d'excès, il faut qu'un si grand amour, qui s'est étendu sur nous avec tant de profusion, nous fasse aussi dilater nos cœurs sur les besoins de nos frères. « Si Dieu, dit saint Jean (3), nous a tant aimés, nous devons nous aimer les uns les autres ; » nous devons reconnaître ses soins paternels, en nous revêtant à son exemple de soins charitables; et nous ne pouvons mieux confesser la miséricorde que nous recevons, qu'en l'exerçant sur les autres en simplicité de cœur : Estote misericordes (4).

Le Saint que nous honorons était pénétré de ces sentiments. Il avait toujours devant les yeux les charités infinies d'un Dieu rédempteur ; et pour se rendre semblable à lui, il se laissait percer par les mêmes traits, (a) Il pouvait dire avec Job que « la tendresse , la compassion, la miséricorde était crue avec lui dès son enfance (5) ; » et c'était par de telles victimes qu'il croyait devoir honorer les bontés inexprimables d'un Dieu rédempteur.

 

1 Hebr., I, 3. — 2 Ibid., VII, 23. — 3 I Joan., IV, 11. — 4 Luc., VI, 36. — 5  Job., XXXI, 18.

 

(a) Note marg. : Il avait sucé cet esprit dans les plaies de Jésus-Christ, dans la source même des miséricordes.

 

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Et en effet, chrétiens, pour rendre le souverain culte à la souveraine majesté de Dieu, il me semble que nous lui devons deux sortes de sacrifices. Je remarque dans les Ecritures qu'il y a un sacrifice qui tue, et un sacrifice qui donne la vie. Le sacrifice qui tue est assez connu, témoin le sang de tant de victimes et le massacre de tant d'animaux. Mais outre ce sacrifice qui détruit, je vois dans les saintes Lettres un sacrifice qui sauve. Car, comme dit le sage Ecclésiastique, « celui-là offre un sacrifice qui exerce la miséricorde : « Qui facit misericordiam, offert sacrificium (1). D'où vient cette différence, si ce n'est que l'un de ces sacrifices a été divinement établi pour honorer la bonté de Dieu, et l'autre pour apaiser (a) sa sainte justice? La justice divine poursuit les pécheurs à main armée, elle lave ses mains dans leur sang, elle les perd et les extermine, elle veut qu'ils soient dissipés devant sa face comme la cire fondue devant le feu : Pereant peccatores a facie Dei (2). Au contraire la miséricorde, toujours douce, toujours bienfaisante, ne veut pas que personne périsse : elle attend les pécheurs avec patience : « Elle pense, dit l'Ecriture, des pensées de paix et non des pensées d'affliction : » Ego cogito cogitationes pacis, et non afflictionis (3).

Voilà une grande opposition : aussi honore-t-on ces deux attributs par des sacrifices bien opposés. A cette justice rigoureuse qui tonne, qui fulmine, qui rompt et qui brise, qui renverse les montagnes 'et arrache les cèdres du Liban, c'est-à-dire qui extermine les pécheurs superbes, il lui faut des sacrifices sanglants et des victimes égorgées, pour marquer la peine qui est due au crime, (b) Mais pour cette miséricorde toujours bienfaisante, qui guérit ce qui est blessé, qui affermit ce qui est faible, qui vivifie ce qui est mort, il faut présenter en sacrifice non des victimes détruites, mais des victimes conservées, c'est-à-dire des pauvres soulagés, des infirmes soutenus, des morts ressuscites dans les pécheurs convertis. Telles sont les véritables hosties qui honorent la miséricorde divine.

 

1 Eccli., XXXV, 4. — 2 Psal. LXVII, 3. — 3 Jerem., XXIX, 11.

 

(a) Var. : Reconnaître. — (b) Note marg. : Il faut que l'autel nage dans le sang; donnez un couteau; allumez du feu; que je consume cette victime.

