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CHAPITRE XV. De l'immaculée conception de Marie, Mère de Dieu, par la vertu du
pouvoir divin.
Instruction que la Reine du ciel me donna sur le chapitre précédent.
Instruction que la Reine du ciel me donna sur ces chapitres.
Instruction et réponse de la Reine du ciel.
Réponse et instruction de la Reine du ciel.
CHAPITRE XV. De l'immaculée conception de Marie, Mère de Dieu, par la vertu du
pouvoir divin.
208. La divine Sagesse
avait préparé toutes choses pour séparer de la masse corrompue de la nature
humaine la Mère de la, grâce. Le nombre destiné des patriarches et des
prophètes était déjà complet et dans .sa perfection, et les hautes montagnes
étaient élevées sur lesquelles cette Cité mystique de Dieu se devait édifier
(1). Il lui avait préparé par la puissance de sa droite des trésors
incomparables de sa divinité, pour la doter et pour l'enrichir. Il lui tenait
mille anges tout prêts pour sa garnison et pour sa garde, et afin qu'ils
servissent comme des sujets très-fidèles leur
Reine et leur Maîtresse. Il lui prépara une lignée royale et
très-noble dont elle descendrait; et il lui
choisit des parents très-saints et
très-parfaits dont elle devait immédiatement
naître, sans qu'il s'en pût trouver de plus saints dans tout ce siècle; car
s'il y en eût eu de plus grands et de plus propres pour être parents de
(1) Ps. LXXXVI, 2.
518
celle
que le même Dieu choisissait pour Mère, il n'y a point de doute que sa divine
Majesté ne les eût choisis.
209. Il les disposa par une
abondance de grâces et. de bénédictions de sa
droite, et les enrichit de toutes sortes de vertus et d'une lumière
particulière de la science divine et des dons du Saint Esprit. Après qu'il
leur eut annoncé qu'ils auraient une tille admirable et bénie entre toutes les
femmes, l'ouvrage de la première conception, qui était celle du
très-pur corps de Marie, s'exécuta. L'âge de ses
parent» quand ils se marièrent, était, celui de sainte Anne de vingt-quatre
ans, et celui de saint Joachim de quarante-six. Vingt années se passèrent
après leur mariage sans qu'ils eussent des enfants, et ainsi la mère
avait, au temps de la conception de la fille,
quarante-quatre ans, et le père soixante-six. Et quoiqu'elle fût selon l'ordre
commun des autres conceptions, néanmoins la vertu du Très-Haut lui ôta ce
qu'il y avait d'imparfait et de désordonné, ne lui laissant que le nécessaire
et le précis de la nature, afin que le corps le plus excellent qui fut et qui
sera jamais entre les pures créatures fût formé sans la moindre imperfection.
210. Dieu corrigea les
fonctions des pères de notre Reine, et sa grâce les prévint, afin qu'elles
fussent dans cette occasion vertueuses, méritoires et saintement réglées; de
manière qu'agissant selon l'ordre commun, elles étaient dirigées, corrigées et
perfectionnées par la force de cette divine grâce, qui devait opérer son effet
sans que la nature y portât aucun obstacle. Cette vertu céleste éclata bien
plus en sainte (519) Anne à cause de sa stérilité naturelle ; son concours
étant miraculeux en la manière et très-pur en la
substance car elle ne pouvait concevoir sans miracle, parce que la conception
qui se fait sans ce secours et par la seule vertu et le seul ordre naturels,
ne doit dépendre immédiatement d'aucune autre cause surnaturelle.
211. Mais en cette
conception, quoique le père ne fût pas naturellement infécond, la nature était
déjà néanmoins corrigée et quasi éteinte en lui à cause de son âge; et ainsi
elle fut par la vertu divine réparée et prévenue, de sorte qu'elle put opérer
et opéra de son côté avec toute perfection et retenue des puissances, et
proportionnellement à la stérilité de la mère : la nature et la grâce
concourant en l'un et en l'autre en ce qui était seulement précis et
nécessaire; et cette grâce fut surabondante et puissante pour engloutir la
même nature, ne la confondant pas pourtant, mais la relevant et la
perfectionnant d'une manière miraculeuse, afin que l'on reconnût que la grâce
s'était chargée de cette conception, ne se servant de la nature que pour en
prendre ce qu'il fallait pour donner à cette ineffable fille des parents
naturels.
212. La stérilité de la
très-sainte mère Anne ne fut pas guérie par la
réparation de ce qui manquait à la complexion et à la faculté naturelle, pour
être féconde et pour concevoir sans aucune différence des autres femmes; mais
le Seigneur concourut avec la puissance stérile par un autre moyen plus
miraculeux, afin qu'elle fournit une substance naturelle à la formation de ce
corps virginal. Ainsi la puissance qui le conçut (520) et la substance dont il
fut formé furent bien naturelles , mais leur emploi
fut l'effet du concours miraculeux de la vertu divine. Et le miracle de cette
admirable conception cessant, la sainte mère se trouva dans son ancienne
stérilité, en laquelle elle ne pouvait plus concevoir, pour n'y avoir ajouté
ni diminué aucune nouvelle qualité à la complexion naturelle. Il me semble que
ce miracle se développera mieux par l'exemple de celui que Jésus-Christ fit
quand saint Pierre marcha sur les eaux (1) : car, pour le soutenir, il ne fut
pas nécessaire de les affermir, ni de les changer en cristal ou en glace, sur
quoi il marchât naturellement, et plusieurs autres après lui, sans aucun autre
miracle que leur affermissement : mais le Seigneur put faire qu'elles
soutinssent le corps de l'apôtre sans les affermir, concourant miraculeusement
avec elles, de sorte que le miracle étant passé, les eaux se trouvèrent
liquides, comme véritablement elles l'étaient lorsque saint Pierre y marchait,
puisqu'il commençait de s'enfoncer; et le miracle continua sans les altérer
par une nouvelle qualité.
213. Le miracle en vertu
duquel sainte Anne, mère de la très-pure Marie,
conçut, quoique incomparablement plus admirable que celui-là, lui fut
néanmoins. fort semblable; ainsi les très-saints
parents de cette sacrée fille furent gouvernés et dirigés dans cette innocente
conception par la grâce, qui en éloigna si fort toute sorte de sensualité, que
l'aiguillon du péché
(1) Matth., XIV, 29.
521
originel
n'y eut aucune part, et il ne s'y trouva nulle impression de ces effets qui
accompagnent la conception des autres personnes. De sorte que ce qui servit à
cette très-pure conception n'étant accompagné
d'aucune imperfection, l'action en fut beaucoup méritoire. Ainsi par cet
endroit il fut très-facile que le péché ne se
trouvât point ni n'eût aucun pouvoir dans cette conception, la divine
Providence l'ayant par une voie extraordinaire déterminé de la sorte : le
Très-Haut réservant ce miracle pour elle, qui seule devait être sa
très-digne Mère; parce que, puisqu'il était
convenable qu'elle fût engendrée dans le substantiel de sa conception selon le
même ordre que les autres enfants d'Adam l'étaient, il fut aussi
très-convenable et dû à sa dignité, que, sans
détruire la nature, la grâce y concourût avec elle dans toute l'étendue de sa
vertu et de son pouvoir, en se signalant et opérant avec plus de distinction
en elle qu'en tous les enfants d'Adam, et même qu'en les deux premiers pères,
qui furent les premiers à donner l'entrée à la corruption de la nature et à sa
concupiscence désordonnée.
214. La sagesse et le
pouvoir du Très-Haut prirent un si grand soin, à notre façon de parler, de la
formation du corps très-pur de Marie, qu'il le
composa avec un grand poids et une juste mesure, tant en la quantité que dans
les qualités des quatre humeurs naturelles, la sanguine, la mélancolique, la
flegmatique et la bilieuse; afin qu'il aidât sans aucun empêchement ni
contradiction, par la proportion de ce (522) mélange
très-parfait et de cette composition bien réglée, les opérations d'une
âme aussi sainte que celle qui le devait animer. Ce tempérament miraculeux fut
ensuite comme le principe et une espèce de cause de la sérénité et de la paix
que les puissances de la Reine du ciel conservèrent durant toute sa vie, sans
qu'il y eùt entre ces humeurs aucune guerre, ni
contradiction, ni rien d'excessif) su contraire, elles s'entr'aidaient
et se secouraient réciproquement pour se conserver dans cet ouvrage admirable
sans corruption et sans pourriture; car jamais le bienheureux corps de la
très-sainte Marie n'en a souffert aucune, et il ne
se trouva en lui aucun manquement ni superfluité, ayant toujours toutes les
qualités et la quantité dans une juste proportion, sans plus ni moins de
sécheresse ou d'humidité que celle qui lui était nécessaire pour sa
conservation, ni plus de chaleur que celle qui lui suffisait pour sa défense
et pour la digestion, ni plus de froideur que celle qu'il fallait pour
rafraîchir et pour tempérer les autres humeurs.
215. Bien que ce corps fait
en tout d'une admirable composition , il ne laissa pourtant pas de ressentir
et d'endurer les rigueurs du chaud, du froid et les autres incommodités
auxquelles nos corps sont naturellement sujets; car plus il était proportionné
et parfait, plus il était sensible aux moindres impressions, à cause de la
juste égalité qui était dans les humeurs, qui faisait qu'elles n'avaient pas
tant de force pour résister à leurs contraires, qui font des efforts plus
violents lorsque le tempérament est plus (523) réglé, et que par sa
délicatesse il est plus susceptible des altérations qui peuvent s'y produire,
ainsi que nous remarquons dans les excès qui arrivent à tous les corps. Celui
qui se formait miraculeusement dans le sein de sainte Anne n'était pas
capable, avant que d'avoir reçu l'âme, des dons spirituels; mais il l'était de
recevoir les dons naturels, et ceux-ci lui furent accordés par un ordre et par
une vertu surnaturelle, et avec toutes les qualités requises à la fin de la
grâce singulière pour laquelle cette formation, faite au-dessus de tout ordre
de la nature et selon le plus élevé de la grâce, était ordonnée. Ainsi il
reçut une complexion et des puissances si excellentes, que toute la nature
n'en pouvait pas former par elle seule de semblables.
216. Comme la main du
Seigneur forma nos premiers pères Adam et Ève avec ces qualités et ces
avantages qui convenaient à la justice originelle et à l'état d'innocence,
dans lesquels ils excellèrent et furent plus privilégiés que n'auraient été
tous leurs descendants, quand mène ils se seraient maintenus dans cet heureux
état, parce que les œuvres du Seigneur seul sont plus parfaites; sa
toute-puissance opéra de cette façon, bien qu'en un degré plus excellent, en
la formation dit corps de la très-pure Marie, avec
une providence et une grâce d'autant plus grande et plus abondante, que cette,
créature surpassait non-seulement nos premiers
parents, qui se laissèrent incontinent après tomber dans le péché, mais toutes
les autres créatures, tant corporelles que spirituelles. (524) Suivant notre
manière de concevoir, Dieu prit plus de soin à composer seulement ce petit
corps de sa très-sainte Mère, qu'il n'en prit à
former tous les cieux et tout ce qu'ils renferment. Et nous devons commencer
de mesurer avec cette règle les dons et les privilèges que reçut cette Cité de
Dieu (1), dès les premiers fondements sur lesquels ses grandeurs furent
élevées, jusqu'à arriver à cette hauteur qui la fait immédiate et la plus
proche de l’infinité du Très-Haut.
217. Le péché et les
dangereuses flammes qui en résultent se trouvèrent fort loin de cette
conception miraculeuse, puisque non-seulement ce
péché ne se trouva point dans l'aurore de la grâce (que nous exprimerons
toujours en nous servant de ce terme d'aurore), mais qu'il fut aussi lié dans
ses parents quand ils la conçurent, afin qu'il ne s'émancipât ni ne troublât
la nature, qui dans. cette production se
reconnaissait véritablement inférieure à la grâce, n'y servant que de seul
instrument au suprême Architecte, qui est supérieur aux lais de la nature et
de la grâce: commençant dès cet instant à détruire le péché et même à abattre
le château du fort armé, pour le renverser et le dépouiller de ce qu'il
possédait avec tyrannie (2).
218. La première conception
du corps de la très-sainte Vierge se fit en un
jour de dimanche, répondant à celui de la création des anges, dont elle devait
(1) Ps. LXXXVI, 3. — (2) Luc., XI,
22.
525
être la
reine et la supérieure. Et, bien que, selon l'ordre naturel et commun, les
autres corps aient besoin de plusieurs jours pour être entièrement organisés
et pour recevoir la dernière disposition, afin que l'âme raisonnable y soit
infuse; comme l'on dit qu'aux garçons il en faut quarante, et aux filles
quatre-vingts, un peu plus ou moins, selon la chaleur naturelle et la
disposition des mères; néanmoins la vertu divine abrégea le temps naturel en
la formation du corps de la très-sainte Fille, et
ce qui se devait opérer dans les quatre-vingts jours (ou en ceux que
naturellement il fallait) se fit avec plus de perfection dans sept, pendant
lesquels ce corps miraculeux fut entièrement organisé et tout disposé dans le
sein de sainte Anne pour recevoir la très-sainte
âme de sa fille et de notre Reine.
219. Lé samedi suivant et
le plus proche de cette première conception, se fit la seconde, le Très-Haut
créant l'âme de sa Mère et l'infusant dans son corps; de manière que le monde,
en recevant cette pure créature au nombre de ses habitants, eut le bonheur de
recevoir la plus sainte, la plus parfaite et la plus agréable aux yeux de sa
divine Majesté, de toutes celles qu'il a créées et créera jusqu'à la fin du
monde. Les intentions du Seigneur furent mystérieuses dans la correspondance
des sept jours qu'il mit en cet ouvrage, avec les sept autres qu'il employa,
selon la Genèse, à créer tout le reste de l'univers (1), puisqu'il
(1) Gen., I.
526
reposa
sans doute ici dans l'accomplissement de cette figure, ayant créé la première
de toutes les pures créature, et nous donnant avec elle le principe du grand
ouvrage de l'incarnation du Verbe divin et de la rédemption du genre humain.
Ainsi ce jour-là fut comme un jour de fête pour Dieu aussi bien que pour
toutes les créatures.
220. C'est à cause de ce
mystère de la conception de la très-glorieuse
Marie, que le Saint-Esprit a ordonné que l'Église lui consacrerait le jour du
samedi comme celui auquel elle avait reçu le plus grand bienfait, lorsque son
aine très-sainte fut créée et unie à son corps,
sans que ni le péché originel ni le moindre de ses effets s'y trouvassent. Le
jour de sa conception, que l'Église célèbre aujourd'hui, ne fut pas celui de
la première du corps, mais le jour de la seconde conception ou infusion de
l'âme, avec laquelle il demeura neuf mois complets dans le sein de sainte
Amie, qui font le temps qu'il y a depuis la conception jusqu'à la nativité de
cette reine. Durant les sept jours qui précédèrent l'animation, le seul corps
fut disposé et organisé par la vertu divine, afin quo cette création ou
formation répondit à celle que Moïse raconte de toutes les créatures qui
composèrent et qui formèrent le monde dans son commencement. Ce fut à
l'instant de la création et de l'infusion de l'âme de la
très-heureuse Marie, que la très-sainte
Trinité dit ces paroles, avec bien plus d'affection et de tendresse que celles
qui se lisent dans le premier chapitre de la Genèse ; « Faisons Marie à notre
image et à notre ressemblance, (527) rendons-la notre véritable Fille et
Épouse, pour en faire la Mère du Fils unique de la substance du Père.
221. Par la force de cette
divine parole et par l'amour qui l'accompagnait en sortant de la bouche du
Tout-Puissant, l'âme
très-heureuse de l'incomparable Marie fut créée et infuse dans son
corps, et remplie au même instant de grâce et de dons qui la mirent au-dessus
des plus hauts séraphins, sans qu'il y eût aucun moment auquel elle se trouvât
dépouillée ni privée de la lumière, de l'amitié et de l'amour de son Créateur,
nique la tache et les ténèbres du péché originel la pussent toucher en aucune
manière; au contraire, elle fut créée avec une justice plus parfaite et plus
relevée que colle qu'Adam et Ève reçurent en leur création. L'usage de la
raison la plus parfaite, qui devait être proportionnée aux dons de la grâce
qu'elle recevait, lui fut aussi accordé, afin que ces dons ne fussent pas
inutiles un seul instant, et qu'ils opérassent des effets si admirables, que
son Créateur y pût prendre de souveraines complaisances. J'avoue d'être ravie
et absorbée dans la connaissance et dans la lumière que je reçois de ce grand
mystère, et que mon coeur (dans l'insuffisance où je suis d'exprimer ce qu'il
ressent) se transforme tout en des affections d'admiration, afin d'imposer le
silence à ma langue. Je vois la véritable arche du Testament construite,
enrichie et placée dans le temple d'une mère stérile, avec bien plus de gloire
que la figurative dans la maison d'Obédédom, de
David, et dans le temple de Salomon (528) (1). Je vois l'autel formé dans le
sanctuaire où le premier sacrifice, qui doit vaincre la colère de Dieu en
apaisant sa justice, se doit offrir; et je vois sortir la nature hors de ses
limites dans sa formation, ei établir de nouvelles
lois contre le péché sans garder les communes, ni du péché, ni de la nature,
ni même de la grâce; et qu'une autre nouvelle terre et d'autres cieux nouveaux
commencent à se former (2), dont le premier est le sein d'une
très-humble femme auquel la
très-sainte Trinité donne ses applications et ordonne, que
d'innombrables courtisans de l'ancien ciel assistent, et qu'il y en ait mille
d'entre eux pour garder ce trésor, ce petit corps animé, qui n'est pas plus
grand qu'une petite abeille.
222. Dans cette nouvelle
création la voix du Seigneur retentit bien plus fortement que dans la
première, lorsque, se complaisant en l'ouvrage qu'il venait de faire, il dit
qu'il était très-bon (3). Que la faiblesse
humaine, s'approche de cette merveille avec une pieuse humilité, qu'elle la
publie et avoue la grandeur du Créateur, qu'elle reconnaisse le nouveau
bienfait que tout le genre humain reçoit en sa réparatrice, que le zèle vaincu
par la force de la divine lumière cesse présentement; car si la bonté infinie
de Dieu (ainsi qu'il m'a été découvert) regarda le péché originel en la
conception de sa très-sainte Mère comme avec des
yeux de courroux et irrité contre lui, se
(1) II
Reg., VI, 11-12 ; III
Reg.,VIII, 6 ;
VI, 16. — (2) Isa.,
LXV, 17. — (3) Hen., I,
31.
529
glorifiant
d'avoir une juste cause et une belle occasion de l'éloigner et d'arrêter son
courant, comment la sagesse humaine peut-elle approuver ce que Dieu a eu si
fort en horreur ?
223. Au temps de l'infusion
de l’âme dans le corps de cette divine dame, le Très-Haut voulut que sa mère,
sainte Anne, ressentit et reconnût d'une.façon très relevée la présence de la
Divinité, par laquelle elle fut remplie du Saint-Esprit et émue intérieurement
de tant de joie, et d'une dévotion si sensible et si au-dessus de ses forces
ordinaires, qu'elle fut ravie en une extase très-sublime,
où elle reçut de très-hautes connaissances des
mystères les plus cachés, et elle loua le Seigneur par de nouveaux cantiques
de joie. Ces favorables effets durèrent tout le reste de sa vie; mais ils
furent plus grands pendant les neuf mois quelle garda dans son sein le trésor
du ciel; car durant ce temps-là ces faveurs lui furent renouvelées et plus
souvent réitérées, recevant une connaissance particulière des Écritures
saintes et de ses profonds mystères. O très-fortunée
fille ! soyez appelée bienheureuse et louée de
toutes les nations et générations de l'univers.
CHAPITRE XVI. Des habitudes des vertus dont le Très-Haut
dota
l'âme de la très-pure Marie, et des premières
opérations qu'elle pratiqua par elles dans le sein de sainte Anne. — Cette
auguste Reine commence de me donner elle-même une instruction pour m'animer A
l'imiter.
224. Dieu lâcha le torrent
impétueux de sa divinité vers cette Cité mystique (1), l'âme
très-sainte de Marie, pour la réjouir et
l'enrichir par l'abondance de ses bénédictions, qui prenaient leur cours dès
la source Inépuisable de se sagesse infinie et de son immense bonté, par
laquelle et dans laquelle le Très-Haut avait déterminé de déposer en cette
divine dame les plus grande trésors des grâces et des vertus qui furent jamais
donnés ni tic se donneront pendant toute l'éternité à aucune autre créature.
Quand l'heure arriva de les lui distribuer, qui frit dans ce même instant
qu'elle reçut l'être naturel, le Tout-Puissant
satisfit à l'inclination et ait désir qu'il tenait dès son éternité comme
suspendus, jusqu'à ce que le temps convenable arrivât d'accomplir la promesse
(1) Ps. XLV, 5.
531
qu'il
avait faite à sa plus tendre affection. Ce très-fidèle
Seigneur le fit, en répandant dans cette très-sainte
âme de Marie, à l'instant de sa conception, toutes les grâces et tous les dons
en un degré si éminent, que tous les saints ensemble
n'y pourront jamais arriver, ni aucune langue humaine le manifester.
225. Mais quoiqu'elle fit
alors ornée comme une épouse (1) qui descend du ciel avec toutes les
perfections et les habitudes infuses de toutes sortes de vertus, il ne fut pas
néanmoins nécessaire qu'elle les pratiquât toutes sitôt, mais seulement celles
qu'elle pouvait exercer, et qui convenaient à l'état où elle était dans le
sein de sa mère. En premier lieu elle pratiqua les trois vertus théologales,
la foi, l’espérance et la charité, qui ont Dieu pour objet. Elle les exerça
dans l'instant de l'heureuse union de son Aine , connaissant la Divinité d'une
manière très-sublime et par une foi
très-relevée, en laquelle elle pénétrait toutes
ses perfections, ses attributs infinis, la Trinité et la distinction des
personnes. Ses connaissances étaient d'un ordre admirable, sans que l'une
empêchât l'autre, comme je m'en vais dire. Elle exerça aussi la vertu
d'espérance, qui regarde Dieu comme l'objet du bonheur éternel et de la
dernière fin, où cette très-sainte âme s'éleva et
prit l’essor par de très-vastes désirs de s'y
unir, sans jamais s'attacher à aucune autre, ni être un seul moment privée de
ce
(1) Apoc., XXI, 2.
532
mouvement.
Enfin elle pratiqua la vertu de charité, qui contemple Dieu comme le bien
souverain, et infini, avec tant d'attention, d'amour et de respect, qu'il
n'est pas au pouvoir de tous les séraphins d'arriver, avec leurs plus grands
efforts et toutes leurs vertus, à un degré si éminent.
226. Elle eut les autres
vertus qui ornent et qui perfectionnent la partie raisonnable de la créature,
au degré qui répond aux théologales, aussi bien que toutes les vertus morales
et naturelles, en un degré miraculeux et surnaturel; elle eut dans l'ordre de
la grâce les dons et les fruits du Saint-Esprit en un degré bien plus éminent.
Elle fut remplie. de la science infuse et de
l'habitude de toutes les sciences et de tous lés arts naturels., par laquelle
elle sut et connut toutes les choses naturelles et surnaturelles qui se
rapportent à la grandeur de Dieu; de sorte qu'elle fut dans le sein de sa
mère, dès le premier instant, plus sage, plus prudente, plus pénétrée et
informée de Dieu et de toutes ses oeuvres, que toutes les créatures ensemble,
excepté son très-saint Fils, ne l'ont été ni ne le
seront éternellement. Cette perfection ne consistait pas seulement aux
habitudes, qui lui furent infuses en un si haut degré, mais encore dans les
actes qui y répondaient selon son état et son excellence, et selon qu'elle les
put exercer dans cet instant par le pouvoir de Dieu ,
qui la secondait; car dans cette pratique elle n'eut point de borne, ni elle
ne fut point sujette à aucune loi, qu'à celle du divin et très~juste bon
plaisir de son créateur.
533
227. Et parce que nous nous
étendrons beaucoup sur toutes ces vertus et ces grâces ,
et sur leurs opérations, dans la suite de cette histoire de la
très-sainte vie de Marie, je toucherai seulement
ici quelque chose de ce qu'elle opéra dans l'instant de sa conception par les
habitudes: qui lui furent infuses, et par la lumière que ces habitudes lui
communiquèrent. Par les actes des vertus théologales (comme je viens de dire),
et par la vertu de religion et des autres vertus cardinales qui les suivent,
elle connut Dieu comme il est en lui-même, comme créateur et comme
glorificateur; elle l'honora, le loua et le remercia par des actes héroïques
pour en avoir été créée; et elle l'aima, le craignit, l'adora et lui fit des
sacrifices de louanges et de gloire pour 'son être immuable. Elle connut les
dons qu'elle recevait (quoiqu'il y en eût un qui lui fut scellé), pour
lesquels elle rendit de très-humbles actions de
grâces, accompagnées de profondes inclinations corporelles , qu'elle fit
aussitôt dans le sein de sa mère avec ce corps si petit. Et elle mérita plus
dans cet état par ces actes, que tous les saints dans le plus haut degré de
leur perfection et de leur sainteté.
228. Elle eut, outre les
actes de la foi infuse, une haute connaissance du mystère de la Divinité et de
la très-sainte Trinité. Et quoiqu'elle ne la.
vit pas dans cet instant de sa conception
intuitivement comme bienheureuse, elle la vit néanmoins abstractivement par
une autre lumière et par une autre vue inférieure à la.
vision béatifique, mais supérieure à toutes les (534) autres manières
par lesquelles Dieu se peut manifester ou se manifeste à l'entendement créé;
parce qu'elle reçut des espèces de la Divinité si claires et si manifestes,
qu'elle y connut l'être immuable de Dieu; et en lui. toutes les créatures avec
une plus grande lumière et évidence que celles par lesquelles on tonnait une
créature par une autre Ces espèces lui furent comme un miroir
très-clair, dans lequel toute la Divinité
reluisait, et en elle toutes les créatures. Ainsi par cette lumière et par ces
espèces de la nature divine, elle les vit toutes et les connut avec une plus
grande distinction et clarté qu'elle ne les connaissait en elles-mêmes par
d'autres espèces ni par la science infuse.
