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INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME PARTIE.
De
l'Histoire divine, et de la très-sainte vie de Marie, Mère de Dieu.
Instruction, que la Reine du ciel me donna.
Instruction de la Reine die ciel.
Instruction que notre auguste Reine me donna.
CHAPITRE IV. Le Très-Haut continue ses bienfaits à la très-sainte Vierge dans
le quatrième jour.
Instruction que la divine Reine me donna.
Instruction que la Reine du ciel me donna.
Instruction que la divine Dame me donna.
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.
Instruction de la Reine du ciel.
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.
Instruction de la Reine du ciel.
Instruction de la Mère de Dieu.
Instruction que notre auguste Reine me donna.
Réponse et instruction de notre Reine.
Instruction de la Mère de Dieu.
Instruction de la Reine du ciel,
ANNEXE. (Note sur Marie d'Agréda)
INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME
PARTIE.
De l'Histoire divine, et de la très-sainte vie de Marie, Mère de Dieu.
1. Lorsque je présentais à
la divine Majesté le petit service et le travail de ce que j'avais écrit sur
la première partie de la très-sainte vie de Marie, Mère de Dieu, pour
soumettre à la correction de sa divine lumière ce que j'en avais exprimé par
son secours, mais selon mon pauvre génie, je voulus en même temps savoir de
nouveau, pour ma consolation, si le tout était du bon plaisir du Très-Haut, et
s'il me commandait de continuer ou de suspendre cet ouvrage, si fort au-dessus
de ma portée. Le Seigneur me répondit : « Vous avez bien écrit, et ce que vous
avez fait a été de notre bon plaisir; mais nous voulons que vous sachiez que
vous avez besoin d'une nouvelle et plus grande disposition pour
manifester les très-hauts mystères renfermés dans le reste de la vie de notre
incomparable et bien-aimée Épouse, Mère de notre Fils unique. Nous voulons que
vous mouriez entièrement à tout ce qui est imparfait
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et
visible, et que vous viviez selon l'esprit; que vous renonciez à toutes les
opérations et à toutes les coutumes de la créature, afin que les vôtres,
purifiées et conformées à ce que vous devez apprendre et écrire, soient plutôt
de l'ange. »
2. J'aperçus dans cette
réponse du Très-Haut que sa divine Majesté m'ordonnait et exigeait de moi une
manière de pratiquer les vertus si nouvelles et une si haute perfection de vie
et de mœurs, qu'étant comme dans la méfiance de moi-même, je me trouvai toute
troublée et tremblante d'entreprendre une chose si ardue et si difficile pour
une créature terrestre. Je ressentis en moi de grandes contradictions entre la
chair et l'esprit (1). Celui-ci m'appelait par une force intérieure,
m'excitant à acquérir la parfaite disposition que le Seigneur me demandait; et
pour ses raisons, il m'alléguait la grande complaisance du même Seigneur et
mes propres avantages. Celle là me contredisait, résistait à la divine lumière
et me faisait perdre courage, me jetant dans de terribles craintes de mon
inconstance (2). Je sentais dans ce combat une sorte de résistance qui me
retenait et une lâcheté qui me terrassait; et dans ce trouble je me persuadais
toujours plus que je n'étais pas capable de traiter de choses si relevées et
si éloignées de la condition de mon sexe.
3. Vaincue par la crainte
et par la difficulté, je me déterminai de ne poursuivre pas cet ouvrage, et de
faire tout mon possible pour cela. L'ennemi commun connut ma lâcheté, et,
comme sa cruauté s'acharne davantage contre les faibles et les timides, se
prévalant de l'occasion, il
(1) Galat., V, 17. — (2) Rom., VII, 23.
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m’attaqua avec une fui mur incroyable, parce qu'il lui semblait me trouver
abandonnée de Celui qui me pouvait délivrer de ses mains; pour déguiser sa
malice, il tâchait de se transformer en ange de lumière, feignant d'être fort
zélé pour mon âme et pour mon avancement; et, sous ce faux prétexte, il
s'opiniâtrait à me persuader que j'étais prête à faire naufrage, m'exagérant
le péril de ma damnation, et me menaçant d'un châtiment semblable à celui du
premier ange (1), parce qu'il me représentait que j'avais voulu entreprendre
par orgueil ce qui était au-dessus de mes forces et contre Dieu même.
4. Il me proposait
plusieurs âmes qui, faisant profession de la vertu, avaient été déçues par
quelque secrète présomption, et pour avoir donné lieu aux tentations du
serpent; et il me faisait entendre que de scruter les secrets de la Majesté
divine, comme je faisais, cela ne pouvait pas être sans un orgueil fort
téméraire (2) dans lequel je me trouvais plongée. Il insista beaucoup sur ce
que les temps présents étaient malheureux pour ces sortes de matières, et il
le confirma par quelques exemples de différentes personnes assez connues qui y
avaient été trompées; par les troubles et les frayeurs que plusieurs autres
reçurent en voulant entreprendre de mener une vie spirituelle; par le
déshonneur que la moindre imperfection qu'on découvrirait en moi me
procurerait, et par les mauvais effets que mon entreprise causerait en ceux
qui ont peu de piété, m'assurant que je connaîtrais tout cela par expérience
et à mon préjudice, si je continuais à écrire sur celte matière. Étant une
chose certaine que toutes les contradictions que souffre la vie spirituelle et
(1) Isa., XIV, 10. — (2) Prov., XXV, 27.
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le
mauvais accueil que le monde fait aux idées mystiques sont l'ouvrage de cet
ennemi mortel, qui, pour détruire la dévotion et la vertu chrétienne en
plusieurs, tâche d'en tromper quelques-uns et de semer son ivraie parmi la
bonne semence du Seigneur pour l'étouffer (1), s'il pouvait, et pour détourner
le véritable jugement qu'on doit faire des choses, afin que l'on ait parce
moyen plus de difficulté de séparer les ténèbres de la lumière; et cette
difficulté ne me. surprend pas, parce que cette séparation est réservée à Dieu
et à ceux qui participent à la véritable sagesse, et qui ne se gouvernent
point par celle de la chair.
5. Il est difficile de
discerner, durant la vie mortelle, la véritable prudence d'avec la fausse;
parce que, bien souvent même, la bonne intention et le zèle éblouissent le
jugement humain, s'il n'est sur ses gardes et éclairé de la lumière céleste.
Et c'est ce que j'ai découvert dans cette occasion; parce que plusieurs
personnes que je connaissais, les unes par dévotion, les autres par amitié et
par zèle de mon avancement, et d'autres par mépris, toutes tâchèrent en un
même temps de me dissuader de continuer cet ouvrage, et de me détourner du
chemin que le suivais, comme si je l'avais choisi moi-même : et l'ennemi ne me
troubla pas médiocrement par le moyen de ces personnes, parce que la crainte
de quelque confusion ou de quelque déshonneur, qui pouvait arriver à ceux qui
exerçaient leur charité à mon égard, à la religion et à mes parents, et
singulièrement au monastère où je suis, leur causait de très-grandes peines,
et à moi des afflictions bien. sensibles. La sûreté qu'on me promettait
(1) Matth., XIII, 25.
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en
suivant le chemin ordinaire des autres religieuses m'ébranlait extrêmement. Et
je confesse que cela s'accordait davantage avec mes inclinations naturelles et
mes désirs, et beaucoup plus avec ma faiblesse et mes terreurs.
6. Mon coeur étant agité
parmi ces flots impétueux, je tâchai d'arriver au port de l'obéissance, qui me
rassurait dans la mer amère de ma confusion. Et ce qui augmenta mes peines,
fut qu'on parlait dans cette occasion d'employer à de plus hautes charges de
la religion mon Père spirituel et supérieur, qui avait conduit mon âme durant
plusieurs années et connu mon intérieur et mes persécutions; qui m'avait aussi
ordonné d'écrire tout ce qui m'était inspiré, me faisant espérer que par sa
direction j'arriverais à bon port, et je jouirais du repos et de la
consolation. Ce projet ne fut point exécuté, mais il s'absenta dans cette
conjoncture pour un assez long temps, et le dragon infernal se prévalait de
tout cela pour faire déborder sur moi le fleuve de ses plus furieuses
tentations (1) : ainsi, dans cette rencontre comme dans plu. sieurs autres, il
employa toute sa malice à vouloir me détourner de l'obéissance et des bons
avis de mon supérieur, mais tous ses efforts furent vains.
7. Le démon joignit à
toutes les traverses et les tentations que je dis, et à plusieurs autres que
je ne puis raconter, la perte de ma santé, dont il me priva en me causant
plusieurs indispositions et en altérant toutes mes humeurs. Il me suscita une
tristesse invincible, il me! troubla le cerveau, et il me semble qu'il voulait
obscurcir l'entendement, empêcher la raison, affaiblir la volonté
(1)
Apoc., XII, 15.
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et me
bouleverser entièrement quant à l'âme et quant au corps. Et c'est ce qui
arriva, parce que, dans la confusion on j'étais, je tombai dans quelques
manquements assez considérables pour moi; et, quoique je les tisse plus par
fragilité humaine que par malice, néanmoins le serpent s'en prévalut plus que
d'aucun autre moyen pour m'abattre; parce que, m'ayant troublé le cours des
bonnes oeuvres pour me faire tomber, il lâcha ensuite sa fureur en me
délivrant de ces troubles, afin que je connusse avec une plus grande réflexion
lés fautes que j'avais commises. Il me seconda en cela par des suggestions
aussi impies que spécieuses, voulant me persuader que tout ce qui s'était
passé à mon égard, dans les voies ou je suis, était faux et trompeur.
8. Comme cette tentation se
présentait ainsi, accompagnée du remords de fautes réellement commises et du
cortége de toutes les terreurs qui m'assaillaient sans cesse, je lui résistai
moins qu'aux autres; et ce fut une singulière miséricorde du Seigneur que je
ne perdisse pas entièrement dans cette situation l'espérance et la foi d'y
obtenir un remède. Mais je fus si remplie de confusion et si fort abîmée dans
les ténèbres, que je puis dire que les frayeurs de la mort et les douleurs de
l'enfer m'environnèrent (1), et, m'ayant portée jusqu'à reconnaître le dernier
péril, je me déterminai à brûler les écrits de la première partie de cette
divine histoire pour ne pas poursuivre la seconde. Et le démon ajouta à cette
résolution qu'il m'inspirait la pensée de tout quitter, me faisant entendre
que je ne devais plus traiter des voies de la vie spirituelle ni de ce qui se
passait dans mon intérieur,
(1) Ps. XVII, 5 et 6.
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et que
je ne devais plus m'y amuser ni le communiquer à personne; moyennant quoi je
pouvais faire pénitence de mes péchés et apaiser le Seigneur, qui était irrité
contre moi. Pour assurer davantage sa, malice cachée, il me proposa de faire
voeu de n'écrire plus, à cause du danger qu'il y avait d'être trompée et de
tromper, pour ne. plus prendre soin que de corriger ma vie, d'en retrancher
les imperfections et d'embrasser la pénitence.
9. Par toutes ces
apparences de vertu, le dragon prétendait donner du crédit à ses mauvais
conseils, et se couvrir de la peau de brebis, n'étant cependant qu'un loup
carnassier et ravissant. Il s'obstina quelque temps é cette lutte; et je fus
(surtout pendant quinze jours) dans une nuit fort ténébreuse, sans repos et
sans aucune consolation divine ni humaine, parce que le conseil de mon
directeur et le secours de l'obéissance me manquaient, et que d'ailleurs le
Seigneur avait suspendu les, effusions de ses faveurs, les communications et
les lumières intérieures qu'il m'avait auparavant accordées. C'est surtout la
perte de ma santé qui me tourmentait, et avec elle 1a pensée des approches de
la mort et du péril de ma damnation : car l'ennemi dressait et faisait jouer
toutes ses machines.
10. Mais, comme il ne
laisse dans son départ que des amertumes insupportables et des sentiments de
désespoir, le même trouble dont il se servait pour altérer toutes mes
puissances et les habitudes acquises, me rendit plus avisée pour n'exécuter
aucune des choses auxquelles il me poussait, ou que je projetais dans mon
désordre. Il ne cessait de se servir de la crainte pour me crucifier l'âme; me
faisant constamment prévoir le danger, d'offenser Dieu et de perdre son
amitié, et en outre, il
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m'objectait l'ignorance que j'avais des choses divines, pour me les faire
suspecter de fausseté. Mais cette même crainte me faisait douter aussi sur ce
que le fin dragon me persuadait, et par ce doute j'étais empêchée de lui
ajouter foi. Les égards que j'avais pour l'obéissance m'étaient pareillement
d'un grand secours, mes supérieurs m'ayant commandé d'écrire et de faire tout
le contraire de ce que je sentais dans ces sortes de persuasions, m'ordonnant
de leur résister et de n'en faire aucun cas. Joint qu'une secrète protection
du Très-Haut me défendait, et ne voulait point abandonner aux bêtes l'âme qui
le glorifiait parmi tant de troubles et d'afflictions, quoique ce fût avec des
gémissements et des soupirs continuels. Je ne puis trouver des termes pour
exprimer les tentations, les résistances, les insultes, les peines, les
douleurs que je ressentis dans ce combat, parce que je me vis dans un tel
état, que je crois qu'intérieurement il n'y avait point d'autre différence de
celui-là à celui des damnés, sinon qu'en celui-ci il n'y a aucune rédemption,
et en l'autre il peut y en avoir.
11. En un de ces jours,
pour respirer un peu, je m'écriai du profond de mon coeur, et je dis : Hélas!
en quel état suis-je? Une âme qui s'y trouve est digne de compassion. Où
irai-je, tous les ports de salut me sont fermés? A quoi une voix forte et
douce me répondit intérieurement : Où voulez-vous aller, si vous n'avez
recours à Dieu ? Je compris par cette réponse que mon remède favorable me
viendrait du Seigneur, et par le secours de cette lumière je commençai à
sortir du sombre abattement où j'étais tombée, et je sentis une force qui
m'animait dans les désirs et dans les actes de foi, d'espérance et de charité.
Je m'humiliai en la présence du
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Très-Haut, et ayant une confiance assurée en sa bonté infinie, je pleurai mes
péché, avec une amère contrition, je m'en confessai plusieurs fois, et je me
mis à chercher avec de plus profonds soupirs mon ancienne lumière et mon
unique vérité. Et comme la sagesse divine prévient les désirs de celui qui
l'appelle, elle me vint à la rencontre avec un visage serein (1), chassa les
ténèbres de ma confuse nuit, et calma la tempête qui me causait tant de
frayeur.
12. Enfin le beau jour que
je désirais parut; je recouvrai ma première tranquillité, jouissant de la
douceur dé l'amour et de la vue de mon Seigneur et de mon Dieu; et par cette
vue je. connus les motifs que j'avais de croire, d'approuver et de respecter
les faveurs de son bras tout-puissant qui opérait en moi. Je lui en témoignai
mes reconnaissances autant qu'il me fut possible; je connus ce que je suis, ce
que Dieu est, et ce que la créature peut par elle seule, et qu'elle n'est
qu’un pur néant; je connus les raisons que nous avons de dire que le péché
l'est aussi, et ce que cette même créature peut, étant élevée et assistée dé
la droite du Tout-Puissant, qui est sans doute beaucoup plus que ce que nous
pouvons concevoir; et, abîmée dans la connaissance de ces vérités et en la
présence de la lumière inaccessible (qui est grande, forte, à l'abri de
l'illusion et de l'erreur), j'épanchais toute mon âme en de douces affections
d'amour, de louange et de reconnaissance, parce que cette lumière m'avait si
fort protégée dans la nuit de mes tentations, que par son moyen ma lampe n'y
fut point éteinte (2); et pour reconnaître ce bienfait
(1) Sap., VI,17. — (2) Prov., XXXI, 18.
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j'aurais voulu m'humilier jusqu'au centre de la terre.
13. Pour me confirmer dans
cette faveur; je reçus une correction intérieure sans connaître clairement qui
me la faisait; je fus blâmée avec sévérité de mon peu de foi et de ma mauvaise
conduite; l'on m'exhortait, et en même temps on m'éclairait avec une aimable
majesté, de sorte que je fus corrigée et enseignée tout ensemble. Dans celte
correction je reçus de nouvelles notions du bien et du mal, de la vertu et du
vice, de ce qui est certain et utile, favorable et contraire. Celui qui me la
faisait me découvrait le chemin de l'éternité, en me donnant une connaissance
des principes, des moyens et des fins, de l'estime qu'on doit faire de la vie
éternelle , et de l'appréhension que l'on doit avoir du mal. heur peu connu de
la perdition qui n'a point de fin.
14. J'avoue que je devins
muette dans la profonde connaissance de ces deux extrémités, et presque toute
troublée entre la crainte de ma fragilité, qui me faisait perdre courage, et
le désir d'obtenir ce dont je n'étais pas digne, parce que je me trouvais sans
mérites. La miséricorde du Seigneur m'animait, et l'étais affligée par la
crainte que j'avais de le perdre; je regardais avec admiration les deux fins
si différentes de la créature, qui consistent en la gloire et en la peine
éternelle; et pour acquérir l'une et m'éloigner de l'autre, toutes les peines
du monde, du purgatoire, et même de l'enfer, me paraissaient légères, Et
quoique je connusse que la créature doit être certaine et assurée de la grâce
divine si elle en veut l'aire son profit, néanmoins, comme je découvrais aussi
en cette lumière que la mort et la vie sont entre nos mains (1), que nous
pouvons perdre par
(1)
Eccl., IV, 18,
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notre
faiblesse ou par notre malice cette mime grâce, et que l'arbre demeurera
éternellement à l'endroit où il sera tombé (1), je m'abîmais dans une douleur
qui remplissait mon âme de crainte et de tristesse.
15. Une très-sévère réponse
ou demande que le Seigneur me fit augmenta extrêmement cette affliction, parce
que comme je me trouvais si fort anéantie dans le sentiment de ma faiblesse,
du danger où je me trouvais, et du malheur que j'avais eu d'irriter sa
justice, je n'osais lever les yeux en sa divine présence, et dans ce silence
j'adressai mea soupirs à sa miséricorde, auxquels le Seigneur me répondit :
« O âme! que voulez ? Que cherchez-vous ? Lequel de ces chemins voulez-vous
choisir? » Cette demande fut une flèche qui me perça le coeur; et, bien que je
fusse assurée que le Seigneur connaissait mieux mon désir que moi-même,
néanmoins, l'intervalle qu'il y avait entre la demande et la réponse m'était
d'une peine incroyable, parce que j'aurais souhaité que le Seigneur eût
présupposé ma réponse, et qu'il n'eût
point fait semblant de l'ignorer. Mais étant mue d'une grande force, je
répondis à haute voix et du plus profond de mon coeur : « Seigneur et Dieu
tout-puissant, c'est le chemin de la vertu et de la vie éternelle que je veux
et que je choisis, afin que a vous m'y conduisiez; que si je ne le mérite pas,
j'appelle de votre justice à votre miséricorde, et je présente en ma faveur
les mérites infinis de votre très-saint Fils et mon Rédempteur Jésus-Christ. »
16. Je connus alors que ce
souverain Juge se souvenait de la parole qu'il donna à son Église, lorsqu'il
(1) Eccles., XI, 3.
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lui
promit d'accorder tout ce qu'on lui demanderait au nom de son Fils unique (1);
qu'en lui et par lui il accordait ma demande selon mon pauvre désir, et que
cette faveur m'était signifiée avec de certaines conditions, qu'une voix
intellectuelle me déclara en me disant intérieurement: « Ame créée par la main
du Tout-Puissant, si vous prétendez, comme élue, suivre le chemin de la
véritable lumière et devenir la très-chère épouse du Seigneur qui vous a
appelée, il faut que vous gardiez les lois et les préceptes de l'amour qu'il
exige de vous. Le premier de ces préceptes consiste à renoncer entièrement à
vous-même, à toutes vos inclinations terrestres, et au plus léger amour des
choses passagères, afin que vous n'aimiez aucune créature visible, ni soyez en
état d'en agréer l'amour, a pour utile, belle et agréable qu'elle vous
paraisse: vous devez fermer la porte à leurs impressions, à leurs caresses et
à leurs affections, et prendre garde que celles de votre volonté ne se
terminent à aucune chose créée qu'autant que votre Seigneur et votre Époux
vous le commandera, pour l'exercice de la charité bien ordonnée ou en ce
qu'elle peut vous aider à n'aimer que lui seul.
17. « Et lorsque, par ce
parfait renoncement, vous vous trouverez seule et libre de tout ce qui est
terrestre, le Seigneur veut que vous preniez légèrement votre vol avec les
ailes de la colombe jusqu'à une haute demeure, où sa divine bonté veut placer
votre esprit, afin que vous y viviez et y trouviez votre repos. Ce Seigneur
est un époux très-jaloux (2), et
(1) Joan., XVI, 23. — (2) Exod., XX, 5.
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son
amour est fort comme la mort (1); ainsi il veut vous élever en un lieu assuré
d'où vous ne devez point sortir pour descendre en un autre où vous courriez
risque de perdre ses caresses. Il veut aussi vous marquer lui-même les
personnes que vous pourrez fréquenter sans crainte; et c'est une très-juste
loi que les e épouses d'un si grand Roi doivent observer, puisque même
celles des hommes mortels l'observent quand a elles leur veulent être fidèles.
La noblesse de votre Époux exige que vous gardiez une
correspondance convenable à la dignité et au titre que vous en recevez, sans
que vous vous attachiez à aucune chose qui soit indigne de votre état et qui
puisse vous priver de l'ornement qu'il est disposé à vous donner, afin que
vous entriez dans son lit nuptial.
18. « Le second précepte de
l'amour demande que a vous vous dépouilliez promptement de la bassesse de a
vos vêtements déchirés et souillés par vos péchés, a par vos imperfections et
par les effets de ces mêmes a péchés, qui sont horribles par l'inclination de
la nature dépravée. Sa divine Majesté veut laver vos taches, elle veut vous
purifier et vous renouveler par sa propre beauté; mais à condition que vous ne
perdrez jamais de vue les pauvres vêtements dont vous vous serez dépouillée,
afin que par le souvenir de ce bien fait
et par la connaissance que vous en aurez, le nard de l'humilité envoie une
agréable odeur à ce grand Roi (2), et que vous n'oubliiez jamais le retour que
a vous devez à l'auteur de votre salut, qui a bien voulu a vous purifier et
guérir vos plaies parle précieux baume
(1) Cant., VIII, 6. (2) Id., I, 11.
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de son
sang, et vous remplir abondamment de ses lumières.
19. « Outre cela (ajouta
cette voix), le Seigneur veut que vous soyez ornée des joyaux qu'il vous a
destinés, afin qu'ayant oublié tout ce qui est terrestre (1); votre beauté lui
soit plus agréable; le vêtement qui vous doit toute couvrir sera plus blanc
que la neige, plus brillant que le diamant, plus éclatant que le soleil, mais
si délicat, que vous le souillerez facilement pour peu que vous vous
négligiez; et si vous le faites, vous vous rendrez horrible à votre
Epoux; que si vous le conservez dans la pureté qu'il désire, vos pas seront
très-beaux (2), comme ceux de la fille du Prince, et sa divine Majesté
regardera vos affections et vos oeuvres avec complaisance. Pour ceinture de ce
vêtement, il vous donnera la connaissance de son pouvoir divin et la sainte
crainte de l'offenser, afin que vos inclinations étant ceintes, vous vous
ajustiez à tout ce qui sera de son bon plaisir. Les joyaux qui orneront le cou
de votre humble soumission, seront les riches perles de la foi, de l'espérance
et de la charité. La sagesse et la science infuse que le Seigneur vous
communique et dont il parfume vos pensées et vos hautes contemplations, seront
comme le bandeau qui servira à attacher votre chevelure; et les vertus seront,
par leur richesse et leur éclat, les broderies qui rehausseront votre
vêtement. La diligence soigneuse que vous aurez à opérer toujours ce qu'il y a
de plus parfait, vous servira de chaussure dont les courroies seront la
retenue et les amoureuses
(1) Ps., XLIV, 11 . — (2) Cant., VII, 1.
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chaînes qui vous empêcheront d'aller au mal. Le sept dons du Saint-Esprit
seront les bagues qui rendront vos mains agréables; le blanc de votre
visage sera la participation de la Divinité, qui en augmentera l'éclat par son
saint amour; et vous y ajouterez le vermeil de la confusion de l'avoir
offensée, qui vous empêchera par pudeur de le faire encore à l'avenir, en ne
cessant jamais de comparer le pauvre vêtement que vous venez de quitter,
avec l'inestimable que vous recevez maintenant.
20. Mais parce que de votre
propre fonds vous n'êtes pas assez riche pour de si nobles épousailles,
le Très-Haut veut affermir davantage ce contrat en vous assignant pour dot les
mérites infinis de voire époux Jésus-Christ, comme s'ils fussent
seulement pour vous, et il vous fait participante de ses biens et de ses
trésors, qui contiennent tout ce que les cieux et la terre renferment. Tout
appartient à ce souverain Seigneur (1), et vous serez maîtresse de tout
pour en user en qualité de son épouse, en lui-même et pour l'aimer
toujours plus. Mais sachez, ô âme! que pour jouir d'un si rare bienfait, votre
Seigneur et votre Époux veut que vous vous recueilliez toute dans vous.
même sans perdre jamais votre secret, parce que je vous avertis du danger où
vous êtes exposée de ternir cette beauté par la plus petite
imperfection, Que vous y tombez par faiblesse, ne manquez pas de vous relever
incontinent avec courage et de pleurer avec reconnaissance, considérant votre
faute, quoique petite, comme si elle était des plus grandes.
(1) Esth., XIII, 11.
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21.« Afin que vous ayez
aussi un logement convenable à un tel état, votre Époux ne veut point rétrécir
votre demeure; au contraire, il a pour agréable que vous habitiez toujours
dans les espaces infinis de sa divinité, et que vous vous promeniez dans les
champs immenses de ses attributs et de ses perfections, où la vue s'étend sans
trouver aucune borne, la volonté s'égaie sans nul sujet de crainte, et le goût
se rassasie sans amertume. C'est le paradis rempli de délices et toujours plus
agréable, où les très-chères épouses de Jésus-Christ se récréent, où
elles cueillent les fleurs et la myrrhe odoriférante, et où l'on trouve le
tout infini pour avoir renoncé au néant. C'est là où votre habitation sera
assurée; et afin que votre conversation soit à la même hauteur, le Seigneur
veut que vous l'ayez avec les anges , et que vous les receviez pour amis et
compagnons; que , par leur fréquent commerce vous graviez en vous-même leurs
vertus, et que vous les imitiez en ces mêmes vertus.
22. « Considérez, ô âme!
(continua la voix) la grandeur de ce bienfait présent; car la Mère de votre
Époux et la Reine du ciel vous adopte de nouveau pour sa fille, vous reçoit
pour sa disciple, et s'établit a votre Mère et Maîtresse; c’est par son
intercession que vous recevez tant de faveurs singulières, et elles vous sont
toutes accordées afin que vous écriviez sa très. sainte vie; parce moyen vous
avez reçu le pardon que vous ne méritiez pas, et en vue de cette
mission, il vous a été accordé ce qu'autrement vous n'auriez pas obtenu. Que
serait-ce de vous, si la Mère de miséricorde ne vous protégeait? Vous seriez
déjà perdue si
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son
intercession vous eût manqué; et vos oeuvres eussent été pauvres et
inutiles si vous n'eussiez pas été élue par la divine bonté pour écrire cette
histoire; mais le Père éternel regardant cette fin, vous choisit pour sa fille
et pour épouse de sort Fils unique; le Fils vous reçoit afin que vous
participiez à ses plus tendres embrassements , et le Saint-Esprit vous
fait entrer dans ses illuminations. L'écriture de ce contrat et de
ces épousailles est imprimée sur le papier blanc de la pureté de
l'auguste Marie; elle est tracée par le doigt et par la puissance du
Très-Haut, l'encre est le sang de l'Agneau, le Père éternel en est
l'exécuteur, et le Saint-Esprit est le lien qui vous unira à Jésus-Christ, et
les mérites du même Jésus-Christ et de sa Mère serviront de caution, puisque
vous êtes un pauvre vermisseau qui n'a rien à offrir, et l'on ne demande que
votre volonté.
23. La voix qui
m'instruisait ne se fit plus entendre. Et, bien que je jugeasse qu'elle fût
d'un ange, néanmoins je ne le connus pas si clairement alors pour en être
assez bien persuadée, parce que je ne le voyais point comme les autres fois.
Car lorsque ces sortes de faveurs se manifestent ou se cachent, elles
s'accommodent à la disposition qui est en l'âme pour les recevoir, comme il
arriva aux disciples d'Emmaüs (1). J'eus pour vaincre les oppositions que le
serpent me suscitait afin de m'empêcher d'écrire cette divine histoire,
plusieurs autres moyens que je ne raconte pas maintenant, pour ne pas allonger
le discours; je continuai pourtant quelques jours ma prière, demandant au
Seigneur qu'il me
(1) Luc., XXIV, 16.
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conduisit et qu'il m'enseignât, afin que je ne tombasse point dans l'erreur,
lui représentant mon insuffisance et mes craintes. Sa divine Majesté me
répondit toujours que je réglasse ma vie avec beaucoup de pureté et de
perfection, et que je continuasse ce que j'avais commencé; et la Reine des
anges me fit particulièrement connaître plusieurs fois sa volonté avec une
grande douceur et beaucoup de caresses , me commandant de lui obéir en qualité
de fille, et d'écrire sa très-sainte vie sans interruption.
24. Je voulus joindre à
tout cela la sûreté de l'obéissance, et sans découvrir ce que le Seigneur et
sa très-sainte Mère m'avaient répété, je demandai à mon supérieur, qui était
mon confesseur, ce qu'il m'ordonnait dans cette circonstance. Il me répondit
en me commandant en vertu de l'obéissance d'écrire et de continuer cette
seconde partie. Ainsi me voyant contrainte par, le Seigneur et par cette même
obéissance, j'allai de nouveau aux pieds du Très-Haut, à qui je fus un jour
présentée pendant mon oraison, et me dépouillant de toutes mes affections dans
la connaissance où j'étais de ma bassesse et de ma faillibilité, prosternée
devant le tribunal divin, je dis à sa Majesté : « Mon Dieu, mon Seigneur, que
voulez-vous faire de moi? » A cette espèce de question, voici la réponse que
je reçus.
25. Il me sembla que la
divine lumière de la très-sainte Trinité me faisait voir que j'étais pauvre et
remplie de défauts, et qu'en m'en reprenant elle m'avertissait avec sévérité
de m'en corriger, me donnant en même temps une très-sublime doctrine et des
instructions fort salutaires pour la perfection de la. vie. Pour cet effet, je
fus purifiée et illustrée de nouveau. J'aperçus que la Mère
449
de
grâce, la très-sainte Vierge, étant présente su trône de la Divinité,
intercédait pour moi. Cette protection m'anima, et me prévalant de la clémence
d'une telle Mère, je m'adressai à elle et je lui dis ces seules paroles : « Ma
souveraine Princesse et mon refuge, ayez égard comme mère véritable à la
pauvreté de votre servante. » Il me sembla qu'elle exauçait ma demande, et
que, parlant au Très-Haut, elle lui disait : « Mon divin Seigneur, daignez
recevoir de nouveau cette inutile et pauvre créature pour votre fille, et
l'adopter pour la mienne » (action d'une Reine aussi libérale que puissante).
Mais le Très-Haut lui répondit : « Mon Épouse, qu'est-ce qu'allègue cette âme
de son côté pour une si grande faveur, puisa qu'elle ne la mérite point, et
qu'elle est un pauvre et inutile vermisseau, ingrate à nos bienfaits? »
26. « O force incomparable
de la divine parole ! comment pourrai-je exprimer les effets que cette réponse
du Tout-Puissant causa en moi? Elle m'humilia jusque dans mon propre néant; je
connus la misère de la créature et mea ingratitudes envers Dieu; mon coeur
était brisé entre la douleur de mes péchés et le désir d'obtenir ce grand
bonheur d'être adoptée pour fille de cette auguste Princesse, ce que je ne
méritais pas. Je levais les yeux avec crainte au trône du Très-Haut; le
trouble et l'espérance me bouleversaient le visage, et dans ces agitations je
me tournais vers mon avocate, souhaitant qu'elle me reçu pour sa servante,
puisque je ne méritais pas d'être sa fille, et n'osant pas ouvrir la bouche,
je parlais du plus profond de mon coeur; et j'ouïs que mon aimable Maîtresse
disait au Seigneur:
27. « Il est vrai, mon Roi
et mon Dieu, que cette pauvre créature n'a pas d'elle-même de quoi offrir à
votre
450
justice; mais je présente en sa faveur les mérites de votre très-saint Fils et
le sang qu'il a versé pour elle, et avec cela je présente la dignité de Mère
de votre f même Fils que j'ai reçue de votre bonté ineffable, toutes les
oeuvres que j'ai faites pour son service, le temps que je l'ai porté dans mon
sein et que je l'ai s nourri de mon propre lait; et surtout je vous présente votre
même Divinité et votre miséricorde infinie, et je vous supplie d'avoir pour
agréable que cette créature soit maintenant adoptée pour ma fille et pour ma
disciple : je réponds pour elle, et je vous suis caution, Seigneur, que par
mes instructions elle se corrigera de ses fautes et perfectionnera ses oeuvres
selon votre bon plaisir. »
28. Le Très-Haut accorda
cette demande (qu'il soit éternellement loué d'avoir exaucé la grande Reine
intercédant pour la plus petite des créatures). Je sentis incontinent de si
grands effets et une joie si extraordinaire en mon âme, qu'il ne m'est pas
possible de les raconter; mais je m'adressai par toutes mes facultés à toutes
les créatures du ciel et de la terre, et sans pouvoir retenir mon
contentement, je les invitai toutes à louer pour moi et avec moi l'auteur de
la grâce. Il me semblé que je leur disais d'une voix haute : « O
habitants et courtisans du ciel, et vous, créatures vivantes formées par
la main du Très-Haut, regardez cette merveille de sa miséricorde libérale;
bénissez et louez le éternellement pour elle, puisqu'il a relevé de la
poussière la plus abjecte de l'univers; puisque, Dieu souverain et Roi
tout-puissant, il a enrichi la plus pauvre et honoré la plus indigne de ses
servantes. Et vous, enfants d'Adam, voyez l'orpheline protégée et la
451
pécheresse à qui le Seigneur a pardonné; sortez main tenant de votre
ignorance, relevez-vous de votre lâcheté et animez votre espérance; que si le
puissant bras m'a favorisée, si la bonté divine m'a appelée et ensuite
pardonné, vous pouvez tous espérer votre salut; et si vous voulez être
assurés d'y arriver, recherchez la protection de l'auguste Marie, priez-la
qu'elle intercède pour vous, et vous éprouverez qu'elle est une mère de
miséricorde et de clémence ineffable.
29. Je m'adressai aussi à
cette très-puissante Reine, et je lui dis: « Ma Souveraine, je ne m'appellerai
donc plus désormais orpheline, puisque j'ai une mère, et c une mère qui
est Reine de tout ce qui est créé; je ne serai plus maintenant ignorante
(si je ne le deviens parme, propre faute) , puisque j'ai pour maîtresse
celle a qui enseigne la sagesse divine; je ne serai plus pauvre,
puisque j'ai un seigneur qui a en son pouvoir tous les trésors du ciel et de
la terre; j'ai présentement une mère qui me protégé, une maîtresse qui
m'instruit et me corrige, une reine qui me commande et me gon verne.
Vous êtes bénie entre toutes les femmes, excellente entre les créatures,
admirable su ciel et en la terre, et tous exaltent vos grandeurs
par des louanges éternelles. Il n'est pas facile, ni même possible, que
moi qui suis la moindre des créatures, et le plus abject vermisseau de terre,
vous rende le juste retour: recevez-le donc de la divine droite et dans la
vision à, béatifique où vous êtes du Dieu qui vous possède et vous
possédera durant toute l'éternité. Je vous serai très-reconnaissante et
tres-obligée servante, et je rendrai grâces et louanges au Tout-Puissant
pendant
452
toute
ma vie, parce que sa bonté libérale m'a favorisée en me donnant, ma divine
Reine, une telle mère et maîtresse que vous. Que mes affections vous louent
dans le silence, puisque ma langue n'a pas de termes a assez forts pour le
faire, et elle n'en saurait point trouver pour vous exprimer ma gratitude. »
30. Il n'est pas possible
d'expliquer ce que l'âme ressent dans de tels mystères, qui sont toujours
accompagnés de très-grandes faveurs. Celles que j'y reçus causèrent des biens
fort considérables à la mienne, parce qu'il me fut en même temps proposé de
mener une vie si parfaite, que je n'ai point de termes pour la représenter
comme je la conçus; mais le Très-Haut me fit entendre que tout cela m'était
accordé à la considération de la très-pure Marie et afin que j'écrivisse sa
vie. Je découvris à l'instant qu'en confirmation de ce bienfait j'étais
choisie par le Père éternel pour manifester les mystères de sa Fille; par le
Saint-Esprit, pour révéler, sous son inspiration et à sa lumière, les dons
cachés de son Épouse; que j'étais également destinée par le Fils à pénétrer
dans les secrets de sa Mère, l'auguste Marie. Je compris que pour me disposer
à cet ouvrage, la très-sainte Trinité éclairait mon esprit par une lumière
spéciale dé la Divinité, et que le pouvoir. divin touchait mes puissances
comme avec un pinceau, et les fortifiait par de nouvelles habitudes pour les
opérations parfaites qui regardaient ce sujet.
31. Le Très-Haut me
commanda aussi de faire mon possible pour imiter, autant que mes faiblesses me
le pourraient permettre, tout ce que j'apprendrais et écrirais des vertus
héroïques et des saintes oeuvres de la divine Reine, en réglant ma vie sur 'ce
parfait modèle.
453
Et
comme je me reconnaissais si fort incapable de m'acquitter de ce devoir, la
même Reine, par un effet de sa clémence, m'offrit de nouveau son secours et
ses avis pour tout ce que le Très-Haut me commandait et à quoi il me
destinait. Ensuite je demandai la bénédiction à la très-sainte Trinité pour
commencer la seconde partie de cette histoire, et je connus que toutes les
trois personnes me la donnaient. Étant sortie de cette vision, je tâchai de
purifier mon âme par les sacrements et par la contrition de mes péchés; et au
nom du Seigneur et de l'obéissance, je mis la main à l'œuvre pour la gloire du
Très-Haut et de sa très-sainte et toujours immaculée Mère et Vierge Marie.