 

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Ainsi saint Pierre Nolasque étant toujours occupé des soins, des compassions, des bontés de Jésus pour le genre humain, et sentant son cœur empressé dans le désir de les reconnaître, il s'écrie avec le Psalmiste : Quid retribuant Domino pro omnibus quœ retribuit mihi (1) ? « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu'il m'a faits,» et à toute la nature humaine? Quelle victime, quel sacrifice lui offrirai-je en actions de grâces? Ah ! poursuit-il avec le Prophète, calicem salutaris accipiam (2) « : je prendrai le calice du Sauveur, » je boirai le même breuvage que Jésus a bu, je me remplirai, je m'enivrerai de sa charité par laquelle il a tant aimé la nature humaine. Je dilaterai mon cœur, comme il a dilaté le sien ; j'offrirai, à ce Dieu amateur et conservateur des hommes, des victimes qui lui plaisent, des hommes sauvés et délivrés.

Il cherche donc dans toute l'Eglise tous les infirmes, tous les malheureux, résolu de leur consacrer ses affections et ses soins. Dieu lui fait arrêter les yeux sur ces misérables captifs, qui gémissent sous la tyrannie des mahométans. Il voit leur corps dans l'oppression, leur esprit dans l'angoisse, leur cœur dans le désespoir, leur foi même dans un péril évident. Il offre a Dieu leurs cris, leurs gémissements, les larmes de leurs amis, la désolation de leur famille. Peut-être ne le font-ils pas, peut-être sont-ils de ceux qui s'élèvent contre Dieu même sous les coups de sa main puissante; serviteurs rebelles et opiniâtres, châtiés et non corrigés, frappés et non convertis, abattus et non humiliés, atterrés, comme dit David, sans être touchés de componction : Dissipat sunt, non compuncti (3). C'est ce qui afflige son cœur. Quoiqu'il pense toujours à eux avec un empressement charitable, néanmoins deux fois le jour et deux fois la nuit il se présente pour eux devant la face de Dieu, et cherche aux yeux d'un Père si tendre les moyens de soulager ses enfants captifs.

Mes Frères, cet objet lugubre d'un chrétien captif dans les prisons des mahométans, me jette dans une profonde considération des grands et épouvantables progrès de cette  religion monstrueuse. O Dieu, que le genre humain est crédule aux imposture de Satan! O que l'esprit de séduction et d'erreur a d'ascendant sur

 

1 Psal. CXV, 3. — 2 Ibid., 4. — 3 Psal. XXXIV, 16.

 

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notre raison! Que nous portons en nous-mêmes, au fond de nos cœurs, une étrange opposition à la vérité, dans nos aveuglements, dans nos ignorances, dans nos préoccupations opiniâtres. Voyez comme l'ennemi du genre humain n'a rien oublié pour nous perdre, et pour nous faire embrasser des erreurs damnables.  Avant la venue du Sauveur, il se faisait adorer par toute la terre sous les noms de ces fameuses idoles devant lesquelles tremblaient tous les peuples; il travaillait de toute sa force à étouffer le nom du vrai Dieu. Jésus-Christ et ses martyrs l'ont fait retentir si haut depuis le levant jusqu'au couchant, qu'il n'y a plus moyen de l'éteindre ni de l'obscurcir. Les peuples qui ne le connaissaient pas, y sont attirés en foule par la croix de  Jésus-Christ; et voici que cet ancien imposteur, qui dès l'origine du monde est en possession de tromper les hommes, ne pouvant plus abolir le saint nom de Dieu, frémissant contre Jésus-Christ qui l'a fait connaître à tout l'univers, tourne toute sa furie contre lui et contre son Evangile : et trouvant encore le nom de Jésus trop bien établi dans le monde par tant de martyrs et tant de miracles, il lui déclare la guerre en faisant semblant de le révérer, et il inspire à Mahomet, en l'appelant un prophète, de faire passer sa doctrine pour une imposture; et cette religion monstrueuse, qui se dément elle-même, a pour toute raison son ignorance, pour toute persuasion sa violence et sa tyrannie, pour tout miracle ses armes,  armes redoutables et victorieuses, qui font trembler tout le monde, et rétablissent par force l'empire de Satan dans tout l'univers.