229. Elle découvrit par
tous ces moyens, avec une grande pénétration, dès l'instant de sa conception,
tous les hommes, tous les anges, leur ordre, leur dignité et leurs opérations,
et toutes les créatures irraisonnables avec leur instinct et leurs qualités.
Elle connut la création, l'état et la perte des anges; la justification et la
gloire des bons, la chute et la punition des mauvais; le premier état
d'innocence d'Adam et d'Ève, comme ils furent trompés; leur péché et les
misères auxquelles nos premiers parents furent sujets par ce péché, et par eux
tout le genre humain; la délibération de la volonté divine pour le réparer, et
comme cet heureux temps s'approchait et commençait de se disposer; l'ordre et
la nature des cieux, des astres et des planètes; les qualités et la
disposition des éléments; le purgatoire, les limbes (535) et l'enfer; et comme
toutes ces choses et ce qu'elles renferment avaient été créées par le pouvoir
divin et conservées par sa seule bonté infinie, sans qu'elle
eùt besoin d'aucune. Et surtout elle pénétra de
très-hauts secrets sur le mystère que Dieu devait
opérer en se faisant homme pour racheter tout le genre
humain , n'ayant pas accordé ce remède aux mauvais anges.
230. Toutes ces merveilles,
dont cette très-sainte âme de Marie prenait
connaissance selon leur ordre, dans l'instant qu'elle fut unie à son corps,
lui firent pratiquer aussi des actes héroïques de vertu, qui elle accompagnait
d'autres actes d'admiration, de louange, de gloire, d'adoration,
d'humiliation, d'amour de Dieu, et de douleur des péchés qui offensaient ce
souverain bien, qu'elle reconnaissait pont auteur et la fin de tant de
merveilles. Elle offrit d'elle-même un sacrifice qui fut fort agréable au
Très-Haut, commençant dès ce moment de le bénir avec une affection ardente, de
l'aimer et de l'honorer pour suppléer à ce quelle connaissait, que les mauvais
anges aussi bien que les hommes avaient manqué d'aimer en lui et de
reconnaître. Elle demanda aux anges bienheureux (dont elle était déjà déclarée
Reine) qu'ils l'aidassent à glorifier le Créateur et le Seigneur de tous, et
d'intercéder aussi pour elle.
231. Le Seigneur lui
manifesta dans cet instant les anges qu'il lui donnait pour sa garde; elle les
vit, les connut et leur fit un accueil fort agréable, et les convia de
glorifier alternativement le Très-Haut par des (536) cantiques de louange, et
leur marqua en quoi devait consister ce divin office, qu'ils devaient
continuer avec elle durant tout Je temps de sa vie mortelle, pendant lequel
ils la devaient garder et assister. Elle connut aussi toute sa généalogie et
tout le reste du peuple saint et choisi de. Dieu ,
les .patriarches et les prophètes; et combien sa Majesté divine avait été
admirable dans les dons, les grâces et les faveurs qu'il avait opérés envers
eux. Et c'est une chose digne d'admiration, que ce tendre corps étant si petit
dans le premier instant qu'il reçut l'âme très-sainte,
qu'on aurait bien de la peine d'apercevoir seulement ses puissances
extérieures; néanmoins, afin qu'il ne manquât aucune de ces merveilles qui
pouvaient rendre illustre celle qui avait été choisie pour Mère de
Dieu , la puissance de sa droite divine ordonna que
dans la connaissance et la douleur qu'elle avait de la chute.
de l'homme, elle pleurât et versât des larmes dans
le sein de sa mère, connaissant l'injure que la grièveté du péché faisait au
souverain Bien.
232. Elle pria avec cette
tendresse miraculeuse dès qu'elle eut. reçu l'être,
pour le remède des hommes; et elle commença dès lors à exercer l'office de
leur médiatrice, de leur avocate et de leur réparatrice. Elle représenta et
offrit à Dieu les clameurs des saints pères et des justes de la terre, afin
que sa miséricorde ne retardât pas le salut des mortels, qu'elle regardait
déjà comme frères, et qu'elle aimait d'une très-ardente
charité avant même que d'avoir conversé aven eux; cette aimable bienfaitrice
n'eut (537) pas plutôt l'être naturel, que l'amour divin et fraternel commença
de briller en son coeur embrasé. Le Très-Haut accepta ces demandes avec bien
plus de complaisance que toutes les prières des saints et des anges, ce qui
fut manifesté à celle qui venait d'être créée pour être Mère du même Dieu,
quoiqu'elle en ignorât la fin; mais elle connut l'amour du même Seigneur, et
le désir qu'il avait de descendre du ciel pour racheter les hommes. Il était
juste aussi qu'il se sentit plus obligé de hâter cette venue par les prières
et par les demandes de cette créature, pour laquelle il venait principalement,
et en laquelle il devait prendre chair de sa propre substance, et opérer la
plus admirable de toutes ses oeuvres et la fin de toutes ensemble.
233. Elle pria aussi.
dans le même instant de sa conception pour ses
pères naturels Joachim et Anne, qu'elle voyait et connaissait en Dieu avant
que de les voir corporellement; et elle exerça en même temps envers eux la
vertu de l'amour, du respect et de la gratitude de fille, les reconnaissant
pour cause seconde de son être naturel. Elle fit aussi plusieurs autres
demandes.en général et en particulier pour des causes différentes. Et elle
composa, par la science infuse qu'elle avait, des cantiques de louanges dans
son entendement et dans son coeur, pour avoir trouvé à la porte de la vie la
précieuse drachme que nous perdîmes tous dans notre
premier principe (1). Elle
(1) Luc., XV, 9.
538
trouva
la grâce qui vint à sa rencontre, et la Divinité qui l'attendait aux portes de
la nature (1). Ses puissances rencontrèrent dans l'instant de leur être le
très-noble objet qui les mut et les prévint, parce
qu'elles n'étaient créées que pour lui; et devant entièrement lui appartenir,
elles lui devaient les prémices de leurs opérations, qui furent la
connaissance et l'amour divin, sans qu'il y eût en cette auguste dame aucun
temps sans connaissance de Dieu, ni connaissance sans amour, ni amour sans
mérite; auquel il n'y eut ni mesure des lois communes, ni règles générales, ni
rien de médiocre. Tout fut grand en celle qui sortit grande de la main du
Très-Haut, afin quelle marchât, crût et arrivât jusqu'à une telle grandeur,
qu'il n'y eût que Dieu seul plus grand qu'elle. Oh! que
vos pas furent beaux 1 fille du Prince céleste, puisque du seul premier vous
arrivâtes à la Divinité. Vous êtes deux fois belle ,
parce que votre grâce et votre beauté sont au-dessus de toutes.
les beautés et de toutes les grâces. Vos yeux sont
divins, et vos pensées ressemblent à la pourpre du roi, puisque vous lui avez
ravi le coeur, et l'avez amoureusement blessé et pris par vos cheveux (2);
étant ainsi épris de votre amour, vous l'avez captivé dans votre sein virginal
et l'avez enfermé dans votre coeur.
234. Ce fut véritablement
ici oh l'Épouse du Roi de gloire dormait, pendant que son coeur veillait (3).
(1) Eccles., XV, 2. — (2) Cant., IV, 1 et 9; ibid., VII, 1 et 5. — (8)
Ibid.. V, 2.
Ses
sens corporels dormaient, et à peine avaient-ils reçu leur forme naturelle, et
avant que d'avoir joui de la lumière du soleil matériel, que ce coeur divin,
bien plus incompréhensible par la grandeur de ses dons que par la petitesse de
son être naturel, veillait dans le sacré sein de sa mère, y étant éclairé de
la lumière de la Divinité, qui l'abîmait et l'embrasait dans le feu de son
amour immense. Il n'était pas convenable que les puissances inférieures
opérassent en cette divine créature avant les supérieures de l'âme, et que
celles-ci eussent leurs opérations inférieures sans être égales à celles des
autres créatures; car si l'opération répond à l'être de chaque chose, celle
qui était supérieurs à toutes, et en dignité et en excellence, devait aussi
agir avec une supériorité proportionnée à toutes les créatures, tant
angéliques qu'humaines. Et non-seulement elle ne
devait pas être privée de l'excellence des esprits angéliques, qui usèrent de
leurs puissances dès l'instant de leur création; mais cette même grandeur et
cette prérogative étaient dues à celle qui était créée pour être leur Reine et
leur Maîtresse. Et avec d'autant plus d'avantages, que le nom et l'once de
Mère de Dieu est plus considérable et plus relevé que celui de ses serviteurs,
et que le titre de Reine est au-dessus de celui de sujets; car le Verbe n'a
dit à aucun des anges : Vous êtes ma Mère, ni aucun d'eux n'a pu lui dire:
Vous êtes mon Fils (1); ce commerce et cette mutuelle correspondance ne se
(1) Hebr., I, 5.
540
trouvant
qu'entre Marie et le Verbe incarné; et c'est par là qu'il faut mesurer et
rechercher la grandeur de Marie, comme l'Apôtre cherche celle de Jésus-Christ.
235. Je reconnais ma
grossièreté; ma rudesse et mon insuffisance féminine, en écrivant ces divins
secrets du Roi de gloire dans cet heureux temps, pour honorer et révéler ses
oeuvres(1); je suis même affligée de ne pouvoir
éviter de me servir des termes communs et vides , par lesquels je ne saurais
exprimer ce que je découvre dans la lumière que mon âme reçoit de ces
mystères. Il nous faudrait d'autres paroles, d'autres raisonnements et
d'autres termes plus particuliers et plus proportionnés; mais ils sont
au-dessus de mon ignorance. Et quand ils seraient même à ma disposition, ils
surpasseraient et accableraient aussi la faiblesse humaine. Qu'elle se
reconnaisse donc incapable de regarder fixement ce divin soleil, qui commence
de venir au monde couronné de rayons de la Divinité, quoique couvert du nuage
du sein maternel de sainte Anne. Que si nous voulons mériter l'avantage de
nous approcher et de jouir de cette merveilleuse vision, venons-y libres et
dépouillés, les uns de cette naturelle lâcheté ,
les autres de cette crainte et circonspection qui se couvrent du prétexte
d'humilité. Mais approchons-nous-en avec une souveraine dévotion et avec une
piété éloignée de tout esprit de contention (2), et alors il nous sera permis
de voir de près
(1) Tob., XII, 7. — (2) Rom., XIII, 13 et 14.
541
le feu
de la Divinité au milieu du buisson qu'il brûle sans le consumer (1).
236. J'ai dit que la
très-sainte âme de Marie vit abstractivement dans
le premier instant de sa très-pure conception
l'essence divine, parce qu'il ne m'a pas été manifesté qu'elle ait vu la
gloire essentielle; mais plutôt je pénètre que ce privilège fut singulièrement
réservé pour la très-sainte âme de Jésus-Christ,
comme lui étant dû et devant accompagner l'union substantielle de la Divinité
en la personne du Verbe, afin que son âme ne fût pas un seul instant sans être
unie avec elle par ses puissances et par une grâce souveraine et une éminente
gloire. Car notre Seigneur Jésus-Christ commença d'être homme et Dieu tout
ensemble; il commença aussi de connaître Dieu et de l'aimer comme
compréhenseur. Mais l'âme de sa
très-sainte Mère n'étant pas substantiellement
unie à la Divinité, elle ne commença pas aussi à jouir de ce privilège, parce
qu'elle venait su monde comme voyageuse. Néanmoins comme dans cet ordre elle
était la plus immédiate à l'union hypostatique, elle eut aussi une autre
vision proportionnée et la plus immédiate à la vision béatifique, mais
pourtant inférieure à celle de Jésus-Christ, quoique supérieure.
à toutes les visions et les révélations que les
autres créatures ont jamais reçues de la Divinité, excepté sa claire vision et
sa jouissance. Cela n'empêcha pas néanmoins que la vision que la Mère de
Jésus-Christ reçut de la Divinité
(1) Exod., II, 2.
542
dans son
premier instant, ne surpassât en quelque manière la claire vision de
plusieurs, en ce qu'elle, y connut plus de mystères abstractivement , que
quelques bienheureux ne le font par la vision intuitive. Et bien qu'elle ne
vit pas la Divinité face à face dans le temps de sa conception, elle ne laissa
pas de la voir après, plusieurs fois durant le cours de sa vie, comme je le
dirai en continuant son histoire.
Instruction que la Reine du ciel me donna sur le chapitre précédent.
237. J'ai déjà dit que la
Reine et Mère de miséricorde m'avait promis de me donner une instruction après
avoir écrit les premières opérations de ses puissances et de ses vertus, afin
de régler ma vie sur le très-pur miroir de la
sienne; car c'était là la principale intention de cet avertissement. Et comme
cette grande Reine, qui m'est toujours présente dans le temps que ces mystères
me sont déclarés, est très-fidèle en ses
promesses, elle a commencé à la fin de ce chapitre d'effectuer la parole
qu'elle m'en avait donnée, et de faire ce qu'elle continuera régulièrement
durant tout le reste de cet ouvrage. Ainsi je garderai cet ordre, écrivant à
la fin des chapitres suivants ce que sa (543) Majesté m'enseignera, comme elle
l'a fait présentement me tenant ce discours.
238.«
Ma fille, je veux que les mystères que vous écrivez de ma
très-sainte vie vous soient une occasion de
cueillir pour vous-même le fruit que vous désirez; et que le prix de vos
travaux soit la plus grande pureté et perfection de votre vie, si vous
vous dis posez, aidée de la grâce du Très-Haut, à m'imiter par la
pratique des choses que vous entendrez. C'est la volonté de mon
très-saint Fils que vous soyez a pénétrée de ce
que je vous enseignerai, et que votre plus grande application soit de
considérer avec toute l'estime de votre cœur mes vertus et mes
oeuvres. Écoutez-moi donc avec attention et avec foi, car je vais vous dire
des paroles de vie éternelle , et vous enseigner ce
qu'il y a de plus saint et de plus parfait dans la vie chrétienne, et ce
qui est le plus agréable aux yeux de Dieu; c'est pour quoi vous
commencerez dès à présent à vous disposer pour recevoir la lumière, en
laquelle vous dé couvrirez les mystères cachés de ma
très-sainte vie et les instructions que vous souhaitez. Continuez
cet exercice, écrivez ce que je vous enseignerai pour ceci, et commencez de
considérer :
239.« Que c'est un acte de
justice que la créature doit à son Dieu éternel, quand elle reçoit l'usage de
la raison , de lui adresser son premier mouvement dès qu'elle est en état de
le connaître pour l'aimer, l'honorer et l'adorer comme son Créateur et son
unique et véritable Seigneur. Que l'obligation naturelle des (544) parents est
d'instruire et de conduire leurs enfants dans cette connaissance, aussitôt
qu'ils arrivent à l'horizon de cette lumière raisonnable, en .les dirigeant et
les élevant avec tant de soin, qu'ils ne soupirent .
et n'aspirent qu'après leur dernière fin, et
fassent tous leurs efforts pour la rencontrer par les premiers actes de leur
raison et de leur volonté. Ils devraient aussi faire tout leur possible pour
les retirer de ces puérilités déréglées, auxquelles la même nature dépravée
s'incline si on la laisse sans quelque personne capable de l'instruire; car si
les pères et les mères se mettaient de bonne heure à prévenir ces trompeurs
enchantements et ces mauvaises habitudes de leurs enfants, en les élevant dès
leurs premières années à la connaissance de leur Dieu et de leur Créateur, ils
se trouveraient ensuite bien plus disposés à le reconnaître et à l'adorer. Ma
sainte mère, ignorant ma sagesse et mon état, pratiqua cette conduite à mon
égard avec tant d'exactitude et de diligence, qu'en me portant dans son sein,
elle adorait en mon nom le Créateur, lui rendait pour moi un souverain honneur
et de dues actions de grâces de ce qu'il m'avait créée, et le priait de me
garder, de me défendre et de me tirer libre de l'état où je me trouvais alors.
Les parents doivent ainsi demander à Dieu, avec ferveur, qu'il fasse par sa
providence divine que les âmes de leurs enfants arrivent à recevoir le
baptême, et soient délivrées de la servitude du péché originel.
240. « Que si la créature
raisonnable n'avait pas connu et adoré le Créateur dans son premier usage de
(545) la raison, elle doit le faire dans l'instant que cet Être infini et cet
unique bien qu'elle ignorait auparavant viendra à sa connaissance par les
lumières de la foi. Et l'âme doit faire tous ses efforts, l'ayant une fois
connu, de ne le perdre jamais de vue, de le craindre, de l'aimer et de
l'honorer toujours. Vous avez eu cette obligation, ma -fille, durant le cours
de votre vie, mais je veux à présent que vous la pratiquiez avec plus de
perfection, et selon que je vous l'enseignerai. Adressez la vue de votre âme à
cet être adorable de Dieu, qui n'a ni principe ni fin, et regardez-le, infini
en ses attributs et en ses perfections; considérez que lui seul est la
sainteté véritable, le souverain bien, le plus noble objet de la créature,
celui qui a donné l'être à tout ce qui est créé, et qui le maintient et le
protège sans en avoir besoin. Il est la beauté sans défaut, Celui qui est
éternel en amour, véritable dans ses paroles et
très-fidèle dans ses promesses, et Celui qui a donné sa propre vie et
s'est livré aux tourments pour le bien de ses créatures, sans qu'aucune l'ait
mérité. Jetez votre vue et occupez vos puissances dans cet immense champ de
bonté et de bienfaits, sans l'oublier ni. vous en
éloigner jamais; parce que, ayant une fois pénétré si avant dans la
connaissance du souverain bien, c'est une noire rusticité et une infidélité
bien grande que d'en sortir et de l'oublier par la plus horrible des
ingratitudes, comme serait la vôtre, si, après avoir reçu une lumière divine
au-dessus de la commune et supérieure à celle de la foi infuse, votre.
entendement et votre volonté s'égaraient du chemin
de (546) l'amour de Dieu. Que s'il vous arrive quelquefois de le faire par
votre faiblesse, revenez à vous pour le chercher, sans perdre courage, et
adorez le Très-Haut avec toute la diligence et toute l'humilité possibles, lui
rendant honneur et gloire, et des louanges éternelles. Je vous avertis aussi
que cette pratique que vous devez continuellement exercer, tant pour vous que
pour toutes les autres créatures, doit être votre occupation ordinaire, à
laquelle je veux que vous soyez fort exacte.
241. « Pour vous animer
davantage, méditez sur ce que vous avez découvert de mes oeuvres; comme cette
première vue du souverain bien blessa si heureusement mon cœur de son amour,
que je m'abandonnai entièrement à lui pour ne le perdre jamais. Et nonobstant
cela, j'étais toujours sur mes gardes, sans me lasser de marcher jusqu’à ce
que je fusse arrivée au centre de mes désirs et de mes affections; parce que
l'objet étant infini, l'amour ne doit avoir non plus de fin et ne reposer que
dans sa possession. La connaissance de vous-même et de votre bassesse doit
suivre de près celle de Dieu et son amour; car l'une vous doit servir
d'échelle pour monter à l'autre. Soyez assurée que ces vérités, bien pénétrées
et bien pesées, produisent de divins effets dans les âmes. » Ayant ouï ces
saintes paroles et plusieurs autres de la Reine du ciel, je dis à sa Majesté
242. « Très-haute
et très-sainteDame, dont j'ai l'honneur d'être la
servante, et à qui je me consacre de nouveau pour me rendre, autant qu'il
m'est possible, (547) moins indigne de ce titre, ce n'était pas sans sujet
que, par un effet de votre bonté maternelle, mon cœur désirait si fort cet
heureux jour pour y contempler et connaître les grandeurs ineffables de vos
vertus dans le miroir très-pur de vos opérations,
et pour ouïr la douceur de vos salutaires paroles. Je déclare, ma divine
Reine, du plus sincère de mon cœur, qu'il n'est rien en moi qui puisse mériter
cette insigne faveur : car je tiendrais pour une témérité fort grande d'écrire
votre très-sainte vie; et je croirais qu'elle ne
mériterait aucun pardon, si, en le faisant, je n'obéissais à votre volonté
èt à celle de votre
très-saint Fils. Recevez, Vierge sainte, ce sacrifice de louange, et
parlez, car votre très-humble servante vous écoute
(1). Que votre très-douce voix, ma divine
Princesse, résonne à mes oreilles (2), puisque vos paroles sont des paroles de
vie (3). Continuez, Vierge sacrée, de me faire part de vos instructions et de
vos lumières, afin que mon cœur s'étende sur cette mer immense de vos
perfections, et qu'il ait un si digne sujet de louer le Tout- Puissant. Je
brûle du feu que votre charité ardente a allumé dans mon sein pour ne désirer
que ce qui est le plus parfait, le plus pur et le plus agréable à vos yeux :
mais je sens en moi-même cette fatale loi de mes membres toujours rebelle à
celle de l'esprit, qui me retarde et m'embarrasse (4), et je crains avec
justice, Mère très-pitoyable, qu’elle ne m'empêche
d'embrasser le bien que vous
(1) I Reg., III, 10 — (2) Cant., II, 14.
— (3) Joan., VI, 69. — (4)
548
me
proposez. Regardez-moi donc, ma bonne Reine, comme votre fille, enseignez-moi
comme votre disciple, corrigez-moi comme votre servante, et forcez-moi comme
votre esclave, dans mes négligences ou dans mes résistances : car ce ne sera
pas ma volonté qui causera mes chutes, ce sera plutôt ma faiblesse. J'élèverai
ma vue à la connaissance de l'être de Dieu, et, assistée de sa divine grâce,
je règlerai mes affections,.
afin qu'elles s'attachent à lui et qu'elles aiment ses perfections
infinies; et si je le possède une fois, je ne l'abandonnerai jamais (1). C'est
pourquoi je vous prie, bière de la belle connaissance et de l'amour le plus
pur (2), de demander à votre Fils, mon Seigneur, la grâce de ne me pas
délaisser, pour la grande complaisance qu'il eut lorsqu'il favorisa avec tant
de profusion votre humilité (3), ô Reine et Maîtresse de l'univers !
(1) Cant., III, 4. — (2) Eccl., XXIV, 24. — (3)
Luc., II, 48.
549
CHAPITRE XVII. Poursuivant le mystère de la conception de la
très-sainte Vierge, le chapitre vingt-unième de
l'Apocalypse me fut expliqué.
PREMIÈRE PARTIE DU CHAPITRE.
243. Le privilège que la
très-sainte Vierge a reçu d'être conçue en grâce,
renferme un si grand nombre de mystères et si fort cachés, que, pour m'en
mieux informer, sa Majesté m'en déclara plusieurs de ceux que l'évangéliste
saint Jean renferme dans le chapitre vingt-unième
de l'Apocalypse, et me renvoya à l'explication que j'en recevrais. Pour dire
quelque chose avec. ordre de ce qui m'en a été
manifesté, je diviserai l'interprétation de ce chapitre en trois parties, pour
éviter la fatigue qu'il pourrait causer sil restait entier. Je présenterai
premièrement la lettre, selon sa teneur, cri la manière qui suit :
244.«
Je vis après un nouveau ciel et une nouvelle terre; car le premier ciel
et la première terre avaient disparu, et il n'y avait plus de mer. Et
moi, Jean, je vis la sainte cité, la nouvelle Jérusalem qui venait
de Dieu et descendait du ciel, préparée comme une épouse qui s'est ornée
pour son époux. En même temps j'ouïs sortir du trône une grande vois qui
(549) disait: Voici le tabernacle
de Dieu avec les hommes, et il habitera avec eux. Et ils seront son peuple, et
Dieu même demeurera avec eux et sera leur Dieu : et
Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et il n'y aura plus de
mort, ni de gémissements, ni de a cris, ni de douleurs, car les choses
premières sont passées. Et Celui qui était assis sur le trône dit : « Voici,
je fais toutes choses nouvelles. Et il me dit : « Écrivez, car ses paroles
sont très-fidèles et véritables. Puis il ajouta :
Tout est fait; je suis l'alpha et l'oméga, le commencement et la fin. Je
donnerai a gratuitement à boire de la fontaine de vie à celui qui aura
soif. Celui qui aura vaincu possèdera ces choses, et je serai son Dieu, et il
sera mon fils. Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables,
les homicides , les fornicateurs, les sorciers,.
les idolâtres, et n tous les menteurs, leur partage
sera dans l'étang brûlant de feu et de soufre, qui est la seconde mort (1). »
245. Cette partie est la
première des trois de la lettre que j'expliquerai dans ce chapitre, en la
divisant par ses versets. Je vis après (dit l'évangéliste) un
nouveau ciel et une nouvelle terre (2). La très-pure
Marie étant sortie des mains de Dieu tout-puissant, et le monde ayant déjà
reçu la matière immédiate dont la très-sainte
humanité du Verbe, qui devait mourir pour l'homme, se devait former,
l'évangéliste dit qu'il vit un nouveau ciel et une nouvelle terre. Ce
n'est pas sans une grande propriété que cette nature et le
(1) Apoc., XXI, 1-9. — (2) Ibid., 1.
sein
virginal dans lequel et duquel elle se forma purent être appelés ciel (1),
puisque Dieu commença d'habiter dans ce ciel d'une nouvelle manière, et bien
différente de celle qu'il avait eue jusqu'alors dans l'ancien ciel et dans
toutes les créatures. Le ciel même des bienheureux fut appelé nouveau après le
mystère de l'incarnation, parce que la nouveauté, qui n'y était pas
auparavant, lui venait de ce que les hommes mortels s'y trouvaient, et de
l'innovation que la gloire de la très-sainte
humanité de Jésus-Christ et de sa très pure bière aussi causa dans ce ciel;
elle fut si grande après la gloire essentielle, qu'elle put renouveler les
cieux et leur donner une nouvelle beauté et une splendeur particulière. Car,
quoique les anges bienheureux y fussent, c'était une chose déjà passée, et par
conséquent ancienne : ainsi il lui fut fort nouveau que le Fils unique du Père
rendit aux hommes par sa mort le droit de la gloire, qu'ils avaient perdue par
le péché, et qu'en la leur méritant de nouveau, il les introduisit dans le
ciel, dont ils étaient privés, et dans l'impuissance de l'acquérir par eux
mêmes. Et, parce que toute cette nouveauté du ciel eut son principe en la
très-pure Marie, l'évangéliste dit avoir vu un
nouveau ciel quand il la vit conçue sans le péché, qui en était le seul
obstacle.