32. Cette seconde partie
contient la vie de la Reine des anges dès le mystère de l'Incarnation jusqu'à
l'Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ inclusivement; c'est ce qu'il y a
de plus notable dans cette divine histoire, puisque cette partie renferme
toute la vie et les mystères du même Seigneur, sa passion et sa très-sainte
mort. Je veux seulement avertir ici que les grâces accordées à la très-pure
Marie pour la disposer au mystère de l'Incarnation, prirent leur cours dès
l'instant de son immaculée conception, parce que dès lors Dieu avait décrété
dans son entendement qu'elle serait la Mère du Verbe éternel. Mais les dons et
les faveurs de la grâce croissaient à mesure qu'elle s'approchait de l'effet
de l'Incarnation. Et quoique tontes ces faveurs paraissent être de la même
nature dès le commencement, elles ne laissaient pourtant pas de croître, et je
n'ai point de nouveaux termes pour exprimer ces augmentations et ces nouvelles
faveurs : ainsi il faut de nécessité que nous nous en remettions dans toute
cette histoire au pouvoir
454
infini
du Seigneur, à qui, en donnant beaucoup, il reste infiniment de quoi donner
encore, d'autant plus que l'âme, et surtout celle de la Reine du ciel, a comme
une capacité infinie pour recevoir toujours davantage, ainsi qu'il advint à
cette divine Reine jusqu'à ce qu'elle fat arrivée au comble de la sainteté et
de la participation de la Divinité, où aucune autre pure créature n'a pu ni ne
pourra jamais arriver. Plaise au Seigneur de m'éclairer, afin que je poursuive
cet ouvrage selon son bon plaisir Ainsi soit-il.
DEUXIÈME PARTIE. QUI
CONTIENT LES MYSTÈRES DEPUIS L'INCARNATION DU VERBE DANS LE SEIN VIRGINAL DE
MARIE JUSQU'À SON ASCENSION.
LIVRE TROISIÈME. QUI CONTIENT LA TRÈS-HAUTE DISPOSITION QUE LE TOUT-PUISSANT
OPÉRA EN LA TRÈS-SAINTS VIERGE POUR L'INCARNATION DU VERBE. — CE QUI CONCERNE
CE MYSTÈRE. — LE TRÈS-SUBLIME ÉTAT AUQUEL L'HEUREUSE HÈRE SE TROUVA. — LA
VISITE QUELLE FIT A SAINTE ÉLISABETH, ET LA SANCTIFICATION DE JEAN-BAPTISTE. —
LE RETOUR A NAZARETH, ET UN FURIEUX COMBAT QU'ELLE EUT AVEC LUCIFER.
CHAPITRE I. Le Très-Haut commence à disposer la très-sainte Vierge su mystère
de l’Incarnation, et le tout s'exécute pendant les neuf jours qui précédèrent
cet auguste mystère. — On commence par déclarer ce qui arriva dans le premier
jour.
1. Le Seigneur mit notre
Reine et Maîtresse dans les occupations d'épouse de saint Joseph et dans les
occasions plus fréquentes de converser avec le prochain, afin que sa vie
innocente fût un modèle public de sublime
456
sainteté. La divine Princesse, se trouvant dans ce nouvel état, forma de si
hauts desseins et régla toutes les actions de sa vie avec tant de sagesse,
qu'elle donna une émulation admirable aux, anges et un exemple incomparable
aux hommes. Elle était connue de peu de personnes, et très-peu la
fréquentaient; mais celles qui avaient ce bonheur recevaient tant de divines
influences de la céleste Marie, que, ravies d'admiration, de joie et d'estime,
elles eussent voulu exhaler leurs sentiments et faire éclater au dehors le feu
sacré qui les enflammait, comprenant qu'il provenait de la très-pure Vierge.
La très-prudente Reine n'ignorait point -ces effets que la main du
Tout-Puissant opérait en elle; mais le temps de les révéler au monde n'était
pas encore venu, et sa très-profonde humilité ne le lui permettait pas. Elle
demandait continuellement au Seigneur de la cacher aux yeux des hommes; que
toutes les faveurs qu'elle recevait de sa droite fussent rapportées à sa seule
louange, et qu'il permit qu'elle fût inconnue et méprisée de tous les mortels,
afin que sa bonté infinie ne fût point offensée.
2. Le Seigneur exauçait une
grande partie des demandes de son Épouse, et fa providence faisait que la même
lumière imposât le silence à ceux qui étaient portés par cette même lumière. à
l'exalter; et ils se taisaient, parce que la vertu divine qui y était
renfermée les empêchait de parler, et les faisait rentrer dans leur intérieur
pour y louer le Seigneur à cause de la lumière qu'ils y recevaient; et, se
trouvant remplis d'admiration, ils suspendaient leur jugement et laissaient
457
la
créature pour adresser toutes leurs louanges au Créateur. Plusieurs sortaient
du péché pour l'avoir seulement regardée; d'autres perfectionnaient leur vie,
et tous étaient dans une grande modestie à sa seule vue, parce qu'ils en
recevaient des influences célestes en leurs âmes; mais ils oubliaient aussitôt
l'original, et l'âme où il s'était représenté en perdait toutes les
impressions; parce que si ceux qui l'avaient une fois vue en eussent conservé
les idées, ils n'auraient pu supporter son absence; et il est constant que
tous se seraient empressés de la voir avec importunité, si Dieu ne l'eût
empêché avec mystère.
3. Notre Reine et épouse de
Joseph s'occupa à des oeuvres d'où l'on recueillait des fruits si admirables,
et elle travailla continuellement, durant l'espace de six mois et dix-sept
jours qui se passèrent depuis ses épousailles jusqu'à l'incarnation du Verbe,
à augmenter les mérites et les grâces qui produisirent tant de merveilles. Il
ne m'est pas possible de raconter en détail les actes héroïques de toutes les
vertus intérieures et extérieures qu'elle y pratiqua; comme de charité,
d'humilité, de religion, d'aumônes et de plusieurs autres oeuvres de
miséricorde : parce que tout cela surpasse nos expressions et tout ce que l'on
en peut concevoir. Tout ce que j'en puis déclarer, c'est que le Très-Haut
trouva en la très sainte-Vierge la plénitude de ses complaisances, et la juste
correspondance qu'une pure créature pouvait rendre à son Créateur. Par cette
sainteté et ces mérites, Dieu se trouva comme obligé et comme forcé, pour
ainsi dire, d'avancer le
458
pas et
de mettre la main de sa toute-puissance à la plus grande des merveilles que
l'on ait connue et que l'on connaîtra jamais, le Fils unique du Père prenant
chair humaine dans le sein virginal de cette auguste Vierge.
4. Pour exécuter cette
oeuvre d'une manière digne de lui, Dieu prévint d'une manière toute
particulière la très-sainte Vierge durant les neuf jours qui précédèrent
immédiatement le mystère, et laissant comme déborder de son sein la source
dont les flots devaient inonder cette vivante Cité divine (1), il lui
communiqua tant de dons, tant de grâces et tant de faveurs, que je perds la
parole dans la connaissance que j'ai reçue de cette merveille; et ma bassesse
n'a pas le courage d'entreprendre de raconter ce que j'en conçois, parce que
la langue, la plume et toutes les puissances dés créatures sont de trop
faibles instruments pour découvrir des mystères si relevés. Ainsi je veux
qu'on sache que tout ce que je dirai ici n'est qu'une ombre très-obscure de la
moindre partie de ce prodige inexplicable, qu'on ne doit pas circonscrire dans
les limites de notre langage, mais étendre avec le pouvoir divin, qui n'a
point de bornes.
5. Dans le premier jour de
cette très-heureuse neuvaine, il arriva que la divine princesse Marie, ayant
pris le peu de repos qu'elle prenait toujours avec mesure, se leva à minuit à
l'exemple de son père David (2) et selon l'ordre qu'elle en avait reçu
(1) Ps., XLV, 5. — (2) Ps. CXVIII, 62.
459
Seigneur, et se prosternant en la présence du Très-Haut, elle commença ses
prières accoutumées et ses saints exercices. Les anges qui l'assistaient
lui,parlèrent en ces termes : « Épouse de notre divin Maître.,
levez-vous, car sa Majesté vous appelle. » Elle se leva avec une ardente
affection et elle répondit : « Le Seigneur ordonne que la poussière
s'élève de la poussière. » Et se tournant vers le même Seigneur qui
l'appelait, elle continua, disant : « Mon divin Maître, que
voulez-vous faire de moi? » En suite de ces paroles, son âme très-sainte fut
élevée en esprit à une autre nouvelle habitation, qui était plus immédiate au
même Seigneur et plus éloignée de tout ce qui est terrestre et passager.
6. Elle ressentit aussitôt
que dans cette nouvelle habitation on la disposait par ces mêmes illuminations
et purifications qu'elle avait reçues autrefois, à quelque plus haute vision
de la Divinité. Je ne m'arrête point à les raconter, parce que je l'ai déjà
fait dans la première partie. Après cette préparation la Divinité lui fut
manifestée par une vision qui n'était point intuitive, mais abstractive; ce
fut néanmoins avec tant d'évidence et de clarté, que par ce moyen cette divine
Dame comprit plus de cet objet incompréhensible que les bienheureux qui le
connaissent et qui en jouissent intuitivement. Cette vision fut plus haute et
plus profonde que beaucoup d'autres de cette même espèce, parce que chaque
jour notre auguste Princesse faisait de nouveaux progrès dans les perfections;
et les premières faveurs, par le saint usage
460
qu'elle en faisait, la préparaient à de plus hautes, parce que ces
enseignements réitérés et ces sublimes visions développaient sans cesse ses
facultés, ses forces morales et son aptitude à converser avec litre infini.
7. Notre Reine apprit dans
cette vision de très-hauts secrets de la Divinité et de ses perfections,
singulièrement de sa communication au dehors par l'oeuvre de la création; elle
perçut que cette oeuvre procéda de la bonté et de la libéralité de Dieu , et
qu'il n'avait pas besoin des créatures pour son Être divin et pour sa gloire
infinie, parce qu'il était glorieux sans elles dans son éternité avant la
création du monde. Plusieurs mystères qu'on ne peut et que l'on ne doit pas
déclarer à tous, lui furent communiqués, parce qu'elle fut l'unique et l'élue
pour les délices (1) du souverain Roi et Seigneur de tout ce qui est créé.
Mais cette auguste Dame découvrit aussi dans cette même vision l'inclination
que la Divinité avait à se communiquer au dehors, qui était plus grande que
celle qu'ont tous les éléments pour se porter à leur centre; et comme elle
était si fort avancée dans la sphère de ce feu du divin amour, embrasée de ce
même amour, elle demanda au Père éternel d'envoyer son Fils unique au monde,
de départir aux hommes leur remède, et d'accorder en même temps, si nous
pouvons nous exprimer ainsi, à sa divinité et à ses perfections, la
satisfaction et le couronnement qu'elles demandaient.
(1) Cant., VI, 8 ; VII, 6
461
8. Le Seigneur trouvait
beaucoup de douceur dans les paroles de son Épouse; elles étaient cétte
bandelette d'écarlate des Cantiques par laquelle elle liait et entraînait -son
amour (1). Et pour venir à l'exécution de ses désirs , il voulut préparer le
tabernacle ou le temple dans lequel il voulait descendre du sein de son Père
éternel; il détermina de donner à sa bien-aimée qu'il avait choisie pour Mère,
une connaissance de toutes les oeuvres du dehors, lui montrant comme sa
toute-puissance les avait opérées. Ce jour-là il lui manifesta en la même
vision tout ce qu'il fit dans le premier jour de la création du monde, selon
qu'il est raconté dans la Genèse; et elle connut toutes ces merveilles avec
plus de clarté et de pénétration que si elle les eût eues présentes à ses yeux
corporels, parce qu'elle les connut premièrement en Dieu, et ensuite en
elles-mêmes.
9. Elle comprit comme au
commencement le Seigneur créa le ciel et la terre (2), combien et comment
celle-ci fut vide, et comment les ténèbres couvrirent la surface de l'abîme,
comment l'esprit du Seigneur était porté sur les eaux, et comment la lumière
fut faite par le commandement divin, et la qualité de cette même lumière;
qu'en divisant les ténèbres, elles furent appelées nuit, et la lumière jour,
et que le premier fut employé à cela. Elle connut la grandeur de la terre; sa
longueur, sa largeur et sa profondeur, ses abîmes, l'enfer, les limbes, le
purgatoire et toutes
(1) Cant., iv, 3. — (2) Gen., I, 1-5.
482
ceux
qui s'y trouvaient; les régions, les climats, la division du monde et tous
ceux qui les occupaient et les habitaient. Elle connut avec la même clarté les
sphères inférieures et le ciel empyrée; et en quelle partie du premier jour
les anges furent, créés, pénétrant leur nature, leurs qualités, leurs
différences, leurs hiérarchies, leurs offices, leurs degrés et leurs vertus.
La rébellion des mauvais anges, leur chute, les causes et les occasions de
cette même chute lui furent découvertes (le Seigneur lui cachait néanmoins
toujours ce qui la regardait). Elle eut connaissance de leur punition et des
effets que le péché produit en ces malheureux rebelles, les voyant comme ils
sont en eux-mêmes; et pour mettre fin à cette faveur du premier jour, le
Seigneur lui manifesta de nouveau comme elle était formée de cette matière
abjecte de la terre et de la même nature que tous ceux qui retournent en
poussière; il ne lui dit pas qu'elle serait convertie en cette même poussière,
mais il lui donna une si profonde conception de son être terrestre, que notre
grande Reine s'humilia jusque dans l'abîme du néant; et étant innocente elle
s'abaissa plus que tous les enfants d'Adam ensemble, quoique remplis de
misères.
10. Le Très-Haut ordonna
cette vision et ses effets pour creuser dans le coeur de Marie des fondements
aussi profonds que le demandait l'édifice qu'il voulait construire en elle; le
voulant élever si haut, qu'il devait toucher jusqu'à l'union substantielle et
hypostatique de la même Divinité. Et comme la dignité de Mère de
463
Dieu
était sans bornes et en quelque façon infinie, il fallait qu'elle frit fondée
en une humilité proportionnée et qui n'eût point d'autres limites que celles
de la raison. Ainsi celle qui était bénie entre toutes les femmes, étant
arrivée au plus sublime de la vertu, s'humilia si fort, que la très-sainte
Trinité fut comme satisfaite, et à notre manière de concevoir, obligée de
l'élever à la plus haute dignité qu'il y est entre les pures créatures, et à
la plus immédiate à la Divinité; et dans cette complaisance du Très-Haut, sa
divine Majesté lui dit :
11.« Ma chère Épouse et ma
Colombe, les désirs que j'ai de racheter l'homme du péché sont grands,
et ma miséricorde infinie souffre comme violence de ce que je ne
descends point pour réparer le monde; je veux que vous me demandiez
continuellement durant ces jours, avec beaucoup d'ardeur, l'exécution de
ces désirs, et que, prosternée eu ma divine présence, vous ne cessiez
vus demandes et vos cris, afin que le Fils unique du Père descende pour
s'unir avec la nature humaine. » La divine Princesse, répondant à ce
commandement , dit : « Seigneur et Dieu éternel, tout pouvoir et toute sagesse
vous appartiennent, personne ne peut résister à votre volonté (1). Qui
est-ce donc qui empêche votre toute-puissance? Qui arrête le
courant impétueux de votre divinité pour ne pas exécuter votre bon
plaisir en faveur de tout le genre humain? Si
(1) Esth., XIII, 9.
464
c'est
moi, mon bien-aimé, qui suis la cause de l'empêchement d'un si
grand bienfait, faites que je meure plutôt que de m'opposer aux desseins de
votre miséricorde; aucune créature ne peut mériter cette faveur : ne veuillez
donc pas attendre , mon divin Maître, que nous nous en éloignions davantage
par notre peu de mérite. Les hommes multiplient leurs péchés, et ils
augmentent de plus en plus leurs offenses; or comment pourrons-nous mériter le
même bien dont nous nous rendons tous les jours plus indignes? Le motif
de notre remède est en n vous, Seigneur, votre bonté et vos miséricordes
infinies vous y obligent, les gémissements des prophètes et des pères de votre
peuple vous sollicitent, les saints vous désirent, les pécheurs vous
attendent, et tous ensemble vous appellent; et si moi, petit ver de terre, ne
me suis pas rendue indigne de votre clémence par mes ingratitudes, je vous a
supplie du plus intime de mon âme d'avancer le pas, et de nous venir procurer
notre remède pour votre propre gloire. »
12. La Princesse du ciel
ayant achevé cette prière, revint en l'état qui lui était et plus ordinaire et
plus naturel; mais par le nouveau commandement qu'elle venait de recevoir du
Seigneur, elle ne cessa durant ce jour d'implorer l'incarnation du Verbe, et
elle réitéra avec une très-profonde humilité ses exercices en se prosternant
et en priant les bras étendus en croix, parce que le Saint-Esprit, qui la
gouvernait, lui avait enseigné cette posture pour laquelle la très
465
sainte
Trinité devait avoir une si grande complaisance; et comme si elle eût vu de
son trône royal la personne de Jésus-Christ crucifiée au corps de la future
Mère du Verbe, ainsi elle recevait ce sacrifice du matin de la très-pure
Vierge par lequel elle prévenait celui de son divin Fils.
Instruction, que la Reine du ciel me donna.
13. Ma fille, les. mortels
ne sont pas capables de concevoir les oeuvres ineffables que le bras du
Tout-Puissant opéra en moi, en me préparant pour l'incarnation du Verbe,
singulièrement durant les neuf jours qui précédèrent ce mystère
incompréhensible, pendant lesquels mon esprit fut élevé et uni à l'Être
immuable de la Divinité, et se trouva si absorbé dans cet océan de perfections
infinies dont il recevait de si sublimes effets, qu'il n'est pas possible que
l'entendement humain les comprenne. La science des créatures qu'il me
communiqua, pénétrait ce qu'elles avaient de plus intime et avec bien plus de
clarté et de privilèges que celle de tous les esprits angéliques, qui furent
si admirables en cette connaissance de tout ce qui est créé après avoir eu le
bonheur de voir Dieu face à face; et les images de tout ce que je vis ne
s'effacèrent point de mon entendement, afin qu'ensuite je m'en pusse servir
selon ma volonté.
466
14. Ce que je demande de
vous maintenant, est, que faisant réflexion sur ce que je fis par le secours
de cette science, vous tâchiez de m'imiter avec le secours de la lumière
infuse que vous avez reçue pour cela; profitez, ma fille, de la science des
créatures, et faites-en une échelle qui vous porte à votre Créateur; cherchez
en elles leur principe et leur fin; servez-vous-en comme d'un miroir qui vous
représente sa. divinité, qui vous fasse souvenir de sa toute-puissance, et qui
vous enflamme de ce saint amour qu'il exige de vous. Admirez et louez la
grandeur et la magnificence du Créateur, humiliez-vous en sa divine présence
jusqu'au plus profond du néant, et n'épargnez aucune chose pour devenir douce
et humble de coeur. Considérez, ma très-chère fille, que cette vertu
d'humilité fut le fondement très-solide de toutes les merveilles que le
Très-Haut opéra en moi, et afin que vous estimiez cette vertu, il faut que
vous sachiez que, bien qu'elle soit d'un si haut prix entre toutes les autres,
elle ne laisse pas d'être très-délicate et très-facile à se perdre, et que si
vous la perdez en quelque chose ou que vous ne soyez pas humble en toutes sans
nulle distinction, vous ne le serez véritablement en aucune. Reconnaissez
l’être terrestre et corruptible que vous avez, et sachez que le Très-Haut a
formé l'homme avec une telle providence , que son être propre et sa formation
lui signifient, lui enseignent et lui redisent l'importante leçon de
l'humilité, et ne le laissent jamais sans cette instruction; c'est pour cela
qu'il ne le forma pas de la matière la plus noble,
467
et
qu'il lui laissa le poids du sanctuaire dans son intérieur (1) , afin qu'il
mit dans un des bassins de la balance l'Être infini et éternel du Seigneur, et
dans l'autre sa très-vile matière, et qu'ensuite il rendit à Dieu ce qui est
de Dieu (2), et se rendit à soi-même ce qui lui appartient.
15. Je fis avec beaucoup de
perfection ce juste discernement pour l'exemple et l'instruction des mortels;
et je veux que vous m'imitiez en cela, et que tous vos soins tendent à devenir
humble; car par ce moyen vous vous rendrez agréable au Très-Haut et à moi, qui
veux votre véritable perfection, et qu'elle soit fondée sur les fondements
très-profonds de votre propre connaissance; et plus vous les creuserez, plus
vous élèverez l'édifice de la vertu, et votre volonté aura un plus intime
accès à celle du Seigneur, qui regarde de la hauteur de son trône avec
complaisance les humbles de. la terre.
(1) Exod., 24 XXX, 24. — (2) Matth., XXII, 21.
468
CHAPITRE II.
Dans le second jour, le
Seigneur continue en la très-sainte Vierge les faveurs et les dispositions
pour l'incarnation du Verbe.
16. J'ai dit dans la
première partie de cette divine histoire que le très-pur corps de la
très-sainte Vierge fut conçu et formé en toute perfection dans l'espace de
sept jours, le Très-Haut opérant ce miracle afin que sa très-sainte âme
n'attendit pas le même temps que celles des autres enfants , mais au contraire
qu'elle fût créée et infuse par avance, comme il arriva en effet, afin que cé
principe de la réparation du monde eût
une juste correspondance avec celui de la création. L'harmonie de ces
oeuvres fut renouvelée dans le temps immédiat à la descente que le Réparateur
du monde y devait faire, afin que le nouvel Adam, Jésus-Christ, étant formé,
Dieu se reposât comme ayant employé toutes les forces de sa puissance à la
plus grande de ses merveilles, et que le doux sabbat de toutes ses délices fût
célébré dans ce repos. Or, comme la Mère du Verbe devait être interposée pour
ces prodiges de la bonté divine, en lui donnant la forme humaine et visible,
il fallait que, tenant le milieu entre les deux extrémités de Dieu et des
hommes, elle les
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touchât toutes deux, se trouvant en dignité inférieure à Dieu seul, et
supérieure à tout le reste qui n'était pas Dieu; et la science proportionnée,
tant de la Divinité suprême que de toutes les créatures inférieures,
appartenait à cette dignité.
17. Le souverain Seigneur,
voulant poursuivre son dessein, continua les faveurs par lesquelles il disposa
la très-sainte Vierge durant les neuf jours qui précédèrent l'incarnation, et
que je déclare ici; le second jour étant donc arrivé, notre auguste Princesse
fut visitée à la même heure de minuit et en la même forme qua j'ai dit au
chapitre précédent : le pouvoir divin l'élevant par ces dispositions, par ces
qualités, ou ces illuminations qui la préparaient pour les visions de la
Divinité. Elle lui fut manifestée ce jour-là abstractivement, comme dans le
premier; et elle vit les couvres qui appartenaient au second jour de la
création du monde : elle connut en quel temps et de quelle manière Dieu fit la
division des eaux, les unes au-dessus et les autres au-dessous du firmament
(1), formant au milieu le même firmament, et comme de celles qui étaient
au-dessus il forma le ciel cristallin, qu'on appelle aquatique. Elle,pénétra
la grandeur, l'ordre, les qualités, les mouvements et toutes les dispositions
des cieux.
18. Cette science n'était
ni oisive ni stérile en la très-pure Vierge, parce qu'elle la recevait presque
immédiatement de la très-claire lumière de la Divinité ;
(1) Gen., I, 6 et 1.
470
ainsi
elle l'enflammait toujours plus de l'amour de Dieu, ne cessant d'admirer et de
louer sa bonté et sa puissance; et, transformée en Dieu même, elle faisait des
actes héroïques de toutes les vertus, se rendant très-agréable à sa divine
Majesté par l'entier accomplissement de son bon plaisir. Et, comme le jour
précédent Dieu lui fit part de l'attribut de sa sagesse, ainsi dans ce second
jour il lui communiqua en la manière convenable celui de sa toute-puissance,
et lui donna un entier pouvoir sur les influences des cieux, des planètes et
des éléments, et commanda à tous de lui obéir. De sorte que cette grande Reine
eut un empire absolu sur la mer, la terre, les éléments, les globes célestes,
et sur toutes les créatures qu'ils renferment.
19. Cet empire et cette
puissance appartenaient aussi à la dignité de la très-sainte Vierge pour les
raisons que j'ai dites ci-devant; et outre celles-là nous en avons deux autres
particulières : l'une, parce que cette auguste Dame était Reine privilégiée et
exempte de la loi commune du péché originel et de ses effets; et c'est pour
cela qu'elle ne devait pas être comprise dans la masse universelle des
insensés enfants d'Adam, contre lesquels le Tout-Puissant donna des armes aux
créatures pour venger ses injures et pour châtier la folie des mortels (1);
car s'ils ne se fussent point rendus désobéissants à leur Créateur, les
éléments et les autres créatures ne leur auraient pas été rebelles ni
(1) Sap., V, 18.
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nuisibles, et n'eussent pas tourné contre eux la rigueur de leur activité. Que
si cette rébellion des créatures fut un châtiment du péché, elle ne devait
point s'étendre à la très-sainte, très-immaculée et très-innocente Marie :
dans ce privilège, elle ne devait pas être inférieure à la nature angélique,
sur laquelle ni la peine du péché ne s'étend point, ni les éléments ne peuvent
avoir aucune juridiction. Bien que la très-sainte Vierge fût d'une nature
corporelle et terrestre, néanmoins l'avantage qu'elle eut de monter au-dessus
de toutes les créatures terrestres et spirituelles, et de se rendre par ses
mérites digne Reine et Maîtresse de tout ce qui est créé, était en elle
d'autant plus estimable qu'il était plus rare et plus précieux : il fallait
bien que la Reine reçût plus de prérogatives que les sujets, et que la
Maîtresse fût beaucoup plus privilégiée que les serviteurs.
20. La seconde raison est
parce que Jésus-Christ devait obéir à cette divine Reine en qualité de sa
propre Mère, et puis qu'il était Créateur des éléments et de tout le reste :
il était juste que toutes les créatures obéissent .à celle à qui le même
Créateur voulait ]lien obéir, et qu'elle les commandât toutes, puisque la
personne de cet adorable Seigneur humanisé devait être soumise à sa Mère par
une obligation de la loi de nature. Ce privilège avait une grande convenance
pour relever les vertus et les mérites de la très-sainte Vierge, parce que ce
que nous ne pouvons pas éviter, et ce qui nous arrive bien souvent contre
notre volonté, était en elle et volontaire et méritoire. La très-prudente
472
Reine
n'usait point de cet empire sur les éléments et Fur les autres créatures
indistinctement ni en sa faveur; au contraire, elle leur commanda à toutes
d'exercer envers elle ce qui lui pouvait être naturellement pénible, parce
qu'en cela elle devait être semblable à son très- saint Fils et souffrir avec
lui ; car il est sûr que l'amour et l'humilité de cette grande Dame n'auraient
pas permis que les créatures eussent suspendu leurs rigueurs, et l'eussent
privée du mérite des souffrances, qu'elle connaissait être d'un si grand prix
aux yeux du Seigneur.
21. La douce Mère ne
dominait sur la force des éléments que quand elle comprenait qu'il fallait
mettre son Fils et son Créateur à couvert de leurs rigueurs, comme nous
verrons dans la suite en leur voyage d'Égypte et en d'auges occasions, où elle
jugeait dans sa grande sagacité qu'il était convenable que les créatures
reconnussent leur Créateur en lui rendant quelque service. Qui n'entrera dans
l'admiration en apprenant une chose si nouvelle? Une pure créature, une femme
terrestre avoir un empire absolu sur tout ce qui est créé! s'estimer la plus
indigne et la plus vile de toutes; et dans une telle pensée commander aux
créatures de tourner leurs rigueurs contre elle, et elles n'exécuter cet ordre
que par obéissance ! Mais, craignant et respectant une telle Maîtresse, elles
agissaient plutôt pour lui témoigner leur soumission que pour venger la cause
de leur Créateur, comme elles le font envers les autres enfants d'Adam.
22. A la vue de cette
humilité de notre auguste
473
Reine,
nous ne pouvons pas nier notre très-vaine présomption, pour ne pas dire
témérité, puisque, quand nous méritons que tous les éléments et toutes les
forces offensives des autres créatures se révoltent contre nos folies, nous
nous plaignons de leurs rigueurs, comme si elles nous faisaient un grand tort.
Nous condamnons la rigueur du froid, nous ne voulons pas souffrir que la
chaleur nous fatigue; nous avons de l'horreur pour tout ce qui est pénible, et
tous nos soins ne tendent qu'à blâmer ces ministres de la justice divine, et à
procurer à nos sens ce que les commodités et les plaisirs passagers ont de
plus délicat; comme si leur jouissance devait durer toujours, et qu'il ne fût
pas certain que nous en sortirons pour subir un plus dur châtiment de nos
péchés.
23. Faisant réflexion sur
ces dons de science et de puissance que reçut la Princesse du ciel, et sur les
autres qui la disposaient à devenir la digne Mère du Fils unique du Père
éternel, l'on connaîtra l'excellence de cette auguste Dame, dans laquelle on,
découvrira une espèce d'infinité, ou une intelligence participant d'une
manière spéciale à l'intelligence divine, et semblable d celle que la
très-sainte âme de Jésus-Christ eut dans la suite; car non-seulement elle
connut toutes les créatures en Dieu; mais elle les comprenait de telle sorte,
qu'elle les renfermait dans sa capacité, et cette capacité eût pu s'étendre
sur plusieurs autres s'il y en eût eu encore quelques-unes à connaître. Je
trouve là une espèce d'infinité, parce qu'il y a, semble-t-il, quelque chose
de la science infinie, et
474
parce
que Marie voyait et connaissait simultanément et sans succession de temps le
nombre des cieux , leur largeur, leur profondeur, leur ordre, leurs
mouvements, leurs qualités, leur matière et leur forme, les éléments avec
toutes leurs propriétés et tous leurs accidents, sa connaissance renfermant
tout cela ensemble. Cette très-sage et très-savante Vierge n'ignorait que la
fin prochaine de toutes ces faveurs, jusqu'à ce que l'heure de son
consentement et de la miséricorde ineffable du Très-Haut arrivât; mais elle
continuait durant tous ces jours ses ferventes prières pour la venue du
Messie, le même Seigneur le lui commandant et lui révélant qu'il ne tarderait
pas, parce que le temps destiné s'approchait.
Instruction de la Reine die ciel.
24. Ma fille, par tout ce
que vous découvrez des faveurs que j'ai reçues pour arriver à la dignité de
bière du Très-Haut, je veux que vous connaissiez l'ordre admirable de sa
sagesse en la création de l'homme. Considérez donc, comme son Créateur ne le
tira pas du néant pour en faire un serviteur, mais pour en faire le roi et le
seigneur de toutes choses, et afin qu'il s'en servit avec empire, voulant
néanmoins qu’ il se reconnût en même temps et pour son
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ouvrage et pour son image (1), et qu'il fût plus soumis à la divine volonté
que, les autres créatures ne l'étaient à la sienne, parce que l'ordre, la
raison et la justice l'exigent de la sorte. Et afin que la connaissance du
Créateur et des moyens pour savoir et pour exécuter sa volonté ne manquât pas
à l'homme, le Seigneur lui donna, outre la lumière naturelle, une autre
lumière plus grande, plus prompte, plus facile, plus certaine, moins fatigante
et plus accessible à tous, qui fut celle de la foi par laquelle il devait
connaître l’Etre de Dieu, ses perfections et ses œuvres. Par cette science et
par cet empire l'homme se trouva dans un ordre bien sublime, où il fut fort
honoré et fort enrichi, et sans aucune excuse qui pût le dispenser de se
consacrer entièrement à la volonté de son Créateur.
25. Mais la folie des
mortels renverse tout cet ordre et jette la confusion dans cette harmonie
divine, lorsque celui qui fut créé pour être le seigneur et le roi des
créatures se rend leur vil esclave et s'assujettit à leur empire tyrannique,
déshonorant sa dignité et n'usant pas des choses visibles comme un seigneur
prudent, mais comme un serviteur indigne qui a renoncé à sa prérogative en se
soumettant avec bassesse i1 ce que les créatures ont de plus abject. Tout ce
renverseraient nuit de ce qu'on n'use pas de ces choses pour le service du
Créateur en les lui rapportant par le moyen de la foi, et de ce que l'on en
(1) Gen., I, 20.
476
fait
un mauvais usage, ne s'en servant que pour satisfaire les passions et les sens
par tout ce qu'elles ont de délectable; et c'est pour ce sujet qu'on a si fort
en horreur celles qui n'ont rien pour les flatter.
26. Pour vous, ma
très-chère fille, regardez avec les yeux de la foi votre Créateur et votre
Seigneur, et tachez de graver dans votre âme l'image de ses divines
perfections; conservez l'empire que vous avez sur les créatures, et ne
permettez pas qu'aucune assujettisse votre liberté; au contraire, je veux que
vous triomphiez de toutes, et que vous n'en mettiez aucune entre votre âme et
votre Dieu. Vous ne devez pas vous laisser prendre aux appâts dangereux et
trompeurs des créatures, qui obscurciraient votre entendement et
affaibliraient votre volonté; mais vous devez plutôt vous soumettre par
inclination à ce qu'elles ont de rigoureux et de pénible, le supportant avec
une joie volontaire, puisque je l'ai fait pour imiter mon très-saint Fils,
quoiqu'il fût en mon pouvoir de choisir le repos, n'ayant aucun péché à
expier.
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CHAPITRE III. Qui continue ce que le Très-Haut communiqua à la très-sainte
Vierge dans le troisième jour.
27. La droite du
Tout-Puissant, qui rendit l'entrée de sa divinité libre et familière à la
très-sainte Vierge, enrichissait et ornait toujours plus par les dispensations
de ses attributs infinis ce très-pur esprit et ce corps virginal qu'il avait
choisi pour être le tabernacle, le temple et la sainte Cité de son habitation;
et cette divine Dame, absorbée dans cet océan de la Divinité, s'éloignait
chaque jour davantage de l'are terrestre. pour se transformer en un être
céleste, qui lui permettait de découvrir de nouveaux mi stères due le
Très-haut lui manifestait; car, comme en des cas semblables, c'est un objet
infini qui est mis à là merci de la volonté, même lorsque son appétit est
rassasié de ce qu'elle reçoit, il reste toujours davantage à désirer et à
contempler. Jamais une pure créature n'est arrivée ni n'arrivera à ce que
l'auguste Marie pénétra et de Dieu et des créatures. Elle découvrit de si
profonds secrets et de si hauts mystères dans ces faveurs, que toutes les
hiérarchies des anges et tous les hommes ensemble n'y pourront jamais arriver,
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surtout en ce que cette Princesse du ciel reçut pour être Mère du Créateur.
28. Le troisième des neuf
jours dont je parle ici, la Divinité se manifesta n elle comme aux deux autres
jours, dans une vision abstractive, précédée des grâces préparatoires que
j'ai. indiquées au chapitre premier. Nos conceptions sont trop faibles et trop
disproportionnées pour comprendre les augmentations (les dons et des grâces
que le Très-Haut réunissait en la divine Marie, et je n'ai point (le nouveaux
termes pour exprimer ce qui m'en a été découvert. J'en déclarerai pourtant
quelque chose, en (lisant que la sagesse et le pouvoir divin proportionnaient
celle qui devait être Mère, du Verbe, afin qu'elle eût (autant qu'il était
possible à une pure créature) un rapport convenable aie; les personnes
divines. Et celui qui calculera mieux la distance qui se trouve entre ces deux
extrémités, un Dieu infini et une créature humaine et bornée, pourra mieux
juger des moyens nécessaires pour les unir et les proportionner.
29. Les nouvelles notions
que notre incomparable Reine recevait des attributs de la Divinité, gravaient
en son âme de nouvelles vertus, et, sa beauté augmentait à mesure que le
pinceau de la sagesse divine la retouchait. Les oeuvres du troisième jour de
la création du monde lui furent manifestées dans celui-ci. Elle sut en quel
temps et comment les vaux s'assemblèrent en un lieu par le commandement divin,
et comme Dieu appela l'endroit qu'elles avaient abandonné, terre, et
l'assemblage des mêmes eaux, mers.
479
Elle
sut comment la terre produisit l'herbe qui devait porter sa semence; elle
connut toutes les plantes, les arbres fruitiers et leurs semences, chaque
chose en sa propre espèce. Elle découvrit et pénétra l'étendue des mers, leur
profondeur et leurs divisions; la correspondance des fleuves et des fontaines
qui en sortent, et qui s'y rendent d'un cours précipité comme à leur centre;
les propriétés des plantes, des herbes et des fleurs, des arbres, des racines,
des fruits et des semences, et comme elles peuvent toutes servir en quelque
chose à l'homme (1). Notre grande Reine connut tout cela d'une manière plus
claire, plus distincte et plus complète qu'Adam et Salomon, et nous pouvons
dire que par rapport à elle tous les savants du monde furent des ignorants,
nonobstant leurs longues études et leur longue expérience. La très-pure Marie
apprit les choses les plus cachées, comme dit le Sage (2); et comme elle les
apprit sans fiction, elle les communiqua sans envie, et tout ce que Salomon a
dit dans cet endroit fut accompli en elle d'une manière très-éminente.
30. Notre Reine se servit
de cette science dans quelques occasions pour exercer la charité envers les
pauvres (comme je le dirai dans la suite de cette histoire); mais elle en
disposait aussi librement, elle en usait aussi facilement que le plus habile
et le plus expert des musiciens pourrait se servir de ses instruments; et nous
pouvons dire la même chose de toutes
(1) Gen., I, 9-13. — (2) Sap., VII, 21; ibid., 13.