O Jésus, Seigneur des seigneurs, Arbitre de tous les empires et Prince des rois de la terre, jusqu'à quand endurerez-vous que votre ennemi déclaré, assis sur le trône du grand Constantin, soutienne avec tant d'armées les blasphèmes de son Mahomet, abatte votre croix sous son croissant, et diminue tous les jours la chrétienté par des armes si fortunées? Est-ce que vous réservez cette redoutable puissance , pour faire souffrir à votre Eglise cette dernière et effroyable persécution que vous lui avez dénoncée? Est-ce que pour entretenir votre Eglise dans le mépris des grandeurs, comme elle y a été élevée, en même temps que vous lui donnez la gloire d'avoir des rois pour enfants, vous abandonnez

 

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d'un autre côté à votre ennemi capital, comme un présent de peu d'importance , le plus redoutable empire qui soit éclairé par le soleil ? Ou bien est-ce qu'il ne vous plait pas que votre Eglise nourrie dans les alarmes, fortifiée par les persécutions et par les terreurs, jouisse dans la paix même d'une tranquillité assurée ? Et c'est pour cette raison que vous lui mettez comme sur sa tête cette puissance redoutable, qui ne cesse de la menacer de la dernière désolation.

Et en effet, chrétiens, c'a été le conseil de Dieu que l'Eglise fût établie au milieu des flots, qui frémissent impétueusement autour d'elle et menacent de l'engloutir. C'est pourquoi saint Augustin, expliquant ces paroles du sacré Psalmiste : Lœtentur insulœ multœ (1), dit que ces îles vraiment fortunées , qui doivent se réjouir du règne de Dieu, sont les églises chrétiennes environnées de toutes parts d'une mer irritée, qui menace de les engloutir et de les couvrir sous ses ondes. Tel est le conseil de Dieu; et je regarde la puissance mahométane comme un océan indomptable, toujours prêt à inonder toute l'Eglise, sa furie n'étant arrêtée que par des digues entr'ouvertes : ce sont les puissances chrétiennes , toujours cruellement divisées. Et n'étaient-ce pas ces divisions qui avoient ouvert autrefois aux sultans, successeurs de Mahomet , une entrée si large , que du temps de Pierre Nolasque les Espagnes mêmes étaient entièrement inondées ?

C'est ce qui lui perce le cœur. Il est nuit et jour persécuté des cris des captifs; il faut qu'il coure à leur délivrance. Ne lui dites pas que la noblesse de. son extraction et le crédit qu'il a auprès du roi d'Arragon , dont il a été précepteur, l'appelle à des emplois plus illustres : il court après ses captifs. Il fallait qu'il descendit de bien haut à l'humiliation d'un emploi si bas (a), selon l'estime du monde, pour mieux imiter celui qui est descendu du ciel en la terre. Imiter un Dieu rédempteur, c'est toute la gloire qu'il se propose. Par mille traverses, par mille périls, il va délivrer ses frères, etc.

Induite vos ergo sicut electi Dei, sancti et dilecti, viscera  

 

1 In Psal. XCVI, n. 4.

 

(a) Var. : De bien haut à la bassesse.

 

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misericordiœ, benignitatem, humilitatem, modestiam, patientiam (1). Dieu commence , imitez. Un combat entre nous et la miséricorde divine. Dieu commence, imitez. Estote misericordes, sicut Pater tester cœlestis misericors est. Dieu revient à la charge ; il vous imite à son tour : Beati misericordes, quoniam ipsi misericordiam consequentur (2). Un flux et reflux de miséricorde. Dieu qui aime un tel sacrifice, multiplie ses dons. Allant ainsi en augmentant , après avoir donné vos soins, vous donnerez à la fin votre propre personne, comme saint Pierre Nolasque.

 

SECOND POINT.

 

Ce fut, Messieurs, un grand spectacle, lorsqu'on vit sur le Calvaire le Fils uniquement agréable se mettre en la place des ennemis; l'innocent, le juste, la sainteté même se donner en échange pour les malfaiteurs; celui qui était infiniment riche se constituer caution, et se livrer tout entier pour les insolvables.

