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Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.
Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel la bienheureuse Marie.
Instruction que la grande Reine du ciel m'a donnée.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.
Instruction que m'a donnée la grande Reine des anges.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.
CHAPITRE X. Le souvenir et les exercices de la passion auxquels la
bienheureuse Marie se livrait. — La vénération avec laquelle elle recevait la
sainte
communion , et quelques autres oeuvres de sa vie trèsparfaite.
573. Sans négliger le
gouvernement extérieur de l'Église, ainsi qu’on l’a vu jusqu'ici, la
grande Reine du ciel se livrait dans sa solitude à d'autres exercices
secrets, par lesquels elle méritait et obtenait de la main du Très-Haut des
bienfaits innombrables pour
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la même
Église, tant en commun pour tous les fidèles, que pour des milliers d'âmes en
particulier, qui parvinrent ainsi à la vie éternelle. Je rapporterai, de ces
oeuvres cachées qui ont été ignorées jusqu'à présent, ce que je pourrai, dans
ces derniers chapitres, pour notre instruction, pour notre admiration et pour
la gloire de cette bienheureuse Mère. Je commence donc par faire savoir
qu'entre plusieurs privilèges dont notre auguste Princesse jouissait, elle
avait toujours présents dans sa mémoire toute la vie, toutes les rouvres et
tous les mystères de son très-saint Fils; car,
outre la continuelle vision abstractive de la Divinité qu'elle ne cessa
d'avoir dans ces dernières années, et par laquelle elle connaissait toutes
choses, le Seigneur lui accorda dès sa conception qu'elle n'oubliât jamais ce
qu'elle avait une fois connu et appris , parce qu'elle jouissait en cela du
privilège des anges, comme on l'a vu dans la première partie.
574. J'ai dit aussi dans la
seconde partie, en faisant le récit de la Passion, que la divine Mère sentit
en son corps et en son âme très-pure toutes les
douleurs que notre Sauveur Jésus-Christ y souffrit, sans que rien lui fût
caché, et sans qu'il y eût aucune peine qu'elle ne sentit avec le même
Seigneur. Toutes les images ou espèces de la Passion demeurèrent imprimées
dans son intérieur, telles qu'elle les reçut suivant la demande qu'elle en fit
au Seigneur. Ces images n'en furent point effacées, comme les autres images
sensibles, par la vision de la Divinité dont j'ai signalé les effets; mais au
contraire Dieu les perfectionna,
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afin
qu'elles établissent une compatibilité miraculeuse entre la jouissance
actuelle de cette vision et le sentiment simultané de ces douleurs, comme
notre. grande Reine le désirait pour tout le temps
qui lui restait à vivre dans sa chair mortelle; car, autant que cela dépendait
de sa volonté, elle se consacra entièrement à ces exercices de la Passion. Son
très-fidèle et très-ardent
amour ne lui permettait point de vivre sans souffrir avec son
très-doux Fils, depuis qu'elle l'avait vu et
qu'elle l'avait accompagné du jardin des Oliviers au Calvaire. Néanmoins le
Seigneur ne cessa de la combler des plus rares faveurs, ainsi que l'atteste
toute cette histoire; mais ces faveurs, ces caresses furent des gages et des
témoignages de l'amour réciproque de son très-saint
Fils, qui, selon notre manière de concevoir, ne pouvait s’empêcher de traiter
sa très-pure Mère en Dieu d'amour, tout-puissant
et riche en miséricordes infinies. Quant à la
très-prudente Vierge, elle ne sollicitait ni ne souhaitait ces faveurs,
car elle ne tenait à la vie que pour être crucifiée avec Jésus-Christ, et pour
continuer et renouveler en elle les douleurs de sa Passion ; sans cela il lui
semblait inutile de vivre dans une chair passible.
575. C'est pourquoi elle
régla ses occupations de telle sorte, qu'elle eut toujours au fond de son âme
l'image de son très-saint Fils maltraité, affligé,
couvert de plaies et défiguré par les souffrances de sa Passion , le regardant
en elle-même en cette forme comme dans le miroir le plus brillant. Elle
entendait les
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injures,
les affronts et les blasphèmes qu'il souffrit ; elle voyait les lieux ,
connaissait les temps et les circonstances de toute la Passion, et en
contemplait à la fois toutes les scènes d'un oeil vif et pénétrant. Et
quoiqu'à la vue de ce triste spectacle elle continuât durant tout le jour.
des actes héroïques de toutes les vertus , et
qu'elle sentit une grande douleur et une tendre compassion son
très-prudent amour ne se contenta point de ces
exercices, et la porta à en pratiquer d'autres avec ses anges, à certaines
heures et à des moments déterminés auxquels elle se trouvait seule, surtout
avec ceux qui portaient les devises des instruments de la Passion, comme je
l'ai marqué dans la première partie. Elle voulut que ceux-là d'abord, et les
autres anges ensuite, se joignissent à elle dans les exercices suivants.
576. Pour chaque espèce de
plaies et de douleurs que souffrit notre Sauveur, elle fit des hymnes
particulières avec lesquelles elle l'adorait d'une manière spéciale. Pour les
injures dont l'accablèrent les Juifs et ses autres ennemis dans le cours dé sa
vie apostolique, à cause de l'envie que leur inspiraient ses miracles, et dans
le cours de sa très sainte Passion, pour exercer leur vengeance et leur
fureur, pour chacune de ces injures, pour chaque parole blasphématoire, elle
fit un cantique particulier, par lequel elle rendait au Seigneur la vénération
quo ses ennemis s'obstinaient à lui refuser, et l'honneur qu'ils cherchaient à
ternir. Pour chacune des moqueries, pour chacune des avanies qu'il essuya,
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elle
s'humiliait profondément par des génuflexions et des prosternations réitérées.
De sorte qu'elle réparait et effaçait pour ainsi dire les opprobres et les
ignominies dont son très-saint fils avait été
couvert, et en sa vie et en sa mort, glorifiant sa divinité, son humanité, sa
sainteté, ses miracles, ses oeuvres et sa doctrine. Elle l'exaltait et le
magnifiait pour tout cela, et les saints anges ne cessaient de se joindre à
elle, et répondaient aux cantiques qu'elle faisait, frappés d'admiration à la
vue d'une telle sagesse, d'une telle fidélité et d'un tel amour chez une
simple créature.