246. Il vit aussi une
nouvelle terre, parce que l'ancienne terre d'Adam était maudite, souillée
et coupable du péché qui lui faisait mériter la damnation
(1) Jerem., XXXI, 22.
552
éternelle; mais la terre sainte et bénie de Marie fut une nouvelle terre sans
tache ni malédiction d'Adam : et si nouvelle, que depuis cette première
formation il ne s'en était vu ni connu dans le monde aucune autre nouvelle
jusqu'à la très-pure Marie, Elle fut si nouvelle
et si exempte de la malédiction de l'ancienne terre, qu'en cette bénie terre
toutes les autres terres des enfants d'Adam se renouvelèrent, puisque par la
terre de la bénie Marie, et avec .elle et en elle, la masse terrestre d'Adam,
qui avait été jusqu'alors maudite, et avait vieilli dans sa malédiction, fut
bénie, renouvelée et vivifiée. Ainsi elle se renouvela toute par la
très-pure Marie et par son innocence; et, comme
cette innovation de la nature humaine et terrestre trouva son principe en
elle, saint Jean dit qu'il vit en Marie conçue sans péché un nouveau ciel et
une nouvelle terre. Il poursuit :
247. Car le premier ciel
et la première terre avaient disparu (1). Il devait s'ensuivre que la
nouvelle terre et le nouveau ciel de la très-sainte
Vierge, et de son Fils homme et Dieu, venant et apparaissant au monde,
l'ancien ciel et la vieille terre de la nature humaine et terrestre par le
péché disparussent. II y eut un nouveau ciel pour
la Divinité en la nature humaine, qui, étant préservée et exempte du péché,
donnait une nouvelle habitation à Dieu même dans l'union hypostatique en la
personne du Verbe. Le premier ciel, que Dieu avait créé en Adam, ne subsistant
plus, s'étant
(1) Apoc., XXI, 1.
553
rendu
indigne par la souillure de son péché que Dieu demeurât en lui, disparut, et
il en survint un nouveau en la venue de Marie. Il y eut aussi un nouveau ciel
de gloire pour a nature humaine : ce n'est pas que l'empyrée se changeât ou
disparut, mais parce qu'il ne s'y trouvait aucun homme, plusieurs siècles
s'étant écoulés sans qu'il y en eut : et en cela il n'était plus appelé
premier ciel, car il fut renouvelé par les mérites de Jésus-Christ, qui
commençaient déjà à poindre en l'aurore de la grâce, à savoir Marie sa
très-sainte Mère : ainsi le premier ciel et la
première terre, qui avaient été jusqu'alors sans remède, s'en allèrent. Et il
n'y avait plus de mer, parce que la mer des abominations et des péchés, qui
inondaient tout le monde et noyaient la terre de notre
nature , disparut par la venue de la très-pure
Marie et par celle de Jésus-Christ, puisque la mer de son précieux sang
surpassa celle des péchés en la suffisance, et, en comparaison de cette mer et
de son prix, il est sur qu'il n'est point de péché qui puisse subsister. Si
les mortels voulaient profiter de cette mer infinie de la divine miséricorde
et des mérites de notre Seigneur Jésus-Christ, tous les péchés seraient bannis
du monde, car l'Agneau de Dieu est venu pour les détruire et les anéantir
tous.
248. Et moi, Jean, je
vis la sainte cité, la nouvelle Jérusalem, qui venait de Dieu et descendait du
ciel, préparée comme une épouse qui s'est ornée pour son époux (1). Parce
que tous les mystères commençaient
(1) Apoc., XXI, 2.
555
et
prenaient leur fondement en la très-sainte vierge,
l'évangéliste dit qu'il la vit sous la figure de la sainte cité de Jérusalem,
etc. Car en cette métaphore il parla de notre auguste Reine; et il lui fut
accordé de la voir, afin qu'il connut mieux le trésor qui lui avait été
recommandé et confié au: pied de la croix, et qu'il le garda avec d'autant
plus d'estime et de respect, qu'il en pénétrait mieux les grandeurs. Et,
quoiqu'il n'y 'eùt personne qui
ptit dignement suppléer à la présence du Fils de
la vierge, néanmoins il était à propos que saint Jean, qui lui était substitué
(1), fût particulièrement informé de la valeur de ce trésor, selon que le
requérait la dignité dont il était honoré:
249. Les mystères que Dieu
opéra en la sainte cité de Jérusalem l'ont rendue plus propre à servir de
symbole à celle qui était ma Mère, le centre et l'abrégé de toutes les
merveilles du Tout-Puissant; et par conséquent
aussi de, l'Église militante et de la triomphante; Saint Jean étendit sa, vue
sur toutes, comme un aigle; des plus nobles, par le rapport et par l'analogie
que ces cités mystiques de Jérusalem ont entre elles. Mais sa fin fut de
regarder singulièrement la suprême Jérusalem, la
très-pure Marie, en qui se trouve l'abrégé de toutes les grâces, les
merveilles, les dons et les excellences des églises militante et triomphante.
Car tout ce qui se fit dans la Jérusalem de Palestine, et tout ce gui elle et
ses habitants signifient, est compris dans la très-sacrée
vierge Marie, la sainte cité de Dieu,
(1) Jaon., XIX, 27.
avec
bien plus d'excellence qu'en tout le reste. du
ciel, de la terre et des pures créatures qu'ils renferment. C'est pour ce
sujet qu'il l'appelle nouvelle Jérusalem, parce que tous ses dons, toutes ses
grandeurs et toutes ses vertus sont nouvelles, et causent aux saints une
nouvelle merveille. Nouvelle, parce qu'elle fut après tous les anciens pères,
tous les patriarches et tous les prophètes, et que leurs clameurs, leurs
oracles et leurs promesses s'accomplirent et se renouvelèrent en elle.
Nouvelle, parce qu'elle vient sans souillure de péché, et descend de la grâce
par un sien nouvel ordre, et très-éloignée de la
loi commune du péché. Enfin elle est nouvelle, parce qu'elle entre au monde
triomphant du démon et de la première erreur, qui est la chose la plus
nouvelle qui s'y fût encore vue depuis son commencement.
250. Parce que ce prodige
était nouveau en la terre et qu'il ne pouvait pas venir d'elle, l'évangéliste
dit qu’il descendait du ciel. Et quoique le sujet de nos admirations descendît
par l'ordre commun de la nature d'Adam ; néanmoins ce ne fut pas par le grand
et ordinaire chemin du péché, par on tous es prédécesseurs, enfants de ce
premier coupable, avaient passé. Il y eut un autre décret dans la divine
prédestination pour cette seule Reine, et il s'ouvrit une nouvelle voie par où
elle vint avec son très-saint Fils au monde, sans
qu'aucun autre des mortels eût le privilège d'y passer ni de les y suivre dans
cet ordre particulier de la grâce. Ainsi elle descendit nouvelle, dès le ciel
de l'entendement et des dispositions éternelles de Dieu.
556
Et
lorsque les autres enfants d'Adam descendent de la terre terrestre et souillés
par cette même terre, cette Reine de l'univers vient du ciel, comme
descendante seule de Dieu par l'innocence et par la grâce; car nous disons
communément que quelqu'un vient de cette maison d'où il descend, et qu'il
descend d'où il a reçu l'être qu'il tient. L'être naturel que la
très-pure Marie a reçu d'Adam, à peine se peut-il
apercevoir en la considérant Mère du Verbe, et comme à côté du Père éternel
par la grâce et par la participation qu'elle en reçut à cause de cette
dignité. Et cet être étant en elle l'âtre principal, celui qu'elle tient de la
nature sera comme accessoire et moins principal; et ainsi l'évangéliste
regarda le principal, qui descendit du ciel, et non pas l'accessoire, qui vint
de la terre.
251.
Il poursuit, en disant qu'elle venait préparée comme une épouse qui
s'est ornée pour son époux. L'on cherche parmi les mortels, pour le. jour
des épousailles, les plus riches et les plus propres ornements qu'on puisse
trouver pour parer et embellir l'épouse terrestre; quoique même les pierreries
se trouvent empruntées, pourvu que rien ne manque ni à sa qualité ni à son
état. Or, si nous avouons, comme il le faut nécessairement, que la
très-pure Marie fut en telle sorte Épouse de la
très-sainte Trinité, qu'elle était aussi Mère de
la personne du Fils, et que pour être disposée à ces dignités elle fut ornée
par le même Dieu tout-puissant, infini, riche, mm borne et sans mesure; quels
furent donc les ornements, les (557) préparatifs et les joyaux avec lesquels
il embellit et orna son Épouse et sa Mère, afin qu'elle fût digne de lui? En
aurait-il peut-être réservé quelqu'un dans ses trésors? Lui aurait-il refusé
quelque grâce dont la puissance de son bras la pouvait parer et enrichir?
L'aurait-il laissée laide,, difforme, en désordre
et tachée en quelque endroit ou pour quelques instants? Serait-il avare envers
sa Mère et envers son Épouse, lui qui verse avec tant de profusion les trésors
de sa divinité sur les autres âmes, qui sont à son égard moins que les
servantes et les esclaves de sa maison? Elles avouent toutes, avec le même
Seigneur, que l'élue et la parfaite est. unique (1)
, et que toutes les autres la doivent reconnaître , déclarer et glorifier pour
l'immaculée et la très-heureuse entre toutes les
femmes; et, ravies d'admiration en la considérant, elles s'interrogent
pénétrées de joie et de ses louanges : Qui est celle qui parait comme
l'aurore, qui est belle comme la lune, élue comme le soleil, et terrible comme
une armée bien rangée (2)? C'est la très-pure
Marie, l'.unique Épouse et la Mère du Tout-Puissant,
qui descendit au monde comme l'Épouse de la très-sainte
Trinité, ornée et disposée pour son Époux et pour son Fils. Cette venue et
cette entrée se firent avec tant de dons de la Divinité, quo sa lumière la fit
plus agréable que l'aurore, plus, belle que la lune, plus singulière que le
soleil et sans Égale, plus forte et plus puissante que toutes les armées du
ciel et des
(1) Cant., VI, 8. — (2) Ibid. 3.
558
saints.
Elle descendit ornée et enrichie pour Dieu, qui lui donna tout ce qu'il
voulut, et lui voulut donner, tout ce qu'il put, et lui put donner tout ce qui
n'était pas l'être de Dieu; mais il lui accorda tout ce qui une pure créature
était capable de recevoir de plus immédiat à sa divinité, et de plus éloigné
du péché. Cet ornement fut très-achevé et
très-parfait; il ne le serait pas s'il lui
manquait quelque chose , comme il lui manquerait
s'il eût été quelques instants sans l'innocence et sans la grâce. Que si les
richesses et les ornements de la grâce eussent été appliqués sur une personne
souillée du péché, ils n'auraient pas pu la faire si belle qu'on la dit; car
on aurait beau travailler et embellir un habit de la plus riche broderie, si
son étoffe était difforme et tachée, on y découvrirait toujours quelque
vilaine marque qui le rendrait désagréable. Le tout serait indigne de la
pureté de Marie, et indécent à sa dignité de Mère et d'Épouse de Dieu; et
étant injurieux à elle-même, il le serait aussi à cette Majesté infinie, qui
ne l'aurait as ornée ni enrichie avec cet amour d'Époux ni avec cette tendre
prévoyance de Fils, si, ayant en son pouvoir les plus beaux, les plus propres
et les plus précieux ornements, il n’avait employé que les pires et les plus
malpropres pour revêtir sa Mère, son Épouse et soi-même. . 252.
Il est déjà temps que l'entendement humain se tire de sou assoupissement et
s'étende sur l'honneur de notre grande Reine; et que ceux qui, étant fondés en
une opinion s'opposent à son honneur, se taisent et cessent de la dépouiller
et de lui ravir l'ornement (559) de son immaculée pureté dans l'instant de sa
divine conception. Je déclare une et plusieurs fois, par la force de la vérité
et de la lumière en laquelle je vois ces mystères ineffables, que tous les
privilèges, toutes les grâces, toutes les prérogatives, toutes les faveurs et
tous les dons de la très-pure Marie, y comprenant
la dignité de Mère de Dieu, tous dépendent et tirent leur origine, selon qu'on
me le découvre., d'avoir été immaculée, pleine de grâce en sa conception
très-pure; de sorte que sans ce privilège tous les
autres paraîtraient défectueux, ou comme un superbe édifice sans fondement
solide et sans proportion. Ils se rapportent tous, par un certain ordre et par
un enchaînement inséparable, à la pureté et à l'innocence de la conception.
C'est pourquoi il a été nécessaire de toucher si souvent ce mystère dans le
récit de cette histoire, dès les décrets divins et la formation de Marie et de
son très-saint Fils en tant qu'homme. Je ne m'y
étends plus présentement, mais je vous avertis, tous que la Reine du ciel
estima si fort l'ornement et la beauté qu'elle avait reçue de sou Fils et de
son Époux en sa très-pure conception, que c'est
par rapport à cette insigne faveur que se règlera l'indignation qu'elle aura
contre ceux qui prétendront de la lui ôter et de la noircir par leurs disputes
et par leur opiniâtreté, dans le temps que son très-saint
Fils a bien voulu la manifester au monde avec un si riche appareil et avec
tant de beauté, pour sa propre gloire et pour l'espérance et la consolation
des mortels. L'évangéliste poursuit :
560
253. Et jouis une grande
voix du trône qui disait Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes, et il
habitera avec eux, et ils seront son peuple, etc. (1). La voix du
Très-Haut est grande, forte, douce et efficace pour émouvoir et pour attirer à
soi toute la créature. Telle fut cette voix qui sortait du trône de la
très-sainte Trinité et qui se fit entendre à saint
Jean, de sorte qu'elle captiva toute l'attention qu'elle lui demandait, en lui
disant de considérer avec attention le tabernacle de Dieu, afin de recevoir
par cette même attention une connaissance parfaite du mystère qui lui était
manifesté dans la vision du tabernacle de Dieu avec les hommes, qu'il
demeurerait avec eux, qu'il serait leur Dieu et qu'eux seraient son peuple.
Tout cela était renfermé dans la vue de l'heureuse descente du ciel de la
très-pure Marie en la forme que j'ai déjà dite;
car ce divin tabernacle de Dieu étant au monde, il s'ensuivait que le même
Dieu serait aussi avec les hommes, puisqu'il résidait dans son tabernacle sans
s'éloigner jamais de lui. Et ce fut comme si l'on eût voulu dire à
l'évangéliste : Le Roi de l'univers ayant son palais et sa cour sur la terre,
il n'y a point de doute que ce ne soit pour y venir demeurer. Et Dieu devait
habiter d'une telle façon dans ce sien tabernacle, qu'il en prît la forme
humaine, en laquelle il devait converser dans le monde, habiter avec les
hommes, être leur Dieu et eux son peuple (2), comme un héritage que son Père
lui donnait et à sa Mère aussi. Le Père éternel
(1) Apoc., XXI, 8. — (2) Gal., IV, 4.
nous
donna pour héritage à son très-saint Fils,
non-seulement parce qu'en lui et par lui il créa
toutes choses, et lui en donna la possession dans l'éternelle génération; mais
aussi parce qu'en tant qu'homme lii nous racheta
en notre même nature, nous acquit pour son peuple et pour son héritage
paternel, et nous fit ses propres frères (1). Par la même raison de la nature
humaine, nous filmes et nous sommes l'héritage et la légitime de sa
très-sainte Mère; parce qu'elle donna su Verbe
éternel la forme du corps humain, de sorte qu'elle nous fit son acquisition.
Et étant la Fille du Père éternel, la Mère du Verbe et l'Épouse du
Saint-Esprit, elle était par conséquent la maîtresse de toutes les créatures,
car son . Fils unique devait hériter de toutes
choses; et ce que les lois humaines établissent pour de bonnes raisons
naturelles, ne devait pas moins être établi par les lois divines.
254. Cette voix sortit du
trône céleste par l'organe d'un ange qui disait à peu près, avec une sainte
émulation , à l'évangéliste : Considérez avec
toutes. vos attentions le tabernacle de Dieu avec les hommes, il doit demeurer
avec eux, eteux doivent
êtreson peuple; il sera leur frère et il prendra leur même forme par le
moyen de ce tabernacle, l'auguste Marie, que vous voyez descendre du ciel par
sa conception et par sa formation. Mais nous pouvons répondre à ce courtisan
céleste d'une manière agréable et pleine de joie,
(1) Tit, II,14.
562
que le
tabernacle de Dieu est fort Bien avec nous, puisqu'il est à nous, et que par
lui Dieu doit aussi être à nous en y recevant la vie et le sang qu'il doit
offrir pour nous; et que par cette vie il doit nous acquérir et nous faire son
peuple, et demeurer avec noua comme dans son domicile (1), puisque nous le
recevrons au très-saint Sacrement, et qu'il nous
fera par cette heureuse réception son tabernacle. Que ces divins esprits se
contentent d'être nos aînés et dans de moindres nécessités que les hommes.
Nous sommes les faibles cadets, et d'une santé si fragile, que nous avons
besoin des caresses et des faveurs de notre Père et de notre Frère. Qu'il
vienne donc au tabernacle de sa Mère et de la nôtre; qu'il prenne de son sein
virginal la forme de la chair humaine; que la Divinité y soit couverte comme
dans un voile sacré, et qu'il demeure avec nous et en nous. Ayons-le si
proche, qu'il soit notre Dieu, et que nous soyons son peuple et son
habitation. Que les esprits angéliques soient ravis d'admiration et le
bénissent de tant de merveilles; et nous en devons jouir en les imitant dans
leur reconnaissance, dans leurs louanges et dans leur amour. Le texte poursuit
255. Et Dieu essuiera
toutes les larmes de leurs yeux, et il n'y aura plus de mort, de gémissements,
de cris ni de douleurs, etc. (2). Les larmes que le péché tirait des yeux
des mortels, furent essuyées par le fruit de la rédemption humaine, dont nous
eûmes
(1) Joan., VI, 57. — (2) Apoc., XXI, 4.
des
gages assurés en la conception de la très-pure
Marie; car il ri est point de mort, point de douleurs ni de pleurs pour ceux
qui profiteront des miséricordes du Très-Haut, du sang et des mérites de son
Fils, de ses sacrements, des trésors de sa sainte Église et de l'intercession
de sa très-sainte Mère pour les obtenir; parce que
la mort du péché n'est plus, et tout son ancien venin et ses fatales suites
sont arrivées à leur fin. Les véritables larmes ont suivi les enfants de
perdition dans le profond de l'abîme, où elles ne tariront jamais. La douleur
des travaux n'est pas une vraie douleur, ni les larmes qu'elle cause, mais
plutôt apparentes, car elles peuvent se trouver avec la souveraine et
véritable joie, et étant reçues avec tranquillité et résignation, elles sont
d'un prix inestimable (1), le Fils de Dieu les ayant choisies pour soi, pour
sa Mère et pour ses frères, comme un gage de son amour.
256. Il n'y aura aussi ni
cris ni voix turbulentes, parce que les justes, comme de douces et de tendres
brebis qui vont être sacrifiées (2), doivent apprendre à se taire à l'exemple
de leur divin Maître et de sa très-humble bière.
Car les amis de Dieu doivent renoncer su droit que la faible et délicate
nature a de chercher quelque soulagement dans ses plaintes et dans ses
gémissements, en voyant sa Majesté, qui est leur chef et leur modèle, humiliée
jusqu'à la mort honteuse de la croix (3), pour réparer les dommages
(1)
564
de nos
impatiences et de nos inquiétudes. Avec quelles raisons pourrait-on accorder à
notre nature, qu'à la vue d'un tel exemple, elle se troublât et se plaignit
dans les travaux? Comment lui peut-on permettre d'avoir des mouvements
déréglés et contraires à la charité, lorsque Jésus-Christ vient établir la loi
de l'amour fraternel ? L'évangéliste ajoute qu'il n'y aura plus de
douleurs, parce que, s'il en devait rester quelqu'une parmi les hommes, ce
serait la douleur de la mauvaise conscience; mais l'incarnation du Verbe dans
le sein de la très-sainte Vierge lui fut un si
doux remède, que cette douleur est à présent une cause de consolation et de
joie, ne méritant plus le nom de douleur, puisqu'elle contient la plus douce
et la plus agréable de toutes les joies, et que par sa venue au monde les
choses premières disparurent, qui étaient les douleurs et les rigueurs
inefficaces de l'ancienne loi, parce que toutes choses furent radoucies et
achevées par la surabondance de la loi évangélique qui nous comblait de grâce.
C'est pourquoi l'évangéliste dit ensuite : Voici, je fais toutes choses
nouvelles (1). Cette voix sortit de, Celui qui était assis sur le trône,
parce que, lui-même se déclara l'auteur de tous les mystères de la nouvelle
loi de l'Évangile. Et donnant le principe à cette nouveauté si admirable et si
inouïe parmi les créatures, que le fut de faire incarner le Fils unique du
Père éternel, que de lui donner une Mère vierge et
très-pure, il était nécessaire que toutes
(1) Apoc., XXI, 5.
choses
étant nouvelles; il n'y eût rien de vieux en sa
très-sainte Mère; et ne pouvant pas nier que le péché originel ne fût
quasi aussi ancien que la nature, nous devons inférer de là que, s'il se fût
trouvé en la Mère du Verbe incarné, il n'aurait pas fait toutes choses
nouvelles.
257. Et il me dit :
Écrivez, car ces paroles sont très-fidèles et
véritables; puis il ajouta : Tout est fait, etc. (1). Selon notre manière
de parler, Dieu est fort outré qu'on oublie les marques du grand amour qu'il
nous a témoigné dans son incarnation et dans la rédemption du genre humain; et
afin de laisser une perpétuelle mémoire de tant de faveurs, et pour suppléer à
notre ingratitude, il commande qu'on les écrive. Ainsi les mortels les
devraient écrire et graver dans leurs coeurs, et craindre l'offense qu'ils
commettent contre Dieu par un oubli si brutal et si exécrable. Et quoiqu'à la
vérité les catholiques conservent la foi et la créance de ces mystères, ils
semblent néanmoins, par le mépris qu'ils témoignent à les reconnaître, et par
celui qu'ils supposent en les oubliant, les nier tacitement, vivant comme
s'ils ne les croyaient pas. Et afin qu'ils aient un accusateur de leur
très-noire ingratitude, le Seigneur dit que ces
paroles sont très-fidèles et véritables. Et
puisqu'il n'y a rien de si constant, qu'on considère avec indignation l'infâme
brutalité que les mortels pratiquent en dissimulant et en méconnaissant ces
vérités, qui, étant en
(1) Apoc., XXI, 5.
566
effet
très-fidèles, seraient aussi
très-efficaces pour émouvoir le coeur humain et pour vaincre sa dureté,
si on s'en remplissait la mémoire, et si on les ruminait et pesait comme
fidèles, certaines et infaillibles, considérant que Dieu les opéra toutes pour
chacun de nous.
258. Mais comme les dons de
Dieu ne sont pas sujets au repentir (1), car il ne révoque point le bien qu'il
fait, quoiqu'il y soit provoqué par les offenses des hommes, il dit que tout
est déjà fait (2). Comme s'il nous disait que, bien que nous l'ayons irrité
par notre ingratitude, il ne veut pas suspendre les effets de son amour; ou
disons plutôt qu'ayant envoyé la très-sainte
Vierge au monde sans péché originel, il donne pour certaines toutes les choses
qui regardent le mystère de l'incarnation; puisque, Marie se trouvant
très-pure en la terre, il semblait que le Verbe
éternel fût comme forcé de descendre du ciel pour prendre chair humaine dans
son sein, et que cette vaste demeure ne lui suffisait pas. Il nous en donne de
plus fortes preuves lorsqu'il dit: Je suis l'alpha et r oméga, la première et
la dernière lettre, qui, comme le principe et la fin, renferment la perfection
de toutes les oeuvres écrites; parce que , si je leur donne un commencement,
ce n'est que pour les conduire jusqu'à la perfection de leur dernière fin :
comme je le ferai par le moyen de cet ouvrage admirable, Jésus et Marie; car
j'ai commencé par cet ouvrage, et par lui j'achèverai
(1) Rom., XI, 29. — (2) Apoc., XXI, 6.
verai
toutes les oeuvres de la grâce, et j'attirerai à moi toutes les créatures en
l'homme, comme à leur dernière fin et à leur unique centre, où elles doivent
trouver leur véritable repos. 259.
Je donnerai gratuitement à boire de la fontaine de vie à celui qui aura soif.
Celui qui aura vaincu possèdera ces choses, etc. (1). Laquelle des créatures a
prévenu toutes les autres pour donner des conseils à Dieu, ou pour lui faire
quelque don qui l'obligeât au retour (2)? L'Apôtre nous fait cette proposition
afin que nous soyons persuadés que tout ce que Dieu fait et a fait pour les
hommes a été fait gratuitement et sans qu'il y fût obligé. La source des
fontaines ne doit son cours à qui que ce soit de ceux qui y vont boire; ses
eaux se donnent gratuitement à tous ceux qui les ;abordent.