480
les
autres sciences, si elle eût voulu en user ou si les applications en eussent
été nécessaires au service du Très-Haut, car elle était maîtresse en toutes,
et elles se trouvaient réunies en elle dans un tel degré de perfection,
qu'aucun des mortels n'en a jamais pu si bien posséder une seule qu'elle les
possédait toutes. Elle avait aussi un entier pouvoir sur toutes les vertus et
les qualités des pierres, des herbes et des plantes, et ce que notre Seigneur
Jésus-Christ promit à ses apôtres et à ses premiers fidèles, qu’ils ne
recevraient aucun dommage des choses empoisonnées , quand même ils en
boiraient (1) , fut accordé à
notre auguste Princesse avec un tel empire, qu'aucune, de ces choses ne pût
lui nuire ni la blesser sans qu'elle le voulût.
31. La très-prudente Dame
tint ces privilèges toujours, cachés et elle ne sen appliquait point l'usage,
comme nous l'avons déjà dit, pour ne pas se priver des souffrances que son
très-saint Fils devait choisir; et avant que de le concevoir et que d'être
mère, elle était gouvernée en cela par la divine lumière, et par la
connaissance quelle avait de la passibilité que le Verbe incarné devait
recevoir. Après qu'elle fut devenue sa mère, voyant et expérimentant cette
vérité en son propre Fils, elle donna permission, ou pour mieux dire, elle
commanda aux créatures de l'affliger partout ce qu'elles avaient de rigoureux,
comme elles le faisaient envers leur propre Créateur humanisé. Et parce que le
Très-Haut ne voulait pas toujours que
(1) Matth , XVI, 18.
481
son
Épouse, son unique et son élue fût maltraitée des créatures, il les retenait
ou les empêchait plusieurs fois, afin qu'il y eût quelques intervalles
auxquels la divine Princesse jouit des délices du souverain Roi.
32. La très-sainte Vierge
reçut un autre privilège singulier en faveur des mortels dans la vision de la
Divinité qu'elle eut le troisième jour; parce que Dieu lui manifesta dans
cette vision d'une manière particulière l'inclination qui portait l'amour
divin à remédier au malheur des hommes, et. à les délivrer de toutes leurs
misères. Dans la connaissance qu'elle eut de cette infinie miséricorde et de
ce que le Très-Haut devait opérer par elle avec tant de bonté, sa divine
Majesté la fit participer à un plus haut degré à ses attributs, afin
qu'ensuite, comme mère et avocate des pécheurs, elle intercédait pour eux.
L'influence sous laquelle la très-pure Marie participa au même amour que Dieu
portait aux hommes, et le désir qu'elle ressentit de les soulager, furent si
divins et si puissants, qu'il ne lui aurait pas été possible de résister au
feu du zèle qui l'embrasait pour le salut de tous les pécheurs, si la vertu du
Seigneur ne l'eût fortifiée. Par la violence de cet amour et de cette charité,
elle se serait livrée mille fois aux flammes, aux tourments les plus rudes et
à la mort même s'il eût été nécessaire, et elle aurait embrassé avec beaucoup
de joie tous les martyres, toutes les afflictions, les fatigues et les
douleurs pour le salut des mortels. Nous pouvons même dire que tout ce que les
hommes ont souffert depuis le commencement du monde jusqu'à cette heure, et
tout.
483
ce
qu'ils souffriront jusqu'à la fin, tout cela n’aurait pas été capable de
satisfaire l'amour de cette très-miséricordieuse Mère. Que les mortels et les
pécheurs considèrent donc ce qu'ils doivent à la très-sainte Vierge.
33. Il est certain que dès
ce jour-là notre aimable Princesse devint mère de pitié et de miséricorde, et
d'une grande miséricorde, pour deux raisons : l'une , parce que dès lors elle
voulut avec une affection et une ardeur singulière communiquer sans réserve
les trésors de la grâce qu'elle avait connus et reçus; ainsi ce bienfait du
Seigneur la remplit d'une bénignité si admirable et lui donna un coeur si
doux, qu'elle en aurait voulu donner un semblable à tous les hommes , et faire
passer dans leurs coeurs ces mimes trésors, afin qu'ils eussent été
participants du divin amour qui brûlait dans le sien. La seconde raison est
parce due cet amour que la très-sainte Vierge conçut pour le salut du genre
humain, fut mue des plus grandes dispositions qui la préparèrent à concevoir
le Verbe éternel dans son sein virginal. Aussi il était très-convenable
qu'elle fût toute pleine de miséricorde, de douceur et de pitié, puisqu'elle
seule devait concevoir et enfanter le Verbe incarné qui voulut bien par sa
miséricorde, par sa clémence et par son amour, s'humilier jusqu'à notre nature
et naître d'elle passible pour les hommes. On dit que les enfants participent
du naturel de leurs mères, parce qu'ils eu reçoivent les qualités comme l'eau
reçoit celles des minéraux à travers lesquels elle filtre; ainsi, quoique
483
le
Fils de Marie tirât ses avantages de la Divinité, il ne laissa pas néanmoins
d'avoir aussi part dans le degré possible aux inclinations de sa mère , et
elle n'eût pas été ordonnée pour concourir avec le Saint-Esprit à cette
conception (qui fut la seule exempte de père), si elle n'eût eu les relations
convenables avec le fils dans les qualités de l'humanité.
34. La divine Marie sortit
de cette vision, et elle employa tout le reste du jour aux prières et aux
demandes que le Seigneur lui ordonnait, augmentant sa ferveur et laissant le
coeur de son époux toujours plus pénétré de son amour, de sorte qu'il était
déjà impatient, pour emprunter notre langage ordinaire, de se voir entre les
bras de sa bien-aimée.
Instruction que notre auguste Reine me donna.
35. Ma très-chère fille, le
bras du Tout-Puissant opéra de grandes choses en moi dans les visions de sa
divinité, dont il me fit jouir durant ces jours qui précédèrent celui auquel
je le devais concevoir dans mon sein. Et quoiqu'elle ne me fût pas manifestée
immédiatement ou sans voile, elle le fut pourtant d'une manière très-sublime
et avec des effets réservés à sa seule sagesse. Quand j'en renouvelais la
connaissance par les images qui m'en étaient restées, alors je m'élevais eu'
esprit et je comprenais ce que Dieu était
484
envers
les hommes, et ce qu'ils étaient envers sa divine Majesté; dans cette
considération mon cœur s'embrasait d'amour et se brisait de douleur; parce que
je pénétrais en même temps la grandeur immense de l'amour que Dieu a pour les
mortels, et la noire ingratitude de l'oubli par lequel les hommes répondent il
une bonté aussi ineffable. Je serais morte plusieurs fois en considérant ces
choses, si Dieu même ne m'eut soutenue et conservée. Ce sacrifice de sa
servante fut très-agréable a sa divine Majesté, et elle l'accepta avec. plus
de complaisance que tous les holocaustes de l'antienne loi, parce qu'il eut
égard à mon humilité, qui lui fut fort agréable. Et quand je m'exerçais ù ces
actes, le Seigneur me faisait de grandes miséricordes, tant pour moi que pour
mon peuple.
36. Je vous découvre ces
mystères, ma chère fille, pour vous animer à m'imiter autant que vos forces,
assistées de la grâce, vous le permettront, regardant comme votre modèle les
oeuvres que vous avez connues. Considérez avec beaucoup d'attention, il ma
lumière , demandez mime à la raison combien les mortels devraient correspondre
à une bonté si immense, a cette inclination qui porte Dieu in les secourir, et
opposez à tant d'avances de sa part la pesanteur et la dureté du coeur de ces
mêmes enfants d'Adam. Je veux , ma fille, que le vôtre soit. rempli de
sentiments de reconnaissance pour le Seigneur, et de compassion du malheur que
les hommes s'attirent, par leurs ingratitudes. Je veux bien que vous sachiez
que l'oubli de ces importantes vérités auquel les
485 hommes
ingrats se seront livrés, sera le sujet de la plus grande indignation du
souverain Juge au jugement universel; et ces mêmes vérités seront si
puissantes en ce jour formidable , elles leur causeront en les accusant une
confusion telle, que de désespoir ils se précipiteraient dans l'abîme des
peines, quand même il n'y aurait point d'autres ministres de la justice divine
pour l'exécuter.
37. Si vous voulez éviter
un péché si énorme et prévenir cette horrible punition, renouvelez souvent en
votre mémoire les bienfaits que vous avez reçus de cet amour et de cette
clémence infinie, et considérez qu'elle s'est signalée envers vous entre
plusieurs nations. Ne croyez pas que tant de faveurs et tant de dons
singuliers aient été pour vous seule, ils ont été faits pour vos frères aussi,
puisque la divine miséricorde s'étend sur tous. C'est pour ce sujet que le
retour que vous devez au Seigneur doit être premièrement pour vous et ensuite
pour eux. Et parce que vous êtes pauvre, présentez, avec le peu que vous avez,
la vie et les mérites de mou très-saint Fils, et tout ce que j'ai souffert par
la force de l'amour pour me rendre reconnaissante à Dieu; par ce moyen vous
suppléerez en quelque façon à l'ingratitude des mortels, et c'est ce que vous
devez fréquemment pratiquer en réfléchissant à ce que moi-même j'éprouvais
lorsque je m'adonnais à des pratiques semblables.
486
CHAPITRE IV. Le Très-Haut continue ses bienfaits à la très-sainte Vierge dans
le quatrième jour.
38. Le Très-Haut continuait
ses faveurs à notre Reine et Maîtresse, en lui découvrant les sublimes
mystères , par la révélation desquels il la préparait de plus en plus
prochainement à la dignité de la maternité divine. Le quatrième jour de cette
préparation étant arrivé, elle fut élevée, à la même heure que les autres
jours précédents, à la vision de la Divinité en la forme abstractive dont nous
venons de parler. Mais son très-pur esprit, illuminé de splendeurs plus
éclatantes, en ressentit des effets tout nouveaux. La puissance et la sagesse
divine n'arrêtent leur action que devant la borne que leur opposent les œuvres
de notre volonté, ou le peu de capacité que nous avons comme créatures
essentiellement finies. Le pouvoir divin né trouva aucun empêchement en la
très-sainte Vierge pour ce qui regarde les œuvres, car elle fit toutes les
siennes clans une plénitude de sainteté souverainement agréable au Seigneur,
de sorte que par cet endroit elle s'attirait toutes ses complaisances et lui
blessait le coeur d'amour, comme lui-même le dit (1). Le bras
(1) Cant., IV, 9.
487
du
Seigneur eût pu seulement trouver quelque borne, en ce que la très-sainte
Marie était une simple créature; mais dans sa sphère, cette simple créature
franchit toutes limites et dépassa toute mesure, parce le Seigneur lui ouvrit
les eaux de la sagesse, afin qu'elle les bût très-pures et très-claires à la
source inépuisable de la Divinité.
39. Dans cette vision le
Très-Haut se manifesta à elle avec une lumière très-particulière, il lui
révéla la nouvelle loi de grâce que le Sauveur du monde devait établir, les
sacrements qu'elle devait contenir, la fin pour laquelle il les instituerait
et les laisserait dans la nouvelle Église évangélique, les secours, les dons
et les faveurs qu'il destinait aux hommes, avec le désir qu'ils fussent tous
sauvés et qu'ils profitassent du fruit de la rédemption. La sagesse que la
très-sainte Vierge reçut dans cette vision fut si grande, y étant enseignée
par le souverain Maître qui corrige les sages (1), que si par impossible
quelque homme ou quelque ange eût pu écrire ce quelle y apprit, on en ferait
plus de livres que de tout ce qu'on a écrit des sciences et des arts jusqu'à
présent, et qu'on en pourra écrire jusqu'à la fin des siècles. Et il ne faut
pas s'en étonner, parce qu'étant la plus grande de toutes les pures créatures,
l'océan de la Divinité que les péchés et la mauvaise disposition des hommes
tenaient renfermé en elle-même, se répandit dans son coeur et dans son
entendement avec une abondance
(1) Sap., VII, 15.
488
inconcevable. Ainsi elle y découvrit toutes choses , excepté sa prochaine
dignité de Mère du Fils unique du Père éternel, qui lui fut toujours cachée
jusqu’au temps que le Seigneur avait déterminé.
40. Parmi les douceurs de
cette science divine, notre Reine eut une amoureuse et intime douleur que
cette même science lui renouvela. Elle vit du côté du Très-Haut les trésors
ineffables des grâces qu'il destinait aux mortels, et la forte inclination que
la Divinité avait à communiquer à tous sa félicité éternelle; elle découvrit
et considéra en même temps le mauvais état du monde, et l'aveuglement excessif
avec lequel , les hommes se privaient de cette félicité. Ce qui lui fut un
nouveau genre de martyre causé par la force avec laquelle elle se plaignait de
leur perte, et par le désir véhément qu'elle avait de remédier en quelque
manière à un mal si déplorable. Elle fit pour ce sujet des demandes, des
prières, des offrandes, des humiliations et des actes héroïques d'amour de
Dieu et des hommes, afin qu'aucun ne se perdit désormais s'il était possible,
que tous connussent leur Créateur et Rédempteur, et qu'ils le confessassent,
l'adorassent et l'aimassent. Tout cela lui arrivait dans la même vision de la
Divinité. Et parce que ces choses furent faites en la manière de plusieurs
autres dont nous avons parlé, je ne m'arrête point à les raconter.
41. Le Seigneur lui
manifesta dans la même occasion les ouvres de la création du quatrième jour
(1);
(1) Gen., I, 14-17.
489
notre
divine Princesse y apprit en quel instant et comment les luminaires du ciel
furent formés au firmament pour diviser le jour d'avec la nuit, et afin qu'ils
marquassent les temps, les jours et les années; et c'est pour ce sujet que le
grand luminaire du ciel, qui est le soleil, fut fait, comme président et
seigneur du jour, et en même temps que lui fut formée la lune, qui est le
moindre luminaire, et qui éclaire dans les ténèbres de la nuit : elle y
découvrit comme les étoiles furent formées dans le huitième ciel, afin
qu'elles rendissent la nuit agréable par leur brillante lumière, et qu'elles
présidassent tant à la nuit qu'au jour parleurs diverses influences. Elle y
connut la matière de ces corps lumineux, leur, forme, leurs qualités, leur
grandeur, leurs divers mouvements et l'uniforme inégalité des planètes. Elle y
connut le nombre des étoiles, et toutes les influences qu'elles communiquent à
la terre et à tous ses êtres animés; les effets qu'elles rangent en eus, et en
quelle manière elles les modifient et les meuvent.
42. Ce que je viens de dire
n'est pas contraire à ce que le prophète dit au psaume 146 , où il nous
apprend que Dieu tonnait le nombre des étoiles et qu il les appelle par leurs
noms; car David ne nie pas que ce souverain Seigneur ne puisse. accorder à la
créature, et par son pouvoir infini et par grâce, ce qu'il en a lui-même par
nature. Et il est évident que, lui étant possible de communiquer cette
science, et que cette communication contribuant à la glus grande excellence de
l'auguste Marie, sa divine Majesté ne lui
490
devait
pas refuser cette faveur, puisqu'elle lui en avait accordé d'autres plus
grandes, en la faisant Reine et Maîtresse des étoiles comme des autres
créatures. Et ce bienfait devait être comme inséparable de l'empire que le
Seigneur lui donna sur les vertus, les influences et les opérations de tous
les corps célestes, commandant à teins de lui obéir comme à leur souveraine
Maîtresse.
43. La très-sainte Vierge
reçut une si grande puissance par cette. loi, que, suivant notre manière de
parler, le Seigneur imposa aux créatures célestes, et de l'empire qu'il lui
donna sur elles, que si elle eût commandé aux étoiles de quitter leur place
dans le ciel, elles lui auraient obéi incontinent, et elles eussent pris la
place que cette divine Dame leur eût assignée. Le soleil et les autres
planètes en eussent fait de même, et tous les corps célestes eussent arrêté
leur cours et leur mouvement, suspendu leurs influences et leurs opérations au
commandement de Marie. J'ai déjà dit qu'elle usait quelquefois de cet empire,
ainsi qu'il lui arriva en Égypte (comme nous verrons dans la suite), où les
chaleurs sont fort grandes, et où elle se servit du pouvoir qu'elle avait de
commander au soleil de modérer son ardeur, et de ne point incommoder par ses
rayons l'enfant Dieu et son Seigneur; à quoi le soleil lui obéissait,
incommodant la Mère, parce qu'elle le voulait bien de la sorte, et respectant
le Fils, le Soleil de justice, qu'elle avait entre ses bras. Il arrivait la
même chose à l'égard des autres planètes, et quelquefois elle arrêtait le
soleil, comme je le dirai en son lieu.
491
44. Le Très-Haut, dans
cette vision, manifesta à notre grande Reine plusieurs autres mystères cachés;
et tout ce que j'en ai dit et que j'en dirai me met dans une gène violente,
parce que je ne puis dire que fort peu de ce que j'en connais; que je
comprends beaucoup moins que tout ce qui arriva à cette divine Dame, et que
plusieurs de ces mystères sont réservés, afin que son très-saint Fils les
manifeste au jour du jugement universel, parce que présentement nous ne sommes
pas capables de tous. La très-pure Marie sortit de cette vision toujours plus
enflammée et toujours plus imprégnée des attributs et des perfections qu'elle
avait contemplés, toujours plus transformée en cet objet infini; et par
l'accroissement des divines faveurs elle augmentait les vertus et redoublait
les prières, les soupirs, les ferveurs et les mérites par lesquels elle
avançait. l'incarnation du Verbe et notre salut.
Instruction que la divine Reine me donna.
45. Ma très-chère fille, je
veux que vous considériez avec beaucoup d'attention et que vous estimiez
également ce que vous avez compris des choses que je fis et que j'endurai,
lorsque le Seigneur me donna une si haute connaissance de sa bonté, inclinée
par un poids infini à enrichir les mortels; et que vous tâchiez d'approfondir
en même temps et leur peu de retour et
492
leur
noire ingratitude. Quand je me mis à considérer et à pénétrer, étant sortie de
ce lieu où cette très-libérale bonté m'avait élevée, la dureté insensée des
pécheurs, mon coeur, comme s'il avait été percé d'une flèche, fut pénétré
d'une mortelle amertume qui me navra toute ma vie. Et je veux vous faire part
d'un autre mystère : c'est que le Très-Haut, répondant à mes soupirs, me
disait plusieurs fois, pour soulager l'affliction que mon coeur ressentait
dans cet abîme de douleurs : « Recevez, ma chère Épouse, ce que le monde
ignorant et aveugle méprise, indigne qu'il est de le recevoir et de le
connaître. » Et, en me répondant ainsi, le Seigneur semait à pleines mains
dans mon âme des trésors qui la consolaient au delà de tout ce que
l'entendement en peut concevoir, et de tout ce qu'on en peut exprimer.
46. Je veux donc
maintenant, ma chère amie, que vous soyez ma compagne dans cette douleur que
je souffris pour les vivants, et à laquelle ils font si peu de réflexion. Et,
afin que vous m'imitiez en cela et clans les effets qu'une si juste peine vous
causera, vous devez entièrement renoncer à vous-même, vous oublier en tout et
couronner cotre coeur d'épines et de douleurs, contrairement à ce que les
mortels ont accoutumé de faire. Pleurez ce qui fait le sujet de leurs
railleries, de leurs plaisirs et de leur damnation éternelle; car c'est la
plus juste occupation de celles qui sont les véritables épouses de mon
très-saint Fils; et à celles-là il ne leur est permis de se réjouir que dans
les larmes quelles versent pour leurs péchés et pour ceux d'un
493
monde
ignorant. Préparez votre coeur par cette disposition, afin que le Seigneur
vous fasse part de ses trésors, et ne faites pas tant cela pour ce que vous'
en pouvez recevoir, qu'afin que sa divine Majesté satisfasse son libéral amour
en vous les communiquant et en justifiant les âmes. Imitez-moi en tout ce que
je vous enseigne, puisque vous savez que c'est ma volonté que vous le fassiez.
CHAPITRE V. Le Très-Haut manifeste de nouveaux mystères à la
très-sainte.Vierge en lui découvrant les œuvres du cinquième jour de la
création. — Elle renouvelle ses demandes pour l'incarnation du Verbe.
47. Le cinquième jour de la
neuvaine que la très-sainte Trinité célébrait dans son Temple., l'auguste
Marie, arriva, afin que, par ses dispositions, le Verbe, éternel prit en elle
notre chair humaine : alors la Sagesse infinie, levant plus que les autres
fois le voile des profonds secrets, lui en découvrit de nouveaux, l'élevant à
la vision abstractive de la Divinité de la même manière que les jours
précédents ; mais en se renouvelant, ces opérations, ces illuminations
n'avaient lieu qu'avec une plus grande effusion de lumières
494
et de
grâces qui s'écoulaient de la source des trésors infinis dans son âme
très-sainte et dans ses puissances; de sorte que notre divine Dame
s'approchait davantage de litre de Dieu et de sa ressemblance, et se
transformait toujours de plus en plus en lui, pour devenir ainsi la digne Mère
du même Dieu.
48. Le Très-Haut parla dans
cette vision à la divine Reine, pour lui manifester d'autres secrets, et en
lui témoignant une bienveillance incroyable, il lui dit : « Vous avec connu ,
mon Épouse et ma Colombe, dans le secret de mon cœur l'immense
libéralité à laquelle me porte l'amour que j'ai pour le genre humain, et
les trésors cachés que j'ai préparés pour leur félicité. Cet amour est
si puissant en moi, que je veux bien leur donner mon Fils unique pour
les instruire et pour les racheter. Vous avez aussi connu quelque chose
de leurs mauvaises dispositions et de leur affreuse ingratitude; vous savez le
mépris qu'ils font de ma clémence et de mon amour. Mais bien que je vous
aie dévoilé une partie de leur malice, je veux, ma chère amie, que vous
découvriez de nouveau en mon être combien est petit le nombre de ceux
qui auront le bonheur et de m'ai mer comme mes élus, et combien est grand
celui des ingrats et des réprouvés. Les péchés et les abominations
innombrables que je prévois par ma science infinie chez tant d'hommes
souillés et noir cis, arrêtent l'impétuosité de mes miséricordes; ils ont mis
de puissants obstacles aux canaux par où
495
les
trésors de ma divinité doivent sortir, et rendent le monde indigne de
les recevoir.
49. Notre Princesse apprit
par ces paroles du Très-Haut de grands mystères touchant le nombre des
prédestinés et des réprouvés; elle y découvrit aussi la résistance, l'obstacle
que tous les hommes opposaient dans l'entendement humain, par leurs péchés
réunis, à ce que le Verbe éternel vint su monde pour s'y faire homme. Et la
très-prudente Dame, ravie d'admiration à la vue de la bonté et de l'équité
infinie du Créateur, et de la malice et iniquité immense des hommes, dit,
toute embrasée de l'amour divin, à sa divine Majesté
50. « Mon Seigneur et mon
Dieu infini, qui êtes d'une sagesse et d'une sainteté incompréhensible,
quel mystère, ô mon souverain bien ! est celui que a vous venez de me
manifester? Les méchancetés des hommes n'ont point de bornes, et votre
seule sa gesse les pénètre; mais toutes ces iniquités et beau coup d'autres
plus grandes peuvent-elles bien éteindre le feu de votre amour, ou
rivaliser avec lui? Non, mon divin Maître, cela ne sera pas ainsi, a la
malice des mortels ne doit pas arrêter votre a miséricorde. Je suis la plus
inutile de tout le genre humain , mais je vous représente de sa part ce
que demande la fidélité de vos promesses. C'est une vérité
infaillible que le ciel et la terre passeront plutôt que la véracité de
vos paroles (1); vous
(1) Matth., XXIV, 35.
496
l'avez
plusieurs fois donnée au monde par la bouche de vos saints prophètes, et
à ceux-ci par votre a propre bouche, quand vous leur avez dit que vous leur
enverriez leur Rédempteur et Sauveur. Comment donc, mon Dieu, pourraient
manquer de a s'accomplir ces promesses autorisées par votre sa gesse infinie,
qui ne peut être trompée, et par votre bonté ineffable, qui ne peut
tromper l'homme? Il n'y eut aucun mérite du côté des mortels pour leur
faire cette promesse, et pour leur offrir leur félicité éternelle en
votre Verbe humanisé, ni aucune créature, Seigneur, n'a pu vous obliger cela;
que si l'on eût pu mériter ce
bien, votre clémente infinie et libérale n'eût
pas été si fort exaltée; cette obligation ne s'est trouvée qu'en vous
même, car la raison qui oblige Dieu à se faire a homme ne peut être qu'en Dieu
seul: cette raison et le motif que vous avez eu de nous créer, de nous
relever après notre chute et de nous réparer, ne se trouvent qu'en vous seul.
Ne cherchez point, mon Dieu, d'autres mérites, ni d'autre raison pour lin
carnation, que votre miséricorde et l'exaltation de votre gloire.
51. « Il est vrai, ma chère
Épouse, répondit le Très-Haut, que par mon immense bonté je m'obligeai à
promettre aux hommes que je me revêtirais de leur nature et que j'habiterais
avec eux; il est constant aussi qu'à mon égard personne n'a pu mériter
cette promesse; mais l'ingrate conduite des hommes, si odieuse à mes yeux, si
blessante
497
pour
ma justice, n'en mérite pas l’exécution , puisque ne prétendant que l'intérêt
de leur félicité éternelle en retour de mon amour, je connais et je découvre
leur dureté, par laquelle ils doivent dissiper et mépriser les trésors de ma
grâce et de ma gloire; et je vois qu'ils ne me rendront que des épines au lieu
de fruit, que des offenses énormes pour des bienfaits, et qu'une noire
ingratitude pour mes grandes et libérales miséricordes; et la fin
de toutes ces méchancetés sera pour eux la privation de ma vue dans des
tourments éternels. Considérez, ma chère amie, ces vérités écrites dans le
secret de ma sagesse, et pesez ces grands mystères, car mon coeur vous
est ouvert, où vous connaissez la cause de ma justice. »
52. Il n'est pas possible
de révéler les mystères: cachés que la très-sainte Vierge connut en Dieu;
parce qu'elle vit en lui toutes les créatures présentes, passées et futures,
l'ordre que toutes les âmes devaient tenir, les bonnes et les mauvaises
oeuvres qu'elles feraient, la fin que toutes devaient avoir; et si elle n'est
été fortifiée par la vertu divine, elle n'eût pu conserver la vie parmi les
sentiments et les impressions que la science et la vue de tant de profonds
mystères excitaient en elle. Mais comme sa divine Majesté visait dans ces
nouveaux miracles et dans ces bienfaits singuliers à des fins si relevées,
elle ne fut point avare, mais très-libérale envers sa bien-aimée et celle qui
était élue pour être sa Mère. Comme notre Reine puisait cette science dans le
sein de Dieu même,
498
elle
en recevait le feu de la charité éternelle qui l'embrasait de l'amour de Dieu
et du prochain; et continuant ses demandes dans cette même charité, elle dit
53. « Seigneur Dieu
éternel, invisible et immortel, je confesse votre justice, j'exalte vos
œuvres, j'a dore votre Être infini, et je respecte vos jugements. Mon coeur
s'exhale entièrement en des affections amoureuses, connaissant d'un côté votre
bonté sans bornes envers les hommes, et de l'autre leur lâche
ingratitude et leur grossièreté insupportable envers vous. Vous voulez,
mon Dieu, que tous aient part à la vie éternelle; mais il y en aura fort
peu qui reconnaîtront ce bienfait inestimable, et le nombre de
ceux qui le perdront par leur malice sera fort grand. Si par cet
endroit, mon souverain bien, vous vous rebutez, nous sommes tous perdus; mais
si par votre science infinie vous avez prévu les péchés et la malice des
hommes qui vous offensent si fort, par cette même science vous regardez
aussi votre Fils unique humanisé et ses oeuvres, qui sont a d'un prix
infini en votre acceptation et qui sur
passent sans comparaison tous les péchés. Votre équité doit être
satisfaite de cet Homme-Dieu, et à sa seule considération vous nous le
devez donner a sans nous faire plus souffrir; et pour vous le demander
derechef au nom de tout le, genre humain, je me revêts de l'Esprit même
du Verbe fait homme dans votre entendement , et je sol licite la
réalisation de vos desseins, et par suite la vie éternelle pour
tous les mortels. »
499
54. Dans cette requête que
la très-pure Marie présenta au Père éternel, elle exposa pour ainsi dire
comment son Fils unique devait descendre dans le sein virginal de la grande
Reine prédestinée à devenir sa Mère, et ses humbles et amoureuses prières
finirent par le gagner. Il se montrait encore indécis, mais c'était là une
industrie qu'employait son tendre amour, afin d'entendre plus longtemps la
voix de sa bien-aimée, dont les douces lèvres distribuaient le miel le plus
suave (1), et dont les élans ressemblaient aux transports du paradis. Et pour
faire durer davantage cet amoureux débat, le Seigneur lui répondit : « Ma
chère Épouse et ma douce Colombe, vous me demandez beaucoup, et ce que
font les hommes pour l'obtenir est fort peu de chose; or comment
accorderai-je à des indignes un si rare bienfait? Laissez-moi les
traiter, ma bien-aimée, selon leur ingratitude.» A quoi notre puissante
et pitoyable Avocate répondit : « Non, mon divin Maître, je ne vous laisserai
point, je vous serai toujours importune; si ce que je vous demande est grand,
c'est à vous que je le demande, qui êtes riche en miséricorde, puissant
dans les oeuvres et véritable dans les paroles. Mon père David dit de
vous et du Verbe a éternel : Le Seigneur a juré, et il ne se rétractera point
: vous êtes prêtre selon l'ordre de Melchisédech (2). Que ce pontife qui doit
être en même temps victime, vienne donc pour notre rachat;
(1) Cant., IV, 11, 13. — (2) Ps. CIX, 4.
600
qu'il
vienne, puisque vous ne pouvez pas vous repentir de votre promesse,
parce que vous ne promettez pas avec ignorance. Mon doux amour : je suis
revêtue de la vertu de cet Homme-Dieu, je ne vous laisserai point que
vous ne m'ayez donné votre bénédiction comme à mon père Jacob (1). »
55. Il fut demandé à notre
Reine dans cette divine lutte, ainsi qu'à Jacob (2), quel était son nom. Elle
répondit : « Je suis fille d'Adam, formée par vos mains d'une vile
matière. » Et le Très-Haut lui repartit : « Désormais vous vous appellerez
l'Élue, pour être Mère du Fils unique. » Mais ces dernières paroles ne
furent entendues que des courtisans du ciel, et elles lui furent cachées
jusqu'à son temps, n'ayant entendu que le seul terme d'Élue. Cette amoureuse
dispute ayant duré le temps que la sagesse divine déterminait, et qui était
convenable pour enflammer le coeur fervent de l'Élue, la très-sainte Trinité
donna sa parole royale à la très-pure Marie, notre Reine, lui promettant
qu'elle enverrait su plus tôt le Verbe éternel au monde pour se faire homme.
Étant remplie d'une joie inconcevable que cet agréable fiai lui causait, elle
demanda la bénédiction, et le Très-Haut la lui donna. Cette femme forte sortit
de la lutte qu'elle venait de soutenir contre Dieu, bien plus victorieuse que
Jacob, car elle se trouva riche, puissante, chargée de dépouilles; et pour
employer l'humain langage, je dirai que Dieu
(1) Gen., XXXII, 26. — (2) Ibid., 27.
501
fut
comme blessé et affaibli, ayant été contraint par l'amour de cette auguste
Dame de se revêtir dans son sein virginal de la faiblesse humaine de notre
chair passible, dans laquelle il devait cacher et couvrir la force de sa
divinité pour vaincre dans sa défaite, et nous donner la vie par sa mort. Que
les mortels apprennent et voient comme l'incomparable Marie est la cause de,
leur salut après son très-béni Fils.
56. Ensuite les oeuvres du
cinquième jour de la création du monde furent manifestées dans cette même
vision à notre Princesse, dans le même ordre qu'elles étaient arrivées. Elle
connut comment la force de la parole divine produisit les eaux qui sont sous
le firmament, les reptiles qui rampent sur la terre, les oiseaux qui volent
dans l'air, et les poissons qui se trouvent dans ces mêmes eaux (1). Elle
connut le principe, la matière, la forme et la figure de toutes ces créatures,
le genre et toutes les espèces des animaux sauvages, leurs qualités, leurs
propriétés et leurs classes; les oiseaux du ciel (car nous appelons ainsi
l'air), avec leur différence, la forme, le plumage, les ornements et la
légèreté de chaque espèce; elle découvrit les poissons innombrables de la mer
et des rivières, les diverses sortes de monstres marins, leur structure, leurs
qualités, leurs cavernes, la nourriture que la mer leur fournit, la fin pour
laquelle ils ont été créés et le rôle qu'ils remplissent dans le monde. Le
Seigneur commanda singulièrement
(1) Gen., I, 20-22.
502
à
toute cette multitude de créatures d'obéir à la très-sainte Vierge, lui
donnant un entier pouvoir de les commander toutes et de s'en servir, comme il
arriva en plusieurs occasions; j'en raconterai quelques-unes dans la suite.
Après cela elle sortit de la vision de ce jour, et elle employa le reste aux
exercices et aux demandes que sa divine Majesté lui ordonna.
Instruction que la Reine du ciel me donna.
57. Ma fille , Dieu s'est
réservé de donner aux prédestinés dans la Jérusalem céleste une plus ample
connaissance des œuvres merveilleuses que son puissant bras opéra en moi, pour
m'élever à la dignité de Mère par les visions abstractives de sa divinité.
C'est là qu'ils les connaîtront et les verront en ce divin Seigneur avec
autant de joie et d'admiration que les anges lorsqu'ils en louaient et
glorifiaient la divine Majesté au moment où il lui plut de les leur
manifester. Et parce que le Très-Haut vous a témoigné son amour libéral avec
tant de distinction parmi toutes les nations, en vous donnant l'intelligence
de ces mystères si profonds, je veux, ma chère amie, que vous vous signaliez
entre toutes les créatures dans les louanges que vous devez à son saint nom,
pour les
603
grandes choses que la puissance de son bras a opérées envers moi.
58. Ensuite, vous devez
faire tous vos efforts pour m'imiter dans les œuvres que je faisais à la suite
de ces admirables faveurs. Redoublez vos prières et vos cris pour le salut
éternel de vos frères, et afin que le nom de mon Fils soit exalté et connu de
tous. Il faut que vous fassiez ces demandes avec une insistance persévérante,
affermie dans une foi vive et dans une confiance inébranlable, sans perdre de
vue votre misère, avec une humilité profonde et une entière soumission: Ayant
fait ces préparatifs, vous devez combattre avec l'amour divin pour le bien de
votre peuple, devant être persuadée que ses plus glorieuses victoires
consistent à se laisser vaincre par les humbles qui l'aiment sincèrement et
avec droiture; élevez-vous au-dessus de vous-même et rendez grâces au Seigneur
pour les bienfaits que vous en avez reçus et pour ceux de tout le genre
humain; que si vous vous adressez à ce divin amour et si vous en êtes
prévenue, vous mériterez de recevoir d'autres nouvelles faveurs tant pour vous
que pour vos frères; souvenez-vous aussi de lui demander sa bénédiction toutes
les fois que vous vous mettrez en sa divine présence.
504
CHAPITRE VI. Le Très-Haut manifeste à
notre Reine d'autres mystères, et les œuvres du sixième jour de la
création.
59. Le Très-Haut continuait
de. préparer de plus en plus notre Princesse pour l'entrée que le Verbe
éternel devait faire dans son sein virginal, et elle persévérait sans relâche
ni interruption dans ses, ferventes affections et ses saintes prières, afin
qu'il ne tardât pas de venir au monde; la nuit du sixième jour de ceux que je
déclare ici étant donc arrivée , elle fut appelée et élevée en esprit par la
même voix et par la même force que j'ai dit ci-devant, et étant prévenue par
de plus hauts degrés d'illuminations, la Divinité lui fut manifestée par la
vision abstractive en la même manière que les autres jours; mais c'était
toujours avec des affections plus divines et avec une connaissance plus
profonde de ses attributs. Elle employait neuf heures dans cette oraison, et
elle en sortait à l'heure de tierce. Et quoique cette sublime vision de l’être
de Dieu cessât alors, la très-sainte Vierge ne perdait pas entièrement sa vue
et ne quittait point l'oraison pour cela; au contraire, elle entrait dans une
autre qui, bien qu'inférieure à celle
505
qu'elle laissait, était pourtant sans contredit très. relevée, et au-dessus de
la plus sublime de celles de tous les saints ensemble. Toutes ces faveurs la
rapprochaient de plus en plus de la Divinité dans les derniers jours qui
étaient les plus proches de l'incarnation, sans que les occupations
extérieures de son état y portassent aucun empêchement, parce que dans cette
rencontre Marthe ne se plaignait point que Marie la laissait seule dans ses
fonctions (1).
60. En suite de la
connaissance de la Divinité qu'elle reçut dans cette vision, les oeuvres du
sixième jour de la création du monde lui furent manifestées; et comme si elle
s'y fût trouvée présente, elle connut en Dieu de queue manière la terre
produisit par sa divine parole l'âme vivante en on genre, selon que Moïse le
dit (2); entendant par ce terme les animaux terrestres qui, étant plus
parfaits que les poissons et les oiseaux dans les opérations et dans la vie
animale, sont appelés par la partie principale, âme vivante. Elle connut
toutes ces espèces d'animaux qui furent créés dans ce sixième jour; et comme
les uns étaient, appelés bêtes de somme; les autres, simplement bêtes,comme
étant plus sauvages; et les autres, reptiles, parce qu'ils rampent sur la
terre. Elle en connut distinctement les qualités, les instincts féroces, les
forces, les fonctions, les habitudes et les fins. Elle reçut un empire absolu
sur tous ces animaux, et il leur fut commandé de lui obéir, de sorte qu'elle
eût pu sans appréhension
(1) Luc., X, 40. — (4) Gen., I, 24.
506
fouler
aux pieds l'aspic et le basilic; tous se seraient soumis à cette Reine sans
répugnance, ce que quelques-uns d'entre eux filent plusieurs fois, comme il
arriva en la naissance de son très-saint Fils, en laquelle le boeuf et l'âne
se prosternèrent devant l'Enfant-Dieu et le réchauffèrent de leur baleine,
parce que la divine Mère le leur commanda.