577. Assurément, quand même
la bienheureuse Vierge ne se fût occupée pendant toute sa vie qu'à ces
exercices de la Passion , elle eût plus souffert et
plus mérité que. tous les saints ensemble. La
violence dr. l'amour et des douleurs qu'elle sentait dans ces exercices, lui
fit maintes fois subir un véritable martyre, car elle y eût succombé autant de
fois, si la vie ne lui eût été conservée parla vertu divine, pour augmenter
ses mérites et sa gloire. Or, si nous considérons qu'elle offrait toutes ces a
ouvres pour l'Église , et avec quelle ardente
charité elle le faisait, nous comprendrons combien ses enfants les fidèles
sont redevables à cette Mère de clémence d'avoir augmenté avec tant
d'abondance le trésor dont elle les enrichit , eux qui n'étaient d'abord que
de misérables descendants d'Ève. Et afin que nous apportions dans notre
méditation moins de mollesse et de tiédeur, je dis que les effets de celle de
la bienheureuse Vierge étaient inouïs, car il arrivait souvent qu'elle versait
des larmes de sang jusqu'à en
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avoir le
visage inondé; d'antres fois elle était baignée des sueurs de l'agonie , et
des gouttes d'eau et de sang ruisselaient jusqu'à terre. Bien plus, la
violence de la douleur arracha en certains cas son coeur de son siège naturel;
et lorsqu'elle était réduite à une telle extrémité, son
très-saint Fils descendait du ciel pour la fortifier, et pour guérir la
blessure que son amour avait faite, ou que sa très-douce
Mère avait reçue pour lui; et le même Seigneur la réconfortait, la
renouvelait, afin qu'elle pût continuer ses douloureux exercices.
578. Comme je le dirai dans
la suite, le Seigneur n'épargnait ces effets pénibles à la divine Mère que les
jours qu'elle célébrait le mystère de la résurrection, afin que les effets
correspondissent à leur cause. En outre, il y avait quelques-unes de ces
peines qui n'étaient point compatibles avec les faveurs dont les effets
rejaillissaient jusque sur le corps de la bienheureuse Vierge, car alors la
jouissance excluait la peine Mais, même en ce cas, elle ne perdait jamais de
vue l'objet de la Passion, et cet objet lui inspirait une nouvelle compassion,
qui lui faisait mêler la reconnaissance de ces faveurs avec celle qu'elle
éprouvait à la pensée de ce que son très-saint
Fils avait souffert. De sorte qu'à la jouissance que lui procuraient les
bienfaits elle joignait toujours lé souvenir de la Passion du Seigneur, pour
tempérer jusqu'à un certain point par cette amertume la douceur des caresses.
Elle fit aussi que l'évangéliste saint Jean lui permit de se retirer chaque
vendredi de l'année pour célébrer
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la mort
et les funérailles de son très-saint Fils, et ce
jour-là elle ne sortait point de son oratoire. Saint Jean restait dans le
Cénacle pour répondre à ceux qui la demandaient, et afin que personne ne la
troublât dans sa retraite; et lorsque l'évangéliste était occupé ailleurs, un
autre disciple prenait sa place. La bienheureuse Vierge se retirait pour cet
exercice le jeudi à cinq heures du soir, et ne sortait point jusque vers le
midi du dimanche. 1lisis afin de ne pas laisser en souffrance les affaires
importantes qui pouvaient se présenter pendant ces trois jours, notre grande
Reine ordonna à l'un de ses anges de sortir sous sa forme en cas de nécessité,
et alors le courtisan céleste expédiait rapidement ce qui ne pouvait pas être
différé: si grande était la prévoyance qu'elle apportait en toutes les rouvres
de charité utiles à ses enfants les fidèles.
579. Nous ne saurions ni
exprimer ni même concevoir ce qui se passait en la divine Mère durant cet
exercice de trois jours ; le Seigneur, qui seul en était l'auteur, le
manifestera en son temps dans la lumière des saints. Je ne puis non plus
expliquer ce que j'en ai compris, je dis seulement que la bienheureuse Marie,
commençant par le lavement des pieds, continuait jusqu'au mystère de la
résurrection, et à chaque heure commémorative elle renouvelait en elle-même
tous les mouvements, tous les actes et toutes les oeuvres qu'avait faits, et
toutes les souffrances qu'avait ressenties son très-saint
Fils. Elle faisait les mêmes prières, les mêmes demandes qu'il avait faites,
comme nous l'avons dit en son lieu. La divine Mère
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éprouvait
de nouveau en son corps virginal toutes les douleurs qu'a souffertes notre
Sauveur Jésus-Christ, aux mêmes endroits et aux moments correspondants. Elle
portait la croix et s'y étendait. Et pour tout comprendre en peu de mots, je
dis que, tant qu'elle vécut, la Passion de son très-saint
Fils se renouvelait en elle chaque semaine. Elle obtint cri cet exercice de
grandes faveurs dit Seigneur pour ceux qui seraient dévots à sa
très-sainte Passion. Et cette grande Dame, comme
puissante Reine, leur promit, outre sa protection, une participation spéciale
aux trésors de la Passion; car elle désirait vivement que cette pratique se
conservât et se perpétuât dans l'Église. Et pour satisfaire ses désirs et
exaucer ses prières, le Seigneur a voulu que beaucoup de fidèles se dent
depuis livrés à ces exercices de la Passion dans la sainte Église, il
l'imitation de la bienheureuse Vierge, qui fut la première Maîtresse qui
enseigna cette salutaire pratique.
580. Parmi ces exercices,
notre auguste Princesse célébrait avec nue ferveur particulière l'institution
du très-saint Sacrement, en faisant de nouveaux
cantiques, de louange et de reconnaissance , et des actes du plus ardent
amour. Et pour cette solennité elle conviait d'une manière spéciale ses anges
et un grand nombre d'autres esprits célestes, qui descendaient de l'empyrée
pour l'assister et l’accompagner en ses hymnes au Seigneur. Et, par une
merveille digne de sa toute-puissance, le Très Haut, qui avait.
voulu que la divine Mère portât Jésus-Christ
lui-même dans son sein
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sous les
espèces sacramentales, qui (comme je l'ai dit) y conservaient leur intégrité
d'une communion à l'autre, envoyait du ciel des légions d'anges, afin qu'ils
vissent ce prodige. en sa
très-sainte Mère, et lui rendissent honneur et gloire pour les effets
qu'il opérait sous les espèces sacrées, en cette créature plus pure et plus
sainte que tous les anges et que tous les séraphins ensemble, qui n'ont vu ni
avant ni après rien de semblable en tout le reste des créatures.