Que si tous ne participent pas à ses liquides trésors, ce n'est pas la faute
de la source, mais de ceux qui sont assez négligents pour n'y pas aller
étancher leur soif, puisqu'elle les convie avec tant de profusion et de
complaisance (3). Et pour épargner encore nos peines, elle-même sort et va
chercher les nécessiteux par des courses continuelles, s'offrant à tous d'une
manière très-agréable. O tiédeur insupportable des
mortels ! O ingratitude abominable! Si le véritable Seigneur ne nous doit rien
et s'il nous a tout donné par grâce, et qu'entre toutes la plus grande fut de
s'être fait homme et de mourir pour nous, parce qu'en cette faveur
ii se donna entièrement
(1) Apoc., XXI, 6 et 7. — (2) Rom., V, 34 et 35. —
(3) Joan., VII, 37.
568
à nous,
l'impétuosité de la Divinité ne cessant point jusqu'à ce qu'elle eût trouvé
notre nature pour s'unir à elle et par elle à nous (1) : comment est-il
possible, qu'étant si avides d'honneur, de gloire et de plaisirs, nous ne nous
adressions pas à cette fontaine pour y puiser toutes ces choses qu'elle nous
offre si libéralement (2) ? Mais j'en découvre la cause : c'est que nos
avidités ne sont pas pour la véritable gloire, ni pour le véritable honneur,
ni pour les véritables plaisirs; que nous ne soupirons qu'après les félicités
trompeuses et apparentes, et que nous méprisons et négligeons les fontaines de
la grâce et de toute consolation que notre Seigneur Jésus-Christ nous a
ouvertes par ses mérites et par sa mort. A celui qui aura soif de la divinité
et de la grâce, le Seigneur dit qu'il lui donnera gratuitement de la fontaine
de vie. Hélas! quel spectacle digne de nos larmes
et de notre compassion est celui de voir que la fontaine de vie s'étant
découverte et même offerte, il y en ait si peu qui en soient altérés, et qu'il
s'en trouve tant qui courent après les eaux de la mort (3) ! Mais courage, car
celui qui vaincra en lui-même le diable, le monde et sa propre chair,
possédera ces choses. Et il dit qu'il les aura, parce que, les recevant par
grâce, il pourrait craindre d'en être privé, ou qu'on ne les lui révoquât dans
quelque temps. C'est pourquoi, pour l'en assurer, on lui dit qu'on lui en
donnera la possession sans restriction.
(1) Ps. XLV, 5. — (2) Isa., LV, 1. — (3) Jerem., II, 13.
569
260. Et il y est encore
plus affermi par une nouvelle et plus grande assurance, le Seigneur voulant
bien ajouter ces paroles : Je serai son Dieu, et il sera mon fils (1) ;
que s'il est notre Dieu et si nous sommes ses enfants, il s'ensuit de là que
nous devons être héritiers de ses biens; étant héritiers (quoique tout
l'héritage soit gratuit), nous le possédons pourtant avec sûreté, comme les
enfants possèdent les biens de leur père (2). Et étant Père et Dieu tout
ensemble, infini en ses attributs et en ses perfections, qui pourra exprimer
ce qu'il nous offre en nous faisant ses enfants? car
cette qualité renferme l'amour paternel, la conservation, la vocation, la
vivification, la justification, les moyens pour y arriver et pour la fin du
tout , la glorification et l'état bienheureux que les yeux n'ont point vu, ni
les oreilles n'ont point entendu, ni le coeur de l'homme n'a pu concevoir (3).
Et le tout est pour ceux qui vaincront et qui seront des enfants courageux et
véritables.
261. Mais pour les
lâches, les incrédules, les abominables, les homicides, les fornicateurs, les
sorciers, les idolâtres et tous les menteurs, etc. (4). Tous ces
innombrables enfants de perdition ont écrit leurs noms de leurs propres mains
dans ce registre formidable; car le nombre des insensés qui ont préféré la
mort à la vie, est infini (5). Ce n'est pas que les voies qui conduisent à
cette vie soient cachées à ceux qui ont des
(1) Apoc., XXI, 7. — (2) Rom.,
VIII, 17. — (3) I Cor., II, 9.
— (4) Apoc., XXI, 8. —
(5) Eccles., I, 15.
570
yeux
pour s'en servir; mais parce que ceux-là les ferment à la lumière, et se sont
laissés et se laissent tromper et aveugler par les embûches de Satan, .qui
offre aux différentes inclinations et aux appétits dépravés des hommes, le
mortel venin déguisé sous les diverses douceurs apparentes des vices qui
flattent leurs passions (1). Aux lâches, qui sont continuellement agités et
irrésolus, parce qu'ils n'ont pas goûté la douce manne de la vertu, et ne sont
pas entrés dans le chemin de la vie éternelle; à ceux-là,il
la représente insipide et terrible; et cependant le joug du Seigneur est doux
et son fardeau fort léger (2). Ainsi trompés par cette terreur panique, ils
sont plutôt vaincus par la paresse que par le travail. Pour ce qui est des
incrédules, ou ils n'admettent point les vérités révélées, et ne leur
donnent aucune créance, comme les hérétiques, les païens et les infidèles; ou,
s'ils les croient, comme les catholiques, il semble qu'ils ne les entendent
que de fort loin, et qu'ils. les croient plutôt
pour les autres que pour eux-mêmes. Ainsi leur foi étant morte, ils opèrent
comme des incrédules (3).
262. Les abominables,
qui s'abandonnent à toutes sortes de vices avec impudence, se glorifiant de
leurs méchancetés, Dieu les a en horreur, il les méprise et les retarde comme
des exécrables et des rebelles qui sont presque dans l'impuissance de faire le
bien; et s'éloignant du chemin de la vie éternelle, comme
(1) Sap., IV, 12. — (2) Matth., XI, 30. — (3)
Jacob., II, 25.
571
s'ils
n'étaient pas créés pour elle, ils se séparent de Dieu, renoncent à ses
faveurs et à ses bénédictions, et sont maudits du Seigneur et des saints.
Quant aux homicides, qui usurpent sans crainte ni respect de la justice divine
le droit que le souverain Seigneur a de gouverner cet univers et d'y châtier
et venger les injures, ils seront mesurés et jugés avec la même mesure qu'ils
ont voulu mesurer et juger les autres (1). Les fornicateurs, qui, pour
un plaisir sale et passager dont la fin est toujours accompagnée de regret et
d'horreur, sans pourtant que l'appétit désordonné en soit rassasié, renoncent
à l'amitié de Dieu et méprisent les voluptés éternelles, qui plus elles
rassasient, plus elles sont désirées, et qui, en remplissant tous nos
souhaits, ne finiront jamais. Les sorciers, qui croient et se confient
aux fausses promesses du dragon, caché sous les apparences d'ami, sont trompés
et pervertis pour tromper et pervertir les autres. Les idolâtres, qui
ne trouvèrent pas cette divinité qu'ils cherchaient et qui est si proche de
tous (2), l'attribuant à qui ne la pouvait pas avoir, parce qu'ils en
voulaient être eux-mêmes les distributeurs et l'appliquer à leurs propres
ouvrages, qui n'étaient que des ombres inanimées de la vérité, incapables de
contenir la grandeur de l'être du véritable Dieu. Les menteurs, qui
s'opposent à la suprême vérité, qui est Dieu, et qui, pour s'en éloigner
davantage, se privent de sa rectitude et de sa vertu, ayant plus de confiance
au mensonge trompeur
(1) Luc., VI, 38. — (2) Act., XVII, 27.
572
qu'à
l'auteur de la vérité et de tout bien (1).
263. L'évangéliste dit,
parlant de toua ces malheureux, avoir ouï que leur partage serait dans
l'étang brûlant de feu et de soufre, qui est la seconde mort. Personne ne
se peut plaindre de l'équité et de la justice divine;
puisqu'ayant justifié sa cause par la multitude de ses bienfaits, et
par tant d'effets de son infinie miséricorde; descendant du ciel pour vivre et
pour mourir parmi les hommes, et les racheter par sa propre vie et par son
propre sang; nous laissant dans sa sainte Église tant de fontaines de grâces
pour nous les distribuer, sans que nous les eussions méritées, et surtout la
Mère de la même grâce et la fontaine de la vie, la
très-pure Marie, par le moyen de laquelle nous la pussions obtenir :
les mortels n'ont pas voulu profiter de tous ces trésors, et qu'ils ont
renoncé à la vie pour courir après l'héritage de la mort par un plaisir d'un
moment; il ne faut donc pas être surpris s'ils recueillent ce qu'ils ont semé,
et si leur partage est le feu éternel dans cet abîme formidable de soufre, où
il n'est point de rédemption ni aucune espérance de vie, pour avoir encouru la
peine de la seconde mort. Et, quoique cette mort soit infinie par son
éternité, néanmoins la première mort du péché, dont les réprouvés ont fait le
choix, est bien plus terrible, parce qu'elle fut une mort à la grâce que le
péché leur causa, lui qui s'oppose à la bonté et à la sainteté infinies de
Dieu, qu'ils offensaient lors
(1) Jerem., II, 13.
— (2) Apoc., XXI, 8.
573
qu'ils
étaient dans les plus fortes obligations de l'adorer et de le servir. Et la
mort de la peine est une juste punition de celui qui mérite d'être condamné à
ces flammes dévorantes, que l'attribut de sa justice
très-équitable lui applique; et par les effets de cette même justice,
il est exalté et glorifié, comme par le péché il avait été méprisé et offensé.
Que ce miséricordieux et juste Seigneur soit craint et adoré par tous les
siècles. Amen.
CHAPITRE XVIII. Il poursuit le mystère de la conception de la
très-pure Marie par la seconde partie du chapitre
vingt-unième de l'Apocalypse.
264. La lettre du chapitre
vingt-unième de l'Apocalypse, que je poursuis, est
celle-ci: a Aussitôt il vint un des sept anges qui avaient les fioles
pleines des sept dernières plaies, et, parlant à moi, il me dit :
« Venez, et je vous montrerai l'épouse qui est mariée avec l'Agneau. Et
il me transporta en esprit sur une grande et haute montagne, et il me
fit voir la ville sainte de Jérusalem, qui descendait du ciel et venait
de Dieu; elle était vêtue de la clarté de Dieu, et sa lumière était
semblable à une pierre précieuse, comme une pierre de jaspe transparente
comme le (574) cristal. Elle avait une grande et haute muraille ayant
douze portes, où étaient douze anges et des inscriptions qui contenaient
les noms des douze tribus des enfants d'Israël. Il y avait vers l'orient trois
portes; vers l'aquilon, trois portes; vers le midi, trois portes; et
vers l'occident, trois portes. La muraille de la ville avait douze
fondements, où étaient écrits les douze. noms
des douze apôtres de l'Agneau. Et celui qui parlait à moi avait pour
règle une canne d'or, dont il devait mesurer la ville, et ses
portes et sa muraille. Et la ville était d'une figure carrée, aussi
longue que large. Et il mesura la ville avec la canne d'or par douze
mille stades, et la longueur, la largeur et la hauteur en étaient
égales. Il mesura aussi les murailles, qui étaient de, cent quarante-quatre
coudées, avec la mesure de l'homme, qui est celle de l'ange. Et ses
murailles étaient bâties de pierre de jaspe: mais la ville était
d'or très-pur, semblable à du verre fort clair
(1). »
265. Ces anges, dont
(évangéliste parle en cet endroit, sont sept, de ceux qui assistent
particulièrement devant le trône de Dieu, et auxquels sa Majesté a donné la
charge et le pouvoir de châtier certains péchés des hommes (2). Cette
vengeance de la colère du Tout-Puissant arrivera
dans les derniers siècles du monde, et la punition sera si extraordinaire,
qu'il ne s'en sera jamais vu de semblable. Ces mystères sont si fort cachés,
que je ne les puis pas tous pénétrer; et parce que
(1)
Apoc., XXI, 9-18. — (2) Id., XV, 1.
675
tous ne
regardent pas cette histoire, et qu'il n'est, pas même convenable que je m'y
arrête, je passe à ce qui est de mon sujet. Cet ange qui parla à saint Jean
est celui par lequel Dieu vengera singulièrement, d'une manière formidable,
les injures qu'on aura faites à sa très-sainte
Mère, pour avoir irrité, en la méprisant par une folle témérité, l'indignation
de sa toute puissance. Car la très-sainte Trinité
s'étant engagée d'honorer et d'élever cette Reine du ciel sur toutes les
créatures humaines et angéliques, et de la donner au monde comme un miroir de
la Divinité et pour la médiatrice incomparable des mortels, Dieu même prendra
un soin particulier de venger les hérésies, les eoeurs,
les blasphèmes et toutes les injures qu'on aura commises contre elle, comme
aussi de ne l'avoir pas glorifié, reconnu et adoré en ce sien tabernacle, et
de n'avoir pas profité d'une si grande faveur. Toutes ces punitions sont
prophétisées dans la sainte Église. Et quoique l'énigme de l'Apocalypse couvre
par son obscurité cette rigueur, malheur, néanmoins, à ceux qui se
l'attireront! Hélas! que je l'appréhende, moi qui
ai offensé un Dieu si fort et si puissant à punir! Je suis abîmée dans la
connaissance de tant de calamités dont il nous menace.
266. L'Ange parla à
l'évangéliste, et il lui dit Venez, et je vous montrerai l'Épouse qui est
mariée d l'Agneau, etc. (1). Il déclare ici que la sainte
cité de Jérusalem, qu'il lui montra, est cette
femme qui est
(1) Apoc., XXI, 9.
576
l'Épouse
de l'Agneau, prétendant de parler sous cette métaphore (comme j'ai déjà dit)
de la très-sainte Vierge, que saint Jean regardait
Mère et Épouse de l'Agneau, qui est Jésus-Christ; parce que notre Reine eut
ces deux offices et les exerça divinement. Elle fut digne Épouse de la
Divinité, et singulière par la grande foi (1) et par l'amour particulier avec
lequel ces épousailles se firent et s'achevèrent : elle fut Mère du même
Seigneur incarné, en lui donnant sa propre substance, la chair mortelle, la
nourriture et l'entretien dans les nécessités de la forme humaine qu'elle lui
avait donnée. L'évangéliste fut transporté en esprit sur une haute montagne de
sainteté et de lumière, pour y être mieux disposé à y apercevoir et à pénétrer
des mystères si relevés : car il ne les pouvait pas comprendre sans être élevé
au-dessus de la faiblesse humaine, comme pour cette raison nous, qui sommes
des créatures imparfaites, terrestres et lâches, n'y pouvons rien découvrir.
Et dans ce transport, il dit : Il me fit voir la ville sainte de Jérusalem
qui descendait du ciel (1), comme n'étant pas construite ni formée sur la
terre, où elle n'était que comme passagère et étrangère, mais dans le ciel, où
elle ne pouvait être formée par les seuls matériaux d'une terre commune; et
quoiqu'elle en reçût la nature, ce fut néanmoins pour l'élever au ciel, où
cette cité mystique se devait construire sur le modèle céleste, angélique et
divin, semblable à la Divinité.
(1) Cant., VI, 8. — (2) Apoc.,
XXI, 10.
577
267. C'est pourquoi il
ajoute qu'elle était vêtue de la clarté de Dieu (1) ; parce que lame de la
très-sainte Vierge eut une participation de la
Divinité, de ses attributs et de ses perfections; que s'il nous était possible
de la voir comme elle est, elle nous paraitrait
rayonnante de la clarté éternelle de Dieu. il nous
est dit de grandes et glorieuses choses dans l'Église catholique de cette Cité
de Dieu (2), et ale la clarté qu'elle reçut du Seigneur; mais tout ce qu'on en
dit est fort peu de chose, et tous les termes humains ne suffisent pas pour en
exprimer la vérité. L'entendement créé étant vaincu et accablé de ses
grandeurs, dit que la très-pure Marie eut un je ne
sais quoi de la Divinité; déclarant en cela la vérité en substance, et son
ignorance à exprimer ce qu'il avoue pour véritable. Si elle fut construite
dans le ciel, le seul ouvrier et le souverain artisan qui la forma, connaîtra
sa grandeur et l'alliance qu'il contracta avec la
très-sacrée Marie, en comparant les perfections qu'il lui donna avec
celles que sa divinité et sa grandeur infinie renferment.
288. Sa lumière était
semblable à une pierre précieuse, comme une pierre de jaspe transparente comme
le cristal, etc. (3). Il nous est plus. facile de voir qu'elle est
comparée au cristal et au jaspe tout ensemble, entre lesquels il y a si peu de
proportion, que d'être persuadés qu'elle soit aussi semblable à Dieu; mais par
cette similitude nous comprendrons
(1) Apoc., XXI, 11. — (2) Ps. LXXXVI, 9. — (3) Apoc., XII, 11.
578
quelque
chose de celle-ci. Le jaspe renferme plusieurs couleurs, plusieurs aspects et
quelque diversité d'ombres dont il est composé; et le cristal est fort clair,
très-pur et uniforme, et tout cela uni ensemble ne
peut que former une agréable et charmante variété. La
très-pure Marie reçut en sa formation la variété des vertus et des
perfections, dont il semble que Dieu ait formé son âme, composée et enrichie
de ces divers ornements. Toutes ces grâces, toutes ces perfections, cette
ressemblance qu'elle a avec un cristal très-pur,
sans tache et sans vestige du péché, cette clarté et cette pureté qui
l'embellissent (1), nous donnent des rayons et des traits de la Divinité,
comme le cristal, qui, frappé du soleil, paraît le contenir en lui- même, et
le représente en rayonnant comme lui. Mais ce jaspe cristallin a quelques
ombres, parce qu'elle est fille d'Adam et une pure créature, et que toute
cette splendeur qu'elle a du soleil de la Divinité est participée; et
quoiqu'elle ressemble au soleil divin, ce n'est pas par nature, mais par
participation et par une communication de sa grâce; elle 'est créature formée
par la puissante main de Dieu, mais pour devenir sa propre Mère.
269. La ville avait une
grande et haute muraille ayant douze portes (2). Les mystères renfermés
dans cette muraille et aux portes de cette Cité mystique, la
très-pure Marie, sont si cachés et si grands, que
je.ne pourrai pas exprimer aisément ce qui m'en a
été
(1) Ps. XLIV, 10. — (2) Apoc.,
XXI, 12.
579
découvert,
moi qui ne suis qu'une femme ignorante et grossière. Je le dirai pourtant le
mieux qu'il me sera possible, devant présupposer que dans le premier instant
de la conception de la très-sainte Vierge, lorsque
la Divinité lui fut manifestée par cette vision, et en cette manière que j'ai
dite ci-dessus, alors la très-sainte Trinité, à
notre façon de concevoir, comme si elle eitt voulu
renouveler ses premiers décrets de la créer et de l'exalter, fit comme un
contrat en faveur de cette Reine, sans pourtant le lui faire connaître alors;
et ce fut comme si les trois personnes divines eussent conféré ensemble en
cette matière.
270. « La dignité que nous
donnons à cette pure a créature de notre Épouse et de Mère du Verbe, qui doit
naître d'elle, mérite que nous l'établissions Reine et Maîtresse de tout
l'univers. Et outre les dons et les richesses de notre divinité, que nous lui
donnons pour dot, il est convenable de lui accorder le pouvoir de manier les
trésors de nos infinies miséricordes, afin qu'elle puisse distribuer et
communiquer selon sa volonté les grâces et les faveurs nécessaires aux
mortels, et singulièrement à ceux qui, comme ses enfants affectionnés,
l’invoqueront, et qu'elle puisse enrichir les pauvres, secourir les a
pécheurs, accroître les justes et être le refuge universel de tous. Et afin
que toutes les créatures la a reconnaissent pour leur Reine, pour leur
Supérieure et pour la dépositaire de nos biens infinis, avec puissance de les
pouvoir dispenser, nous lui consignons les clefs de notre coeur et de notre
(580) volonté, et elle sera en toutes choses l'exécutrice de notre bon plaisir
envers les créatures. Nous lui donnerons de plus le domaine et la puissance
sur le dragon notre ennemi, et sur tous les démons ses alliés, afin qu'ils
craignent sa présence et son nom, et que par lui leurs tromperies
s'évanouissent; et que tous les mortels qui se retireront sous la protection
de cette ville de refuge, se trouvent en assurance ,
sans crainte des démons ni de leurs embûches. »
271. Le Seigneur ordonna à
l'âme de la très-pure Marie, sans lut manifester
tout ce qui était contenu dans ce décret on cette promesse, de prier avec
affection pour toutes les âmes, et de leur procurer par ses sollicitations le
salut éternel, et singulièrement pour ceux qui se recommanderaient à elle dans
le cours de leur vie. Et la très-sainte Trinité
lui promit que rien ne lui serait refusé en ce tribunal
très-équitable, et qu'elle commanderait au démon et l'éloignerait de
toutes les âmes avec force et empire, puisque le bras du
Tout-Puissant la seconderait en tout. Mais on ne lui découvrit pas le
sujet pour lequel elle recevait cette faveur et toutes les autres qui s'y
trouvaient renfermées, qui était de la faire Mère
du Verbe. Saint Jean, en disant que la sainte cité avait une grande et haute
muraille, y comprit cette faveur que Dieu fit à sa Mère en la constituant le
sacré refuge et la protectrice de tous les hommes, afin qu'ils trouvassent en
elle toutes sortes de secours, comme en une forte ville et un invincible
rempart contre leurs ennemis, (581) et que tous les enfants d'Adam
recourussent à elle comme à la puissante Reine et Maîtresse de tout l'univers,
et comme à la dispensatrice des trésors du ciel et de la grâce. Il dit aussi
que cette muraille était fort haute, parce que le pouvoir qu'a la
très-sainte Vierge de vaincre le démon et d'élever
les âmes à la grâce est si haut, qu'il est immédiat à Dieu : cette sainte cité
étant si bien pourvue et d'une défense si assurée, autant pour elle-même que
pour ceux qui s'y vont réfugier, qu'il n'est que Dieu seul qui puisse franchir
ses murailles inaccessibles à toutes les forces créées.
272. Il y avait douze
portes à cette muraille (1) de la sainte cité, parce que son entrée est
libre et générale à toutes les nations, sans en exclure aucune; mais au
contraire elles y sont toutes conviées, afin qu'aucun (s'il ne le veut) ne
soit privé de la grâce des dons et de la gloire du Très-Haut par le moyen de
la Reine et de la Mère de miséricorde. Et aux douze portes il -y avait' douze
anges. Ces princes célestes sont les douze dont j'ai déjà fait mention, et qui
furent choisis d'entre les mille pour la garde de
la Mère du Verbe incarné. Le ministère de ces douze anges, outre qu'il était
d'assister à notre Reine, fut aussi pour lui servir particulièrement à
inspirer et à défendre les âmes qui invoquent avec dévotion la protection de
cette puissante Reine, et se distinguent en son service, en son honneur et en
son amour. C'est
(1) Apoc., XXI, 12.
582
pourquoi
l'évangéliste dit qu'il les vit aux portes dé cette cité, parce qu ils sont
ministres et comme agents qui aident, excitent et conduisent les mortels, afin
qu'ils entrent à la félicité éternelle par les portes de la charité de la
très-sainte Vierge. Et elle les envoie bien des
fois avec des inspirations et des faveurs singulières, pour retirer des
dangers et des travaux d'esprit et de corps ceux qui l’invoquent, délivrant
par leur moyen ses affectionnés enfants de plusieurs peines et de beaucoup de
périls.
273. L'évangéliste dit,
qu’ ils avaient des inscriptions qui
contenaient les noms des douze tribus des enfants d'Israël (1), parce que
les anges bienheureux participent aux noms du ministère et de (office pour
lesquels ils sont envoyés su monde. Et comme ces douze princes assistaient
singulièrement la Reine du ciel, afin que selon les ordres qu'ils en
recevraient ils aidassent les hommes à opérer leur salut, et tous les élus
compris clans les douze tribus d'Israël, qui forment le peuple choisi de Dieu;
c'est pourquoi il est dit que ces anges avaient les douze noms des tribus,
comme étant chacun destiné pour sa tribu, recevant sous leur protection et
sous leur conduite tous ceux qui devaient entrer par ces portes de
l'intercession de la très-pure Marie dans la
Jérusalem céleste de toutes les générations.
274. Étant dans
l'admiration de cette grandeur et de cette puissance de Marie, et de ce
qu'elle était la
(1)
Apoc., XXI, 12..
583
médiatrice
et la porte de tous les prédestinés, il me fut découvert que cette prérogative
répondait à la dignité de Mère de Jésus-Christ, et à l'office qu'elle avait
exercé comme Mère envers son très-saint Fils et
envers les hommes; car elle lui donna un corps humain de son
très-pur sang et cette substance en laquelle il
devait souffrir pour racheter les hommes. Ainsi, en quelque façon, elle
souffrit et mourut en Jésus-Christ par cette union de la chair et du sang;
outre qu'elle l'accompagna en sa passion et en sa mort, qu'elle souffrit par
sa volonté en la manière qu'elle le pouvait avec une sublime humilité et une
force divine. Et comme elle coopéra à la passion de son Fils et lui donna le
corps qu'il sacrifiait pour tout le genre humain, de même le Seigneur voulut
lui communiquer la dignité de rédemptrice, et lui donner les mérites et le
fruit de la rédemption, afin qu'elle les distribuât et que ceux qui étaient
rachetés les reçussent de ses mains. O admirable trésorière de Dieu, combien
les richesses de la droite du Tout-Puissant sont
assurées entre vos divines et libérales mains ! Cette sainte cité avait
trois portes vers l'orient, trois portes vers le midi, et trois portes vers
l'occident, etc. (1). Trois portes qui répondent à chaque partie du monde;
et le nombre de trois nous facilite la possession de tout ce que le ciel et la
terre renferment, et de Celui-là même qui a donné
l'être à toutes les créatures, et ce sont les trois divines
(1) Apoc., XXI, 13.
