Livre I - Ch. XV-XXI

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CHAPITRE XV. De l'immaculée conception de Marie, Mère de Dieu, par la vertu du pouvoir divin.

CHAPITRE XVI. Des habitudes des vertus dont le Très-Haut dota l'âme de la très-pure Marie, et des premières opérations qu'elle pratiqua par elles dans le sein de sainte Anne. — Cette auguste Reine commence de me donner elle-même une instruction pour m'animer A l'imiter.

Instruction que la Reine du ciel me donna sur le chapitre précédent.

CHAPITRE XVII. Poursuivant le mystère de la conception de la très-sainte Vierge, le chapitre vingt-unième de l'Apocalypse me fut expliqué.

PREMIÈRE PARTIE DU CHAPITRE.

CHAPITRE XVIII. Il poursuit le mystère de la conception de la très-pure Marie par la seconde partie du chapitre vingt-unième de l'Apocalypse.

CHAPITRE XIX. Qui contient la dernière partie du chapitre vingt-unième de l'Apocalypse sur la conception de la très-sainte Vierge.

Instruction que la Reine du ciel me donna sur ces chapitres.

CHAPITRE XX. Ce qui arriva pendant les neuf mois de la grossesse de sainte Anne, et les opérations de la très-pure Marie dans son sein, et ce que sa mère fit durant ce temps-là.

Instruction et réponse de la Reine du ciel.

CHAPITRE XXI. De l’heureuse naissance de la très-pure Marie, notre auguste Reine, des faveurs qu'elle y reçut de la main du Très-Haut; et comme on lui imposa le nom au ciel et en la terre.

Réponse et instruction de la Reine du ciel.

 

CHAPITRE XV. De l'immaculée conception de Marie, Mère de Dieu, par la vertu du pouvoir divin.

 

208. La divine Sagesse avait préparé toutes choses pour séparer de la masse corrompue de la nature humaine la Mère de la, grâce. Le nombre destiné des patriarches et des prophètes était déjà complet et dans .sa perfection, et les hautes montagnes étaient élevées sur lesquelles cette Cité mystique de Dieu se devait édifier (1). Il lui avait préparé par la puissance de sa droite des trésors incomparables de sa divinité, pour la doter et pour l'enrichir. Il lui tenait mille anges tout prêts pour sa garnison et pour sa garde, et afin qu'ils servissent comme des sujets très-fidèles leur Reine et leur Maîtresse. Il lui prépara une lignée royale et très-noble dont elle descendrait; et il lui choisit des parents très-saints et très-parfaits dont elle devait immédiatement naître, sans qu'il s'en pût trouver de plus saints dans tout ce siècle; car s'il y en eût eu de plus grands et de plus propres pour être parents de

 

(1) Ps. LXXXVI, 2.

 

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celle que le même Dieu choisissait pour Mère, il n'y a point de doute que sa divine Majesté ne les eût choisis.

209. Il les disposa par une abondance de grâces et. de bénédictions de sa droite, et les enrichit de toutes sortes de vertus et d'une lumière particulière de la science divine et des dons du Saint Esprit. Après qu'il leur eut annoncé qu'ils auraient une tille admirable et bénie entre toutes les femmes, l'ouvrage de la première conception, qui était celle du très-pur corps de Marie, s'exécuta. L'âge de ses parent» quand ils se marièrent, était, celui de sainte Anne de vingt-quatre ans, et celui de saint Joachim de quarante-six. Vingt années se passèrent après leur mariage sans qu'ils eussent des enfants, et ainsi la mère avait, au temps de la conception de la fille, quarante-quatre ans, et le père soixante-six. Et quoiqu'elle fût selon l'ordre commun des autres conceptions, néanmoins la vertu du Très-Haut lui ôta ce qu'il y avait d'imparfait et de désordonné, ne lui laissant que le nécessaire et le précis de la nature, afin que le corps le plus excellent qui fut et qui sera jamais entre les pures créatures fût formé sans la moindre imperfection.

210. Dieu corrigea les fonctions des pères de notre Reine, et sa grâce les prévint, afin qu'elles fussent dans cette occasion vertueuses, méritoires et saintement réglées; de manière qu'agissant selon l'ordre commun, elles étaient dirigées, corrigées et perfectionnées par la force de cette divine grâce, qui devait opérer son effet sans que la nature y portât aucun obstacle. Cette vertu céleste éclata bien plus en sainte (519) Anne à cause de sa stérilité naturelle ; son concours étant miraculeux en la manière et très-pur en la substance car elle ne pouvait concevoir sans miracle, parce que la conception qui se fait sans ce secours et par la seule vertu et le seul ordre naturels, ne doit dépendre immédiatement d'aucune autre cause surnaturelle.

211. Mais en cette conception, quoique le père ne fût pas naturellement infécond, la nature était déjà néanmoins corrigée et quasi éteinte en lui à cause de son âge; et ainsi elle fut par la vertu divine réparée et prévenue, de sorte qu'elle put opérer et opéra de son côté avec toute perfection et retenue des puissances, et proportionnellement à la stérilité de la mère : la nature et la grâce concourant en l'un et en l'autre en ce qui était seulement précis et nécessaire; et cette grâce fut surabondante et puissante pour engloutir la même nature, ne la confondant pas pourtant, mais la relevant et la perfectionnant d'une manière miraculeuse, afin que l'on reconnût que la grâce s'était chargée de cette conception, ne se servant de la nature que pour en prendre ce qu'il fallait pour donner à cette ineffable fille des parents naturels.

212. La stérilité de la très-sainte mère Anne ne fut pas guérie par la réparation de ce qui manquait à la complexion et à la faculté naturelle, pour être féconde et pour concevoir sans aucune différence des autres femmes; mais le Seigneur concourut avec la puissance stérile par un autre moyen plus miraculeux, afin qu'elle fournit une substance naturelle à la formation de ce corps virginal. Ainsi la puissance qui le conçut (520) et la substance dont il fut formé furent bien naturelles , mais leur emploi fut l'effet du concours miraculeux de la vertu divine. Et le miracle de cette admirable conception cessant, la sainte mère se trouva dans son ancienne stérilité, en laquelle elle ne pouvait plus concevoir, pour n'y avoir ajouté ni diminué aucune nouvelle qualité à la complexion naturelle. Il me semble que ce miracle se développera mieux par l'exemple de celui que Jésus-Christ fit quand saint Pierre marcha sur les eaux (1) : car, pour le soutenir, il ne fut pas nécessaire de les affermir, ni de les changer en cristal ou en glace, sur quoi il marchât naturellement, et plusieurs autres après lui, sans aucun autre miracle que leur affermissement : mais le Seigneur put faire qu'elles soutinssent le corps de l'apôtre sans les affermir, concourant miraculeusement avec elles, de sorte que le miracle étant passé, les eaux se trouvèrent liquides, comme véritablement elles l'étaient lorsque saint Pierre y marchait, puisqu'il commençait de s'enfoncer; et le miracle continua sans les altérer par une nouvelle qualité.

213. Le miracle en vertu duquel sainte Anne, mère de la très-pure Marie, conçut, quoique incomparablement plus admirable que celui-là, lui fut néanmoins. fort semblable; ainsi les très-saints parents de cette sacrée fille furent gouvernés et dirigés dans cette innocente conception par la grâce, qui en éloigna si fort toute sorte de sensualité, que l'aiguillon du péché

 

(1) Matth., XIV, 29.

 

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originel n'y eut aucune part, et il ne s'y trouva nulle impression de ces effets qui accompagnent la conception des autres personnes. De sorte que ce qui servit à cette très-pure conception n'étant accompagné d'aucune imperfection, l'action en fut beaucoup méritoire. Ainsi par cet endroit il fut très-facile que le péché ne se trouvât point ni n'eût aucun pouvoir dans cette conception, la divine Providence l'ayant par une voie extraordinaire déterminé de la sorte : le Très-Haut réservant ce miracle pour elle, qui seule devait être sa très-digne Mère; parce que, puisqu'il était convenable qu'elle fût engendrée dans le substantiel de sa conception selon le même ordre que les autres enfants d'Adam l'étaient, il fut aussi très-convenable et dû à sa dignité, que, sans détruire la nature, la grâce y concourût avec elle dans toute l'étendue de sa vertu et de son pouvoir, en se signalant et opérant avec plus de distinction en elle qu'en tous les enfants d'Adam, et même qu'en les deux premiers pères, qui furent les premiers à donner l'entrée à la corruption de la nature et à sa concupiscence désordonnée.

214. La sagesse et le pouvoir du Très-Haut prirent un si grand soin, à notre façon de parler, de la formation du corps très-pur de Marie, qu'il le composa avec un grand poids et une juste mesure, tant en la quantité que dans les qualités des quatre humeurs naturelles, la sanguine, la mélancolique, la flegmatique et la bilieuse; afin qu'il aidât sans aucun empêchement ni contradiction, par la proportion de ce (522) mélange très-parfait et de cette composition bien réglée, les opérations d'une âme aussi sainte que celle qui le devait animer. Ce tempérament miraculeux fut ensuite comme le principe et une espèce de cause de la sérénité et de la paix que les puissances de la Reine du ciel conservèrent durant toute sa vie, sans qu'il y eùt entre ces humeurs aucune guerre, ni contradiction, ni rien d'excessif) su contraire, elles s'entr'aidaient et se secouraient réciproquement pour se conserver dans cet ouvrage admirable sans corruption et sans pourriture; car jamais le bienheureux corps de la très-sainte Marie n'en a souffert aucune, et il ne se trouva en lui aucun manquement ni superfluité, ayant toujours toutes les qualités et la quantité dans une juste proportion, sans plus ni moins de sécheresse ou d'humidité que celle qui lui était nécessaire pour sa conservation, ni plus de chaleur que celle qui lui suffisait pour sa défense et pour la digestion, ni plus de froideur que celle qu'il fallait pour rafraîchir et pour tempérer les autres humeurs.

215. Bien que ce corps fait en tout d'une admirable composition , il ne laissa pourtant pas de ressentir et d'endurer les rigueurs du chaud, du froid et les autres incommodités auxquelles nos corps sont naturellement sujets; car plus il était proportionné et parfait, plus il était sensible aux moindres impressions, à cause de la juste égalité qui était dans les humeurs, qui faisait qu'elles n'avaient pas tant de force pour résister à leurs contraires, qui font des efforts plus violents lorsque le tempérament est plus (523) réglé, et que par sa délicatesse il est plus susceptible des altérations qui peuvent s'y produire, ainsi que nous remarquons dans les excès qui arrivent à tous les corps. Celui qui se formait miraculeusement dans le sein de sainte Anne n'était pas capable, avant que d'avoir reçu l'âme, des dons spirituels; mais il l'était de recevoir les dons naturels, et ceux-ci lui furent accordés par un ordre et par une vertu surnaturelle, et avec toutes les qualités requises à la fin de la grâce singulière pour laquelle cette formation, faite au-dessus de tout ordre de la nature et selon le plus élevé de la grâce, était ordonnée. Ainsi il reçut une complexion et des puissances si excellentes, que toute la nature n'en pouvait pas former par elle seule de semblables.

216. Comme la main du Seigneur forma nos premiers pères Adam et Ève avec ces qualités et ces avantages qui convenaient à la justice originelle et à l'état d'innocence, dans lesquels ils excellèrent et furent plus privilégiés que n'auraient été tous leurs descendants, quand mène ils se seraient maintenus dans cet heureux état, parce que les œuvres du Seigneur seul sont plus parfaites; sa toute-puissance opéra de cette façon, bien qu'en un degré plus excellent, en la formation dit corps de la très-pure Marie, avec une providence et une grâce d'autant plus grande et plus abondante, que cette, créature surpassait non-seulement nos premiers parents, qui se laissèrent incontinent après tomber dans le péché, mais toutes les autres créatures, tant corporelles que spirituelles. (524) Suivant notre manière de concevoir, Dieu prit plus de soin à composer seulement ce petit corps de sa très-sainte Mère, qu'il n'en prit à former tous les cieux et tout ce qu'ils renferment. Et nous devons commencer de mesurer avec cette règle les dons et les privilèges que reçut cette Cité de Dieu (1), dès les premiers fondements sur lesquels ses grandeurs furent élevées, jusqu'à arriver à cette hauteur qui la fait immédiate et la plus proche de l’infinité du Très-Haut.

217. Le péché et les dangereuses flammes qui en résultent se trouvèrent fort loin de cette conception miraculeuse, puisque non-seulement ce péché ne se trouva point dans l'aurore de la grâce (que nous exprimerons toujours en nous servant de ce terme d'aurore), mais qu'il fut aussi lié dans ses parents quand ils la conçurent, afin qu'il ne s'émancipât ni ne troublât la nature, qui dans. cette production se reconnaissait véritablement inférieure à la grâce, n'y servant que de seul instrument au suprême Architecte, qui est supérieur aux lais de la nature et de la grâce: commençant dès cet instant à détruire le péché et même à abattre le château du fort armé, pour le renverser et le dépouiller de ce qu'il possédait avec tyrannie (2).

218. La première conception du corps de la très-sainte Vierge se fit en un jour de dimanche, répondant à celui de la création des anges, dont elle devait

 

(1) Ps. LXXXVI, 3. — (2) Luc.,  XI, 22.

 

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être la reine et la supérieure. Et, bien que, selon l'ordre naturel et commun, les autres corps aient besoin de plusieurs jours pour être entièrement organisés et pour recevoir la dernière disposition, afin que l'âme raisonnable y soit infuse; comme l'on dit qu'aux garçons il en faut quarante, et aux filles quatre-vingts, un peu plus ou moins, selon la chaleur naturelle et la disposition des mères; néanmoins la vertu divine abrégea le temps naturel en la formation du corps de la très-sainte Fille, et ce qui se devait opérer dans les quatre-vingts jours (ou en ceux que naturellement il fallait) se fit avec plus de perfection dans sept, pendant lesquels ce corps miraculeux fut entièrement organisé et tout disposé dans le sein de sainte Anne pour recevoir la très-sainte âme de sa fille et de notre Reine.

219. Lé samedi suivant et le plus proche de cette première conception, se fit la seconde, le Très-Haut créant l'âme de sa Mère et l'infusant dans son corps; de manière que le monde, en recevant cette pure créature au nombre de ses habitants, eut le bonheur de recevoir la plus sainte, la plus parfaite et la plus agréable aux yeux de sa divine Majesté, de toutes celles qu'il a créées et créera jusqu'à la fin du monde. Les intentions du Seigneur furent mystérieuses dans la correspondance des sept jours qu'il mit en cet ouvrage, avec les sept autres qu'il employa, selon la Genèse, à créer tout le reste de l'univers (1), puisqu'il

 

(1) Gen., I.

 

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reposa sans doute ici dans l'accomplissement de cette figure, ayant créé la première de toutes les pures créature, et nous donnant avec elle le principe du grand ouvrage de l'incarnation du Verbe divin et de la rédemption du genre humain. Ainsi ce jour-là fut comme un jour de fête pour Dieu aussi bien que pour toutes les créatures.

220. C'est à cause de ce mystère de la conception de la très-glorieuse Marie, que le Saint-Esprit a ordonné que l'Église lui consacrerait le jour du samedi comme celui auquel elle avait reçu le plus grand bienfait, lorsque son aine très-sainte fut créée et unie à son corps, sans que ni le péché originel ni le moindre de ses effets s'y trouvassent. Le jour de sa conception, que l'Église célèbre aujourd'hui, ne fut pas celui de la première du corps, mais le jour de la seconde conception ou infusion de l'âme, avec laquelle il demeura neuf mois complets dans le sein de sainte Amie, qui font le temps qu'il y a depuis la conception jusqu'à la nativité de cette reine. Durant les sept jours qui précédèrent l'animation, le seul corps fut disposé et organisé par la vertu divine, afin quo cette création ou formation répondit à celle que Moïse raconte de toutes les créatures qui composèrent et qui formèrent le monde dans son commencement. Ce fut à l'instant de la création et de l'infusion de l'âme de la très-heureuse Marie, que la très-sainte Trinité dit ces paroles, avec bien plus d'affection et de tendresse que celles qui se lisent dans le premier chapitre de la Genèse ; « Faisons Marie à notre image et à notre ressemblance, (527) rendons-la notre véritable Fille et Épouse, pour en faire la Mère du Fils unique de la substance du Père.

221. Par la force de cette divine parole et par l'amour qui l'accompagnait en sortant de la bouche du Tout-Puissant, l'âme très-heureuse de l'incomparable Marie fut créée et infuse dans son corps, et remplie au même instant de grâce et de dons qui la mirent au-dessus des plus hauts séraphins, sans qu'il y eût aucun moment auquel elle se trouvât dépouillée ni privée de la lumière, de l'amitié et de l'amour de son Créateur, nique la tache et les ténèbres du péché originel la pussent toucher en aucune manière; au contraire, elle fut créée avec une justice plus parfaite et plus relevée que colle qu'Adam et Ève reçurent en leur création. L'usage de la raison la plus parfaite, qui devait être proportionnée aux dons de la grâce qu'elle recevait, lui fut aussi accordé, afin que ces dons ne fussent pas inutiles un seul instant, et qu'ils opérassent des effets si admirables, que son Créateur y pût prendre de souveraines complaisances. J'avoue d'être ravie et absorbée dans la connaissance et dans la lumière que je reçois de ce grand mystère, et que mon coeur (dans l'insuffisance où je suis d'exprimer ce qu'il ressent) se transforme tout en des affections d'admiration, afin d'imposer le silence à ma langue. Je vois la véritable arche du Testament construite, enrichie et placée dans le temple d'une mère stérile, avec bien plus de gloire que la figurative dans la maison d'Obédédom, de David, et dans le temple de Salomon (528) (1). Je vois l'autel formé dans le sanctuaire où le premier sacrifice, qui doit vaincre la colère de Dieu en apaisant sa justice, se doit offrir; et je vois sortir la nature hors de ses limites dans sa formation, ei établir de nouvelles lois contre le péché sans garder les communes, ni du péché, ni de la nature, ni même de la grâce; et qu'une autre nouvelle terre et d'autres cieux nouveaux commencent à se former (2), dont le premier est le sein d'une très-humble femme auquel la très-sainte Trinité donne ses applications et ordonne, que d'innombrables courtisans de l'ancien ciel assistent, et qu'il y en ait mille d'entre eux pour garder ce trésor, ce petit corps animé, qui n'est pas plus grand qu'une petite abeille.

222. Dans cette nouvelle création la voix du Seigneur retentit bien plus fortement que dans la première, lorsque, se complaisant en l'ouvrage qu'il venait de faire, il dit qu'il était très-bon (3). Que la faiblesse humaine, s'approche de cette merveille avec une pieuse humilité, qu'elle la publie et avoue la grandeur du Créateur, qu'elle reconnaisse le nouveau bienfait que tout le genre humain reçoit en sa réparatrice, que le zèle vaincu par la force de la divine lumière cesse présentement; car si la bonté infinie de Dieu (ainsi qu'il m'a été découvert) regarda le péché originel en la conception de sa très-sainte Mère comme avec des yeux de courroux et irrité contre lui, se

 

(1) II Reg., VI, 11-12 ; III Reg.,VIII, 6 ; VI, 16. — (2) Isa., LXV, 17. — (3) Hen., I, 31.

 

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glorifiant d'avoir une juste cause et une belle occasion de l'éloigner et d'arrêter son courant, comment la sagesse humaine peut-elle approuver ce que Dieu a eu si fort en horreur ?

223. Au temps de l'infusion de l’âme dans le corps de cette divine dame, le Très-Haut voulut que sa mère, sainte Anne, ressentit et reconnût d'une.façon très relevée la présence de la Divinité, par laquelle elle fut remplie du Saint-Esprit et émue intérieurement de tant de joie, et d'une dévotion si sensible et si au-dessus de ses forces ordinaires, qu'elle fut ravie en une extase très-sublime, où elle reçut de très-hautes connaissances des mystères les plus cachés, et elle loua le Seigneur par de nouveaux cantiques de joie. Ces favorables effets durèrent tout le reste de sa vie; mais ils furent plus grands pendant les neuf mois quelle garda dans son sein le trésor du ciel; car durant ce temps-là ces faveurs lui furent renouvelées et plus souvent réitérées, recevant une connaissance particulière des Écritures saintes et de ses profonds mystères. O très-fortunée fille ! soyez appelée bienheureuse et louée de toutes les nations et générations de l'univers.

 

 

CHAPITRE XVI. Des habitudes des vertus dont le Très-Haut dota l'âme de la très-pure Marie, et des premières opérations qu'elle pratiqua par elles dans le sein de sainte Anne. — Cette auguste Reine commence de me donner elle-même une instruction pour m'animer A l'imiter.

 

224. Dieu lâcha le torrent impétueux de sa divinité vers cette Cité mystique (1), l'âme très-sainte de Marie, pour la réjouir et l'enrichir par l'abondance de ses bénédictions, qui prenaient leur cours dès la source Inépuisable de se sagesse infinie et de son immense bonté, par laquelle et dans laquelle le Très-Haut avait déterminé de déposer en cette divine dame les plus grande trésors des grâces et des vertus qui furent jamais donnés ni tic se donneront pendant toute l'éternité à aucune autre créature. Quand l'heure arriva de les lui distribuer, qui frit dans ce même instant qu'elle reçut l'être naturel, le Tout-Puissant satisfit à l'inclination et ait désir qu'il tenait dès son éternité comme suspendus, jusqu'à ce que le temps convenable arrivât d'accomplir la promesse

 

(1) Ps. XLV, 5.

 

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qu'il avait faite à sa plus tendre affection. Ce très-fidèle Seigneur le fit, en répandant dans cette très-sainte âme de Marie, à l'instant de sa conception, toutes les grâces et tous les dons en un degré si éminent, que tous les saints ensemble n'y pourront jamais arriver, ni aucune langue humaine le manifester.

225. Mais quoiqu'elle fit alors ornée comme une épouse (1) qui descend du ciel avec toutes les perfections et les habitudes infuses de toutes sortes de vertus, il ne fut pas néanmoins nécessaire qu'elle les pratiquât toutes sitôt, mais seulement celles qu'elle pouvait exercer, et qui convenaient à l'état où elle était dans le sein de sa mère. En premier lieu elle pratiqua les trois vertus théologales, la foi, l’espérance et la charité, qui ont Dieu pour objet. Elle les exerça dans l'instant de l'heureuse union de son Aine , connaissant la Divinité d'une manière très-sublime et par une foi très-relevée, en laquelle elle pénétrait toutes ses perfections, ses attributs infinis, la Trinité et la distinction des personnes. Ses connaissances étaient d'un ordre admirable, sans que l'une empêchât l'autre, comme je m'en vais dire. Elle exerça aussi la vertu d'espérance, qui regarde Dieu comme l'objet du bonheur éternel et de la dernière fin, où cette très-sainte âme s'éleva et prit l’essor par de très-vastes désirs de s'y unir, sans jamais s'attacher à aucune autre, ni être un seul moment privée de ce

 

(1) Apoc., XXI, 2.

 

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mouvement. Enfin elle pratiqua la vertu de charité, qui contemple Dieu comme le bien souverain, et infini, avec tant d'attention, d'amour et de respect, qu'il n'est pas au pouvoir de tous les séraphins d'arriver, avec leurs plus grands efforts et toutes leurs vertus, à un degré si éminent.

226. Elle eut les autres vertus qui ornent et qui perfectionnent la partie raisonnable de la créature, au degré qui répond aux théologales, aussi bien que toutes les vertus morales et naturelles, en un degré miraculeux et surnaturel; elle eut dans l'ordre de la grâce les dons et les fruits du Saint-Esprit en un degré bien plus éminent. Elle fut remplie. de la science infuse et de l'habitude de toutes les sciences et de tous lés arts naturels., par laquelle elle sut et connut toutes les choses naturelles et surnaturelles qui se rapportent à la grandeur de Dieu; de sorte qu'elle fut dans le sein de sa mère, dès le premier instant, plus sage, plus prudente, plus pénétrée et informée de Dieu et de toutes ses oeuvres, que toutes les créatures ensemble, excepté son très-saint Fils, ne l'ont été ni ne le seront éternellement. Cette perfection ne consistait pas seulement aux habitudes, qui lui furent infuses en un si haut degré, mais encore dans les actes qui y répondaient selon son état et son excellence, et selon qu'elle les put exercer dans cet instant par le pouvoir de Dieu , qui la secondait; car dans cette pratique elle n'eut point de borne, ni elle ne fut point sujette à aucune loi, qu'à celle du divin et très~juste bon plaisir de son créateur.

 

533

 

227. Et parce que nous nous étendrons beaucoup sur toutes ces vertus et ces grâces , et sur leurs opérations, dans la suite de cette histoire de la très-sainte vie de Marie, je toucherai seulement ici quelque chose de ce qu'elle opéra dans l'instant de sa conception par les habitudes: qui lui furent infuses, et par la lumière que ces habitudes lui communiquèrent. Par les actes des vertus théologales (comme je viens de dire), et par la vertu de religion et des autres vertus cardinales qui les suivent, elle connut Dieu comme il est en lui-même, comme créateur et comme glorificateur; elle l'honora, le loua et le remercia par des actes héroïques pour en avoir été créée; et elle l'aima, le craignit, l'adora et lui fit des sacrifices de louanges et de gloire pour 'son être immuable. Elle connut les dons qu'elle recevait (quoiqu'il y en eût un qui lui fut scellé), pour lesquels elle rendit de très-humbles actions de grâces, accompagnées de profondes inclinations corporelles , qu'elle fit aussitôt dans le sein de sa mère avec ce corps si petit. Et elle mérita plus dans cet état par ces actes, que tous les saints dans le plus haut degré de leur perfection et de leur sainteté.