581. Ce qui n'excitait pas
moins leur admiration, et ne doit pas moins exciter la.
nôtre, c'est qu'encore que la grande Reine du ciel fût si saintement
disposée quelle pût dignement conserver dans son sein Jésus-Christ sous les
espèces sacramentales; elle se préparait néanmoins à le recevoir de nouveau
quand elle communiait, (et elle le faisait presque tous les jours, excepté
ceux où elle ne quittait point son oratoire), par de nouveaux actes de
ferveur, par des oeuvres et par des dévotions extraordinaires qu'elle
pratiquait pour cette préparation. A cet effet, elle offrait en premier lieu
tout l'exercice de la Passion de chaque semaine, puis lorsqu'elle se retirait
à l'entrée 'de la nuit qui précédait le jour de la communion, elle coin
mentait d'autres exercices, se prosternant en forme de croix, faisant de
nouvelles prières et adorant l'être immuable de Dieu. Elle demandait au
Seigneur la permission de lui parler, et l'ayant obtenue, elle le suppliait de
lui accorder, sans considérer sa bassesse terrestre, la communion de son
très-saint Fils dans l'Eucharistie, et d'avoir
égard, pour lui faire cette
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faveur, à sa bonté infinie et a ta charité que le Verbe incarné témoigne
lui-même en demeurant dans la sainte Église sous les espèces sacrées. Elle lui
offrait sa passion et sa mort, les dispositions excellentes avec lesquelles il
se communia lui-même, l'union de la nature humaine avec la nature divine en la
personne du même Jésus-Christ, toutes ses oeuvres dès l'instant qu'il
s'incarna dans son sein virginal, toute la sainteté et toute la pureté de la
nature angélique, toutes les oeuvres de ces esprits célestes, et toutes celles
des justes des temps passés, du présent et de l'avenir, dans tous les siècles.
582. Ensuite elle faisait
du fond de son dîne des actes d'humilité sincère, se considérant comme une
vile poussière d'une nature toute terrestre devant l'être de Dieu, à qui les
créatures sont si peu comparables et si inférieures. Par ce retour sur son
être et par la contemplation de l'être de Dieu qu'elle devait recevoir dans le
très-auguste sacrement, elle produisait des actes
d'amour si admirables, qu'il n'y a point dans la langue humaine de termes qui
puissent les traduire, car elle s'y élevait au-dessus de tous les chérubins et
de tous les séraphins. Et comme en sa propre estime elle prenait la dernière
place entre les créatures, elle s'adressait aussitôt à ses anges et à tous les
autres esprits célestes, et les priait avec une humilité incomparable de
supplier avec elle le Seigneur de la préparer à le recevoir dignement, elle
qui n'était qu'une créature terrestre. Les anges lui obéissaient avec
admiration et avec joie, et l'accompagnaient en ces prières,
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auxquelles
elle s'occupait la plus grande partie de la nuit qui précédait le jour de la
communion.
583. Et comme la sagesse de
notre grande Reine, quoique finie en soi, n'en est pas moins incompréhensible
pour nous, il est certain qu'on ne pourra jamais apprécier dignement le degré
de mérite qu'atteignaient les oeuvres et les vertus qu'elle pratiquait, et les
actes d'amour qu'elle produisait dans ces occasions. Mais ils étaient si
parfaits, qu'ils obligeaient pour ainsi dire souvent le Seigneur de la
visiter, ou de lui répondre en lui faisant connaître la complaisance avec
laquelle il viendrait dans son sein et dans son coeur, et y renouvellerait les
gages de son amour infini. Lorsque. le temps de
communier était arrivé, elle entendait d'abord la messe que d'ordinaire disait
l'évangéliste. Il n'y avait point alors d'épître ni d'évangile, puisque le
Nouveau Testament n'était pas encore écrit; mais ils étaient remplacés par
d'autres cérémonies et par divers psaumes et oraisons : quant à la
consécration, elle fut toujours la même. La messe étant achevée, la divine
Mère s'approchait pour communier, faisant trois profondes génuflexions, et
tout enflammée de charité elle recevait sous les espèces sacramentales son
propre Fils, auquel elle avait donné cette humanité
très-sainte dans son sein virginal, et l'introduisait dans son coeur
très-pur. Après avoir, communié, elle se retirait
dans son oratoire et y pas-, sait trois heures dans le recueillement, si
quelque pressante nécessité de son prochain ne la forçait d'en sortir. Et dans
ces moments-là l'évangéliste mérita
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de la
voir maintes fois revêtue de splendeur et toute rayonnante comme le soleil.
584. La prudente Mère
connut que, pour célébrer le sacrifice non sanglant, il fallait que les
apôtres et les prêtres portassent un ornement particulier, et des habita
mystérieux outre leur costume ordinaire. Dans cet esprit elle fit de ses
propres mains des ornements et des habits sacerdotaux pour célébrer la messe,
ayant ainsi établi dans l'Église cette partie du saint cérémonial. Ces
ornements n'étaient point de la même forme que ceux, dont l'Église romaine se
sert maintenant, mais ils n'en différaient pas beaucoup, bien que plus, tard
on les ait réduits à la forme qu'ils ont aujourd'hui. Quant à l'étoffe, elle
se rapprochait davantage de celle de nos ornements, car elle les fit en toile
et en soie fort riche, su moyen des aumônes et des dons que lui faisaient les
fidèles. Lorsqu'elle y travaillait, qu'elle les pliait, qu'elle les
arrangeait, elle se tenait toujours à genoux ou debout, et elle n'avait point
d'autres sacristains que les anges, qui l'assistaient en tout cela; aussi
entretenait-elle avec une propreté incroyable tout ce qui servait à l'autel,
et les ornements sortaient de ses mains imprégnés d'une odeur céleste qui
augmentait la dévotion des ministres.