584
personnes, Père, Fils, et Saint-Esprit, chacune des trois voulant et
prétendant que la très-sainte Marie ait trois
portes par où elle puisse libéralement offrir et distribuer aux mortels les
trésors de Dieu; et quoique ce Dieu soit en trois personnes, chacune néanmoins
lui donne un accès et une porte libre, afin que cette
très-pure Reine entre au tribunal de l'Être immuable de la
très-sainte Trinité, pour y intercéder, demander
et puiser des dons et des grâces pour enrichir tous ceux qui auront recours
avec dévotion à sa protection; afin qu'en nul endroit de l'univers aucun ne
puisse former des plaintes et des excuses; puisqu'en chacune de ses parties il
n'y a pas seulement une porte, mais trois, qui convient toutes ses ustions.
Car il est si aisé d'entrer dans une ville par une porte publique et ouverte à
tous, que si quelqu'un n'y entre ce ne sera pas par le défaut des portes, mais
par la faute de ceux qui par leur négligence n'auront pas voulu s'y réfugier.
Que nous répondront ici les infidèles, les
hérétiques et les païens? Quelle excuse auront les mauvais chrétiens et les
pécheurs obstinés? Si les trésors du ciel sont à la disposition de notre Mère,
si elle nous y appelle par ses anges et nous sollicite d'en profiter, et si
elle n'est pas seulement la porte, mais plusieurs portes du ciel; comment se
peut-il faire que le nombre de ceux qui restent dehors soit si grand, et celui
de ceux qui y entrent soit si petit?
275. La muraille de
celte ville avait douze fondements, oit étaient écrits les douze noms des
douze apôtres (585) de l'Agneau
(1). Les fondements solides et inébranlables sur lesquels Dieu construisit
cette sainte Cité Marie sa très-pure Mère, furent
toutes les vertus qui y répondaient par une conduite particulière du
Saint-Esprit. Il y en eut douze avec les noms des douze apôtres, parce qu'elle
fut fondée sur leur plus grande sainteté comme étant les plus grands des
saints, selon David, qui nous dit que les fondements de la cité de Dieu furent
jetés sur les saintes montagnes (2); parce que la sainteté et la sagesse de
Marie servirent aussi de fondement et d'appui aux apôtres, après la mort de
Jésus-Christ et après son ascension. Car, outre qu'elle fut toujours leur
maîtresse et leur modèle, elle fut aussi alors le plus grand appui de la
primitive Église. Et parce qu'elle y fut destinée parce ministère dès son
immaculée conception avec toutes les vertus et les grâces nécessaires, c'est
pour ce sujet que l'évangéliste dit quelle avait douze fondements:
276. Celui qui parlait à
moi avait pour règle une canne d'or, et il mesura la ville avec cette canne
par douze mille, stades, etc. (3). Saint Jean renferme dans ces mesures;
de grands mystères de la dignité, des grâces, des dons et des mérites de' la
Mère de bien. Et quoiqu'elle fût mesurée en la dignité et en toutes les
faveurs qu'elle, reçut du Très-Haut avec une fort grande mesure, néanmoins la
mesure s'accommoda malgré un retour possible avec tant d'égalité, qu'elle
(1) Apoc., XXI, 14. — (2) Ps. LXXXVI, 2. — (3) Apoc., XXI, 15.
586
fut
trouvée aussi longue que large (1), étant proportionnée et uniforme en
toutes ses parties, sans aucune irrégularité. Je ne m'arrête pas ici sur ce
sujet, parce que j'en dois parler dans toute la suite de cette histoire. Je me
contente seulement de dire que cette règle, avec laquelle on mesura la
dignité, les mérites et la grâce de la très-pure
Marie, fut l'humanité sacrée de son Fils très-béni,
unie au Verbe divin.
277. La règle est appelée
par l'évangéliste canne, à cause de la fragilité de notre nature, composée
d'une chair faible et débile; il la nomme d'or à cause de la divinité de la
personne du Verbe. Avec cette dignité de Jésus-Christ, Dieu et homme
véritable, avec les dons de la nature humaine, unie à la personne divine, et
avec les mérites qu'il opéra, sa très-sainte Mère
fut mesurée par le même Seigneur. Il la mesura avec lui-même; et l'ayant
mesurée, elle parut être égale et proportionnée en la hauteur de sa dignité de
Mère, en la longueur de ses dons et de ses faveurs, et en la largeur de ses
mérites; elle fut égale en tout, sans diminution et sans disproportion. Et
quoiqu'elle ne piyt, absolument parlant, W égaler
à son très-saint Fils d'une égalité que les
docteurs appellent mathématique, parce que notre Seigneur Jésus-Christ était
homme et vrai Dieu, et elle une pure créature, et par cet endroit la règle
excédait infiniment ce qu'elle mesurait en elle; néanmoins, la
très-pure Marie eut une espèce d'égalité de
proportion
(1) Apoc., XXI, 16.
587
avec
son très-saint Fils; car comme il ne lui manqua
rien de ce qu'il devait avoir et lui convenait comme véritable Fils de Dieu,
ainsi il se trouva en elle tout ce qui lui était dù
et tout ce qu'elle devait à Dieu comme sa véritable Mère. De sorte que la
très-sainte Vierge comme mère, et Jésus-Christ
comme fils, eurent une égale proportion de dignité, de grâce, de dons et de
mérites, puisqu'il n'y avait aucune grâce créée en Jésus-Christ qui ne
fitt aussi avec proportion .en sa
très-pure Mère.
278. Il mesura la ville
avec cette canne par douze mille stades (1). Cette mesure de stades et le
nombre de douze mille dont notre divine reine fut mesurée en sa conception,
renferment des mystères très-relevés.
L'évangéliste appelle stade la mesure parfaite avec laquelle la hauteur de la
sainteté des prédestinés est mesurée , selon les
dons de grâce et de gloire quo Dieu a résolu et ordonné en son entendement et
en son décret éternel de leur communiquer par le moyen de son Fils incarné,
les mesurant et les déterminant par son infinie équité et par sa miséricorde
paternelle. Le Seigneur mesure avec ces stades tous les élus, et la hauteur de
leurs vertus et de leurs mérites. Malheur à celui qui ne se trouvera pas juste
à cette mesure quand le Seigneur le mesurera 1 Le nombre de douze mille
contient tout le reste des prédestinés et dés élus compris dans les douze
chefs de ces milliers, qui sont les douze apôtres, princes de l'Église
(1) Apoc., XXI, 16.
588
catholique,
ainsi qu'ils le sont au chapitre septième de l'Apocalypse dans les douze
tribus d'Israël, parce que tous les élus se devaient soumettre à la doctrine
que les apôtres de l'Agneau enseignèrent comme je l'ai dit ci-dessus sur le
même chapitre.
279. L'on peut arriver à la
connaissance de la grandeur de cette cité de Dieu, Marie sa
très-sainte Mère, par tout ce que je viens de
dire; car si nous donnons à chacun de ces stades pour le moins cent vingt-cinq
pas géométriques, une ville qui aurait douze mille stades de circuit
paraîtrait immense. Or, notre auguste Reine fut mesurée avec la règle et les
stades dont Dieu se sert pour mesurer tous les prédestinés; mais la hauteur,
la longueur et la largeur de tous ensemble ne la surpassèrent en rien, parce
que celle qui était Mère de Dieu, Reine et Maîtresse de tout l'univers, les
égala tous, pouvant elle seule contenir plus de grandeur que toutes les autres
créatures.
280. Il mesura aussi les
murailles, qui étaient de cent quarante-quatre coudées, avec la mesure de
l'homme, qui est celle de l'ange (1). Cette mesure des murailles de la
cité de Dieu n'était pas pour mesurer la longueur, mais la hauteur qu'elles
avaient, parce que si les stades du carré de la ville étaient douze mille en
largeur et en longueur, le carré étant égal par tous les endroits, il fallait
nécessairement que les murailles eussent plus de circonférence, et que cette
(1) Apoc., XXI, 17.
589
circonférence fût plus grande, si on les mesurait par la superficie extérieure pour
enfermer dans leur circuit toute la ville; ainsi la mesure de cent
quarante-quatre coudées (de quelque manière qu'elles eussent été) n'était pas
proportionnée pour la longueur des murailles d'une si grande ville, mais bien
pour la hauteur de ce rempart assuré pour ceux qui s'y trouvaient. Cette
hauteur nous signifie la grande sûreté avec laquelle la
très-pure Marie devait garder tous les dons et toutes les grâces de
sainteté et de dignité qu'elle avait reçues du Très-Haut. C'est pourquoi il
est dit que la hauteur était de cent quarante-quatre coudées, qui est un
nombre inégal; y comprenant trois différentes murailles, grande, médiocre et
petite, qui répondaient aux oeuvres de la Reine du ciel, dont il y en eut de
très-grandes, de médiocres et de petites. Ce n'est
pas qu’il se trouvât rien de petit en elle, mais à cause que les matières
auxquelles elle s'occupait étaient différentes, et par conséquent les ouvres
l'étaient aussi. Les unes étaient miraculeuses et surnaturelles, les autres
d'une vertu morale; et celles-ci se partageaient en intérieures et en
extérieures; et elle les pratiquait toutes avec une si grande plénitude de
perfection, qu'elle n'omettait point les petites d'obligation pour les plus
grandes, ni les plus relevées pour les moindres; mais elle lés exerça toutes
dans un si haut degré de sainteté et de complaisance du Seigneur, qu'elles
furent toutes justes à la mesure de son très-saint
Fils, tant aux dons naturels qu'aux surnaturels. Et cette mesure fut (590)
celle de l'Homme-Dieu
, qui est l'ange du grand conseil, supérieur à tous les hommes et à
tous les anges, que la Mère surpasse avec le Fils dans quelque proportion.
281. L'évangéliste dit que
ses murailles étaient bâties de pierre de jaspe (1). Les murailles sont les
premiers objets que rencontre la vue de ceux qui abordent une ville : et la
diversité des aspects, des couleurs et des ombres, qui se trouvent dans le
jaspe, dont les murailles de cette cité de Dieu, la
très-pure Marie, étaient composées, nous signifient l'humilité
ineffable qui servait de voile pour cacher toutes les grâces et toutes les
excellences de cette grande Reine : car, étant digne Mère de son Créateur,
exempte de toute sorte de tache de péché et d'imperfection, elle parut
néanmoins à la vue des hommes comme tributaire et sous les ombres de la loi
commune des autres enfants d'Adam , se soumettant aux lois pénibles de la vie
commune, comme je le dirai en son lieu. Mais cette muraille de jaspe, qui
découvrait les mêmes ombres que les autres femmes ont, n'était en elle que
selon les apparences, servant en effet à cette sainte cité d'un invincible
rempart. L'intérieur de la ville était d'or très-pur
semblable à du verre fort clair, parce qu'il ne se trouva jamais ni en la
formation de la très-pure Marie, ni durant tout le
cours de sa vie très-innocente, aucune tache (2)
qui pût obscurcir sa pureté cristalline. Car, comme la moindre paille
(fût-elle
(1) Apoc., XXI, 18. — (2)
cant., IV, 7.
comme
un atome) qui tomberait dans le verre quand on le forme, ternirait pour
toujours sa clarté transparente, sans qu'on la pùt
jamais tirer qu'il n'y restât quelque vestige désagréable : de même si la
très-pure Marie eût contracté en sa conception la
tache et la souillure du péché originel, sa difformité n'en sortirait jamais,
elle en serait noircie pour toujours, et ne pourrait pas être un verre
très-net , ni un or si pur qu'on le dit, puisqu'il
se trouverait en sa sainteté et en ses dons ce noir alliage du péché originel,
qui amoindrirait sa valeur : mais cette sainte cité fut comparée à l'or et au
verre, parce qu'elle fut très-pure et semblable à
la Divinité.
CHAPITRE XIX. Qui contient la dernière partie du chapitre
vingt-unième
de l'Apocalypse sur la conception de la très-sainte
Vierge.
282. Le texte de la
troisième et dernière partie du chapitre vingt-unième
de l'Apocalypse, que je vais expliquer, est celui-ci : « Les fondements des
murailles de la ville étaient embellis de toutes sortes de pierres a
précieuses. Le premier fondement était de jaspe, et le second de saphir, le
troisième de calcédoine, le (592) quatrième d'émeraude, le cinquième de
sardonix, le sixième de sardoine, le
septième de chrysolithe, le huitième de béril,
le neuvième de topaze, le dixième de chrysoprase, le onzième
d'hyacinthe, le doua zième d'améthyste. Et les
douze portes étaient de douze perles, chaque porte d'une seule perle; et
la place de la ville était d'or pur, comme du verre fort
transparent. Et je ne vis point de temple en elle; car le Seigneur Dieu
tout-puissant est son temple et l'Agneau. Cette ville n'a pas besoin du
soleil ni de la lune pour l'éclairer, parce que la gloire de
Dieu l'éclaire, et que l'Agneau en est la lampe. Et a les nations marcheront
dans sa lumière; et les rois de la terre apporteront leur honneur
et leur gloire en elle. Et ses portes ne seront point fermées de
jour; car il n'y aura point là de nuit. Il n'y entrera rien de souillé, ni
aucun de ceux qui commettent des choses exécrables et des faussetés, mais
seulement ceux qui sont écrits dans le livre de vie de l'Agneau (1). »
Voilà la lettre de cette dernière partie, que je dois expliquer.
283. Le
très-haut Seigneur ayant élu cette sainte cité,
l'auguste Marie, pour la plus propre et la plus agréable demeure qu'il pouvait
avoir au dehors de lui-même, entre les pures créatures, il ne faut pas,
s'étonner s'il tira des trésors de sa divinité et des mérites de son
très-saint Fils les plus riches matériaux pour
construire les fondements des murailles de sa ville,
(1)
Apoc., XII, 19-21.
embellis de toutes sortes de pierres précieuses (1) : afin que la force et la
sûreté , signifiées par les murailles, l'excellence de sa beauté, la hauteur
de sa sainteté et des dons, qui sont les pierres précieuses, et sa
très-pure conception, qui en est le fondement,
fussent avec une égale correspondance proportionnées en elles-mêmes, et à la
fin pour laquelle il la fondait, qui était de demeurer en elle par amour et
par l'humanité sa crée de son Fils, qui la reçut dans son sein virginal.
L'évangéliste nous dit tout ceci, selon qu'il le découvrit en notre très-
sainte Reine, parce qu'il était convenable à la dignité, à la sainteté et à la
sûreté qu'exigeait l'habitation que Dieu devait faire en elle, comme dans un
invincible rempart, que les fondements de ses murailles, qui étaient les
premiers principes de son immaculée conception, fussent construits de toutes
sortes de vertus, en un degré si éminent et si précieux, qu'il ne se pût
trouver d'autres pierres plus riches pour les fondements de cette muraille.
284. Il est dit que le
premier fondement ou la première pierre était de jaspe (2), dont la variété et
la force marquent la constance et la fermeté que cette grande dame reçut au
moment de sa très-sainte conception, afin qu'avec
cette habitude elle fût disposée à pratiquer durant le cours de sa vie, toutes
les vertus avec une magnanimité et une constance invincible; .et parce que ces
vertus et ces habitudes, qui furent
(1) Apoc., XXII,19.
— (2) Ibid.
594
accordées
et infuses à la très-pure Marie dans l'instant de
sa conception, signifiées par ses pierres précieuses, eurent des privilèges
singuliers que le Très-Haut avait accordés à chacune de ces douze pierres, je
les déclarerai selon ma faible portée, afin que l'on pénètre le mystère que
renferment les douze fondements de la cité de Dieu. Il lui fut donné en cette
habitude de force. une supériorité spéciale, et comme un empire sur l'ancien
serpent, afin qu'elle pût l'humilier, le vaincre et l'assujettir, et qu'elle
donnât une si grande terreur aux démons, qu'ils prissent honteusement la
fuite, et craignissent si fort ses approches, que la seule.
pensée d'aborder sa présence les fit trembler.
C'est pourquoi ils ne s'approchaient jamais de la
très-sainte Vierge que leurs tourments n'en fussent redoublés. La
divine Providence lui fut si libérale, que non-seulement
elle ne la comprit point dans les lois communes des enfants du premier père'
en la délivrant du péché originel et de la servitude du démon, que ceux qui
s'y trouvent renfermés contractent; mais aussi l'éloignant de tous ces
malheurs, elle lui accorda l'empire que tous les hommes perdirent sur les
démons, pour ne s'être pas conservés dans l'heureux état d'innocence. Il fut
de plus accordé à cette divine princesse, en qualité de Mère du Fils du Père
éternel, qui descendit dans son sein pour détruire l'empire d'iniquité de ces
ennemis de tout. bien (1), une puissance royale,
participant de l'être
(1) Joan., XII, 31.
595
de Dieu,
par laquelle elle soumettait les démons et les envoyait plusieurs fois dans
les abîmes de l'enfer, comme je le dirai en. continuant
cette histoire.
285. Le second est de
saphir (1). Cette pierre représente la couleur d'un ciel serein et clair, et
elle marque certains petits points ou atomes d'or reluisant; elle.
signifie la tranquillité que le Très-Haut accorda
aux dons et aux grâces de la très-pure Marie, afin
qu'elle jouît toujours, comme un ciel immuable, d'une paix sereine exempte des
nuages turbulents, découvrant dans cette sérénité des traits de la Divinité
dès l'instant de son immaculée conception, tant à cause de la participation et
de la ressemblance que ses. vertus avaient avec les
attributs divins, singulièrement avec celui de l'immutabilité, que parce
qu'étant encore voyageuse, le voile lui fut plusieurs fois tiré pour lui faire
voir clairement Dieu, comme je le dirai dans la suite : sa Majesté lui
accordant en ce don singulier la vertu et le privilège de communiquer le repos
et le calme d'esprit à ceux qui le demanderaient par son intercession. Que si
tous les catholiques qui sont agités et étourdis par les funestes orages que
les vices excisent en eux, demandaient comme il
faut ce calme, ils en éprouveraient des effets merveilleux.
286. Le troisième est de
calcédoine (2). Cette pierre prend son nom de la province où elle se
trouve, qui s'appelle Calcédoine. Sa couleur approche fort de celle
(1) Apoc., III, 19. — (2) ibid.
596
de
l'escarboucle, et sa lueur parait de nuit comme celle d'une lampe. Le mystère
de cette pierre est de manifester le très-saint
nom de Marie et sa vertu. Elle le prit de cette province du inonde où elle se
trouva, s'appelant fille d'Adam, comme les autres, et Marie, dont le nom et
l'accent changé en latin, signifie les mers, parce qu'elle fut l'océan des
grâces et des dons de la Divinité. Elle vint su monde par la voie de sa
très-pure conception, qui l'inonda de ses eaux
salutaires, détruisant la malice et les effets du péché, et bannissant les
ténèbres de l'abîme par la lumière de son esprit éclairé des rayons de la
sagesse divine. Le Très-,Haut lui accorda par rapport à ce fondement une vertu
particulière, afin qu'elle dissipât, par le moyen de son
très-saint nom de Marie, les épais nuages de l'infidélité, et détruisit
les erreurs des hérésies, du paganisme, de l'idolâtrie, et tous les doutes
formés sur la foi catholique. Et si les infidèles avaient recours à cette
lumière en l'invoquant, il est assuré qui en fort peu de temps ils
secoueraient de leurs entendements les ténèbres de leurs erreurs, qui se
noieraient toutes dans cette mer par la vertu du Très-Haut, qui à cette fin la
lui communiqua.
287. Le quatrième
fondement est d'émeraude (1), dont la couleur est d'un vert fort agréable,
qui récrée la vue sans la fatiguer; il nous découvre avec beaucoup de mystères
la grâce que la très-sainte Vierge reçut en sa
conception, afin qu'étant très-aimable et
(1)
Apoc., XXI, 19.
597
très-agréable aux yeux de Dieu et des créatures, elle conservât sans jamais
l'offenser, ni perdre son très-doux souvenir, la
belle verdure et la force de la sainteté, des vertus et des dons qu'elle
recevait et qu'on lui accordait. Et le Très-Haut lui donna actuellement en
cette correspondance le pouvoir de distribuer cette même faveur et de la
communiquer à ses fidèles serviteurs qui l'invoqueraient pour obtenir la
persévérance et la fermeté dans l'amitié de Dieu.
288. Le cinquième est de
sardonix (1). Cette pierre est transparente,
et sa couleur tire plus vers l'incarnat clair, approchant de la nacre, que sur
le noir et le blanc qu'elle renferme, et dont elle reçoit une agréable
variété. Le mystère de cette pierre et de ses couleurs nous représente tout à
la fois la Mère et le très-saint Fils qu'elle
devait concevoir. Le noir signifie en Marie la partie terrestre du corps,
noirci par la mortification et par les travaux qu'elle endura; il signifie la
même chose de son très-saint Fils, défiguré par
nos péchés. Le blanc marque la pureté de l'âme de la Mère vierge et de notre
Seigneur Jésus-Christ. Et l'incarnat manifeste en l'humanité la Divinité unie
hypostatiquement; et en la Mère, il déclare
l'amour de son très-saint Fils avec tous les
brillants de la Divinité qui lui furent
communiqués. Il fut accordé par ce fondement à la grande Reine du ciel qu'elle
pût rendre par son intercession et par ses prières le mérite de l'incarnation
et de la rédemption ,
(1) Apoc., XXI, 20.
598
qui est
suffisant à tous, efficace à ses fidèles serviteurs; et que pour obtenir cette
grâce, elle leur procurât aussi une dévotion particulière aux mystères et à la
vie de notre Seigneur Jésus-Christ.
289. Le sixième de
sardoine (1). Cette pierre est aussi transparente, et comme elle a du
rapport avec la plus claire flamme du feu, elle fut le symbole du don que le
coeur de la Reine du ciel reçut, de briller incessamment du.
feu de l'amour divin comme une flamme
inextinguible; car cet amoureux embrasement n'eut jamais aucun intervalle de
diminution en elle; mais au contraire, dès l'instant de sa conception, auquel
ce feu céleste commença de s'allumer, il ne cessa de croître jusqu'à ce qu'il
fût arrivé au plus haut degré oh une pure créature pouvait parvenir, dans
lequel elle brûle et brûlera heureusement pendant toute l'éternité. Il fut ici
accordé à la très-pure Marie un privilège
singulier de distribuer avec cette correspondance les influences du
Saint-Esprit, son amour et ses dons, à ceux qui les demanderaient par son
intercession.
290. Le septième de
chrysolithe (2). La couleur de cette pierre ressemble à un or reluisant
avec quelque brillant qui a un grand rapport avec le feu, qu'on dé, couvre
plus facilement pendant la nuit que pendant le jour. Elle déclare en la
très-pure Marie l'ardent amour qu'elle eut pour
l'Église militante, pour ses mystères, et singulièrement pour la loi de grâce.
Cet
(1) Apoc., XXI, 20. — (2) Ibid.
amour
brilla davantage dans la nuit que la mort de son
très-saint Fils causa à toute l'Église, par le gouvernement que cette
grande Reine eut aux commencements de la loi évangélique, et par la fervente
affection avec laquelle elle demanda son établissement et celui de ses
sacrements; coopérant à tout (comme je le dirai en son lieu), avec cet amour
très-ardent qu'elle avait pour le salut de tout le
genre humain, elle fut la seule qui sût et qui pût dignement estimer la
très-sainte loi de son Fils autant qu'elle le
méritait. Avec ce même amour elle fut destinée dès son immaculée conception,
pour être la coadjutrice de notre Seigneur Jésus-Christ. Il lui fut aussi
accordé un privilège particulier pour procurer à ceux qui l'invoqueraient, la
grâce de se bien disposer à recevoir avec fruit les sacrements de la sainte
Église, sans porter aucun obstacle à leurs divins effets.
291. Le huitième de
béril (1). Cette pierre précieuse est de
couleur verte et jaune, mais elle participe plus du vert, de sorte qu'elle
approche fort de l'olive, brillant avec beaucoup d'éclat. Elle représente les
vertus singulières de foi et d'espérance que la
très-sainte Vierge reçut en sa conception avec une particulière clarté,
afin qu'elle entreprit des choses
trèssublimes, comme en effet elle le fit pour la
gloire de son Créateur. Il lui fut accordé avec ce don le pouvoir de
communiquer à ses dévots serviteurs la force et la patience dans les
tribulations, dans leurs peines ,
(1) Apoc., XXI, 20.
600
et dans
leurs difficultés, aussi bien que de disposer de ces vertus et de ces dons en
vertu de la fidélité et de la présence du Seigneur.
292. La neuvième de
topaze (1). Cette pierre est transparente, dé couleur du violet, d'un
grand prix et fort estimée. Elle fut le symbole de la virginité.
de la très-pure Marie,
notre bonne Reine et Mère du Verbe incarné. Elle en fit un si grand cas,
qu'elle eu rendit de très-humbles actions de
grâces au Seigneur pendant toute sa vie. Dès l'instant de sa conception elle
demanda au Très-Haut la vertu de chasteté, et elle lui en fit un sacrifice
pour tout le reste de ses jours; elle connut alors que sa demande lui était
accordée selon ses désirs : cette grâce ne se limitant pas à elle seule,
puisque le Seigneur mit sous sa conduite et sous sa protection toutes les
personnes vierges et chastes, et prétendit que ces fidèles serviteurs
obtinssent ces précieuses vertus et le don d'y persévérer par son
intercession.
293. Le dixième est de
chrysoprase (2) , dont la couleur est verte,
tirant quelque peu sur celle de l'or. Elle signifie la forte espérance qui fut
accordée à la très-pure Marie en sa conception, et
qu'étant animée de l'amour de Dieu, elle en fut divinement rehaussée. Cette
vertu a toujours été inébranlable en notre Reine, ainsi qu'elle le devait être
pour communiquer le même effet à toutes les autres; car leur stabilité
s'appuyait sur la force immuable et la constante
(1) Apoc., XXI, 20. — (2) Ibid.
magnanimité
de son âme dans toutes les souffrances et dans tous les exercices pénibles de
sa très-sainte vie, et principalement dans cette
affliction qui la pénétra en la mort et en la passion de son Fils
très-béni. Elle reçut avec cette faveur le pouvoir
d'être la médiatrice efficace auprès du Très-Haut, pour obtenir à ses
serviteurs cette vertu de fermeté dans leur espérance.