228. Elle eut, outre les actes de la foi infuse, une haute connaissance du mystère de la Divinité et de la très-sainte Trinité. Et quoiqu'elle ne la. vit pas dans cet instant de sa conception intuitivement comme bienheureuse, elle la vit néanmoins abstractivement par une autre lumière et par une autre vue inférieure à la. vision béatifique, mais supérieure à toutes les (534) autres manières par lesquelles Dieu se peut manifester ou se manifeste à l'entendement créé; parce qu'elle reçut des espèces de la Divinité si claires et si manifestes, qu'elle y connut l'être immuable de Dieu; et en lui. toutes les créatures avec une plus grande lumière et évidence que celles par lesquelles on tonnait une créature par une autre Ces espèces lui furent comme un miroir très-clair, dans lequel toute la Divinité reluisait, et en elle toutes les créatures. Ainsi par cette lumière et par ces espèces de la nature divine, elle les vit toutes et les connut avec une plus grande distinction et clarté qu'elle ne les connaissait en elles-mêmes par d'autres espèces ni par la science infuse.

229. Elle découvrit par tous ces moyens, avec une grande pénétration, dès l'instant de sa conception, tous les hommes, tous les anges, leur ordre, leur dignité et leurs opérations, et toutes les créatures irraisonnables avec leur instinct et leurs qualités. Elle connut la création, l'état et la perte des anges; la justification et la gloire des bons, la chute et la punition des mauvais; le premier état d'innocence d'Adam et d'Ève, comme ils furent trompés; leur péché et les misères auxquelles nos premiers parents furent sujets par ce péché, et par eux tout le genre humain; la délibération de la volonté divine pour le réparer, et comme cet heureux temps s'approchait et commençait de se disposer; l'ordre et la nature des cieux, des astres et des planètes; les qualités et la disposition des éléments; le purgatoire, les limbes (535) et l'enfer; et comme toutes ces choses et ce qu'elles renferment avaient été créées par le pouvoir divin et conservées par sa seule bonté infinie, sans qu'elle eùt besoin d'aucune. Et surtout elle pénétra de très-hauts secrets sur le mystère que Dieu devait opérer en se faisant homme pour racheter tout le genre humain , n'ayant pas accordé ce remède aux mauvais anges.

230. Toutes ces merveilles, dont cette très-sainte âme de Marie prenait connaissance selon leur ordre, dans l'instant qu'elle fut unie à son corps, lui firent pratiquer aussi des actes héroïques de vertu, qui elle accompagnait d'autres actes d'admiration, de louange, de gloire, d'adoration, d'humiliation, d'amour de Dieu, et de douleur des péchés qui offensaient ce souverain bien, qu'elle reconnaissait pont auteur et la fin de tant de merveilles. Elle offrit d'elle-même un sacrifice qui fut fort agréable au Très-Haut, commençant dès ce moment de le bénir avec une affection ardente, de l'aimer et de l'honorer pour suppléer à ce quelle connaissait, que les mauvais anges aussi bien que les hommes avaient manqué d'aimer en lui et de reconnaître. Elle demanda aux anges bienheureux (dont elle était déjà déclarée Reine) qu'ils l'aidassent à glorifier le Créateur et le Seigneur de tous, et d'intercéder aussi pour elle.

231. Le Seigneur lui manifesta dans cet instant les anges qu'il lui donnait pour sa garde; elle les vit, les connut et leur fit un accueil fort agréable, et les convia de glorifier alternativement le Très-Haut par des (536) cantiques de louange, et leur marqua en quoi devait consister ce divin office, qu'ils devaient continuer avec elle durant tout Je temps de sa vie mortelle, pendant lequel ils la devaient garder et assister. Elle connut aussi toute sa généalogie et tout le reste du peuple saint et choisi de. Dieu , les .patriarches et les prophètes; et combien sa Majesté divine avait été admirable dans les dons, les grâces et les faveurs qu'il avait opérés envers eux. Et c'est une chose digne d'admiration, que ce tendre corps étant si petit dans le premier instant qu'il reçut l'âme très-sainte, qu'on aurait bien de la peine d'apercevoir seulement ses puissances extérieures; néanmoins, afin qu'il ne manquât aucune de ces merveilles qui pouvaient rendre illustre celle qui avait été choisie pour Mère de Dieu , la puissance de sa droite divine ordonna que dans la connaissance et la douleur qu'elle avait de la chute. de l'homme, elle pleurât et versât des larmes dans le sein de sa mère, connaissant l'injure que la grièveté du péché faisait au souverain Bien.

232. Elle pria avec cette tendresse miraculeuse dès qu'elle eut. reçu l'être, pour le remède des hommes; et elle commença dès lors à exercer l'office de leur médiatrice, de leur avocate et de leur réparatrice. Elle représenta et offrit à Dieu les clameurs des saints pères et des justes de la terre, afin que sa miséricorde ne retardât pas le salut des mortels, qu'elle regardait déjà comme frères, et qu'elle aimait d'une très-ardente charité avant même que d'avoir conversé aven eux; cette aimable bienfaitrice n'eut (537) pas plutôt l'être naturel, que l'amour divin et fraternel commença de briller en son coeur embrasé. Le Très-Haut accepta ces demandes avec bien plus de complaisance que toutes les prières des saints et des anges, ce qui fut manifesté à celle qui venait d'être créée pour être Mère du même Dieu, quoiqu'elle en ignorât la fin; mais elle connut l'amour du même Seigneur, et le désir qu'il avait de descendre du ciel pour racheter les hommes. Il était juste aussi qu'il se sentit plus obligé de hâter cette venue par les prières et par les demandes de cette créature, pour laquelle il venait principalement, et en laquelle il devait prendre chair de sa propre substance, et opérer la plus admirable de toutes ses oeuvres et la fin de toutes ensemble.

233. Elle pria aussi. dans le même instant de sa conception pour ses pères naturels Joachim et Anne, qu'elle voyait et connaissait en Dieu avant que de les voir corporellement; et elle exerça en même temps envers eux la vertu de l'amour, du respect et de la gratitude de fille, les reconnaissant pour cause seconde de son être naturel. Elle fit aussi plusieurs autres demandes.en général et en particulier pour des causes différentes. Et elle composa, par la science infuse qu'elle avait, des cantiques de louanges dans son entendement et dans son coeur, pour avoir trouvé à la porte de la vie la précieuse drachme que nous perdîmes tous dans notre premier principe (1). Elle

 

(1) Luc., XV, 9.

 

538

 

trouva la grâce qui vint à sa rencontre, et la Divinité qui l'attendait aux portes de la nature (1). Ses puissances rencontrèrent dans l'instant de leur être le très-noble objet qui les mut et les prévint, parce qu'elles n'étaient créées que pour lui; et devant entièrement lui appartenir, elles lui devaient les prémices de leurs opérations, qui furent la connaissance et l'amour divin, sans qu'il y eût en cette auguste dame aucun temps sans connaissance de Dieu, ni connaissance sans amour, ni amour sans mérite; auquel il n'y eut ni mesure des lois communes, ni règles générales, ni rien de médiocre. Tout fut grand en celle qui sortit grande de la main du Très-Haut, afin quelle marchât, crût et arrivât jusqu'à une telle grandeur, qu'il n'y eût que Dieu seul plus grand qu'elle. Oh! que vos pas furent beaux 1 fille du Prince céleste, puisque du seul premier vous arrivâtes à la Divinité. Vous êtes deux fois belle , parce que votre grâce et votre beauté sont au-dessus de toutes. les beautés et de toutes les grâces. Vos yeux sont divins, et vos pensées ressemblent à la pourpre du roi, puisque vous lui avez ravi le coeur, et l'avez amoureusement blessé et pris par vos cheveux (2); étant ainsi épris de votre amour, vous l'avez captivé dans votre sein virginal et l'avez enfermé dans votre coeur.

234. Ce fut véritablement ici oh l'Épouse du Roi de gloire dormait, pendant que son coeur veillait (3).

 

(1) Eccles., XV, 2. — (2) Cant., IV, 1 et 9; ibid., VII, 1 et 5. — (8) Ibid.. V, 2.

 

Ses sens corporels dormaient, et à peine avaient-ils reçu leur forme naturelle, et avant que d'avoir joui de la lumière du soleil matériel, que ce coeur divin, bien plus incompréhensible par la grandeur de ses dons que par la petitesse de son être naturel, veillait dans le sacré sein de sa mère, y étant éclairé de la lumière de la Divinité, qui l'abîmait et l'embrasait dans le feu de son amour immense. Il n'était pas convenable que les puissances inférieures opérassent en cette divine créature avant les supérieures de l'âme, et que celles-ci eussent leurs opérations inférieures sans être égales à celles des autres créatures; car si l'opération répond à l'être de chaque chose, celle qui était supérieurs à toutes, et en dignité et en excellence, devait aussi agir avec une supériorité proportionnée à toutes les créatures, tant angéliques qu'humaines. Et non-seulement elle ne devait pas être privée de l'excellence des esprits angéliques, qui usèrent de leurs puissances dès l'instant de leur création; mais cette même grandeur et cette prérogative étaient dues à celle qui était créée pour être leur Reine et leur Maîtresse. Et avec d'autant plus d'avantages, que le nom et l'once de Mère de Dieu est plus considérable et plus relevé que celui de ses serviteurs, et que le titre de Reine est au-dessus de celui de sujets; car le Verbe n'a dit à aucun des anges : Vous êtes ma Mère, ni aucun d'eux n'a pu lui dire: Vous êtes mon Fils (1); ce commerce et cette mutuelle correspondance ne se

 

(1) Hebr., I, 5.

 

540

 

trouvant qu'entre Marie et le Verbe incarné; et c'est par là qu'il faut mesurer et rechercher la grandeur de Marie, comme l'Apôtre cherche celle de Jésus-Christ.

235. Je reconnais ma grossièreté; ma rudesse et mon insuffisance féminine, en écrivant ces divins secrets du Roi de gloire dans cet heureux temps, pour honorer et révéler ses oeuvres(1); je suis même affligée de ne pouvoir éviter de me servir des termes communs et vides , par lesquels je ne saurais exprimer ce que je découvre dans la lumière que mon âme reçoit de ces mystères. Il nous faudrait d'autres paroles, d'autres raisonnements et d'autres termes plus particuliers et plus proportionnés; mais ils sont au-dessus de mon ignorance. Et quand ils seraient même à ma disposition, ils surpasseraient et accableraient aussi la faiblesse humaine. Qu'elle se reconnaisse donc incapable de regarder fixement ce divin soleil, qui commence de venir au monde couronné de rayons de la Divinité, quoique couvert du nuage du sein maternel de sainte Anne. Que si nous voulons mériter l'avantage de nous approcher et de jouir de cette merveilleuse vision, venons-y libres et dépouillés, les uns de cette naturelle lâcheté , les autres de cette crainte et circonspection qui se couvrent du prétexte d'humilité. Mais approchons-nous-en avec une souveraine dévotion et avec une piété éloignée de tout esprit de contention (2), et alors il nous sera permis de voir de près

 

(1) Tob., XII, 7. — (2) Rom., XIII, 13 et 14.

 

541

 

le feu de la Divinité au milieu du buisson qu'il brûle sans le consumer (1).

236. J'ai dit que la très-sainte âme de Marie vit abstractivement dans le premier instant de sa très-pure conception l'essence divine, parce qu'il ne m'a pas été manifesté qu'elle ait vu la gloire essentielle; mais plutôt je pénètre que ce privilège fut singulièrement réservé pour la très-sainte âme de Jésus-Christ, comme lui étant dû et devant accompagner l'union substantielle de la Divinité en la personne du Verbe, afin que son âme ne fût pas un seul instant sans être unie avec elle par ses puissances et par une grâce souveraine et une éminente gloire. Car notre Seigneur Jésus-Christ commença d'être homme et Dieu tout ensemble; il commença aussi de connaître Dieu et de l'aimer comme compréhenseur. Mais l'âme de sa très-sainte Mère n'étant pas substantiellement unie à la Divinité, elle ne commença pas aussi à jouir de ce privilège, parce qu'elle venait su monde comme voyageuse. Néanmoins comme dans cet ordre elle était la plus immédiate à l'union hypostatique, elle eut aussi une autre vision proportionnée et la plus immédiate à la vision béatifique, mais pourtant inférieure à celle de Jésus-Christ, quoique supérieure. à toutes les visions et les révélations que les autres créatures ont jamais reçues de la Divinité, excepté sa claire vision et sa jouissance. Cela n'empêcha pas néanmoins que la vision que la Mère de Jésus-Christ reçut de la Divinité

 

(1) Exod., II, 2.

 

542

 

dans son premier instant, ne surpassât en quelque manière la claire vision de plusieurs, en ce qu'elle, y connut plus de mystères abstractivement , que quelques bienheureux ne le font par la vision intuitive. Et bien qu'elle ne vit pas la Divinité face à face dans le temps de sa conception, elle ne laissa pas de la voir après, plusieurs fois durant le cours de sa vie, comme je le dirai en continuant son histoire.

 

 

 

Instruction que la Reine du ciel me donna sur le chapitre précédent.

 

237. J'ai déjà dit que la Reine et Mère de miséricorde m'avait promis de me donner une instruction après avoir écrit les premières opérations de ses puissances et de ses vertus, afin de régler ma vie sur le très-pur miroir de la sienne; car c'était là la principale intention de cet avertissement. Et comme cette grande Reine, qui m'est toujours présente dans le temps que ces mystères me sont déclarés, est très-fidèle en ses promesses, elle a commencé à la fin de ce chapitre d'effectuer la parole qu'elle m'en avait donnée, et de faire ce qu'elle continuera régulièrement durant tout le reste de cet ouvrage. Ainsi je garderai cet ordre, écrivant à la fin des chapitres suivants ce que sa (543) Majesté m'enseignera, comme elle l'a fait présentement me tenant ce discours.

238 Ma fille, je veux que les mystères que vous  écrivez de ma très-sainte vie vous soient une occasion  de cueillir pour vous-même le fruit que vous désirez;  et que le prix de vos travaux soit la plus grande  pureté et perfection de votre vie, si vous vous dis posez, aidée de la grâce du Très-Haut, à m'imiter  par la pratique des choses que vous entendrez. C'est  la volonté de mon très-saint Fils que vous soyez a pénétrée de ce que je vous enseignerai, et que votre  plus grande application soit de considérer avec  toute l'estime de votre cœur mes vertus et mes  oeuvres. Écoutez-moi donc avec attention et avec foi, car je vais vous dire des paroles de vie éternelle , et vous enseigner ce qu'il y a de plus saint  et de plus parfait dans la vie chrétienne, et ce qui   est le plus agréable aux yeux de Dieu; c'est pour quoi vous commencerez dès à présent à vous disposer pour recevoir la lumière, en laquelle vous dé couvrirez les mystères cachés de ma très-sainte vie  et les instructions que vous souhaitez. Continuez  cet exercice, écrivez ce que je vous enseignerai pour ceci, et commencez de considérer :

239.« Que c'est un acte de justice que la créature doit à son Dieu éternel, quand elle reçoit l'usage de la raison , de lui adresser son premier mouvement dès qu'elle est en état de le connaître pour l'aimer, l'honorer et l'adorer comme son Créateur et son unique et véritable Seigneur. Que l'obligation naturelle des (544) parents est d'instruire et de conduire leurs enfants dans cette connaissance, aussitôt qu'ils arrivent à l'horizon de cette lumière raisonnable, en .les dirigeant et les élevant avec tant de soin, qu'ils ne soupirent . et n'aspirent qu'après leur dernière fin, et fassent tous leurs efforts pour la rencontrer par les premiers actes de leur raison et de leur volonté. Ils devraient aussi faire tout leur possible pour les retirer de ces puérilités déréglées, auxquelles la même nature dépravée s'incline si on la laisse sans quelque personne capable de l'instruire; car si les pères et les mères se mettaient de bonne heure à prévenir ces trompeurs enchantements et ces mauvaises habitudes de leurs enfants, en les élevant dès leurs premières années à la connaissance de leur Dieu et de leur Créateur, ils se trouveraient ensuite bien plus disposés à le reconnaître et à l'adorer. Ma sainte mère, ignorant ma sagesse et mon état, pratiqua cette conduite à mon égard avec tant d'exactitude et de diligence, qu'en me portant dans son sein, elle adorait en mon nom le Créateur, lui rendait pour moi un souverain honneur et de dues actions de grâces de ce qu'il m'avait créée, et le priait de me garder, de me défendre et de me tirer libre de l'état où je me trouvais alors. Les parents doivent ainsi demander à Dieu, avec ferveur, qu'il fasse par sa providence divine que les âmes de leurs enfants arrivent à recevoir le baptême, et soient délivrées de la servitude du péché originel.

240. « Que si la créature raisonnable n'avait pas connu et adoré le Créateur dans son premier usage de (545) la raison, elle doit le faire dans l'instant que cet Être infini et cet unique bien qu'elle ignorait auparavant viendra à sa connaissance par les lumières de la foi. Et l'âme doit faire tous ses efforts, l'ayant une fois connu, de ne le perdre jamais de vue, de le craindre, de l'aimer et de l'honorer toujours. Vous avez eu cette obligation, ma -fille, durant le cours de votre vie, mais je veux à présent que vous la pratiquiez avec plus de perfection, et selon que je vous l'enseignerai. Adressez la vue de votre âme à cet être adorable de Dieu, qui n'a ni principe ni fin, et regardez-le, infini en ses attributs et en ses perfections; considérez que lui seul est la sainteté véritable, le souverain bien, le plus noble objet de la créature, celui qui a donné l'être à tout ce qui est créé, et qui le maintient et le protège sans en avoir besoin. Il est la beauté sans défaut, Celui qui est éternel en amour, véritable dans ses paroles et très-fidèle dans ses promesses, et Celui qui a donné sa propre vie et s'est livré aux tourments pour le bien de ses créatures, sans qu'aucune l'ait mérité. Jetez votre vue et occupez vos puissances dans cet immense champ de bonté et de bienfaits, sans l'oublier ni. vous en éloigner jamais; parce que, ayant une fois pénétré si avant dans la connaissance du souverain bien, c'est une noire rusticité et une infidélité bien grande que d'en sortir et de l'oublier par la plus horrible des ingratitudes, comme serait la vôtre, si, après avoir reçu une lumière divine au-dessus de la commune et supérieure à celle de la foi infuse, votre. entendement et votre volonté s'égaraient du chemin de (546) l'amour de Dieu. Que s'il vous arrive quelquefois de le faire par votre faiblesse, revenez à vous pour le chercher, sans perdre courage, et adorez le Très-Haut avec toute la diligence et toute l'humilité possibles, lui rendant honneur et gloire, et des louanges éternelles. Je vous avertis aussi que cette pratique que vous devez continuellement exercer, tant pour vous que pour toutes les autres créatures, doit être votre occupation ordinaire, à laquelle je veux que vous soyez fort exacte.

241. « Pour vous animer davantage, méditez sur ce que vous avez découvert de mes oeuvres; comme cette première vue du souverain bien blessa si heureusement mon cœur de son amour, que je m'abandonnai entièrement à lui pour ne le perdre jamais. Et nonobstant cela, j'étais toujours sur mes gardes, sans me lasser de marcher jusqu’à ce que je fusse arrivée au centre de mes désirs et de mes affections; parce que l'objet étant infini, l'amour ne doit avoir non plus de fin et ne reposer que dans sa possession. La connaissance de vous-même et de votre bassesse doit suivre de près celle de Dieu et son amour; car l'une vous doit servir d'échelle pour monter à l'autre. Soyez assurée que ces vérités, bien pénétrées et bien pesées, produisent de divins effets dans les âmes. » Ayant ouï ces saintes paroles et plusieurs autres de la Reine du ciel, je dis à sa Majesté

242. « Très-haute et très-sainteDame, dont j'ai l'honneur d'être la servante, et à qui je me consacre de nouveau pour me rendre, autant qu'il m'est possible, (547) moins indigne de ce titre, ce n'était pas sans sujet que, par un effet de votre bonté maternelle, mon cœur désirait si fort cet heureux jour pour y contempler et connaître les grandeurs ineffables de vos vertus dans le miroir très-pur de vos opérations, et pour ouïr la douceur de vos salutaires paroles. Je déclare, ma divine Reine, du plus sincère de mon cœur, qu'il n'est rien en moi qui puisse mériter cette insigne faveur : car je tiendrais pour une témérité fort grande d'écrire votre très-sainte vie; et je croirais qu'elle ne mériterait aucun pardon, si, en le faisant, je n'obéissais à votre volonté èt à celle de votre très-saint Fils. Recevez, Vierge sainte, ce sacrifice de louange, et parlez, car votre très-humble servante vous écoute (1). Que votre très-douce voix, ma divine Princesse, résonne à mes oreilles (2), puisque vos paroles sont des paroles de vie (3). Continuez, Vierge sacrée, de me faire part de vos instructions et de vos lumières, afin que mon cœur s'étende sur cette mer immense de vos perfections, et qu'il ait un si digne sujet de louer le Tout- Puissant. Je brûle du feu que votre charité ardente a allumé dans mon sein pour ne désirer que ce qui est le plus parfait, le plus pur et le plus agréable à vos yeux : mais je sens en moi-même cette fatale loi de mes membres toujours rebelle à celle de l'esprit, qui me retarde et m'embarrasse (4), et je crains avec justice, Mère très-pitoyable, qu’elle ne m'empêche d'embrasser le bien que vous

 

(1) I Reg., III, 10 — (2) Cant., II, 14. — (3) Joan., VI, 69. — (4) Rom., VII, 23.

 

548

 

me proposez. Regardez-moi donc, ma bonne Reine, comme votre fille, enseignez-moi comme votre disciple, corrigez-moi comme votre servante, et forcez-moi comme votre esclave, dans mes négligences ou dans mes résistances : car ce ne sera pas ma volonté qui causera mes chutes, ce sera plutôt ma faiblesse. J'élèverai ma vue à la connaissance de l'être de Dieu, et, assistée de sa divine grâce, je règlerai mes affections,. afin qu'elles s'attachent à lui et qu'elles aiment ses perfections infinies; et si je le possède une fois, je ne l'abandonnerai jamais (1). C'est pourquoi je vous prie, bière de la belle connaissance et de l'amour le plus pur (2), de demander à votre Fils, mon Seigneur, la grâce de ne me pas délaisser, pour la grande complaisance qu'il eut lorsqu'il favorisa avec tant de profusion votre humilité (3), ô Reine et Maîtresse de l'univers !

 

(1) Cant., III, 4. — (2) Eccl., XXIV, 24. — (3) Luc., II, 48.

 

549

 

CHAPITRE XVII. Poursuivant le mystère de la conception de la très-sainte Vierge, le chapitre vingt-unième de l'Apocalypse me fut expliqué.

 

PREMIÈRE PARTIE DU CHAPITRE.

 

243. Le privilège que la très-sainte Vierge a reçu d'être conçue en grâce, renferme un si grand nombre de mystères et si fort cachés, que, pour m'en mieux informer, sa Majesté m'en déclara plusieurs de ceux que l'évangéliste saint Jean renferme dans le chapitre vingt-unième de l'Apocalypse, et me renvoya à l'explication que j'en recevrais. Pour dire quelque chose avec. ordre de ce qui m'en a été manifesté, je diviserai l'interprétation de ce chapitre en trois parties, pour éviter la fatigue qu'il pourrait causer sil restait entier. Je présenterai premièrement la lettre, selon sa teneur, cri la manière qui suit :

244 Je vis après un nouveau ciel et une nouvelle  terre; car le premier ciel et la première terre avaient  disparu, et il n'y avait plus de mer. Et moi, Jean,  je vis la sainte cité, la nouvelle Jérusalem qui venait  de Dieu et descendait du ciel, préparée comme une  épouse qui s'est ornée pour son époux. En même  temps j'ouïs sortir du trône une grande vois qui (549)  disait: Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes, et il habitera avec eux. Et ils seront son peuple, et Dieu même demeurera avec eux et sera leur Dieu : et  Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et il n'y aura plus de mort, ni de gémissements, ni de a cris, ni de douleurs, car les choses premières sont passées. Et Celui qui était assis sur le trône dit : « Voici, je fais toutes choses nouvelles. Et il me dit : « Écrivez, car ses paroles sont très-fidèles et véritables. Puis il ajouta : Tout est fait; je suis l'alpha  et l'oméga, le commencement et la fin. Je donnerai a gratuitement à boire de la fontaine de vie à celui qui  aura soif. Celui qui aura vaincu possèdera ces choses, et je serai son Dieu, et il sera mon fils. Mais pour  les lâches, les incrédules, les abominables, les homicides , les fornicateurs, les sorciers,. les idolâtres, et n tous les menteurs, leur partage sera dans l'étang brûlant de feu et de soufre, qui est la seconde mort (1). »

245. Cette partie est la première des trois de la lettre que j'expliquerai dans ce chapitre, en la divisant par ses versets. Je vis après (dit l'évangéliste) un nouveau ciel et une nouvelle terre (2). La très-pure Marie étant sortie des mains de Dieu tout-puissant, et le monde ayant déjà reçu la matière immédiate dont la très-sainte humanité du Verbe, qui devait mourir pour l'homme, se devait former, l'évangéliste dit qu'il vit un nouveau ciel et une nouvelle terre. Ce n'est pas sans une grande propriété que cette nature et le

 

(1) Apoc., XXI, 1-9. — (2) Ibid., 1.