61. Notre auguste Reine
connut parfaitement dans cette plénitude de science la manière secrète par
laquelle Dieu conduisait tout ce qu'il créait au service et à l'avantage du
genre humain , aussi bien que le retour que les hommes devaient à leur
Créateur pour un tel bienfait. Il fut très-convenable que la très-sainte
Vierge eût cette sorte de science, afin qu'elle s'en servit pour rendre à
l'auteur d'aussi grands bienfaits les justes actions de grâces, auxquelles et
les anges et les hommes avaient manqué en ne s'acquittant pas de tout ce
qu'ils devaient en qualité de créatures. L'auguste Marie remplit tous ces
vides et suppléa à tous nos manquements, causés tant par notre impuissance que
par notre ingratitude. Elle satisfit en quelque façon la divine équité par le
retour qu'elle lui rendit, faisant l'office de médiatrice entre cette même
équité et les créatures; et nous pouvons dire que par sa sainteté et par sa
reconnaissance elle se rendit plus agréable que toutes ensemble, le Très-Haut
témoignant d'être plus satisfait de la seule Marie que de tout le reste des
autres créatures. Ainsi par ce moyen si mystérieux le temps de la venue de
Dieu au monde s'approchait fort, parce que ce qui en empêchait
507
l'exécution était ôté par l'innocence de celle qui devait être sa mère.
62. Après avoir eu
connaissance de la création de toutes les créatures incapables de raison, elle
connut dans la même vision comme la très-sainte Trinité dit, pour donner
l'entière perfection au monde : « Faisons l'homme a notre image et
ressemblance (1),» et comme le premier homme fut formé de terre par la vertu
de ce divin décret, pour être l'origine des autres. Elle découvrit fort
clairement l'harmonie du corps humain; l'Ame, ses puissances, sa création, son
infusion dans le corps, l'union qu'elle a avec lui pour composer le tout i
dans la formation de ce mène corps, elle eu connut distinctement toutes les
parties, le nombre des os, les i Bines, les artères, les nerfs, les muscles,
la combinaison des quatre humeurs qui lui donnaient un tempérament convenable
; la faculté qu'il avait de se nourrir, de s'altérer, de se mouvoir; chroment
les maladies étaient causées par l'altération de cette harmonie, la
disproportion de ces éléments, et de quelle sorte ce désordre était réparé.
Notre très-sagace Vierge connut et pénétra tout cela avec bien plus de clarté
que tous les philosophes du monde et que les anges mêmes.
63. Le Seigneur lui
manifesta aussi l'heureux état de la justice originelle dans lequel il mit nos
premiers parents, Adam et Ève. Elle connut les qualités, la beauté et la
perfection de leur innocence et de la
(1) Gen., I, 26.
508
grâce,
et le peu de temps qu'ils y persévérèrent; elle pénétra de quelle manière ils
furent tentés et vaincus par la malice du serpent, les effets que le péché
causa , la fureur et la haine des démons contre le genre humain (1). A la vue
de tous ces objets, notre Reine fit des actes héroïques de toutes les vertus
qui furent très-agréables au Seigneur; elle reconnut qu'elle était fille de
ces premiers parents, descendante d'une nature si ingrate envers son Créateur.
Dans cette connaissance, elle s'humilia en la présence divine, blessant le
coeur de Dieu et l'obligeant de l'élever au-dessus de tout ce qui était créé.
Elle se chargea de pleurer ce premier péché, aussi bien que tous les autres
qui en résultèrent, comme si elle en eût été coupable. C'est pourquoi l'on put
appeler dès lors cette faute heureuse, puisqu'elle mérita d’être pleurée avec
des larmes si précieuses et si estimées du Seigneur, qu'elles commencèrent
d’être la caution et en même temps un gage assuré de notre rédemption.
64. Elle rendit de dignes
actions de grâces au Créateur pour l'oeuvre merveilleuse de la création de
l'homme. Elle considéra avec beaucoup d'attention la désobéissance qu'il avait
commise, et la tromperie avec laquelle Ève avait été séduite; elle se résolut
d'observer la perpétuelle obéissance que ces premiers pères refusèrent à leur
Dieu et Seigneur. Et cette soumission lui fut si agréable, que sa divine
Majesté ordonna que la vérité figurée dans l'histoire du roi
(1) Gen., III, 1
509
Assuérus (1), qui répudia la reine Vasthi et la priva de la dignité royale à
cause de sa désobéissance, mettant en sa place et élevant à cette dignité
l'humble et gracieuse Esther, fut accomplie et exécutée dans ce jour en
présence des courtisans célestes.
65. Ces mystères avaient en
tout un admirable rapport : car le souverain et véritable Roi fit comme un
grand banquet de la création pour découvrir la grandeur de son pouvoir et les
trésors de sa divinité, lorsque, ayant préparé la table ouverte et remplie de
toutes les créatures, il y invita le genre humain en la création de ses
premiers parents. Vasthi , notre mère Ève, étant fort peu soumise au
commandement divin, fut assez malheureuse que de désobéir; c'est pourquoi le
véritable Assuérus commanda dans ce jour, aux applaudissements et au milieu
des magnifiques cantiques des anges, que la très-humble Esther, l'auguste
Marie, pleine de grâce et de beauté, fût élevée à la dignité de Reine de tout
ce qui est créé, et élue entre toutes les filles du genre humain pour sa
restauratrice et Mère de son Créateur.
66. Pour donner la
plénitude à ce mystère, le Très-Haut répandit dans le coeur de notre Reine une
nouvelle horreur pour le démon, qui correspondait à celle qu'Esther eut pour
Aman (2) : et l'horreur que cette vision lui inspira produisit ses effets dans
la suite, lorsqu'elle le priva du pouvoir qu'il avait dans le monde et qu'elle
écrasa la tète de son orgueil, le menant jusqu’au
(1) Esth., I, 2. — (2) Ib., VII, 10.
510
qu'au
gibet de la croix, où il prétendit de vaincre et de détruire l'Homme-Dieu,
afin que lui-même y fût vaincu et puni comme un malheureux rebelle; la
très-sainte Vierge contribuant à tout cela, comme nous le dirons en son lieu,
par l'inimitié qu'elle avait contre ce grand dragon, qui commença avant même
que d'être précipité du ciel à dresser toutes ses embûches contre cette femme,
qu'il y vit revêtue du soleil (1), et qui était, comme nous avons dit, la
figure de l'auguste Marie. De sorte que le combat dura jusqu'à ce qu'elle
l'eût privé de son pouvoir tyrannique : et comme le très-fidèle Mardochée fut
honoré en la place de l'orgueilleux Aman (2), ainsi le très-chaste et
très-fidèle Joseph, qui prenait soin de ce qui regardait notre divine Esther
et qui lui inspirait continuellement de prier pour la liberté de son peuple
(car c'était l'occupation ordinaire de cet incomparable saint et de sa
très-pure épouse), fut élevé par son moyen à une si grande sainteté et à une
dignité si excellente, que le suprême Roi lui donna l'anneau de son sceau (3)
afin qu'il commandât par cette marque d'honneur le même Dieu humanisé, qui lui
était soumis, comme l'Évangile le dit (4). Après ce que je viens de dire,
notre Reine sortit de celle vision.
(1) Apoc., XII, 4. — (2) Esth., VI, 10. — (3) Ib., VIII, 2. —(4) Luc.,
II, 51.
511
Instruction que la divine Dame me donna.
67. Ma fille, le don
d'humilité que je reçus du Très-Haut dans cette rencontre que vous venez
d'écrire, fut admirable; et puisque sa divine Majesté ne rebute point celui
qui l'appelle, et qu'il ne refuse pas sa faveur à celui qui se dispose à la
recevoir, je veux que vous m'imitiez et que vous soyez ma compagne dans
l'exercice de cette vertu. Je n'avais nulle part dans le péché d'Adam, puisque
je fus exempte de sa désobéissance; mais parce que je participai à sa nature,
n'étant sa fille que par ce seul endroit, je m'humiliai jusqu'à m'anéantir.
Or, combien doivent s'humilier à mon exemple ceux qui ont non-seulement
participé au premier péché, mais qui en ont commis ensuite une infinité
d'autres ! Le motif et la fin de cette humble connaissance ne doivent pas tant
consister à éviter la peine qu'on a méritée par ces péchés, qu'à réparer
l'honneur que l'on a ôté par leur moyen su Créateur et Seigneur de l'univers.
68. S'il arrivait qu'un de
vos frères offensât grièvement votre père naturel , vous ne seriez pas une
tille reconnaissante et fidèle, ni une soeur véritable, si vous n'étiez
affligée de l'offense que votre père aurait reçue, et si vous ne pleuriez la
faute de votre frère comme si vous l'aviez commise, parce que l'on doit
honorer le père et aimer le frère comme soi-même ; or, considérez, ma
très-chère fille, et examinez bien
512
par le
secours de la véritable lumière quelle différence il y a entre votre Père qui
est aux cieux et votre père naturel, et que vous êtes tous ses enfants, unis
par les liens les plus étroits comme frères et serviteurs d'un seul et même
Maître, souverain et véritable. Combien ne seriez-vous pas humiliée, confuse
et affligée , ma fille , si vos frères naturels tombaient dans quelque faute
honteuse? Je veux que la même chose vous arrive pour les péchés que les
mortels commettent contre Dieu, et que vous les pleuriez avec autant de
confusion que si vous les reconnaissiez pour vôtres. C'est ce que je fis,
après avoir connu la désobéissance d'Adam et d'Ève, et les maux qu'elle causa
au genre humain. Le Très-Haut regardant avec beaucoup de complaisance ma
gratitude et ma charité, parce que celui qui pleure les péchés de ceux qui les
oublient après les avoir commis, est fort agréable à sa divine Majesté.
69. Je vous avertis aussi
que pour grandes et sublimes que soient les faveurs que tous recevez du
Seigneur, vous ne devez pas pour cela négliger le danger, ni dédaigner de
pratiquer les moindres couvres d'obligation et de charité. Cet exercice ne
vous éloignera pats de Dieu, puisque la foi ne vous enseigne et sa lumière ne
vous conduit qu'afin que vous l'ayez toujours avec vous dans toute sorte
d'occupation et de lieu, et que vous ne vous sépariez que de vous-même et de
votre propre satisfaction pour accomplir le bon plaisir de votre Seigneur et
de votre Époux. Ne vous laissez point entraîner dans ces sortes
513
d'affections par le poids de vos inclinations, ni par celui de la bonne
intention et de la consolation intérieure; car il arrive bien souvent que ces
apparences couvrent de très-grands périls. Faites en sorte que la sainte
obéissance vous serve toujours de règle et de maîtresse dans ces doutes, ou
plutôt ignorances; par elle vous vous conduirez sûrement dans toutes vos
actions, et vous en retrancherez le poison de l'amour-propre , parce que les
plus grandes victoires et les augmentations des mérites se trouvent
inséparables de la véritable soumission et de l'humble déférence que l'on a
pour les sentiments d'autrui; Vous ne devez jamais témoigner de vouloir ou de
ne vouloir pas une chose, par ce moyen vous remporterez des victoires et
battrez vos ennemis (1).
CHAPITRE VII. Le Très-Haut célèbre de nouvelles épousailles avec la Princesse
du ciel pour la préparer aux noces de l'incarnation.
70. Les œuvres du Très-Haut
sont grandes, parce qu'il les a faites et qu'il les fait toutes avec une
plénitude de science et de bonté, ans l'équité et dans la mesure (2). Il n'en
est aucune qui soit défectueuse,
(1) Prov., XII, 28. — (2) Sap., XI, 21.
514
inutile, ou superflue : elles sont toutes excellentes et magnifiques, parce
que le même Seigneur les a faites et les conserve par les dispositions de sa
divine volonté, les ayant voulues en la manière qu'elles étaient convenables,
pour être connu et glorifié en elles. Mais nous pouvons dire que toutes ses
oeuvres extérieures, quoiqu'elles soient grandes, merveilleuses et plus
admirables que compréhensibles, ne sont, par rapport au mystère de
l'Incarnation, qu'une petite étincelle qui a jailli du foyer immense de la
Divinité. Car ce seul grand mystère dans lequel Dieu s'est fait homme passible
et mortel, est le grand ouvrage de tout son pouvoir et de sa sagesse infinie,
et celui qui surpasse sans mesure toutes les autres oeuvres et merveilles de
la puissance de son bras : parce que dans cet adorable mystère les hommes ne
reçurent pas une étincelle de la Divinité, mais ils y reçurent tout ce feu
adorable, lorsque Dieu s'unit à notre nature humaine et terrestre par une
union indissoluble et éternelle.
71. Que si l'on mesure
cette merveille du souverain Roi à sa divine grandeur, l'on trouvera qu'il
devait s'ensuivre que la femme dans laquelle il allait prendre la forme
humaine, fût si parfaite et si bien ornée de toutes ses richesses, qu'il ne
lui manquât aucune grâce possible, et que tous les dons qu'elle recevait
fussent si parfaits, qu'il n'y eût rien à souhaiter. Or, comme cela était
aussi juste que convenable à ta grandeur du Tout-Puissant, sa divine Majesté
l'accomplit beaucoup mieux à l'égard de la très-pure Marie, que te roi
Assuérus ne l'avait fait à l'égard de l'aimable
515
Esther
(1), lorsqu'il voulut l'élever, au trône de sa grandeur. Le Très-Haut prévint
notre Reine par de si grandes faveurs et des privilèges si fort au-dessus de
tout ce que les créatures peuvent concevoir, que lorsqu'elle parut à la vue
des courtisans de ce grand Roi immortel de tous les siècles (2), ils connurent
et ils louèrent tous le pouvoir divin : avouant que s'il avait choisi une
fille pour être sa Mère, il avait bien pu et su la rendre digne de cet
honneur.
72. Le septième jour qui
s'approchait de cet admirable mystère, arriva; et la très-sainte Vierge fut
appelée et élevée à la même heure que nous avons dit ci-devant, mais d'une
manière différente des jours précédents; car dans celui-ci elle fut
transportée corporellement au haut de l'empyrée par le ministère des saints
anges; il y en eut un néanmoins qui demeura et tint sa place sur la terre, la
représentant sous une forme corporelle. Parvenue à ce suprême ciel, elle vit
la Divinité par une vision abstractive, comme les autres fois, mais avec une
lumière toujours plus grande et des mystères plus profonds, que le grand Être,
essentiellement libre, sait et peut cacher et manifester quand il lui plaît.
Ensuite elle entendit une voix qui sortait du trône divin, et qui lui disait:
« Venez, notre Épouse, notre Colombe et notre bien aimée; vous vous êtes
rendue agréable à nos yeux; vous êtes choisie entre mille; nous voulons
vous recevoir de nouveau pour notre unique Épouse
(1) Esth, II, 9. — (2) I Tim., I, 17.
516
c'est
pourquoi nous voulons aussi vous donner des ornements et une beauté
dignes de vos désirs. »
73. A cette voix, la
très-humble entre les humbles s'anéantit de telle sorte en la présence du
Très-Haut, qu'il n'est pas possible à l'entendement humain de le comprendre :
et s'étant entièrement soumise au bon plaisir divin, elle répondit avec une
agréable timidité: « Voici, Seigneur, cette poussière; voici ce petit
vermisseau; voici votre pauvre servante toute prête à exécuter ce qui
vous sera le plus agréable. Servez-vous, mon bien-aimé, de cet instrument
abject de votre volonté, conduisez-le par votre droite. » Ensuite le
Très-Haut commanda à deux séraphins des plus proches de son trône et des plus
excellents en dignité , d'assister cette divine fille, et, suivis de plusieurs
autres de ces courtisans célestes, ils se mirent sous une forme visible su
pied du trône, où la très-sainte Vierge se trouvait bien plus embrasée du
divin amour que tous ces esprits séraphiques.
74. C'était un spectacle
qui causait une nouvelle admiration et une joie inconcevable à toua les
esprits angéliques, de voir une jeune fille dans ce lieu céleste, où aucune
autre créature humaine n'avait jamais mis le pied et où elle fut sacrée pour
être leur Reine et la plus voisine de Dieu parmi toutes les simples créatures
: d'y voir cette femme inconnue et méprisée du monde dans une si haute estime;
et d'y voir la nature humaine placée d'avance au milieu d'eux, et déjà nantie
des gages d'une élévation supérieure à celle de tous les chœurs célestes. O
quelle sainte émulation ne
517
devait
pas causer cette rare merveille aux habitants primitifs de la sublime
Jérusalem ! O quelles louanges ne chantaient-ils pas à Celui qui en était
l'auteur ! O de quels sentiments d'humilité ne renouvelaient-ils pas
l'expression en soumettant leurs entendements à la volonté divine! Ils
reconnaissaient qu'il était juste et saint que Dieu élevât les humbles, qu'il
favorisât l'humilité humaine et qu'il la préférât à l'angélique.
75. Les habitants du ciel
étant dans cette juste admiration, la très-sainte Trinité, selon notre basse
manière d'exprimer les choses divines, conférait en elle-même combien
l'auguste Marie lui était agréable; avec combien de perfection elle avait
répondu à tous les bienfaits qu'elle en avait reçus; sur ce qu'elle avait
mérité par le secours de ses grâces; sur la proportion qu'il y avait entre la
gloire qu'elle rendait à sa divine Majesté et les dons qu'elle en recevait;
comme il ne se trouvait en elle ni péché, ni défaut, ni la moindre chose qui
pût empêcher sou élévation à la dignité de Mère du Verbe , à laquelle elle
était destinée. Les trois personnes divines déterminèrent dans cette
conférence d'élever cette créature au suprême degré de grâce et d'amitié de
Dieu lui-même, où aucune autre pure créature n'était encore arrivée et
n'arriverait jamais. Après cette résolution la très-sainte Trinité se plut en
la sainteté suprême de Marie, compte étant conçue dans son entendement divin.
76. Pour répondre à cette
sainteté, et au témoignage de la bienveillance avec laquelle le Seigneur lui
communiquait les nouvelles influences de sa nature
518
divine, sa Majesté ordonna que la très-sainte Vierge fût ornée visiblement
d'une robe et de joyaux mystérieux, qui signifiassent les dons intérieurs des
grâces, et les privilèges qu'elle recevait en qualité de Reine de l'univers et
de son Épouse. Et quoi qu'elle eût reçu cet ornement et ces prérogatives
d'Épouse en d'autres occasions, comme nous l'avons dit, lorsqu'elle fut
présentée au Temple; néanmoins dans celle-ci la chose arriva avec de telles
circonstances, qu'elles en renouvelaient l'excellence et en rehaussaient le
merveilleux, parce que l'auguste Marie entrait dans une disposition plus
proche du miracle de l'incarnation.
77. Incontinent les deux
séraphins revêtirent la très- sainte Vierge, par l'ordre du Seigneur, d'une
robe fort majestueuse, qui, comme symbole de sa pureté et de sa grâce, était
si lumineuse, d'une blancheur si rare et d'une beauté si éclatante, que si
elle avait projeté sur le monde : un seul de ses rayons infinis, elle l'eût
illuminé d'une clarté plus vive que toutes les étoiles ensemble, fussent-elles
transformées en autant de soleils; parce que toute la lumière que nous voyons
ici ne paraîtrait qu'obscurité en comparaison de ce rayon. Au même temps que
les séraphins la revêtaient, le Très-Haut lui donna une profonde intelligence
de l'obligation dans laquelle ce bienfait la mettait de correspondre à sa
divine Majesté par la fidélité, par l'amour, par une sublime et excellente
manière d'opérer en toutes choses, à, laquelle elle se sentait tenue; mais le
Seigneur lui cachait toujours le dessein qu'il avait de prendre chair humaine
519
dans
son sein virginal. Notre auguste Dame découvrait tout le reste, et par cette
connaissance elle s'humiliait avec une singulière sagesse, et demandait le
secours divin pour répondre fidèlement à une telle faveur.
78. Les mêmes séraphins lui
mirent sur cette robe une ceinture fort riche, qui était un symbole de la
sainte crainte qui lui était infuse; elle était d'un éclat extraordinaire,
comme si elle eût été composée de diverses pierres précieuses. Au même moment
la source de lumière dont la divine Princesse recevait les effusions, l'inonda
d'un nouveau jour, afin quelle vît d'une manière toute spéciale les raisons
pourquoi Dieu doit être craint de toutes les créatures. Avec ce don de crainte
du Seigneur, elle fut dûment ceinte comme il seyait à une simple créature, qui
devait traiter et converser si familièrement avec le Créateur lui-même, étant
sa véritable Mère.
79. Ensuite elle sentit
qu'ils lui ornaient la tète d'une longue et magnifique chevelure réunie par
une riche attache; elle était plus brillante que l'or le plus pur. Elle
comprit qu'avec cet ornement, il lui était donné d'avoir toute sa vie des
pensées relevées, divines et enflammées d'une très-ardente charité , signifiée
par ce précieux métal. Elle reçut en même temps de nouveau les habitudes de
sagesse et de science très-claire, qui devaient comme tresser et rassembler
cette chevelure symbolique avec un art merveilleux, par une participation
ineffable des attributs de science et de sagesse de Dieu. Elle obtint aussi
620
avec
sa mystérieuse chaussure le privilège que tous ses pas et tous ses mouvements
fussent très-beaux (1) , et toujours dirigés vers les fins les plus hautes et
les plus saintes de la gloire du Très-Haut. Et ces fins furent atteintes avec
une grâce, avec un soin et avec une diligence toute particulière, quand
l'occasion se présenta d'opérer le bien, tant envers Dieu qu'envers le
prochain , comme il arriva lorsqu'elle visita sainte Élisabeth et saint Jean
(2).; de sorte que cette fille du Prince fut trouvée très-belle dans toutes
ses démarches (3).
80. Ses mains furent ornées
par des bracelets ayant reçu une nouvelle magnanimité pour pratiquer de
grandes couvres par une participation de l'attribut de la magnificence; ainsi
elle les étendit toujours sur des choses fortes (4). Elle eut les doigts
enrichis dé bagues, afin que par les nouveaux dons du Saint-Esprit, elle
exerçât les plus petites choses d'une manière. sublime, et avec une intention
et des circonstances très-relevées qui devaient rendre toutes ses couvres
magnifiques et admirables. Elle reçut aussi un collier rempli de pierres d'un
éclat merveilleux et d'un prix inestimable; à ce collier était suspendu un
chiffre mystérieux composé de trois pierres bien plus précieuses et
excellentes que celles qui représentaient les trois vertus de foi, d'espérance
et de charité; ce chiffre avait quelque rapport avec les trois
(1) Cant., VII, 1. — (2) Luc., I, 39. — (3) Cant., VII, 1. — (4) Prov., XXXI,
19.
521
personnes divines. Ces très-nobles vertus lui furent renouvelées dans cette
occasion, pour l'usage qu'elle avait besoin d'en faire dans les mystères de
l'incarnation et de la rédemption.
81. On lui mit aux oreilles
des pendants d'or attachés à .des boucles d'argent (1), préparant son ouïe par
cet ornement à l'ambassade du saint archange Gabriel qu'elle devait bientôt
entendre; elle reçut en même temps une science particulière, afin qu'elle
l'écoutât avec attention, qu'elle lui répondit avec prudence, et que ses
paroles fussent très-agréables à la volonté divine, et surtout afin que
l'argent de sa pureté, ce métal pur et sonore, retentit aux oreilles du
Seigneur, et que ces sacrées et tant désirées paroles : Fiat mihi secundum
verbum tuum (2), fussent gravées dans le sein de la Divinité.
82. Sa robe fut ensuite
parsemée de plusieurs chiffres, qui lui servaient comme de broderie de
diverses couleurs rayonnantes; il y en avait qui disaient : Marie, Mère de
Dieu, et d'autres Marie, Vierge et Mère mais le sens énigmatique et
sacré que renfermaient ces chiffres mystérieux, ne lui fut pas alors
découvert, mais seulement aux anges. Les éclatantes couleurs qui rehaussaient
la beauté de sa robe étaient les habitudes excellentes de toutes les vertus
qu'elle pratiquait par des actes très-éminents et dans un si haut degré de
perfection, que toutes les autres créatures intelligentes n'y ont jamais pu
arriver. Et
(1) Cant., I, 10. — (2) Luc., I, 38.
522
afin
qu'il ne manquât rien à cette parure, elle eut le visage embelli de plusieurs
illuminations qui lui vinrent de la proximité et de la participation de l'Être
infini et des perfections de Dieu, car pour le recevoir réellement et
véritablement dans son sein virginal, il était convenable qu'elle l'eût reçu
auparavant par grâce dans lé plus sublime degré qui était possible à une pure
créature.
83. Cette parure rendit
notre auguste Princesse si belle et si ravissante, que ses attraits gagnèrent
le coeur du souverain Roi (1), et lui donnèrent lieu de se complaire dans sa
beauté. Je ne m'étends pas davantage sur les ornements dont elle fut revêtue
d'une manière plus sublime et avec des effets plus divins que les autres fois,
parce que j'ai parlé ailleurs de ses vertus, et je serai encore forcée de
retoucher la même mature dans la suite de cette divine histoire. L'on ne doit
pas être surpris de ces redites, parce que le pouvoir de Dieu étant infini, et
le champ de la perfection et de la sainteté immense, on trouve toujours
beaucoup à ajouter à ce que l'on en a dit, et l'on y découvre toujours de
nouvelles merveilles, car l'incomparable Marie étant une mer impénétrable,
nous ne faisons que voltiger sur la surface de ses grandeurs sans pouvoir
jamais bien les pénétrer; mon entendement est rempli du peu qu'il en a connu,
et une de ses peines est de ne pouvoir exprimer les pensées qu'il en a
formées. En suite de ce que je viens de
(1) Ps. XLIV, 12.
523
dire,
les mêmes anges ramenèrent notre Reine au lieu où ils l'avaient prise.
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.
84. Ma fille, les
garde-robes du Très-Haut sont fournies comme le doivent être celles d'un
Roi-Dieu et d'un Seigneur tout-puissant; c'est pourquoi les miches ornements
et les précieux joyaux qu'il y conserve pour embellir ses épouses et ses
élues, sont sans nombre et sans mesure. Il pourrait enrichir une infinité
d'âmes comme il enrichit la mienne, sans diminuer pour cela ses trésors. Que
si sa main libérale n'en distribue à aucune autre créature autant qu'à moi, ce
n'est pas qu'il ne le puisse ou qu'il ne le veuille, mais c'est parce qu'aucun
ne se dispose à la grâce comme je le fis; et si le Tout-Puissant est
très-libéral envers plusieurs et les enrichit beaucoup, c'est parce qu'elles
apportent moins d'obstacles à ses faveurs, et s'y préparent mieux que les
autres.
85. Je désire, ma
très-chère, que vous ne mettiez aucun empêchement à l'amour que le Seigneur
vous porte, et je veux que vous vous disposiez à recevoir les. dons et les
joyaux qu'il vous destine, afin que vous soyez digne d'avoir part à son
amitié. Sachez que toutes les âmes justes reçoivent cet ornement de sa
libéralité; mais chacune le reçoit dans le degré d'
524
initié
et de grâce dont elle s'est rendue capable. Et si vous souhaitez d'arriver,
aux plus hauts degrés de cette perfection, et de vous rendre digne de la
présence de votre Seigneur et de votre Époux, lichez de croître et de vous
fortifier en amour : mais il faut que vous;sachiez que cet amour croît à
mesure que la mortification s'augmente. Vous devez renoncer à tout ce: qui est
terrestre et en perdre le souvenir; vous ne devez plus avoir d'inclination
pour vous ni pour les choses visibles, et vous ne devez vous avancer que dans
le seul amour divin: Purifiez-vous dans le sang de Jésus-Christ votre
réparateur, et appliquez-vous-le plusieurs fois en renouvelant l'amoureuse
douleur de la contrition de vos péchés. Par ce moyen vous lui serez agréable;
il désirera votre beauté (1), et vos progrès seront accompagnés de toute sorte
de perfection et de sainteté.
86. Le Seigneur vous ayant
si fort favorisée et distinguée dans es bienfaits, il est juste que vous
surpassiez plusieurs nations en reconnaissance, et que vous le glorifiiez par
de continuelles louanges pour tant de faveurs qu'il a daigné vous faire. Que
si le vice de l'ingratitude est si noir et si digne de punition dans les
créatures, qui en ont moins reçu, quand leurs passions terrestres et
grossières leur font oublier, avec un mépris impardonnable, les bienfaits du
Seigneur; la faute que vous commettriez par cette vilenie serait bien plus
grande après tant d'obligations que vous lui
(1) Ps. XLIV, 12.
525
devez.
Prenez garde de vous tromper sous prétexte de vous humilier : parce qu'il y a
une grande différence entre l'humilité reconnaissante et l'ingratitude
faussement humiliée : et sachez que le Seigneur fait bien souvent de grandes
faveurs aux indignes, pour manifester sa bonté et sa grandeur; et afin
qu'aucun ne s'en enorgueillisse après les avoir reçues, il doit connaître sa
propre bassesse et son peu de mérite; ce qui lui servira de contre-poids et de
préservatif contre le poison de la présomption; mais ce discernement est
toujours compatible avec la reconnaissance, parce qu'il lui fait découvrir que
tout don parfait vient du Père des lumières (1); que les bienfaits lui appas
tiennent, et que la créature ne les a jamais pu mériter par elle-même, mais
qu'elle les reçoit de sa seule bonté; ainsi elle lui doit être entièrement
soumise, et dévouée par une très-grande reconnaissance.
(1) Jacob., I, 17.
526
CHAPITRE VIII. Notre grande Reine demande, en la présence du Seigneur,
l'exécution de l'incarnation et de la rédemption du genre humain, et sa divine
Majesté lui accorde sa demande.
87. La divine Princesse
était toute remplie de grâce et de beauté, et le coeur de Dieu était si touché
de ses tendres affections et de ses ardents désirs (1), qu'il commençait à se
déterminer de sortir du sein du Père éternel pour entrer dans ses sacrées
entrailles, et de venir enfin su monde, qui l'attendait depuis plus de cinq
mille ans. Mais comme cette nouvelle merveille devait être exécutée avec une
plénitude de sagesse et d'équité, le Seigneur disposa les choses de telle
sorte, que la même Reine du ciel fût digne Mère du Verbe incarné, et en même
temps médiatrice efficace de sa venue, beaucoup plus qu'Esther ne le fut de la
délivrance de son peuple (2). Le coeur de la très-sainte Vierge brûlait du feu
que Dieu même y avait allumé, et elle ne cessait de lui demander le salut pour
le genre humain; mais la très-humble Dame balançait entre la crainte et
l'espérance, sachant que, par le
(1) Cant., IV, 9. —(2) Esth., VII, 8.
527
péché
d'Adam, la sentence de mort et de la privation de la présence de Dieu était
prononcée contre tous les mortels (1).
88. L'amour et l'humilité
se livraient dans le cœur très-pur de Marie un divin combat, durant lequel
elle ne cessait d'exhaler d'humbles et amoureux sentiments : « Oh! qui serait
assez puissant pour obtenir la guérison de mes frères ! Oh! qui pourrait
tirer du Père son Fils unique, et le décider à se faire mortel !
Oh! qui pourrait l'obliger de donner à notre nature ce baiser que l'Époux lui
a demandé (2)! Mais nous descendons du transgresseur qui a coma mis le péché:
comment pourrions-nous nous concilier la faveur de ce Fils? Comment
pourrions-nous attirer Celui que nos premiers parents ont si fort
dégoûté? O mon divin amour, que je serais heureuse si je vous voyais entre les
bras de votre Mère, revêtu de notre nature (3)! O lumière de la lumière,
Dieu véritable engendré par le Dieu véritable, quel bonheur si vous descendiez
(4) et si vous abaissiez vos
lumières pour éclairer ceux qui sont plongés dans les ténèbres (5),
apaisant par ce moyen votre Père irrité! O Père éternel, si votre puis
saut bras, qui est votre Fils unique, renversait le superbe Aman (6),
notre ennemi le démon! Où se trouvera, Seigneur, la médiatrice qui nous
tire de l'autel céleste cette braise de la divinité pour purifier
(1) Gen., III, 19. — (2) Cant., X, 1. — (3) Ib., VIII, 1. — (4) Ps.
CXLIII, 5. — (5) Isa., IX, 2. — (6) Esth., XIV, 13.
528
le
monde, comme le séraphin dont votre Prophète nous parle (1)? »
89. La très-sainte Vierge
réitérait cette prière su huitième jour de la neuvaine; et étant ravie et
élevée en Dieu au temps ordinaire de minuit, elle entendit sa divine Majesté
lui répondre : « Venez, mon Épouse, ma Colombe et mon Élue; vous n'êtes
pas comprise dans la loi commune (2); vous êtes exempte du péché
et de ses effets dès l'instant de votre conception : lorsque je vous donnai
l'être, je détournai a de vous le sceptre de ma justice, et je mis sur votre
cou celui de ma grande clémence (3), afin que la loi générale du péché
ne vous atteignit point.« Approchez-vous donc de moi, et ne craignez point
dans votre humilité et dans la connaissance de votre nature : j'élève celui
qui est humble, et je comble de richesses celui qui est pauvre; je suis dans
vos a intérêts, et ma miséricorde libérale vous sera favorable. »
90. Notre Reine ouït
intellectuellement ces paroles, ensuite elle sentit qu'elle était transportée
corporellement au ciel par le ministère des saints anges, comme la veille, et
vit que l'un d'eux avait pris sa place. Elle monta de nouveau à la présence du
Très-Haut, si fort enrichie des trésors de sa grâce et de ses dons, si
agréable et si belle, que c'était surtout alors que les esprits célestes ,
ravis d'admiration , se disaient les uns aux autres, en louant le Seigneur : «
Quelle est
(1) Isa , VI, 6. — (2) Esth., XV, 13. — (3) Ibid., 15.
629
celle
qui s'élève du désert si magnifiquement parée? Quelle est celle qui,
appuyée sur bon bien-aimé(1), l’entraîne doucement avec elle jusque dans la
terrestre demeure? Quelle est celle qui s'avance comme l'aurore à son lever,
belle comme la lune, brillante comme le soleil (2)? Comment s'élève-t-elle si
radieuse d'une terre pleine de ténèbres? Comment est-elle si forte et si
généreuse dans une nature si fragile? Comment est-elle si puissante, qu'elle
veuille vaincre le Tout-Puissant? Et comment, le ciel étant fermé aux enfants
d'Adam, l'entrée en est-elle si libre à cette seule fille, qui est de cette
même postérité? »
91. Le Très-Haut reçut son
élue et son unique Épouse Marie en sa présence; et quoique la vision dé notre
Reine ne fût qu'abstractive, elle y reçut néanmoins des faveurs inénarrables
que le Seigneur avait réservées pour ce huitième jour, et elles opérèrent en
elle une transformation si sublime, que Dieu même, qui y présidait, applaudit
pour ainsi dire d'admiration à l'ouvrage de sa puissance, et en étant comme
épris, il lui dit : Revertere, revertere, Sulamiiis, ut intueamur te
(3). « Tournez-vous, ma chère Épouse, ma très-parfaite Colombe et ma
bien-aimée, agréable à mes yeux; tournez-vous vers nous, afin que nous nous
voyions et que nous prenions nos complaisances en votre beauté; je
ne me repens point d'avoir créé l'homme, a au contraire je me plais en sa
formation, puisque vous en êtes sortie; que mes esprits célestes voient
(1) Cant., VIII, 5. — (2) Cant., vt, 9. — (3) Ibid., 12
630
avec combien de raison j'ai voulu, et je veux vous choisir pour mon Épouse et pour Reine de toutes mes créatures ; qu'ils sachent que c'est avec justice que je me plais dans vous, en qui mon Fils unique trouvera le plus de gloire, après celle qu'il puise dans mon sein. Qu'ils connaissent que si j'ai justement répudié Ève, la première Reine de la terre, à cause de sa désobéissance , je vous élève et vous mets en la suprême dignité , faisant éclater ma magnificence et mon pouvoir envers vous à cause de votre très-pure humilité et de votre mépris de vous-même. » 92. Les anges éprouvèrent ce jour-ci plus de joie accidentelle qu'ils n'en avaient encore éprouvé en aucun autre jour depuis leur création. Et lorsque la très-sainte Trinité proclama son Épouse Reine des créatures et Mère du Verbe , tous les esprits célestes la reconnurent avec enthousiasme pour leur Supérieure et célébrèrent sa gloire par des hymnes harmonieux , où ils louaient Celui qui l'avait ainsi exaltée. L'auguste Marie était si absorbée par tant d'admirables mystères dans l'abîme de la Divinité et dans la lumière de ses infinies perfections, que par une particulière disposition du Seigneur, elle ne s'aperçut pas de tout ce qui lui arriva, de sorte que son élection à la maternité divine lui fut encore cachée jusqu'au temps déterminé. Le Seigneur ne fit jamais tant de faveurs à aucune autre créature (1), et il ne manifesta
(1) Ps. CXLVII, 50.
531
la grandeur de son pouvoir envers aucune, comme il fit envers la très-pure Marie dans ce huitième jour. 93. Le Très-Haut, qui voulait faire éclater davantage sa magnificence, lui dit avec une bonté incomparable : « Ma chère Épouse et mon Élue, puisque vous vous êtes rendue si agréable à mes yeux, demandez-moi sans crainte ce que vous souhaitez; je vous assure, comme Dieu très-fidèle et comme Roi tout-puissant, que je ne rejetterai pas vos demandes et que je satisferai vos désirs. » Notre grande Princesse s'humilia profondément; et, rassurée par la promesse royale du Seigneur, elle lui répondit : « Mon Dieu, si j'ai trouvé grâce devant vos Yeux, je parlerai en votre divine présence, et je vous dirai tout ce que j'ai dans le coeur, quoique je ne sois que poudre et que cendre (1). » Sa divine Majesté lui donna de nouvelles assurances, et lui enjoignit de demander tout ce qu'elle voudrait en présence de tous les courtisans du ciel , quand même ce serait une partie de son royaume (2). « Je ne demande pas pour moi, mon divin Seigneur (répondit la très-sainte Vierge), une partie de votre royaume; mais je le demande tout entier pour tous les hommes, qui sont mes frères. Je vous demande, mon très-puissant Roi , de nous envoyer par votre miséricorde, infinie votre Fils unique, notre Rédempteur, afin, que satisfaisant pour tous les péchés au monde,
(1) Gen., XVIII, 3 et 27; Ps. LXI, 9. — (2) Esth., V, 3. 532
votre
peuple obtienne la liberté qu'il désire (1), que votre justice étant
satisfaite, la paix soit annoncée aux hommes qui sont sur la terre , et que
les portes du ciel qu'ils tenaient fermées par leurs péchés leur a soient
ouvertes. Ne tardez pas, Seigneur, de nous a faire voir notre Sauveur (2);
faites que la paix et la justice se donnent le doux embrassement et le à
baiser pacifique que David demandait (3); donnez nous un maître, un guide, un
restaurateur et un a chef (4), qui demeure et qui converse avec nous (5).