585. Plusieurs nouveaux
convertis de divers royaumes et de diverges provinces où les apôtres
prêchaient, venaient à Jérusalem pour visiter la Mère du Rédempteur du monde,
et lui offraient de riches dons. Parmi ces. visiteurs
figurèrent quatre princes
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souverains,.
qui étaient comme rois dans leurs provinces; ils
lui apportèrent beaucoup d'objets d'un grand prix; afin qu'elle s'en servit et
qu'elle les donnât aux apôtres et aux disciples. Notre grande Reine leur
répondit qu'elle était pauvre comme son Fils, et que les apôtres l'étaient
aussi bien que le Maître, et que ces richesses ne convenaient point au genre
de vie qu'ils. professaient. Ils la prièrent avec
instance de les accepter pour leur consolation ,
sauf à les distribuer aux pauvres ou à les employer au culte divin. Et pour ne
pas les affliger, elle accepta une partie de ce qu'ils lui offrirent; elle fit
des ornements pour l'autel de quelques riches brocards qui s'y trouvaient, et
distribua le reste aux hôpitaux qu'elle avait accoutumé de visiter, et aux
pauvres qu'elle servait et lavait dé ses propres mains; et lorsqu'elle
remplissait ces offices de charité, comme lorsqu'elle donnait l'aumône aux
pauvres, elle le faisait à genoux. Elle soulageait tous les nécessiteux,
aidait à bien mourir les agonisants qu'il lui était possible d'assister, et ne
se lassait point d'exercer les oeuvres de charité, soit par des secours
extérieurs, soit en priant dans son oratoire.
586. Elle donna à ces
princes qui la visitèrent des conseils et des instructions salutaires pour le
gouvernement de leurs États, leur recommanda de rendre la justice avec
impartialité, sans acception de personnes, de se reconnaître pour de simples
mortels comme les autres hommes, et de craindre le jugement du souverain Juge,
où tous doivent être jugés d'après leurs
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propres
œuvres, et surtout de travailler à l'exaltation du nom de Jésus-Christ et à la
propagation de la sainte foi, sur le fondement de laquelle les monarchies
véritables sont établies; car en dehors de la foi, c'est une chose funeste que
de régner, c'est un déplorable assujettissement aux démons, et Dieu ne le
permet dans ses secrets jugements que pour le châtiment de ceux qui règnent et
de leurs sujets. Ces heureux princes promirent à la divine Mère de profiter de
ses avis, et entretinrent dans la suite des relations avec elle par lettres et
par d'autres correspondances. Il en arriva de même à l'égard de tous ceux qui
la visitèrent; tous la quittaient en meilleur état et remplis d'une lumière,
d'une joie et d'une consolation qu'ils ne pouvaient expliquer. Beaucoup de
personnes qui ne s'étaient pas précédemment converties aussitôt qu'elles la
voyaient, confessaient à haute voix la foi du véritable Dieu, sans pouvoir
résister à la force intérieure qui les maîtrisait en arrivant auprès de sa
bienheureuse Mère.
587. On ne doit pas être
surpris de ces effets, puisque cette grande Dame était un instrument
très-fficace de la puissance de Dieu et de sa
grâce en faveur des mortels. Non-seulement ses
paroles pleines de la plus haute sagesse les mettaient dans l'admiration et
les convainquaient tous en les éclairant d'une nouvelle lumière; mais de même
que la grâce était répandue sur ses lèvres pour la communiquer (1), de
(1) Ps., XLIV, 3.
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même par
les charmes et par la beauté de son visage, par la douce majesté de sa
personne, par la modestie de sa physionomie à la fois grave et agréable, et
par la vertu secrète qui en sortait, comme l'Évangile le dit de son
très-saint Fils (1), elle attirait les coeurs et
les renouvelait. Les uns étaient dans le ravissement, les autres fondaient en
larmes, ou bien exhalaient leur admiration en magnifiques louanges, confessant
hautement la grandeur du Dieu des chrétiens qui avait formé une telle
créature. Ah! ils pouvaient véritablement attester
ce que quelques saints ont dit depuis, que Marie était un prodige divin de
toute sainteté (2). Qu'elle soit éternellement louée et reconnue de toutes les
nations pour la véritable Mère de Dieu, qui l'a rendue si agréable à ses yeux
(3), si douce Mère pour les pécheurs, et si aimable pour tous les anges et
pour tous les hommes.
588. Dans ces dernières
années notre auguste Reine ne mangeait et ne dormait que fort peu , encore ne
le faisait-elle que pour obéir à saint Jean, qui la pria de prendre quelque
repos dans la nuit. Mais son sommeil n'était qu'une légère suspension des
sens, pendant une demi-heure ou tout au plus une heure entière, sans perdre la
vision de la Divinité en la manière que j'ai dite ailleurs. Sa nourriture
ordinaire ne consistait qu'en quelques morceaux de pain ,
et si parfois elle mangeait un peu de poisson, c'était à la sollicitation
(1) Luc., VI, 19. — (2) S.
Ignat., mart.,
epist. 1; S. Ephtem,
Orat. in Laud.
Virg.,
et alii. — (3) Luc., 1, 48.
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de
l'évangéliste et pour lui tenir compagnie, car le saint fut aussi heureux à
cet égard qu'en tous les autres privilèges de fils de la bienheureuse Marie;
puisque non-seulement il mangeait avec elle à la
même table, mais notre grande Reine lui apprêtait encore elle-même ses repas,
les lui servait comme une mère à son fils, et lui obéissait comme su prêtre et
au substitué de Jésus-Christ. L'auguste Vierge pouvait bien se passer de ce
sommeil et de ces aliments, qu'elle paraissait prendre pour la forme plutôt
que pour entretenir sa vie: aussi n'y était-elle contrainte par aucune
nécessité; mais elle voulait témoigner sa soumission à l'apôtre, et pratiquer
l’humilité en reconnaissant le besoin de la nature humaine, et en y
satisfaisant jusqu'à un certain point, car elle était
très-prudente en tout.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.
589. Ma fille, les mortels
remarqueront dans toute l'histoire de ma vie le souvenir et la reconnaissance
que j'eus des oeuvres de la rédemption du genre humain, de la Passion et de la
mort de mon très-saint Fils, surtout après qu'il
se fut offert sur la croix pour le salut éternel des hommes. Mais dans ce
chapitre j'ai particulièrement voulu vous donner
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connaissance des exercices assidus et fervents par lesquels je renouvelais en
moi non-seulement la mémoire, mais encore les
douleurs de la Passion, afin de reprocher par mon exemple aux hommes rachetés,
et de confondre l'oubli monstrueux qu'ils font de ce bienfait
incompréhensible. Oh ! combien grossière, horrible
et dangereuse est cette ingratitude des hommes 1 L'oubli est une marque
évidente du mépris; car on n'oublie pas si facilement ce qu'on estime
beaucoup. Or comment supposer, comment concevoir que les hommes méprisent et
oublient le bien éternel qu'ils ont reçu, l'amour avec lequel le Père éternel
a livré son Fils unique à la mort (1), la charité et la patience avec laquelle
son même Fils et le mien l'a subie pour eux ? La terre insensible est
reconnaissante à celui qui la cultive et qui l'améliore. Les bêtes féroces
s'apprivoisent et s'adoucissent par les bons traitements qu'elles reçoivent.