 

sein virginal dans lequel et duquel elle se forma purent être appelés ciel (1), puisque Dieu commença d'habiter dans ce ciel d'une nouvelle manière, et bien différente de celle qu'il avait eue jusqu'alors dans l'ancien ciel et dans toutes les créatures. Le ciel même des bienheureux fut appelé nouveau après le mystère de l'incarnation, parce que la nouveauté, qui n'y était pas auparavant, lui venait de ce que les hommes mortels s'y trouvaient, et de l'innovation que la gloire de la très-sainte humanité de Jésus-Christ et de sa très pure bière aussi causa dans ce ciel; elle fut si grande après la gloire essentielle, qu'elle put renouveler les cieux et leur donner une nouvelle beauté et une splendeur particulière. Car, quoique les anges bienheureux y fussent, c'était une chose déjà passée, et par conséquent ancienne : ainsi il lui fut fort nouveau que le Fils unique du Père rendit aux hommes par sa mort le droit de la gloire, qu'ils avaient perdue par le péché, et qu'en la leur méritant de nouveau, il les introduisit dans le ciel, dont ils étaient privés, et dans l'impuissance de l'acquérir par eux mêmes. Et, parce que toute cette nouveauté du ciel eut son principe en la très-pure Marie, l'évangéliste dit avoir vu un nouveau ciel quand il la vit conçue sans le péché, qui en était le seul obstacle.

246. Il vit aussi une nouvelle terre, parce que l'ancienne terre d'Adam était maudite, souillée et coupable du péché qui lui faisait mériter la damnation

 

(1) Jerem., XXXI, 22.

 

552

 

éternelle; mais la terre sainte et bénie de Marie fut une nouvelle terre sans tache ni malédiction d'Adam : et si nouvelle, que depuis cette première formation il ne s'en était vu ni connu dans le monde aucune autre nouvelle jusqu'à la très-pure Marie, Elle fut si nouvelle et si exempte de la malédiction de l'ancienne terre, qu'en cette bénie terre toutes les autres terres des enfants d'Adam se renouvelèrent, puisque par la terre de la bénie Marie, et avec .elle et en elle, la masse terrestre d'Adam, qui avait été jusqu'alors maudite, et avait vieilli dans sa malédiction, fut bénie, renouvelée et vivifiée. Ainsi elle se renouvela toute par la très-pure Marie et par son innocence; et, comme cette innovation de la nature humaine et terrestre trouva son principe en elle, saint Jean dit qu'il vit en Marie conçue sans péché un nouveau ciel et une nouvelle terre. Il poursuit :

247. Car le premier ciel et la première terre avaient disparu (1). Il devait s'ensuivre que la nouvelle terre et le nouveau ciel de la très-sainte Vierge, et de son Fils homme et Dieu, venant et apparaissant au monde, l'ancien ciel et la vieille terre de la nature humaine et terrestre par le péché disparussent. II y eut un nouveau ciel pour la Divinité en la nature humaine, qui, étant préservée et exempte du péché, donnait une nouvelle habitation à Dieu même dans l'union hypostatique en la personne du Verbe. Le premier ciel, que Dieu avait créé en Adam, ne subsistant plus, s'étant

 

(1) Apoc., XXI, 1.

 

553

 

rendu indigne par la souillure de son péché que Dieu demeurât en lui, disparut, et il en survint un nouveau en la venue de Marie. Il y eut aussi un nouveau ciel de gloire pour a nature humaine : ce n'est pas que l'empyrée se changeât ou disparut, mais parce qu'il ne s'y trouvait aucun homme, plusieurs siècles s'étant écoulés sans qu'il y en eut : et en cela il n'était plus appelé premier ciel, car il fut renouvelé par les mérites de Jésus-Christ, qui commençaient déjà à poindre en l'aurore de la grâce, à savoir Marie sa très-sainte Mère : ainsi le premier ciel et la première terre, qui avaient été jusqu'alors sans remède, s'en allèrent. Et il n'y avait plus de mer, parce que la mer des abominations et des péchés, qui inondaient tout le monde et noyaient la terre de notre nature , disparut par la venue de la très-pure Marie et par celle de Jésus-Christ, puisque la mer de son précieux sang surpassa celle des péchés en la suffisance, et, en comparaison de cette mer et de son prix, il est sur qu'il n'est point de péché qui puisse subsister. Si les mortels voulaient profiter de cette mer infinie de la divine miséricorde et des mérites de notre Seigneur Jésus-Christ, tous les péchés seraient bannis du monde, car l'Agneau de Dieu est venu pour les détruire et les anéantir tous.

248. Et moi, Jean, je vis la sainte cité, la nouvelle Jérusalem, qui venait de Dieu et descendait du ciel, préparée comme une épouse qui s'est ornée pour son époux (1). Parce que tous les mystères commençaient

 

(1) Apoc., XXI, 2.

 

555

 

et prenaient leur fondement en la très-sainte vierge, l'évangéliste dit qu'il la vit sous la figure de la sainte cité de Jérusalem, etc. Car en cette métaphore il parla de notre auguste Reine; et il lui fut accordé de la voir, afin qu'il connut mieux le trésor qui lui avait été recommandé et confié au: pied de la croix, et qu'il le garda avec d'autant plus d'estime et de respect, qu'il en pénétrait mieux les grandeurs. Et, quoiqu'il n'y 'eùt personne qui ptit dignement suppléer à la présence du Fils de la vierge, néanmoins il était à propos que saint Jean, qui lui était substitué (1), fût particulièrement informé de la valeur de ce trésor, selon que le requérait la dignité dont il était honoré:

249. Les mystères que Dieu opéra en la sainte cité de Jérusalem l'ont rendue plus propre à servir de symbole à celle qui était ma Mère, le centre et l'abrégé de toutes les merveilles du Tout-Puissant; et par conséquent aussi de, l'Église militante et de la triomphante; Saint Jean étendit sa, vue sur toutes, comme un aigle; des plus nobles, par le rapport et par l'analogie que ces cités mystiques de Jérusalem ont entre elles. Mais sa fin fut de regarder singulièrement la suprême Jérusalem, la très-pure Marie, en qui se trouve l'abrégé de toutes les grâces, les merveilles, les dons et les excellences des églises militante et triomphante. Car tout ce qui se fit dans la Jérusalem de Palestine, et tout ce gui elle et ses habitants signifient, est compris dans la très-sacrée vierge Marie, la sainte cité de Dieu,

 

(1) Jaon., XIX, 27.

 

avec bien plus d'excellence qu'en tout le reste. du ciel, de la terre et des pures créatures qu'ils renferment. C'est pour ce sujet qu'il l'appelle nouvelle Jérusalem, parce que tous ses dons, toutes ses grandeurs et toutes ses vertus sont nouvelles, et causent aux saints une nouvelle merveille. Nouvelle, parce qu'elle fut après tous les anciens pères, tous les patriarches et tous les prophètes, et que leurs clameurs, leurs oracles et leurs promesses s'accomplirent et se renouvelèrent en elle. Nouvelle, parce qu'elle vient sans souillure de péché, et descend de la grâce par un sien nouvel ordre, et très-éloignée de la loi commune du péché. Enfin elle est nouvelle, parce qu'elle entre au monde triomphant du démon et de la première erreur, qui est la chose la plus nouvelle qui s'y fût encore vue depuis son commencement.

250. Parce que ce prodige était nouveau en la terre et qu'il ne pouvait pas venir d'elle, l'évangéliste dit qu’il descendait du ciel. Et quoique le sujet de nos admirations descendît par l'ordre commun de la nature d'Adam ; néanmoins ce ne fut pas par le grand et ordinaire chemin du péché, par on tous es prédécesseurs, enfants de ce premier coupable, avaient passé. Il y eut un autre décret dans la divine prédestination pour cette seule Reine, et il s'ouvrit une nouvelle voie par où elle vint avec son très-saint Fils au monde, sans qu'aucun autre des mortels eût le privilège d'y passer ni de les y suivre dans cet ordre particulier de la grâce. Ainsi elle descendit nouvelle, dès le ciel de l'entendement et des dispositions éternelles de Dieu.

 

556

 

Et lorsque les autres enfants d'Adam descendent de la terre terrestre et souillés par cette même terre, cette Reine de l'univers vient du ciel, comme descendante seule de Dieu par l'innocence et par la grâce; car nous disons communément que quelqu'un vient de cette maison d'où il descend, et qu'il descend d'où il a reçu l'être qu'il tient. L'être naturel que la très-pure Marie a reçu d'Adam, à peine se peut-il apercevoir en la considérant Mère du Verbe, et comme à côté du Père éternel par la grâce et par la participation qu'elle en reçut à cause de cette dignité. Et cet être étant en elle l'âtre principal, celui qu'elle tient de la nature sera comme accessoire et moins principal; et ainsi l'évangéliste regarda le principal, qui descendit du ciel, et non pas l'accessoire, qui vint de la terre.

251.  Il poursuit, en disant qu'elle venait préparée comme une épouse qui s'est ornée pour son époux. L'on cherche parmi les mortels, pour le. jour des épousailles, les plus riches et les plus propres ornements qu'on puisse trouver pour parer et embellir l'épouse terrestre; quoique même les pierreries se trouvent empruntées, pourvu que rien ne manque ni à sa qualité ni à son état. Or, si nous avouons, comme il le faut nécessairement, que la très-pure Marie fut en telle sorte Épouse de la très-sainte Trinité, qu'elle était aussi Mère de la personne du Fils, et que pour être disposée à ces dignités elle fut ornée par le même Dieu tout-puissant, infini, riche, mm borne et sans mesure; quels furent donc les ornements, les (557) préparatifs et les joyaux avec lesquels il embellit et orna son Épouse et sa Mère, afin qu'elle fût digne de lui? En aurait-il peut-être réservé quelqu'un dans ses trésors? Lui aurait-il refusé quelque grâce dont la puissance de son bras la pouvait parer et enrichir? L'aurait-il laissée laide,, difforme, en désordre et tachée en quelque endroit ou pour quelques instants? Serait-il avare envers sa Mère et envers son Épouse, lui qui verse avec tant de profusion les trésors de sa divinité sur les autres âmes, qui sont à son égard moins que les servantes et les esclaves de sa maison? Elles avouent toutes, avec le même Seigneur, que l'élue et la parfaite est. unique (1) , et que toutes les autres la doivent reconnaître , déclarer et glorifier pour l'immaculée et la très-heureuse entre toutes les femmes; et, ravies d'admiration en la considérant, elles s'interrogent pénétrées de joie et de ses louanges : Qui est celle qui parait comme l'aurore, qui est belle comme la lune, élue comme le soleil, et terrible comme une armée bien rangée (2)? C'est la très-pure Marie, l'.unique Épouse et la Mère du Tout-Puissant, qui descendit au monde comme l'Épouse de la très-sainte Trinité, ornée et disposée pour son Époux et pour son Fils. Cette venue et cette entrée se firent avec tant de dons de la Divinité, quo sa lumière la fit plus agréable que l'aurore, plus, belle que la lune, plus singulière que le soleil et sans Égale, plus forte et plus puissante que toutes les armées du ciel et des

 

(1) Cant., VI, 8. — (2) Ibid. 3.

 

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saints. Elle descendit ornée et enrichie pour Dieu, qui lui donna tout ce qu'il voulut, et lui voulut donner, tout ce qu'il put, et lui put donner tout ce qui n'était pas l'être de Dieu; mais il lui accorda tout ce qui une pure créature était capable de recevoir de plus immédiat à sa divinité, et de plus éloigné du péché. Cet ornement fut très-achevé et très-parfait; il ne le serait pas s'il lui manquait quelque chose , comme il lui manquerait s'il eût été quelques instants sans l'innocence et sans la grâce. Que si les richesses et les ornements de la grâce eussent été appliqués sur une personne souillée du péché, ils n'auraient pas pu la faire si belle qu'on la dit; car on aurait beau travailler et embellir un habit de la plus riche broderie, si son étoffe était difforme et tachée, on y découvrirait toujours quelque vilaine marque qui le rendrait désagréable. Le tout serait indigne de la pureté de Marie, et indécent à sa dignité de Mère et d'Épouse de Dieu; et étant injurieux à elle-même, il le serait aussi à cette Majesté infinie, qui ne l'aurait as ornée ni enrichie avec cet amour d'Époux ni avec cette tendre prévoyance de Fils, si, ayant en son pouvoir les plus beaux, les plus propres et les plus précieux ornements, il n’avait employé que les pires et les plus malpropres pour revêtir sa Mère, son Épouse et soi-même. .

252. Il est déjà temps que l'entendement humain se tire de sou assoupissement et s'étende sur l'honneur de notre grande Reine; et que ceux qui, étant fondés en une opinion s'opposent à son honneur, se taisent et cessent de la dépouiller et de lui ravir l'ornement (559) de son immaculée pureté dans l'instant de sa divine conception. Je déclare une et plusieurs fois, par la force de la vérité et de la lumière en laquelle je vois ces mystères ineffables, que tous les privilèges, toutes les grâces, toutes les prérogatives, toutes les faveurs et tous les dons de la très-pure Marie, y comprenant la dignité de Mère de Dieu, tous dépendent et tirent leur origine, selon qu'on me le découvre., d'avoir été immaculée, pleine de grâce en sa conception très-pure; de sorte que sans ce privilège tous les autres paraîtraient défectueux, ou comme un superbe édifice sans fondement solide et sans proportion. Ils se rapportent tous, par un certain ordre et par un enchaînement inséparable, à la pureté et à l'innocence de la conception. C'est pourquoi il a été nécessaire de toucher si souvent ce mystère dans le récit de cette histoire, dès les décrets divins et la formation de Marie et de son très-saint Fils en tant qu'homme. Je ne m'y étends plus présentement, mais je vous avertis, tous que la Reine du ciel estima si fort l'ornement et la beauté qu'elle avait reçue de sou Fils et de son Époux en sa très-pure conception, que c'est par rapport à cette insigne faveur que se règlera l'indignation qu'elle aura contre ceux qui prétendront de la lui ôter et de la noircir par leurs disputes et par leur opiniâtreté, dans le temps que son très-saint Fils a bien voulu la manifester au monde avec un si riche appareil et avec tant de beauté, pour sa propre gloire et pour l'espérance et la consolation des mortels. L'évangéliste poursuit :

 

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253. Et jouis une grande voix du trône qui disait Voici le tabernacle de Dieu avec les hommes, et il habitera avec eux, et ils seront son peuple, etc. (1). La voix du Très-Haut est grande, forte, douce et efficace pour émouvoir et pour attirer à soi toute la créature. Telle fut cette voix qui sortait du trône de la très-sainte Trinité et qui se fit entendre à saint Jean, de sorte qu'elle captiva toute l'attention qu'elle lui demandait, en lui disant de considérer avec attention le tabernacle de Dieu, afin de recevoir par cette même attention une connaissance parfaite du mystère qui lui était manifesté dans la vision du tabernacle de Dieu avec les hommes, qu'il demeurerait avec eux, qu'il serait leur Dieu et qu'eux seraient son peuple. Tout cela était renfermé dans la vue de l'heureuse descente du ciel de la très-pure Marie en la forme que j'ai déjà dite; car ce divin tabernacle de Dieu étant au monde, il s'ensuivait que le même Dieu serait aussi avec les hommes, puisqu'il résidait dans son tabernacle sans s'éloigner jamais de lui. Et ce fut comme si l'on eût voulu dire à l'évangéliste : Le Roi de l'univers ayant son palais et sa cour sur la terre, il n'y a point de doute que ce ne soit pour y venir demeurer. Et Dieu devait habiter d'une telle façon dans ce sien tabernacle, qu'il en prît la forme humaine, en laquelle il devait converser dans le monde, habiter avec les hommes, être leur Dieu et eux son peuple (2), comme un héritage que son Père lui donnait et à sa Mère aussi. Le Père éternel

 

(1) Apoc., XXI, 8. — (2) Gal., IV, 4.

 

nous donna pour héritage à son très-saint Fils, non-seulement parce qu'en lui et par lui il créa toutes choses, et lui en donna la possession dans l'éternelle génération; mais aussi parce qu'en tant qu'homme lii nous racheta en notre même nature, nous acquit pour son peuple et pour son héritage paternel, et nous fit ses propres frères (1). Par la même raison de la nature humaine, nous filmes et nous sommes l'héritage et la légitime de sa très-sainte Mère; parce qu'elle donna su Verbe éternel la forme du corps humain, de sorte qu'elle nous fit son acquisition. Et étant la Fille du Père éternel, la Mère du Verbe et l'Épouse du Saint-Esprit, elle était par conséquent la maîtresse de toutes les créatures, car son . Fils unique devait hériter de toutes choses; et ce que les lois humaines établissent pour de bonnes raisons naturelles, ne devait pas moins être établi par les lois divines.

254. Cette voix sortit du trône céleste par l'organe d'un ange qui disait à peu près, avec une sainte émulation , à l'évangéliste : Considérez avec toutes. vos attentions le tabernacle de Dieu avec les hommes, il doit demeurer avec eux, eteux doivent êtreson peuple; il sera leur frère et il prendra leur même forme par le moyen de ce tabernacle, l'auguste Marie, que vous voyez descendre du ciel par sa conception et par sa formation. Mais nous pouvons répondre à ce courtisan céleste d'une manière agréable et pleine de joie,

 

(1) Tit, II,14.

 

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que le tabernacle de Dieu est fort Bien avec nous, puisqu'il est à nous, et que par lui Dieu doit aussi être à nous en y recevant la vie et le sang qu'il doit offrir pour nous; et que par cette vie il doit nous acquérir et nous faire son peuple, et demeurer avec noua comme dans son domicile (1), puisque nous le recevrons au très-saint Sacrement, et qu'il nous fera par cette heureuse réception son tabernacle. Que ces divins esprits se contentent d'être nos aînés et dans de moindres nécessités que les hommes. Nous sommes les faibles cadets, et d'une santé si fragile, que nous avons besoin des caresses et des faveurs de notre Père et de notre Frère. Qu'il vienne donc au tabernacle de sa Mère et de la nôtre; qu'il prenne de son sein virginal la forme de la chair humaine; que la Divinité y soit couverte comme dans un voile sacré, et qu'il demeure avec nous et en nous. Ayons-le si proche, qu'il soit notre Dieu, et que nous soyons son peuple et son habitation. Que les esprits angéliques soient ravis d'admiration et le bénissent de tant de merveilles; et nous en devons jouir en les imitant dans leur reconnaissance, dans leurs louanges et dans leur amour. Le texte poursuit

255. Et Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et il n'y aura plus de mort, de gémissements, de cris ni de douleurs, etc. (2). Les larmes que le péché tirait des yeux des mortels, furent essuyées par le fruit de la rédemption humaine, dont nous eûmes

 

(1) Joan., VI, 57. — (2) Apoc., XXI, 4.

 

des gages assurés en la conception de la très-pure Marie; car il ri est point de mort, point de douleurs ni de pleurs pour ceux qui profiteront des miséricordes du Très-Haut, du sang et des mérites de son Fils, de ses sacrements, des trésors de sa sainte Église et de l'intercession de sa très-sainte Mère pour les obtenir; parce que la mort du péché n'est plus, et tout son ancien venin et ses fatales suites sont arrivées à leur fin. Les véritables larmes ont suivi les enfants de perdition dans le profond de l'abîme, où elles ne tariront jamais. La douleur des travaux n'est pas une vraie douleur, ni les larmes qu'elle cause, mais plutôt apparentes, car elles peuvent se trouver avec la souveraine et véritable joie, et étant reçues avec tranquillité et résignation, elles sont d'un prix inestimable (1), le Fils de Dieu les ayant choisies pour soi, pour sa Mère et pour ses frères, comme un gage de son amour.

256. Il n'y aura aussi ni cris ni voix turbulentes, parce que les justes, comme de douces et de tendres brebis qui vont être sacrifiées (2), doivent apprendre à se taire à l'exemple de leur divin Maître et de sa très-humble bière. Car les amis de Dieu doivent renoncer su droit que la faible et délicate nature a de chercher quelque soulagement dans ses plaintes et dans ses gémissements, en voyant sa Majesté, qui est leur chef et leur modèle, humiliée jusqu'à la mort honteuse de la croix (3), pour réparer les dommages

 

(1) Rom., V, 3. — (2) Isa., LIII, 7. — (3) Phil., II, 8.

 

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de nos impatiences et de nos inquiétudes. Avec quelles raisons pourrait-on accorder à notre nature, qu'à la vue d'un tel exemple, elle se troublât et se plaignit dans les travaux? Comment lui peut-on permettre d'avoir des mouvements déréglés et contraires à la charité, lorsque Jésus-Christ vient établir la loi de l'amour fraternel ? L'évangéliste ajoute qu'il n'y aura plus de douleurs, parce que, s'il en devait rester quelqu'une parmi les hommes, ce serait la douleur de la mauvaise conscience; mais l'incarnation du Verbe dans le sein de la très-sainte Vierge lui fut un si doux remède, que cette douleur est à présent une cause de consolation et de joie, ne méritant plus le nom de douleur, puisqu'elle contient la plus douce et la plus agréable de toutes les joies, et que par sa venue au monde les choses premières disparurent, qui étaient les douleurs et les rigueurs inefficaces de l'ancienne loi, parce que toutes choses furent radoucies et achevées par la surabondance de la loi évangélique qui nous comblait de grâce. C'est pourquoi l'évangéliste dit ensuite : Voici, je fais toutes choses nouvelles (1). Cette voix sortit de, Celui qui était assis sur le trône, parce que, lui-même se déclara l'auteur de tous les mystères de la nouvelle loi de l'Évangile. Et donnant le principe à cette nouveauté si admirable et si inouïe parmi les créatures, que le fut de faire incarner le Fils unique du Père éternel, que de lui donner une Mère vierge et très-pure, il était nécessaire que toutes

 

(1) Apoc., XXI, 5.

 

choses étant nouvelles; il n'y eût rien de vieux en sa très-sainte Mère; et ne pouvant pas nier que le péché originel ne fût quasi aussi ancien que la nature, nous devons inférer de là que, s'il se fût trouvé en la Mère du Verbe incarné, il n'aurait pas fait toutes choses nouvelles.

257. Et il me dit : Écrivez, car ces paroles sont très-fidèles et véritables; puis il ajouta : Tout est fait, etc. (1). Selon notre manière de parler, Dieu est fort outré qu'on oublie les marques du grand amour qu'il nous a témoigné dans son incarnation et dans la rédemption du genre humain; et afin de laisser une perpétuelle mémoire de tant de faveurs, et pour suppléer à notre ingratitude, il commande qu'on les écrive. Ainsi les mortels les devraient écrire et graver dans leurs coeurs, et craindre l'offense qu'ils commettent contre Dieu par un oubli si brutal et si exécrable. Et quoiqu'à la vérité les catholiques conservent la foi et la créance de ces mystères, ils semblent néanmoins, par le mépris qu'ils témoignent à les reconnaître, et par celui qu'ils supposent en les oubliant, les nier tacitement, vivant comme s'ils ne les croyaient pas. Et afin qu'ils aient un accusateur de leur très-noire ingratitude, le Seigneur dit que ces paroles sont très-fidèles et véritables. Et puisqu'il n'y a rien de si constant, qu'on considère avec indignation l'infâme brutalité que les mortels pratiquent en dissimulant et en méconnaissant ces vérités, qui, étant en

 

(1) Apoc., XXI, 5.

 

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effet très-fidèles, seraient aussi très-efficaces pour émouvoir le coeur humain et pour vaincre sa dureté, si on s'en remplissait la mémoire, et si on les ruminait et pesait comme fidèles, certaines et infaillibles, considérant que Dieu les opéra toutes pour chacun de nous.

258. Mais comme les dons de Dieu ne sont pas sujets au repentir (1), car il ne révoque point le bien qu'il fait, quoiqu'il y soit provoqué par les offenses des hommes, il dit que tout est déjà fait (2). Comme s'il nous disait que, bien que nous l'ayons irrité par notre ingratitude, il ne veut pas suspendre les effets de son amour; ou disons plutôt qu'ayant envoyé la très-sainte Vierge au monde sans péché originel, il donne pour certaines toutes les choses qui regardent le mystère de l'incarnation; puisque, Marie se trouvant très-pure en la terre, il semblait que le Verbe éternel fût comme forcé de descendre du ciel pour prendre chair humaine dans son sein, et que cette vaste demeure ne lui suffisait pas. Il nous en donne de plus fortes preuves lorsqu'il dit: Je suis l'alpha et r oméga, la première et la dernière lettre, qui, comme le principe et la fin, renferment la perfection de toutes les oeuvres écrites; parce que , si je leur donne un commencement, ce n'est que pour les conduire jusqu'à la perfection de leur dernière fin : comme je le ferai par le moyen de cet ouvrage admirable, Jésus et Marie; car j'ai commencé par cet ouvrage, et par lui j'achèverai

 

(1) Rom., XI, 29. — (2) Apoc., XXI, 6.