Faites, mon Dieu, que le jour de vos promesses a arrive, accomplissez vos
paroles et envoyez-nous notre Messie, qui est désiré depuis tant de
siècles. Voilà, Seigneur, ce qui cause tous mes soupirs, ce qui augmente
l'ardeur de mes prières et la confiance que j'ai en votre clémence infinie. »
94. Le Très-Haut, qui pour
se laisser gagner, inspirait et excitait les demandes de sa chère Épouse, les
exauça avec des marques d'une bonté singulière, et il lui répondit avec une
douceur inexprimable : « Vos prières sont agréables à ma volonté, et j'ai reçu
avec complaisances vos demandes : qu'il soit fait comme vous le demandez; je
veux, ma Fille et mon Épouse, ce que vous désirez; et en foi de cette vérité
je vous donne ma parole et vous promets que dans fort peu de temps mon Fils
unique descendra sur la terre, et se revêtira de la nature humaine,
(1)
Ezech., XXXIV, 28. — (2) Isa., LII, 10. — (3) Ps.
LXXXIV, 11. — (4) Isa.,
XXX, 20; LV, 4. — (6) Baruc., III, 3 38.
538
s'unissant avec cette même nature : ainsi vos pieux désirs seront accomplis. »
95. Notre grande Princesse
sentit intérieurement, à ce témoignage de la divine parole, une nouvelle
lumière et une pleine assurance qui la persuadaient que la longue nuit du
péché et, des lois anciennes allait finir, et que le nouveau jour, de la
rédemption du genre humain s'approchait. Et comme elle était si proche du
Soleil de justice qui s'avançait pour prendre notre chair dans son sein
virginal, elle, paraissait comme une très-belle aurore, resplendissante des
rayons de la Divinité qui la transformait toute en elle-même, et pleine de
sentiments d'amour et de reconnaissance pour le bienfait de la rédemption
prochaine, elle donnait de continuelles louanges au Seigneur en son nom et en
celui de tous les mortels. Elle employa tout le reste de ce jour en cette
sainte occupation, après que les mêmes anges l'eurent replacée sur la terre.
Je me plains toujours avec raison de mon ignorance et de ma faiblesse, qui me
mettent dans l'impossibilité de bien expliquer ces mystères si relevés; mais
si les esprits les plus éminents ne le pourront jamais faire entièrement,
comment y pourrais-je réussir, moi qui ne suis qu'une pauvre femme? Que la
lumière de la piété chrétienne supplée donc à mon ignorance, et que mon
obéissance excuse, ma témérité.
534
Instruction de la Reine du ciel.
96. Ma très-chère fille;
les ouvres admirables que le pouvoir divin opéra en moi dans ces mystères de
l’incarnation du verbe, sont si fort au-dessus de la sagesse mondaine, que la
chair, ni le sang, ni même les anges, ni les plus hauts séraphins ne les
peuvent pénétrer, si Dieu ne leur en donne une intelligence particulière,
n'étant pas capables d'eux-mêmes de connaître des mystères si profonds et si
au-delà de la grâce des autres créatures. Louez-en, ma chère amie, le
Seigneur, avec un ardent amour et avec une reconnaissance continuelle, et
commencez maintenant de considérer avec beaucoup d'attention la grandeur de
son divin amour et les grandes choses qu'il fait pour ses amis, dans le désir
de les relever de leur bassesse et de les enrichir de divers dons. Si vous
pénétrez bien cette vérité, elle vous rendra reconnaissante et vous portera à,
faire toujours ce qui sera le plus grand et le plus parfait, comme une fille
et une épouse très-fidèle.
97. Je veux bien vous
avertir; afin de vous animer davantage, que le Seigneur dit plusieurs fois ces
paroles à ses élues : Revertere, revertere, ut intueamur te (1), parce
qu'il se plaît si fort en tout ce qu'elles font, qu'il n'est point de père
parmi les mortels qui
(1) Cant., VI, 12.
535
reçoive tant de plaisir d'être avec son fils unique, et de. le voir accompli
de tous points, ni d'artisan de trouver l'ouvrage de ses mains dans sa
dernière perfection, ni de roi de se voir dans une ville forte et opulente
qu'il viendrait de conquérir, -ni d'ami de jouir de la présence de son estime.
Que le Très-Haut reçoit de satisfaction d'être avec ces âmes qu'il a choisies
pour ces délices ! car à mesure qu'elles s'avancent dans la perfection, les
faveurs et les complaisances du Seigneur croissent aussi. Que si les mortels
qui ont la lumière de la foi pénétraient cette vérité, ils ne s'abstiendraient
pas seulement de pécher pour cette seule complaisance du Très-Haut, mais ils
feraient de grandes oeuvres et ils sacrifieraient même leur vie pour le
service et pour l'amour de Celui qui est si libéral à récompenser, à caresser
et à favoriser ceux qui lui sont fidèles.
98. Lorsque le Seigneur me
dit ces paroles : Revertere, revertere (1), afin que je le regardasse,
et que les esprits célestes me vissent, je connus qu'il me les disait avec
tant de complaisance, que cette seule complaisance surpasse tout ce que sa
divine Majesté a trouvé et trouvera de plus agréable dans toutes les âmes qui
sont au plus haut degré de sainteté; je reçus dans cette occasion plus de
témoignages de son infinie bonté que tous les apôtres, les martyrs, les
confesseurs, les vierges, et que tous les autres saints ensemble. Et mon âme
fut comblée d'une effusion si
(1) Cant., VI, 12.
536
abondante de grâces et tellement enrichie des communications de la Divinité,
que vous ne le pouvez ni connaître ni expliquer parfaitement dans votre chair
mortelle. Mais je vous déclare ce mystérieux secret afin que vous en bénissiez
Celui qui en est l'auteur, et que vous tâchiez, sous ma protection, d'étendre
votre bras sur des choses fortes (1) pendant tout le temps que votre
bannissement de la patrie durera, et de vous rendre aussi agréable au Seigneur
qu'il le désire, en faisant toujours votre possible pour vous attirer ses
complaisances, en profitant de ses bienfaits et en les demandant pour vous et
pour votre prochain avec une parfaite charité.
CHAPITRE IX. Le Très-Haut fait de nouvelles faveurs à la très-sainte Vierge. —
Il la met de nouveau en possession de l'empire de toutes les créatures, et ce
fut la dernière disposition qu'elle reçut pour l'incarnation du Verbe.
99. Au dernier jour de la
neuvaine, pendant laquelle le Très Haut préparait et embellissait de plus en
plus-le tabernacle qu'il allait bientôt sanctifier par
(1) Prov., XXXI, 19.
537
sa
venue (1), sa divine Majesté détermina d'y renouveler ses merveilles et de lui
donner de nouvelles marques qui le devaient distinguer en redoublant toutes
les faveurs qu'elle avait faites jusqu'à ce jour à notre auguste Princesse.
Mais le Tout-Puissant opérait de telle sorte en elle, que. lorsqu'il tirait de
ses trésors infinis des choses anciennes, il y en ajoutait toujours plusieurs
nouvelles (2); et toutes ces merveilles sont renfermées et ce que Dieu devait
s'humilier jusqu'à se faire homme, et une femme devait être élevée jusqu'à
être sa propre Mère. Il ne pouvait arriver aucun changement en Dieu lorsqu'il
descendit si bas que de prendre un corps humain, parce qu'il eut bien le
pouvoir d'unir notre nature à sa personne sans rien perdre de son
immutabilité; mais pour faire qu'une femme qui avait un corps terrestre donnât
sa propre substance afin que Dieu s'y unit et se fit homme, il semblait qu'il
fallut nécessairement franchir un espace infini, et que cette femme fût aussi
distante des autres créatures qu'elle s'approchait davantage de Dieu.
100. Or, le jour arriva
auquel la très-sainte Vierge, dans cette disposition, devait se trouver aussi
proche de Dieu que d’être sa propre Mère. Dans cette nuit, à la même heure du
plus grand silence, elle ouït la voix du Seigneur qui l'appelait comme dans
les précédentes. La très-humble et très-prudente Reine, répondant à cette
voix, dit : « Me voici, Seigneur,
(1) Ps. XLV, 5. — (2) Matth., XIII, 52.
538
mon
coeur est préparé; faites de moi tout ce qu'il vous plaira. » Ensuite elle fut
ravie eu corps et en âme, comme les autres jours, par le ministère de ses
anges dans le ciel empyrée; et ayant été mise devant le trône royal du
Très-Haut, sa puissante Majesté l'éleva et la plaça à son côté, lui marquant
le siége et lieu quelle devait éternellement occuper en sa divine présence. Et
ce fut le plus haut et le plus proche de Dieu, excepté celui qui lui était
réservé pour l'humanité du Verbe , parce qu'il surpassait sans comparaison
celui de tous les bienheureux.
101. Ensuite elle vit de ce
saint lieu où elle fut placée la Divinité par une vision abstractive, comme
les autres fois; et sa propre dignité de Mère de Dieu lui étant toujours
cachée, sa divine Majesté lui manifesta des mystères si nouveaux et si
relevés, qu'il m'est impossible de les révéler à cause de leur profondeur et
de mon ignorance. Elle vit de nouveau dans la Divinité toutes les choses
créées, et plusieurs possibles et futures. Les choses matérielles lui furent
manifestées, Dieu les lui faisant connaître par des sensations physiques et
sensibles, comme si elles avaient toutes frappé ses organes extérieurs, et
comme si elle les eût aperçues dans la sphère de sa puissance visuelle par les
yeux du corps. Elle connut en général toute la fabrique de l'univers, qu'elle
n'avait connu auparavant que par ses parties; elle connut distinctement les
créatures qu'il contient, comme si elles se fussent présentées dans un
tableau. Elle vit toute leur harmonie, leur ordre, leur connexion,
539
la
dépendance qu'elles ont entre elles, et comme toutes ensemble sont soumises à
la volonté divine, qui les a créées, qui les gouverne, et les conserve chacune
en son lieu et en son être. Elle vit de nouveau tous les cieux, les étoilés,
les éléments, leurs habitants, le purgatoire, les limbes, l'enfer, et tous
ceux qui se trouvaient dans leurs abîmes. Et comme le lieu où la Reine des
créatures avait été placée était le plus éminent après celui de l'humanité du
Verbe, la science qu'elle reçut fut aussi la plus sublime, parce que n'étant
inférieure qu'à Dieu seul elle devait être supérieure à tout ce qui est créé.
102. Pendant que notre
auguste Princesse; était ravie en extase dans l'admiration de ce que le
Très-Haut lui manifestait, et qu'elle rendait pour tout cela le retour de
louange et de gloire qui était dit à un tel Seigneur, sa divine Majesté lui
dit : « Je n'ai créé, ma chère Fille, mon Élue et ma Colombe, toutes les
choses visibles que vous connaissez, et je ne les conserve par ma providence
dans une si agréable variété, qu'à cause de l'amour que je porte aux
hommes. Et je dois choisir et tirer d'entre toutes les âmes que j'ai créées
jusqu'à présent et que j'ai a déterminé de créer jusqu'à la fin, une assemblée
de fidèles, afin qu'ils soient séparés et lavés dans le sang de l'Agneau qui
ôtera les péchés du monde (1). Ceux-là seront le fruit spécial de la
rédemption qu'il doit opérer; ils jouiront de ses
(1) Apoc., VII, 14.
540
effets
par le moyen de la nouvelle loi de grâce et des sacrements que leur
Restaurateur y établira pour eux; et ensuite ceux qui persévéreront arriveront
à la participation de ma gloire et de mon amitié éternelle. Ma première
intention a été de créer pour ces élus tant de merveilleux ouvrages, et si
tous me voulaient servir, adorer et connaître mon saint nom, je créerais
volontiers pour tous et pour chacun en particulier tout autant de trésors que
je mettrais à leur disposition.
103. « Et quand je n'aurais
créé qu'une seule des créatures qui sont capables de ma grâce et de ma gloire,
je la ferais elle seule maîtresse de tout ce qui est créé, puisque tout cela
est moindre que de la faire participante de mon amitié et de ma félicité
éternelle. Pour vous, ma chère Épouse, vous êtes mon élue et vous avez trouvé
place dans mon coeur; ainsi je vous fais maîtresse de tous ces biens, et je
vous en donne la possession et le domaine, afin qu'étant Épouse fidèle, comme
je veux que vous le soyez, vous les dispensiez à ceux qui. me les demanderont
par votre intercession, car c'est pour cela que je les mets entre vos mains. » La
très-sainte Trinité lui mit une couronne sur la tête en la consacrant Reine et
Souveraine de tout ce qui est créé, et cette couronne était semée de chiures
rayonnants d'une lumière de gloire, qui disaient Mère de Dieu, sans qu'elle en
découvrit alors le sens mystérieux. Les esprits célestes en eurent pourtant
connaissance, et furent remplis d'admiration à la vue
541
de la
magnificence du Seigneur envers cette femme. bienheureuse, bénie entre toutes
ses compagnes, qu'ils reconnurent pour leur Reine et Maîtresse légitime aussi
bien que de tout l'univers.
104. La droite du
Tout-Puissant opérait toutes ces merveilles avec un très-bel ordre de son
infinie sagesse, parce qu'avant de descendre pour prendre chair humaine dans
le sein virginal de cette Daine, il était convenable que les courtisans de ce
grand Roi reconnussent sa bière pour leur Reine, et lui rendissent l'honneur
qui lui était dû. Il était aussi juste et conforme à l'ordre que Dieu la fit
premièrement Reine et ensuite bière du Prince des éternités; car celle qui
devait enfanter le Prince devait nécessairement être Reine et reconnue pour
telle de ses sujets; or il n'y avait nul inconvénient que les anges la
connussent, il ne fallait pas la leur cacher : au contraire, il seyait à la
majesté du Très-Haut que le tabernacle qu'il avait choisi pour sa demeure frit
prévenu et honoré de toutes les excellences de dignité, de perfection, de
grandeur et de magnificence dont il était capable, sans qu'il lui en manquât
aucune; et c'est pour ce sujet que les saints anges la reçurent et la
reconnurent pour leur Reine en lui rendant hommage.
105. Le Seigneur, voulant
mettre la dernière main à cet ouvrage merveilleux (je veux dire l'incomparable
Marie), étendit son puissant iras, et renouvela par lui-même l'esprit et lés
puissances de cette grande Dame , lui donnant des illustrations, des habitudes
et
542
des
qualités toutes nouvelles, dont les grandeurs et les particularités ne peuvent
être exprimées par nos termes. C'était le dernier coup de pinceau de cette
image inanimée de Dieu (1), pour modeler en elle et sur elle la forme dont le
Verbe éternel, qui est par essence l'image du Père éternel et la figure de sa
substance, devait se revêtir (2). De sorte que ce Temple, la sacrée Marie, se
trouva, bien mieux que celui de Salomon (3), tout revêtu dedans et dehors, du
très-pur or de la Divinité, sans qu'on y pat découvrir la moindre marque
terrestre de la paternité d'Adam. Elle fut toute déifiée par des traits et des
devises de la Divinité, parce que le Verbe qui devait sortir du sein du Père
éternel pour descendre dans celui de Marie, la préparé de telle sorte, qu'il y
trouva à son arrivée tout le rapport possible qui pouvait se rencontrer entre
la Mère et le Père.
106. Je n'ai point de
nouveaux termes pour expliquer comme je voudrais les effets que toutes ces
faveurs produisirent dans le coeur de notre grande Reine. Que si l’entendement
humain ne les peut concevoir, comment pourrons-nous les exprimer par nos
paroles ? Mais ce qui me cause plus d'admiration dans le lumière que j'ai
reçue touchant ces mystères si sublimes, est l’humilité de cette divine Dame,
et la sainte émulation qu'il y avait entre elle et le pouvoir divin c'était
une rare merveille et un miracle de l’humilité, que de voir cette très-sainte
fille élevée
(1) II Cor., IV, 4 . — (2) Hebr., I, 3. — (3) III Reg., VI, 30.
543
à la
plus haute dignité et à la suprême sainteté après Dieu, et de voir en même
temps qu'elle s'humiliât et s'anéantit jusqu'au-dessous de toutes les
créatures, et que cette humilité fût assez forte pour l'empêcher d'avoir la
moindre pensée qu'elle pût être la Mère du messie; et non-seulement cela, mais
il ne se trouva pas même en elle l'ombre de la plus petite présomption. Son
coeur et ses yeux ne s'élevèrent point (1) : au contraire, plus les oeuvres du
bras du Seigneur l'élevaient, plus elle s'humiliait dans les bas sentiments
d'elle-même. Aussi fut-il juste que le Tout-Puissant eût égard à son humilité,
et que toutes les nations l'appelassent bienheureuse (2).
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.
107. Ma fille, celle qui a
un amour intéressé et servile n'est pas une digne épouse du Très-Haut, parce
que l'épouse ne doit pas aimer ni craindre comme l'esclave, ni elle ne doit
pas non plus servir comme une mercenaire. Mais quoique son amour doive être
filial et généreux, ayant pour fin le bon plaisir et la bonté immense de son
Époux; néanmoins elle a beaucoup de sujet de se croire obligée de le servir,
lui qui se montre si riche et si libéral, quia créé
(1) Ps. CXXX, 1. — (2) Luc., I, 48.
.
544
tant
de sortes de biens visibles, à cause de l'amour qu'il porte aux âmes, afin que
tous soient utiles à ceux qui servent sa divine )Majesté, lui enfin qui
réserve tant de trésors cachés à ceux qui le craignent (1) et les leur
distribue avec une excessive abondance de douceur, comme aux disciples de
l'infaillible vérité. Je veux que vous vous reconnaissiez fort obligée à votre
Seigneur, à votre Père, à votre Époux et à votre ami, voyant combien il
enrichit les tunes, qui deviennent par sa grâce et ses filles et ses
bien-aimées : puisqu'il a préparé comme Père puissant tant de biens
inestimables pour ses enfants, et tous ces biens pour chacun en particulier,
s'il était nécessaire. Le peu d'amour que les hommes lui portent, et
l'ingratitude qu'ils témoignent, ne peuvent avoir aucune excuse parmi tant de
motifs qu'ils ont de l'aimer et parmi tant de bienfaits qu'ils en reçoivent.
108. Faites donc réflexion,
ma chère fille, que vous n'êtes point étrangère dans cette maison du Seigneur,
qui est sa sainte Église (1); mais que vous y êtes domestique, et épouse de
Jésus-Christ parmi les saints, entretenue par les faveurs et accoutumée aux
caresses de l'Époux. Et parce que tous les trésors et toutes les richesses qui
appartiennent à l'époux, appartiennent aussi à l'épouse légitime, considérez
de combien de trésors immenses il vous rend participante et maîtresse.
Jouissez-en donc comme domestique, c'est-à-dire comme étant chez vous; soyez
zélée
(1) Ps. XXX, 20. — (2) Ephes., II, 19.
545
pour
son honneur comme une fille et une épouse fervente; et reconnaissez toutes ses
oeuvres et tous ses bienfaits, comme si votre Seigneur ne les eût
créés que pour vous seule : aimez et honorez-le tant pour vous que pour
votre prochain, envers qui il a été si libéral. Tâchez aussi d'imiter en tout
cela, autant que vos faiblesses vous le permettront, ce que vous avez appris
que je faisais : et sachez, ma fille, qu'il me sera fort agréable que vous
exaltiez le Tout-Puissant par d'ardentes affections, pour toutes les faveurs
que sa droite me fit pendant cette neuvaine, qui furent au-delà de tout ce que
l'esprit humain peut concevoir.
CHAPITRE X. La très-sainte Trinité envoie l'archange Gabriel pour annoncer à
la très-pure Mère qu'elle était choisie pour être la Mère de Dieu.
109. Dieu avait déterminé
de toute éternité le moment opportun où le grand mystère de piété, justifié
dans l'esprit, prêché aux hommes, déclaré aux anges et cru dans le monde,
devait être manifesté dans la chair (1); mais il le tenait caché dans le sein
de sa
(1) I Tim., III, 16; Gal., IV, 4.
546
sagesse éternelle. Or la plénitude de ce temps arriva, qui était jusqu'alors
fort vide, quoique rempli de prophéties et de promesses, parce qu'il lui
manquait celle de la très-pure Marie, par la volonté et le consentement de
laquelle tous les siècles devaient recevoir leur perfection (1), qui était le
Verbe humanisé, passible et restaurateur. Ce mystère était prédestiné avant
tous les siècles, afin qu'il f fût réalisé par l'intermédiaire de notre divine
Vierge; et elle, se trouvant dans le monde, la rédemption du genre humain et
la venue du Fils unique du Père ne devaient point être différées, puisque Dieu
ne devait plus, pour ainsi dire, chercher pour sa demeure des tabernacles
empruntés, ou des maisons étrangères (2); mais demeurer dans son propre temple
construit et enrichi, au moyen de toutes les ressources qu'il lui avait
consacrées, bien mieux que le temple de Salomon ne le fut par les trésors que
son père David lui laissa à cet effet (3).
110. Le Très-Haut
détermina, dans cette plénitude de temps prédéfini, d'envoyer son Fils unique
su monde. Et confrontant, selon notre manière de concevoir et d'exprimer, les
décrets de son éternité avec les prophéties et les témoignages qu'il avait
donnés aux hommes dès le commencement des choses, et tout cela avec l'état et
la sainteté à laquelle il avait élevé la très-pure Marie, il jugea qu'il était
convenable pour la gloire de son saint nom que l'exécution de sa sainte
volonté et de ce décret éternel fût manifestée
(1) I
Cor., II, 7. — (2) II Reg., VII, 6. — (3) I Paralip , XXII, 5.
547
aux
anges bienheureux , et qu'elle commençât à paraître par leur ministère. Sa
divine Majesté fit entendre à l'archange Gabriel cette voix par laquelle elle.
signifie sa volonté aux anges. Et quoique l'ordre commun quelle tient pour
illuminer ses esprits célestes soit de commencer parles supérieurs, qui, selon
leur rang hiérarchique,éclairent les inférieurs jusqu'à ce que cette
illumination, en transmettant des uns aux autres ce que Dieu a révélé aux
premiers, soit arrivée aux derniers, les choses ne se passèrent point ainsi en
cette circonstance: car le saint archange reçut sa mission immédiatement du
Seigneur.
111. Gabriel, au pied du
trône et toujours attentif aux ordres de l'Être suprême et immuable, s'inclina
pour recueillir la manifestation de la divine volonté sa Majesté lui déclara
et lui prescrivit l'ambassade qu'il devait faire à l'auguste Marie, et les
paroles dont il devait se servir pour la saluer; de sorte que Dieu même en fut
le premier auteur; il les forma dans son entendement divin, de là elles
passèrent au saint archange, et de lui à la très-pure Marie. Le Seigneur
révéla dans cette occasion plusieurs autres mystères de l'incarnation à ce
prince céleste, et la très-sainte Trinité lui commanda d'aller annoncer à la
divine Fille qu'elle était élue entre toutes les femmes pour être la Mère du
Verbe éternel, et qu'elle le concevrait dans son sein virginal par (opération
du Saint-Esprit, en conservent intacte sa virginité, et tout le reste que le
messager céleste devait révéler à son auguste Reine et Maîtresse.
548
112. Ensuite sa divine
Majesté déclara à tous les autres anges, comme le temps de la rédemption du
genre humain était arrivé, et qu'elle se déterminait à descendre au monde sans
plus différer, puisqu'elle avait déjà disposé et orné la très-pure Marie pour
être sa Mère, lorsqu'en leur présence elle lui avait décerné cette suprême
dignité. Les divins esprits ouïrent la voix de leur Créateur et lui
chantèrent, pleins d'allégresse, des actions de grâces ineffables et de
nouveaux cantiques de louange pour l'accomplissement de son éternelle et
parfaite volonté, en y répétant toujours cet hymne de Sion : Saint, saint,
saint est le Seigneur Dieu des armées (1).« Vous êtes juste et puissant,
Seigneur notre Dieu, qui habitez les lieux les plus élevés, et qui regardez
les humbles de la terre (2). « Toutes vos couvres sont admirables, et vos
pensées très-relevées. »
113. Le prince saint
Gabriel, obéissant avec une joie particulière au commandement divin, descendit
de l'empyrée, accompagné de plusieurs milliers d'anges radieux. de beauté, qui
le suivaient sous une forme visible. Ce grand prince et ambassadeur céleste
ressemblait à un adolescent d'une grâce et d'une beauté extraordinaires : son
visage était tout rayonnant de gloire, son air majestueux, sa démarche grave,
ses paroles remplies de sagesse et d'éloquence; et toutes ses manières,
empreintes d'une modeste grandeur, représentaient plus de traits de la
Divinité qu'aucun des
(1) Isa., VI, 3. — (2) Ps. CXII, 5.
549
autres
anges que notre auguste Reine eût jusqu'alors vus sous cette forme. Il portait
un diadème d'une splendeur singulière; ses vêtements pompeux brillaient de
diverses couleurs d'un éclat admirable; il avait sur la poitrine une
très-belle croix comme émaillée, qui découvrait le mystère de (Incarnation
pour laquelle il était envoyé; et toutes ces circonstances attirèrent
davantage l'attention de cette très-prudente Reine.
114. Le divin ambassadeur,
suivi de cette cour céleste, descendit à Nazareth, ville de la province de
Galilée, où se trouvait la demeure de la très-sainte Vierge, qui était une
pauvre maison. Le lieu de sa retraite était une fort petite chambre, dépourvue
des ornements dont 1e monde se sert; elle en condamnait ainsi la vanité par le
mépris qu'elle en faisait, et suppléait à leur absence par de plus grands
biens spirituels. La divine Dame était alors âgée de quatorze ans six mois et
dix-sept jours; car elle avait eu quatorze ans révolus le huit septembre: les
six mois et dix-sept jours en sus se trouvaient depuis celui-là jusqu'à
celui-ci, auquel le plus grand des mystères que Dieu ait opérés dans le monde
fut exécuté.
115. Sa taille surpassait
la taille des autres filles de son âge; elle était fort agréable en sa
personne, très-bien proportionnée, d'une beauté et d'une perfection achevée :
elle avait le visage ovale; les traits en étaient fins et délicats; il n'était
ni trop plein ni trop maigre; le teint clair entant soit peu brun; le front
large et bien fait; les sourcils bien arqués et bien dessinés; les yeux grands
et modestes, d'une couleur entre le
550
noir
et le pers, d'un éclat incomparable, mais tempéré par le sourire de
l'innocence; le nez droit et régulier; la bouche petite, vermeille et
délicatement prise; enfin elle était si merveilleusement belle, et tellement
comblée de tous les dons de la nature, qu'il ne se rencontrera jamais aucune
créature qui puisse l'égaler. Ceux qui la regardaient étaient en même temps,
pénétrés de joie, de vénération, d'affection et de respect elle attirait leurs
cœurs, et elle les retenait dans une douce crainte révérentielle; elle les
forçait à la louer, et cependant la grandeur de ses grâces et de ses
perfections imposait le silence; et elle causait dans tous ceux qui avaient le
bonheur de la voir, de mystérieux effets qu'on ne peut facilement expliquer :
enfin elle remplissait et animait les rimes d'influences et de mouvements
célestes qui les conduisaient à Dieu.
116. Son habit était
modeste, pauvre et propre; `d'un gris argenté, ou plutôt cendré, mais fort
honnête. Lorsque l'ambassade du ciel s'approchait, Marie, ignorant qu'elle
frit déjà commencée, était plongée dans la sublime contemplation d'un mystère
due le Seigneur avait renouvelé en elle par cette multitude de faveurs qu'il
lui avait faites pendant les neuf jours précédents. Et le Seigneur lui-même
l'ayant assurée , comme nous avons dit, que son Fils unique ne tarderait pas
de descendre pour prendre chair humaine, elle était fervente et joyeuse en la
foi de cette divine parole, et redoublant ses humbles et ardentes affections,
elle disait intérieurement: « Est-il possible que l’heureux temps soit
arrivé où le Verbe du Père
551
éternel doit descendre pour naître et converser parmi les hommes (1)?
que le monde en ait la possession? que les mortels puissent le voir (2)? que
cette lumière inaccessible paraisse pour éclairer ceux qui sont plongés
dans les ténèbres. (3)? Oh! qui mériterait de le voir et de le connaître ! Oh!
qui pourrait baiser la terre que ses pieds adorables auraient
foulée!
117. « Que les cieux se réjouissent; que la terre se console, et que
les hommes bénissent et glorifient Dieu (4), puisque leur félicité éternelle,
s'approche. O enfants d'Adam affligés par le péché, mais pour tant ouvrages de
mon bien-aimé, vous lèverez bien tôt la tête, et secouerez le joug de votre
ancienne a servitude (5) ! Votre rédemption est proche; votre a salut viendra
bientôt. O pères anciens, prophètes et justes, qui espérez dans le sein
d'Abraham, qui a êtes détenus dans les limbes, vous allez recevoir votre
consolation! Votre désiré le Rédempteur pro mis ne tardera pas (6).
Exaltons-le tous, et chantons-lui des hymnes de louange. Oh! qui pourrait
être la servante de ses servantes! Oh! qui se rait l'esclave de celle qu'Isaïe
lui a. assignée pour Mère (7)! O Emmanuel, Dieu et homme véritable! a 0
Clef de David, qui devez ouvrir le ciel (8) ! O Sagesse éternelle! O
Législateur de la nouvelle Église,
(1) Baruch., III, 38. — (2) Isa., XL, 5. — (3)
Ibid., IX, 5. — (4) Ps. XCV, 11. — (5) Isa., XIV, 25. — (6) Aggae., II, 8.
— (7) Isa., VII, 14. — (8)
Ibid., XXII, 22.
552
venez,
venez, Seigneur! Approchez-vous de nous! Délivrez votre peuple de la
captivité, et que toute chair voie le salut (1). »
118. Lorsque saint Gabriel
arriva, la très-sainte Vierge était occupée à ces demandes, à ces affections,
et ravie dans des transports divins que je ne saurais expliquer. Elle était
très-pure en son âme, très-parfaite en son corps, très-noble dans ses pensées,
très-éminente en sainteté, remplie de grâces, si divinisée et si agréable aux
yeux de Dieu, qu'elle put bien être sa digne Mère, et l'instrument efficace
pour le faire sortir du sein du Père, et l'attirer dans le sien. Elle fut le
puissant moyen de notre rédemption, et nous lui en sommes redevables à bien
des titres; et c'est pour ce sujet qu'elle mérite que toutes les nations la
bénissent et la louent éternellement (2). Je dirai dans le chapitre suivant ce
qui arriva à l'entrée de l'ambassadeur céleste.
119. Je toucherai seulement
ici une chose digne d'admiration, et c'est que pour l'accomplissement d'un si
haut ministère, que le saint archange devait lui annoncer, et qui devait
s'opérer en elle, sa divine b1ajesté la laissa dans l'état commun des vertus
dont nous avons parlé dans la première partie. Le Très-Haut le disposa de la
sorte, parce que ce mystère devait être opéré comme un sacrement de foi, et
les opérations de cette vertu, aussi bien que celles d'espérance et de
charité, devaient s y rencontrer : ainsi le
(1) Isa., XL, 5. — (2) Luc., I, 48.
553
Seigneur la laissa dans ces opérations, afin qu'elle crût et espéra en ses
divines promesses. Et ces actes ayant précédé, il arriva ce que je dirai
bientôt, selon que la faiblesse de mes termes et la grandeur des mystères qui
augmentent mon impuissance, me le permettront.
Instruction de la Reine du ciel.
120. Ma fille, je vous
déclare maintenant avec une affection singulière ma volonté, et le désir que
j'ai de vous voir travailler à vous rendre digne de la conversation intime et
familière avec Dieu; vous devez vous y disposer avec un grand soin, en
pleurant vos péchés, et en renonçant à tout ce qui est visible, et de telle
sorte que vous n'occupiez vos pensées qu'en Dieu seul. Pour y réussir, il faut
que vous mettiez en pratique tout ce que je vous ai enseigné jusqu'à présent
et quant à ce que vous aurez à écrire dans la suite, je vous le dicterai. Je
vous montrerai comme vous devez vous conduire dans cette familiarité et dans
les faveurs fréquentes que vous recevrez de la bonté de Dieu, en le concevant
dans votre coeur par la foi, par la lumière et par la grâce qu'il vous
donnera. Que si vous ne vous disposez premièrement en suivant cet avis, vous
n'obtiendrez jamais l'accomplissement de
554
vos
désirs, ni moi le fruit des leçons que je vous donne comme votre maîtresse:
121. Or, puisque vous avez
trouvé sans l'avoir mérité le trésor caché et la précieuse perle de ma
doctrine (1), vous devez mépriser tout ce que vous pouvez avoir pour vous
acquérir ce seul gage d'un prix inestimable; avec lui vous recevrez tous les
biens (2), et vous vous rendrez digne de l'amitié intime du Seigneur et de son
habitation éternelle dans votre coeur. En échange de ce grand bonheur, je veux
que vous mouriez à tout ce qui est terrestre, que vous offriez votre volonté
pleine de sentiments d'un amour reconnaissant, et qu'à mon exemple vous soyez
si humble, que de votre côté vous soyez persuadée que vous ne valez rien, que
vous êtes dans la dernière des impuissantes, que vous n'avez aucun mérite, et
que vous n'êtes pas même digne d'être reçue pour esclave des servantes de
Jésus-Christ.
122. Considérez combien
j'étais éloignée de me croire élevée à la dignité de Mère de Dieu, à laquelle
son infinie bonté me destinait; c'était pourtant après qu'il m'avait promis
qu'il ne tarderait pas de venir au monde, m'obligeant à le désirer avec tant
d'ardeur, que le jour avant l'exécution de ce merveilleux mystère, je serais
sans doute morte dans ces amoureux transports, si la Providence divine ne
m'eût fortifiée. J'étais remplie de consolation dans l'assurance où j'étais
que le Fils unique du Père éternel descendrait
(1) Matth., XIII, 44 et 45. — (2) Sap., VII, 11
555
bientôt du ciel; et d'un autre côté mon humilité me faisait croire que, me
trouvant dans le monde, je pourrais bien retarder sa venue. Pénétrez donc, ma
très-chère fille, le secret mystérieux de mon coeur, voyez quel exemple est
celui-là pour vous et pour tous les mortels! Et parce qu'il est difficile que
vous receviez et écriviez une sagesse si sublime, regardez-moi en Dieu, où
vous méditerez et découvrirez par le secours de sa lumière mes très-parfaites
actions : suivez-moi en m'imitant et en marchant sur mes traces.
CHAPITRE XI. La très-pure Marie reçoit l'ambassade du saint archange. — Le
mystère de l'Incarnation s'accomplit, elle conçoit le Verbe éternel dans son
sein virginal.
123. Je veux confesser, en
présence du ciel, de la terre, de leurs habitants et du Créateur universel,
notre Dieu éternel, qu'au moment où je prends la plume pour décrire le profond
mystère de l'Incarnation, je sens mon peu de force défaillir, ma langue se
paralyser, mes discours se glacer, mes facultés s'évanouir; je me trouve tout
interdite, et je ne sais plus que tourner mon intelligence éperdue du côté de
la divine lumière qui me dirige et qui m'éclaire. A ses
558
rayons
on tonnait toutes choses sans illusion, on les découvre sans détours, et je
vois mon insuffisance, je reconnais l'impossibilité d'exprimer par de faibles
paroles et par des phrases creuses ce que je puis concevoir d'un mystère qui
renferme en abrégé Dieu même et la plus grande merveille de sa
toute-puissance. Je vois dans ce mystère l'harmonie admirable de la providence
et de la sagesse infinie avec laquelle le Seigneur l'a conduit de toute
éternité et dès la création du. monde, afin que toutes ses oeuvres et ses
créatures fussent comme un moyen adapté à la très-haute fin qu'il avait de
descendre dans le monde pour s'y faire homme.
l24. Je vois comment le
Verbe éternel attendit pour descendre du sein de son Père, et choisit comme le
temps et l'heure la plus propre, le silence de la pleine nuit (1), qui
figurait l'ignorance des mortels, lorsque la postérité d'Adam était ensevelie
dans le profond sommeil de l'oubli et dans la funeste méconnaissance de son
Dieu, sans qu'il y eût personne qui ouvrit la bouche pour le confesser et le
bénir (2). A l'exception de quelques rares fidèles de son peuple, tout le
reste du monde se taisait au fond de ses ténèbres, qu'avait accumulées une
longue nuit de près de cinq mille deux cents ans sur les siècles et les
peuples se succédant les uns aux autres, chacun à l'époque fixée d'avance et
déterminée par la sagesse éternelle, afin que tous puissent rencontrer et
reconnaître
(1) Sap., XVIII, 14. — (2) Rom., I, 18,
557
ce
Créateur qui se manifestait sans cesse, en leur donnant la vie, l’être et le
mouvement (1). Mais comme le jour de la lumière inaccessible n'était point
encore arrivé, ils marchaient comme des aveugles, touchant les créatures sans
y apercevoir la Divinité et sans la connaître; et dans cet aveuglement ils
l'attribuaient à des choses sensibles et même à ce que la terre a de plus vil
(2).
125. Or, le jour fortuné
luisit où le Très-Haut, méprisant les longs siècles d'une si lourde ignorance,
détermina de se manifester aux hommes (3) et de commencer leur rédemption , en
prenant leur nature dans le sein de la très-pure Marie, préparée, comme nous
l'avons dit, à l'accomplissement de ce mystère. Et pour mieux expliquer ce qui
m'en est découvert, il faut que je parle auparavant de quelques mystères qui
arrivèrent au moment où le Verbe allait descendre du sein du Père éternel. Je
présuppose que, bien qu'il y ait une distinction personnelle entre les trois
personnes divines, comme la foi nous l'enseigne, il n'y a pourtant aucune
inégalité dans la sagesse, dans la toute-puissance, ni dans les autres
attributs, pas plus qu'il ne saurait y en avoir dans la substance de la nature
divine; et comme elles sont égales en dignité et en perfection infinie, elles
le sont aussi dans les opérations qu'on appelle du dehors, parce qu'elles
aboutissent, hors de Dieu, à la production extérieure d'une créature ou d'une
chose temporelle quelconque.