Vous savez assez, chrétiens, quelle dette le genre humain avait contractée envers Dieu et envers sa sainte justice. Nous sommes naturellement débiteurs à ses lois suprêmes. Et qu'est-ce que nous leur devons? Une obéissance fidèle. Mais lorsque nous manquons volontairement à lui payer cette dette, nous entrons dans une autre obligation : nous devons notre tête à ses vengeances, nous ne pouvons plus le payer que par notre mort et notre supplice.

En vain les hommes effrayés par le sentiment de leurs crimes, cherchent des victimes et des holocaustes pour les subroger en leur place. Dussent-ils massacrer tous leurs troupeaux et les immoler à Dieu devant ses autels, il n'est pas possible que la vie des bêtes paie pour la vie des hommes; la compensation n'est pas suffisante : Impossibile enim est sanguine taurorum et hircorum auferri peccata (3). De sorte que ceux qui offraient de tels sacrifices faisaient bien, à la vérité, une reconnaissance publique de ce qu'ils devaient à la justice divine; mais ils n'a voient pus pour cela le paiement de leurs dettes. Il fallait qu'un homme payât poulies hommes, et c'est pour cela qu'un Dieu s'est fait homme.

 

1 Coloss., III, 12. — 2 Luc., VI, 30. — 3 Hebr., X, 4.

 

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Ce Dieu-Homme, avide de nous racheter, livre à l'abandon sa propre personne à la justice de Dieu, à l'injustice des hommes, à la furie des démons. Dieu, les hommes, les démons exercent sur lui toute leur puissance. Il s'engage, il se prodigue de tous côtés; et il ne lui importe pas comment il se donne, pourvu qu'il paie notre prix, et qu'il nous rende notre liberté et notre franchise.

Je ne puis vous dire, mes Frères, dans quels excès nous doit jeter la contemplation de ce mystère. Jésus-Christ se donnant pour moi et devenant ma rançon m'apprend deux choses contraires : il m'apprend à m'estimer, il m'apprend à me mépriser, et l'un et l'autre jusqu'à l'infini. Mon cœur incertain et irrésolu, ne sait à quoi se déterminer au milieu de telles contraintes. M'estimerai-je , me mépriserai-je, ou joindrai-je l'un et l'autre ensemble, puisque mon Sauveur m'apprend l'un et l'autre?

Oui, chrétiens, mon Sauveur m'apprend à m'estimer jusqu'à l'infini. Car la règle d'estimer les choses, c'est de connaître le prix qu'elles coûtent. Ecoutez maintenant l'Apôtre (1), qui vous dit que vous avez été rachetés, non par or ni par argent, ni par des richesses corruptibles, mais par la vie d'un Dieu , mais par le sang d'un Dieu, parla personne d'un Dieu immolé pour vous. O âme, dit saint Augustin (2), apprends à t'estimer par cette rançon (a) ; voilà le prix que tu vaux : O anima, erige te, tanti vales. O homme ! celui qui t'a fait s'est livré pour toi, celui dont la sagesse infinie sait donner si justement la valeur aux choses a mis ton âme à ce prix. Qu'est-ce donc que la terre, qu'est-ce que le ciel, qu'est-ce que toute la nature ensemble à comparaison de ma dignité (b)?

Mais ce qui m'apprend à m'estimer, m'apprend à me mépriser jusqu'à l'excès. Car quand je vois un Dieu qui se ravilit jusqu'à vouloir se donner lui-même pour racheter ses esclaves, que dis-je ses esclaves? cette qualité est trop honorable, les esclaves du démon et du péché, il me semble qu'il se rabaisse, non plus

 

1 I Petr. I, 18, 19. — 2 In Psal. CII, n. 6.

 

(a) Var. : Par ce prix. — (b) De ce que je suis.

 

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qu'au néant, mais infiniment au-dessous. Et en effet, chrétiens, se rendre semblable aux hommes, c'est se ravaler jusqu'au néant; mais se livrer pour les hommes, mourir pour les hommes, créature si vile par son extraction et si ravilie par son crime, c'est plus que s'anéantir, puisque c'est mettre le néant au-dessus de soi (a).