 

verai toutes les oeuvres de la grâce, et j'attirerai à moi toutes les créatures en l'homme, comme à leur dernière fin et à leur unique centre, où elles doivent trouver leur véritable repos.

259. Je donnerai gratuitement à boire de la fontaine de vie à celui qui aura soif. Celui qui aura vaincu possèdera ces choses, etc. (1). Laquelle des créatures a prévenu toutes les autres pour donner des conseils à Dieu, ou pour lui faire quelque don qui l'obligeât au retour (2)? L'Apôtre nous fait cette proposition afin que nous soyons persuadés que tout ce que Dieu fait et a fait pour les hommes a été fait gratuitement et sans qu'il y fût obligé. La source des fontaines ne doit son cours à qui que ce soit de ceux qui y vont boire; ses eaux se donnent gratuitement à tous ceux qui les ;abordent. Que si tous ne participent pas à ses liquides trésors, ce n'est pas la faute de la source, mais de ceux qui sont assez négligents pour n'y pas aller étancher leur soif, puisqu'elle les convie avec tant de profusion et de complaisance (3). Et pour épargner encore nos peines, elle-même sort et va chercher les nécessiteux par des courses continuelles, s'offrant à tous d'une manière très-agréable. O tiédeur insupportable des mortels ! O ingratitude abominable! Si le véritable Seigneur ne nous doit rien et s'il nous a tout donné par grâce, et qu'entre toutes la plus grande fut de s'être fait homme et de mourir pour nous, parce qu'en cette faveur ii se donna entièrement

 

(1) Apoc., XXI, 6 et 7. — (2) Rom., V, 34 et 35. — (3) Joan., VII, 37.

 

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à nous, l'impétuosité de la Divinité ne cessant point jusqu'à ce qu'elle eût trouvé notre nature pour s'unir à elle et par elle à nous (1) : comment est-il possible, qu'étant si avides d'honneur, de gloire et de plaisirs, nous ne nous adressions pas à cette fontaine pour y puiser toutes ces choses qu'elle nous offre si libéralement (2) ? Mais j'en découvre la cause : c'est que nos avidités ne sont pas pour la véritable gloire, ni pour le véritable honneur, ni pour les véritables plaisirs; que nous ne soupirons qu'après les félicités trompeuses et apparentes, et que nous méprisons et négligeons les fontaines de la grâce et de toute consolation que notre Seigneur Jésus-Christ nous a ouvertes par ses mérites et par sa mort. A celui qui aura soif de la divinité et de la grâce, le Seigneur dit qu'il lui donnera gratuitement de la fontaine de vie. Hélas! quel spectacle digne de nos larmes et de notre compassion est celui de voir que la fontaine de vie s'étant découverte et même offerte, il y en ait si peu qui en soient altérés, et qu'il s'en trouve tant qui courent après les eaux de la mort (3) ! Mais courage, car celui qui vaincra en lui-même le diable, le monde et sa propre chair, possédera ces choses. Et il dit qu'il les aura, parce que, les recevant par grâce, il pourrait craindre d'en être privé, ou qu'on ne les lui révoquât dans quelque temps. C'est pourquoi, pour l'en assurer, on lui dit qu'on lui en donnera la possession sans restriction.

 

(1) Ps. XLV, 5. — (2) Isa., LV, 1. — (3) Jerem., II, 13.

 

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260. Et il y est encore plus affermi par une nouvelle et plus grande assurance, le Seigneur voulant bien ajouter ces paroles : Je serai son Dieu, et il sera mon fils (1) ; que s'il est notre Dieu et si nous sommes ses enfants, il s'ensuit de là que nous devons être héritiers de ses biens; étant héritiers (quoique tout l'héritage soit gratuit), nous le possédons pourtant avec sûreté, comme les enfants possèdent les biens de leur père (2). Et étant Père et Dieu tout ensemble, infini en ses attributs et en ses perfections, qui pourra exprimer ce qu'il nous offre en nous faisant ses enfants? car cette qualité renferme l'amour paternel, la conservation, la vocation, la vivification, la justification, les moyens pour y arriver et pour la fin du tout , la glorification et l'état bienheureux que les yeux n'ont point vu, ni les oreilles n'ont point entendu, ni le coeur de l'homme n'a pu concevoir (3). Et le tout est pour ceux qui vaincront et qui seront des enfants courageux et véritables.

261. Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les homicides, les fornicateurs, les sorciers, les idolâtres et tous les menteurs, etc. (4). Tous ces innombrables enfants de perdition ont écrit leurs noms de leurs propres mains dans ce registre formidable; car le nombre des insensés qui ont préféré la mort à la vie, est infini (5). Ce n'est pas que les voies qui conduisent à cette vie soient cachées à ceux qui ont des

 

(1) Apoc., XXI, 7. — (2) Rom., VIII, 17. — (3) I Cor., II, 9. — (4) Apoc., XXI, 8. — (5) Eccles., I, 15.

 

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yeux pour s'en servir; mais parce que ceux-là les ferment à la lumière, et se sont laissés et se laissent tromper et aveugler par les embûches de Satan, .qui offre aux différentes inclinations et aux appétits dépravés des hommes, le mortel venin déguisé sous les diverses douceurs apparentes des vices qui flattent leurs passions (1). Aux lâches, qui sont continuellement agités et irrésolus, parce qu'ils n'ont pas goûté la douce manne de la vertu, et ne sont pas entrés dans le chemin de la vie éternelle; à ceux-là,il la représente insipide et terrible; et cependant le joug du Seigneur est doux et son fardeau fort léger (2). Ainsi trompés par cette terreur panique, ils sont plutôt vaincus par la paresse que par le travail. Pour ce qui est des incrédules, ou ils n'admettent point les vérités révélées, et ne leur donnent aucune créance, comme les hérétiques, les païens et les infidèles; ou, s'ils les croient, comme les catholiques, il semble qu'ils ne les entendent que de fort loin, et qu'ils. les croient plutôt pour les autres que pour eux-mêmes. Ainsi leur foi étant morte, ils opèrent comme des incrédules (3).

262. Les abominables, qui s'abandonnent à toutes sortes de vices avec impudence, se glorifiant de leurs méchancetés, Dieu les a en horreur, il les méprise et les retarde comme des exécrables et des rebelles qui sont presque dans l'impuissance de faire le bien; et s'éloignant du chemin de la vie éternelle, comme

 

(1) Sap., IV, 12. — (2) Matth., XI, 30. — (3) Jacob., II, 25.

 

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s'ils n'étaient pas créés pour elle, ils se séparent de Dieu, renoncent à ses faveurs et à ses bénédictions, et sont maudits du Seigneur et des saints. Quant aux homicides, qui usurpent sans crainte ni respect de la justice divine le droit que le souverain Seigneur a de gouverner cet univers et d'y châtier et venger les injures, ils seront mesurés et jugés avec la même mesure qu'ils ont voulu mesurer et juger les autres (1). Les fornicateurs, qui, pour un plaisir sale et passager dont la fin est toujours accompagnée de regret et d'horreur, sans pourtant que l'appétit désordonné en soit rassasié, renoncent à l'amitié de Dieu et méprisent les voluptés éternelles, qui plus elles rassasient, plus elles sont désirées, et qui, en remplissant tous nos souhaits, ne finiront jamais. Les sorciers, qui croient et se confient aux fausses promesses du dragon, caché sous les apparences d'ami, sont trompés et pervertis pour tromper et pervertir les autres. Les idolâtres, qui ne trouvèrent pas cette divinité qu'ils cherchaient et qui est si proche de tous (2), l'attribuant à qui ne la pouvait pas avoir, parce qu'ils en voulaient être eux-mêmes les distributeurs et l'appliquer à leurs propres ouvrages, qui n'étaient que des ombres inanimées de la vérité, incapables de contenir la grandeur de l'être du véritable Dieu. Les menteurs, qui s'opposent à la suprême vérité, qui est Dieu, et qui, pour s'en éloigner davantage, se privent de sa rectitude et de sa vertu, ayant plus de confiance au mensonge trompeur

 

(1) Luc., VI, 38. — (2) Act., XVII, 27.

 

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qu'à l'auteur de la vérité et de tout bien (1).

263. L'évangéliste dit, parlant de toua ces malheureux, avoir ouï que leur partage serait dans l'étang brûlant de feu et de soufre, qui est la seconde mort. Personne ne se peut plaindre de l'équité et de la justice divine; puisqu'ayant justifié sa cause par la multitude de ses bienfaits, et par tant d'effets de son infinie miséricorde; descendant du ciel pour vivre et pour mourir parmi les hommes, et les racheter par sa propre vie et par son propre sang; nous laissant dans sa sainte Église tant de fontaines de grâces pour nous les distribuer, sans que nous les eussions méritées, et surtout la Mère de la même grâce et la fontaine de la vie, la très-pure Marie, par le moyen de laquelle nous la pussions obtenir : les mortels n'ont pas voulu profiter de tous ces trésors, et qu'ils ont renoncé à la vie pour courir après l'héritage de la mort par un plaisir d'un moment; il ne faut donc pas être surpris s'ils recueillent ce qu'ils ont semé, et si leur partage est le feu éternel dans cet abîme formidable de soufre, où il n'est point de rédemption ni aucune espérance de vie, pour avoir encouru la peine de la seconde mort. Et, quoique cette mort soit infinie par son éternité, néanmoins la première mort du péché, dont les réprouvés ont fait le choix, est bien plus terrible, parce qu'elle fut une mort à la grâce que le péché leur causa, lui qui s'oppose à la bonté et à la sainteté infinies de Dieu, qu'ils offensaient lors

 

(1) Jerem., II, 13. — (2) Apoc., XXI, 8.

 

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qu'ils étaient dans les plus fortes obligations de l'adorer et de le servir. Et la mort de la peine est une juste punition de celui qui mérite d'être condamné à ces flammes dévorantes, que l'attribut de sa justice très-équitable lui applique; et par les effets de cette même justice, il est exalté et glorifié, comme par le péché il avait été méprisé et offensé. Que ce miséricordieux et juste Seigneur soit craint et adoré par tous les siècles. Amen.

 

 

CHAPITRE XVIII. Il poursuit le mystère de la conception de la très-pure Marie par la seconde partie du chapitre vingt-unième de l'Apocalypse.

 

264. La lettre du chapitre vingt-unième de l'Apocalypse, que je poursuis, est celle-ci: a Aussitôt il vint  un des sept anges qui avaient les fioles pleines des  sept dernières plaies, et, parlant à moi, il me dit : « Venez, et je vous montrerai l'épouse qui est mariée  avec l'Agneau. Et il me transporta en esprit sur une  grande et haute montagne, et il me fit voir la ville  sainte de Jérusalem, qui descendait du ciel et venait  de Dieu; elle était vêtue de la clarté de Dieu, et sa  lumière était semblable à une pierre précieuse,  comme une pierre de jaspe transparente comme le (574) cristal. Elle avait une grande et haute muraille  ayant douze portes, où étaient douze anges et des  inscriptions qui contenaient les noms des douze tribus des enfants d'Israël. Il y avait vers l'orient trois  portes; vers l'aquilon, trois portes; vers le midi,  trois portes; et vers l'occident, trois portes. La  muraille de la ville avait douze fondements, où  étaient écrits les douze. noms des douze apôtres de  l'Agneau. Et celui qui parlait à moi avait pour règle  une canne d'or, dont il devait mesurer la ville, et  ses portes et sa muraille. Et la ville était d'une  figure carrée, aussi longue que large. Et il mesura  la ville avec la canne d'or par douze mille stades,  et la longueur, la largeur et la hauteur en étaient  égales. Il mesura aussi les murailles, qui étaient de, cent quarante-quatre coudées, avec la mesure de  l'homme, qui est celle de l'ange. Et ses murailles  étaient bâties de pierre de jaspe: mais la ville était  d'or très-pur, semblable à du verre fort clair (1). »

265. Ces anges, dont (évangéliste parle en cet endroit, sont sept, de ceux qui assistent particulièrement devant le trône de Dieu, et auxquels sa Majesté a donné la charge et le pouvoir de châtier certains péchés des hommes (2). Cette vengeance de la colère du Tout-Puissant arrivera dans les derniers siècles du monde, et la punition sera si extraordinaire, qu'il ne s'en sera jamais vu de semblable. Ces mystères sont si fort cachés, que je ne les puis pas tous pénétrer; et parce que

 

(1) Apoc., XXI, 9-18. — (2) Id., XV, 1.

 

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tous ne regardent pas cette histoire, et qu'il n'est, pas même convenable que je m'y arrête, je passe à ce qui est de mon sujet. Cet ange qui parla à saint Jean est celui par lequel Dieu vengera singulièrement, d'une manière formidable, les injures qu'on aura faites à sa très-sainte Mère, pour avoir irrité, en la méprisant par une folle témérité, l'indignation de sa toute puissance. Car la très-sainte Trinité s'étant engagée d'honorer et d'élever cette Reine du ciel sur toutes les créatures humaines et angéliques, et de la donner au monde comme un miroir de la Divinité et pour la médiatrice incomparable des mortels, Dieu même prendra un soin particulier de venger les hérésies, les eoeurs, les blasphèmes et toutes les injures qu'on aura commises contre elle, comme aussi de ne l'avoir pas glorifié, reconnu et adoré en ce sien tabernacle, et de n'avoir pas profité d'une si grande faveur. Toutes ces punitions sont prophétisées dans la sainte Église. Et quoique l'énigme de l'Apocalypse couvre par son obscurité cette rigueur, malheur, néanmoins, à ceux qui se l'attireront! Hélas! que je l'appréhende, moi qui ai offensé un Dieu si fort et si puissant à punir! Je suis abîmée dans la connaissance de tant de calamités dont il nous menace.

266. L'Ange parla à l'évangéliste, et il lui dit Venez, et je vous montrerai l'Épouse qui est mariée d l'Agneau, etc. (1). Il déclare ici que la sainte cité de Jérusalem, qu'il lui montra, est cette femme qui est

 

(1) Apoc., XXI, 9.

 

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l'Épouse de l'Agneau, prétendant de parler sous cette métaphore (comme j'ai déjà dit) de la très-sainte Vierge, que saint Jean regardait Mère et Épouse de l'Agneau, qui est Jésus-Christ; parce que notre Reine eut ces deux offices et les exerça divinement. Elle fut digne Épouse de la Divinité, et singulière par la grande foi (1) et par l'amour particulier avec lequel ces épousailles se firent et s'achevèrent : elle fut Mère du même Seigneur incarné, en lui donnant sa propre substance, la chair mortelle, la nourriture et l'entretien dans les nécessités de la forme humaine qu'elle lui avait donnée. L'évangéliste fut transporté en esprit sur une haute montagne de sainteté et de lumière, pour y être mieux disposé à y apercevoir et à pénétrer des mystères si relevés : car il ne les pouvait pas comprendre sans être élevé au-dessus de la faiblesse humaine, comme pour cette raison nous, qui sommes des créatures imparfaites, terrestres et lâches, n'y pouvons rien découvrir. Et dans ce transport, il dit : Il me fit voir la ville sainte de Jérusalem qui descendait du ciel (1), comme n'étant pas construite ni formée sur la terre, où elle n'était que comme passagère et étrangère, mais dans le ciel, où elle ne pouvait être formée par les seuls matériaux d'une terre commune; et quoiqu'elle en reçût la nature, ce fut néanmoins pour l'élever au ciel, où cette cité mystique se devait construire sur le modèle céleste, angélique et divin, semblable à la Divinité.

 

(1) Cant., VI, 8. — (2) Apoc., XXI, 10.

 

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267. C'est pourquoi il ajoute qu'elle était vêtue de la clarté de Dieu (1) ; parce que lame de la très-sainte Vierge eut une participation de la Divinité, de ses attributs et de ses perfections; que s'il nous était possible de la voir comme elle est, elle nous paraitrait rayonnante de la clarté éternelle de Dieu. il nous est dit de grandes et glorieuses choses dans l'Église catholique de cette Cité de Dieu (2), et ale la clarté qu'elle reçut du Seigneur; mais tout ce qu'on en dit est fort peu de chose, et tous les termes humains ne suffisent pas pour en exprimer la vérité. L'entendement créé étant vaincu et accablé de ses grandeurs, dit que la très-pure Marie eut un je ne sais quoi de la Divinité; déclarant en cela la vérité en substance, et son ignorance à exprimer ce qu'il avoue pour véritable. Si elle fut construite dans le ciel, le seul ouvrier et le souverain artisan qui la forma, connaîtra sa grandeur et l'alliance qu'il contracta avec la très-sacrée Marie, en comparant les perfections qu'il lui donna avec celles que sa divinité et sa grandeur infinie renferment.

288. Sa lumière était semblable à une pierre précieuse, comme une pierre de jaspe transparente comme le cristal, etc. (3). Il nous est plus. facile de voir qu'elle est comparée au cristal et au jaspe tout ensemble, entre lesquels il y a si peu de proportion, que d'être persuadés qu'elle soit aussi semblable à Dieu; mais par cette similitude nous comprendrons

 

(1) Apoc., XXI, 11. — (2) Ps. LXXXVI, 9. — (3) Apoc., XII, 11.

 

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quelque chose de celle-ci. Le jaspe renferme plusieurs couleurs, plusieurs aspects et quelque diversité d'ombres dont il est composé; et le cristal est fort clair, très-pur et uniforme, et tout cela uni ensemble ne peut que former une agréable et charmante variété. La très-pure Marie reçut en sa formation la variété des vertus et des perfections, dont il semble que Dieu ait formé son âme, composée et enrichie de ces divers ornements. Toutes ces grâces, toutes ces perfections, cette ressemblance qu'elle a avec un cristal très-pur, sans tache et sans vestige du péché, cette clarté et cette pureté qui l'embellissent (1), nous donnent des rayons et des traits de la Divinité, comme le cristal, qui, frappé du soleil, paraît le contenir en lui- même, et le représente en rayonnant comme lui. Mais ce jaspe cristallin a quelques ombres, parce qu'elle est fille d'Adam et une pure créature, et que toute cette splendeur qu'elle a du soleil de la Divinité est participée; et quoiqu'elle ressemble au soleil divin, ce n'est pas par nature, mais par participation et par une communication de sa grâce; elle 'est créature formée par la puissante main de Dieu, mais pour devenir sa propre Mère.

269. La ville avait une grande et haute muraille ayant douze portes (2). Les mystères renfermés dans cette muraille et aux portes de cette Cité mystique, la très-pure Marie, sont si cachés et si grands, que je.ne pourrai pas exprimer aisément ce qui m'en a été

 

(1) Ps. XLIV, 10. — (2) Apoc., XXI, 12.

 

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découvert, moi qui ne suis qu'une femme ignorante et grossière. Je le dirai pourtant le mieux qu'il me sera possible, devant présupposer que dans le premier instant de la conception de la très-sainte Vierge, lorsque la Divinité lui fut manifestée par cette vision, et en cette manière que j'ai dite ci-dessus, alors la très-sainte Trinité, à notre façon de concevoir, comme si elle eitt voulu renouveler ses premiers décrets de la créer et de l'exalter, fit comme un contrat en faveur de cette Reine, sans pourtant le lui faire connaître alors; et ce fut comme si les trois personnes divines eussent conféré ensemble en cette matière.

270. « La dignité que nous donnons à cette pure a créature de notre Épouse et de Mère du Verbe, qui doit naître d'elle, mérite que nous l'établissions Reine et Maîtresse de tout l'univers. Et outre les dons et les richesses de notre divinité, que nous lui donnons pour dot, il est convenable de lui accorder le pouvoir de manier les trésors de nos infinies miséricordes, afin qu'elle puisse distribuer et communiquer selon sa volonté les grâces et les faveurs nécessaires aux mortels, et singulièrement à ceux qui, comme ses enfants affectionnés, l’invoqueront, et qu'elle puisse enrichir les pauvres, secourir les a pécheurs, accroître les justes et être le refuge universel de tous. Et afin que toutes les créatures la a reconnaissent pour leur Reine, pour leur Supérieure et pour la dépositaire de nos biens infinis, avec puissance de les pouvoir dispenser, nous lui consignons les clefs de notre coeur et de notre (580) volonté, et elle sera en toutes choses l'exécutrice de notre bon plaisir envers les créatures. Nous lui donnerons de plus le domaine et la puissance sur le dragon notre ennemi, et sur tous les démons ses alliés, afin qu'ils craignent sa présence et son nom, et que par lui leurs tromperies s'évanouissent; et que tous les mortels qui se retireront sous la protection de cette ville de refuge, se trouvent en assurance , sans crainte des démons ni de leurs embûches. »

271. Le Seigneur ordonna à l'âme de la très-pure Marie, sans lut manifester tout ce qui était contenu dans ce décret on cette promesse, de prier avec affection pour toutes les âmes, et de leur procurer par ses sollicitations le salut éternel, et singulièrement pour ceux qui se recommanderaient à elle dans le cours de leur vie. Et la très-sainte Trinité lui promit que rien ne lui serait refusé en ce tribunal très-équitable, et qu'elle commanderait au démon et l'éloignerait de toutes les âmes avec force et empire, puisque le bras du Tout-Puissant la seconderait en tout. Mais on ne lui découvrit pas le sujet pour lequel elle recevait cette faveur et toutes les autres qui s'y trouvaient renfermées, qui était de la faire Mère du Verbe. Saint Jean, en disant que la sainte cité avait une grande et haute muraille, y comprit cette faveur que Dieu fit à sa Mère en la constituant le sacré refuge et la protectrice de tous les hommes, afin qu'ils trouvassent en elle toutes sortes de secours, comme en une forte ville et un invincible rempart contre leurs ennemis, (581) et que tous les enfants d'Adam recourussent à elle comme à la puissante Reine et Maîtresse de tout l'univers, et comme à la dispensatrice des trésors du ciel et de la grâce. Il dit aussi que cette muraille était fort haute, parce que le pouvoir qu'a la très-sainte Vierge de vaincre le démon et d'élever les âmes à la grâce est si haut, qu'il est immédiat à Dieu : cette sainte cité étant si bien pourvue et d'une défense si assurée, autant pour elle-même que pour ceux qui s'y vont réfugier, qu'il n'est que Dieu seul qui puisse franchir ses murailles inaccessibles à toutes les forces créées.

272. Il y avait douze portes à cette muraille (1) de la sainte cité, parce que son entrée est libre et générale à toutes les nations, sans en exclure aucune; mais au contraire elles y sont toutes conviées, afin qu'aucun (s'il ne le veut) ne soit privé de la grâce des dons et de la gloire du Très-Haut par le moyen de la Reine et de la Mère de miséricorde. Et aux douze portes il -y avait' douze anges. Ces princes célestes sont les douze dont j'ai déjà fait mention, et qui furent choisis d'entre les mille pour la garde de la Mère du Verbe incarné. Le ministère de ces douze anges, outre qu'il était d'assister à notre Reine, fut aussi pour lui servir particulièrement à inspirer et à défendre les âmes qui invoquent avec dévotion la protection de cette puissante Reine, et se distinguent en son service, en son honneur et en son amour. C'est

 

(1) Apoc., XXI, 12.

 

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pourquoi l'évangéliste dit qu'il les vit aux portes dé cette cité, parce qu ils sont ministres et comme agents qui aident, excitent et conduisent les mortels, afin qu'ils entrent à la félicité éternelle par les portes de la charité de la très-sainte Vierge. Et elle les envoie bien des fois avec des inspirations et des faveurs singulières, pour retirer des dangers et des travaux d'esprit et de corps ceux qui l’invoquent, délivrant par leur moyen ses affectionnés enfants de plusieurs peines et de beaucoup de périls.

273. L'évangéliste dit, qu’ ils avaient des inscriptions qui contenaient les noms des douze tribus des enfants d'Israël (1), parce que les anges bienheureux participent aux noms du ministère et de (office pour lesquels ils sont envoyés su monde. Et comme ces douze princes assistaient singulièrement la Reine du ciel, afin que selon les ordres qu'ils en recevraient ils aidassent les hommes à opérer leur salut, et tous les élus compris clans les douze tribus d'Israël, qui forment le peuple choisi de Dieu; c'est pourquoi il est dit que ces anges avaient les douze noms des tribus, comme étant chacun destiné pour sa tribu, recevant sous leur protection et sous leur conduite tous ceux qui devaient entrer par ces portes de l'intercession de la très-pure Marie dans la Jérusalem céleste de toutes les générations.

274. Étant dans l'admiration de cette grandeur et de cette puissance de Marie, et de ce qu'elle était la

 

(1) Apoc., XXI, 12..

 

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médiatrice et la porte de tous les prédestinés, il me fut découvert que cette prérogative répondait à la dignité de Mère de Jésus-Christ, et à l'office qu'elle avait exercé comme Mère envers son très-saint Fils et envers les hommes; car elle lui donna un corps humain de son très-pur sang et cette substance en laquelle il devait souffrir pour racheter les hommes. Ainsi, en quelque façon, elle souffrit et mourut en Jésus-Christ par cette union de la chair et du sang; outre qu'elle l'accompagna en sa passion et en sa mort, qu'elle souffrit par sa volonté en la manière qu'elle le pouvait avec une sublime humilité et une force divine. Et comme elle coopéra à la passion de son Fils et lui donna le corps qu'il sacrifiait pour tout le genre humain, de même le Seigneur voulut lui communiquer la dignité de rédemptrice, et lui donner les mérites et le fruit de la rédemption, afin qu'elle les distribuât et que ceux qui étaient rachetés les reçussent de ses mains. O admirable trésorière de Dieu, combien les richesses de la droite du Tout-Puissant sont assurées entre vos divines et libérales mains ! Cette sainte cité avait trois portes vers l'orient, trois portes vers le midi, et trois portes vers l'occident, etc. (1). Trois portes qui répondent à chaque partie du monde; et le nombre de trois nous facilite la possession de tout ce que le ciel et la terre renferment, et de Celui-là même qui a donné l'être à toutes les créatures, et ce sont les trois divines

 

(1) Apoc., XXI, 13.