(1) Act., XVII, 27 et 28. — (2)
558
Ces
opérations sont indivisibles entre les personnes divines; parce que ce n'est
pas une seule qui les fait, mais toutes trois, en tant qu'elles sont un même
Dieu et qu'elles ont une même sagesse, un même entendement et une même
volonté; et comme le Fils fait, veut et opère ce que le Père fait et veut,
tout de même le Saint-Esprit fait, veut et opère les mêmes choses que le Père
et le Fils.
126. Toutes les trois
personnes exécutèrent et opérèrent avec cette indivisibilité d'une même action
l'œuvre de l'Incarnation, quoique la seule personne du Verbe reçût en soi la
nature de l'homme, l'unissant hypostatiquement à elle-même; et c'est pour cela
que nous disons que le Fils fut envoyé par le Père éternel, de l'entendement
duquel il procède, et que le Père l'a envoyé par l'opération du Saint-Esprit,
qui intervint dans cette mission. Or, comme la personne du Fils était celle
qui venait s'humaniser, avant que dé descendre des cieux, sans sortir du sein
du Père, il fit dans le divin consistoire, au nom de la même humanité dont il
devait revêtir sa personne, une proposition et une demande par lesquelles il
représenta ses mérites futurs, afin qu'en considération desdits mérites toute
la race humaine obtint sa rédemption et le pardon des péchés pour lesquels il
avait à satisfaire la justice divine. Il demanda le fiat de la volonté
du Père qui l'envoyait, pour accepter ce rachat en considération de ses
oeuvres, de sa très-sainte passion, et des mystères qu'il voulait opérer dans
la nouvelle Église et dans la loi de grâce.
559
127. Le Père éternel
accepta cette demande et les mérites prévus du Verbe, et lui accorda tout ce
qui il proposa et tout ce qu'il demanda pour les mortels. Il lui recommanda
aussi ses élus et ses prédestinés comme son héritage, et c'est pour ce sujet
que notre Seigneur Jésus-Christ dit par l'organe. de saint Jean, qu'il ne
perdit aucun de ceux que son Père lui donna (1), parce qu'il les conserva
tous, excepté le fils de perdition, qui fut Judas (2). Et une autre fois il
dit. Que personne ne ravirait de sa main, ni de celles de son Père, aucune de
ses brebis (3). Il en serait de même pour tous les hommes, si la rédemption,
qui fut suffisante pour tous, se trouvait par leur correspondance efficace
pour tous et en tous; puisque sa divine miséricorde n'en a exclu aucun, pourvu
que tous la reçussent par le moi en de leur Restaurateur.
128. Tout cela eut lieu,
selon notre manière de concevoir, dans le ciel, au trône de la très- sainte
Trinité, avant le fiat de la très-pure Marie, dont je vais bientôt
parler. Au moment de la descente du Fils unique du Père dans son sein
virginal, les cieux et toutes les créatures s'émurent; et les trois personnes
divines, par suite de leur union inséparable, descendirent toutes avec le
Verbe, qui seul devait s'incarner. Tous les membres de la milice céleste
sortirent avec le Seigneur Dieu des armées, remplis d'une force invincible et
d'une splendeur admirable. Et bien qu'il ne fait pas nécessaire de débarrasser
le chemin, parce que la
(1) Joan., XVIII, 9. — (2) Ibid., XXVII, 12. — (3) Ibid., X, 28.
560
Divinité pénètre toutes choses, qu'elle occupe tous les espaces et que rien ne
la saurait arrêter, néanmoins les lieux matériels, pour témoigner à leur
Créateur leur profond respect, s'ouvrirent tous aussi bien que les éléments
qui leur sont inférieurs; les étoiles augmentèrent et renouvelèrent leur
lumière, la lune, le soleil et les autres planètes avancèrent leur cours pour
rendre hommage à leur Seigneur, et pour assister à la plus grande de ses
merveilles.
129. Les mortels ne
connurent point cette émotion ni ce renouvellement de toutes les créatures,
tant parce que la chose arriva de nuit, que parce que le même Seigneur voulut
qu'elle fût seulement manifestée aux anges, qui, initiés à des mystères aussi
sublimes que vénérables, le louèrent avec un surcroît d'admiration: car ces
mystères cachés aux hommes, encore éloignés de ces merveilles et de ces
bienfaits, ravissaient les esprits célestes, auxquels alors il était seulement
enjoint d'en bénir et glorifier l'auteur. Le Très-Haut fit naître pourtant au
même moment dans le coeur de quelques justes une impression de joie
extraordinaire et inaccoutumée , et ils en furent si doucement frappés, qu'ils
y donnèrent tous une attention toute particulière. Ils conçurent du Seigneur
des pensées plus grandes que jamais; plusieurs furent instinctivement portés à
attribuer ce qu'ils ressentaient d'insolite à la venue du Messie , qui devait
racheter le monde; mais ils tinrent tous la chose secrète, parce que, par une
disposition expresse de la puissance divine, chacun croyait en être le seul
favorisé.
561
130. Les autres créatures
eurent aussi part à ce renouvellement. Les oiseaux redoublèrent leur chant,.
les plantes augmentèrent leur odeur, et les arbres leurs fruits ; enfin toutes
les créatures ressentirent en elles quelque changement favorable. Mais ceux
qui éprouvèrent la joie la plus vive furent les saints pères et les justes,
habitant les limbes , où l'archange saint Michel fut envoyé pour leur donner
des nouvelles si agréables, qui furent pour eux un grand sujet de consolation.
Il n'y eut que l'Enfer qui en fut affligé et qui en ressentit de nouvelles
douleurs; parce qu'à la descente du Verbe éternel, les démons sentirent une
force impétueuse du pouvoir divin qui les surprit, comme les flots d'une mer
irritée, et qui les renversa tous dans, le plus profond des ténébreux abîmes
sans qu'ils y pussent résister. Il est vrai que y par la permission divine,
ils revinrent sur la terre , où ils firent toutes leurs diligences pour
trouver la cause de ce qui venait de leur arriver; mais ils ne purent pas la
découvrir, malgré les conférences qu'ils tinrent pour résoudre le cas, parce
que le pouvoir divin leur cacha le mystère de l'Incarnation, comme il arriva
encore lorsque la très sainte Vierge conçut le Verbe humanisé, ainsi que nous
le verrons dans, la suite; car ils ne surent que Jésus-Christ était
véritablement Dieu et homme, qu'au moment de sa mort, comme je le dirai en son
lieu.
131. Le Très-Haut voulant
réaliser ce mystère. l'archange Gabriel, accompagné d'une multitude
innombrable d'anges ayant tous une forme humaine
562
d'un
éclat et d'une beauté incomparables à proportion de leur élévation entra sous
les traits que j'ai dépeints au chapitre précédent, dans la petite chambré où
la très-pure Marie était en prière; c'était un jeudi, à sept heures du soir et
à l'entrée de la nuit. La Princesse da ciel l'apercevant le regarda avec une
modestie et avec une retenue admirable , et ce ne fut qu'autant qu'il fallait
pour reconnaître en lui l'ange du Seigneur. Elle ne l'eut pas plutôt reconnu,
qu'elle voulut avec son humilité ordinaire se prosterner. à ses Pieds, mais le
saint ambassadeur ne le voulut pas permettre, au contraire il lui fit lui-même
une profonde révérence comme à sa Reine et Maîtresse, en laquelle il. adorait
les divins mystères de son Créateur; il savait d'ailleurs que dès ce jour-là
les anciennes coutumes que les hommes avaient d'adorer les anges comme Abraham
le fit (1), étaient, changées ; parce que la nature humaine étant élevée à la
dignité de Dieu en la personne du Verbe, les hommes étaient en même temps
adoptés pour ses enfants et pour compagnons, ou frères des mêmes anges, comme
celui qui ne voulut pas recevoir l’adoration de l'évangéliste saint Jean, le
lui dit (2).
132. Le saint archange
salua notre Reine et la sienne; et il lui dit : Ave, gratia plena, Dominus
tecum, benedicta tu in mulieribus (3). La plus humble des créatures,
entendant cette nouvelle salutation de l’ange, fut troublée, sans perdre la
tranquillité de son âme.
(1) Gen., XXVIII, 2. — (2) Apoc., XIX, 10. — (3) Luc., I, 28 et 29
563
Ce
trouble eut deux principes en notre auguste Princesse : l'un fut sa
très-profonde humilité par laquelle elle se croyait la dernière de toutes les
créatures; et s'étant ouïe saluer et appeler bénie entre toutes les femmes,
tandis qu'elle nourrissait de si bas sentiments d'elle-même, cela lui parut
tout à fait étrange. Le second principe fut, que pendant qu'elle recevait ta
salutation et qu'elle la considérait dans son coeur, le Seigneur lui fit
connaître qu'il la choisissait pour être sa Mère, et cela la troubla beaucoup
plus, parce qu'elle était fort éloignée de cette pensée. Alors l'ange la
voyant dans ce trouble, poursuivit son discours, et lui déclara l'ordre du
Seigneur, en ces termes: Marie, ne craignez point, parce que vous avez
trouvé grâce devant Dieu. Je vous déclaré que vous concevrez dam votre sein.
et que vous enfanterez un fils que vous nommerez Jésus. Il sera grand, et sera
appelé le Fils du Très-Haut (1); et le reste que le saint archange acheva.
133. il ne se trouva parmi
les pures créatures gîte notre très-prudente et très-humble Reine qui pût
dûment estimer et pénétrer un mystère si nouveau et si surprenant, et c'est
parce qu'elle en apprécia toutes les grandeurs qu'elle en fut ravie et
troublée. Mais dans ce trouble elle tourna son humble coeur vers le Seigneur,
qui ne pouvait pas lui refuser ses demandes, et elle lui demanda du plus
profond de son aime une nouvelle lumière et un secours particulier pour se
conduire selon son bon plaisir dans une affaire
(1) Luc., I, 30, 31 et 32.
565
d'une
si grande importance; parce que, comme j'ai dit dans le chapitre précédent, le
Très-Haut la laissa pour opérer ce mystère dans l'état commun de la foi, de
l'espérance et de la charité, lui suspendant les autres sortes de faveurs
intérieures auxquelles d'ordinaire elle était élevée. Dans cette disposition
elle repartit à saint Gabriel ce que saint Luc rapporte : Comment cela se
fera-t-il, car je ne connais point mon mari (1)? En même temps, elle
représentait en elle-même au Seigneur le. voeu de chasteté qu'elle avait fait,
et les épousailles que sa divine Majesté avait contractées avec elle.
134. L'ambassadeur céleste
lui répondit : « Noble Dame, il est facile au pouvoir divin de vous rendre
mère sans que vous connaissiez aucun homme ; le Saint-Esprit surviendra en
vous par sa présence, il s'y trouvera d'une manière nouvelle, et la vertu
du Très-Haut vous couvrira de son ombre (2) , afin que le Saint des saints,
qui sera appelé le Fils de Dieu, puisse naître devons. Je vous déclare aussi
que votre cousine Élisabeth a conçu un fils dans sa
vieillesse, et que celle qu'on appelle stérile est présentement dans le
sixième mois de sa grossesse (3) , car rien n'est impossible à Dieu; et Celui
qui peut faire concevoir et enfanter une stérile, peut bien, illustre
Dame, faire que vous deveniez sa Mère, tout en ne cessant point d'être vierge,
et en marquant au contraire votre pureté d'un sceau plus
(1) Luc., I, 34. — (2) Ibid., 35. — (3) Ibid., 36.
565
inviolable.
Dieu donnera au Fils que
vous enfanterez le trône de David, son père, et il régnera à ja mais dans la
maison de Jacob (1). Vous n'ignorez pas la prophétie d'Isaïe, qui dit qu'une
vierge concevra et enfantera un fils qui sera appelé Emmanuel, c'est-à-dire
Dieu avec nous (2). Cette prophétie est infaillible, et elle
doit être accomplie en votre personne. Vous savez aussi le grand mystère du
buisson ardent que Moïse vit brûler sans qu'il fût consumé ni endommagé par le
feu (3), pour signifier le rapprochement des deux natures divine et
humaine, a sans que la seconde soit consumée par la première; et pour
montrer que la Mère du Messie le concevra et l'enfantera sans le moindre
préjudice de son intégrité virginale. Souvenez-vous aussi, grande Dame, de la
promesse que notre Dieu éternel fit au patriarche Abraham, qu'après la
servitude de sa postérité en Égypte, ses descendants retourneraient en
ce pays à la quatrième génération (4). Le mystère de cette promesse
était que Dieu humanisé rachèterait alors par votre moyen tous les enfants
d'Adam de l'oppression du démon. Et cette échelle que Jacob vit en songe (5)
fut une figure expresse a du chemin royal que le Verbe incarné ouvrirait,
afin que les mortels montassent au ciel et que les anges descendissent sur la
terre, où le Fils unique du Père descendrait pour y converser avec les
hommes, et leur communiquer les trésors de sa
(1)
Luc., I, 32. — (2) Isa., VII, 14. — (3) Exod., III, 2. — (4) Gen., XV, 16. —
(5) Gen., XXVIII, 12.
566
divinité par la participation des vertus et des perfections qui se trouvent en
son être immuable, et éternel. »
135. Le saint archange
informa la très-pure Marie par ces raisons et par plusieurs autres , dissipant
par l'autorité des anciennes promesses et des prophéties de l'Écriture le
trouble que son ambassade lui avait causé, aussi bien que par la foi et par la
connaissance qu'elle avait, de toutes ces choses et du pouvoir infini du
Très-Haut. Mais comme notre auguste Reine surpassait les anges même en
sagesse, en prudence et en sainteté , elle différait sa réponse pour la donner
avec autant de solidité qu'elle la donna, parce qu'elle fut telle que
l'exigeait le plus grand des prodiges de la puissance divine. Cette dame
considéra avec beaucoup de réflexion, que de sa réponse dépendaient le
dégagement de la parole de la très-sainte Trinité, l'accomplissement de ses
promesses et de ses prophéties, l'oblation du plus agréable sacrifice qui lui
eût été encore offert, l'ouverture des portes du paradis, la victoire et le
triomphe sur l'enfer, la rédemption de tout le genre humain, la satisfaction
de la justice divine, l'établissement de la nouvelle loi de grâce, la gloire
des hommes, la joie des anges; et tout ce qui est renfermé dans l'incarnation
du Fils unique du Père, et qui se trouve caché sous cette adorable forme de
serviteur qu'il devait prendre dans le sein virginal de Marie (1).
(1) Phil., II, 7.
567
136. C'est à la vérité une
merveille bien grande et bien digne de notre admiration que le Très-Haut
laissât entre les mains d'une jeune femme tous ces mystères et tant d'autres
qui s'y trouvent renfermés, et que le tout dépendit de son flat. Mais aussi ce
fut avec beaucoup de sûreté qu'il s'en rapporta à la sagesse et à la
discrétion de cette femme forte et sublime, qui, après avoir médité ce que
Dieu lui proposait, ne trompa point la confiance qu'il avait mise en elle (1).
Aux opérations qui ont lieu au dedans de Dieu, la coopération des créatures
est inutile, et Dieu ne l'attend pas pour opérer au dedans de lui-même; mais
il en est autrement des œuvres contingentes du dehors, et comme son
incarnation fut la plus grande et la plus excellente de toutes, il ne voulut
pas l'exécuter sans la coopération et sens le consentement de la très-pure
Marie, afin de donner par son moyen cette perfection à toutes les autres, et
afin que nous fussions obligés de ce bienfait à la Mère de la sagesse et à
notre Restauratrice.
137. Cette auguste Dame
considéra et parcourut attentivement le champ immense de la dignité de Mère de
Dieu, qu'il s'agissait d'acheter par un fiat; elle fut revêtue d'une
force plus qu'humaine, elle goûta et elle vit que le commerce de la Divinité
était. bon. Elle connut les voies de ses bienfaits cachés, elle s'orna de
force et de beauté (2). Et lorsqu'elle eut conféré avec elle-même et avec
l'ambassadeur céleste
(1) Prov., XXXI, 11. — (2) Ibid., 16, 17 et 18.
568
sur la
grandeur de .mystères si hauts et si divins, lorsqu'elle fut bien pénétrée de
l'objet de l'ambassade qu'elle recevait, son très-pur esprit fut ravi et
absorbé dans l'admiration , dans le respect et dans un très-ardent amour de
Dieu. A la suite de ces mouvements si vifs et de ces affections si véhémentes,
et comme par leur effet naturel, son très-chaste coeur fut comme étreint et
pressé par une force qui lui fit distiller trois gouttes de son très-pur sang
dans son sein virginal, où le corps de notre Seigneur Jésus-Christ fut conçu
et formé d'elles par l'opération et par la vertu du Saint-Esprit , de sorte
que le coeur de la très-pure Marie a réellement et véritablement fourni, à
force d'amour, la matière dont la très-sainte humanité du Verbe fut formée
pour notre rédemption. Et tout cela arriva su moment où elle prononçait avec
une humilité ineffable (ayant la tête un peu inclinée et les mains jointes)
ces paroles qui furent le commencement de notre réparation : Ecce ancilla
Domini, fiat mihi secundum verbum tuum (1).
138. Ce fiat, si
doux aux oreilles de Dieu et si favorable pour nous, ayant été prononcé,
quatre choses furent opérées dans un instant. La première fut le très-saint
corps de notre Seigneur Jésus-Christ, qui fut formé de ces trois gouttes de
sang que le coeur de la sacrée Vierge fournit. La seconde fut la création de
la très-sainte âme du même Seigneur, car elle fut aussi créée. La troisième
fut l'union
(1) Luc., I, 38
569
de
l'âme et du corps du Sauveur, union qui donna a son humanité toute la
perfection dont elle était capable. Enfin la quatrième fut l'union
hypostatique de la Divinité en la personne du Verbe avec l'humanité, qui par
cette union devint le suppôt de l'incarnation ; de sorte que Jésus-Christ fut
formé Dieu et homme véritable, pour être notre Seigneur et notre Rédempteur.
Cette merveille arriva un vendredi , vingt-cinquième de mars, à la pointe du
jour, dans l'année dé la création du monde 5199, selon que l'Église romaine,
inspirée par le Saint-Esprit, le raconte dans le Martyrologe, et à la môme
heure que notre père Adam fut formé. Cette supputation est la véritable, et
c'est ce qui m'a été déclaré, l'ayant demandé par ordre de l'obéissance.
Conformément à cela, le monde fut créé dans le mois de mars , qui répond au
commencement de la création; et parce que les oeuvres du Très-Haut sont toutes
parfaites et achevées (1), les plantes et les arbres sortirent de la main de
sa divine Majesté avec leurs fruits, et ils ne les eussent jamais perdus si le
péché n'eût altéré et corrompu toute la nature, comme je le dirai, s'il plait
à Dieu, dans un autre traité; et je ne le dis pas présentement parce qu'il
n'est pas nécessaire à celui-ci.
139. Dans le même instant
que le Tout-Puissant célébra les épousailles de l'union hypostatique dans le
sein de la très-sainte Vierge, elle fut élevée à la vision béatifique où la
Divinité lui fut manifestée intuitivement,
(1) Deut., XXXII, 4
570
et
elle y connut de très-hauts mystères dont je parlerai dans le chapitre qui
suit. Elle y découvrit notamment le sens secret des chiffres, qui se
trouvaient dans l'ornement qu'elle reçut, et dont j'ai parlé au chapitre
septième, et elle eut aussi connaissance de ceux que les anges portaient. Le
divin Enfant croissait dans ce lieu sacré par, l'aliment, par la substance et
par le sang de sa très-sainte Mère, ainsi que les autres le font, quoiqu'il
fut exempt de plusieurs choses que les enfants d'Adam souffrent dans cet état,
la Reine du ciel n'ayant pas été sujette à de certains accidents qui ne Font
pas essentiels à la génération, mais inhérents au péché, puisque cette
nourriture que les autres mères descendantes d'Ève fournissent à leurs enfants
avec des imperfections qui leur sont naturelles et communes, la très-sainte
Vierge la fournissait au sien en exerçant des actes héroïques de toutes les
vertus, et singulièrement de la charité. Et comme les opérations ferventes et
les affections amoureuses de l'âme émeuvent le sang et les humeurs, par cette
émotion la divine Providence communiquait à ce divin Enfant l'aliment naturel
dont son humanité avait besoin pour se nourrir, pendant que sa divinité se
récréait par la complaisance qu'elle prenait dans L'exercice des vertus
héroïques de sa Mère. De sorte que la sacrée Vierge fournit au Saint-Esprit,
pour la formation du corps, un sang pur et limpide, comme étant conçue sans
péché et exempte de ses suites. Et bien loin de donner à son divin Enfant un
sang impur et imparfait, comme les autres mères le donnent aux aux
571
leurs,
elle lui donnait. le plus pur, le plus substantiel et le plus délicat, parce
qu'elle le lui communiquait à force d'affections d'amour et des autres
vertus., Comme elle savait qu'elle devait partager la nourri, turc qu'elle
prenait avec le Fils de Dieu et le sien elle la prenait toujours avec des
dispositions si saintes; que les esprits célestes étaient ravis en admiration
de voir en des actions si communes tant de mérites pour elle et tant de sujets
de complaisance pour le Seigneur.
140. Cette divine Dame fût
mise en possession de la dignité de Mère de Dieu avec des privilèges si
éminents, que tout ce que j'ai dit jusqu'à présent, et que je dirai dans la
suite, est fort au-dessous de leur excellence; il ne m'est pas possible de les
expliquer, parce que l'entendement humain ne les saurait dûment concevoir, et
les plus doctes même ne trouveront pas des termes assez justes pour exprimer
ce qu'ils eu pourront découvrir. Les humbles, qui sont expérimentés en l'amour
divin, en connaîtront quelque chose par la lumière infuse et par un certain
goût intérieur qui fait pénétrer le secret de pareils mystères. L'auguste
Marie ayant été élevée si haut et si ennoblie par cette nouvelle et
merveilleuse assistance de la Divinité dans son sein virginal, ne devint pas
seulement le ciel, le temple et la demeure de la très-sainte Trinité, mais
cette pauvre, maison et ce petit oratoire furent aussi consacrés pour servir
de nouveau sanctuaire au Seigneur. Les esprits angéliques qui y assistaient
comme témoins de ce prodige, exaltaient
572
le
Tout-Puissant avec une joie indicible; ils le bénissaient en la compagnie de
cette très-heureuse Mère par de nouveaux cantiques de louange, et ils lui
rendaient de continuelles actions de grâces en son nom et en celui du genre
humain , qui ignorait le plus grand de ses bienfaits et les plus tendres
marques de ses miséricordes.
Instruction de la Mère de Dieu.
141. Ma fille, je vous vois
dans l'admiration, et c'est avec raison, puisque vous venez d'apprendre par
une nouvelle révélation le mystère dans lequel vous découvrez que la Divinité
s'est humiliée jusqu'à s'unir avec la nature humaine dans le sein d'une pauvre
fille comme j'étais. Je veux dore, ma très-chère, que vous employiez votre
plus forte attention à considérer que Dieu ne s'abaissa pas de la sorte pour
moi seule, mais qu'il le fit aussi bien pour vous que pour moi (1). Le
Seigneur, est infini en miséricorde , et son amour n'a point de bornes; il
prend un aussi grand soin d'une seule âme qui le reçoit, il se plait autant
avec elle, que s'il n'en eût point créé d'autres; et qu'il ne se fût fait
homme que pour elle seule. C'est pourquoi vous devez vous considérer comme
étant seule dans le
(1) Gal., II, 29.
673
monde
pour y reconnaître avec les plus ardentes affections la venue du Seigneur;
ensuite vous lui rendrez des actions de grâces de ce qu'il y est venu
également pour. tous. Que si vous pénétrez avec une vive foi que le même Dieu,
dont les attributs sont infinis et la majesté éternelle, est descendu pour
prendre chair humaine dans mon sein; que c'est lui-même qui vous cherche, qui
vous appelle, qui vous caresse, et qui se
donne tout à vous comme si vous étiez l'unique de ses créatures, cette
pénétration vous fera sans doute découvrir ce à quoi un effet si admirable de
sa bonté vous oblige, et vous fera changer cette admiration en des actes
animés d'une foi la plus ferme et d'un amour le plus ardent, puisque vous êtes
redevable de tout cela à un tel Roi et Seigneur, qui a daigné venir à vous
lorsque vous ne le pouviez ni chercher ni trouver.
142. Tout ce que cet
adorable Seigneur vous peut donner hors de lui-même , vous paraîtrait fort
grand, même en ne l'envisageant qu'au point de vue et avec des sentiments
humains, sans élever votre esprit à ce souverain bien ; tant il est vrai que
tout ce qui vient de la main d'un si grand Roi est digne d'une très-haute
estime. Mais si vous le considérez en lui-même, à la lueur du divin flambeau
de la foi, et si vous êtes assurée, comme vous le devez être, qu'il vous a
rendue capable de sa Divinité; alors vous verrez que si Dieu ne se donnait pas
à vous, tout ce qui est créé vous semblerait un néant, et deviendrait pour
vous un objet de mépris; cette seule pensée satisfera tous
674
vos
désirs, et vous comblera de consolation, lorsque vous ferez attention que vous
avez un Dieu si amoureux, si aimable, si puissant, si doux, si riche; et
qu'étant si infini en tontes choses, il a daigné s'humilier jusqu'à votre
bassesse, pour vous relever de la poussière, pour enrichir votre pauvreté, et
pour voué rendre l'office de pasteur, de père, d'époux et d'ami très-fidèle.
1143. Or prenez bien garde,
ma fille, aux effets que ces vérités produiront au fond de votre coeur. Faites
de sérieuses réflexions sur le très-doux amour que ce grand Roi vous témoigne
par sa sollicitude continuelle, par les caresses et les faveurs qu'il vous
prodigue, par les tribulations qu’ il vous envoie, par le don du flambeau que
sa divine science a allumé dans votre âme, afin qu'elle connût à fond les
grandeurs infinies de son être, le caractère admirable de ses oeuvres et les
mystères les plus cachés, la vérité eu tontes choses et le néant de ce qui est
visible,. Cette science est le principe essentiel et la base fondamentale de
la doctrine que je vous ai enseignée, pour vous faire apprécier avec combien
de respect et de retour vous devez recevoir les bienfaits da Seigneur votre
Dieu, votre véritable bien, votre trésor, votre lumière et votre guide.
Regardez-le comme un Dieu infini, amoureux et terrible. Soyez attentive à mes
paroles et à mes instructions; vous trouverez en elle$ la pari de votre cour.
et la lumière de vos yeux.
575
CHAPITRE XII. De ce que la très-sainte âme de notre seigneur Jésus-Christ fit
dans le premier instant de sa conception, et ce que sa très-pure Mère opéra
alors.
144. Pour mieux pénétrer
les premières opérations de 1'âme très-sainte de notre Seigneur Jésus-Christ,
il faut présupposer ce que nous avons dit dans le chapitre précédent an
paragraphe, 138, que tout le substantiel de ce divin mystère, savoir, la
formation du corps, la création et l'infusion de l'âme, l'union de l'humanité
inséparable de la personne du Verbe, tout cela fut opéré simultanément, de
sorte qu'on ne peut pas dire que notre Seigneur Jésus-Christ ait été un seul
instant homme pur : car il fut toujours véritablement homme et Dieu ,
puisqu'au moment où il pouvait, à causé de son humanité, être appelé homme, il
était déjà Dieu. Ainsi il n'est aucun instant auquel on puisse l'appeler
simplement homme : il a toujours été Homme-Dieu et Dieu-Homme. Et comme l'être
naturel, étant actif, peut incontinent exercer ses facultés, ainsi, au moment
même où l’incarnation fut accomplie, l'âme très-sainte de notre Seigneur
Jésus-Christ fut béatifiée par la vision et par l'amour béatifique, de manière
que les
576
puissances de son entendement et de sa volonté s'élevèrent aussitôt, selon
notre manière de concevoir, à la même divinité qu'avait trouvée son être de
nature uni substantiellement à elle, et ces puissances s'unirent en même temps
à l'être de Dieu par leurs opérations, afin que notre Seigneur Jésus-Christ
fût entièrement. déifié et en son être et en ses opérations.
145. La grande merveille de
ce mystère est que tant de gloire, que toute l'immensité divine fussent
ramassées dans un aussi petit abrégé qu'était un corps qui n'était pas plus
grand qu'une abeille: car le volume du très-saint corps de Jésus-Christ
n'était pas plus considérable que cela, lorsque la conception et l'union
hypostatique furent célébrées. La grande merveille, c'est encore que ce corps
si réduit se trouvât à la fois dans là gloire et dans la passibilité : car
l'humanité de Jésus-Christ, essentiellement compréhenseur, quoique voyageur du
temps, fut glorieuse et passible tout ensemble. biais Dieu put bien, dans son
pouvoir et clans sa sagesse infinie, abréger, si j'ose ainsi parler, si fort
sa di. alité toujours infinie, que, sans qu'elle cessât de l'être, elle fût
renfermée dans la sphère d'un si petit corps par une nouvelle et admirable
manière d'y être. il fit aussi par la même toute-puissance, que l'âme
très-sainte de. notre Seigneur Jésus-Christ fut bienheureuse dans la partie
supérieure des plus nobles opérations, et que toute la gloire sans mesure qui
lui causait son bonheur, fût comme retenue dans la suprême partie de son âme,
suspendant les effets et les dons qu'elle devait communiquer à son corps; afin
577
que
Jésus-Christ fût passible et voyageur aussi bien que compréhenseur; cela ne se
faisant que pour donder lieu à notre rédemption par le moyen de sa passion et
de sa mort.
146. La très-sainte
humanité de Notre-Seigneur fut douée, à l'instant même de sa conception, de
toutes les dispositions convenables et nécessaires pour le plein exercice de
ses facultés et la réalisation de toutes les choses qu'il devait faire, tant
comme compréhenseur que comme passible et pèlerin de la terre; ainsi il reçut
la science bienheureuse et infuse, la grâce justifiante et les dons du
Saint-Esprit, qui reposa sur lui, comme dit Isaïe (1). Il eut toutes les
vertus, excepté la foi et l'espérance, qui ne peuvent compatir avec la vision
et la possession béatifique. Et s'il se trouve quelque autre vertu qui
présuppose quelque imperfection en celui qui l'a, elle ne pouvait pas être
dans le Saint des saints, qui ne put commettre aucun péché, et dont la bouche
ne proféra jamais aucune parole de mensonge (2). Il n'est pas nécessaire que
nous nous étendions ici davantage sur la dignité et l'excellence de la
science, de la grâce, des vertus et des perfections de notre Seigneur
Jésus-Christ, parce que les saints docteurs et les théologiens l'enseignent
amplement. Pour moi, il me suffit de savoir qu'il poussa la perfection dans
tous les sens jusqu'aux dernières limites de la puissance divine, et au delà
de tout ce que l'entendement humain peut
(1) Isa., XI, 2. — (2) I Petr., II, 22.
578
concevoir, parce qu'ayant la source de la vie (1), qui est la Divinité, son
âme très-sainte devait, suivant l'expression de David, boire sans fin ni
mesure de l'eau de son torrent (2). Ainsi il eut la plénitude de toutes les
vertus et de toutes les perfections.
147. L'âme de notre Sauveur
Jésus-Christ étant déifiée et enrichie de tous les dons de la Divinité, voici
dans quel ordre eurent lieu ses opérations. Ce fut d'abord de voir et de
connaître intuitivement la Divinité, comme elle est en soi, et comme elle
était unie à sa très-sainte humanité. Ensuite elle l'aima d'un souverain amour
béatifique. Après cela cette âme très-sainte reconnut l’ être de son humanité,
inférieur à litre de Dieu, et elle s'humilia très-profondément; et elle rendit
grâces avec la même humilité à l'Être immuable de Dieu, du bienfait de la
création et de celui de l'union hypostatique, par laquelle elle fut élevée à
l'Être de Dieu avec la nature humaine. Elle connut aussi que son humanité
était passible, afin que le but de la rédemption pût être atteint. Dans cette
connaissance, Jésus-Christ s'offrit en sacrifice propitiatoire pour être le
Rédempteur du genre humain (3); et cet homme adorable recevant avec
complaisance l’être passible, rendit grâces au Père éternel en son nom et en
celui de tous les hommes. Il vit l'organisation de sa très-sainte humanité, la
matière dont elle avait été formée, et comme la très-pure Marie la lui avait
fournie par un mouvement ardent de sa
(1) Ps. XXXV, 10. — (2) Ps., CIX, 7. — (3) Hebr., X, 5 et 6.
579
charité, et par l'exercice des vertus les plus héroïques. Il prit possession
de ce saint Tabernacle, il se plut dans sa demeure, il en agréa l'éminente
beauté, et s'appropria au même moment pour toute l'éternité l'âme de la plus
parfaite et de la plus pure des créatures. Il loua le Père éternel de l'avoir
créée avec une telle prééminence de grâces et de dons, et de l'avoir exemptée,
quoique issue d'Adam, de la loi commune du péché que toutes ses descendantes
avaient encourue (1). Il pria pour saint Joseph et pour sa chaste compagne,
dont il demanda le salut éternel. Toutes ces opérations et les autres qu'il
fit furent aussi relevées qu'elles pouvaient l’être dans un véritable
Homme-Dieu, et indépendamment de celles qui se rattachent à la vision et à
l'amour béatifiques, il donna à toutes et à chacune de ses actions un mérite
tel, qu'il aurait pu suffire au rachat d'une infinité de mondes s'il eût été
possible de les trouver.
148. Notre rédemption eût
été surabondante par le seul acte d'obéissance que fit la très-sainte humanité
unie au Verbe, en acceptant la passibilité et en consentant avec plaisir à ce
que la gloire de son âme ne rejaillit. point sur son corps. Mais, quoique la
valeur d'un seul acte fût plus que suffisante pour notre rançon, il ne pouvait
pas satisfaire l'amour immense que Jésus-Christ portait aux hommes, et qui l'a
forcé à nous aimer avec une volonté effective jusqu'à la fin de l'amour, qui
était celle de sa propre vie, en la donnant
(1) Rom., V, 12.
580
pour
nous (1) avec des démonstrations et des circonstances de la plus grande
affection que l'entendement humain et angélique ait pu imaginer. Que si notre
Seigneur Jésus-Christ nous enrichit si fort dans le premier instant qu'il vint
au monde, quels trésors, quelles richesses, quels mérites ne nous devait-il
pas laisser, lorsqu'il en sortit par sa passion et par la mort de la croix,
après trente-trois ans de travaux si grands et d'opérations si divines ! O
amour immense ! O charité sans borne! O miséricorde sans mesure! O bonté
très-libérale ! Mais, ô noire ingratitude et oubli damnable des mortels à la
vue d'un bienfait aussi inouï qu'il est important! Que deviendrions-nous sans
lui? Mais comment nous comporterions-nous envers ce divin Seigneur, s'il eût
moins fait pour nous, puisque, ayant fait tout ce qu'il a pu, nous n'en sommes
pas touchés? Si nous ne lui rendons pas le retour comme à notre Rédempteur,
qui nous a donné la vie et la liberté éternelle, écoulons-le du moins comme
notre Maître; suivons-le comme notre capitaine, comme notre guide et comme
notre chef, qui nous enseigne le chemin de notre véritable félicité.
149. Cet adorable Seigneur
ne travaillait pas pour lui-même; il ne méritait point pour son âme
très-sainte la récompense ni les augmentations de sa grâce; c'était pour nous
qu'il le faisait : car il n'en avait pas besoin; il ne pouvait recevoir aucun
accroissement de grâce ni de gloire; il en était tout rempli, comme
(1) Joan., XIII, 1.
581
l'évangéliste nous le dit (1), parce qu'étant homme, il était aussi Fils
unique du Père. En cela il n'eut point de -semblable, il ne pouvait non plus
pas en avoir. Tous les saints et toutes les simples créatures méritèrent pour
eux-mêmes et eurent pour fin de leurs travaux leur propre récompense; le seul
amour de Jésus-Christ fut désintéressé; il fut tout pour nous. Que s'il étudia
et s'instruisit à l'école de l'expérience (2), il ne le fit que pour nous
enseigner et nous enrichir par l'exercice de l'obéissance, par les mérites
infinis qu'il acquit et par l'exemple qu'il nous donna (3), afin que nous
devinssions savants dans l'art d'aimer, qu'on ne saurait apprendre
parfaitement par les seules affections et les simples désirs, si on ne le met
en pratique par les oeuvres réelles et effectives. Je ne m'étendrai point sur
les mystères de la très-sainte vie de notre Seigneur Jésus-Christ, à cause de
mon incapacité; je m'en rapporterai aux évangélistes, n'en touchant que ce
qu'exigera cette divine histoire de sa Mère et notre Maîtresse : car la vie du
Fils et celle de la Mère ont une relation si étroite, que je ne puis éviter
d'en prendre certains traits dans les évangélistes, et d'en ajouter d'autres
dont ils n'ont fait aucune mention parce que la connaissance n'en était pas
nécessaire dans les premiers temps de l'Église catholique.
150. Après toutes les
merveilles qu'opéra notre Seigneur Jésus-Christ à l'instant de sa conception,
sa
(1) Joan., I, 14. — (2) Luc., II, 62. — (3) Hebr., V, 8; 1 Petr., II, 21.