Après l'exemple d'un Dieu à qui l'excès de sa charité rend sa propre vie méprisable, pourvu qu'il puisse à ce prix racheter les âmes, y a-t-il quelque esclave assez malheureux pour lequel nous devions craindre de nous prodiguer? Saint Paul aussi ne sait plus que faire : Ego autem impendam. Ce n'est pas assez , il faut inventer un terme nouveau pour exprimer une ardeur nouvelle : Et superimpendar ipse pro animabas vestris (1). Un martyre, c'est la privation du martyre, le vrai néant. C'est ce qui touche saint Pierre Nolasque; sa personne ne lui est plus rien, quand il voit un Dieu se donner lui-même. Il n'y a point de cachots dans lesquels il n'aille chercher de pauvres captifs, pour leur rendre leur liberté aux dépens de sa propre vie.

Le voyez-vous, Messieurs, traitant avec ce barbare de la délivrance de ce chrétien. S'il manque quelque chose au prix, il offre un supplément admirable : il est prêt à donner sa propre personne; il consent d'entrer dans la même prison, de se charger des mêmes fers, de subir les mêmes travaux et de rendre les mêmes services. O grâce de la rédemption, que vous opérez dans son âme ! Il a un cœur de Jésus, qui n'a ni de vie ni de liberté que pour la rédemption de ses frères. C'est l'esprit d'un Dieu rédempteur qui le rend capable de ces sentiments. Car admirez la suite de cette action. Prisonnier entre les mains des pirates pour ses frères qu'il a délivrés, il préfère son cachot à tous les palais et ses chaînes à tous les trésors. Il n'y a rien qui puisse égaler sa joie ; et je ne m'en étonne pas. La liberté plait à la nature la captivité à la grâce; et saint Pierre Nolasque goûte l'une et l'autre, portant en lui-même la captivité et possédant la liberté dans ses frères, qu'il a heureusement affranchis d'une misérable

 

1 II Cor., XII, 15.

 

(a) Var. : Puisque c'est se mépriser pour le néant même.

 

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servitude. Il est satisfait, puisque ses frères le sont; et pour ce qui regarde sa liberté propre, il la méprise si fort, qu'il est toujours prêt de l'abandonner pour le moindre des chrétiens captifs, ne désirant d'être libre que pour s'engager de nouveau en faveur des autres esclaves. Voyez ce que lui apprend un Dieu rédempteur : on veut l'engager à la Cour dans les liens de la fortune, il le refuse et il court pour se charger d'autres liens ; ce sont les liens de Jésus-Christ.

Je ne sais si je pourrai vous faire comprendre ce que Dieu me met dans l'esprit, pour exprimer les transports de la charité de ce grand homme. Il me semble en vérité, chrétiens, qu'il goûte mieux dans les autres la douceur de la liberté qu'il ne le ferait en lui-même. Car le plaisir d'être libre quand il s'attache à nous-mêmes , étant un fruit de notre amour-propre, le chrétien doit craindre de s'abandonner à cette douceur trop sensible. Quand est-ce donc qu'un homme de Dieu goûtera le plaisir de la liberté dans toute son étendue? Quand il ne la goûtera que dans ses frères affranchis. Telles sont les délices de Pierre Nolasque. Pendant qu'il est dans les fers, il ressent tout le plaisir et toute la joie des chrétiens qu'il a délivrés (a) ; et il le ressent d'autant plus que cette joie ne le flatte qu'en le dépouillant de lui-même, pour lui faire trouver son repos dans le repos de ses frères.

Telle est la joie du Dieu rédempteur. Ecoutez le divin Apôtre : Proposito sibi gaudio sustinuit crucem (1) : « Il a enduré la croix s'étant proposé une grande joie. » Quelle joie pouvait goûter ce divin Sauveur dans cette langueur, dans cette tristesse, dans cet ennui accablant dans lequel sa sainte âme était abîmée? Quelle joie, dis-je, pouvait-il goûter, qui ait fait dire à l'Apôtre : Proposito sibi gaudio ? Joie divine, joie toute céleste et digne d'un Dieu sauveur, la joie d'affranchir les hommes captifs en donnant son âme pour eux.

Pour tirer quelque utilité d'un si grand exemple, faisons cette observation, que nous devons honorer la charité d'un Dieu rédempteur en deux manières différentes. Nous la devons

 

1 Hebr., XII, 2.

 

(a) Var. : De ceux qu'il a délivrés.