294. Le onzième de
hyacinthe (1), qui est d'une couleur d'un parfait violet. Ce fondement
renferme l'amour qui fut infus à la très-sainte
Vierge en sa conception, et qu'elle devait avoir pour tout le genre humain, le
recevant comme l'avant-coureur de celui que son Fils devait avoir en mourant
pour les hommes. Et comme de cet amoureux principe tous les remèdes de nos
péchés et la justification de nos âmes devaient prendre leur origine, cette
grande Reine reçut un singulier privilège avec cet amour, qu'elle conserva
toujours dès ce premier instant, afin que par son intercession aucune, sorte
de pécheurs, pour grands et abominables qu'ils pussent être , ne fussent
exclus du fruit de la rédemption et de la justification s'ils l'invoquaient
avec confiance, et que par le moyen de cette puissante avocate ils obtinssent
la vie éternelle.
295. Le douzième
d'améthyste (2), de couleur reluisante tirant sur le violet. Le mystère de
cette pierre ou de ce fondement a quelque correspondance avec le premier,
parce qu'il signifie une certaine vertu qui
(1) Apoc., XXI, 20. — (2) Ibid.
602
fut
accordée à la très-pure Marie en sa conception,
contre les puissances de l'enfer, afin que les démons ressentissent et
éprouvassent qu'il en sortait une force (sans pourtant leur commander ni agir
contre eux) qui les tourmentait lorsqu'ils voulaient approcher de sa personne.
Ce privilège lui fut accordé par rapport au zèle incomparable que cette
princesse avait d'exalter et de défendre la gloire et l'honneur de Dieu : la
très-sainte Vierge ayant en vertu de cette faveur
spéciale une puissance particulière de chasser les démons des corps humains
par la prononciation de son très-saint nom, qui
est si puissant contre ces malins esprits, qu'en l'entendant prononcer toutes
leurs forces s'évanouissent. Voilà enfin les mystères des douze fondements sur
lesquels Dieu construisit sa sainte cité, l'auguste Marie; et quoiqu'ils
renferment plusieurs autres mystères des faveurs qu'elle reçut et que je ne
puis expliquer, j'en déclarerai pourtant quelque chose dans la suite de cette
histoire, selon les lumières et les forces que j'en recevrai du Seigneur.
296. L'évangéliste poursuit
: Que les douze portes étaient de douze perles, chaque porte d'une seule
perle (1). Le grand nombre des portes de cette ville déclare que l'entrée
de la ville éternelle devint aussi facile que libre à tous par la
très-pure Marie et par sa dignité ineffable. Car
il était comme dû et convenable à l'excellence de cette
auguste Reine, que la miséricorde
(1)
Apoc., XXI, 21.
603
infinie
du Très-Haut s'exaltât en elle et par elle, en ouvrant tant de chemins pour
communiquer à sa Divinité, et pour faire entrer en sa possession tous les
mortels par le moyen de la très-sainte Vierge,
s'ils voulaient se prévaloir de ses mérites et de sa puissante intercession.
Mais le prix inestimable, la prodigieuse grandeur, la beauté et l'éclat de ces
douze portes, qui étaient autant de perles,' découvrent l'inestimable dignité
et les charmants attraits de cette Impératrice du ciel, et les ravissants
appâts de son très-doux nom pour attirer à Dieu
les mortels. La très-pure Marie connut cette
faveur du Seigneur, qui la faisait la médiatrice sans égale du genre humain,
et. la dispensatrice des trésors de sa divinité par
son fils uniques Et par cette connaissance la prudente et charitable dame sut
rendre les mérites de ses oeuvres et de sa dignité si précieux et si beaux,
qu'elle est l'admiration de tous les esprits bienheureux. C'est pourquoi les
portes de cette sainte cité furent des perles précieuses devant le Seigneur et
devant les hommes.
297. Et dans ce rapport
saint Jean dit que la place de cette ville était d'or pur comme du verre
fort transparent (1). La place de cette cité de Dieu, la
très-pure Marie, est son intérieur, où (comme dans
une place publique) toutes les puissances de l'âme et tout ce qui y entre par
les sens, concourent pour se trouver dans cet important commerce. Cette place
fart, en la très-auguste Marie, un or
très-pur et très-reluisant,
(1) Apoc., XXI, 21.
604
car elle
était comme construite de sagesse et d'amour divin; il n'y eut jamais ni
tiédeur, ni ignorance, ni aucune légèreté; toutes ses pensées furent
très-relevées et ses affections toujours ardentes
d'une immense charité. Ce fut en cette place qu'on consulta les
très-hauts mystères de la Divinité ; en cet
heureux endroit a été accordé ce fiat mihi,
etc. (1) , qui donna le principe au plus grand
ouvrage que Dieu ait fait et qu'il fera; on y projeta les demandes
innombrables qui devaient être présentées au tribunal de Dieu en faveur du
genre humain. Et si tous veulent participer au commerce de cette place, ils y
trouveront assez de richesses pour se tirer de leur état misérable, et
suffisantes même pour bannir toute sorte de pauvreté (2). Elle sera aussi une
place d'armes contre les démons et contre tous les vices ,
puisque dans l'intérieur de la très-pure Marie se
trouvaient les grâces et les vertus qui la rendirent terrible à l'enfer, et
qui nous devaient animer et nous donner des forces pour le vaincre.
298. L'évangéliste dit
aussi qu'il ne vit point de temple en cette ville, car le Seigneur Dieu
tout-puissant est son temple et l'Agneau (3). Les temples sont destinés
dans les villes pour la prière et pour le culte que nous devons rendre à Dieu.
Ce serait donc un grand défaut dans la cité de Dieu, s'il y en avait un tel
que sa grandeur et sa Majesté l'exigent. C'est pourquoi il y eut en cette
Cité, la très-pure Marie, un temple si
(1)
Luc., I, 38. — (2) Prov., VIII, 18. — (3) Apoc., XXI, 22
605
auguste
et si sacré, que le même Dieu tout-puissant et l'Agneau, qui sont la divinité
et l'humanité de son Fils unique, lui servirent de temple (parce qu'ils se
trouvèrent en elle comme en leur propre et légitime lieu), auquel temple ils
furent adorés et honorés en esprit et en vérité (1), bien plus dignement qu'en
tous les temples du monde. Ils furent aussi le temple de la
très-sainte Vierge, parce qu'elle fut comprise,
environnée et comme enfermée dans la divinité et dans l'humanité, l'une et
l'autre lui servant d'habitation et de tabernacle dans cette heureuse demeure;
elle ne cessa jamais d'adorer, de prier et de rendre un culte agréable au même
Dieu et au Verbe incarné dans son sein virginal (2); ainsi elle était en Dieu
et en l'Agneau comme dans un temple, puisque le temple ne demande pas moins
qu'une sainteté continuelle en tout temps. Pour contempler dignement cette
divine Princesse, nous la devons toujours considérer renfermée dans la même
Divinité et en son très-saint Fils comme dans un
temple; et là nous comprendrons quels actes et quelles opérations d'amour,
d'adoration et d'honneur elle rendait à Dieu, quelles devaient être les
délices qu'elle ressentait avec le même Seigneur, et les demandes qu'elle lui
faisait dans ce temple en faveur du genre humain; car, comme elle voyait en
Dieu le grand besoin que les hommes avaient du remède, elle s'enflammait en sa
charité, demandait avec des clameurs ardentes, et priait du
(1) Joan., IV, 23. —(2) Ps. XCII, 5.
606
plus
profond et du plus tendre de son coeur pour le salut des mortels.
299. Notre saint secrétaire
ajoute que cette ville n'a pas besoin de soleil ni de lune pour l'éclairer,
parce que la gloire de Dieu l'éclaire, et que l'Agneau en est la lampe
(1). En la présence d'une clarté plus grande et plus rayonnante que celles du
soleil et de. la lune, celles-là n'y sont nullement
nécessaires, comme il arrive dans le ciel empyrée, qui est éclairé par des
soleils infinis, sans avoir besoin de celui qui nous illumine sur la terre,
quoiqu'il soit d'une beauté si éclatante. La très-pure
Marie pouvait se passer du soleil et de la lune qui servent aux mortels; elle
n'en devait pas être enseignée ni éclairée, car elle fut la seule et sans
exemple qui plut au Seigneur, sa sagesse, sa sainteté et la perfection de ses
oeuvres ne pouvant pas avoir d'autre maître et d'autre arbitre que le même
Soleil de justice, son très-saint Fils. Toutes
les. créatures ne furent pas capables de lui
enseigner les moyens de mériter d'être la digne Mère de son Créateur. Ce fut
dans cette même école où elle apprit à être la plus humble et la plus
obéissante de toutes ses servantes, puisqu étant instruite de Dieu même, elle
ne laissa pas de consulter les plus inférieurs et de leur obéir dans les
choses les plus petites de bienséance; apprenant d'un tel maître cette divine
philosophie, se montrant en cela la plus digne disciple de Celui.
qui corrige les sages. Aussi elle en.
devint si sage et si prudente, que l'évangéliste a
dit
(1) Apoc., XXI, 23.
607
300. Que les nations
marcheront dans sa lumière (1). Car si notre doux Rédempteur Jésus-Christ
a appelé les docteurs et les saints des flambeaux allumés, et mis sur le
chandelier de l'Église afin qu'ils l'éclairassent (2), la lumière et l'éclat
que les patriarches et les prophètes, les apôtres, les martyrs et les docteurs
ont répandus, ayant rempli l'Église catholique de tant de clarté; qu'elle
paraît un ciel orné de plusieurs soleils et de plusieurs lunes, que pouvait-on
dire de la très-sainte Vierge, dont la
resplendissante lumière surpasse incomparablement celle de tous les saints, de
fous les docteurs et même de tous les esprits angéliques? Si les mortels
avaient des yeux assez pénétrants pour voir les lumières de la
très-pure Marie, ils avoueraient qu'elle seule
suffirait pour éclairer tous les hommes qui viennent au monde, et pour les
conduire par les voies assurées de l'éternité bienheureuse. Et d'autant que
tous ceux qui sont arrivés à la connaissance de Dieu ont marché en la lumière
de cette sainte Cité, saint Jean dit que les nations marcheront dans sa
lumière Et il s'ensuivra ainsi
301. Que les rois de la
terre apporteront leur honneur et leur gloire en elle (3). Les rois et les
princes qui travailleront avec une heureuse vigilance pour accomplir cette
prophétie en leurs personnes et en leurs monarchies, seront fort heureux. Tous
le devraient faire, mais ceux qui y contribueront le plus seront les plus
dignes d'envie, s'ils se dévouent avec
(1) Apoc., XXI, 24. — (2) Matth., V, 14. — (2) Apoc., XXI, 24.
608
une
sincère affection de leur coeur à la très-pure
Marie, employant leur vie, leur honneur, leurs richesses et la grandeur de
leurs forces et de leurs États pour la défense de cette cité de Dieu, pour
étendre sa gloire par tout le monde, et pour faire exalter son saint nom dans
toute l'Église, en dépit de la folle témérité des infidèles et des hérétiques.
Je m'étonne avec douleur que les princes catholiques ne fassent tous leurs
efforts- pour mériter la protection de cette auguste Dame, et ne l'invoquent
avec ardeur dans leurs périls (qui sont toujours plus grands à l'égard des
princes qu'à l'égard de tous les autres hommes), afin de trouver en elle un
lieu de refuge, une protectrice et une puissante avocate. Que si les rois et
les princes sont exposés à de grands dangers, qu'ils se souviennent donc que
les obligations et la reconnaissance qu'ils doivent à leur libératrice en sont
d'autant plus grandes, puisque cette divine Reine parlant d'elle-même, dit que
c'est par elle que les rois sont élevés et maintenus sur leur trône, que par
elle les princes commandent et les puissants de la terre administrent la
justice (1), qu'elle aime ceux qui l'aiment, et que ceux qui l'invoquent
jouiront de la vie éternelle (2), parce qu'en opérant en elle ils ne pècheront
point.
302. Je ne veux point
cacher la lumière qui m'a été si souvent communiquée, et principalement celle
que je reçois en cet endroit avec ordre de la manifester,
(1) Prov., VIII, 15 et 16. — (2) Eccl., XXIV, 31.
609
Il m'a
été découvert en Dieu que toutes les afflictions de l'Église catholique et
tous les travaux que le peuple . chrétien souffre,
se sont toujours dissipés par l'intercession de la
très-pure Marie, et que dans ce malheureux siècle où nous sommes,
auquel l'orgueil des hérétiques s'élève avec' tant d'impudence contre Dieu et
contre son Église affligée, il n'y a qu'un seul remède pour mettre fin à des
misères si déplorables, qui est que les rois et les royaumes catholiques
adressent leurs voeux et leurs prières à la Mère de la grâce et de la
miséricorde, la très-sainte Vierge, et se la
rendent favorable par quelque service signalé, qui augmente sa dévotion et
étende sa gloire par toute la .terre; afin qu'elle nous regarde avec
miséricorde, et nous obtienne de son très-saint
Fils la grâce de nous corriger et de détruire le grand nombre de vices énormes
que l'ennemi commun a semés parmi le peuple chrétien, apaisant par son
intercession la colère du Seigneur qui nous châtie avec tant de justice, et
nous menace de plus grandes afflictions et de plus grands malheurs. Et de ce
retranchement de nos.crimes s'ensuivra la victoire contre les infidèles, et
l'extirpation des hérésies et des fausses sectes qui oppriment la sainte
Église, parce que la très-auguste Marie est une
épée qui les doit vaincre et les exterminer dans le monde.
303. Le monde ressent
aujourd'hui le funeste effet de cet oubli, et si les princes catholiques ne
prospèrent pas dans le gouvernement de leurs royaumes, dans leur conservation,
à augmenter la foi, à résister (610) à leurs ennemis, et dans les guerres
contre les infidèles; tout cela arrive parce qu'ils ne se sont pas conduits
par ce nord, et n'ont pas dédié leurs actions et leurs pensées à Marie,
oubliant que cette Reine se trouve dans les chemins de la justice pour la leur
enseigner, pour les conduire par ses voies (1), et pour enrichir tous ceux qui
l'aiment.
304. O prince et chef de la
sainte Église catholique, et vous prélats qui recevez aussi le titre de
princes ! ô prince catholique et monarque
d'Espagne! à qui par une
obligation naturelle, par une affection singulière et par un ordre du
Très-Haut, j'adresse cette humble mais néanmoins charitable et solide
exhortation, mettez votre couronne et votre monarchie aux pieds de cette Reine
du ciel et de la terre; adressez-vous avec confiance à la restauratrice de
tout le genre humain; ayez recours à celle qui est par le pouvoir divin
au-dessus de toutes puissances des hommes et de l'enfer; tournez vos
affections vers celle qui a en main les clefs de la volonté et des trésors du
Seigneur ; apportez votre gloire en cette sainte Cité de Dieu (2), qui ne vous
la demande point par un besoin d'augmenter la sienne, mais pour accroître et
pour étendre la vôtre. Efforcez-vous avec votre piété catholique et de tout
votre coeur de lui rendre quelque important et agréable service, en récompense
duquel Dieu a destiné des biens infinis, comme la conversion des gentils, la
victoire contre les hérétiques et les
(1) Prov., VIII, 20. — (2) Apoc., XXI, 24.
païens, la paix et la tranquillité de l'Église, une nouvelle lumière et des
secours efficaces pour réformer les moeurs dépravées de vos sujets, et pour
faire un grand roi, glorieux en cette vie et en l'autre.
305. O monarchie catholique
d'Espagne! et en ce glorieux titre,
très-heureuse, si vous ajoutiez à la fermeté et au
zèle de la foi que, vous avez reçue de la droite du
Tout-Puissant au-dessus de vos mérites, la sainte crainte de Dieu, qui
répondit à la possession de cette foi si distinguée entre toutes les nations
de la terre : oh ! si pour arriver à cette fin et à
cette couronne de vos félicités, tous vos habitants s'appliquaient avec une
ardente ferveur à la dévotion de la très-sainte
Vierge, quel serait l'éclat de votre gloire! quelle
illumination , quelle protection et quelle défense ne recevriez-vous pas de
cette Reine ! de quels trésors célestes vos rois
catholiques ne seraient-ils point enrichis, et par leur moyen la douce loi de
l'Évangile étendue par toutes les nations! Sachez que cette auguste princesse
honore ceux qui l'honorent, enrichit ceux qui la recherchent (1), glorifient
ceux qui la glorifient, et défend ceux qui espèrent en elle. Et je vous assure
que pour pratiquer à votre égard ces faveurs de Mère singulière, elle attend
et désire que vous l'obligiez et que vous excitiez son amour maternel. Mais
prenez garde aussi que Dieu n'a besoin de personne, qu'il est puissant pour
faire naître des pierres mêmes des enfants à Abraham (2); et que si
(1) Prov., VIII, 21. — (2) Luc., III, 8.
612
vous
vous rendez indigne d'un si grand bien, il peut réserver cette gloire pour
ceux qui lui plairont et la mériteront davantage.
306. Et afin que vous
n'ignoriez pas le service que vous pouvez rendre aujourd'hui à cette Reine de
l'univers, et par lequel vous la devez sensiblement obliger, entre plusieurs
que votre dévotion et votre piété vous pourront inspirer, voyez en quel état
se trouve le mystère de son immaculée conception dans toute l'Église, et ce
qui manque pour assurer avec solidité les fondements de cette Cité de Dieu. Ne
croyez pas que cet avis vienne d'une femme ignorante et faible, ou soit
inspiré d'une particulière dévotion et d'un amour de l'état que je professe
sous ce nom et dans la religion de Marie sans péché originel, puisque ma
créance et la lumière que j'ai reçue dans cette histoire me suffisent. Cette
exhortation n'est pas pour moi, je ne la donnerais pas aussi de mon propre
mouvement; j'obéis en elle au Seigneur qui donne la parole aux muets et rend
les langues des enfants éloquentes. Et si quelqu'un est surpris de cette
libérale miséricorde, qu'il considère avec attention ce que l'évangéliste
ajoute touchant cette grande Reine, disant :
307. Que ses portes ne
seront point fermées de jour, car il n'y aura pas là de nuit (1). Les
portes de la miséricorde de la très-glorieuse
Marie ne furent ni ne sont jamais fermées , comme
aussi dès le premier instant
(1) Apoc., XXI, 25.
613
de son
être et de sa conception, il n'y eut en elle aucune nuit du péché qui fermât
les portes de cette Cité de Dieu comme aux autres saints. Et comme dans une
ville,où les portes sont toujours ouvertes, tous
ceux qui y veulent entrer et en sortir le peuvent faire en toutes sortes de
temps avec une grande liberté; ainsi il n'est aucun d'entre les hommes qui ne
puisse entrer avec la même franchise dans la communication de la Divinité par
les portes de la miséricorde de notre auguste Reine, où .les trésors du ciel
tiennent leur bureau, sans aucun égard de temps, de lieu, d'âge ni de sexe.
Tous ont eu la liberté d'y entrer dès sa fondation; c'est pourquoi le
Très-Haut l'a fondée avec tant de portes, qui sont toujours ouvertes, libres
et au jour; car dès sa très-pure conception les
miséricordes et les faveurs commencèrent de sortir par ces portes pour tout le
genre humain. Mais quoiqu'elle ait un si grand nombre de portes, afin que les
richesses de la Divinité en sortent, elle ne laisse pas d'être
très-assurée contre ses ennemis. Et partant le
texte ajoute :
308. Il n'y entrera rien
de souillé, ni aucun de ceux qui commettent des choses exécrables et des
faussetés, mais seulement ceux qui sont écrits dans le livre de vie de
l'Agneau (1). L'évangéliste met fin à ce chapitre
vingt-unième en renouvelant le privilège des immunités de cette Cité de
Dieu, la très-sacrée Vierge nous assurant
qu'aucune chose souillée n'entrera jamais en
(1) Apoc., XXI, 27.
614
elle,
parce qu'elle reçut une âme et un corps immaculés; car on ne pourrait point
dire qu'il n'y est rien entré de souillé, si elle avait eu la tache du péché
originel, puisque les souillures des péchés actuels n'entrèrent pas même par
cette porte. Tout ce qui entra dans cette sainte Cité fut ce qui était écrit
en la vie de l'Agneau; parce que l'on prit le modèle et l'original de son
très-saint Fils pour la former, aucune des vertus
de la très-pure Marie n'ayant
liu se tirer d'aucun autre principe pour petite qu'elle fût, s'il était
possible de trouver quelque chose de petit en elle. Et si Marie étant cette
porte, elle est encore une ville de refuge.pour les hommes, c'est avec cette
condition que ceux qui commettront des choses exécrables et des faussetés n'y
auront aucune part ni entrée. Mais il n'est pas pour cela défendu aux souillés
et aux pécheurs enfants d'Adam d'approcher des portes de cette sainte Cité de
Dieu; car, s'ils s'en approchent contrits et humiliés pour y chercher la
netteté de la grâce , ils la trouveront aux portes
de notre grande Reine, et non point en d'autres. Elle est nette, elle est
pure, elle est abondante, et surtout elle est Mère de la miséricorde, douce,
amoureuse et puissante pour nous enrichir dans nos pauvretés et pour nettoyer
les taches de tous nos péchés.
Instruction que la Reine du ciel me donna sur ces chapitres.
309. « Ma fille, les
mystères de ces chapitres renferment une grande doctrine et beaucoup de
lumière, quoique vous y ayez omis bien des choses. Tâchez de profiter de tout
ce que vous avez ouï et écrit, afin que vous ne receviez pas en vain la
lumière de la grâce (1). Je veux bien vous avertir en peu de mots que, quoique
vous ayez été conçue dans le péché, et soyez sortie de la terre avec des
inclinations terrestres, vous ne perdiez pas courage en combattant vos
passions, et ne vous rebutiez point jusqu'à ce que vous les ayez tout à fait
vaincues, et détruit vos ennemis en elles; puisque par les forces de la grâce
du Très-Haut qui vous secondera, vous pouvez vous élever au-dessus de
vous-même et devenir fille du ciel, d'où la grâce descend; et afin que vous
puissiez arriver à ce bonheur, vous ne devez plus vivre que dans la sainteté
la plus relevée, ayant toujours votre entendement occupé à la connaissance de
litre immuable et des perfections de Dieu, sans permettre qu'aucune autre
application aux choses même nécessaires vous en fasse déchoir. Par ce souvenir
continuel et cette vue intérieure des grandeurs de bien, vous serez disposée
en tout le reste pour pratiquer la plus haute perfection
(1) II Cor., VI, 1.
616
des
vertus, pour recevoir les influences et les dons du Saint-Esprit, et pour
arriver ù cet étroit lien d'amitié et de communication avec le Seigneur. Afin
donc que vous ne mettiez en cela aucun empêchement à sa sainte volonté, qui
vous a été si souvent manifestée et déclarée ,
travaillez à mortifier la partie inférieure de filme où résident les
inclinations perverses.et .les .passions sinistres. Mourez à tout ce qui
appartient à la terre, sacrifiez en la présence du Très-Haut tous vos appétits
sensuels; sans condescendre à aucun; que votre volonté n'agisse que par
l'obéissance, et gardez-vous bien de sortir de votre intérieur, où la clarté
de l'Agneau vous illuminera. Préparez-vous pour entrer dans le lit nuptial de
votre Époux, et laissez-vous orner selon, que la droite du
Tout-Puissant a destiné de faire, si vous y
concourez de votre part et n'y portez aucun obstacle. Purifiez votre âme par
plusieurs actes de douleur de l'avoir offensé, et qu'elle le loue et le
glorifie avec un amour très-ardent. Cherchez-le
avec de saintes et perpétuelles inquiétudes, jusqu'à ce que vous ayez trouvé
Celui que votre âme désire (1); et l'ayant une fois trouvé, ne l'abandonnez
point. Je veux aussi que vous viviez dans cette vie passagère comme ceux qui
l'ont achevée, attachant toutes vos vues sans discontinuer à l'objet qui les
rend bienheureux. Cet objet doit être la règle de votre vie, afin que par la
lumière de la foi et de la clarté du Tout-Puissant,
qui vous illuminera et remplira votre esprit,
(1) Cant.,VIII, 4.
vous
l'aimiez, l'adoriez et l'honoriez toujours. Voilà ce que le Très-Haut demande
de vous. Faites de sérieuses réflexions sur ce que vous pouvez acquérir et sur
ce que vous devez perdre. Ne mettez point par votre négligence la chose au
hasard, mais soumettez votre volonté, et réduisez-vous entièrement à la
doctrine de votre Époux , à la mienne et à celle de
l'obéissance , que vans devez consulter en toutes choses.
n Telle fut l'instruction que la Mère du Seigneur me donna, à laquelle
je répondis, toute pleine de confusion, ce qui suit
310. « Reine et Maîtresse
de l'univers, à qui j'appartiens et à qui je désire d'appartenir
éternellement, je loue la toute-puissance du Très-Haut, qui vous a si fort
exaltée, et rendue si riche et si puissante auprès de lui; je vous supplie,
mon auguste Princesse, de regarder avec miséricorde votre pauvre servante, de
réparer ma lâcheté avec ces dons que le Seigneur a mis entre vos mains pour
les distribuer aux misérables, de m'enrichir dans mon extrême pauvreté, et de
me forcer, comme maîtresse absolue, jusqu'à ce que je veuille et opère
efficacement ce qui est le plus parfait, et que je sois agréable aux yeux de
votre très-saint Fils, mon Seigneur. Procurez-vous
cette gloire d'avoir élevé de la poussière la plus inutile de toutes les
créatures. J'abandonne mon sort entre vos mains (1); rendez-le-moi favorable,
Vierge sainte, et travaillez-y efficacement : rien n'est impossible à
(1) Ps. XXX, 16.