582
très-sainte Mère jouit, dans un autre instant de nature, de la vision
béatifique de la Divinité dont nous avons parlé au chapitre précédent, sous le
paragraphe 139 ; car dans un instant de temps il peut y en avoir plusieurs
qu'on appelle de nature. Notre auguste Dame connut très-clairement et
très-distinctement, dans cette vision , l'union hypostatique des deux natures
divine et humaine en la personne du Verbe éternel et la très-sainte Trinité la
confirma dans le titre, dans le nom et dans le droit de Mère de Dieu, comme
elle l'était réellement et dans toute la rigueur du mot, étant Mère naturelle
d'un Fils qui était Dieu éternel, avec la même certitude qu'il était homme
véritable. Et, quoique cette grande Dame ne coopérât point immédiatement à
l'union de la Divinité avec l'humanité, elle ne perdit pas pourtant le droit
de véritable Mère de Dieu, puisqu'elle concourut à cette conception en
fournissant la matière, et en coopérant par ses puissances à tout ce qui
regardait l'office de la maternité; et beaucoup plus que les autres femmes,
car elle y concourait seule et. sans la participation d'aucun homme. Et comme
dans les autres conceptions on appelle père et mère les agents qui y
concourent naturellement, quoiqu'ils ne contribuent point immédiatement à la
création de l'âme ni à l'infusion qui en est faite dans le corps de l'enfant,
tout de même la très-pure Marie devait être appelée, comme on l'appelle
véritablement et avec beaucoup plus (le raison, Mère de Dieu, puisque dans la
conception de Jésus-Christ, Dieu et homme véritable, elle seule y concourut
comme Mère, sans
583
aucun
autre concours naturel; et par le moyen de ce concours et de cette conception
naquit Jésus-Christ, homme et Dieu.
151. La très-sainte Vierge,
fière de Dieu, connut aussi dans cette vision tous les mystères futurs de la
vie et de la mort de son très-doux Fils, de la rédemption du genre humain, de
la nouvelle loi de l'Évangile, par le moyen de laquelle ces mystères devaient
être établis, et plusieurs autres sublimes et profonds secrets qui ne furent
découverts à aucun saint. La très-prudente Reine, se voyant en la présence
intuitive de la Divinité, et avec la plénitude de science et des dons dont
elle fat enrichie en qualité de fière du Verbe, s'humilia devant le trône de
sa Majesté immense; abîmée dans son humilité et dans l'amour divin, elle y
adora le Seigneur en son Être infini et eu l'union de la très-sainte humanité.
Elle lui rendit grâces pour la dignité de Mère qu'elle avait reçue, et pour la
faveur que sa divine Majesté faisait à tout le genre humain. Elle le glorifia
pour tous les mortels. Elle s'offrit en sacrifice agréable pour servir et
nourrir son très-doux Fils, pour l'assister dans tous ses besoins temporels,
et pour coopérer (autant qu'elle pourrait de son côté) à l'oeuvre de la
rédemption. La très-sainte Trinité reçut son offre avec complaisance, et la
destina à être la coadjutrice de ce divin ministère. En conséquence , elle
demanda une grâce spéciale pour se conduire dans la dignité et dans la mission
de Mère du Verbe humanisé , et pour le traiter avec la magnificence convenable
et avec la vénération
584
due à
Dieu même. Elle offrit à son très-saint Fils tous les enfants d'Adam qui
devaient naître, comme aussi les saints pères et les justes des limbes; et
elle fit en son nom et en celui de tous plusieurs actes héroïques de vertus et
plusieurs grandes demandes que je ne raconte pas ici, parce que j'ai touché
quelque chose de semblable en d'autres occasions, d'où l'on pourra inférer ce
que notre divine Reine faisait dans celle-ci, qui surpassait si fort en
excellence toutes celles où elle s'était trouvée avant ce jour fortuné.
152. Ses affections furent
plus ardentes envers le Très-Haut dans la demande qu'elle fit d'une grâce
spéciale pour se gouverner dignement comme Mère du Fils unique du Père, parce
que son humble coeur la portait à cela, qu'elle en faisait le plus pressant
motif de son humilité, et qu'elle désirait d'être conduite dans tout ce
qu'elle ferait en s'acquittant de cet office de Mère. Le Tout-Puissant lui
répondit : « Ne craignez point, ma Colombe, je vous assisterai et
vous dirigerai, vous ordonnant tout ce que vous devrez faire envers mon Fils
unique. » Après cette promesse, elle sortit de l'extase en laquelle il lui
arriva tout ce que je viens de dire, et ce fut la plus admirable qu'elle eût
eu jusqu'alors. La première chose qu'elle fit, étant revenue dans son état
ordinaire, fut de se prosterner à terre et d'adorer son très-saint Fils, Dieu
et homme conçu dans son sein virginal, parce qu'elle ne lui avait pas encore
rendu ces marques corporelles et extérieures de son humble et amoureux
respect, et rien ne fut à la disposition et
585
au
pouvoir de la très-prudente Mère, qu'elle ne le mit en pratique pour le
service de son Fils et de son Créateur. Dès lors elle reconnut et sentit de
nouveaux effets de la divine grâce dans son âme très-sainte, et dans toutes
ses puissances intérieures et extérieures. Et bien qu'elle eût été, en la
disposition de son âme et de son corps, dans un très-noble état durant toute
sa vie, néanmoins elle se trouva, dès ce jour de l'incarnation du Verbe,
beaucoup plus spiritualisée et comme divinisée par un nouveau surcroît de
grâces et de dons ineffables.
153. L'on ne doit pourtant
pas croire que la très-pure Mère reçut toutes ces faveurs, et que l'union de
la Divinité avec l'humanité de son très-saint Fils se fit en elle afin qu'elle
vécût toujours dans les délices et dans les consolations spirituelles, et
jamais dans les souffrances. Il n'en fut pas ainsi, car cette auguste Dame
imitant la passibilité de son bien -aimé Fils, partagea sa vie entre les joies
et les afflictions, la connaissance profonde qu'elle avait reçue des travaux
et de la mort du doux Seigneur Jésus lui perçant le coeur comme un glaive de
douleur, et le remplissant d'amertume (1). L'on pouvait mesurer cette douleur
à la connaissance qu'une telle Mère avait d'un tel Fils, et à l'amour qu'elle
lui, portait, ses afflictions maternelles étant renouvelées et augmentées par
sa présence et par sa conversation. Ainsi , quoique toute la vie de notre
Seigneur Jésus-Christ et de sa très
(1) Luc., II, 35.
586
sainte
Mère ne fût qu'un martyre continuel et un long exercice de la croix, qui se
passait dans des peines et des travaux qu'on ne peut exprimer; néanmoins il y.
eut dans le coeur si tendre de notre divine Reine un genre particulier de
souffrance, venant de ce qu'elle avait toujours présents à son esprit la
passion, les tourments, les ignominies et la mort de son Fils. De sorte que
nous pouvons dire qu'elle observa la longue veille de notre rédemption par
une, douleur continuelle de trente-trois ans, tenant cet affligeant mystère
caché dans son coeur sans le communiquer à personne, et sans recevoir aucun
soulagement des créatures.
154. Pénétrée de cet amour
douloureux, et pleine de sentiments à la fois doux et pénibles, elle
s'adressait maintes fois à son très-saint Fils, et elle lui tenait, avant et
après sa naissance, ce discours qui partait du plus profond de son coeur : «
Seigneur de mon âme ! mon très-doux Fils! comment avez-vous joint à la
possession de la dignité de Mère dont vous m'avez honorée, l'affligeant
regret que j'ai de vous perdre et d’être privée de votre aimable
compagnie? Vous n'avez pas plutôt reçu la vie, que vous acceptez
pour le rachat des hommes la sentence de votre cruelle mort! La
première de vos oeuvres serait d'un prix surabondant pour
satisfaire à leurs péchés. Oh! si la justice du Père éternel se
contentait de cela, et que la mort et les tourments me fussent réservés
à moi ! Vous avez pris de mon sang et de ma propre substance un
corps, sans lequel vous, qui êtes
587
Dieu
impassible et immortel, ne pourriez pas souffrir. Que si je vous ai fourni
l'instrument ou le sujet des douleurs, il est bien raisonnable que je
souffre aussi la même mort avec vous. O cruel péché! ô chute lamentable
et cause de tant de maux ! ô homme! comment as-tu mérité un si
grand bonheur, que d'avoir pour ton restaurateur. Celui qui, étant le
souverain bien, a pu te rendre heureux dans ton infortune? O mon très-doux
Fils et les délices de mon âme ! qui pourrait vous servir de
rempart et de défense contre vos ennemis? Oh! si c'était la volonté du Père
que je vous préservasse de la mort, ou que je mourusse en votre compagnie et
que je ne la perdisse jamais ! Mais il n'arrivera pas ce qui arriva au
patriarche Abraham (1), parce que ce qui est déterminé sera exécuté. Que la
volonté du Seigneur soit accomplie. n Notre Reine
redoublait souvent ces soupirs amoureux, ainsi qu'on le verra dans la suite ,
le Père Éternel les recevant comme un sacrifice agréable, tandis que le Fils
en faisait le sujet de ses délices.
Instruction que notre auguste Reine me donna.
155. Ma fille, puisque par
la foi et parla lumière divine vous êtes parvenue à la connaissance de la
grandeur
(1) Gen., XXII, 11 et 12.
588
de
Dieu et de la bonté ineffable qu'il a témoignée en descendant du ciel pour
vous et pour tous les mortels, tâchez de ne pas recevoir en vain ces
bienfaits. Adorez son infinie Majesté avec un profond respect, et louez-la
pour ce que vous connaissez de sa clémence inépuisable. Faites fructifier la
lumière et la grâce que vous avez reçues (1) , que ce que mon très-saint Fils
et moi avons fait vous serve d'exemple, imitez-le comme je l'ai imité , ainsi
que vous l'avez appris, puisque étant , lui Dieu véritable, et moi sa Mère
(car en tant qui homme sa très-sainte humanité était créée), nous reconnûmes
notre être humain, nous nous abaissâmes et nous glorifiâmes la Divinité au
delà de tout ce que les créatures peuvent concevoir. Vous devez offrir ce
respect et ce culte à Dieu en tout temps et en tout lieu; mais plus
particulièrement lorsque vous recevez le Seigneur lui-même sous les espèces
eucharistiques. Dans cet admirable sacrement, la divinité et l'humanité de mon
très-saint Fils viennent en vous et s'y trouvent d'une nouvelle manière qui
est incompréhensible, et il y manifeste la magnificence de sa bonté trop
méconnue et trop outragée des mortels, qui ne songent pas au retour dont ils
devraient payer un si excessif amour.
156. Unissez donc à votre
reconnaissance toute l'humilité et tout le respect dont vous serez capable,
puisque tout ce que vous pourrez faire sera toujours au-dessous de ce que vous
devez, et de ce que Dieu mérite.
(1) II Cor., VI, 6.
589
Et
afin de suppléer autant que possible à votre insuffisance, vous offrirez ce
que mon très-saint Fils et moi avons fait, unissant votre esprit avec celui de
l'Église triomphante et militante; et dans cet esprit vous demanderez que
toutes les nations, fût-ce aux dépens de votre propre vie, connaissent,
glorifient et adorent leur véritable Dieu humanisé pour tous. Vous devez aussi
le remercier des faveurs qu'il a faites, et qu'il fait à tous ceux qui le
connaissent et qui l'ignorent, et à tous ceux qui le confessent et qui le
nient. Et surtout je veux, ma très-chère fille, que vous fassiez une chose qui
sera fort agréable au Seigneur et à moi: c'est que vous vous affligiez et que
vous gémissiez avec une charitable tristesse de la grossièreté, de
l'ignorance, de la paresse des enfants des hommes, du danger où ils se
trouvent, et de l'ingratitude des fidèles enfants de l'Église, qui, ayant reçu
la lumière de la foi divine, vivent intérieurement dans un tel oubli de ces
oeuvres et de ces bienfaits de l'incarnation, et de Dieu même, qu'il semble
qu'ils ne se distinguent des infidèles que par quelques cérémonies
extérieures, qu'ils font sans esprit et sans aucun sentiment de dévotion,
offensant et provoquant par là bien souvent la divine justice qu'ils devraient
apaiser.
157. Ils tombent dans cette
ignorance et dans ce désordre parce qu'ils ne se disposent point à acquérir la
véritable science du Très-Haut ; ils méritent aussi que la divine lumière
s'éloigne d'eux et qu'elle les laisse à la merci de leurs épaisses ténèbres,
de sorte
690
qu'ils
se rendent plus indignes que les infidèles, et s'attirent une punition
beaucoup plus grande. Affligez-vous de la perte si considérable que fait votre
prochain, et demandez-en le remède du plus profond de votre coeur. Que si vous
voulez vous mettre de plus en plus à l'abri d'un danger si formidable, vous ne
devez pas refuser, sous prétexte d'humilité, les faveurs que le Seigneur vous
fait, ni mépriser et oublier ses bienfaits. Souvenez-vous qu'il y a
très-longtemps que la grâce du Très-Haut vous appelle. Considérez qu'il vous a
attendue dans vos retardements, qu'il vous a consolée dans vos doutes, qu'il a
apaisé vos craintes, qu'il a dissimulé et pardonné vos fautes, et qu'il vous a
si fort comblée de faveurs et de caresses, que vous devez, ma fille, avouer
sincèrement, et être assurée que le Seigneur n'en a point fait de semblables à
nulle autre nation, et que vous les avez reçues lorsque vous étiez plus pauvre
et plus inutile que les autres. Cela étant, vous les devez surpasser en
reconnaissance.
591
CHAPITRE XIII. Qui déclare l’état où se trouva la très-sainte Vierge après
l'incarnation du Verbe dans son sein virginal.
158. Plus je découvre les
divins effets et les dispositions admirables qui se trouvèrent en la Reine du
ciel après avoir conçu le Verbe éternel, plus je rencontre de difficultés pour
continuer cet ouvrage, parce que je me trouve abîmée dans de très-profonds
mystères, et je n'ai que des termes fort inférieurs à ce que j'en conçois.
Mais mon âme ressent une telle douceur dans cette même insuffisance, que je ne
saurais me repentir d'avoir commencé une chose qui me paraîtrait impossible si
l'obéissance ne m'animait, et même ne me forçait de chercher à vaincre les
obstacles qu'un courage faible comme le mien ne saurait braver, et à expliquer
des choses que ne comporte point notre langage, principalement dans le présent
chapitre, où je découvre les excellences qui sont renfermées dans la dot des
bienheureux. le m'en servirai comme d'un exemple pour exprimer ce que je
conçois de l'état où se trouva l'auguste Marie après qu'elle fut devenue Mère
de Dieu
159. Je considère dans les
bienheureux deux choses
592
qui
font à mon sujet : l'une de leur côté, l'autre du côté de Dieu. Du côté du
Seigneur, il y a la divinité qui se manifeste clairement avec toutes ses
perfections et tous ses attributs, et c'est ce qu'on appelle objet béatifique,
gloire, félicité objective, dernière fin où toutes choses aboutissent et
trouvent leur repos. Du côté des saints se rencontrent les opérations
béatifiques de la vision et de l'amour, et plusieurs autres qui les
accompagnent dans ce très-heureux état, que l'oeil n'a point vu, que l'oreille
n'a point entendu, et que le coeur de l'homme n'a point conçu (1). Parmi les
dons et les effets de cette gloire dont les saints jouissent, il y en a
quelques-uns qu'on pourrait appeler dotant, et ils les reçoivent comme autant
d'épouses pour l'état du mariage spirituel, qu'ils doivent consommer dans la
jouissance de la félicité éternelle. Or, comme l'épouse temporelle acquiert la
propriété de sa dot, sauf à en laisser l'usufruit commun entre elle et
l'époux; de même les saints reçoivent dans la gloire cette dot comme propre,
et l'usufruit est commun à Dieu en tant qu'il se glorifie en ses saints, et à
eux en tant qu'ils jouissent de ces dons ineffables, qui sont plus ou moins
excellents, selon le mérite et la dignité de chacun. Mais sous ce titre de
dot, il n’y a que les bienheureux qui les reçoivent, comme appartenant à la
même nature que l'Époux, c'est-à-dire notre Seigneur Jésus-Christ. Les anges
ne sont pas proprement dotés; car le Verbe
(1) Isa., LXIV, 4 ; I Cor., II, 9.
593
incarné ne fit pas avec eut les mêmes épousailles qu'il célébra avec la nature
humaine en s'unissant à elle dans ce grand sacrement, grand en Jésus-Christ et
en l'Église, suivant l'expression de l'Apôtre (1): Ce divin Époux, en tant
qu'homme, a une âme et un corps comme les autres, et tous les deux doivent
être glorifiés en sa présence; c'est pour cette raison que la dot de la gloire
appartient à l'âme et du corps. Cette dot renferme trois excellentes
perfections, qui regardent l'âme, et que l'on appelle vision, acquisition
de la gloire, ou compréhension et jouissance de cette même gloire; et
quatre autres qui concernent le corps, à savoir, la clarté,
l'impassibilité, la subtilité et l'agilité. Ces quatre dernières sont
proprement des effets de la gloire dont l'âme jouit.
160. Notre Reine participa
pendant sa lié à toutes les excellences que cette dot renferme, surtout après
l'incarnation du Verbe dans son sein virginal. Mais tandis que les
bienheureux, élevés à la compréhension, reçoivent cette dot comme un gage
infaillible de là félicité éternelle qu'ils ne doivent jamais perdre (et c'est
pour cette raison que les voyageurs ne la reçoivent pas), la très-pure Marie
l'obtint, non point comme les compréhenseurs, mais comme les pèlerins de la
terre; elle ne jouissait donc pas toujours de ces dons merveilleux, mais
seulement par intervalles et avec la différence que nous dirons. Afin de mieux
comprendre la manière dont notre auguste Reine profitait de ce rare
(1) Ephes., V, 32.
594
bienfait, on doit se souvenir de ce que noms avons rapporté au chapitre
septième et dans la autres jusqu’à celui de l'incarnation; c'est là que nous
parlons des préparatifs que fit et da fiançailles que le Très-Haut contracta
avec sa très-sainte Mère, avant de l'élever à la plus sublime dignité. Le jour
où le Verbe prit chair humaine dans son sein virginal, ce mariage spirituel
fut en quelque sorte consommé à l'égard de cette divine Dame par la vision
béatifique et par tant d'excellentes qualités qu'elle reçut en ce jour, ainsi
que nous avons dit : bien qu à l’égard de tous les autres fidèles ce fût comme
le jour des épousailles, qui se consommeront dans la patrie céleste (1).
161. Notre grande Reine
avait un autre avantage qui la disposait à recevoir ce privilèges : c’est
qu'absolument exempte de tout péché actuel et originel, elle était confirmée
en grâce par une impeccabilité permanente : dans cette position exceptionnelle
elle était capable de célébrer ce mariage au nom de l'Église militante, et de
donner sa parole pour tous les hommes, afin de recevoir les prémices des
mérites futurs du Rédempteur su moment même où elle devint sa Mère, et de
pouvoir, à la suite de cette gloire et de cette vision passagères, garantir
que la même récompense serait accordée à tous les enfants d'Adam, s'ils se
disposaient à la recevoir avec le secours de leur Restaurateur. C'était aussi
un grand sujet de complaisance pour le Verbe humanisé, de voir que son
très-ardent
(1) Os., II,19.
595
amour
et ses mérites infinis produisissent incontinent leurs effets en rêne qui
était à la fois sa Mère, sa première Épouse et le temple de .la Divinité, et
que la récompense suivit le mérite où il ne se trouvait aucun empêchement.
Notre Seigneur Jésus-Christ satisfaisait en partie par ces faveurs, qu'il
accordait à sa très-sainte Mère, l'amour qu'il lui portait, et celui qu'il
témoignait en elle avoir pour tous les mortels : car c'était, pour l'amour de
cet adorable Seigneur, un trop long temps que d'attendre trente-trois ans pour
manifester sa divinité à sa propre Mère. Et, bien qu'il lutent fait cette
faveur en d'autres circonstances (ainsi que nous l'avons dit dans la première
partie), néanmoins elle la reçut cette fois dans des conditions différentes,
en rapport avec la gloire que reçut elle-même l'âme de son très-saint Fils,
encore pourtant d'une manière transitoire, et autant que le comportait son
état commun de voyageuse.
162. Suivant ce que nous
venons de dire, le jour où la très-pure Marie prit possession de la royale
maternité du Verbe éternel en le concevant dans son sein, Dieu nous donna
droit sur notre rédemption dans les épousailles qu'il y célébra avec notre
nature, et dans la consommation de ce mariage spirituel qu il y fit en
béatifiant sa très-sainte Mère, et en lui donnant les excellences de la gloire
pour dot; il nous promit la même chose pour récompense de nos mérites, et en
vertu de ceux de son très-saint Fils notre Restaurateur. Mais dans le bienfait
que le Seigneur fit ce jour-là à sa Mère, il l'éleva si fort au-dessus de
toute la
596
gloire
des saints, que tous les anges et les hommes ensemble ne purent arriver, en ce
que leur vision et leur amour béatifique ont de plus sublime, au suprême degré
de cette divine Dame : il en fut de même pour les excellences, qui
rejaillissent sur le corps par l'abondance de la gloire de l’âme; parce que le
tout répondait à son innocence, à sa sainteté et à ses mérites, et ceux-ci à
la suprême dignité qu'elle avait parmi les créatures d'être Mère de son
Créateur.
163. Pour entrer dans le
détail des excellences de cette dot, il faut présupposer que la première dont
l'âme est enrichie est la vision béatifique, qui est comme la contre-partie de
la connaissance obscure de la foi chez les voyageurs du temps. L'auguste Marie
obtint cette vision dans les circonstances et aux degrés que j'ai rapportés et
que je rapporterai par la suite. Outre cette vision intuitive de la Divinité,
elle en eut plusieurs autres abstractives dont j'ai déjà parlé. Et, bien
qu'elle ne les eût que comme en passant ou par intervalles, il en resta
néanmoins dans son entendement des impressions si claires, quoique diverses,
qu'elles lui permettaient de jouir des plus vives lumières et d'une
connaissance sublime de la Divinité, au point que je ne trouve point de termes
pour l'expliquer: car en cela cette très-sainte Dame fut exceptionnelle entre
toutes les créatures; ainsi l'effet de cette excellente perfection se trouvait
toujours en elle, autant que le comportait son état de voyageuse. Et lorsque
le Seigneur, comme il arrivait quelquefois, se cachait à elle en lui
suspendant, pour des fins particulières,
597
l'usage de ces espèces, elle se servait de la seule foi infuse, qui était en
elle très-excellente et très-efficace. De sorte que, de quelque manière que ce
fût, elle ne perdit jamais de vue cet objet divin et ce souverain bien, elle
n'en détourna jamais un seul instant les yeux de son âme; mais elle jouit
beaucoup plus de la vue et des caresses de la Divinité pendant les neuf mois
qu'elle eut le Verbe humanisé dans son sein.
164. La seconde perfection
dont l'âme est dotée est l'acquisition de la gloire, que les
théologiens appellent compréhension; elle consiste à être parvenu à la
fin à laquelle tend l'espérance, et que nous cherchons, par son moyen, jusqu'à
ce que nous la possédions sans crainte de la perdre. La très-sainte Vierge eut
cette possession d'une manière correspondante aux visions dont nous avons
parlé, parce que, comme elle voyait la Divinité, elle la possédait. Et
lorsqu'elle se trouvait dans la seule foi, l'espérance était en elle plus
ferme qu'elle ne fut et ne sera en aucune autre simple créature, comme aussi
plus grande était sa foi. Comme d'ailleurs la sécurité de la possession
consiste surtout, pour la créature, dans la certitude de la sainteté et dans
l'impeccabilité, notre divine Dame était si privilégiée à cet égard, que la
sécurité imperturbable avec laquelle, quoique encore voyageuse, elle possédait
Dieu, égalait en quelque façon celle des bienheureux, parce que, du côté de la
sainteté innocente et incapable de pécher, elle était assurée de ne pouvoir
jamais perdre Dieu : seulement la cause de cette assurance n'était pas la même
en elle, qui était voyageuse, qu'en
598
ceux
qui jouissent de la gloire. Pendant les neuf mois de sa grossesse, elle eut
cette possession de Dieu par diverses sortes de grâces singulières et
admirables, par le moyen desquelles le Très Haut se manifestait et s'unissait
à son âme très-pure.
165. La troisième
excellence de l'âme bienheureuse est la jouissance du souverain bien; elle
répond à la charité qui ne cesse point dans la gloire (1), mais qui s'y
perfectionne, parce que cette jouissance consiste à aimer le bien qu'on
possède, et c'est ce que la charité fait dans la patrie céleste, où ainsi
qu'elle le connaît et qu'elle en jouit comme il est en lui-même, ainsi elle,
l'aime pour lui-même. Et quoique nous l'aimions aussi pour lui-même et dans
l'état de voyageurs, la différence y est pourtant bien grande, parce que
présentement nous l'aimons en le désirant, et nous le connaissons non tel
qu'il est, mais sous des espèces étrangères ou à travers des énigmes (2).
Ainsi cette manière de l'aimer et de le connaître ne perfectionne pas notre
amour; elle ne remplit point nos désirs et elle ne nous donne pas la plénitude
de la joie, bien que nous en ayons beaucoup en l'aimant. Mais dans sa claire
vision et dans sa possession, nous le verrons comme il est en lui-même et par
lui-même, et non point par énigmes (3) ; c'est pourquoi nous l'aimerons comme
il doit être aimé, et autant que nous pouvons l'aimer selon notre capacité;
notre amour sera
(1) I Cor., XIII, 3. — (2) Ibid. 12. — (3) I Joan., III, 2 ; Ps. XVI, 15.
599
perfectionné et nos désirs entièrement satisfaits par cette heureuse
possession.
166. La sainte vierge fut
en quelque sorte plus largement pourvue de ce don gaie de tous les autres; car
sous plusieurs rapports excellents, son très-ardent amour était supérieur à
celui des bienheureux, même dans son état ordinaire, quoiqu'il pût lui être
inférieur quand elle ne jouissait point de la vision claire de la Divinité.
Personne n'eut la science des choses divines au point où l'eut cette auguste
Dame; elle connut par son moyen comment Dieu devait être aimé pour lui-même,
et cette science se servait des espèces et du souvenir de la mime Divinité,
qu'elle avait vue de plus près que les anges. Et comme son amour était
proportionné à cette connaissance de Dieu, il fallait qu'elle surpassât aussi
les bienheureux en amour, en tant qu'il ne supposait pas là possession
immédiate et cet état où il ne peut plus ni croître ni augmenter. Que
si le Seigneur permettait, pour favoriser sa très-profonde humilité,
qu'en agissant dans les conditions des voyageurs, elle conservât le respect et
la crainte et se préoccupât constamment du soin de ne point déplaire à son
bien-aimé, cet amour inquiet n'en était pas moins très-parfait et nu sujet de
complaisance pour Dieu, en même temps qu'il la pénétrait d'une joie ineffable
et la remplissait de délices qui répondaient à la nature et à l'excellence de
ce même. amour divin dont elle était embrasée.
167. Pour ce qui regarde
les dons du corps qui lui
600
viennent de la gloire et des excellentes perfections de l'âme, et qui font une
partie de la gloire accidentelle des bienheureux , je dis qu'ils servent pour
la perfection des corps glorieux en leurs sens et dans leurs mouvements, afin
qu'ils deviennent semblables aux âmes en tout ce qui est possible, et que sans
être empêchés de leur matière terrestre, ils soient disposés à obéir à la
volonté des saints , qui dans ce très-heureux état ne peut pas être imparfaite
ni contraire à celle de Dieu. Ils ont besoin de deux dons pour leurs sens,
l'un qui les dispose à recevoir les espèces sensibles, et c'est ce que le don
de clarté perfectionne; l'autre qui préserve le corps de l'atteinte des choses
extérieures ou des passions nuisibles et corruptrices, et l'impassibilité sert
à cela. D'autres dons sont nécessaires pour le mouvement du corps ; l'un pour
vaincre la résistance ou le retardement du côté de sa propre pesanteur, et à
cet effet il est doué de l'agilité; l'autre pour surmonter la résistance
étrangère des autres corps, et c'est ce qu'il fait au moyen de la subtilité.
Avec ces dons, les corps glorieux deviennent clairs, incorruptibles, agiles et
subtils.
168. Notre grande Reine fut
partagée pendant cette vie de tous ces privilèges. Comme le don de clarté rend
le corps glorieux , susceptible à la fois de recevoir et de réfléchir la
lumière, et plus transparent que le cristal, en lui ôtant son obscure opacité,
le corps virginal de la très-pure Marie, lorsqu'elle jouissait de la claire
vision béatifique, participait à ce privilège au delà de tout ce que
l'entendement humain
601
peut
concevoir. Il lui restait après ces visions un certain reflet de cette. clarté
: que si les yeux l'eussent pu apercevoir, c'eût
; été un sujet d'une admiration bien grande. On en découvrait quelque
chose en son très-beau visage, combe je le dirai plus loin, surtout dans la
troisième, partie, bien que ceux qui la fréquentaient ne s'en aperçussent pas
tous, parce que le Seigneur suspendait l'action de ce rayonnement, afin que
par son intermittence il ne frappât point indifféremment toutes sortes de
personnes. Mais elle ressentait par plusieurs effets le privilège de ce don
qui était caché aux autres, et elle n'éprouvait point l'embarras de l'opacité
matérielle que nous rencontrons dans cette vie mortelle.
169. Sainte Élisabeth
remarqua cette clarté, lorsque, voyant l'auguste Marie, elle s'écria avec
admiration : « D'où me vient ce bonheur, que la Mère de mon Créateur me
visite (1)? n Le monde n'était, pas capable de connaître ce mystère du grand
Roi, et le temps n'était pas convenable pour le manifester; mais le visage de
la sainte Vierge avait toujours un certain éclat qu'on ne découvrait pas chez
les autres créatures; elle avait en tout le reste de sa personne une
disposition qui était au-dessus de l'ordre naturel des autres corps, et qui
lui donnait une complexion très-délicate et comme spiritualisée, ainsi qu'un
cristal animé, qui n'a rien de rude au sens; et cette complexion était si
admirable, que je ne trouve point
(1) Luc., I, 43
d'exemple ici-bas pour la faire comprendre. Et qu’on ne soit pas surpris de ce
que je dis de la Mère de Dieu , de celle qui le portait dans son sein et qui
rayait vu plusieurs fois face à face, puisque les Hébreux ne pouvaient
regarder Moïse en face, ni supporter l'éclat qui rejaillissait de sa personne
lorsqu'il descendit de la montagne après l’entretien qu'il y eut avec Dieu
(1), et qui était de beaucoup inférieur à celui de notre divine Dame. Il est
certain que si le .
seigneur n'est caché et voilé par une providence: particulière la clarté que
le visage et: le corps de sa très-pure Mère étaient capables d'envoyer, le
monde en eût reçu plus e lumière que de mille soleils réunis; aucun mortel
n'eût pu naturellement supporter
ses éblouissantes splendeurs, puisque su moment même où elles étaient cachées
et retenues, il sortait encore de son visage de divins éclairs assez brillants
pour causer en tous ceux qui la regardaient l'effet qu'éprouva saint Denis
l'aréopagite quand il la vit.
170. L'impassibilité
donne an corps glorieux une disposition par suite de laquelle aucun agent,
excepté Dieu, ne le peut altérer, quelque forte et puissante que soit son
action. Notre Reine participa à ce privilège en deux manières; l'une en ce qui
regardait le. tempérament du corps et des humeurs, parce qu'elle les eut si
bien réglées , qu'elle ne pouvait contracter ni souffrir les maladies, ni les
autres incommodités humaines qui naissent de leur inégalité, et par cet
(1) Exod., XXXIV, 19 et 30; II Cor., III,7. 603
endroit elle était presque impassible. L'astre , à cause de l'empire absolu
qu'elle avait sur toutes les créatures, comme nous l'avons déjà dit; car
aucune ne l'eût offensée sans son consentement. Nous pouvons ajouter une autre
troisième participation à l'impassibilité qui fut une assistance de la vertu
divine en rapport avec son innocence. Et nos premiers parent, n'eussent point
souffert dans le paradis de mort violente, s'ils eussent persévéré dans la
justice originelle; il est vrai qu'ils n'eussent pas joui de ce privilège par
une vertu propre qu'on appelle intrinsèque ou inhérente (car s'ils eussent été
blessés, ils eussent pu mourir de la blessure); mais par une assistance
spéciale du Seigneur, qui les eût préservés d'être blessés : cette protection
était due à bien plus de titres à l'innocence de l'incomparable Marie; ainsi
elle en jouissait comme Reine et Maîtresse; et nos premiers parents n'eurent
ce privilège, et leurs descendants ne l'eussent eu, que comme serviteurs et
sujets.
171. Notre humble Princesse
n'usa point de ces privilèges, parce qu'elle y renonça, à l'imitation de son
très-saint Fils, pour mériter et pour coopérer à notre rédemption, voulant
bien souffrir pour ce sujet des peines qui surpassaient celles des martyrs. On
ne saurait en exprimer la grandeur dans le langage des hommes; nous en dirons
quelque chose en divers endroits de cette histoire, attendu qu'il n'est pas
possible de les raconter toutes, à cause de l'insuffisance des termes que nous
sommes réduits à employer. Mais
604
on
doit remarquer deux choses. C'est d'abord que les souffrances de notre ,Reine
n'avaient nulle relation aux, propres péchés, puisqu'elle n'en avait point;
ainsi elle souffrait sans ressentir l'amertume qui se trouve renfermée dans
les peines que nous souffrons par la mémoire et la considération de nos
propres crimes, comme étant les sujets qui les avons commis. C'est ensuite que
la très-sainte Vierge fut divinement fortifiée dans ses souffrances, dans la
mesuré de son très-ardent amouri ; car naturellement elle n'eût pu supporter
tontes les peines que lai fuirait demander son amour, et c'est à cause de ce
thème amour que le Très-Haut l'exauçait.
172. La subtilité est un
privilège qui affranchit et quelque sorte le corps glorieux des lois de la
densité; et qui supprime l'obstacle que la matérialité de son volume
opposerait à ce qu'il put pénétrer un autre corps semblable à lui et occuper
le même point de l'espace; ainsi le corps subtilisé du bienheureux est loué
des qualités de l'esprit, qui peut sans difficulté pénétrer les corps d'une
configuration déterminée, et se met dans la même place qu'ils occupent, sans
les diviser ni les éloigner, comme le corps de notre Seigneur Jésus-Christ le
fit lorsqu'il sortit du sépulcre (1) et qu'il entra, les portes fermées, dans
l'appartement où étaient les apôtres (2), pénétrant les corps qui fermaient
ces endroits. La très-sainte Vierge participa à ce don, non-seulement dans les
diverses fois
(1) Matth., XXVIII, 2. — (2) Joan., XX, 19
605
qu'elle jouissait de la vision béatifique, mais elle l'eut après comme à sa
disposition, pour en user en plusieurs rencontres, comme il lui arriva dans
quelques apparitions qu'elle fit corporellement pendant sa vie, ainsi que nous
le dirons dans, la suite, parce qu'elle. usa en toutes de cette subtilité au
moyen de laquelle elle pénétra plusieurs autres corps.
173. La dernière excellence
de la dot des bienheureux est l'agilité, faculté de se mouvoir d'un lieu à un
autre, si puissante dans le corps glorieux, que, sans nul empêchement de la
pesanteur terrestre, il peut instantanément se transporter en divers endroits,
à la manière des esprit.%, qui, n'ayant point de corps, se meuvent par leur
propre volonté. La très-pure Marie eut une admirable et une continuelle
participation à cette agilité, qui lui vint spécialement des visions divines
dont elle fut favorisée : car elle ne ressentait point en son corps la
pesanteur terrestre que nous éprouvons; ainsi elle marchait sans le
retardement qui nous est ordinaire, et il lui eût été facile de se mouvoir
avec une très-grande vitesse sans s'exposer comme nous à la lassitude et à la
fatigue. Tout cela résultait de l'état et des conditions physiologiques de son
corps, qui était tout spiritualisé et merveilleusement constitué. Pendant les
neuf mois de sa grossesse, elle sentit moins cette pesanteur corporelle, bien
que pour souffrir à son gré elle se mit dans des embarras et des occupations
propres à la fatiguer. Enfin, elle avait tous ces privilèges, et: elle en
usait d'une manière si admirable et si parfaite, que
606
je ne
trouve point de paroles pour dépeindre ce qui m'a été montré : car cela
surpasse tout ce que j'en ai dit et tout ce que j'en puis dire.
174. Reine du ciel, ma
divine Dame, après que vous eûtes la bonté de m'adopter pour tille, vous me
promîtes d'être ma guide et ma maîtresse. Et dans cette confiance j'ose bien
vous proposer un doute oh je me trouve : Comment se pouvait-il faire, ma Mère
et ma Gouvernante, que votre dîne très-sainte ayant vu Dieu et joui de sa
divine présence toutes les fois que sa suprême Majesté le voulut, vous
n'eussiez pas toujours l'état des bienheureux ? Et comment ne disons-nous pas
que vous l'eûtes toujours pendant votre vie mortelle, puisqu'il n'y avait nul
péché en vous ni aucun autre empêchement qui pût vous en priver, suivant la
notion qui m'a été donnée de votre excellente dignité et de votre sainteté
incomparable?
Réponse et instruction de notre Reine.
175. Vous doutez, ma
très-chère fille, comme celle qui m'aime, et vous m'interrogez comme celle qui
ignore. Sachez donc que la perpétuité est un des caractères de la félicité
réservée aux saints, car elle doit être absolument parfaite, et si elle eût
été temporaire, il lai eût manqué la plénitude, la consommation nécessaire
pour être une souveraine félicité.
607
Quand
même une créature serait exempte de péché, il n est pas compatible avec la loi
commune et ordinaire qu'elle soit en même temps glorieuse et sujette aux
souffrances. Que si mon très-saint Fils a fait exception à cette règle, ce fut
parce qu'étant homme et Dieu véritable, son âme très-sainte unie
hypostatiquement à la Divinité ne devait pas être privée de la vision
béatifique (1) , et étant en même temps Rédempteur du genre humain, il n'eût
pas pu souffrir ni payer la dette du péché (qui est la peine), s'il n'eût été
passible en son corps. Mais pour moi, simple créature i je ne devais pas jouir
toujours de la vision due à celui qui était Dieu. On ne pouvait pas dire non
plus que je fusse toujours dans l'état des bienheureux, parce que je n'y étais
qu'en passant. Dans ces conditions, il était tout à fait convenable que,
tantôt je jouisse, tantôt je souffrisse, et que le temps auquel je souffrais
et méritais fût plus long que celui auquel je jouissais, attendu que je vivais
parmi les voyageurs, et non point encore parmi les compréhenseurs.