 

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honorer par une généreuse indépendance, nous la devons honorer par une extrême sujétion. Car ainsi que nous avons dit, un Dieu se prodiguant pour les âmes nous apprend également à nous estimer et à nous mépriser nous-mêmes. L'estime que nous devons avoir de nous-mêmes nous rend libres et indépendants; le mépris que nous devons faire de nous-mêmes nous doit rendre esclaves volontaires, pour honorer la charité de celui qui étant libre et indépendant, s'est assujetti pour notre salut à des extrémités si cruelles.

Saint Paul parle ainsi aux fidèles : « Vous avez été achetés d'un prix infini, ne vous rendez pas esclaves des hommes ». » Rachetés d'une si grande rançon, ne ravilissez pas votre dignité; vous qu'un Dieu a daigné payer au prix de son sang, ne soyez pas dépendants des hommes mortels; ne prodiguez pas une liberté qui a tant coûté à votre Sauveur. Tel est le précepte de l'Apôtre ; et il semble que Pierre Nolasque agit au contraire; et je vois que pour imiter un Dieu rédempteur, il se rend esclave des hommes, et des hommes ennemis de Dieu. Entendons le sens de l'Apôtre : « Vous qui êtes rachetés par un si grand prix, ne vous rendez pas, dit-il, serviteurs des hommes. » Ne vous rendez pas les esclaves de leurs vanités, mais rendez-vous esclaves de leurs besoins. Ne vous rendez pas leurs esclaves en adhérant à leurs erreurs, mais rendez-vous leurs esclaves en soulageant leurs nécessités; ne vous rendez pas leurs esclaves par une vaine complaisance, mais rendez-vous leurs esclaves par une chanté sincère et compatissante : Per charitatem servite invicem (2).

Entrons dans le détail de cette morale. Un de vos amis vous aborde, un de ces amis mondains qui vous aiment pour le siècle et les vanités; il vous veut donner un sage conseil; comme il vous honore et qu'il vous estime, il désire votre avancement. C'est pourquoi il vous exhorte de vous embarquer dans cette intrigue peut-être malicieuse, d'engager ce grand dans vos intérêts peut-être au préjudice de votre conscience. Prenez garde soigneusement, et ne vous rendez pas esclaves des hommes. Entrez en considération de ce que vous êtes, pensez ce qu'un Dieu a donné

 

1 I Cor., VII, 23. — 2 Galat., V, 13.

 

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pour vous. Quand on vous représente ce que vous valez pour vous engager dans des desseins ambitieux : — Vous ne me connaissez pas tout entier, je vaux infiniment davantage. — Ne vous mettez pas tout seul dans la balance : « Pesez-vous, dit saint Augustin, avec votre prix : » Appende te cum pretio tuo (1) ; et si vous savez estimer votre âme, vous verrez qu'aucune chose n'est digne de vous, qui ne soit digne premièrement de Jésus-Christ même. — Vous êtes digne de cet emploi. — Mais est-il digue de ce que je suis?— Ne soyons donc pas si vils à nous-mêmes, nous qui sommes si précieux au Dieu Rédempteur, que nous nous rendions esclaves des hommes et des complaisances mondaines. C'est ainsi que nous devons estimer notre âme, pour laquelle Jésus-Christ a donné la sienne.

Mais apprenons aussi à nous mépriser, et à dire avec. l'Apôtre : « Mon âme ne m'est pas précieuse (2). » Si nos frères ont besoin de notre secours, quelque indignes qu'ils nous paraissent de cette assistance, ne craignons pas de nous prodiguer pour les secourir. Car Jésus n'a pas dédaigné de prodiguer et sa vie et sa divine personne pour le salut des pécheurs. Méprisons donc saintement notre âme, ayons-la toujours en nos mains pour la prodiguer au premier venu : Anima mea in manibus meis semper (3). O sainte charité, rendez-moi captif des nécessités des misérables; disposez en leur faveur, non-seulement de mes biens, mais de ma vie et de ma personne. C'est ici qu'il faut pratiquer toutes ces contrariétés évangéliques, de perdre son âme pour la conserver, de la gagner en la prodiguant, de la rendre estimable par le mépris même.