Les mêmes hommes, dans leurs rapports, reconnaissent la dette qu'ils
contractent envers leurs bienfaiteurs; et si l'un d'eux manque à cette
reconnaissance, on s'en ressent, on le condamne, et l'on considère cette faute
comme une grande offense.
590. Quelle raison ont-ils
donc de n'être méconnaissants qu'envers leur Dieu
et leur Rédempteur, et d'oublier ce qu il a souffert pour les racheter de leur
damnation éternelle ? Et après cette ingratitude ils se plaignent s'il ne leur
accorde tout ce qu'ils
(1) Joan., III, 16.
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souhaitent.
Afin qu'ils sachent combien cette insensibilité leur est funeste, je vous
déclare, ma fille, que quand Lucifer et ses démons l'observent en un si grand
nombre dames qui en sont frappées, ils tirent cette conséquence, et disent de
chacune : Cette âme ne se souvient point et ne fait aucune estime de la faveur
que Dieu lui a faite en la rachetant; nous sommes donc sûrs de nous en
emparer: car une créature assez stupide pour tomber dans un pareil oubli sera
certainement incapable de découvrir nos artifices. Approchons-nous-en pour la
tenter et pour la perdre, puisqu'il lui manque ce qui pourrait la mieux
défendre contre nous. Et, encouragés par la longue expérience qu'ils ont faite
que cette conséquence est presque infaillible, ils travaillent avec une ardeur
infatigable à effacer de l'esprit des hommes le souvenir de la rédemption et
de la mort de Jésus-Christ, ils les portent à dédaigner de s'en entretenir ou
de l'entendre prêcher, et, malheureusement pour la perte des âmes, ils ont
réussi près de la plupart. Mais, au contraire, ils craignent de tenter ceux
qui ont accoutumé de méditer sur la Passion, parce que les démons sentent que
ce souvenir renferme une force, une vertu, dont l'influence souvent ne leur
permet pas de s'approcher de ceux qui renouvellent en leur mémoire ces
mystères avec dévotion.
591. Je veux donc, ma
fille, que vous n'éloigniez point de votre coeur ce bouquet de myrrhe (1), et
(1) Cant., I, 12.
437
que vous
vous efforciez de m'imiter autant que possible dans les exercices que je
faisais pour imiter moi-même mon très-saint Fils
en ses douleurs, et. pour réparer les outrages que
les ennemis qui font crucifié ont faits à sa divine personne par leurs injures
et leurs blasphèmes. Tâchez maintenant dans le monde de le dédommager au moins
un peu de la noire ingratitude des mortels. Et, pour le faire comme je veux
que vous le fassiez, vous ne devez jamais interrompre le souvenir de
Jésus-Christ crucifié, affligé et blasphémé. Persévérez en ces exercices sans
les omettre, si ce n'est que l'obéissance ou quelque juste cause vous en
empêche ; car si vous m'imitez en cette pieuse pratique, je vous rendrai
participante des effets qu'elle me faisait éprouver.
592. Pour vous disposer
chaque jour à la communion, servez-vous de ces mêmes exercices; imitez-moi en
outre dans les autres oeuvres par lesquelles vous avez appris que je m'y
préparais, considérant que si, étant Mère du même Seigneur que je devais
recevoir, je ne me croyais pas digne de participer à l'Eucharistie et je
tâchais par toute sorte de moyens d'acquérir la pureté que requiert un si
auguste sacrement, vous devez faire bien plus, vous qui êtes pauvre et sujette
à tant de misères, d'imperfections et de péchés. Purifiez le temple de votre
intérieur, l'examinant au flambeau de la lumière divine, et l'ornant des
vertus les plus excellentes; car c'est le Dieu éternel que vous recevez, Celui
qui fut seul digne par lui-même de se recevoir sous les espèces
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sacrées.
Sollicitez l'intercession des auges et des saints, afin qu'ils vous obtiennent
la grâce de sa divine Majesté. Et surtout ne manquez pas de vous adresser à
moi, et de me demander ce bienfait; car je vous fais savoir que je suis
l'Avocate et la Protectrice spéciale de ceux qui désirent recevoir avec une
grande pureté la sainte communion. Et lorsqu'ils m'invoquent pour cela, je me
présente dans le ciel devant le trône du Très-Haut, et je demande ses
bénédictions en faveur de ceux qui veulent recevoir en parfait état de grâce
l'adorable Sacrement, parée que je connais la préparation qu'exige dans un
lieu la prochaine entrée de Dieu lui-même. Je n'ai pas perdu dans le ciel ce
zèle de sa gloire, que je procurais avec tant de soin étant sur la terre.
Après que vous aurez imploré mon intercession, vous solliciterez celle des
anges , qui souhaitent aussi avec ardeur que les
âmes s'approchent de l'adorable Eucharistie avec beaucoup de dévotion et de
pureté.
439
CHAPITRE XI. Le Seigneur éleva par de nouveaux bienfaits la bienheureuse Mère
au-dessus de l'état dont il a été parlé dans le chapitre huitième de ce livre.
593. Il a été dit au
chapitre huitième que la grande Reine de l'univers fut nourrie par cet
aliment, que le Seigneur lui procura dans l'état et de la manière que j'y ai
fait connaître, pendant les mille deux cent soixante jours dont l'évangéliste
fait mention au chapitre douzième de l'Apocalypse (1). Ces jours font environ
trois ans et demi, par lesquels la divine Mère accomplit la soixantième année
de son âge, plus deux mois et quelques jours; et c'était l'an quarante-cinq du
Seigneur. Et de même que la pierre, dans le mouvement naturel avec lequel elle
descend vers son centre, prend une plus grande vitesse à mesure qu'elle s'en
approche davantage ; de même, plus notre auguste princesse s'approchait de sa
fin et du terme de sa très-sainte vie, plus chez
elle étaient rapides les élans de l'esprit et plus véhéments les désirs du
coeur, pour arriver au centre de son repos éternel.
(1) Apoc., XII, 5.