 

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personnes, Père, Fils, et Saint-Esprit, chacune des trois voulant et prétendant que la très-sainte Marie ait trois portes par où elle puisse libéralement offrir et distribuer aux mortels les trésors de Dieu; et quoique ce Dieu soit en trois personnes, chacune néanmoins lui donne un accès et une porte libre, afin que cette très-pure Reine entre au tribunal de l'Être immuable de la très-sainte Trinité, pour y intercéder, demander et puiser des dons et des grâces pour enrichir tous ceux qui auront recours avec dévotion à sa protection; afin qu'en nul endroit de l'univers aucun ne puisse former des plaintes et des excuses; puisqu'en chacune de ses parties il n'y a pas seulement une porte, mais trois, qui convient toutes ses ustions. Car il est si aisé d'entrer dans une ville par une porte publique et ouverte à tous, que si quelqu'un n'y entre ce ne sera pas par le défaut des portes, mais par la faute de ceux qui par leur négligence n'auront pas voulu s'y réfugier. Que nous répondront ici les infidèles, les hérétiques et les païens? Quelle excuse auront les mauvais chrétiens et les pécheurs obstinés? Si les trésors du ciel sont à la disposition de notre Mère, si elle nous y appelle par ses anges et nous sollicite d'en profiter, et si elle n'est pas seulement la porte, mais plusieurs portes du ciel; comment se peut-il faire que le nombre de ceux qui restent dehors soit si grand, et celui de ceux qui y entrent soit si petit?

275. La muraille de celte ville avait douze fondements, oit étaient écrits les douze noms des douze apôtres (585)  de l'Agneau (1). Les fondements solides et inébranlables sur lesquels Dieu construisit cette sainte Cité Marie sa très-pure Mère, furent toutes les vertus qui y répondaient par une conduite particulière du Saint-Esprit. Il y en eut douze avec les noms des douze apôtres, parce qu'elle fut fondée sur leur plus grande sainteté comme étant les plus grands des saints, selon David, qui nous dit que les fondements de la cité de Dieu furent jetés sur les saintes montagnes (2); parce que la sainteté et la sagesse de Marie servirent aussi de fondement et d'appui aux apôtres, après la mort de Jésus-Christ et après son ascension. Car, outre qu'elle fut toujours leur maîtresse et leur modèle, elle fut aussi alors le plus grand appui de la primitive Église. Et parce qu'elle y fut destinée parce ministère dès son immaculée conception avec toutes les vertus et les grâces nécessaires, c'est pour ce sujet que l'évangéliste dit quelle avait douze fondements:

276. Celui qui parlait à moi avait pour règle une canne d'or, et il mesura la ville avec cette canne par douze mille, stades, etc. (3). Saint Jean renferme dans ces mesures; de grands mystères de la dignité, des grâces, des dons et des mérites de' la Mère de bien. Et quoiqu'elle fût mesurée en la dignité et en toutes les faveurs qu'elle, reçut du Très-Haut avec une fort grande mesure, néanmoins la mesure s'accommoda malgré un retour possible avec tant d'égalité, qu'elle

 

(1) Apoc., XXI, 14. — (2) Ps. LXXXVI, 2. — (3) Apoc., XXI, 15.

 

586

 

fut trouvée aussi longue que large (1), étant proportionnée et uniforme en toutes ses parties, sans aucune irrégularité. Je ne m'arrête pas ici sur ce sujet, parce que j'en dois parler dans toute la suite de cette histoire. Je me contente seulement de dire que cette règle, avec laquelle on mesura la dignité, les mérites et la grâce de la très-pure Marie, fut l'humanité sacrée de son Fils très-béni, unie au Verbe divin.

277. La règle est appelée par l'évangéliste canne, à cause de la fragilité de notre nature, composée d'une chair faible et débile; il la nomme d'or à cause de la divinité de la personne du Verbe. Avec cette dignité de Jésus-Christ, Dieu et homme véritable, avec les dons de la nature humaine, unie à la personne divine, et avec les mérites qu'il opéra, sa très-sainte Mère fut mesurée par le même Seigneur. Il la mesura avec lui-même; et l'ayant mesurée, elle parut être égale et proportionnée en la hauteur de sa dignité de Mère, en la longueur de ses dons et de ses faveurs, et en la largeur de ses mérites; elle fut égale en tout, sans diminution et sans disproportion. Et quoiqu'elle ne piyt, absolument parlant, W égaler à son très-saint Fils d'une égalité que les docteurs appellent mathématique, parce que notre Seigneur Jésus-Christ était homme et vrai Dieu, et elle une pure créature, et par cet endroit la règle excédait infiniment ce qu'elle mesurait en elle; néanmoins, la très-pure Marie eut une espèce d'égalité de proportion

 

(1) Apoc., XXI, 16.

 

587

 

avec son très-saint Fils; car comme il ne lui manqua rien de ce qu'il devait avoir et lui convenait comme véritable Fils de Dieu, ainsi il se trouva en elle tout ce qui lui était et tout ce qu'elle devait à Dieu comme sa véritable Mère. De sorte que la très-sainte Vierge comme mère, et Jésus-Christ comme fils, eurent une égale proportion de dignité, de grâce, de dons et de mérites, puisqu'il n'y avait aucune grâce créée en Jésus-Christ qui ne fitt aussi avec proportion .en sa très-pure Mère.

278. Il mesura la ville avec cette canne par douze mille stades (1). Cette mesure de stades et le nombre de douze mille dont notre divine reine fut mesurée en sa conception, renferment des mystères très-relevés. L'évangéliste appelle stade la mesure parfaite avec laquelle la hauteur de la sainteté des prédestinés est mesurée , selon les dons de grâce et de gloire quo Dieu a résolu et ordonné en son entendement et en son décret éternel de leur communiquer par le moyen de son Fils incarné, les mesurant et les déterminant par son infinie équité et par sa miséricorde paternelle. Le Seigneur mesure avec ces stades tous les élus, et la hauteur de leurs vertus et de leurs mérites. Malheur à celui qui ne se trouvera pas juste à cette mesure quand le Seigneur le mesurera 1 Le nombre de douze mille contient tout le reste des prédestinés et dés élus compris dans les douze chefs de ces milliers, qui sont les douze apôtres, princes de l'Église

 

(1) Apoc., XXI, 16.

 

588

 

catholique, ainsi qu'ils le sont au chapitre septième de l'Apocalypse dans les douze tribus d'Israël, parce que tous les élus se devaient soumettre à la doctrine que les apôtres de l'Agneau enseignèrent comme je l'ai dit ci-dessus sur le même chapitre.

279. L'on peut arriver à la connaissance de la grandeur de cette cité de Dieu, Marie sa très-sainte Mère, par tout ce que je viens de dire; car si nous donnons à chacun de ces stades pour le moins cent vingt-cinq pas géométriques, une ville qui aurait douze mille stades de circuit paraîtrait immense. Or, notre auguste Reine fut mesurée avec la règle et les stades dont Dieu se sert pour mesurer tous les prédestinés; mais la hauteur, la longueur et la largeur de tous ensemble ne la surpassèrent en rien, parce que celle qui était Mère de Dieu, Reine et Maîtresse de tout l'univers, les égala tous, pouvant elle seule contenir plus de grandeur que toutes les autres créatures.

280. Il mesura aussi les murailles, qui étaient de cent quarante-quatre coudées, avec la mesure de l'homme, qui est celle de l'ange (1). Cette mesure des murailles de la cité de Dieu n'était pas pour mesurer la longueur, mais la hauteur qu'elles avaient, parce que si les stades du carré de la ville étaient douze mille en largeur et en longueur, le carré étant égal par tous les endroits, il fallait nécessairement que les murailles eussent plus de circonférence, et que cette

 

(1) Apoc., XXI, 17.

 

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circonférence fût plus grande, si on les mesurait par la superficie extérieure pour enfermer dans leur circuit toute la ville; ainsi la mesure de cent quarante-quatre coudées (de quelque manière qu'elles eussent été) n'était pas proportionnée pour la longueur des murailles d'une si grande ville, mais bien pour la hauteur de ce rempart assuré pour ceux qui s'y trouvaient. Cette hauteur nous signifie la grande sûreté avec laquelle la très-pure Marie devait garder tous les dons et toutes les grâces de sainteté et de dignité qu'elle avait reçues du Très-Haut. C'est pourquoi il est dit que la hauteur était de cent quarante-quatre coudées, qui est un nombre inégal; y comprenant trois différentes murailles, grande, médiocre et petite, qui répondaient aux oeuvres de la Reine du ciel, dont il y en eut de très-grandes, de médiocres et de petites. Ce n'est pas qu’il se trouvât rien de petit en elle, mais à cause que les matières auxquelles elle s'occupait étaient différentes, et par conséquent les ouvres l'étaient aussi. Les unes étaient miraculeuses et surnaturelles, les autres d'une vertu morale; et celles-ci se partageaient en intérieures et en extérieures; et elle les pratiquait toutes avec une si grande plénitude de perfection, qu'elle n'omettait point les petites d'obligation pour les plus grandes, ni les plus relevées pour les moindres; mais elle lés exerça toutes dans un si haut degré de sainteté et de complaisance du Seigneur, qu'elles furent toutes justes à la mesure de son très-saint Fils, tant aux dons naturels qu'aux surnaturels. Et cette mesure fut (590) celle de l'Homme-Dieu , qui est l'ange du grand conseil, supérieur à tous les hommes et à tous les anges, que la Mère surpasse avec le Fils dans quelque proportion.

281. L'évangéliste dit que ses murailles étaient bâties de pierre de jaspe (1). Les murailles sont les premiers objets que rencontre la vue de ceux qui abordent une ville : et la diversité des aspects, des couleurs et des ombres, qui se trouvent dans le jaspe, dont les murailles de cette cité de Dieu, la très-pure Marie, étaient composées, nous signifient l'humilité ineffable qui servait de voile pour cacher toutes les grâces et toutes les excellences de cette grande Reine : car, étant digne Mère de son Créateur, exempte de toute sorte de tache de péché et d'imperfection, elle parut néanmoins à la vue des hommes comme tributaire et sous les ombres de la loi commune des autres enfants d'Adam , se soumettant aux lois pénibles de la vie commune, comme je le dirai en son lieu. Mais cette muraille de jaspe, qui découvrait les mêmes ombres que les autres femmes ont, n'était en elle que selon les apparences, servant en effet à cette sainte cité d'un invincible rempart. L'intérieur de la ville était d'or très-pur semblable à du verre fort clair, parce qu'il ne se trouva jamais ni en la formation de la très-pure Marie, ni durant tout le cours de sa vie très-innocente, aucune tache (2) qui pût obscurcir sa pureté cristalline. Car, comme la moindre paille (fût-elle

 

(1) Apoc., XXI, 18. — (2) cant., IV, 7.

 

comme un atome) qui tomberait dans le verre quand on le forme, ternirait pour toujours sa clarté transparente, sans qu'on la pùt jamais tirer qu'il n'y restât quelque vestige désagréable : de même si la très-pure Marie eût contracté en sa conception la tache et la souillure du péché originel, sa difformité n'en sortirait jamais, elle en serait noircie pour toujours, et ne pourrait pas être un verre très-net , ni un or si pur qu'on le dit, puisqu'il se trouverait en sa sainteté et en ses dons ce noir alliage du péché originel, qui amoindrirait sa valeur : mais cette sainte cité fut comparée à l'or et au verre, parce qu'elle fut très-pure et semblable à la Divinité.

 

CHAPITRE XIX. Qui contient la dernière partie du chapitre vingt-unième de l'Apocalypse sur la conception de la très-sainte Vierge.

 

282. Le texte de la troisième et dernière partie du chapitre vingt-unième de l'Apocalypse, que je vais expliquer, est celui-ci : « Les fondements des murailles de la ville étaient embellis de toutes sortes de pierres a précieuses. Le premier fondement était de jaspe, et le second de saphir, le troisième de calcédoine, le (592) quatrième d'émeraude, le cinquième de sardonix,  le sixième de sardoine, le septième de chrysolithe, le  huitième de béril, le neuvième de topaze, le dixième  de chrysoprase, le onzième d'hyacinthe, le doua zième d'améthyste. Et les douze portes étaient de  douze perles, chaque porte d'une seule perle; et la  place de la ville était d'or pur, comme du verre fort   transparent. Et je ne vis point de temple en elle;  car le Seigneur Dieu tout-puissant est son temple  et l'Agneau. Cette ville n'a pas besoin du soleil ni   de la lune pour l'éclairer, parce que la gloire de  Dieu l'éclaire, et que l'Agneau en est la lampe. Et a les nations marcheront dans sa lumière; et les rois   de la terre apporteront leur honneur et leur gloire  en elle. Et ses portes ne seront point fermées de  jour; car il n'y aura point là de nuit. Il n'y entrera rien de souillé, ni aucun de ceux qui commettent des choses exécrables et des faussetés, mais seulement ceux qui sont écrits dans le livre de vie  de l'Agneau (1). » Voilà la lettre de cette dernière partie, que je dois expliquer.

283. Le très-haut Seigneur ayant élu cette sainte cité, l'auguste Marie, pour la plus propre et la plus agréable demeure qu'il pouvait avoir au dehors de lui-même, entre les pures créatures, il ne faut pas, s'étonner s'il tira des trésors de sa divinité et des mérites de son très-saint Fils les plus riches matériaux pour construire les fondements des murailles de sa ville,

 

(1) Apoc., XII, 19-21.

 

embellis de toutes sortes de pierres précieuses (1) : afin que la force et la sûreté , signifiées par les murailles, l'excellence de sa beauté, la hauteur de sa sainteté et des dons, qui sont les pierres précieuses, et sa très-pure conception, qui en est le fondement, fussent avec une égale correspondance proportionnées en elles-mêmes, et à la fin pour laquelle il la fondait, qui était de demeurer en elle par amour et par l'humanité sa crée de son Fils, qui la reçut dans son sein virginal. L'évangéliste nous dit tout ceci, selon qu'il le découvrit en notre très- sainte Reine, parce qu'il était convenable à la dignité, à la sainteté et à la sûreté qu'exigeait l'habitation que Dieu devait faire en elle, comme dans un invincible rempart, que les fondements de ses murailles, qui étaient les premiers principes de son immaculée conception, fussent construits de toutes sortes de vertus, en un degré si éminent et si précieux, qu'il ne se pût trouver d'autres pierres plus riches pour les fondements de cette muraille.

284. Il est dit que le premier fondement ou la première pierre était de jaspe (2), dont la variété et la force marquent la constance et la fermeté que cette grande dame reçut au moment de sa très-sainte conception, afin qu'avec cette habitude elle fût disposée à pratiquer durant le cours de sa vie, toutes les vertus avec une magnanimité et une constance invincible; .et parce que ces vertus et ces habitudes, qui furent

 

(1) Apoc., XXII,19. — (2) Ibid.

 

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accordées et infuses à la très-pure Marie dans l'instant de sa conception, signifiées par ses pierres précieuses, eurent des privilèges singuliers que le Très-Haut avait accordés à chacune de ces douze pierres, je les déclarerai selon ma faible portée, afin que l'on pénètre le mystère que renferment les douze fondements de la cité de Dieu. Il lui fut donné en cette habitude de force. une supériorité spéciale, et comme un empire sur l'ancien serpent, afin qu'elle pût l'humilier, le vaincre et l'assujettir, et qu'elle donnât une si grande terreur aux démons, qu'ils prissent honteusement la fuite, et craignissent si fort ses approches, que la seule. pensée d'aborder sa présence les fit trembler. C'est pourquoi ils ne s'approchaient jamais de la très-sainte Vierge que leurs tourments n'en fussent redoublés. La divine Providence lui fut si libérale, que non-seulement elle ne la comprit point dans les lois communes des enfants du premier père' en la délivrant du péché originel et de la servitude du démon, que ceux qui s'y trouvent renfermés contractent; mais aussi l'éloignant de tous ces malheurs, elle lui accorda l'empire que tous les hommes perdirent sur les démons, pour ne s'être pas conservés dans l'heureux état d'innocence. Il fut de plus accordé à cette divine princesse, en qualité de Mère du Fils du Père éternel, qui descendit dans son sein pour détruire l'empire d'iniquité de ces ennemis de tout. bien (1), une puissance royale, participant de l'être

 

(1) Joan., XII, 31.

 

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de Dieu, par laquelle elle soumettait les démons et les envoyait plusieurs fois dans les abîmes de l'enfer, comme je le dirai en. continuant cette histoire.

285. Le second est de saphir (1). Cette pierre représente la couleur d'un ciel serein et clair, et elle marque certains petits points ou atomes d'or reluisant; elle. signifie la tranquillité que le Très-Haut accorda aux dons et aux grâces de la très-pure Marie, afin qu'elle jouît toujours, comme un ciel immuable, d'une paix sereine exempte des nuages turbulents, découvrant dans cette sérénité des traits de la Divinité dès l'instant de son immaculée conception, tant à cause de la participation et de la ressemblance que ses. vertus avaient avec les attributs divins, singulièrement avec celui de l'immutabilité, que parce qu'étant encore voyageuse, le voile lui fut plusieurs fois tiré pour lui faire voir clairement Dieu, comme je le dirai dans la suite : sa Majesté lui accordant en ce don singulier la vertu et le privilège de communiquer le repos et le calme d'esprit à ceux qui le demanderaient par son intercession. Que si tous les catholiques qui sont agités et étourdis par les funestes orages que les vices excisent en eux, demandaient comme il faut ce calme, ils en éprouveraient des effets merveilleux.

286. Le troisième est de calcédoine (2). Cette pierre prend son nom de la province où elle se trouve, qui s'appelle Calcédoine. Sa couleur approche fort de celle

 

(1) Apoc., III, 19. — (2) ibid.

 

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de l'escarboucle, et sa lueur parait de nuit comme celle d'une lampe. Le mystère de cette pierre est de manifester le très-saint nom de Marie et sa vertu. Elle le prit de cette province du inonde où elle se trouva, s'appelant fille d'Adam, comme les autres, et Marie, dont le nom et l'accent changé en latin, signifie les mers, parce qu'elle fut l'océan des grâces et des dons de la Divinité. Elle vint su monde par la voie de sa très-pure conception, qui l'inonda de ses eaux salutaires, détruisant la malice et les effets du péché, et bannissant les ténèbres de l'abîme par la lumière de son esprit éclairé des rayons de la sagesse divine. Le Très-,Haut lui accorda par rapport à ce fondement une vertu particulière, afin qu'elle dissipât, par le moyen de son très-saint nom de Marie, les épais nuages de l'infidélité, et détruisit les erreurs des hérésies, du paganisme, de l'idolâtrie, et tous les doutes formés sur la foi catholique. Et si les infidèles avaient recours à cette lumière en l'invoquant, il est assuré qui en fort peu de temps ils secoueraient de leurs entendements les ténèbres de leurs erreurs, qui se noieraient toutes dans cette mer par la vertu du Très-Haut, qui à cette fin la lui communiqua.

287. Le quatrième fondement est d'émeraude (1), dont la couleur est d'un vert fort agréable, qui récrée la vue sans la fatiguer; il nous découvre avec beaucoup de mystères la grâce que la très-sainte Vierge reçut en sa conception, afin qu'étant très-aimable et

 

(1) Apoc., XXI, 19.

 

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très-agréable aux yeux de Dieu et des créatures, elle conservât sans jamais l'offenser, ni perdre son très-doux souvenir, la belle verdure et la force de la sainteté, des vertus et des dons qu'elle recevait et qu'on lui accordait. Et le Très-Haut lui donna actuellement en cette correspondance le pouvoir de distribuer cette même faveur et de la communiquer à ses fidèles serviteurs qui l'invoqueraient pour obtenir la persévérance et la fermeté dans l'amitié de Dieu.

288. Le cinquième est de sardonix (1). Cette pierre est transparente, et sa couleur tire plus vers l'incarnat clair, approchant de la nacre, que sur le noir et le blanc qu'elle renferme, et dont elle reçoit une agréable variété. Le mystère de cette pierre et de ses couleurs nous représente tout à la fois la Mère et le très-saint Fils qu'elle devait concevoir. Le noir signifie en Marie la partie terrestre du corps, noirci par la mortification et par les travaux qu'elle endura; il signifie la même chose de son très-saint Fils, défiguré par nos péchés. Le blanc marque la pureté de l'âme de la Mère vierge et de notre Seigneur Jésus-Christ. Et l'incarnat manifeste en l'humanité la Divinité unie hypostatiquement; et en la Mère, il déclare l'amour de son très-saint Fils avec tous les brillants de la Divinité qui lui furent communiqués. Il fut accordé par ce fondement à la grande Reine du ciel qu'elle pût rendre par son intercession et par ses prières le mérite de l'incarnation et de la rédemption ,

 

(1) Apoc., XXI, 20.

 

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qui est suffisant à tous, efficace à ses fidèles serviteurs; et que pour obtenir cette grâce, elle leur procurât aussi une dévotion particulière aux mystères et à la vie de notre Seigneur Jésus-Christ.

289. Le sixième de sardoine (1). Cette pierre est aussi transparente, et comme elle a du rapport avec la plus claire flamme du feu, elle fut le symbole du don que le coeur de la Reine du ciel reçut, de briller incessamment du. feu de l'amour divin comme une flamme inextinguible; car cet amoureux embrasement n'eut jamais aucun intervalle de diminution en elle; mais au contraire, dès l'instant de sa conception, auquel ce feu céleste commença de s'allumer, il ne cessa de croître jusqu'à ce qu'il fût arrivé au plus haut degré oh une pure créature pouvait parvenir, dans lequel elle brûle et brûlera heureusement pendant toute l'éternité. Il fut ici accordé à la très-pure Marie un privilège singulier de distribuer avec cette correspondance les influences du Saint-Esprit, son amour et ses dons, à ceux qui les demanderaient par son intercession.

290. Le septième de chrysolithe (2). La couleur de cette pierre ressemble à un or reluisant avec quelque brillant qui a un grand rapport avec le feu, qu'on dé, couvre plus facilement pendant la nuit que pendant le jour. Elle déclare en la très-pure Marie l'ardent amour qu'elle eut pour l'Église militante, pour ses mystères, et singulièrement pour la loi de grâce. Cet

 

(1) Apoc., XXI, 20. — (2) Ibid.

 

amour brilla davantage dans la nuit que la mort de son très-saint Fils causa à toute l'Église, par le gouvernement que cette grande Reine eut aux commencements de la loi évangélique, et par la fervente affection avec laquelle elle demanda son établissement et celui de ses sacrements; coopérant à tout (comme je le dirai en son lieu), avec cet amour très-ardent qu'elle avait pour le salut de tout le genre humain, elle fut la seule qui sût et qui pût dignement estimer la très-sainte loi de son Fils autant qu'elle le méritait. Avec ce même amour elle fut destinée dès son immaculée conception, pour être la coadjutrice de notre Seigneur Jésus-Christ. Il lui fut aussi accordé un privilège particulier pour procurer à ceux qui l'invoqueraient, la grâce de se bien disposer à recevoir avec fruit les sacrements de la sainte Église, sans porter aucun obstacle à leurs divins effets.

291. Le huitième de béril (1). Cette pierre précieuse est de couleur verte et jaune, mais elle participe plus du vert, de sorte qu'elle approche fort de l'olive, brillant avec beaucoup d'éclat. Elle représente les vertus singulières de foi et d'espérance que la très-sainte Vierge reçut en sa conception avec une particulière clarté, afin qu'elle entreprit des choses trèssublimes, comme en effet elle le fit pour la gloire de son Créateur. Il lui fut accordé avec ce don le pouvoir de communiquer à ses dévots serviteurs la force et la patience dans les tribulations, dans leurs peines ,

 

(1) Apoc., XXI, 20.

 

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et dans leurs difficultés, aussi bien que de disposer de ces vertus et de ces dons en vertu de la fidélité et de la présence du Seigneur.

292. La neuvième de topaze (1). Cette pierre est transparente, dé couleur du violet, d'un grand prix et fort estimée. Elle fut le symbole de la virginité. de la très-pure Marie, notre bonne Reine et Mère du Verbe incarné. Elle en fit un si grand cas, qu'elle eu rendit de très-humbles actions de grâces au Seigneur pendant toute sa vie. Dès l'instant de sa conception elle demanda au Très-Haut la vertu de chasteté, et elle lui en fit un sacrifice pour tout le reste de ses jours; elle connut alors que sa demande lui était accordée selon ses désirs : cette grâce ne se limitant pas à elle seule, puisque le Seigneur mit sous sa conduite et sous sa protection toutes les personnes vierges et chastes, et prétendit que ces fidèles serviteurs obtinssent ces précieuses vertus et le don d'y persévérer par son intercession.