        Car en effet, chrétiens, quelle gloire, quelle grandeur, quelle dignité dans ce mépris! Saint Pierre Nolasque ne s'estime rien, il s'appelle un vrai néant, et préfère la liberté du moindre esclave à la sienne. Et vous voyez qu'en se méprisant, il participe à la dignité du Sauveur des âmes, qui s'est montré non-seulement le Sauveur, mais encore le maître et le Dieu de tous, en se donnant volontairement pour tous.

Ah! le zèle de Dieu me presse. Je ne veux plus que mon âme

 

1 Enar. II, in Psal. XXXII, n. 4. — 2 Act., XX, 24. — 3 Psal. CXVIII, 109.

 

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soit à moi-même. Venez, pauvres; venez, misérables; faites de moi ce qu'il vous plaira; je suis à vous, je suis votre esclave. Ce n'est pas moi, Messieurs, en particulier qui vous parle ainsi ; mais je vous exprime, comme je peux, les sentiments d'un vrai chrétien. O Dieu, qui nous donnera que des âmes de cette sorte, libres par leur servitude, dégagées et indépendantes par leur dépendance, travaillent au salut des hommes! l'Eglise aurait bientôt conquis tout le monde. Car telle est la règle de l'Evangile : il faut que nous nous donnions à ceux que nous voulons gagner à Jésus-Christ. Voulons-nous les assujettir, il faut nous assujettir à leur service, et nous devons pour ainsi dire être leur conquête pour les rendre capables d'être la nôtre. Pourquoi est-ce qu'un Paul, un Céphas, un Apollo et tant d'autres ouvriers fidèles ont conquis tant d’âmes à notre Sauveur? C'est à cause qu'ils se donnaient sans retenue aux âmes : Omnia vestra sunt ; « Tout est à vous, dit l'Apôtre (1), et Paul et Céphas et Apollo; » tout est à vous encore une fois. C'est pourquoi tout était à eux, parce qu'ils étaient à tous sans réserve.

Et Dieu nous a fait connaître, en la vie de notre grand saint, l'efficace de cette charité si bienfaisante. On a vu un mahométan, astrologue, médecin, parent du roi maure d'Andalousie, c'est-à-dire si nous l'entendons, un homme dans lequel tout combattait contre l'Evangile, la religion, la science, la curiosité, la fortune, qui baissa néanmoins la tête sous le joug aimable de Jésus-Christ, convaincu par le seul miracle de la charité de saint Pierre Nolasque. Il voyait un homme qui se donnait pour des inconnus ; l'image du mystère de la rédemption lui fit adorer l'original : il crut à la charité que Dieu a eue pour les hommes, en voyant celle que ce même Dieu inspirait aux hommes pour leurs semblables. Il n'eut point de peine à comprendre que ce grand œuvre de la rédemption, que les chrétiens vantaient avec tant de force, était réel et véritable, puisque l'esprit en durait encore, et.se déclarait à ses yeux avec une telle efficace dans cet illustre disciple de la croix. Il se jette donc entre ses bras; et non content de recevoir de lui le baptême , il lui demande l'habit de son ordre, avide de

 

1 I Cor., III, 22.

 

pratiquer ce qui l'avait gagné à l'Eglise : Si comprehendam in quo et comprehensus sum à Christo Jesu (1). Ha! si l'on voyait reluire en l'Eglise cette charité désintéressée, toute la terre se convertirait. Car qu'y aurait-il de plus efficace, pour faire adorer un Dieu se livrant pour tous, que d'imiter son exemple? Hoc enim sentite in vobis quod et in Christo Jesu (2) : « Soyez dans la même disposition où a été Jésus-Christ. » Renonçons donc à nous-mêmes pour gagner nos frères ; c'est à quoi nous invite saint Pierre Nolasque. Il y invite les autres ; mais, mes Pères, il vous a dévoués : c'est le sujet de ma troisième partie.

1 Philip., III, 22. — 2 Ibid., II, 5.

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