440
Dès
l'instant de son immaculée Conception elle était sortie de l'océan de la
Divinité comme un grand fleuve dont le cours fut tracé dans les siècles
éternels; et par les affluents de tant de dons, de grâces, de vertus, de
sainteté et de mérites il avait eût de telle sorte, que toute l'étendue des
créatures était pour lui un lit trop étroit, et dans son impétuosité, dans
l'espèce d'impatience que lui donnaient la sagesse et l'amour, il se hâtait de
s'unir à cet océan d'où il était sorti, pour y retourner et en rejaillir ,une
seconde fois en torrents de miséricorde sur l'Église (1).
594. Notre grande Reine
vivait en ces dernières années, à cause de la douce violence de l'amour, dans
une espèce de martyre continuel; car il est clair que, dans ces mouvements de
l'esprit, il est métaphysiquement nécessaire que, quand le centre est plus
Voisin , il attire avec une plus grande force l'objet qui s'en approche; et la
bienheureuse Marie était si près du Bien souverain et infini, qu'elle n'en
était séparée (comme elle l'a dit dans le Cantique des cantiques) (2), que par
le treillis ou la muraille de la mortalité, et cet obstacle n'empêchait point
qu'ils se regardassent par une vue et par un amour, réciproques; et du côté de
tous les deux l'amour tendait avec tant d'impatience à franchir les milieux
qui empêchaient l'union à l'objet aimé, qu'il ne souhaitait rien tant que de
les anéantir, pour réaliser cette
(1) Eccles., I, 7. — (2) Cant., II, 9.
441
union.
Son
très-saint Fils la désirait, mais le besoin que
l'Église avait encore d'une telle Maîtresse l'arrêtait. La
très-douce Mère la souhaitait aussi, et sans oser
demander la mort naturelle, elle ne pouvait pourtant, pas s'empêcher de sentir
la force de l'amour, et de souffrir violence dans les liens de la vie
mortelle, qui arrêtaient son vol.
595. Mais, en attendant le
temps déterminé par la Sagesse éternelle, elle souffrait les douleurs de
l'amour, qui est fort comme la mort (1). Par ces mêmes douleurs elle appelait
son bien-aimé , et lui disait de sortir de sa
retraite (2), de venir aux champs, de s'y arrêter, et d'y voir les fleurs
odoriférantes et les doux fruits de sa vigne (3). Elle blessé par les traits
de ses yeux et de ses désirs le coeur de son bien-aimé (4); et le fit
descendre des hauteurs en sa présence. Or il arriva qu'un jour, au temps dont
je parle, les amoureuses ardeurs de la bienheureuse Mère s'augmentèrent de
telle sorte, qu'elle eut véritablement sujet de dire qu'elle languissait
d'amour (5); car, sans tomber dans les défauts de nos passions terrestres,
elle devint malade par les transports de son coeur, qui se déplaça de son
siège, le Seigneur le permettant afin que, comme il était la cause de la
maladie, il le fût aussi glorieusement de la guérison et du remède. Les saints
anges qui l'entouraient, étonnés de la force et des effets de l'amour de leur.
(1) Cant., VIII, 6. — (2) Cant., VII, 11. — (3) Ibid., 12. — (4) Cant., IV, 9. — (5) Cant., II, 5.
442
Reine,
lui parlaient en anges, afin de lui procurer quelque soulagement par
l’espérance si assurée de la possession à laquelle elle aspirait; mais ces
remèdes augmentaient sa flamme au lieu de l'éteindre; notre auguste Princesse
ne leur répondait que pour les conjurer de dire à son bien-aimé qu'elle
languissait d'amour (1); et ils répétaient au bien-aimé l'amoureux message
dont elle les chargeait. On doit savoir que tous les mystères renfermés dans
le Cantique des cantiques de Salomon s'accomplirent plus particulièrement chez
cette unique et digne Épouse dans cette circonstance et dans plusieurs autres
de ces dernières années. Il fallut que les ministres célestes qui
l'assistaient sous une forme visible, la reçussent entre leurs bras à cause
des douleurs qu'elle sentait.
596. En cette circonstance
son très-saint Fils, accompagné de milliers
d'anges qui le magnifiaient, descendit du ciel sur un trône de gloire pour la
visiter. Et s'approchant de la divine Mère, il la renouvela, la réconforta
dans ses défaillances, et lui dit en même temps : « Ma
très-chère Mère, choisie pour être l'objet de notre
complaisance, vos gémissements et vos soupirs ont blessé mon coeur (2). Venez,
ma colombe, dans ma patrie céleste, où vos douleurs et vos larmes seront
changées en joie, et où vous serez soulagée de vos peines. » Et aussitôt les
saints anges placèrent, par ordre du
(1) Cant., V, 8. — (2) Cant., IV, 9.
443
même
Seigneur, leur Reine sur un trône, à côté de son
très-saint Fils, et ils montèrent tous dans l'empyrée, au milieu des
accords d'une musique céleste. La bienheureuse Vierge y adora le trône de la
très-sainte Trinité. L'humanité de notre Sauveur
Jésus-Christ la tenait toujours à son côté, causant par là une joie
accidentelle à tous les courtisans du ciel; et le même Seigneur, faisant
ressortir cette glorification de Marie, comme s'il avait voulu, pour ainsi
dire, rendre plus vive l'attention des saints, dit au Père éternel
597. « Mon Père, Dieu
éternel, cette Femme est Celle qui m'a donné la forme humaine dans son sein
virginal; Celle qui m'a nourri de son lait et qui m'a entretenu par son
travail ; Celle qui s'est associée à mes propres travaux, et qui a coopéré
avec moi dans les oeuvres de la rédemption du genre humain; Celle qui a
toujours été très-fidèle et qui a en tout accompli
notre volonté avec la plénitude de notre bon plaisir. Elle est immaculée et
pure, comme ma digne Mère ; par ses oeuvres elle cet arrivée ait comble de
toute sainteté et de tous les dons que notre puissance infinie lui a
communiqués; lorsqu'elle avait mérité la récompense éternelle et qu'elle en
pouvait jouir pour toujours, elle eu est privée Mur notre seule gloire,
retournant près de l'Église militante pour l'établir, la gouverner et
l'enseigner ; c'est donc parce qu'en restant sur la terre elle peut aller au
secours des fidèles, que nous lui avons différé le repos éternel, qu’elle
444
a mérité
tant de fois. Il est conforme à la souveraine bonté et à la souveraine équité
de notre Providence, que ma Mère soit récompensée de l'amour et des oeuvres
qui nous la rendent agréable su dessus de toutes
les créatures, et que la loi commune ne lui soit pas appliquée. Et si j'ai
mérité pour toutes des récompenses infinies et une grâce
sans mesure, il est juste que ma Mère les reçoive au-dessus de tout le
reste de celles qui lui sont si inférieures, puisqu'elle
correspond par ses oeuvres à notre grandeur libérale, et qu'elle ne
présente aucun obstacle qui empêche la puissance infinie de notre bras
de se manifester en elle avec éclat, et de lui faire part de nos trésors
comme à la Reine et Maîtresse de tout ce qui a l'être créé. »
598. A cette proposition de
la très-sainte humanité de Jésus-Christ, le Père
éternel répondit : « Mon Fils bien-aimé, en qui je trouve la plénitude
de mes complaisances (1), vous êtes l'aîné et le chef des
prédestinés (2), et j'ai mis toutes choses entre vos mains (3), afin que
vous jugiez avec équité toutes les tribus et toutes les nations (4).