293. Le dixième est de chrysoprase (2) , dont la couleur est verte, tirant quelque peu sur celle de l'or. Elle signifie la forte espérance qui fut accordée à la très-pure Marie en sa conception, et qu'étant animée de l'amour de Dieu, elle en fut divinement rehaussée. Cette vertu a toujours été inébranlable en notre Reine, ainsi qu'elle le devait être pour communiquer le même effet à toutes les autres; car leur stabilité s'appuyait sur la force immuable et la constante

 

(1) Apoc., XXI, 20. — (2) Ibid.

 

magnanimité de son âme dans toutes les souffrances et dans tous les exercices pénibles de sa très-sainte vie, et principalement dans cette affliction qui la pénétra en la mort et en la passion de son Fils très-béni. Elle reçut avec cette faveur le pouvoir d'être la médiatrice efficace auprès du Très-Haut, pour obtenir à ses serviteurs cette vertu de fermeté dans leur espérance.

294. Le onzième de hyacinthe (1), qui est d'une couleur d'un parfait violet. Ce fondement renferme l'amour qui fut infus à la très-sainte Vierge en sa conception, et qu'elle devait avoir pour tout le genre humain, le recevant comme l'avant-coureur de celui que son Fils devait avoir en mourant pour les hommes. Et comme de cet amoureux principe tous les remèdes de nos péchés et la justification de nos âmes devaient prendre leur origine, cette grande Reine reçut un singulier privilège avec cet amour, qu'elle conserva toujours dès ce premier instant, afin que par son intercession aucune, sorte de pécheurs, pour grands et abominables qu'ils pussent être , ne fussent exclus du fruit de la rédemption et de la justification s'ils l'invoquaient avec confiance, et que par le moyen de cette puissante avocate ils obtinssent la vie éternelle.

295. Le douzième d'améthyste (2), de couleur reluisante tirant sur le violet. Le mystère de cette pierre ou de ce fondement a quelque correspondance avec le premier, parce qu'il signifie une certaine vertu qui

 

(1) Apoc., XXI, 20. — (2) Ibid.

 

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fut accordée à la très-pure Marie en sa conception, contre les puissances de l'enfer, afin que les démons ressentissent et éprouvassent qu'il en sortait une force (sans pourtant leur commander ni agir contre eux) qui les tourmentait lorsqu'ils voulaient approcher de sa personne. Ce privilège lui fut accordé par rapport au zèle incomparable que cette princesse avait d'exalter et de défendre la gloire et l'honneur de Dieu : la très-sainte Vierge ayant en vertu de cette faveur spéciale une puissance particulière de chasser les démons des corps humains par la prononciation de son très-saint nom, qui est si puissant contre ces malins esprits, qu'en l'entendant prononcer toutes leurs forces s'évanouissent. Voilà enfin les mystères des douze fondements sur lesquels Dieu construisit sa sainte cité, l'auguste Marie; et quoiqu'ils renferment plusieurs autres mystères des faveurs qu'elle reçut et que je ne puis expliquer, j'en déclarerai pourtant quelque chose dans la suite de cette histoire, selon les lumières et les forces que j'en recevrai du Seigneur.

296. L'évangéliste poursuit : Que les douze portes étaient de douze perles, chaque porte d'une seule perle (1). Le grand nombre des portes de cette ville déclare que l'entrée de la ville éternelle devint aussi facile que libre à tous par la très-pure Marie et par sa dignité ineffable. Car il était comme dû et convenable à l'excellence de cette auguste Reine, que la miséricorde

 

(1) Apoc., XXI, 21.

 

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infinie du Très-Haut s'exaltât en elle et par elle, en ouvrant tant de chemins pour communiquer à sa Divinité, et pour faire entrer en sa possession tous les mortels par le moyen de la très-sainte Vierge, s'ils voulaient se prévaloir de ses mérites et de sa puissante intercession. Mais le prix inestimable, la prodigieuse grandeur, la beauté et l'éclat de ces douze portes, qui étaient autant de perles,' découvrent l'inestimable dignité et les charmants attraits de cette Impératrice du ciel, et les ravissants appâts de son très-doux nom pour attirer à Dieu les mortels. La très-pure Marie connut cette faveur du Seigneur, qui la faisait la médiatrice sans égale du genre humain, et. la dispensatrice des trésors de sa divinité par son fils uniques Et par cette connaissance la prudente et charitable dame sut rendre les mérites de ses oeuvres et de sa dignité si précieux et si beaux, qu'elle est l'admiration de tous les esprits bienheureux. C'est pourquoi les portes de cette sainte cité furent des perles précieuses devant le Seigneur et devant les hommes.

297. Et dans ce rapport saint Jean dit que la place de cette ville était d'or pur comme du verre fort transparent (1). La place de cette cité de Dieu, la très-pure Marie, est son intérieur, où (comme dans une place publique) toutes les puissances de l'âme et tout ce qui y entre par les sens, concourent pour se trouver dans cet important commerce. Cette place fart, en la très-auguste Marie, un or très-pur et très-reluisant,

 

(1) Apoc., XXI, 21.

 

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car elle était comme construite de sagesse et d'amour divin; il n'y eut jamais ni tiédeur, ni ignorance, ni aucune légèreté; toutes ses pensées furent très-relevées et ses affections toujours ardentes d'une immense charité. Ce fut en cette place qu'on consulta les très-hauts mystères de la Divinité ; en cet heureux endroit a été accordé ce fiat mihi, etc. (1) , qui donna le principe au plus grand ouvrage que Dieu ait fait et qu'il fera; on y projeta les demandes innombrables qui devaient être présentées au tribunal de Dieu en faveur du genre humain. Et si tous veulent participer au commerce de cette place, ils y trouveront assez de richesses pour se tirer de leur état misérable, et suffisantes même pour bannir toute sorte de pauvreté (2). Elle sera aussi une place d'armes contre les démons et contre tous les vices , puisque dans l'intérieur de la très-pure Marie se trouvaient les grâces et les vertus qui la rendirent terrible à l'enfer, et qui nous devaient animer et nous donner des forces pour le vaincre.

298. L'évangéliste dit aussi qu'il ne vit point de temple en cette ville, car le Seigneur Dieu tout-puissant est son temple et l'Agneau (3). Les temples sont destinés dans les villes pour la prière et pour le culte que nous devons rendre à Dieu. Ce serait donc un grand défaut dans la cité de Dieu, s'il y en avait un tel que sa grandeur et sa Majesté l'exigent. C'est pourquoi il y eut en cette Cité, la très-pure Marie, un temple si

 

(1) Luc., I, 38. — (2) Prov., VIII, 18. — (3) Apoc., XXI, 22

 

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auguste et si sacré, que le même Dieu tout-puissant et l'Agneau, qui sont la divinité et l'humanité de son Fils unique, lui servirent de temple (parce qu'ils se trouvèrent en elle comme en leur propre et légitime lieu), auquel temple ils furent adorés et honorés en esprit et en vérité (1), bien plus dignement qu'en tous les temples du monde. Ils furent aussi le temple de la très-sainte Vierge, parce qu'elle fut comprise, environnée et comme enfermée dans la divinité et dans l'humanité, l'une et l'autre lui servant d'habitation et de tabernacle dans cette heureuse demeure; elle ne cessa jamais d'adorer, de prier et de rendre un culte agréable au même Dieu et au Verbe incarné dans son sein virginal (2); ainsi elle était en Dieu et en l'Agneau comme dans un temple, puisque le temple ne demande pas moins qu'une sainteté continuelle en tout temps. Pour contempler dignement cette divine Princesse, nous la devons toujours considérer renfermée dans la même Divinité et en son très-saint Fils comme dans un temple; et là nous comprendrons quels actes et quelles opérations d'amour, d'adoration et d'honneur elle rendait à Dieu, quelles devaient être les délices qu'elle ressentait avec le même Seigneur, et les demandes qu'elle lui faisait dans ce temple en faveur du genre humain; car, comme elle voyait en Dieu le grand besoin que les hommes avaient du remède, elle s'enflammait en sa charité, demandait avec des clameurs ardentes, et priait du

 

(1) Joan., IV, 23. —(2) Ps. XCII, 5.

 

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plus profond et du plus tendre de son coeur pour le salut des mortels.

299. Notre saint secrétaire ajoute que cette ville n'a pas besoin de soleil ni de lune pour l'éclairer, parce que la gloire de Dieu l'éclaire, et que l'Agneau en est la lampe (1). En la présence d'une clarté plus grande et plus rayonnante que celles du soleil et de. la lune, celles-là n'y sont nullement nécessaires, comme il arrive dans le ciel empyrée, qui est éclairé par des soleils infinis, sans avoir besoin de celui qui nous illumine sur la terre, quoiqu'il soit d'une beauté si éclatante. La très-pure Marie pouvait se passer du soleil et de la lune qui servent aux mortels; elle n'en devait pas être enseignée ni éclairée, car elle fut la seule et sans exemple qui plut au Seigneur, sa sagesse, sa sainteté et la perfection de ses oeuvres ne pouvant pas avoir d'autre maître et d'autre arbitre que le même Soleil de justice, son très-saint Fils. Toutes les. créatures ne furent pas capables de lui enseigner les moyens de mériter d'être la digne Mère de son Créateur. Ce fut dans cette même école où elle apprit à être la plus humble et la plus obéissante de toutes ses servantes, puisqu étant instruite de Dieu même, elle ne laissa pas de consulter les plus inférieurs et de leur obéir dans les choses les plus petites de bienséance; apprenant d'un tel maître cette divine philosophie, se montrant en cela la plus digne disciple de Celui. qui corrige les sages. Aussi elle en. devint si sage et si prudente, que l'évangéliste a dit

 

(1) Apoc., XXI, 23.

 

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300. Que les nations marcheront dans sa lumière (1). Car si notre doux Rédempteur Jésus-Christ a appelé les docteurs et les saints des flambeaux allumés, et mis sur le chandelier de l'Église afin qu'ils l'éclairassent (2), la lumière et l'éclat que les patriarches et les prophètes, les apôtres, les martyrs et les docteurs ont répandus, ayant rempli l'Église catholique de tant de clarté; qu'elle paraît un ciel orné de plusieurs soleils et de plusieurs lunes, que pouvait-on dire de la très-sainte Vierge, dont la resplendissante lumière surpasse incomparablement celle de tous les saints, de fous les docteurs et même de tous les esprits angéliques? Si les mortels avaient des yeux assez pénétrants pour voir les lumières de la très-pure Marie, ils avoueraient qu'elle seule suffirait pour éclairer tous les hommes qui viennent au monde, et pour les conduire par les voies assurées de l'éternité bienheureuse. Et d'autant que tous ceux qui sont arrivés à la connaissance de Dieu ont marché en la lumière de cette sainte Cité, saint Jean dit que les nations marcheront dans sa lumière Et il s'ensuivra ainsi

301. Que les rois de la terre apporteront leur honneur et leur gloire en elle (3). Les rois et les princes qui travailleront avec une heureuse vigilance pour accomplir cette prophétie en leurs personnes et en leurs monarchies, seront fort heureux. Tous le devraient faire, mais ceux qui y contribueront le plus seront les plus dignes d'envie, s'ils se dévouent avec

 

(1) Apoc., XXI, 24. — (2) Matth., V, 14. — (2) Apoc., XXI, 24.

 

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une sincère affection de leur coeur à la très-pure Marie, employant leur vie, leur honneur, leurs richesses et la grandeur de leurs forces et de leurs États pour la défense de cette cité de Dieu, pour étendre sa gloire par tout le monde, et pour faire exalter son saint nom dans toute l'Église, en dépit de la folle témérité des infidèles et des hérétiques. Je m'étonne avec douleur que les princes catholiques ne fassent tous leurs efforts- pour mériter la protection de cette auguste Dame, et ne l'invoquent avec ardeur dans leurs périls (qui sont toujours plus grands à l'égard des princes qu'à l'égard de tous les autres hommes), afin de trouver en elle un lieu de refuge, une protectrice et une puissante avocate. Que si les rois et les princes sont exposés à de grands dangers, qu'ils se souviennent donc que les obligations et la reconnaissance qu'ils doivent à leur libératrice en sont d'autant plus grandes, puisque cette divine Reine parlant d'elle-même, dit que c'est par elle que les rois sont élevés et maintenus sur leur trône, que par elle les princes commandent et les puissants de la terre administrent la justice (1), qu'elle aime ceux qui l'aiment, et que ceux qui l'invoquent jouiront de la vie éternelle (2), parce qu'en opérant en elle ils ne pècheront point.

302. Je ne veux point cacher la lumière qui m'a été si souvent communiquée, et principalement celle que je reçois en cet endroit avec ordre de la manifester,

 

(1) Prov., VIII, 15 et 16. — (2) Eccl., XXIV, 31.

 

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Il m'a été découvert en Dieu que toutes les afflictions de l'Église catholique et tous les travaux que le peuple . chrétien souffre, se sont toujours dissipés par l'intercession de la très-pure Marie, et que dans ce malheureux siècle où nous sommes, auquel l'orgueil des hérétiques s'élève avec' tant d'impudence contre Dieu et contre son Église affligée, il n'y a qu'un seul remède pour mettre fin à des misères si déplorables, qui est que les rois et les royaumes catholiques adressent leurs voeux et leurs prières à la Mère de la grâce et de la miséricorde, la très-sainte Vierge, et se la rendent favorable par quelque service signalé, qui augmente sa dévotion et étende sa gloire par toute la .terre; afin qu'elle nous regarde avec miséricorde, et nous obtienne de son très-saint Fils la grâce de nous corriger et de détruire le grand nombre de vices énormes que l'ennemi commun a semés parmi le peuple chrétien, apaisant par son intercession la colère du Seigneur qui nous châtie avec tant de justice, et nous menace de plus grandes afflictions et de plus grands malheurs. Et de ce retranchement de nos.crimes s'ensuivra la victoire contre les infidèles, et l'extirpation des hérésies et des fausses sectes qui oppriment la sainte Église, parce que la très-auguste Marie est une épée qui les doit vaincre et les exterminer dans le monde.

303. Le monde ressent aujourd'hui le funeste effet de cet oubli, et si les princes catholiques ne prospèrent pas dans le gouvernement de leurs royaumes, dans leur conservation, à augmenter la foi, à résister (610) à leurs ennemis, et dans les guerres contre les infidèles; tout cela arrive parce qu'ils ne se sont pas conduits par ce nord, et n'ont pas dédié leurs actions et leurs pensées à Marie, oubliant que cette Reine se trouve dans les chemins de la justice pour la leur enseigner, pour les conduire par ses voies (1), et pour enrichir tous ceux qui l'aiment.

304. O prince et chef de la sainte Église catholique, et vous prélats qui recevez aussi le titre de princes ! ô prince catholique et monarque d'Espagne!  à qui par une obligation naturelle, par une affection singulière et par un ordre du Très-Haut, j'adresse cette humble mais néanmoins charitable et solide exhortation, mettez votre couronne et votre monarchie aux pieds de cette Reine du ciel et de la terre; adressez-vous avec confiance à la restauratrice de tout le genre humain; ayez recours à celle qui est par le pouvoir divin au-dessus de toutes puissances des hommes et de l'enfer; tournez vos affections vers celle qui a en main les clefs de la volonté et des trésors du Seigneur ; apportez votre gloire en cette sainte Cité de Dieu (2), qui ne vous la demande point par un besoin d'augmenter la sienne, mais pour accroître et pour étendre la vôtre. Efforcez-vous avec votre piété catholique et de tout votre coeur de lui rendre quelque important et agréable service, en récompense duquel Dieu a destiné des biens infinis, comme la conversion des gentils, la victoire contre les hérétiques et les

 

(1) Prov., VIII, 20. — (2) Apoc., XXI, 24.

 

païens, la paix et la tranquillité de l'Église, une nouvelle lumière et des secours efficaces pour réformer les moeurs dépravées de vos sujets, et pour faire un grand roi, glorieux en cette vie et en l'autre.

305. O monarchie catholique d'Espagne! et en ce glorieux titre, très-heureuse, si vous ajoutiez à la fermeté et au zèle de la foi que, vous avez reçue de la droite du Tout-Puissant au-dessus de vos mérites, la sainte crainte de Dieu, qui répondit à la possession de cette foi si distinguée entre toutes les nations de la terre : oh ! si pour arriver à cette fin et à cette couronne de vos félicités, tous vos habitants s'appliquaient avec une ardente ferveur à la dévotion de la très-sainte Vierge, quel serait l'éclat de votre gloire! quelle illumination , quelle protection et quelle défense ne recevriez-vous pas de cette Reine ! de quels trésors célestes vos rois catholiques ne seraient-ils point enrichis, et par leur moyen la douce loi de l'Évangile étendue par toutes les nations! Sachez que cette auguste princesse honore ceux qui l'honorent, enrichit ceux qui la recherchent (1), glorifient ceux qui la glorifient, et défend ceux qui espèrent en elle. Et je vous assure que pour pratiquer à votre égard ces faveurs de Mère singulière, elle attend et désire que vous l'obligiez et que vous excitiez son amour maternel. Mais prenez garde aussi que Dieu n'a besoin de personne, qu'il est puissant pour faire naître des pierres mêmes des enfants à Abraham (2); et que si

 

(1) Prov., VIII, 21. — (2) Luc., III, 8.

 

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vous vous rendez indigne d'un si grand bien, il peut réserver cette gloire pour ceux qui lui plairont et la mériteront davantage.

306. Et afin que vous n'ignoriez pas le service que vous pouvez rendre aujourd'hui à cette Reine de l'univers, et par lequel vous la devez sensiblement obliger, entre plusieurs que votre dévotion et votre piété vous pourront inspirer, voyez en quel état se trouve le mystère de son immaculée conception dans toute l'Église, et ce qui manque pour assurer avec solidité les fondements de cette Cité de Dieu. Ne croyez pas que cet avis vienne d'une femme ignorante et faible, ou soit inspiré d'une particulière dévotion et d'un amour de l'état que je professe sous ce nom et dans la religion de Marie sans péché originel, puisque ma créance et la lumière que j'ai reçue dans cette histoire me suffisent. Cette exhortation n'est pas pour moi, je ne la donnerais pas aussi de mon propre mouvement; j'obéis en elle au Seigneur qui donne la parole aux muets et rend les langues des enfants éloquentes. Et si quelqu'un est surpris de cette libérale miséricorde, qu'il considère avec attention ce que l'évangéliste ajoute touchant cette grande Reine, disant :

307. Que ses portes ne seront point fermées de jour, car il n'y aura pas là de nuit (1). Les portes de la miséricorde de la très-glorieuse Marie ne furent ni ne sont jamais fermées , comme aussi dès le premier instant

 

(1) Apoc., XXI, 25.

 

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de son être et de sa conception, il n'y eut en elle aucune nuit du péché qui fermât les portes de cette Cité de Dieu comme aux autres saints. Et comme dans une ville,où les portes sont toujours ouvertes, tous ceux qui y veulent entrer et en sortir le peuvent faire en toutes sortes de temps avec une grande liberté; ainsi il n'est aucun d'entre les hommes qui ne puisse entrer avec la même franchise dans la communication de la Divinité par les portes de la miséricorde de notre auguste Reine, où .les trésors du ciel tiennent leur bureau, sans aucun égard de temps, de lieu, d'âge ni de sexe. Tous ont eu la liberté d'y entrer dès sa fondation; c'est pourquoi le Très-Haut l'a fondée avec tant de portes, qui sont toujours ouvertes, libres et au jour; car dès sa très-pure conception les miséricordes et les faveurs commencèrent de sortir par ces portes pour tout le genre humain. Mais quoiqu'elle ait un si grand nombre de portes, afin que les richesses de la Divinité en sortent, elle ne laisse pas d'être très-assurée contre ses ennemis. Et partant le texte ajoute :

308. Il n'y entrera rien de souillé, ni aucun de ceux qui commettent des choses exécrables et des faussetés, mais seulement ceux qui sont écrits dans le livre de vie de l'Agneau (1). L'évangéliste met fin à ce chapitre vingt-unième en renouvelant le privilège des immunités de cette Cité de Dieu, la très-sacrée Vierge nous assurant qu'aucune chose souillée n'entrera jamais en

 

(1) Apoc., XXI, 27.

 

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elle, parce qu'elle reçut une âme et un corps immaculés; car on ne pourrait point dire qu'il n'y est rien entré de souillé, si elle avait eu la tache du péché originel, puisque les souillures des péchés actuels n'entrèrent pas même par cette porte. Tout ce qui entra dans cette sainte Cité fut ce qui était écrit en la vie de l'Agneau; parce que l'on prit le modèle et l'original de son très-saint Fils pour la former, aucune des vertus de la très-pure Marie n'ayant liu se tirer d'aucun autre principe pour petite qu'elle fût, s'il était possible de trouver quelque chose de petit en elle. Et si Marie étant cette porte, elle est encore une ville de refuge.pour les hommes, c'est avec cette condition que ceux qui commettront des choses exécrables et des faussetés n'y auront aucune part ni entrée. Mais il n'est pas pour cela défendu aux souillés et aux pécheurs enfants d'Adam d'approcher des portes de cette sainte Cité de Dieu; car, s'ils s'en approchent contrits et humiliés pour y chercher la netteté de la grâce , ils la trouveront aux portes de notre grande Reine, et non point en d'autres. Elle est nette, elle est pure, elle est abondante, et surtout elle est Mère de la miséricorde, douce, amoureuse et puissante pour nous enrichir dans nos pauvretés et pour nettoyer les taches de tous nos péchés.

Instruction que la Reine du ciel me donna sur ces chapitres.

 

309. « Ma fille, les mystères de ces chapitres renferment une grande doctrine et beaucoup de lumière, quoique vous y ayez omis bien des choses. Tâchez de profiter de tout ce que vous avez ouï et écrit, afin que vous ne receviez pas en vain la lumière de la grâce (1). Je veux bien vous avertir en peu de mots que, quoique vous ayez été conçue dans le péché, et soyez sortie de la terre avec des inclinations terrestres, vous ne perdiez pas courage en combattant vos passions, et ne vous rebutiez point jusqu'à ce que vous les ayez tout à fait vaincues, et détruit vos ennemis en elles; puisque par les forces de la grâce du Très-Haut qui vous secondera, vous pouvez vous élever au-dessus de vous-même et devenir fille du ciel, d'où la grâce descend; et afin que vous puissiez arriver à ce bonheur, vous ne devez plus vivre que dans la sainteté la plus relevée, ayant toujours votre entendement occupé à la connaissance de litre immuable et des perfections de Dieu, sans permettre qu'aucune autre application aux choses même nécessaires vous en fasse déchoir. Par ce souvenir continuel et cette vue intérieure des grandeurs de bien, vous serez disposée en tout le reste pour pratiquer la plus haute perfection

 

(1) II Cor., VI, 1.

 

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des vertus, pour recevoir les influences et les dons du Saint-Esprit, et pour arriver ù cet étroit lien d'amitié et de communication avec le Seigneur. Afin donc que vous ne mettiez en cela aucun empêchement à sa sainte volonté, qui vous a été si souvent manifestée et déclarée , travaillez à mortifier la partie inférieure de filme où résident les inclinations perverses.et .les .passions sinistres. Mourez à tout ce qui appartient à la terre, sacrifiez en la présence du Très-Haut tous vos appétits sensuels; sans condescendre à aucun; que votre volonté n'agisse que par l'obéissance, et gardez-vous bien de sortir de votre intérieur, où la clarté de l'Agneau vous illuminera. Préparez-vous pour entrer dans le lit nuptial de votre Époux, et laissez-vous orner selon, que la droite du Tout-Puissant a destiné de faire, si vous y concourez de votre part et n'y portez aucun obstacle. Purifiez votre âme par plusieurs actes de douleur de l'avoir offensé, et qu'elle le loue et le glorifie avec un amour très-ardent. Cherchez-le avec de saintes et perpétuelles inquiétudes, jusqu'à ce que vous ayez trouvé Celui que votre âme désire (1); et l'ayant une fois trouvé, ne l'abandonnez point. Je veux aussi que vous viviez dans cette vie passagère comme ceux qui l'ont achevée, attachant toutes vos vues sans discontinuer à l'objet qui les rend bienheureux. Cet objet doit être la règle de votre vie, afin que par la lumière de la foi et de la clarté du Tout-Puissant, qui vous illuminera et remplira votre esprit,

 

(1) Cant.,VIII, 4.

 

 vous l'aimiez, l'adoriez et l'honoriez toujours. Voilà ce que le Très-Haut demande de vous. Faites de sérieuses réflexions sur ce que vous pouvez acquérir et sur ce que vous devez perdre. Ne mettez point par votre négligence la chose au hasard, mais soumettez votre volonté, et réduisez-vous entièrement à la doctrine de votre Époux , à la mienne et à celle de l'obéissance , que vans devez consulter en toutes choses. n Telle fut l'instruction que la Mère du Seigneur me donna, à laquelle je répondis, toute pleine de confusion, ce qui suit

310. « Reine et Maîtresse de l'univers, à qui j'appartiens et à qui je désire d'appartenir éternellement, je loue la toute-puissance du Très-Haut, qui vous a si fort exaltée, et rendue si riche et si puissante auprès de lui; je vous supplie, mon auguste Princesse, de regarder avec miséricorde votre pauvre servante, de réparer ma lâcheté avec ces dons que le Seigneur a mis entre vos mains pour les distribuer aux misérables, de m'enrichir dans mon extrême pauvreté, et de me forcer, comme maîtresse absolue, jusqu'à ce que je veuille et opère efficacement ce qui est le plus parfait, et que je sois agréable aux yeux de votre très-saint Fils, mon Seigneur. Procurez-vous cette gloire d'avoir élevé de la poussière la plus inutile de toutes les créatures. J'abandonne mon sort entre vos mains (1); rendez-le-moi favorable, Vierge sainte, et travaillez-y efficacement : rien n'est impossible à

 

(1) Ps. XXX, 16.