618
votre
volonté, qui est toute sainte et puissante par les mérites de votre
très-saint Fils, et par la parole irrévocable que
la très-sainte Trinité vous adonnée de vous
accorder tout ce que vous lui demanderiez. Je ne puis mériter cette grâce de
vous, et j'en suis très-indigne; mais je vous la
demande, ô ma Souveraine , par votre sainteté même
et par votre clémence royale. »
CHAPITRE XX. Ce qui arriva pendant les neuf mois de la grossesse de sainte
Anne, et les opérations de la
très-pure Marie dans son sein, et ce que sa mère fit durant ce temps-là.
311. La
très-sainte Vierge ayant été conçue sans péché
originel, comme nous avons déjà dit par cette première vision qu'elle eut de
la Divinité, son esprit fut tout absorbé et ravi de cet objet de son amour,
qui commença de l’enflammer dès l'instant que son âme
très-heureuse fut créée dans cet étroit tabernacle du sein maternel,
pour ne cesser jamais ses ardeur, mais bien pour les continuer pendant toute
l'éternité dans la gloire la plus relevée d'une pure créature, dont elle jouit
à la droite de son très-saint Fils. Et afin
qu’elle s avançât dans la contemplation et dans (619)
l'amour divin, outre les espèces infuses qu'elle reçut des choses
créées et de celles qui rejaillirent de la première vision de la
très-sainte Trinité, par lesquelles elle exerça
plusieurs actes des vertus proportionnées à l'état où elle se trouvait alors,
le Seigneur lui renouvela la merveille de cette vision abstractive de sa
divinité, en la lui accordant deux autres fois: de sorte que la
très-sainte Trinité se manifesta à elle en cette
manière trois fois avant qu'elle naquit : l'une dans le premier instant
qu'elle fut conçue, l'autre environ au milieu des neuf mois, et la troisième
le jour qui précéda sa naissance. Il ne faut pas inférer de là que, parce que
cette manière de vision ne lui était pas continuelle, elle n'en eût point
d'autre , car elle en reçut une plus inférieure,
quoique très-grande et fort élevée, en laquelle
elle voyait par la foi et par une illustration singulière l'être de Dieu;
cette manière de contemplation n'abandonna jamais notre auguste Reine, et
surpassa toutes elles qu'eurent tous les voyageurs ensemble:
312. Mais bien que cette
vision abstractive de la Divinité filet conforme à l'état de voyageuse, elle
était toutefois si relevée et si immédiate à la vision intuitive, qu'elle ne
devait pas être continuelle en cette vie mortelle à celle qui devait mériter
la gloire intuitive par d'autres actes; elle lui fut néanmoins un souverain
secours de grâce pour arriver à cette fin, parce qu'elle laissait dans l'âme
des espèces imprimées du Seigneur, l'élevait et absorbait toute la créature
dans cet heureux embrasement. de l'amour divin. Par
ces visions, (620) ces saintes affections se renouvelèrent dans l'âme de la
très-pure Marie pendant qu'elle fut dans le sein
de sainte Anne; d'où s'ensuivit, qu'ayant l'usage
très-parfait de la raison , et s'occupant à des demandes continuelles
en faveur du genre humain, à des actes héroïques d'adoration , d'honneur et
d'amour de Dieu , et à une sainte communication avec les anges, elle ne
ressentit point la clôture de la naturelle et étroite prison du sein maternel;
l'interdiction de l'usage des sens extérieurs ne lui causa aucune peine, et
les incommodités ordinaires de cet état ne lui furent point à charge. Elle ne
s'aperçut point de tout cela, parce qu'elle était plus en son
Bien-Aimé que dans le sein de
sa Mère, et même plus qu'en elle-même.
313. La dernière de ces
trois visions qu'elle eut fut accompagnée par de nouvelles et par de plus
admirables faveurs du Seigneur, parce qu'il lui manifesta qu'il était déjà
temps de sortir à la lumière du monde et à la conversation des mortels. Et, se
soumettant à la divine volonté, la princesse du ciel dit au Seigneur : « Dieu
de très-haute majesté, Maître absolu de tout
mon être, âme de ma vie et vie de mon Mue, infini u en attributs et en
perfections, incompréhensible, puissant et riche en miséricordes, mon
divin Roi et mon Seigneur, je n'étais rien, et vous m'avez fait a ce que
je suis; et, sans l'avoir pu mériter, vous m'avez enrichie de votre
divine grâce et de votre lumière, afin que par elle je connusse aussitôt
votre être immuable et vos perfections divines, et qu'en vous
connaissant, vous fussiez le premier objet de (621) ma vue et de mon amour,
afin que je ne cherche a point d'autre bien que vous, qui en êtes le
souverain, le véritable, et toute ma consolation. Vous me
commandez, Seigneur, que je sorte pour jouir de la lumière matérielle et
de la conversation des créatures; et j'ai vu dans votre être même, comme
dans un très-clair miroir, l'état dangereux de la
vie mortelle et toutes ses misères. Si en elle je dois manquer (par ma
faiblesse et par ma nature débile) d'un seul point à votre amour et à
votre service, et que je doive y mourir alors, que je meure ici présentement
plutôt que de passer à un état où je puisse vous perdre. Mais,
Seigneur, si votre sainte volonté se doit accomplir en m'exposant sur la
mer orageuse de ce monde, je vous supplie, très-haut
et très-puissant protecteur de mon âme, de diriger
ma vie, de conduire mes pas, et de rendre toutes mes actions agréables à votre
bon plaisir. Ordonnez en moi la charité, afin que par le nouvel usage
des créatures, par vous et par elles, elle se perfectionne.«
J'ai connu en vous l'ingratitude de plusieurs âmes, et je crains avec sujet
(moi qui suis de leur même nature) de commettre par quelque malheur
cette a faute. J'ai joui dans cette étroite demeure, le sein de ma mère,
des.espaces infinis de votre divinité : je possède ici l'unique et le
souverain bien (1) en a vous possédant, mon bien-aimé, et n'ayant présentement
que vous seul pour mon partage et pour ma
(1) Cant., VI, 8.
622
possession,
je ne sais si, étant hors de cette clôture, je ne perdrai point mon trésor à
la vue d'une autre lumière, et par l'usage de mes sens. S'il était
possible et convenable de renoncer au commerce de la vie qui m'attend,
j'y renoncerais volontiers et je m'en priverais; mais que votre volonté
soit faite, et non la mienne. Et puisque vous l'ordonnez ainsi,
donnez-moi votre bénédiction et votre agrément pour naître au monde, et
continuez-moi votre divine protection dans l'état où vous me mettez. »
Cette prière ayant été faite par la très-douce et
tendre Marie, le Très-Haut lui donna sa bénédiction, et lui commanda, comme
avec empire, de sortir à la lumière matérielle de ce soleil visible, et
l'éclaira sur ce qu'elle devait faire pour l'accomplissement de ses désirs.
314. Sa
très-heureuse mère sainte Anne, toute
spiritualisée par des effets divins, laissait couler le temps de sa grossesse
avec une grande douceur qu'elle ressentait en ses puissances; mais la divine
Providence voulut, pour augmenter sa gloire et pour assurer la prospérité de
son pèlerinage, qu'elle eût le contre-poids de
quelques afflictions; car sans ce pénible secours on .
ne profite pas assez des fruits de la grâce et de
l'amour. Et pour mieux pénétrer ce qui arriva à cette
très-sainte dame, il faut savoir qu'après que Lucifer et tous les anges
rebelles furent précipités dans les abîmes, ce chef de la révolte était
toujours aux aguets pour sonder toutes les plus saintes femmes de l'ancienne
loi et tâcher de découvrir parmi elles celle dont il (623) avait vu le signe
(1), et qui le devait fouler aux pieds et lui écraser la tète (2). Et sa rage
était si grande, qu'il ne voulait pas laisser tout le soin de cette découverte
à ses inférieurs; mais il s'y employait lui-même, quoiqu'il se servit d'eux
contre quelques vertueuses femmes, réservant toujours ses attentions pour
découvrir e attaquer celles qui se distinguaient le plus dans la pratique des
vertus et en la grâce du Très-Haut.
315. Par de telles
méchancetés et par ces embûches, il découvrit avec beaucoup d'étonnement la
grande sainteté de notre illustre dame, et remarquait avec assiduité tout ce
qui lui arrivait; et, quoiqu'il ne lui fût pas possible de pénétrer
l'importance du trésor que son sein bienheureux renfermait (parce que le
Seigneur lui cachait ce mystère et plusieurs autres), il se sentait néanmoins
repoussé par une grande force et par une vertu extraordinaire qui
rejaillissait de sainte Anne; et ne pouvant découvrir la cause de cette
puissante efficacité, il s'en troublait, et s'inquiétait bien souvent dans sa
propre fureur. D'autres fois il s’apaisait un peu, croyant que cette grossesse
était selon le même ordre et les mêmes causes naturelles que les autres, et
qu'il n'avait en elle rien à craindre de nouveau, parce que le Seigneur le
laissait chanceler dans sa propre ignorance , et
permettait qu'il fût agité dans les superbes flots de son indignation. Mais
son esprit très-pervers s'étonnait fort,
nonobstant cela, de voir tant de quiétude en sainte Anne pendant sa grossesse,
(1) Apoc., XII, 1. — (2) Gen.,
III, 15.
624
et que
plusieurs anges l'assistaient, ce qui lui était quelquefois découvert: et
surtout il avait un sensible dépit de voir que ses forces étaient inutiles
pour résister à Celle qui sortait de notre bienheureuse sainte, commençant de
douter qu'elle ne provint pas d'elle seule.
316. Le dragon, étant tout
alarmé par ces soupçons, détermina d'ôter la vie, s'il pouvait, à la
très-heureuse Anne, ou du moins de faire ses
efforts, s'il n'y pouvait réussir, pour empêcher qu'elle n accouchât
heureusement de son fruit. Car l'orgueil de Lucifer était si démesuré, qu'il
se flattait de pouvoir vaincre ou faire périr (si la chose ne lui était
cachée) Celle qui devait être Mère du Verbe incarné, et même le ;Messie, le
restaurateur du monde Il fondait cette suprême audace sur ce que sa nature
angélique était supérieure en qualité et en forces à la nature humaine : comme
si la grâce n'eût point été au-dessus de l'une et de l'autre, et qu'elles ne
fussent pas soumises à la volonté de leur Créateur. Avec cette folle et
téméraire présomption il osa tenter sainte Anne par plusieurs fausses
persuasions, par des terreurs, des troubles et des défiances de sa grossesse,
en lui représentant le nombre de ses années et celles qu'elle avait passées
sans enfants : le démon pratiquant tout cela pour sonder la vertu de la
sainte, et pour voir si l'effet de ses persuasions lui donnerait quelque jour
pour lui ravir la volonté par quelque consentement. 317.
Mais notre invincible dame résista courageusement à ces attaques avec une
force admirable, une (625) patience constante, une prière continuelle, et par
une vive foi au Seigneur, se servant de ses armes pour rendre inutiles et
vains tous les efforts du dragon, qui, à sa grande confusion, augmentaient en
elle la grâce et la protection divine; car outre les grands mérites que la
sainte mère s'acquérait, les princes célestes, qui gardaient sa
très-sainte fille, la défendaient et chassaient
les démons de sa présence. L'insatiable malice de cet ennemi ne se rebutant
point pour cela, et comme sa témérité et son orgueil surpassent ses forces
(1), il entreprit de se servir des moyens humains, parce qu'il se promet
toujours par de telles voies des victoires plus assurées. Ayant donc tâché en
premier lieu d'abattre la maison de saint Joachim et de sainte Anne, afin
qu'elle se troublât et s'inquiétât par cette alarme, et n'y ayant pu réussir,
parce que les anges bienheureux lui résistèrent, il suscita et irrita
certaines femmelettes d'un esprit faible de la connaissance de sainte Anne,
afin qu'elles eussent du bruit avec elle, comme elles le firent véritablement,
s'acharnant contre notre sainte avec beaucoup de rage, lui vomissant mille
injures, et lui faisant de sensibles affronts. Elles firent entre elles de
grandes moqueries et de grandes railleries de sa grossesse, lui disant que
c'était une tromperie du démon de croire d'être enceinte dans l'âge où elle
était.
318. Sainte Anne ne fut
point troublée par cette tentation; au contraire elle supporta toutes ces
(1) Isa., XVI, 6.
626
injures
avec une grande douceur et une charité admirable, obligeant celles qui les lui
faisaient; et dès lors elle regarda ces femmes avec plus d'affection, et leur
rendit des services plus considérables. Leur animosité pourtant ne se modéra
pas sitôt, parce que le démon les avait déjà possédées pour les animer contre
la sainte; et quand on s'est une fois abandonné à ce cruel
tyran , son empire s'accroît pour maîtriser avec plus de violence ceux
qui s'y sont soumis. Il incita donc ces furieuses à machiner quelque trahison
contre la personne et la vie de sainte Anne; ce qu'elles .firent, sans pouvoir
pourtant exécuter leurs mauvais desseins, parce que la vertu divine rendait
toujours plus faibles et plus vaines les forces de ces méchantes femmes, qui
ne purent rien faire contre la sainte: au contraire. elle
les rangea à la raison par ses douces remontrances, et les convertit par ses
charitables prières.
319. Ainsi le dragon fut
vaincu, mais non pas désabusé, parce que, persistant toujours dans sa
téméraire obstination, il se servit d'une servante de nos deux saints mariés,
et l'irrita de telle sorte contre sainte Anne, qu'elle devint plus méchante
que les autres, étant ennemie domestique, et partant plus obstinée et plus
dangereuse. Je ne m'arrête point à raconter ce que l'ennemi essaya par le
moyen de cette servante, parce que c'était la même chose que ce qu'il venait
d'entreprendre, quoique ce fût avec bien plus d'affliction et de péril pour
notre sainte dame; elle sortit néanmoins par le secours divin victorieuse de
(627) cette tentation, et beaucoup plus glorieusement que des autres, parce
que le défenseur d'Israël, qui gardait sa sainte Cité, ne dormait pas (1),
l'ayant environnée des plus valeureux de sa milice céleste pour sa garde, qui
mirent en fuite Lucifer et ses ministres, afin qu'ils ne troublassent plus le
repos de la victorieuse mère, qui se préparait déjà pour son
très-heureux accouchement de la Princesse du ciel,
s'y étant disposée par les actes héroïques des vertus et par les mérites
qu'elle s'était acquis dans ces combats, car cette fin tant désirée
s'approchait toujours davantage. Et je souhaite aussi celle de ces chapitres
pour ouïr les salutaires instructions de ma Reine et ma Maîtresse; car, bien
qu'elle me fournisse tout.ce que j'écris, ses avis maternels me sont néanmoins
d'un très-grand profit. Aussi je les attends avec
une joie inconcevable et une consolation particulière de mon âme.
320. Parlez donc, ma divine
Princesse, car votre servante écoute. Et si vous me donnez la permission, bien
que je ne sois que poussière et que cendre (2), je prendrai la liberté de vous
proposer un doute qui m'est venu sur ce chapitre, puisque je veux soumettre à
votre bénignité de mère, de reine et de princesse tous ceux qui me pourront
survenir. Le doute où je suis est celui-ci : Comment est-il possible,
Princesse de l'univers, qu'ayant été conçue sans péché et avec une si sublime
connaissance de toutes choses que
(1) Ps. CXX, 4.. — (2) Gen.,
XVIII, 27.
628
votre
âme très-sainte reçut dans la vision de la
Divinité, la crainte et les douleurs si grandes que vous aviez de perdre
l'amitié de Dieu et de l'offenser, se trouvassent et compatissent avec cette
grâce ? Si dans le premier instant de votre être la grâce vous prévint,
comment appréhendiez-vous de la. perdre dans un
commencement si tendre? Et si le Très-Haut vous exempta du péché, comment
pouviez-vous tomber en d'autres et offenser Celui qui vous préserva du
premier?
Instruction et réponse de la Reine du ciel.
321. Ma fille, écoutez la
réponse à votre doute. Quand j'aurais connu mon innocence et ma conception
immaculée dans la vision que j'eus de la Divinité au premier instant de mon
être, les faveurs et les dons de la main du Seigneur sont d'une telle nature,
que plus ils affermissent et sont connus, plus les applications qu'ils
excitent à les conserver sont grandes, aussi bien que les soins de ne pas
offenser leur Auteur, qui les communique à la créature par sa seule bonté; et
ils sont accompagnés de tant de lumières, qu'on ne peut douter qu'ils ne
proviennent de la seule vertu divine, et par les mérites de mon
très-saint Fils; l'insuffisance et la bassesse de
la créature s'y découvrent (629) si fort, qu'elle est
très-clairement convaincue qu'elle ne mérite point ce qu'elle reçoit,
et qu'elle ne peut ni ne doit se l'approprier, ne lui appartenant en aucune
manière. Connaissant aussi qu'il y a un Seigneur et une cause suprême qui le
lui accorde par pure libéralité, et que Celui qui le lui donne, le lui peut
ôter et lé distribuer à qui bon lui semblera; de là naissent absolument les
applications et les soins qu'on prend pour ne pas perdre ce que l'on a reçu
par grâce, et de faire tout son possible pour le conserver et pour augmenter
le talent (1), puisque l'on connaît que c'est le seul moyen de ne point perdre
ce que nous avons en.dépôt, et qu'on le donne à la créature afin qu'elle le
fasse valoir et travailler à la gloire de son Créateur. Car le plus juste
moyen que nous ayons pour conserver les bienfaits de la grâce reçue, est
d'agir pour cette fin.
322. Outre cela on tonnait
dans cet état la fragilité de la nature humaine, et son libre arbitre pour le
bien et pour le mal. Le Très-Haut ne m'ayant point privée de.
cette connaissance, ne l'ôtant même à personne dans
cette vie passagère; au contraire, il la laisse à tous comme il est
convenable, afin que par cette vue la sainte crainte de tomber dans le moindre
petit péché s'enracine davantage. Cette lumière fut plus grande en moi, car je
connus qu'une petite faute dispose à une plus grande, et que, la seconde est
un châtiment de la première. Il est vrai que par les
(1) Matth., XXV, 16.
630
faveurs
et les grâces que le Seigneur avait opérées en mon âme, il n'est pas possible
que je tombasse en aucun péché. Mais sa providence disposa de telle sorte ce
bienfait, qu'il me cacha l'assurance absolue de ne point pécher, connaissant
qu'il m'était possible de tomber par moi seule, et qu'il dépendait seulement
de la divine volonté de ne le faire pas. Ainsi il réserva pour lui la
connaissance et ma sûreté, me laissant l'heureuse méfiance et la sainte
crainte de pouvoir pécher comme voyageuse, la conservant toujours depuis ma
conception jusqu'à la mort; et plus j'avançais dans la vie, plus elle
augmentait.
323. Le Très-Haut me donna
aussi la discrétion et l'humilité, afin que je ne m'informasse point de ce
mystère par une recherche trop curieuse ; ma seule application était de me
confier à sa bonté et à son amour, dont j'attendais tout mon secours pour ne
point l'offenser. Et de là résultaient deux effets nécessaires à la vie
chrétienne, l'un qui procurait la tranquillité à mon âme, et l'autre,qui
me maintenait dans la crainte de perdre mon trésor, et dans la vigilance pour
le conserver. Et comme c'était une crainte filiale, elle ne diminuait en rien
l'amour : au contraire, elle l'enflammait et l'augmentait toujours plus. Ces
deux effets d'amour et de crainte faisaient en mon âme un accord divin, qui
réglait toutes mes actions pour m'éloigner du mal et m'unir au souverain bien.
324. Ma chère amie, c'est
la plus grande preuve des choses qui concernent l'esprit, quand elles (631)
viennent avec une véritable lumière et une sainte doctrine, quand elles
enseignent la plus haute perfection des vertus, et meuvent avec une sainte
violence à la cher-. cher. Les bienfaits qui
descendent du Père des lumières ont cette propriété d'assurer en humiliant, et
d'humilier sans faire perdre l'espérance; de mêler la confiance avec les
applications et les soins , et ceux-ci avec la
tranquillité et la paix, de telle sorte qu'il ne se trouve dans ces affections
aucun obstacle qui puisse empêcher l'accomplissement de la divine volonté. Et
vous, âme favorisée, offrez au Seigneur de ferventes et humbles actions de
grâces, pour avoir été si libéral à votre égard lorsque vous le méritiez si
peu; pour vous avoir illustrée de sa divine lumière, introduite dans le
cabinet de ses secrets, et prévenue de la sainte crainte de sa disgrâce.
Usez-en pourtant avec modération, et excédez davantage en amour, vous élevant
Avec ces deux ailes au-dessus de tout ce qui est terrestre et au-dessus de
vous-même. Tâchez de vous dépouiller maintenant de toutes les affections
désordonnées qu'une crainte excessive pourrait émouvoir en vous; abandonnez
votre cause au Seigneur, et prenez la sienne pour la vôtre. Craignez jusqu'à
ce que vous soyez purifiée et nettoyée de vos péchés et de vos ignorances;
aimez le Seigneur jusqu'à ce que vous soyez toute transformée en lui,
faites-le maître de tout et l'arbitre de vos actions, sans que vous le soyez
de personne. Défiez-vous de votre propre jugement, et ne faites point la sage
avec vous-même (1), parce
(1) Prov., III, 7.
632
que
les passions aveuglent facilement le propre sentiment, l'entraînent après
elles, et ce sentiment, de concert avec les passions, ravit la volonté; de
façon que l'on craint ce qu'on ne devrait pas craindre, et qu'on a de vaines
complaisances pour ce qui est préjudiciable. Assurez-vous de telle sorte que
vous ne vous complaisiez point en vous-même par de légères et vaines
satisfactions ; doutez et craignez jusqu'à ce que par une tranquillité
soigneuse et agissante vous ayez trouvé le juste équilibre de toutes choses;
et vous le trouverez toujours si vous vous soumettez à l'obéissance de vos
supérieurs et à ce que le Très-Haut vous enseignera et opérera en vous. Et
bien que les effets soient bons en la fin que l'on désire, ils doivent
néanmoins être tous examinés et réglés par l'obéissance et par le conseil, car
sans cette direction ils deviennent des avortons et inutiles. Appliquez-vous
donc, ma fille, en toutes choses à ce qui est le plus saint et le plus
parfait.
633
CHAPITRE XXI. De l’heureuse naissance de la
très-pure
Marie, notre auguste Reine, des faveurs qu'elle y reçut de la main du
Très-Haut; et comme on lui imposa le nom au ciel et en la terre.
525. L'agréable jour du
très-heureux accouchement de sainte Anne vint
réjouir le monde par la naissance de celle qui le venait honorer de sa
présence, étant sanctifiée et consacrée pour être la Mère de Dieu. Cet
accouchement arriva le huitième jour de septembre, les neuf mois après la
conception de l'âme très-sainte de notre Reine et
Maîtresse ayant été accomplis. Sa mère Anne fut prévenue d'une illustration
intérieure en laquelle le Seigneur l'avertit que l'heure de son accouchement
s'approchait. Et étant remplie de la joie de l'Esprit divin, elle donna toutes
ses attentions à sa voix; et se prosternant dans sa prière, elle demanda au
Seigneur de l'assister de sa grâce et de sa protection, afin qu'elle accouchât
heureusement. Dans cet instant elle ressentit un mouvement dans son sein, que
les enfants excitent naturellement au temps de leur naissance. Et alors cette
très-heureuse fille Marie fut élevée par une
providence et une vertu divines en une extase
très-sublime, en (634) laquelle se trouvant absorbée et abstraite de
toutes les opérations sensibles, elle naquit au monde sans s'en apercevoir par
les sens, comme par eux elle l'aurait pu connaître, si, étant joints à l'usage
de la raison qu'elle avait, on les eût laissés agir naturellement dans cette
heure favorable; mais le pouvoir du Très-Haut le disposa ainsi, afin que la
Princesse du ciel ne ressentit point ce qu'il y avait de naturel dans le
progrès de cet enfantement.
326. Elle naquit pure,
nette, belle et toute pleine de grâces, nous donnant à connaître par là
qu'elle venait exempte de la loi et du tribut du péché. Et quoiqu'elle
naquit comme les autres filles d'Adam en la
substance, ce fut néanmoins avec de telles circonstances et des accidents si
particuliers de grâces, qu'ils rendirent cette naissance miraculeuse et
admirable pour toute la nature, et pour une éternelle louange de Celui qui en
était l'auteur. Cette divine étoile avant-courière
du jour parut donc au monde sur la minuit, commençant à diviser celle de
l'ancienne loi et des premières ténèbres, du nouveau jour de la grâce qui se
disposait à paraître. On l'enveloppa de ses langes, et celle qui avait toutes
ses pensées et tous ses désirs en la Divinité, fut emmaillotée comme les
autres enfants et traitée comme une petite créature, quoiqu'elle surpassât en
sagesse et les hommes et les anges. Sa mère ne voulut point permettre alors
que d'autres mains que les siennes s'employassent à l’accommoder; elle en prit
elle-même tout le soin, n'étant nullement embarrassée de ses couches, parce
(635) qu'elle fut délivrée des tributs incommodes que les autres mères paient
ordinairement.