Distribuez mes trésors infinis, et faites-en part selon votre volonté
à notre bien-aimée, qui vous a revêtu de la chair passible, et ce sera
conformément à sa dignité, et a à ses mérites, qui sont d'une si haute valeur
à nos yeux. »
(1) Matth., XVII, 5. — (2)
Rom., VIII, 29. — (3) Joan., III, 35. — (4) Joan., V, 22.
445
599. Alors notre Sauveur
Jésus-Christ, sous le bon plaisir du Père éternel, détermina en la présence
des saints, et par une espèce de promesse à sa
très-sainte Mère, que dès ce jour-là, tant qu'elle vivrait en la chair
mortelle, elle serait élevée par les anges à l'empyrée chaque dimanche,
c'est-à-dire le jour qui mettait fin aux exercices qu'elle faisait sur la
terre, et qui correspondait à la résurrection du même Seigneur, afin que, se
trouvant en corps et en âme en la présence du Très-Haut, elle y célébrât la
joie de ce mystère. Le Seigneur détermina aussi qu'en la communion de chaque
jour, sa très-sainte humanité unie à la Divinité,
lui serait manifestée d'une manière nouvelle et ineffable, différente de la
manifestation qui lui avait été accordée jusqu'alors, afin que ce bienfait fût
comme les arrhes, comme le gage précieux de la gloire qu'il avait préparée
dans son éternité pour sa très-sainte Mère. Les
bienheureux comprirent combien il était juste de faire cette faveur à la
divine Mère, pour la gloire du Tout-Puissant et en
témoignage tant de sa grandeur, que de la dignité et de la sainteté de
l'auguste Vierge, à cause du digne retour qu'elle seule rendait à de telles
oeuvres; et tous firent de nouveaux cantiques de gloire et de louange au
Seigneur, qui est saint, juste et admirable en toutes ses oeuvres.
600. Puis notre Seigneur
Jésus-Christ s'adressa à sa bienheureuse Mère, et lui dit : « Ma Mère
bien-aimée, je serai toujours avec vous pendant le reste de votre vie
mortelle, et ce sera d'une nouvelle
446
manière
si merveilleuse, que jusqu'ici les hommes ni même les anges ne l'ont
point connue. Par ma a présence vous ne vous trouverez point dans la solitude,
et où je suis là sera ma patrie; en moi vous serez soulagée de vos peines;
quoique le terme de votre exil soit proche ; je vous en adoucirai moi-même les
rigueurs. Que les liens du corps mortel ne vous soient donc point à charge,
vous en serez bientôt délivrée. Et en attendant que ce jour
arrive, je serai le terme de vos afflictions, et je tirerai quelquefois le
rideau qui gêne vos désirs amoureux. Pour tout cela je vous donne ma
royale parole. » Au milieu de ces promesses et de ces faveurs, la bienheureuse
Marie se renfermait dans les profondeurs de son humilité ineffable, où elle
louait, exaltait et reconnaissait la munificence des bienfaits du
Tout-Puissant; en s'anéantissant dans sa propre
estime. C'était là un spectacle divin qu'on ne saurait décrire ni même
concevoir dans la vie présente, que de voir Dieu lui-même élever justement sa
digne Mère à une si haute excellence et à une si grande estime de sa sagesse
et de sa volonté, et de la voir, elle, lutter, pour ainsi dire, avec la
puissance divine, pour s'humilier, pour s’abîmer dans le néant, méritant par
là même l'élévation qu'elle recevait.
601. Après tout cela, pour
mieux la préparer à la vision béatifique, son âme fut illuminée et ses
facultés furent retouchées, comme je l'ai déjà dit ailleurs, ou retrempées au
feu divin. Le mystérieux rideau fut enfin tiré, et elle vit intuitivement
Dieu; jouissant
447
pour
quelques heures plus que tous les saints de la fruition et de la gloire
essentielle, elle buvait les eaux de la vie à leur propre source, elle
rassasiait ses très-ardents désirs, atteignait son
centre, et s'y fixait pour reprendre bientôt le mouvement rapide qui l'y avait
portée. Sortie de cette vision, elle rendit des actions de grâces à la
très-sainte Trinité, pria pour
l'Église , et , toute renouvelée et réconfortée , les mêmes anges la
ramenèrent à son oratoire, où son corps était demeuré en la manière que j'ai
expliquée ailleurs, afin qu'on ne s'aperçut pas de son ravissement. En,
descendant de la nuée dans laquelle les auges l'avaient portée, elle se
prosterna selon sa coutume, et s'humilia après une telle faveur plus que tous
les enfants d'Adam ne se sont jamais humiliés pour reconnaître leurs péchés et
leurs misères. Dies ce jour-là, pendant tout le temps qu'elle passa encore sur
la terre, la promesse du Seigneur fut accomplie en elle; ainsi tous les
dimanches, lorsqu'elle avait achevé les exercices de la
Passion , après minuit , vers l'heure de la résurrection, tous ses
anges l'élevaient sur un trône lumineux et la portaient dans l'empyrée, où
Jésus-Christ son très-saint Fils venait la
recevoir, et l'attirait à lui par une espèce d'embrassement ineffable. Et
quoique la Divinité ne lui fut pas toujours manifestée intuitivement, cette
vision , lors même qu'elle n'était point béatifique, se trouvait accompagnée
de tant d'effets admirables et d'une si grande participation de ceux de la
gloire, qu'elle surpasse tout ce que l'esprit humain peut imaginer. Dans ces
occasions
448
les
anges lui chantaient ce cantique : Regina caeli,
laetare, alleluia;
et c'était un jour fort solennel pour tous les saints, particulièrement pour
saint Joseph, sainte Aune, saint Joachim, pour ses plus proches parents et
pour ses anges gardiens. Ensuite elle consultait le Seigneur sur les affaires
les plus importantes de l'Église, priait pour elle, surtout pour les apôtres,
et s'en retournait sur la terre chargée de richesses, comme le vaisseau du
marchand dont parle Salomon au chapitre trente-unième
de ses Proverbes (1).