 

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votre volonté, qui est toute sainte et puissante par les mérites de votre très-saint Fils, et par la parole irrévocable que la très-sainte Trinité vous adonnée de vous accorder tout ce que vous lui demanderiez. Je ne puis mériter cette grâce de vous, et j'en suis très-indigne; mais je vous la demande, ô ma Souveraine , par votre sainteté même et par votre clémence royale. »

 

CHAPITRE XX. Ce qui arriva pendant les neuf mois de la grossesse de sainte Anne, et les opérations de la très-pure Marie dans son sein, et ce que sa mère fit durant ce temps-là.

 

311. La très-sainte Vierge ayant été conçue sans péché originel, comme nous avons déjà dit par cette première vision qu'elle eut de la Divinité, son esprit fut tout absorbé et ravi de cet objet de son amour, qui commença de l’enflammer dès l'instant que son âme très-heureuse fut créée dans cet étroit tabernacle du sein maternel, pour ne cesser jamais ses ardeur, mais bien pour les continuer pendant toute l'éternité dans la gloire la plus relevée d'une pure créature, dont elle jouit à la droite de son très-saint Fils. Et afin qu’elle s avançât dans la contemplation et dans (619)  l'amour divin, outre les espèces infuses qu'elle reçut des choses créées et de celles qui rejaillirent de la première vision de la très-sainte Trinité, par lesquelles elle exerça plusieurs actes des vertus proportionnées à l'état où elle se trouvait alors, le Seigneur lui renouvela la merveille de cette vision abstractive de sa divinité, en la lui accordant deux autres fois: de sorte que la très-sainte Trinité se manifesta à elle en cette manière trois fois avant qu'elle naquit : l'une dans le premier instant qu'elle fut conçue, l'autre environ au milieu des neuf mois, et la troisième le jour qui précéda sa naissance. Il ne faut pas inférer de là que, parce que cette manière de vision ne lui était pas continuelle, elle n'en eût point d'autre , car elle en reçut une plus inférieure, quoique très-grande et fort élevée, en laquelle elle voyait par la foi et par une illustration singulière l'être de Dieu; cette manière de contemplation n'abandonna jamais notre auguste Reine, et surpassa toutes elles qu'eurent tous les voyageurs ensemble:

312. Mais bien que cette vision abstractive de la Divinité filet conforme à l'état de voyageuse, elle était toutefois si relevée et si immédiate à la vision intuitive, qu'elle ne devait pas être continuelle en cette vie mortelle à celle qui devait mériter la gloire intuitive par d'autres actes; elle lui fut néanmoins un souverain secours de grâce pour arriver à cette fin, parce qu'elle laissait dans l'âme des espèces imprimées du Seigneur, l'élevait et absorbait toute la créature dans cet heureux embrasement. de l'amour divin. Par ces visions, (620) ces saintes affections se renouvelèrent dans l'âme de la très-pure Marie pendant qu'elle fut dans le sein de sainte Anne; d'où s'ensuivit, qu'ayant l'usage très-parfait de la raison , et s'occupant à des demandes continuelles en faveur du genre humain, à des actes héroïques d'adoration , d'honneur et d'amour de Dieu , et à une sainte communication avec les anges, elle ne ressentit point la clôture de la naturelle et étroite prison du sein maternel; l'interdiction de l'usage des sens extérieurs ne lui causa aucune peine, et les incommodités ordinaires de cet état ne lui furent point à charge. Elle ne s'aperçut point de tout cela, parce qu'elle était plus en son Bien-Aimé que dans le sein de sa Mère, et même plus qu'en elle-même.

313. La dernière de ces trois visions qu'elle eut fut accompagnée par de nouvelles et par de plus admirables faveurs du Seigneur, parce qu'il lui manifesta qu'il était déjà temps de sortir à la lumière du monde et à la conversation des mortels. Et, se soumettant à la divine volonté, la princesse du ciel dit au Seigneur : « Dieu de très-haute majesté, Maître absolu de tout  mon être, âme de ma vie et vie de mon Mue, infini u en attributs et en perfections, incompréhensible,  puissant et riche en miséricordes, mon divin Roi et  mon Seigneur, je n'étais rien, et vous m'avez fait a ce que je suis; et, sans l'avoir pu mériter, vous  m'avez enrichie de votre divine grâce et de votre  lumière, afin que par elle je connusse aussitôt votre  être immuable et vos perfections divines, et qu'en  vous connaissant, vous fussiez le premier objet de (621) ma vue et de mon amour, afin que je ne cherche a point d'autre bien que vous, qui en êtes le souverain, le véritable, et toute ma consolation. Vous me   commandez, Seigneur, que je sorte pour jouir de  la lumière matérielle et de la conversation des créatures; et j'ai vu dans votre être même, comme  dans un très-clair miroir, l'état dangereux de la  vie mortelle et toutes ses misères. Si en elle je dois  manquer (par ma faiblesse et par ma nature débile)  d'un seul point à votre amour et à votre service, et que je doive y mourir alors, que je meure ici présentement plutôt que de passer à un état où je puisse   vous perdre. Mais, Seigneur, si votre sainte volonté  se doit accomplir en m'exposant sur la mer orageuse de ce monde, je vous supplie, très-haut et très-puissant protecteur de mon âme, de diriger  ma vie, de conduire mes pas, et de rendre toutes mes actions agréables à votre bon plaisir. Ordonnez  en moi la charité, afin que par le nouvel usage des  créatures, par vous et par elles, elle se perfectionne J'ai connu en vous l'ingratitude de plusieurs âmes, et je crains avec sujet (moi qui suis de leur même  nature) de commettre par quelque malheur cette a faute. J'ai joui dans cette étroite demeure, le sein de ma mère, des.espaces infinis de votre divinité : je possède ici l'unique et le souverain bien (1) en a vous possédant, mon bien-aimé, et n'ayant présentement que vous seul pour mon partage et pour ma

 

(1) Cant., VI, 8.

 

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possession, je ne sais si, étant hors de cette clôture, je ne perdrai point mon trésor à la vue d'une autre  lumière, et par l'usage de mes sens. S'il était possible et convenable de renoncer au commerce de la  vie qui m'attend, j'y renoncerais volontiers et je  m'en priverais; mais que votre volonté soit faite, et  non la mienne. Et puisque vous l'ordonnez ainsi,  donnez-moi votre bénédiction et votre agrément  pour naître au monde, et continuez-moi votre divine  protection dans l'état où vous me mettez. » Cette prière ayant été faite par la très-douce et tendre Marie, le Très-Haut lui donna sa bénédiction, et lui commanda, comme avec empire, de sortir à la lumière matérielle de ce soleil visible, et l'éclaira sur ce qu'elle devait faire pour l'accomplissement de ses désirs.

314. Sa très-heureuse mère sainte Anne, toute spiritualisée par des effets divins, laissait couler le temps de sa grossesse avec une grande douceur qu'elle ressentait en ses puissances; mais la divine Providence voulut, pour augmenter sa gloire et pour assurer la prospérité de son pèlerinage, qu'elle eût le contre-poids de quelques afflictions; car sans ce pénible secours on . ne profite pas assez des fruits de la grâce et de l'amour. Et pour mieux pénétrer ce qui arriva à cette très-sainte dame, il faut savoir qu'après que Lucifer et tous les anges rebelles furent précipités dans les abîmes, ce chef de la révolte était toujours aux aguets pour sonder toutes les plus saintes femmes de l'ancienne loi et tâcher de découvrir parmi elles celle dont il (623) avait vu le signe (1), et qui le devait fouler aux pieds et lui écraser la tète (2). Et sa rage était si grande, qu'il ne voulait pas laisser tout le soin de cette découverte à ses inférieurs; mais il s'y employait lui-même, quoiqu'il se servit d'eux contre quelques vertueuses femmes, réservant toujours ses attentions pour découvrir e attaquer celles qui se distinguaient le plus dans la pratique des vertus et en la grâce du Très-Haut.

315. Par de telles méchancetés et par ces embûches, il découvrit avec beaucoup d'étonnement la grande sainteté de notre illustre dame, et remarquait avec assiduité tout ce qui lui arrivait; et, quoiqu'il ne lui fût pas possible de pénétrer l'importance du trésor que son sein bienheureux renfermait (parce que le Seigneur lui cachait ce mystère et plusieurs autres), il se sentait néanmoins repoussé par une grande force et par une vertu extraordinaire qui rejaillissait de sainte Anne; et ne pouvant découvrir la cause de cette puissante efficacité, il s'en troublait, et s'inquiétait bien souvent dans sa propre fureur. D'autres fois il s’apaisait un peu, croyant que cette grossesse était selon le même ordre et les mêmes causes naturelles que les autres, et qu'il n'avait en elle rien à craindre de nouveau, parce que le Seigneur le laissait chanceler dans sa propre ignorance , et permettait qu'il fût agité dans les superbes flots de son indignation. Mais son esprit très-pervers s'étonnait fort, nonobstant cela, de voir tant de quiétude en sainte Anne pendant sa grossesse,

 

(1) Apoc., XII, 1. — (2) Gen., III, 15.

 

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et que plusieurs anges l'assistaient, ce qui lui était quelquefois découvert: et surtout il avait un sensible dépit de voir que ses forces étaient inutiles pour résister à Celle qui sortait de notre bienheureuse sainte, commençant de douter qu'elle ne provint pas d'elle seule.

316. Le dragon, étant tout alarmé par ces soupçons, détermina d'ôter la vie, s'il pouvait, à la très-heureuse Anne, ou du moins de faire ses efforts, s'il n'y pouvait réussir, pour empêcher qu'elle n accouchât heureusement de son fruit. Car l'orgueil de Lucifer était si démesuré, qu'il se flattait de pouvoir vaincre ou faire périr (si la chose ne lui était cachée) Celle qui devait être Mère du Verbe incarné, et même le ;Messie, le restaurateur du monde Il fondait cette suprême audace sur ce que sa nature angélique était supérieure en qualité et en forces à la nature humaine : comme si la grâce n'eût point été au-dessus de l'une et de l'autre, et qu'elles ne fussent pas soumises à la volonté de leur Créateur. Avec cette folle et téméraire présomption il osa tenter sainte Anne par plusieurs fausses persuasions, par des terreurs, des troubles et des défiances de sa grossesse, en lui représentant le nombre de ses années et celles qu'elle avait passées sans enfants : le démon pratiquant tout cela pour sonder la vertu de la sainte, et pour voir si l'effet de ses persuasions lui donnerait quelque jour pour lui ravir la volonté par quelque consentement.

317. Mais notre invincible dame résista courageusement à ces attaques avec une force admirable, une (625) patience constante, une prière continuelle, et par une vive foi au Seigneur, se servant de ses armes pour rendre inutiles et vains tous les efforts du dragon, qui, à sa grande confusion, augmentaient en elle la grâce et la protection divine; car outre les grands mérites que la sainte mère s'acquérait, les princes célestes, qui gardaient sa très-sainte fille, la défendaient et chassaient les démons de sa présence. L'insatiable malice de cet ennemi ne se rebutant point pour cela, et comme sa témérité et son orgueil surpassent ses forces (1), il entreprit de se servir des moyens humains, parce qu'il se promet toujours par de telles voies des victoires plus assurées. Ayant donc tâché en premier lieu d'abattre la maison de saint Joachim et de sainte Anne, afin qu'elle se troublât et s'inquiétât par cette alarme, et n'y ayant pu réussir, parce que les anges bienheureux lui résistèrent, il suscita et irrita certaines femmelettes d'un esprit faible de la connaissance de sainte Anne, afin qu'elles eussent du bruit avec elle, comme elles le firent véritablement, s'acharnant contre notre sainte avec beaucoup de rage, lui vomissant mille injures, et lui faisant de sensibles affronts. Elles firent entre elles de grandes moqueries et de grandes railleries de sa grossesse, lui disant que c'était une tromperie du démon de croire d'être enceinte dans l'âge où elle était.

318. Sainte Anne ne fut point troublée par cette tentation; au contraire elle supporta toutes ces

 

(1) Isa., XVI, 6.

 

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injures avec une grande douceur et une charité admirable, obligeant celles qui les lui faisaient; et dès lors elle regarda ces femmes avec plus d'affection, et leur rendit des services plus considérables. Leur animosité pourtant ne se modéra pas sitôt, parce que le démon les avait déjà possédées pour les animer contre la sainte; et quand on s'est une fois abandonné à ce cruel tyran , son empire s'accroît pour maîtriser avec plus de violence ceux qui s'y sont soumis. Il incita donc ces furieuses à machiner quelque trahison contre la personne et la vie de sainte Anne; ce qu'elles .firent, sans pouvoir pourtant exécuter leurs mauvais desseins, parce que la vertu divine rendait toujours plus faibles et plus vaines les forces de ces méchantes femmes, qui ne purent rien faire contre la sainte: au contraire. elle les rangea à la raison par ses douces remontrances, et les convertit par ses charitables prières.

319. Ainsi le dragon fut vaincu, mais non pas désabusé, parce que, persistant toujours dans sa téméraire obstination, il se servit d'une servante de nos deux saints mariés, et l'irrita de telle sorte contre sainte Anne, qu'elle devint plus méchante que les autres, étant ennemie domestique, et partant plus obstinée et plus dangereuse. Je ne m'arrête point à raconter ce que l'ennemi essaya par le moyen de cette servante, parce que c'était la même chose que ce qu'il venait d'entreprendre, quoique ce fût avec bien plus d'affliction et de péril pour notre sainte dame; elle sortit néanmoins par le secours divin victorieuse de (627) cette tentation, et beaucoup plus glorieusement que des autres, parce que le défenseur d'Israël, qui gardait sa sainte Cité, ne dormait pas (1), l'ayant environnée des plus valeureux de sa milice céleste pour sa garde, qui mirent en fuite Lucifer et ses ministres, afin qu'ils ne troublassent plus le repos de la victorieuse mère, qui se préparait déjà pour son très-heureux accouchement de la Princesse du ciel, s'y étant disposée par les actes héroïques des vertus et par les mérites qu'elle s'était acquis dans ces combats, car cette fin tant désirée s'approchait toujours davantage. Et je souhaite aussi celle de ces chapitres pour ouïr les salutaires instructions de ma Reine et ma Maîtresse; car, bien qu'elle me fournisse tout.ce que j'écris, ses avis maternels me sont néanmoins d'un très-grand profit. Aussi je les attends avec une joie inconcevable et une consolation particulière de mon âme.

320. Parlez donc, ma divine Princesse, car votre servante écoute. Et si vous me donnez la permission, bien que je ne sois que poussière et que cendre (2), je prendrai la liberté de vous proposer un doute qui m'est venu sur ce chapitre, puisque je veux soumettre à votre bénignité de mère, de reine et de princesse tous ceux qui me pourront survenir. Le doute où je suis est celui-ci : Comment est-il possible, Princesse de l'univers, qu'ayant été conçue sans péché et avec une si sublime connaissance de toutes choses que

 

(1) Ps. CXX, 4.. — (2) Gen., XVIII, 27.

 

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votre âme très-sainte reçut dans la vision de la Divinité, la crainte et les douleurs si grandes que vous aviez de perdre l'amitié de Dieu et de l'offenser, se trouvassent et compatissent avec cette grâce ? Si dans le premier instant de votre être la grâce vous prévint, comment appréhendiez-vous de la. perdre dans un commencement si tendre? Et si le Très-Haut vous exempta du péché, comment pouviez-vous tomber en d'autres et offenser Celui qui vous préserva du premier?

 

 

Instruction et réponse de la Reine du ciel.

 

321. Ma fille, écoutez la réponse à votre doute. Quand j'aurais connu mon innocence et ma conception immaculée dans la vision que j'eus de la Divinité au premier instant de mon être, les faveurs et les dons de la main du Seigneur sont d'une telle nature, que plus ils affermissent et sont connus, plus les applications qu'ils excitent à les conserver sont grandes, aussi bien que les soins de ne pas offenser leur Auteur, qui les communique à la créature par sa seule bonté; et ils sont accompagnés de tant de lumières, qu'on ne peut douter qu'ils ne proviennent de la seule vertu divine, et par les mérites de mon très-saint Fils; l'insuffisance et la bassesse de la créature s'y découvrent (629) si fort, qu'elle est très-clairement convaincue qu'elle ne mérite point ce qu'elle reçoit, et qu'elle ne peut ni ne doit se l'approprier, ne lui appartenant en aucune manière. Connaissant aussi qu'il y a un Seigneur et une cause suprême qui le lui accorde par pure libéralité, et que Celui qui le lui donne, le lui peut ôter et lé distribuer à qui bon lui semblera; de là naissent absolument les applications et les soins qu'on prend pour ne pas perdre ce que l'on a reçu par grâce, et de faire tout son possible pour le conserver et pour augmenter le talent (1), puisque l'on connaît que c'est le seul moyen de ne point perdre ce que nous avons en.dépôt, et qu'on le donne à la créature afin qu'elle le fasse valoir et travailler à la gloire de son Créateur. Car le plus juste moyen que nous ayons pour conserver les bienfaits de la grâce reçue, est d'agir pour cette fin.

322. Outre cela on tonnait dans cet état la fragilité de la nature humaine, et son libre arbitre pour le bien et pour le mal. Le Très-Haut ne m'ayant point privée de. cette connaissance, ne l'ôtant même à personne dans cette vie passagère; au contraire, il la laisse à tous comme il est convenable, afin que par cette vue la sainte crainte de tomber dans le moindre petit péché s'enracine davantage. Cette lumière fut plus grande en moi, car je connus qu'une petite faute dispose à une plus grande, et que, la seconde est un châtiment de la première. Il est vrai que par les

 

(1) Matth., XXV, 16.

 

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faveurs et les grâces que le Seigneur avait opérées en mon âme, il n'est pas possible que je tombasse en aucun péché. Mais sa providence disposa de telle sorte ce bienfait, qu'il me cacha l'assurance absolue de ne point pécher, connaissant qu'il m'était possible de tomber par moi seule, et qu'il dépendait seulement de la divine volonté de ne le faire pas. Ainsi il réserva pour lui la connaissance et ma sûreté, me laissant l'heureuse méfiance et la sainte crainte de pouvoir pécher comme voyageuse, la conservant toujours depuis ma conception jusqu'à la mort; et plus j'avançais dans la vie, plus elle augmentait.

323. Le Très-Haut me donna aussi la discrétion et l'humilité, afin que je ne m'informasse point de ce mystère par une recherche trop curieuse ; ma seule application était de me confier à sa bonté et à son amour, dont j'attendais tout mon secours pour ne point l'offenser. Et de là résultaient deux effets nécessaires à la vie chrétienne, l'un qui procurait la tranquillité à mon âme, et l'autre,qui me maintenait dans la crainte de perdre mon trésor, et dans la vigilance pour le conserver. Et comme c'était une crainte filiale, elle ne diminuait en rien l'amour : au contraire, elle l'enflammait et l'augmentait toujours plus. Ces deux effets d'amour et de crainte faisaient en mon âme un accord divin, qui réglait toutes mes actions pour m'éloigner du mal et m'unir au souverain bien.

324. Ma chère amie, c'est la plus grande preuve des choses qui concernent l'esprit, quand elles (631) viennent avec une véritable lumière et une sainte doctrine, quand elles enseignent la plus haute perfection des vertus, et meuvent avec une sainte violence à la cher-. cher. Les bienfaits qui descendent du Père des lumières ont cette propriété d'assurer en humiliant, et d'humilier sans faire perdre l'espérance; de mêler la confiance avec les applications et les soins , et ceux-ci avec la tranquillité et la paix, de telle sorte qu'il ne se trouve dans ces affections aucun obstacle qui puisse empêcher l'accomplissement de la divine volonté. Et vous, âme favorisée, offrez au Seigneur de ferventes et humbles actions de grâces, pour avoir été si libéral à votre égard lorsque vous le méritiez si peu; pour vous avoir illustrée de sa divine lumière, introduite dans le cabinet de ses secrets, et prévenue de la sainte crainte de sa disgrâce. Usez-en pourtant avec modération, et excédez davantage en amour, vous élevant Avec ces deux ailes au-dessus de tout ce qui est terrestre et au-dessus de vous-même. Tâchez de vous dépouiller maintenant de toutes les affections désordonnées qu'une crainte excessive pourrait émouvoir en vous; abandonnez votre cause au Seigneur, et prenez la sienne pour la vôtre. Craignez jusqu'à ce que vous soyez purifiée et nettoyée de vos péchés et de vos ignorances; aimez le Seigneur jusqu'à ce que vous soyez toute transformée en lui, faites-le maître de tout et l'arbitre de vos actions, sans que vous le soyez de personne. Défiez-vous de votre propre jugement, et ne faites point la sage avec vous-même (1), parce

 

(1) Prov., III, 7.

 

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que les passions aveuglent facilement le propre sentiment, l'entraînent après elles, et ce sentiment, de concert avec les passions, ravit la volonté; de façon que l'on craint ce qu'on ne devrait pas craindre, et qu'on a de vaines complaisances pour ce qui est préjudiciable. Assurez-vous de telle sorte que vous ne vous complaisiez point en vous-même par de légères et vaines satisfactions ; doutez et craignez jusqu'à ce que par une tranquillité soigneuse et agissante vous ayez trouvé le juste équilibre de toutes choses; et vous le trouverez toujours si vous vous soumettez à l'obéissance de vos supérieurs et à ce que le Très-Haut vous enseignera et opérera en vous. Et bien que les effets soient bons en la fin que l'on désire, ils doivent néanmoins être tous examinés et réglés par l'obéissance et par le conseil, car sans cette direction ils deviennent des avortons et inutiles. Appliquez-vous donc, ma fille, en toutes choses à ce qui est le plus saint et le plus parfait.

 

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CHAPITRE XXI. De l’heureuse naissance de la très-pure Marie, notre auguste Reine, des faveurs qu'elle y reçut de la main du Très-Haut; et comme on lui imposa le nom au ciel et en la terre.

 

525. L'agréable jour du très-heureux accouchement de sainte Anne vint réjouir le monde par la naissance de celle qui le venait honorer de sa présence, étant sanctifiée et consacrée pour être la Mère de Dieu. Cet accouchement arriva le huitième jour de septembre, les neuf mois après la conception de l'âme très-sainte de notre Reine et Maîtresse ayant été accomplis. Sa mère Anne fut prévenue d'une illustration intérieure en laquelle le Seigneur l'avertit que l'heure de son accouchement s'approchait. Et étant remplie de la joie de l'Esprit divin, elle donna toutes ses attentions à sa voix; et se prosternant dans sa prière, elle demanda au Seigneur de l'assister de sa grâce et de sa protection, afin qu'elle accouchât heureusement. Dans cet instant elle ressentit un mouvement dans son sein, que les enfants excitent naturellement au temps de leur naissance. Et alors cette très-heureuse fille Marie fut élevée par une providence et une vertu divines en une extase très-sublime, en (634) laquelle se trouvant absorbée et abstraite de toutes les opérations sensibles, elle naquit au monde sans s'en apercevoir par les sens, comme par eux elle l'aurait pu connaître, si, étant joints à l'usage de la raison qu'elle avait, on les eût laissés agir naturellement dans cette heure favorable; mais le pouvoir du Très-Haut le disposa ainsi, afin que la Princesse du ciel ne ressentit point ce qu'il y avait de naturel dans le progrès de cet enfantement.

326. Elle naquit pure, nette, belle et toute pleine de grâces, nous donnant à connaître par là qu'elle venait exempte de la loi et du tribut du péché. Et quoiqu'elle naquit comme les autres filles d'Adam en la substance, ce fut néanmoins avec de telles circonstances et des accidents si particuliers de grâces, qu'ils rendirent cette naissance miraculeuse et admirable pour toute la nature, et pour une éternelle louange de Celui qui en était l'auteur. Cette divine étoile avant-courière du jour parut donc au monde sur la minuit, commençant à diviser celle de l'ancienne loi et des premières ténèbres, du nouveau jour de la grâce qui se disposait à paraître. On l'enveloppa de ses langes, et celle qui avait toutes ses pensées et tous ses désirs en la Divinité, fut emmaillotée comme les autres enfants et traitée comme une petite créature, quoiqu'elle surpassât en sagesse et les hommes et les anges. Sa mère ne voulut point permettre alors que d'autres mains que les siennes s'employassent à l’accommoder; elle en prit elle-même tout le soin, n'étant nullement embarrassée de ses couches, parce (635) qu'elle fut délivrée des tributs incommodes que les autres mères paient ordinairement.