327. Sainte Anne reçut
entre ses bras celle qui étant sa propre fille était aussi le plus riche
trésor du ciel et de la terre, entre les pures créatures, dont elle était la
Reine, n'étant inférieure qu'à Dieu seul. Sa mère l'offrit avec ferveur et
avec des larmes de joie à sa divine Majesté, disant intérieurement; «
Seigneur, dont la sagesse et le pouvoir sont infinis, créateur de tout ce qui
a l’être, je vous offre le fruit que je viens de recevoir de votre
divine bonté, et je vous rends des actions éternelles de grâces de me
l'avoir donné sans l'avoir pu mériter. Faites, Seigneur, de
la fille et de la mère selon votre très-sainte
volonté, et daignez regarder de l’inaccessible trône de votre gloire notre
petitesse. Soyez éternellement a béni d'avoir enrichi le monde d'une créature
qui est si fort agréable à votre bon plaisir, et d'avoir préparé en elle
la demeure et le tabernacle du Verbe éternel (1). J'en félicite mes saints
pères et les prophètes, et en eux tout le genre humain, à cause du gage
assuré que vous leur donnez de leur
rédemption. Mais comment me comporterai-je avec celle que vous me donnez
pour fille, ne méritant pas d'être sa servante? Comment oserai-je toucher à la
véritable Arche du Testament? Donnez-moi, mon Seigneur et mon Roi, la
lumière qui m'est nécessaire pour découvrir votre sainte volonté et pour
(1) Sap., IX, 4.
636
l'exécuter
selon votre bon plaisir, et dans les services que je dois rendre à ma fille. »
328. Le Seigneur répondant
intérieurement à la sainte dame, lui dit de traiter cette divine créature
comme de mère à fille en ce qui concernerait l'extérieur, sans lui témoigner
aucun sensible respect; mais qu'elle le conservât dans son intérieur, et que
dans son éducation elle accomplit les devoirs d'une véritable mère, élevant sa
fille avec autant de soin que d'amour. L'heureuse mère pratiqua tout cela, et
usant de ce droit et de cette permission sans manquer pourtant à l'honneur qui
lui était dû, elle s'égayait avec sa très-sainte
fille, la traitant et la caressant selon la coutume des autres mères, y
observant néanmoins une certaine estime et retenue dignes du mystère si caché
et si divin qui se trouvait renfermé entre la fille et la mère. Les anges de
la garde de la très-douce fille, accompagnés d'une
autre grande multitude, l'adorèrent, lui rendirent leurs honneurs entre les
bras de sa mère, et lui chantèrent une musique céleste que la bienheureuse
Anne ouït en partie; les mille anges destinés pour la garde de notre auguste
Reine s'offrirent et se dédièrent à elle pour la servir, et ce fut la première
fois que la divine Princesse les vit en forme corporelle avec les devises et
les marques que je dirai dans un autre chapitre; et l'enfant leur demanda
qu'ils louassent le Très-Haut avec elle et en son nom.
329. A l'instant que notre
Reine Marie naquit, le Très-Haut envoya le saint archange Gabriel afin qu'il
(637) annonçât aux saints pères des Limbes une nouvelle si heureuse et si
consolante pour eux. L'ambassadeur céleste descendit incontinent, illustrant
cette profonde caverne et réjouissant les justes qui s'y trouvaient détenus.
Il leur annonça que le jour de la félicité éternelle tant désiré et attendu
par les saints pères commençait déjà à paraître, que la réparation du genre
humain, si fort prédite par les prophètes, s'approchait, parce que celle qui
devait être bière du Messie promis venait de naître, et qu'ils ne tarderaient
pas de voir le salut et la gloire du Très-Haut. Le saint prince leur fit
connaître les excellences de la très-sainte Marie,
et ce que la main du Tout-Puissant avait commencé
d'opérer en elle, afin qu'ils pénétrassent mieux l'heureux principe du mystère
qui devait mettre fin à leur longue prison; de sorte, que tous ces pères, ces
prophètes et tous les autres justes qui étaient aux Limbes se réjouirent et
louèrent le Seigneur par des cantiques nouveaux pour cette faveur.
330. Tout ce que je viens
de raconter étant arrivé en fort peu de temps, auquel notre Reine vit la
lumière du soleil matériel, elle connut ses parents naturels et plusieurs
autres créatures par ses propres sens; et ce fut le premier pas qu'elle fit
dans ce monde en naissant. Le puissant bras du Très-Haut commença alors
d'opérer en elle de nouvelles merveilles au-dessus de tout ce que les hommes
peuvent s'imaginer; et la première et fort surprenante fut d'envoyer une
multitude innombrable d'anges, afin qu’ils (638) enlevassent dans le ciel
empyrée, en corps et en âme, celle qui était élue pour être la Mère du Verbe
éternel, pour la cause que le Seigneur avait déterminée. Les princes
bienheureux exécutèrent cet ordre; et ayant pris cette aimable enfant des bras
de sa mère sainte Anne, ils ordonnèrent une solennelle et nouvelle procession,
enlevant avec des cantiques d'une joie incomparable la véritable Arche du
Nouveau Testament, afin qu'elle fût pour quelque espace, non en la maison d'Obededom,
mais dans le temple du souverain Roi des rois, et Seigneur des seigneurs, où
elle devait être ensuite éternellement placée. Voilà le second pas que la
très-pure Marie fit en sa vie, depuis ce monde
inférieur jusqu'au ciel de la gloire.
331. Qui pourra dignement
exalter ce merveilleux prodige de la droite du
Tout-Puissant? Qui racontera la joie et l'admiration des esprits
célestes, lorsqu'ils contemplaient cette merveille si étrange entre les
oeuvres du Très- Haut, et la célébraient par des cantiques nouveaux? Ils
reconnurent dans cette occasion leur Reine, et rendirent hommage à leur
Maîtresse, qui était élue pour être la Mère de Celui qui devait être leur
chef, et qui était la cause de la grâce et de la gloire qu'ils possédaient,
puisqu'il les leur avait acquises par ses mérites prévus en la divine
acceptation. Mais qui peut pénétrer le secret du coeur de cette tendre et
aimable enfant dans le progrès et les effets d'une si rare faveur? Je le
laisse à penser à la piété catholique, et beaucoup plus à ceux qui le
connaîtront dans le Seigneur, et à nous, quand par sa (639) miséricorde
infinie nous arriverons à jouir de lui face à face.
332. La petite Marie entra
par le ministère des anges dans le ciel empyrée; et étant prosternée par
affection devant le. trône royal du Très-Haut, il y
arriva (à notre façon de concevoir) la vérité de ce qui se fit auparavant en
figure, lorsque Bethsabée entrant en la présence de son fils Salomon, qui de
son trône jugeait le peuple d'Israël, il se leva, et recevant sa mère il
l'exalta et l'honora, en lui donnant une place de reine à son côté (1). La
personne du Verbe éternel pratiqua avec bien plus de gloire et d'admiration la
même chose en faveur de l'enfant Marie, qu'il avait élue pour être sa Mère, la
recevant dans son trône et la mettant à son côté en possession du titre de sa
propre Mère et de Reine de toutes les créatures, bien qu'elle ignorât alors
cet avantage et la fin de ces mystères et de ces faveurs si ineffables; mais
ses tendres forces furent augmentées par la vertu divine pour les recevoir.
Elle reçut de nouvelles grâces et des dons extraordinaires, par lesquels ses
puissances extérieures et intérieures furent élevées à proportion, et les
intérieures reçurent encore une nouvelle grâce et une lumière distinguée, par
lesquelles elles furent disposées, Dieu les élevant et les proportionnant par
ces moyens à l'objet qu'il lui devait manifester; et lui ayant donné cette
lumière nécessaire, il découvrit sa divinité, et la lui manifesta
(1) III Reg., II, 19.
640
intuitivement et clairement en un degré très-sublime ce
fut la première fois que cette très-sainte âme de
Marie vit la très-heureuse Trinité par une vision
claire et béatifique.
333. Le seul auteur d'un
miracle si inouï, et les anges, qui connaissaient avec admiration quelque
chose de ce mystère en lui, furent témoins de la gloire que l'enfant Marie
reçut dans cette vision, des nouveaux secrets qui lui furent révélés, et des
effets qui en rejaillirent dans son âme très-pure.
Mais notre divine Reine étant à la droite du Seigneur, qui ,devait être son
Fils, et le voyant face à face, lui demanda bien plus heureusement que
Bethsabée à son fils Salomon, qu'il donnât la Sunamite
Abysag (1) pure et sans tache, qui était son
inaccessible divinité, à la nature humaine sa propre soeur, et qu'il accomplit
sa parole en descendant du ciel en terre pour y célébrer le mariage de l'union
hypostatique en la personne du Verbe, puisqu'il l'avait si souvent engagée aux
hommes par l'organe des patriarches et des anciens prophètes. Elle le pria de
hâter le remède du genre humain, qui l'attendait depuis tant de siècles, pour
empêcher par là que les péchés, seule cause de la perte des âmes, ne se
multipliassent toujours plus. Le Très-Haut écouta cette demande si agréable,
et promit à sa Mère avec bien plus de bonté que Salomon à la sienne, qu'il ne
tarderait pas d'effectuer ses promesses et qu'il descendrait au monde, y
prenant chair humaine pour le racheter.
(1) III Reg., 11, 21.
641
334. Il fut déterminé dans
ce consistoire et ce tribunal divin de la très-sainte
Trinité, de donner le nom à l'enfant Reine; et comme il n'en est point de
légitime et de propre que celui qui est imposé dans l'âtre immuable de Dieu ,
où toutes choses se distribuent et s'ordonnent avec équité, poids et mesure,
et avec une sagesse infinie, sa Majesté le lui voulut imposer et donner par
lui-même dans le ciel, où elle manifesta aux esprits angéliques que les trois
personnes divines, dès' le commencement et avant tous les siècles, avaient
décrété et formé le très-doux nom de Jésus pour le
Fils, et celui de Marie pour la Mère, et que dans toutes,les éternités elles
avaient pris leur complaisance en eux, et les avaient gravés en leur mémoire
éternelle , les ayant présents en toutes les choses auxquelles elles avaient
donné l'être, parce qu'elles les créaient pour leur service. Les saints anges
connaissaient ces mystères, et plusieurs autres ouïrent une voix sortant du
trône, qui disait en la personne du Père éternel ; « Notre élue se doit
appeler Marie, et ce nom doit être merveilleux et magnifique; ceux qui
l'invoqueront avec une affection sincère et dévote , recevront des
grâces très-abondantes ; ceux qui l'auront en
vénération et le prononceront avec respect seront consolés et vivifiés,
et tous trouveront en lui le remède à leurs maux, des trésors pour s'enrichir,
et la lumière pour les conduire à la vie éternelle. Il sera terrible
contre l'enfer, il écrasera la tête du serpent, et remportera d'insignes
victoires sur les princes des (642) ténèbres. » Le Seigneur commanda aux
esprits angéliques d'annoncer cet heureux nom à sainte Anne, afin que ce qui
avait été confirmé dans le ciel fût exécuté sur la terre. La divine enfant,
prosternée par affection devant le trône, rendit de très-humbles
. actions de grâces à litre éternel, et elle
reçut le nom avec d'admirables et très-doux,
cantiques. S'il fallait écrire les prérogatives et les grâces qui lui furent
accordées, il en faudrait faire plusieurs volumes à part. Les saints anges
adorèrent, et reconnurent encore dans le trône du Très-Haut la
très-sainte Marie, pour celle qui devait être la
Mère du Verbe, leur Reine et leur, Maîtresse; et ils, en honorèrent le nom en
se prosternant à la prononciation que la voix du Père éternel en fit; et cette
vois sortait du trône, et ceux qui avaient ce nom sur leur sein pour devise,
s'y distinguèrent , chantant tous des cantiques de louanges pour de si grands
et si cachés mystères; cette jeune Reine ignorant toujours la cause de tout,
ce quelle connaissait, parce que la dignité de Mère du Verbe incarné ne lui
fut manifestée qu'au temps de l'incarnation. Les mêmes anges qui l'avaient
portée dans le ciel empyrée, la remirent avec la même joie et le même honneur
entre les bras de sainte Anne, à laquelle ce succès et l'absence de sa fille
furent aussi cachés; parce qu'un ange de sa garde occupa sa place, ayant pris
un corps aérien pour cet effet. Outre que pendant un assez long temps que la
divine enfant fut dans le ciel empyrée, sa mère Anne eut une extase d'une
très-haute contemplation, en laquelle (643) (bien
qu'elle ignorât ce qui se passait en sa fille) de
très-grands mystères lui furent découverts touchant la dignité de Mère
de Dieu pour laquelle elle était choisie. Et la prudente dame- les conserva
toujours dans son cœur pour régler. sur leur
importance tout ce qu'elle devait pratiquer à l'égard de sa
très-sainte Fille.
335. Huit jours après la
naissance de la grande Reine, un très grand nombre de
très-beaux anges descendit du ciel d'une manière
très-magnifique, ayant ebacun' un bouclier
lumineux où le nom de MARIE était gravé tout éclatant et : rayonnant de
lumière; ils se manifestèrent tous à l'heureuse mère Anne, et lui dirent que
le nom de sa fille était celui de Marie, qu'elle y voyait marqué:, que la
divine Providence le lui avait donné, et voulait qu'elle et Joachim le lui
imposassent sans différer. La sainte l'appela, et ils conférèrent ensemble sur
la volonté de Dieu pour donner le nom à leur fille; le bienheureux père reçut
ce nom avec une joie particulière et une dévote affection. Ils déterminèrent
de convoquer leurs parents et un prêtre, et ils imposèrent avec beaucoup de
solennité, et dans un banquet fort somptueux, le nom de Marie à celle qui
venait de naître. Les Anges: le célébrèrent avec une
très-douce et admirable musique, qui ne fut ouie que de la mère et de
sa très-sainte fille; de sorte que le même nom qui
avait été. donné à notre divine Princesse parla
très-sainte Trinité dans le ciel, lui fut
pareillement donné sur la terre huit jours après sa naissance. Il fut écrit
(644) sur le registre commun, lorsque sa mère monta au temple pour y accomplir
la loi, comme nous le dirons dans la suite. Ce fut là le plus extraordinaire
enfantement et le plus nouveau que l'on eût jamais vu jusqu'alors au monde, et
qui se puisse trouver en une pure créature. Ce fut la plus heureuse naissance
que la nature pût connaître, puisqu'elle ne se trouva pas seulement exempte
des souillures du péché dans le premier jour de son enfance et de sa vie; mais
aussi plus pure et plus sainte que les plus hauts séraphins. La naissance de
Moïse (1) fut célébrée à cause de la beauté et des charmes que l'on découvrait
en lui; mais tout cela n'était qu'apparent et corruptible. Oh!
que notre petite Marie est belle !
oh! qu'elle est belle!
Elle est toute belle (2) et très-douce en ses
délices, parce qu'elle possède toutes les grâces et toutes les beautés sans
qu'il lui en manque aucune. La naissance d'Isaac promis, et conçu d'une mère
stérile, fut le ris et la joie de la maison d'Abraham (3) ; mais cet
enfantement n'eut rien de plus grand, qu'en ce qu'il participait et dérivait
de notre divine Reine, à laquelle toute cette joie tant désirée s'adressait.
Et s'il causa tant d'admiration et tant de réjouissances dans la famille du
patriarche, c'est parce qu'il était comme les prémices de la naissance de la
très-douce Marie; en celui-ci le ciel et la terre
se doivent réjouir, puisqu'il nous donne celle qui doit réparer les ruines du
ciel et sanctifier le monde. Noé (4) consola son père
(1) Exod., II, 2. — (2) Cant., IV, 1 et 7. — (3)
Gen., XXI, 6. — (4) Id., V, 29.
645
Lamech
en naissant, parce que Dieu le destinait pour assurer en lui la conservation
du genre humain dans l'arche, et la restauration de ses bénédictions dont les
hommes s'étaient rendus indignes par leurs péchés; mais le tout ne se faisait
que pour préparer les voies à la venue au monde de notre divin enfant, qui
était aussi l'Arche mystique qui portale nouveau et le véritable Noé, l'ayant
attiré du ciel pour remplir de bénédictions tous les habitants de la terre. O
heureux enfantement ! ô agréable naissance !
qui pendant tous les siècles passés avez été la
plus grande complaisance de la très-heureuse
Trinité, la réjouissance des anges, le soulagement des pécheurs, la joie des
justes et la singulière consolation des saints qui vous attendaient dans les
limbes.
336. O précieuse et riche
perle! qui parûtes au soleil enfermée dans la
grossière nacre de ce monde. O grande enfant ! si les yeux terrestres peuvent
à peine apercevoir votre petitesse à la faveur de la lumière matérielle, vous
ne laissez pas de surpasser en cet état, aux yeux du souverain Roi et de ses
courtisans, en dignité et en grandeur, tout ce qui n'est pas Dieu ! Que toutes
les générations vous bénissent; que toutes les nations reconnaissent et louent
vos grâces, vos charmes et vos beautés. Que la terre soit illustrée par cette
naissance , et que les mortels se réjouissent,
parce que leur réparatrice est née, qui doit remplir le vide que le premier
péché causa, et dans lequel il les laissa. Que l'excès de bonté que vous avez
pratiqué envers moi, qui ne suis qu’un petit ver de terre que (646) poussière
et que cendre, soit béni et exalté. Si vous me permettez, mon aimable
princesse, de parler en votre présence, je vous proposerai un doute qui m'est
venu sur ce mystère de votre sainte et admirable naissance, et sur ce que le
Très-Haut opéra envers vous à l'heure qu'il vous mit dans cette lumière
matérielle du soleil.
337. Comment pourra-t-on
concevoir que vous fûtes portée en corps par le ministère des anges
bienheureux jusque dans li ciel empyrée et en vue de la Divinité?
puisque ; selon la doctrine de la sainte Église et
de ses docteurs, le ciel fut fermé et comme interdit aux hommes jusqu'à ce que
votre très-saint Fils l'eût ouvert par sa vie et
par sa mort, et y eût fait son entrée comme leur rédempteur et leur chef,
lorsque après être ressuscité, il y monta le jour de son admirable et
glorieuse Ascension, étant le premier pour lequel s'ouvrirent ces portes
éternelles qui étaient fermées par le péché.
Réponse et instruction de la Reine du ciel.
338. Ma
très-chère fille, il est vrai que la divine
justice ferma le ciel aux mortels à cause du premier péché, jusqu'à ce que mon
très-saint Fils l'ouvrit (647) en satisfaisant par
sa vie et par sa mort surabondamment pour les hommes, puisqu il était très
juste et très-convenable que le Réparateur, qui
comme chef avait uni à soi les membres rachetés et leur ouvrait le ciel, y
entrât avant les enfants d'Adam. Car si ce premier homme n'eût pas péché, il
ne serait pas nécessaire de garder cet ordre, afin que les hommes montassent
dans le ciel empyrée pour y jouir de la Divinité; mais la
très-sainte Trinité ayant vu la chute du genre humain, détermina ce qui
s'exécute et s'accomplit maintenant. Et ce grand mystère fut celui que David
renferma dans le psaume XXIII, lorsqu'il dit deux fois en parlant avec les
esprits célestes : Ouvrez, princes, vos portes; et vous, portes éternelles,
élevez-vous, et le Roi de gloire entrera (1). Il dit aux anges que les
portes étaient les leurs, parce qu'elles n'étaient ouvertes que pour eux,
étant fermées pour les hommes mortels. Et bien que ces courtisans du ciel
n'ignorassent pas que le Verbe incarné ne leur eût déjà ôté les verrous et les
serrures du péché, le voyant monter enrichi et glorieux par les dépouilles de
la mort et du péché, et même par les prémices qu'il recevait de sa passion en
la gloire des saints pères des limbes qu'il conduisait en sa compagnie;
néanmoins les saints auges vont au-devant de lui, comme émerveillés et ravis
de cette aimable nouveauté, se demandant les uns les autres : Qui est ce
Roi de gloire (2), étant homme et de la nature de celui qui perdit pour
soi
(1) Ps. XXIII, 7. — (2) Ibid.,
8.
648
et pour
tous ses descendants le droit de monter au ciel?
339. A
ce doute, ils se répondent en disant que c'est le Seigneur fort et puissant
en bataille, et le Seigneur des vertus, Roi de gloire (1). Et c'était
comme déclarer qu'ils étaient déjà convaincus que cet homme qui venait du
monde pour ouvrir les portes éternelles, n'était pas seulement homme et
nullement compris dans la loi du péché, mais qu'il était homme et Dieu
véritable, qui, étant fort et puissant en bataille, avait vaincu le fort armé
qui régnait dans le monde, et l'avait dépouillé de son royaume et de ses
armes. Il était aussi Seigneur des vertus, parce qu'il les avait pratiquées
comme en étant le maître, avec empire et sans opposition du péché et de ses
effets. Et comme Seigneur de la vertu et Roi de gloire (2), il venait
triomphant, et distribuant les vertus et la gloire à ses rachetés, pour
lesquels, en tant qu'homme, il avait souffert et était mort; et en tant que
Dieu il les élevait dans l'éternité de la vision béatifique, ayant brisé les
serrures et les empêchements que le péché y avait mis.
340. Ce fut, ma fille, ce
que fit mon Fils bien-aimé, Dieu et homme véritable ; il m'éleva comme
Seigneur des vertus et des grâces , dont il m'orna
dès le premier instant de ma conception; et comme je ne fus point atteinte de
la souillure du premier péché, je n'eus pas aussi cet empêchement des autres
mortels
(1) Ps. XXIII, 8. — (2) Ibid., 10.
649
pour
entrer par ces portes éternelles; su contraire, le puissant bras de mon Fils
agit avec moi comme avec la Maîtresse des vertus et la Reine du ciel. Et parce
que je le devais revêtir de ma chair et de mon sang et le faire homme, sa
divine bonté voulut me prévenir et me faire semblable à lui en la pureté, en
l'exemption du péché, et en d'autres dons et privilèges divins. Car n'étant
pas esclave du péché, je ne pratiquais point les vertus comme lui étant
soumises, mais comme maîtresse avec empire et sans contradiction; non point
comme semblable aux enfants d'Adam, mais comme semblable au Fils de Dieu, qui
était aussi le mien.
341. C'est pourquoi les
esprits célestes m'ouvrirent les portes éternelles, qu'ils gardaient comme les
leurs, reconnaissant que le Seigneur m'avait créée plus pure que tous eux,
pour être leur Reine et la Maîtresse de toutes les créatures. Et sachez, ma
très-chère fille, que Celui qui avait fait la loi,
en pouvait absolument dispenser, comme le souverain Seigneur et Législateur le
fit envers moi, étendant bien plus loin le sceptre de sa clémence
gu'Assuérus ne le fit à l'égard d'Esther (1), afin
que je ne fusse point comprise, devant être Mère de l'auteur de la grâce, dans
les lois communes du péché, qui comprenaient les autres enfants d'Adam. Et
bien que je ne pusse pas mériter ces faveurs, n'étant qu'une pure créature;
néanmoins la clémence et la bonté divine s'inclinèrent avec libéralité,
(1) Esth., IV, 11.
650
et me
regardèrent comme une humble servante, afin que je louasse éternellement
l'auteur de telles oeuvres. Et je veux , ma fille,
que vous l'en bénissiez, et que vous l'exaltiez aussi.
342. L'instruction que je
m'en vais vous donner est que, comme je vous ai choisie par une bonté libérale
pour être ma disciple et mon associée, toute pauvre, inutile et faible que
vous étiez, vous vous efforciez de m'imiter dans un exercice que j'ai pratiqué
toute ma vie depuis ma naissance, sans l'avoir jamais omis pour quelques
occupations, quelques soins et quelques travaux que j'eusse. Cet exercice fut
qu'au commencement de chaque jour je me prosternais en la présence du
Très-Haut, je lui rendais des actions de grâces, et le louais pour son être
immuable, pour ses perfections infinies et pour m'avoir tirée du néant; et, me
reconnaissant créature et ouvrage de ses mains, je le bénissais, je l'adorais,
lui donnant l'honneur, la gloire et la divinité, comme à mon souverain
Seigneur et créateur de tout ce qui a l'être. J'élevais mon esprit pour
l'abandonner entièrement entre ses mains, et je m'offrais en elles à sa divine
Majesté avec une profonde humilité et une parfaite résignation; je le priais
de disposer de moi pendant ce jour-là et pendant tous ceux qui me restaient à
vivre, selon sa sainte volonté, et qu'il m'enseignât ce qui lui serait le plus
agréable, afin de l'accomplir avec exactitude. Je réitérais plusieurs fois
tout cela dans mes occupations extérieures de ce jour, consultant toujours en
premier lieu sa Majesté dans les intérieures, et lui demandant son conseil
(651), sa permission et sa bénédiction pour toutes, mes actions.
343. Vous serez fort dévote
à mon très-doux nom, et je veux que vous sachiez
que toutes les prérogatives et toutes les grâces que le
Tout-Puissant lui accorda furent si nombreuses, que la connaissance que
j'en eus à la vue de la: Divinité m'engagea et m'obligea à un continuel
retour; de sorte que, toutes les fois que MARIE se présentait à ma mémoire (ce
qui arrivait assez souvent), et lorsque je m'entendais nommer, mon affection
se sentait excitée à la reconnaissance, et à entreprendre de grandes choses
pour le service du Seigneur, qui me l'avait donné. Vous avez, ma fille, le
même nom; c'est pourquoi je veux qu'il produise en vous les mêmes effets, et
que vous m'imitiez avec ponctualité dans l'instruction de ce chapitre, sans y
manquer dès à présent, quoi qu'il puisse arriver. Et si comme faible vous vous
négligez, revenez incontinent à vous, et avouez votre faute en la présence du
Seigneur et en la mienne, la reconnaissant avec douleur. Par ce soin, et en
réitérant divers actes dans ce saint exercice, vous éviterez les
imperfections, et vous vous accoutumerez à pratiquer les vertus les plus
éminentes et ce qui est le plus agréable au Très-Haut, qui ne vous refusera
pas sa divine grâce, par laquelle vous viendrez à bout de toutes choses,
pourvu que vous donniez toutes vos attentions à sa lumière et à l'objet le
plus agréable, qui est celui de vos affections et des miennes: attentions qui
doivent consister à vous appliquer entièrement à ouïr la voix de votre époux
et de (652) votre Seigneur, à le servir, et à vous soumettre à sa divine
volonté, qui demande de vous ce qui est le plus pur, le plus saint et le plus
parfait, et une intention prompte et fervente pour l'exécuter.
FIN DU TOME I.
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