176. Le Très-Haut a disposé
par une loi très-juste qu'on ne jouirait point dans la vie mortelle des
conditions de la vie éternelle (2), et que l'on parviendrait à l'immortalité
en passant par la mort corporelle, après avoir préalablement mérité dans
l'état passible, qui est celui de la vie présente des hommes. Et bien
(1) Joan., IV, 12 ; Joan., I, 18; I Tim., VI, 16; Joan., VI, 46. — (2) Exod., XXXIII, 20.
608
que la
mort que subissent tous les enfants d'Adam soit le salaire et la punition du
péché (1), et qu'à ce titre je n'eusse aucune part à la mort, ni aux autres
effets ou peines du péché, néanmoins le Très-Haut ordonna que moi aussi
j'entrerais dans la vie et dans la félicité éternelle par le milieu de la mort
corporelle , comme mon très-saint Fils (2), parce qu'en cela il n'y avait nul
inconvénient pour moi : au contraire je trouvais plusieurs avantages en
suivant le chemin royal de tous, et en acquérant les grands fruits des mérites
et la gloire par le moyen des souffrances et de la mort. Cela procurait en
outre aux hommes l'avantage de mieux connaître que mon très-saint Fils et moi,
qui étais sa Mère, étions de la véritable nature humaine, comme les autres,
puisque nous étions mortels comme eux. Par cette connaissance l'exemple que
nous laissions aux hommes était plus efficace pour imiter en leur chair
passible les oeuvres que nous avions faites en cette même chair : ainsi tout
tournait à la plus grande gloire et à l'exaltation de mon Fils, mon Seigneur,
et à la mienne. Une grande partie de ces effets n'aurait pas réussi, si les
visions de la Divinité m'eussent été continuelles. Après que j'eus conçu le
Verbe éternel, elles devinrent pourtant plus fréquentes, comme plus grands les
bienfaits et les faveurs que j'en reçus: c'est qu'il m'était plus propre et
plus proche. Voilà la réponse à votre doute. Soyez persuadée que tout ce que
vous avez pu concevoir de
(1) Rom., VI, 23. — (2) Luc., XXIV, 26.
609
grand,
touchant les privilèges et les effets dont je jouissais pendant la vie
mortelle, et tout ce que vous en avez pu dire ne saurait égaler ce que le
puissant bras du Très-Haut opérait en moi. Et autant vos conceptions seront
au-dessous de la réalité, autant vos expressions humaines seront au-dessous de
vos propres conceptions.
177. Donnez maintenant
votre attention à la doctrine qui complète celle que je vous si enseignée dans
les chapitres précédents. Si je fus le modèle qu'on doit suivre lorsque
j'accueillis Dieu, qui venait visiter les âmes et le monde, avec le respect,
la dévotion, l'humilité, la reconnaissance et l'amour qu'on lui doit, il
s'ensuivra que si vous et les autres âmes le faites à mon imitation, le
Très-Haut viendra à vous pour vous communiquer et opérer de divins effets,
comme il le fit en moi, quoiqu'ils soient inférieurs et moins efficaces en
vous, aussi bien que dans les autres. Parce que si la créature commençait
d'aller à Dieu, comme elle le doit, dès qu'elle a l'usage de la raison (1) y
en dirigeant ses pas dans les voies droites du salut et de la vie, sa divine
Majesté, qui aime ses ouvrages, viendrait à sa rencontre, la prévenant de ses
faveurs et de sa communication (2) : car la fin de la vie présente lui parait
un terme trop long à attendre pour se manifester à ses amis.
178. Il arrive de là que
les âmes puisent dans la pratique de la foi, de l'espérance et de la charité;
et
(1) Sap., VI, 15. — (2) Ibid., 14.
610
dans
l'usage des sacrements dignement reçus, beaucoup de divins effets que sa bonté
infinie leur communique , aux uns par les procédés communs de la grâce, aux
autres dans un ordre plus surnaturel et plein de miracles, chacun en obtenant
plus ou moins suivant ses dispositions et suivant les desseins du Seigneur,
que l'on ne découvre pas toujours pendant la vie présente. Et si toutes les
âmes ne mettaient point d'empêchement de leur côté, l'amour divin serait aussi
libéral envers toutes qu'il l'est envers quelques-unes qui s'y disposent ,
auxquelles il donne une plus grande lumière et une connaissance plus étendue
de son être immuable, qu'il attire en lui-même par une douce et puissante
influence , auxquelles enfin il fait éprouver plusieurs effets de la
béatitude, parce qu'il se laisse prendre par ce secret embrassement dont jouit
l’Épouse lorsqu'elle dit après avoir trouvé son bien-aimé : Je l’ai saisi,
et je ne le laisserai point aller (1). Par cette présence et cette
possession, le Seigneur donne à une âme sainte plusieurs gages et de tendres
marques de son amitié, afin qu'elle le possède dans un amour tranquille comme
les bienheureux, quoique ce ne soit que pour un temps limité. Telle est la
grandeur de la libéralité de notre Dieu et Seigneur à récompenser les
affections d'amour, et les peines que la créature se donne pour lui être
agréable, pour se conserver dans sa grâce et pour ne le point perdre.
179. Par cette douce
violence la créature meurt à
(1) Cant., III, 4.
611
tout
ce qui est terrestre; c'est pour ce sujet que l'amour est appelé fort comme la
mort (1). Et elle ressuscite de cette mort à une nouvelle vie spirituelle qui
la rend capable de recevoir une nouvelle participation de la béatitude et de
ses dons, parce qu'elle jouit plus fréquemment de l'ombre salutaire, et des
doux fruits du souverain bien qu'elle aime (2). Il résulte de ces mystères
cachés que la partie inférieure et animale est elle-même éclairée d'une
lumière nouvelle, qui, la purifiant des effets des. ténèbres spirituelles, la
rend forte et comme impassible pour braver tout ce qui est contraire à la
nature et aux inclinations de la chair. C'est pourquoi elle souhaite avec une
ardeur extrême toutes les difficultés et les violences au moyen desquelles on
force le royaume du ciel (3); elle se trouve agile et dégagée du poids de la
matière, de sorts que le corps même, qui est de sa nature pesant, profite
parfois du don d'agilité; alors les peines qui lui paraissaient auparavant
insupportables, lui deviennent légères. Vous connaissez, ma fille, et vous
avez expérimenté tous ces effets; je vous les rappelle et vous les explique,
afin que vous vous disposiez et conduisiez d'une manière telle, que le
Très-Haut, cet agent divin et puissant, puisse opérer en vous selon son bon
plaisir, comme en une matière toute préparée , souple et molle à la main de
l'ouvrier.
(1) Cant., VIII, 6. — (2) Cant., III, 2. — (3) Matth., XI,12.
612
CHAPITRE XIV. Des soins que la très-sainte Vierge prenait de sa grossesse, et
de plusieurs choses qui lui arrivèrent pendant ce temps.
180. Notre Reine ne fut pas
plutôt sortie de cette extase, qui lui arriva au moment de la conception du
Verbe incarné, qu'elle se prosterna à terre, et l'adora dans son sein comme
nous avons dit au chapitre XIIe, paragraphe 152. Elle continua cette adoration
pendant toute sa vie, la commençant chaque jour à minuit; elle y faisait pour
l'ordinaire plus de trois cents génuflexions quand elle se trouvait libre,
mais surtout pendant les neuf mois de sa divine grossesse. Elle demanda plus
instamment que jamais la grâce de rem plia entièrement les obligations que lui
imposait le Père éternel en logeant l'Hôte céleste dans son sein virginal, et
de garder soigneusement le trésor inestimable qui venait de lui être confié,
sans pourtant manquer aux devoirs de son état. Elle consacra de nouveau à ce
but son âme très-sainte et ses puissances; exerçant tous les actes des vertus
dans un degré si héroïque et si sublime, qu'elle causait une nouvelle
admiration aux anges mêmes. Elle dédia, aussi toutes ses actions corporelles
au service de l'Enfant-Dieu,
613
qu'elle portait dans son sacré corps. Soit qu’elle mangeât, soit qu'elle
dormît, soit qu'elle travaillât, soit qu'elle se reposât, elle ne visait,
toujours enflammée de l'amour divin, qu'à l'entretien et à la conservation de
son bien-aimé Fils.
181. Le jour après
l'incarnation, les mille anges qui l'assistaient se manifestèrent à elle sous
une forme corporelle; ils adorèrent avec une profonde humilité leur Roi
humanisé dans le sein de la Mère, ils la reconnurent derechef pour leur Reine
et pour leur Maîtresse; et, en lui rendant l'honneur qui lui était du, ils lui
dirent: « Vous êtes maintenant, auguste Princesse, la véritable Arche du
Testament; vous renfermez conjointement et le Législateur et la Loi (1);
vous gardez la manne du ciel, qui est notre pain véritable (2). Agréez,
divine Reine, nos congratulations à raison de votre dignité; nous exaltons le
Très-Haut, parce qu'il vous a justement élue pour être sa Mère et son
tabernacle (3). Nous nous offrons de nouveau à votre service, prêts à vous
obéir comme sujets et serviteurs du Roi suprême et tout puissant, dont
vous êtes la véritable Mère. v Cette offre et ces nouveaux hommages des anges
ne firent que redoubler chez la Mère de la sagesse les plus incompréhensibles
effets d'humilité, de reconnaissance et d'amour divin. Car ayant dans son
coeur très-prudent le poids du sanctuaire pour donner le juste prix à toutes
choses, elle put dignement évaluer le culte
(1) Deut., X, 5. — (2) Hebr., X, 4; Ps.
LXXVII, 26. — (3) Eccles., XXIV, 12.
614
d'honneur et de soumission que les esprits angéliques lui rendaient comme à
leur Souveraine. Et, quoique ce fût une chose bien plus considérable de se
voir Mère du Roi et du Seigneur même de tout ce qui est créé, néanmoins toutes
ces faveurs et cette même dignité lui étaient plus fortement manifestées par
les démonstrations et par les services des anges.
182. Ils s'acquittaient de
ces offices comme exécuteurs et ministres de la volonté du Très-Haut (1). Et
lorsque notre Reine était seule, ils l'assistaient tous sous une forme
corporelle et la servaient dans ses occupations, lui fournissant dans son
travail ce qui lui était nécessaire. S'il se trouvait qu'elle mangeât seule,
comme il arrivait quelquefois en l'absence de saint Joseph, ils la servaient ù
sa pauvre table et en son manger, qui était fort commun. Ils l'accompagnaient
partout; et quand elle faisait quelque chose pour saint Joseph, ils lui
aidaient. Dans toutes ces faveurs et dans tous ces secours, la divine Dame
n'oubliait point de demander sri Seigneur des seigneurs, avant chacune de ses
actions, une permission spéciale, et de solliciter sa direction et son
assistance. Toutes ses occupations étaient si bien réglées; toutes ses oeuvres
si pleines qu'il n'y a que Dieu qui le puisse comprendre et pénétrer.
183. Outre cette pratique
ordinaire, tant qu'elle eut le Verbe incarné dans son sein , elle sentit sa
présence de diverses manières, qui étaient toutes admirables
(1) Hebr., I, 14.
615
et
délicieuses. Bien souvent il se manifestait à elle par des visions
abstractives, comme nous avons dit. Quelquefois elle le voyait, elle le
contemplait dans son sacré corps, tel qu'il y était, hypostatiquement uni à la
nature humaine. D'autres fois elle apercevait l'humanité très-sainte comme au
travers d'un très-pur cristal, et cette sorte de vision apportait à notre
grande Reine une consolation singulière et une joie incomparable. En d'autres
occasions, elle observait que la Divinité envoyait au corps de l'Enfant-Dieu
une certaine influence de la gloire de son âme très-sainte, qui lui
communiquait par ce moyen des effets des corps glorieux, notamment la clarté
et la lumière qui rejaillissaient du corps naturel du Fils sur celui de la
Mère par une infusion ineffable et divine. Cette faveur la transformait
entièrement en un autre être, enflammant son coeur et y excitant des effets si
extraordinaires, qu'il n'est pas possible de les exprimer. Que l'entendement
du plus élevé des séraphins s'en approche tant. qu'il pourra, je suis sûre
qu'il sera ébloui de cette gloire (1) : parce que cette divine Reine était un
ciel intellectuel et animé qui renfermait en abrégé la grandeur et la gloire
que l'immensité des cieux ne saurait contenir (2).
184. Ces bienfaits se
suivaient les uns les autres, selon les actions de la divine Mère, et selon la
diversité de ses opérations, les unes étant spirituelles, les autres
corporelles : employant les unes au service de
(1)
Prov., XXV, 27. — (2) III Reg., VIII, 27.
616
son
Époux, les autres en faveur de son prochain; et tout cela, exécuté par la
sagesse d'une mortelle, présentait le plus doux spectacle à Dieu et aux
esprits angéliques, et formait à leurs oreilles comme un concert harmonieux.
Lorsque par la disposition divine la Reine de l'univers se trouvait le plus
dans son état naturel, au milieu de cette variété d'occupations, elle
souffrait des langueurs mortelles, causées par la force et par la violence de
son amour : car alors elle pouvait véritablement dire ce que Salomon dit pour
elle sous le nom de l'Épouse : Fortifiez mon coeur avec l'odeur des fleurs,
parce que je languis d'amour (1) ; c'est ainsi que, profondément blessée
par cette très-douce flèche, elle était souvent sur le point d'expirer; mais
bientôt la main puissante du Très-Haut la fortifiait d'une manière
surnaturelle.
185. Il arrivait parfois
que, pour lui donner quelque soulagement sensible, plusieurs petits oiseaux
venaient la visiter par le commandement du Seigneur; et, comme s'ils eussent
connu leur Maîtresse, ils la saluaient en voltigeant autour d'elle et en lui
faisant un agréable concert; ils attendaient sa bénédiction pour prendre
ensuite congé d'elle. Cela arriva en particulier aussitôt qu'elle eut conçu le
Verbe divin, comme si, après que les anges l'eurent félicitée de sa dignité,
les chantres de la nature eussent voulu l'en féliciter à leur tour. La Reine
des créatures commanda ce jour-là à diverses espèces d'oiseaux qui se
trouvaient avec elle
(1) Cant., II, 5.
617
de
reconnaître leur Créateur, et de lui chanter des louanges en reconnaissance de
l'être qu'ils en avaient reçu et de leur conservation. Ils obéirent
incontinent à leur Maîtresse; ils renouvelèrent leur chant, remplissant l'air
d'une très-douce harmonie, et voltigeant jusqu'à terre, ils firent la
révérence au Créateur et à sa Mère, qui le portait dans son sein. Ils se
présentaient souvent à elle avec des fleurs dans leurs becs, et ils les
laissaient tomber entre ses mains, attendant ensuite qu'elle leur commandât de
chanter ou de se taire, selon sa volonté. Il arrivait aussi qu'ils venaient
dans des temps rigoureux se mettre sous la protection de leur divine
Maîtresse; elle les recevait avec plaisir, et les nourrissait avec la tendre
sollicitude que lui inspirait leur innocence, glorifiant le Créateur de toutes
choses en ces petits animaux. 186.
Notre ignorance ne doit pas être surprise de ces merveilles; car, quoique l'on
puisse estimer petits les sujets où elles s'opéraient, les couvres du
Très-Haut sont pourtant toujours grandes et vénérables dans leurs fins :
celles de notre très-prudente Reine l'étaient aussi dans les plus petites
choses. Trouvera-t-on quelqu'un assez ignorant ou assez téméraire pour ne
point comprendre ou pour ne point avouer que la créature raisonnable ne fait
qu'un acte de justice lorsqu'elle reconnaît la participation de l'être de Dieu
et de ses perfections dans toutes les créatures (1) , où elle doit le chercher
et le trouver, le bénir et le proclamer
(1) Eccles., XLII, 16.
618
admirable, puissant, libéral et saint, comme l'auguste , Marie le faisait,
sans qu'il y eût ni tempe, ni
lien, ni créature visible qui ne la portassent à cela? Comment ne
rougirions-nous pas de notre ingratitude et de notre oubli? Comment est-ce que
notre dureté ne serait point attendrie? Comment ne noua enflammerions-nous pu,
dans notre tiédeur, en voyant que des créatures privées de raison nous
reprennent et nous enseignent que ce n'est que pour l'être qu'elles ont reçu
de Dieu qu'elles le louent sans l'offenser jamais, pendant que les hommes,
qu'il a faits à son image et à sa ressemblance (1), capables de le connaître
et d'en jouir éternellement, l'oublient sans le reconnaître; et s'ils le
connaissent, ils l'offensent, sans vouloir ni le louer ni le servir? Il n'y a
nul droit de préférer ceux-ci aux bêtes brutes, puisqu'ils en viennent à être
pires qu'elles (2).
Instruction de la Mère de Dieu.
187. Ma fille, vous avez
déjà assez reçu de mes instructions pour désirer et tâcher d'acquérir la
science divine, que je souhaite fort que vous appreniez, afin que par son
secours vous sachiez avec combien de respect vous devez traiter avec Dieu. Je
(1) Gen., I, 26. — (2) Ps. XLVIII, 13 et 21.
619
vous
avertis de nouveau que cette science est très-difficile aux mortels, et que
peu de personnes la désirent, à cause de leur ignorance, et à leur grand
dommage, parce qu'il résulte de là que, quand il leur arrive de traiter avec
le Très-Haut de ce qui regarde un service, elles ne font pas de son infinie
grandeur an jugement aussi juste qu'elles devraient; elles ne se débarrassent
pas non plus des images ténébreuses ni des préoccupations terrestres, qui les
rendent désagréables et charnelles, et par conséquent indignes et incapables
du commerce magnifique de la Divinité souveraine. Cette ignorance grossière et
traîne avec elle un autre désordre : c’est que si elles fréquentent leur
prochain, elles se livrent aux actions extérieures sans ordre, sans mesure,
sans retenue, perdant entièrement le souvenir de leur Créateur, et elles
s'attachent à tout ce qui est terrestre en s'abandonnant à la fougue des plus
furieuses passions.
188. Or, je veux, ma
très-chère fille, que vous vous éloigniez de ce danger, et que vous appreniez
la science qui a pour objet litre immuable de Dieu et ses attributs infinis;
vous devez le connaître et vous unir à lui de telle sorte, qu'il n'y ait entre
vous et le souverain bien aucune chose créée. Vous devez l'avoir en vue en
tout temps, en tout lieu et en toutes vos occupations, sans vous en séparer
jamais dans cet intime et saint embrassement de votre coeur (1). Et
(1) Cant., III, 4.
620 afin
que vous y parveniez, je vous avertis et je vous commande de le traiter avec
magnificence, avec respect et avec crainte. Je veux aussi que vous ayez ciné
grande estime et une vénération religieuse pour tout ce qui regarde son culte
divin. Surtout, avant que d'entrer en sa présence par l'oraison et par la
prière vous devez vous dépouiller de toutes les images sensibles et
terrestres. Et parce que la fragilité humaine vous empêche de persister
toujours dans la force de l'amour et d'en éprouver constamment les effets avec
la même vivacité dans votre corps mortel, vous pouvez vous procurer quelque
soulagement honnête, pourvu qu'il soit tel que vous y trouviez toujours Dieu,
comme de le louer dans la beauté des cieux et des étoiles, dans la diversité
des herbes, dans le riant aspect des campagnes, dans la force des éléments, et
singulièrement dans les excellentes perfections de la nature angélique et de
la gloire des saints.
159. Mais vous n'oublierez
jamais l'avis que je vais vous donner, et vous en ferez toujours le sujet de
vos plus sérieuses réflexions : c'est que dans nulle occasion, ni pour
beaucoup que vous. ayez fatigué, vous ne preniez aucun divertissement avec les
créatures humaines, et que parmi elles vous évitiez singulièrement de le
prendre en la compagnie des hommes, de peur qu'avec votre naturel faible et
complaisant vous ne couriez risque d'excéder et de passer les justes limites,
en vous laissant aller à plus de satisfactions sensibles qu'il n'est
convenable aux religieuses et aux épouses de mon très-saint Fils. Cette
négligence est
621
fort
dangereuse dans toutes les créatures humaines, parce que si on lâche une fois
la bride à la nature fragile, elle ne se soucie plus de la raison ni de la
véritable lumière de l'esprit; mais oubliant tout ce qui pourrait la porter au
bien, elle suit aveuglément l'impétuosité de sa passion, et celle-ci ne
cherche que son plaisir. C'est contre ce péril universel que la clôturé et la
retraite ont été ordonnées aux âmes consacrées à mon Fils et Seigneur, pour
ôter entièrement les occasions fatales à certaines religieuses qui pourraient
les rechercher par inclination et s'y livrer par imprudence. Vos récréations,
ma très-chère fille, et celles de vos soeurs doivent être à l'abri d'un pareil
danger et d'un air si empoisonné; vous devez toujours chercher avec préférence
celles que vous trouverez dans le secret de votre cœur et dans le cabinet de
votre Époux, qui est fidèle à consoler dans la tristesse et à secourir dans la
tribulation (1).
(1) Ps. XC, 15.
622
CHAPITRE XV. La très-pure Marie
sut que c'était la volonté du Seigneur qu'elle allât voir sainte Élisabeth. —
Elle en demande la permission à saint Joseph sans lui déclarer autre chose.
190. L'auguste Marie apprit
par le discours de l'ambassadeur céleste saint Gabriel que sa cousine
Élisabeth (que l'on croyait stérile) avait conçu un fils, et qu'elle était
dans le sixième mois de sa grossesse (1). Ensuite le Très-Haut lui révéla dans
une des visions intellectuelles qti elle eut, que le fils miraculeux que
sainte Élisabeth enfanterait serait grand devant le même Seigneur, qu'il
serait son prophète et le précurseur du Verbe incarné qu'elle portait dans son
sein virginal, et d'autres grands mystères de la sainteté de saint Jean. La
divine Reine connut dans cette même vision et. en d'autres aussi que le
Seigneur avait pour agréable qu'elle allât faire visite à sa cousine, afin
qu'elle et le fils qu'elle portait dans son sein fussent sanctifiés par la
présence de leur Restaurateur, parce que sa divine Majesté voulait faire
éprouver les premiers effets de sa venue su monde et
(1) Luc., I, 36. — (2) Ibid.. 15 et 17.
628
de ses
mérites à son précurseur, en lui communiquant le torrent de sa grâce, pour
qu'il fût comme un fruit précoce et hâtif de la rédemption du genre humain.
191. La très-prudente
Vierge, dans les transports d'une joie inexprimable, rendit grâces au Seigneur
pour ce nouveau mystère qu'elle venait de connaître, et de ce qu'il daignait
faire cette faveur à l'âme de celui qui devait être son prophète et son
précurseur, et à sa mère Élisabeth. Et s'offrant de faire tout ce qui serait
de son bon plaisir, elle dit à sa divine Majesté : u Souverain Seigneur,
principe et cause de tout notre bien, votre nom soit éternellement
glorifié, connu et loué de toutes les nations. Je ne laisserai
pas, quoique je sois la plus petite des créatures, de vous rendre de
très-humbles actions de grâces pour la grande miséricorde que vous
voulez exercer envers votre servante Élisabeth et envers le fils
qu'elle a conçu. Si vous agréez de me faire toua naître ce que vous voulez que
je fasse dans cette occasion pour votre service, me voici, Seigneur, u
toute prête à 'obéir à vos divins commandements. » Le Très-Haut lui répondit:
« Ma colombe, mon amie et mon élue entre toutes les créatures (1), je
vous dis en vérité que par votre intercession et pour votre amour
je regarderai en Père et en Dieu très-libéral votre cousine Élisabeth, et le
fils qu'elle doit enfanter, le choisissant pour mon prophète.
(1) Cant., II, 14.
624
et pour le précurseur du Verbe qui est
fait homme en vous, je les considère comme des personnes qui vous
appartiennent. Ainsi je veux que mon Fils unique et le vôtre aille visiter la
Mère et racheter le fils de la servitude du premier péché, afin qu'avant le
temps commun et ordinaire des autres hommes, sa voix et ses louanges résonnent
à mes oreilles, et qu'en sanctifiant son âme, les mystères de l'incarnation et
de la rédemption lui soient révélés. C'est pour cela que je veux, ma chère
Épouse, que vous alliez visiter Élisabeth, parce que nous choisissons son fils
pour de grandes choses qui sont de notre bon plaisir. »
192. La très-obéissante
Mère répondit à cet ordre du Seigneur : « Vous savez bien, mon adorable
Maître, que mon coeur et mes désirs sont entièrement consacrés à votre
divine volonté , et que je veux exécuter avec diligence ce que vous commandez
à votre très-humble servante. Autorisez-moi, mon à bien-aimé, à en
demander la permission à mon époux Joseph, et que je fasse ce voyage avec son
agrément. Et afin que je ne m'éloigne pas da vôtre, dirigez toutes mes
actions, conduisez mes pas à la plus grande gloire de votre saint nom
(1) , et recevez pour ce sujet le sacrifice que je vous fais de paraître
en publie et de quitter ma chère solitude. Je voudrais, mon Roi et mon Dieu,
vous offrir dans cette occasion plus que mes désirs, en y trouvant
(1) Ps., CXVIII, 133.
625
à
souffrir pour votre amour tout ce qui pourrait vous plaire et contribuer plus
grandement à votre service, afin que les affections de mon âme ne fussent
point stériles. »
193. Notre grande Reine,
sortie de cette vision, appela les mille anges de sa garde, qui lui apparurent
aussitôt sous une forme corporelle; elle leur déclara le commandement du
Très-Haut, les priant de l'assister dans son voyage avec beaucoup de soin , de
lui enseigner à exécuter cet ordre selon le bon plaisir du Seigneur, et de la
préserver des périls, afin que tout ce qu'elle y ferait fait dans la plus
grande perfection. Les princes célestes s'offrirent avec une soumission
admirable de lui obéir et de la servir en toutes choses. La Maîtresse de la
prudence et de l'humilité avait coutume de leur faire des demandes semblables,
elle qui pourtant les surpassait, dans tout ce qu'elle faisait, en sagesse et
en perfection. Mais c'était à cause de son état de voyageuse et de la
condition inférieure de la nature humaine, que, pour donner la dernière
perfection à ses oeuvres, elle consultait et appelait à son secours les mêmes
anges qui, lui étant inférieurs en sainteté, la gardaient et l'assistaient, et
d'après leurs conseils elle ordonnait ses actions, quoique d'un autre côté
elles fussent toutes conduites par l'impulsion du Saint-Esprit. Les courtisans
célestes lui obéissaient avec cet empressement et cette ponctualité propres à
leur nature, et dues à leur Reine et Maîtresse. Ils se livraient avec elle aux
plus doux colloques, et ils chantaient alternativement en sa compagnie les
626
louanges du Très-Haut. D'autres fois elle les entretenait des mystères sacrés
du Verbe incarné, de l'union hypostatique, de la rédemption du genre humain,
des triomphes qu'il remporterait, des fruits et des bienfaits que les mortels
recevraient de ses pauvres. J'allongerais trop ce discours si j'écrivais tout
ce qui m'a été manifesté sur ce sujet.
194. Après la vision,
l'humble Épouse se détermina à demander à saint Joseph la permission
d'exécuter ce que le Très-Haut lui commandait, et sans lui déclarer ce
commandement par un effet de sa prudence , elle lui parla en ces termes : «
Mon seigneur et mon époux, j'ai 'appris dans une révélation divine
que le Très-Haut a daigné favoriser ma cou sine Élisabeth , femme de Zacharie
, en lui donnant un fils qu'elle demandait; j'espère que dans sa
bonté infinie, le Seigneur qui a accordé à ma cousine stérile ce bienfait
singulier, le fera tourner à sa plus grande gloire. Je crois que, dans
une occasion comme celle-ci, je suis obligée par les lois de l'honnêteté
de l'aller visiter, pour lui communiquer quelques secrets qui regardent sa
consolation et son bien spirituel. Si ce voyage vous est agréable,
je le ferai avec votre permission , comme étant entièrement soumise à
votre volonté. Considérez ce qui sera le meilleur, et commandez-moi ce que je
dois faire. »
195. Le silence discret de
l'auguste Marie, remplie d'une soumission si humble, fut fort agréable au
Seigneur, comme étant digne de la grandeur de son âme,
(627)
qui
avait reçu en dépôt les grands secrets du souverain Roi (1). Et c'est pour
cela, aussi bien que pour la confiance qu'il avait en la fidélité de cette
grande Dame, que son adorable Majesté disposa le coeur très-pur de saint
Joseph, en l'éclairant de sa divine lumière sur ce qu'il devait faire selon sa
sainte volonté. C'est la propre récompense de l'humble qui demande conseil, de
le trouver bon et assuré. Et il appartient également à celui qui a un zèle
saint et discret, de le donner prudent quand on le lui demande. Le saint époux
étant conduit par cette lumière céleste, répondit à notre grande Reine: « Vous
savez déjà, Madame et mon épouse, que tous mes désirs et mes soins ne
tendent qu'à vous servir, parce que je me confie comme je dois à
votre grande vertu, et que je sais que votre volonté très-bien réglée
n'entreprendra aucune chose qu'elle ne soit à la plus grande gloire
du Très-Haut, comme je crois que le voyage que vous souhaitez de faire
le sera. Et afin que l'on ne soit pas surpris de vous voir marcher sans
votre époux, j'irai avec bien du plaisir en votre compagnie pour
avoir soin de vous servir dans le chemin. Fixez donc le jour de notre départ.
»
196. La très-sainte Vierge
remercia son prudent époux Joseph de la tendre sollicitude qu'il lui
témoignait, et de ce qu'il coopérait avec tant de zèle à la volonté de Dieu,
en une chose qui regardait son service et sa gloire; ils convinrent ensuite de
partir
(1) Tob., XII, 7.
628
incontinent pour aller à la maison d'Élisabeth, préparant les provisions de
voyage, qui se réduisaient à quelques fruits, du pain et de petits poissons
que saint Joseph acheta; il eut aussi une petite monture qu'on lui prêta pour
porter les vivres et son épouse, la Reine de tout ce qui est créé. Après ces
préparatifs ils partirent de Nazareth pour se rendre en Judée (1). Je
poursuivrai leur voyage dans le chapitre qui suit.. La souveraine maîtresse du
monde ne fut pas plutôt sortie de sa pauvre maison, qu'elle se mit à genoux
devant sou époux saint Joseph , et en cette posture elle lui demanda sa
bénédiction pour commencer la journée au nom du Seigneur. Le saint se retira
voyant la grande humilité de sou épouse, dont il connaissait les vertus par
une longue expérience, et il balança de ni accorder sa demande. Mais la
mansuétude et les douces importunités de l'auguste Marie le vainquirent, et le
saint fuit par la bénir au nom du Très-Haut. Dès les premiers pas, elle leva
les yens au ciel et le coeur à Dieu, les consacrant tous à l'accomplissement
du bon plaisir divin, portant dans sou sein le Fils unique du Père et le sien
, pour sanctifier Jean dans celui de sa mère Élisabeth.
(1) Luc., I, 39.
629
Instruction de la Reine du ciel,
197. Ma très-chère fille,
je vous découvre plusieurs fois l'amour de mon coeur, parce que je désire
grandement que le vôtre en soit enflammé, et que vous fassiez votre profit des
avis que je vous donne. Heureuse est l'âme à qui Dieu manifeste sa sainte
volonté; mais beaucoup plus heureuse est celle qui, la connaissant, met en
pratique ce qu'elle a appris. Dieu enseigne par plusieurs moyens aux mortels
les voies de la vie éternelle; par les évangiles, par les écritures, par les
sacrements, par les lois de la sainte Église, par d'autres livres et par
l'exemple des saints, et spécialement par le moyen de la doctrine et des
avertissements de ses ministres, dont sa divine Majesté a dit: Celui qui
vous écoute, m’écoute (1); car c'est obéir au même Seigneur que de leur
obéir. Quand il vous arrivera de connaître la volonté divine par quelqu'une de
ces voies, je veux que, vous servant de l'humilité et de l'obéissance comme de
deux ailes, vous voliez plus vite qu'un aigle pour l'exécuter, et pour
accomplir le bon plaisir divin.
198. Outre ces manières
d'enseigner, le Très-Haut en a d'autres pour conduire les âmes, en leur
faisant connaître sa volonté d'une façon surnaturelle, par laquelle il leur
révèle plusieurs mystères. Cet ordre a
(1) Luc., X, 16.
630
ses
degrés, qui sont fort différents, et ils ne sont pas tous ordinaires, ni
communs aux âmes, parce que le Très-Haut dispense sa lumière avec poids et
mesure (1): dans certaines circonstances, il parle au coeur et aux sens avec
empire; dans d'autres, il le fait en corrigeant, ou en exhortant et en
instruisant. Tantôt il excite le coeur à demander, et tantôt il propose
clairement ce que le Seigneur lui-même désire, pour que l'âme se porte à
l'exécuter; ou bien il se borne à découvrir en lui-même , comme dans un
brillant miroir, de grands mystères que puisse voir et, connaître
l'entendement, que puisse aimer la volonté. Mais toujours ce grand Dieu et ce
souverain bien est très-doux à commander, très-puissant à donner des forces
pour obéir, très-juste dans ses ordres, très-prompt à disposer les choses pour
être obéi, et très-efficace à vaincre les empêchements , afin que sa
très-sainte volonté soit accomplie.
199. Je veux, ma fille, que
vous soyez fort attentive à recevoir cette divine lumière, et que vous soyez
fort prompte et diligente à exécuter ses ordres; il faut, pour ouïr le
Seigneur, et pour distinguer cette voix si délicate, si spirituelle, que les
puissances de l'âme soient dégagées de la grossièreté terrestre, et que toute
la créature vive selon l'esprit, parce que l'homme charnel ne comprend point
les choses célestes et divines (2). Renfermez-vous donc dans le secret de
votre coeur, et oubliez tout ce qui appartient à l'extérieur.
(1) Sap., XI, 21. — (2) I Cor., II, 14.
631
Écoutez, ma fille, et ayez l'oreille attentive; éloignez-vous de tout ce qui
est sensible. Et afin que vous soyez diligente, il faut que vous aimiez, car
l'amour est un feu qui ne saurait suspendre ses effets, surtout lorsqu'il
trouve la matière disposée : ainsi je veux que votre coeur soit toujours
préparé. Quand le Très-Haut vous commandera, ou vous enseignera quelque chose
pour le bien des âmes et. pour leur salut éternel, offrez-vous avec soumission
à le faire, parce qu'elles sont le prix le plus estimable du sang de l’Agneau
et de l'amour divin (1). Ne vous en excusez pas sur votre propre bassesse, ni
sur votre timidité naturelle, mais surmontez la crainte qui vous abat; sachez
que si vous valez peu, et si- vous êtes inutile pour tout, le Très-Haut est
riche et puissant (2), il a fait toutes choses par lui-même, et soyez assurée
que votre zèle et votre charité ne seront point sans récompense, quoique je
veuille que vous agissiez seulement en vue du. bon plaisir de votre Seigneur.
(1) I
Petr., I, 18 et 19. — (2) Rom., I, 12; Isa., XLIV, 24.
FIN DU TOME II.
ANNEXE. (Note sur Marie d'Agréda)
La Soeur Marie de Jésus d'Agréda,
universellement connue sous le nom de Marie d'Agréda, naquit en 1602, à Agréda
(Vieille Castille), et elle y mourut en 1665.
Ses parents,
A peine âgée de vingt-cinq
ans, notre conceptionniste fut jugée digne, par son jugement et sa vertu,
d'être choisie comme abbesse de sa communauté. Pendant trente-cinq ans, ses
consoeurs la réélurent à cette charge.
Dès le début de sa vie
religieuse, Marte d'Agréda fut favorisée de grâces extraordinaires. L'opinion
s'en émut: la voyante obtint alors du ciel d'être délivrée des extases,
lévitations et autres prodiges extérieurs ; mais Dieu continua de la visiter
en secret. En 1627 la Sainte Vierge lut apparut pour lui raconter sa vie et la
charger de l’écrire. Six années durant, par humilité, la Soeur crut devoir
résister à cette Invitation. Mats, en 1637 son confesseur, le Père André de la
Torre, franciscain, lui enjoignit d'obéir, et ce fut alors qu'elle écrivit La
Cité mystique. Un nouveau confesseur, ne voyant en tout cela qu’artifices
diaboliques, lui ordonna de jeter son écrit au feu. Elle obéit. Cependant, en
1650, un autre franciscain, le Père André de Fuenmajor, devenu son directeur
spirituel, lui commanda de reconstituer entièrement l'ouvrage anéanti.
Quand, le 24 mai 1665,
Marie d'Agréda mourut, une telle foule entoura le monastère pour vénérer sa
dépouille, que le gouverneur de la ville dut employer la force afin de le
dégager. Devant les prodiges dus à son intercession, sa cause fut introduite
en cour de Rome, le 21 novembre 1671. Le procès apostolique eut lieu en 1679,
et la servante de Dieu fut alors déclarée « vénérable ».
Dès que parut la Cité
Mystique, l'ouvrage, objet de la curiosité universelle, fut attaqué dans
certaines écoles théologiques. Le 4 août 1681, un décret d'Innocent XI en
interdit la lecture ; il est vrai qu'à cette date les censeurs compétents ne
l'avaient pas encore examiné; trois mois après, un autre décret du même
Innocent XI suspendit l'effet du précédent. Et en 1729, avec l'approbation de
Benoît XIII, la Congrégation des Rites déclara à l'unanimité des votes,
« qu'il était permis de lire et de garder par devers soi la Cité Mystique ».
Par cette décision, l'Église ne garantit pas l'authenticité des révélations de
Marie d'Agréda, mais elle nous est caution que rien n'y est contraire à la foi
ou aux moeurs (1).
L'oeuvre de Marie d'Agréda
a été traduite dans toutes les langues et on en publia de nombreux abrégés.
La meilleure traduction
française de la Cité Mystique est celle que fit, en 1694 le Père Thomas
Crozet, récollet de la province de Saint-Bernardin d'Aquitaine. Elle fut
entreprise sur l'ordre du Ministre général des Frères Mineurs et reçut
l'approbation des autorités religieuses de l'époque. Les extraits que nous en
donnons sont tirés de l'édition authentique publiée à Bruxelles en 1715 sous
le titre: La Cité Mystique de Dieu, miracle de toute puissance, abyme de la
grâce. Histoire divine et vie de la très Sainte Vierge Marie manifestée par la
même sainte Vierge à la Vénérable Mère Marie de Jésus d'Agréda, de l'ordre de
saint
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