327. Sainte Anne reçut entre ses bras celle qui étant sa propre fille était aussi le plus riche trésor du ciel et de la terre, entre les pures créatures, dont elle était la Reine, n'étant inférieure qu'à Dieu seul. Sa mère l'offrit avec ferveur et avec des larmes de joie à sa divine Majesté, disant intérieurement; « Seigneur, dont la sagesse et le pouvoir sont infinis, créateur de tout ce qui a l’être, je vous offre le fruit que je  viens de recevoir de votre divine bonté, et je vous  rends des actions éternelles de grâces de me l'avoir   donné sans l'avoir pu mériter. Faites, Seigneur,  de la fille et de la mère selon votre très-sainte volonté, et daignez regarder de l’inaccessible trône de votre gloire notre petitesse. Soyez éternellement a béni d'avoir enrichi le monde d'une créature qui  est si fort agréable à votre bon plaisir, et d'avoir préparé en elle la demeure et le tabernacle du Verbe éternel (1). J'en félicite mes saints pères et  les prophètes, et en eux tout le genre humain, à cause du gage assuré que vous leur donnez de leur  rédemption. Mais comment me comporterai-je avec  celle que vous me donnez pour fille, ne méritant pas d'être sa servante? Comment oserai-je toucher à la véritable Arche du Testament? Donnez-moi, mon  Seigneur et mon Roi, la lumière qui m'est nécessaire pour découvrir votre sainte volonté et pour

 

(1) Sap., IX, 4.

 

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l'exécuter selon votre bon plaisir, et dans les services que je dois rendre à ma fille. »

328. Le Seigneur répondant intérieurement à la sainte dame, lui dit de traiter cette divine créature comme de mère à fille en ce qui concernerait l'extérieur, sans lui témoigner aucun sensible respect; mais qu'elle le conservât dans son intérieur, et que dans son éducation elle accomplit les devoirs d'une véritable mère, élevant sa fille avec autant de soin que d'amour. L'heureuse mère pratiqua tout cela, et usant de ce droit et de cette permission sans manquer pourtant à l'honneur qui lui était dû, elle s'égayait avec sa très-sainte fille, la traitant et la caressant selon la coutume des autres mères, y observant néanmoins une certaine estime et retenue dignes du mystère si caché et si divin qui se trouvait renfermé entre la fille et la mère. Les anges de la garde de la très-douce fille, accompagnés d'une autre grande multitude, l'adorèrent, lui rendirent leurs honneurs entre les bras de sa mère, et lui chantèrent une musique céleste que la bienheureuse Anne ouït en partie; les mille anges destinés pour la garde de notre auguste Reine s'offrirent et se dédièrent à elle pour la servir, et ce fut la première fois que la divine Princesse les vit en forme corporelle avec les devises et les marques que je dirai dans un autre chapitre; et l'enfant leur demanda qu'ils louassent le Très-Haut avec elle et en son nom.

329. A l'instant que notre Reine Marie naquit, le Très-Haut envoya le saint archange Gabriel afin qu'il (637) annonçât aux saints pères des Limbes une nouvelle si heureuse et si consolante pour eux. L'ambassadeur céleste descendit incontinent, illustrant cette profonde caverne et réjouissant les justes qui s'y trouvaient détenus. Il leur annonça que le jour de la félicité éternelle tant désiré et attendu par les saints pères commençait déjà à paraître, que la réparation du genre humain, si fort prédite par les prophètes, s'approchait, parce que celle qui devait être bière du Messie promis venait de naître, et qu'ils ne tarderaient pas de voir le salut et la gloire du Très-Haut. Le saint prince leur fit connaître les excellences de la très-sainte Marie, et ce que la main du Tout-Puissant avait commencé d'opérer en elle, afin qu'ils pénétrassent mieux l'heureux principe du mystère qui devait mettre fin à leur longue prison; de sorte, que tous ces pères, ces prophètes et tous les autres justes qui étaient aux Limbes se réjouirent et louèrent le Seigneur par des cantiques nouveaux pour cette faveur.

330. Tout ce que je viens de raconter étant arrivé en fort peu de temps, auquel notre Reine vit la lumière du soleil matériel, elle connut ses parents naturels et plusieurs autres créatures par ses propres sens; et ce fut le premier pas qu'elle fit dans ce monde en naissant. Le puissant bras du Très-Haut commença alors d'opérer en elle de nouvelles merveilles au-dessus de tout ce que les hommes peuvent s'imaginer; et la première et fort surprenante fut d'envoyer une multitude innombrable d'anges, afin qu’ils (638) enlevassent dans le ciel empyrée, en corps et en âme, celle qui était élue pour être la Mère du Verbe éternel, pour la cause que le Seigneur avait déterminée. Les princes bienheureux exécutèrent cet ordre; et ayant pris cette aimable enfant des bras de sa mère sainte Anne, ils ordonnèrent une solennelle et nouvelle procession, enlevant avec des cantiques d'une joie incomparable la véritable Arche du Nouveau Testament, afin qu'elle fût pour quelque espace, non en la maison d'Obededom, mais dans le temple du souverain Roi des rois, et Seigneur des seigneurs, où elle devait être ensuite éternellement placée. Voilà le second pas que la très-pure Marie fit en sa vie, depuis ce monde inférieur jusqu'au ciel de la gloire.

331. Qui pourra dignement exalter ce merveilleux prodige de la droite du Tout-Puissant? Qui racontera la joie et l'admiration des esprits célestes, lorsqu'ils contemplaient cette merveille si étrange entre les oeuvres du Très- Haut, et la célébraient par des cantiques nouveaux? Ils reconnurent dans cette occasion leur Reine, et rendirent hommage à leur Maîtresse, qui était élue pour être la Mère de Celui qui devait être leur chef, et qui était la cause de la grâce et de la gloire qu'ils possédaient, puisqu'il les leur avait acquises par ses mérites prévus en la divine acceptation. Mais qui peut pénétrer le secret du coeur de cette tendre et aimable enfant dans le progrès et les effets d'une si rare faveur? Je le laisse à penser à la piété catholique, et beaucoup plus à ceux qui le connaîtront dans le Seigneur, et à nous, quand par sa (639) miséricorde infinie nous arriverons à jouir de lui face à face.

332. La petite Marie entra par le ministère des anges dans le ciel empyrée; et étant prosternée par affection devant le. trône royal du Très-Haut, il y arriva (à notre façon de concevoir) la vérité de ce qui se fit auparavant en figure, lorsque Bethsabée entrant en la présence de son fils Salomon, qui de son trône jugeait le peuple d'Israël, il se leva, et recevant sa mère il l'exalta et l'honora, en lui donnant une place de reine à son côté (1). La personne du Verbe éternel pratiqua avec bien plus de gloire et d'admiration la même chose en faveur de l'enfant Marie, qu'il avait élue pour être sa Mère, la recevant dans son trône et la mettant à son côté en possession du titre de sa propre Mère et de Reine de toutes les créatures, bien qu'elle ignorât alors cet avantage et la fin de ces mystères et de ces faveurs si ineffables; mais ses tendres forces furent augmentées par la vertu divine pour les recevoir. Elle reçut de nouvelles grâces et des dons extraordinaires, par lesquels ses puissances extérieures et intérieures furent élevées à proportion, et les intérieures reçurent encore une nouvelle grâce et une lumière distinguée, par lesquelles elles furent disposées, Dieu les élevant et les proportionnant par ces moyens à l'objet qu'il lui devait manifester; et lui ayant donné cette lumière nécessaire, il découvrit sa divinité, et la lui manifesta

 

(1) III Reg., II, 19.

 

640

 

intuitivement et clairement en un degré très-sublime ce fut la première fois que cette très-sainte âme de Marie vit la très-heureuse Trinité par une vision claire et béatifique.

333. Le seul auteur d'un miracle si inouï, et les anges, qui connaissaient avec admiration quelque chose de ce mystère en lui, furent témoins de la gloire que l'enfant Marie reçut dans cette vision, des nouveaux secrets qui lui furent révélés, et des effets qui en rejaillirent dans son âme très-pure. Mais notre divine Reine étant à la droite du Seigneur, qui ,devait être son Fils, et le voyant face à face, lui demanda bien plus heureusement que Bethsabée à son fils Salomon, qu'il donnât la Sunamite Abysag (1) pure et sans tache, qui était son inaccessible divinité, à la nature humaine sa propre soeur, et qu'il accomplit sa parole en descendant du ciel en terre pour y célébrer le mariage de l'union hypostatique en la personne du Verbe, puisqu'il l'avait si souvent engagée aux hommes par l'organe des patriarches et des anciens prophètes. Elle le pria de hâter le remède du genre humain, qui l'attendait depuis tant de siècles, pour empêcher par là que les péchés, seule cause de la perte des âmes, ne se multipliassent toujours plus. Le Très-Haut écouta cette demande si agréable, et promit à sa Mère avec bien plus de bonté que Salomon à la sienne, qu'il ne tarderait pas d'effectuer ses promesses et qu'il descendrait au monde, y prenant chair humaine pour le racheter.

 

(1) III Reg., 11, 21.

 

641

 

334. Il fut déterminé dans ce consistoire et ce tribunal divin de la très-sainte Trinité, de donner le nom à l'enfant Reine; et comme il n'en est point de légitime et de propre que celui qui est imposé dans l'âtre immuable de Dieu , où toutes choses se distribuent et s'ordonnent avec équité, poids et mesure, et avec une sagesse infinie, sa Majesté le lui voulut imposer et donner par lui-même dans le ciel, où elle manifesta aux esprits angéliques que les trois personnes divines, dès' le commencement et avant tous les siècles, avaient décrété et formé le très-doux nom de Jésus pour le Fils, et celui de Marie pour la Mère, et que dans toutes,les éternités elles avaient pris leur complaisance en eux, et les avaient gravés en leur mémoire éternelle , les ayant présents en toutes les choses auxquelles elles avaient donné l'être, parce qu'elles les créaient pour leur service. Les saints anges connaissaient ces mystères, et plusieurs autres ouïrent une voix sortant du trône, qui disait en la personne du Père éternel ; « Notre élue se doit appeler Marie, et ce nom doit être merveilleux et magnifique; ceux qui l'invoqueront avec une affection  sincère et dévote , recevront des grâces très-abondantes ; ceux qui l'auront en vénération et le prononceront avec respect seront consolés et vivifiés,  et tous trouveront en lui le remède à leurs maux, des trésors pour s'enrichir, et la lumière pour les  conduire à la vie éternelle. Il sera terrible contre  l'enfer, il écrasera la tête du serpent, et remportera d'insignes victoires sur les princes des (642) ténèbres. » Le Seigneur commanda aux esprits angéliques d'annoncer cet heureux nom à sainte Anne, afin que ce qui avait été confirmé dans le ciel fût exécuté sur la terre. La divine enfant, prosternée par affection devant le trône, rendit de très-humbles . actions de grâces à litre éternel, et elle reçut le nom avec d'admirables et très-doux, cantiques. S'il fallait écrire les prérogatives et les grâces qui lui furent accordées, il en faudrait faire plusieurs volumes à part. Les saints anges adorèrent, et reconnurent encore dans le trône du Très-Haut la très-sainte Marie, pour celle qui devait être la Mère du Verbe, leur Reine et leur, Maîtresse; et ils, en honorèrent le nom en se prosternant à la prononciation que la voix du Père éternel en fit; et cette vois sortait du trône, et ceux qui avaient ce nom sur leur sein pour devise, s'y distinguèrent , chantant tous des cantiques de louanges pour de si grands et si cachés mystères; cette jeune Reine ignorant toujours la cause de tout, ce quelle connaissait, parce que la dignité de Mère du Verbe incarné ne lui fut manifestée qu'au temps de l'incarnation. Les mêmes anges qui l'avaient portée dans le ciel empyrée, la remirent avec la même joie et le même honneur entre les bras de sainte Anne, à laquelle ce succès et l'absence de sa fille furent aussi cachés; parce qu'un ange de sa garde occupa sa place, ayant pris un corps aérien pour cet effet. Outre que pendant un assez long temps que la divine enfant fut dans le ciel empyrée, sa mère Anne eut une extase d'une très-haute contemplation, en laquelle (643) (bien qu'elle ignorât ce qui se passait en sa fille) de très-grands mystères lui furent découverts touchant la dignité de Mère de Dieu pour laquelle elle était choisie. Et la prudente dame- les conserva toujours dans son cœur pour régler. sur leur importance tout ce qu'elle devait pratiquer à l'égard de sa très-sainte Fille.

335. Huit jours après la naissance de la grande Reine, un très grand nombre de très-beaux anges descendit du ciel d'une manière très-magnifique, ayant ebacun' un bouclier lumineux où le nom de MARIE était gravé tout éclatant et : rayonnant de lumière; ils se manifestèrent tous à l'heureuse mère Anne, et lui dirent que le nom de sa fille était celui de Marie, qu'elle y voyait marqué:, que la divine Providence le lui avait donné, et voulait qu'elle et Joachim le lui imposassent sans différer. La sainte l'appela, et ils conférèrent ensemble sur la volonté de Dieu pour donner le nom à leur fille; le bienheureux père reçut ce nom avec une joie particulière et une dévote affection. Ils déterminèrent de convoquer leurs parents et un prêtre, et ils imposèrent avec beaucoup de solennité, et dans un banquet fort somptueux, le nom de Marie à celle qui venait de naître. Les Anges: le célébrèrent avec une très-douce et admirable musique, qui ne fut ouie que de la mère et de sa très-sainte fille; de sorte que le même nom qui avait été. donné à notre divine Princesse parla très-sainte Trinité dans le ciel, lui fut pareillement donné sur la terre huit jours après sa naissance. Il fut écrit (644) sur le registre commun, lorsque sa mère monta au temple pour y accomplir la loi, comme nous le dirons dans la suite. Ce fut là le plus extraordinaire enfantement et le plus nouveau que l'on eût jamais vu jusqu'alors au monde, et qui se puisse trouver en une pure créature. Ce fut la plus heureuse naissance que la nature pût connaître, puisqu'elle ne se trouva pas seulement exempte des souillures du péché dans le premier jour de son enfance et de sa vie; mais aussi plus pure et plus sainte que les plus hauts séraphins. La naissance de Moïse (1) fut célébrée à cause de la beauté et des charmes que l'on découvrait en lui; mais tout cela n'était qu'apparent et corruptible. Oh! que notre petite Marie est belle ! oh! qu'elle est belle! Elle est toute belle (2) et très-douce en ses délices, parce qu'elle possède toutes les grâces et toutes les beautés sans qu'il lui en manque aucune. La naissance d'Isaac promis, et conçu d'une mère stérile, fut le ris et la joie de la maison d'Abraham (3) ; mais cet enfantement n'eut rien de plus grand, qu'en ce qu'il participait et dérivait de notre divine Reine, à laquelle toute cette joie tant désirée s'adressait. Et s'il causa tant d'admiration et tant de réjouissances dans la famille du patriarche, c'est parce qu'il était comme les prémices de la naissance de la très-douce Marie; en celui-ci le ciel et la terre se doivent réjouir, puisqu'il nous donne celle qui doit réparer les ruines du ciel et sanctifier le monde. Noé (4) consola son père

 

(1) Exod., II, 2. — (2) Cant., IV, 1 et 7. — (3) Gen., XXI, 6. — (4) Id., V, 29.

 

645

 

Lamech en naissant, parce que Dieu le destinait pour assurer en lui la conservation du genre humain dans l'arche, et la restauration de ses bénédictions dont les hommes s'étaient rendus indignes par leurs péchés; mais le tout ne se faisait que pour préparer les voies à la venue au monde de notre divin enfant, qui était aussi l'Arche mystique qui portale nouveau et le véritable Noé, l'ayant attiré du ciel pour remplir de bénédictions tous les habitants de la terre. O heureux enfantement ! ô agréable naissance ! qui pendant tous les siècles passés avez été la plus grande complaisance de la très-heureuse Trinité, la réjouissance des anges, le soulagement des pécheurs, la joie des justes et la singulière consolation des saints qui vous attendaient dans les limbes.

336. O précieuse et riche perle! qui parûtes au soleil enfermée dans la grossière nacre de ce monde. O grande enfant ! si les yeux terrestres peuvent à peine apercevoir votre petitesse à la faveur de la lumière matérielle, vous ne laissez pas de surpasser en cet état, aux yeux du souverain Roi et de ses courtisans, en dignité et en grandeur, tout ce qui n'est pas Dieu ! Que toutes les générations vous bénissent; que toutes les nations reconnaissent et louent vos grâces, vos charmes et vos beautés. Que la terre soit illustrée par cette naissance , et que les mortels se réjouissent, parce que leur réparatrice est née, qui doit remplir le vide que le premier péché causa, et dans lequel il les laissa. Que l'excès de bonté que vous avez pratiqué envers moi, qui ne suis qu’un petit ver de terre que (646) poussière et que cendre, soit béni et exalté. Si vous me permettez, mon aimable princesse, de parler en votre présence, je vous proposerai un doute qui m'est venu sur ce mystère de votre sainte et admirable naissance, et sur ce que le Très-Haut opéra envers vous à l'heure qu'il vous mit dans cette lumière matérielle du soleil.

337. Comment pourra-t-on concevoir que vous fûtes portée en corps par le ministère des anges bienheureux jusque dans li ciel empyrée et en vue de la Divinité? puisque ; selon la doctrine de la sainte Église et de ses docteurs, le ciel fut fermé et comme interdit aux hommes jusqu'à ce que votre très-saint Fils l'eût ouvert par sa vie et par sa mort, et y eût fait son entrée comme leur rédempteur et leur chef, lorsque après être ressuscité, il y monta le jour de son admirable et glorieuse Ascension, étant le premier pour lequel s'ouvrirent ces portes éternelles qui étaient fermées par le péché.

 

Réponse et instruction de la Reine du ciel.

 

338. Ma très-chère fille, il est vrai que la divine justice ferma le ciel aux mortels à cause du premier péché, jusqu'à ce que mon très-saint Fils l'ouvrit (647) en satisfaisant par sa vie et par sa mort surabondamment pour les hommes, puisqu il était très juste et très-convenable que le Réparateur, qui comme chef avait uni à soi les membres rachetés et leur ouvrait le ciel, y entrât avant les enfants d'Adam. Car si ce premier homme n'eût pas péché, il ne serait pas nécessaire de garder cet ordre, afin que les hommes montassent dans le ciel empyrée pour y jouir de la Divinité; mais la très-sainte Trinité ayant vu la chute du genre humain, détermina ce qui s'exécute et s'accomplit maintenant. Et ce grand mystère fut celui que David renferma dans le psaume XXIII, lorsqu'il dit deux fois en parlant avec les esprits célestes : Ouvrez, princes, vos portes; et vous, portes éternelles, élevez-vous, et le Roi de gloire entrera (1). Il dit aux anges que les portes étaient les leurs, parce qu'elles n'étaient ouvertes que pour eux, étant fermées pour les hommes mortels. Et bien que ces courtisans du ciel n'ignorassent pas que le Verbe incarné ne leur eût déjà ôté les verrous et les serrures du péché, le voyant monter enrichi et glorieux par les dépouilles de la mort et du péché, et même par les prémices qu'il recevait de sa passion en la gloire des saints pères des limbes qu'il conduisait en sa compagnie; néanmoins les saints auges vont au-devant de lui, comme émerveillés et ravis de cette aimable nouveauté, se demandant les uns les autres : Qui est ce Roi de gloire (2), étant homme et de la nature de celui qui perdit pour soi

 

(1) Ps. XXIII, 7. —  (2) Ibid., 8.

 

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et pour tous ses descendants le droit de monter au ciel?

339. A ce doute, ils se répondent en disant que c'est le Seigneur fort et puissant en bataille, et le Seigneur des vertus, Roi de gloire (1). Et c'était comme déclarer qu'ils étaient déjà convaincus que cet homme qui venait du monde pour ouvrir les portes éternelles, n'était pas seulement homme et nullement compris dans la loi du péché, mais qu'il était homme et Dieu véritable, qui, étant fort et puissant en bataille, avait vaincu le fort armé qui régnait dans le monde, et l'avait dépouillé de son royaume et de ses armes. Il était aussi Seigneur des vertus, parce qu'il les avait pratiquées comme en étant le maître, avec empire et sans opposition du péché et de ses effets. Et comme Seigneur de la vertu et Roi de gloire (2), il venait triomphant, et distribuant les vertus et la gloire à ses rachetés, pour lesquels, en tant qu'homme, il avait souffert et était mort; et en tant que Dieu il les élevait dans l'éternité de la vision béatifique, ayant brisé les serrures et les empêchements que le péché y avait mis.

340. Ce fut, ma fille, ce que fit mon Fils bien-aimé, Dieu et homme véritable ; il m'éleva comme Seigneur des vertus et des grâces , dont il m'orna dès le premier instant de ma conception; et comme je ne fus point atteinte de la souillure du premier péché, je n'eus pas aussi cet empêchement des autres mortels

 

(1) Ps. XXIII, 8. — (2) Ibid., 10.

 

649

 

pour entrer par ces portes éternelles; su contraire, le puissant bras de mon Fils agit avec moi comme avec la Maîtresse des vertus et la Reine du ciel. Et parce que je le devais revêtir de ma chair et de mon sang et le faire homme, sa divine bonté voulut me prévenir et me faire semblable à lui en la pureté, en l'exemption du péché, et en d'autres dons et privilèges divins. Car n'étant pas esclave du péché, je ne pratiquais point les vertus comme lui étant soumises, mais comme maîtresse avec empire et sans contradiction; non point comme semblable aux enfants d'Adam, mais comme semblable au Fils de Dieu, qui était aussi le mien.

341. C'est pourquoi les esprits célestes m'ouvrirent les portes éternelles, qu'ils gardaient comme les leurs, reconnaissant que le Seigneur m'avait créée plus pure que tous eux, pour être leur Reine et la Maîtresse de toutes les créatures. Et sachez, ma très-chère fille, que Celui qui avait fait la loi, en pouvait absolument dispenser, comme le souverain Seigneur et Législateur le fit envers moi, étendant bien plus loin le sceptre de sa clémence gu'Assuérus ne le fit à l'égard d'Esther (1), afin que je ne fusse point comprise, devant être Mère de l'auteur de la grâce, dans les lois communes du péché, qui comprenaient les autres enfants d'Adam. Et bien que je ne pusse pas mériter ces faveurs, n'étant qu'une pure créature; néanmoins la clémence et la bonté divine s'inclinèrent avec libéralité,

 

(1) Esth., IV, 11.

 

650

 

et me regardèrent comme une humble servante, afin que je louasse éternellement l'auteur de telles oeuvres. Et je veux , ma fille, que vous l'en bénissiez, et que vous l'exaltiez aussi.

342. L'instruction que je m'en vais vous donner est que, comme je vous ai choisie par une bonté libérale pour être ma disciple et mon associée, toute pauvre, inutile et faible que vous étiez, vous vous efforciez de m'imiter dans un exercice que j'ai pratiqué toute ma vie depuis ma naissance, sans l'avoir jamais omis pour quelques occupations, quelques soins et quelques travaux que j'eusse. Cet exercice fut qu'au commencement de chaque jour je me prosternais en la présence du Très-Haut, je lui rendais des actions de grâces, et le louais pour son être immuable, pour ses perfections infinies et pour m'avoir tirée du néant; et, me reconnaissant créature et ouvrage de ses mains, je le bénissais, je l'adorais, lui donnant l'honneur, la gloire et la divinité, comme à mon souverain Seigneur et créateur de tout ce qui a l'être. J'élevais mon esprit pour l'abandonner entièrement entre ses mains, et je m'offrais en elles à sa divine Majesté avec une profonde humilité et une parfaite résignation; je le priais de disposer de moi pendant ce jour-là et pendant tous ceux qui me restaient à vivre, selon sa sainte volonté, et qu'il m'enseignât ce qui lui serait le plus agréable, afin de l'accomplir avec exactitude. Je réitérais plusieurs fois tout cela dans mes occupations extérieures de ce jour, consultant toujours en premier lieu sa Majesté dans les intérieures, et lui demandant son conseil (651), sa permission et sa bénédiction pour toutes, mes actions.

343. Vous serez fort dévote à mon très-doux nom, et je veux que vous sachiez que toutes les prérogatives et toutes les grâces que le Tout-Puissant lui accorda furent si nombreuses, que la connaissance que j'en eus à la vue de la: Divinité m'engagea et m'obligea à un continuel retour; de sorte que, toutes les fois que MARIE se présentait à ma mémoire (ce qui arrivait assez souvent), et lorsque je m'entendais nommer, mon affection se sentait excitée à la reconnaissance, et à entreprendre de grandes choses pour le service du Seigneur, qui me l'avait donné. Vous avez, ma fille, le même nom; c'est pourquoi je veux qu'il produise en vous les mêmes effets, et que vous m'imitiez avec ponctualité dans l'instruction de ce chapitre, sans y manquer dès à présent, quoi qu'il puisse arriver. Et si comme faible vous vous négligez, revenez incontinent à vous, et avouez votre faute en la présence du Seigneur et en la mienne, la reconnaissant avec douleur. Par ce soin, et en réitérant divers actes dans ce saint exercice, vous éviterez les imperfections, et vous vous accoutumerez à pratiquer les vertus les plus éminentes et ce qui est le plus agréable au Très-Haut, qui ne vous refusera pas sa divine grâce, par laquelle vous viendrez à bout de toutes choses, pourvu que vous donniez toutes vos attentions à sa lumière et à l'objet le plus agréable, qui est celui de vos affections et des miennes: attentions qui doivent consister à vous appliquer entièrement à ouïr la voix de votre époux et de (652) votre Seigneur, à le servir, et à vous soumettre à sa divine volonté, qui demande de vous ce qui est le plus pur, le plus saint et le plus parfait, et une intention prompte et fervente pour l'exécuter.

 

 

 

FIN DU TOME I.

 

 

  Livre I - Ch. XV-XXI

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