602. Sans doute, ce
bienfait était une grâce insigne du Très-Haut; mais sa bienheureuse Mère y
avait en quelque sorte droit à deux titres: l'un, parce qu'elle avait
volontairement renoncé à la vision béatifique, qui lui était due à raison de
ses mérites et parce qu'elle s'était privée de ces délices afin de prendre
soin de l'Église sur la terre, où la violence de son amour et de ses désirs de
voir Dieu faillit si souvent lui faire perdre la vie, que, pour la lui
conserver, c'était un moyen fort convenable que de l'élever quelquefois en sa
divine présence : or, ce qui était possible et convenable devenait comme
nécessaire entre le Fils et la Mère; l'autre, parce que, renouvelant chaque
semaine en elle-même la Passion de son très-saint
Fils, elle en sentait si vivement. les douleurs,
qu'elle se trouvait comme réduite à mourir de nouveau avec le même Seigneur,
et par conséquent
(1) Prov., XXXI, 14.
449
elle
devait ressusciter avec lui. Et comme cet adorable Seigneur était déjà
glorieux dans le ciel , il était juste qu'en sa
présence même il fit participer sa propre Mère et son imitatrice à la joie de
sa résurrection, afin que dans une semblable joie elle cueillît le fruit des
douleurs et des larmes qu'elle avait semées (1).
603. Pour ce qui est du
second bienfait que son très-saint Fils promit de
lui accorder dans la communion, il est à remarquer que, jusqu'au temps dont je
parle, notre grande Reine laissait passer plusieurs jours sans recevoir la
communion, comme il arriva pendant le voyage d'Éphèse et en diverses absences
de saint Jean, ou en d'autres circonstances. Sa profonde humilité l'obligeait'
à se soumettre à tout cela sans s'en plaindre aux apôtres
, à la décision desquels elle s'en remettait; car elle fut en tout le
modèle et la maîtresse de la perfection , nous enseignant la soumission que
nous devons pratiquer à son exemple, même en ce qui nous semble fort saint et
fort utile. Mais le Seigneur, qui repose dans les coeurs humbles, et qui
voulait surtout demeurer et reposer dans celui de sa Mère, pour y renouveler
sans cesse ses merveilles, ordonna qu'après le bienfait dont je parle, elle
communion chaque jour pendant le reste de sa vie. Elle connut cette volonté du
Très-Haut dans le ciel; néanmoins, toujours très-prudente
dans toutes ses actions, elle détermina que la volonté divine s'exécuterait
(1) Ps. CXXV, 5.
450
au moyen
de l'obéissance qu'elle rendait à saint Jean, afin d'agir en tout comme
inférieure, avec humilité et comme soumise à celai qui la dirigeait dans sa
conduite.
606. C'est pour cette
raison qu'elle ne voulut point découvrir par elle-même à l'évangéliste ce
qu'elle savait de la volonté du Seigneur. Or il arriva qu'un jour le saint
apôtre fut fort occupé en la prédication, et que
l'heure de la communion allait passer. Elle s'adressa aux saints anges, et
leur demanda ce qu'elle devait faire: ils lui répondirent qu'il fallait
accomplir ce que son très-saint Fils avait
prescrit, qu'ils avertiraient saint Jean et lui apprendraient cet ordre de son
Maître. Aussitôt un des anges alla trouver le saint où il prêchait, et se
manifestant à lui, il lui dit : « Jean, le Très-Haut veut que sa Mère et notre
Reine le reçoive sous les espèces sacramentales chaque a jour, tant qu'elle
vivra dans le monde. » L'évangéliste, sur cet avis, sen retourna incontinent
au Cénacle, où la très-pure Marie se préparait par
le recueillement à la communion, et il lui dit : « Ma Mère et ma Maîtresse,
fange du Seigneur m'a appris l'ordre de notre Dieu, qui veut que je vous
administre son a corps adorable tous les jours sans en omettre aucun. » La
bienheureuse Vierge lui répondit : « Et à vous, seigneur, que m'ordonnez-vous
à cet égard? » Saint Jean répartit : « Il
faut faire ce que votre Fils et mon Seigneur ordonne. » Et notre
auguste Reine dit : « Voici sa servante toute prête à obéir. » Dès lors elle
le reçut tous les jours tant qu'elle vécut sur la
451
terre.
Mais les jours auxquels elle pratiquait les exercices de la Passion, elle ne
communiait que le vendredi et le samedi, car le dimanche elle était enlevée
dans l'empyrée, comme je l'ai dit, et cette faveur lui tenait lieu de la
communion.
605. A partir de l'époque
dont je parle, l'humanité de Jésus-Christ lui était manifestée sous les
espèces sacramentelles, su moment où elle les recevait dans son sein, en l'âge
qu'il avait lorsqu'il institua le très-saint
Sacrement. Et quoique dans cette vision la Divinité ne lui fût découverte que
par la vision abstractive qu'elle avait toujours, la
très-sainte humanité lui était néanmoins manifestée glorieuse, beaucoup
plus resplendissante et plus admirable que lorsqu'elle se transfigura sur le
Thabor. Elle jouissait pendant trois heures de cette vision après avoir
communié, et c'était avec des effets qu'on ne saurait exprimer. Ce fut le
second bienfait que son très-saint Fils lui promit
pour la dédommager en partie de l'ajournement de la gloire éternelle qui lui
avait été préparée. Outre cette raison, le Seigneur en eut encore une autre
pour opérer cette merveille, c'est qu'il voulait réparer par avance
l'ingratitude, la tiédeur et les mauvaises dispositions avec lesquelles les
enfants d'Adam , dans les siècles de l'Église,
traiteraient et recevraient le mystère sacré de l’Eucharistie. Et si la
bienheureuse Marie n'eût suppléé à ce manquement de toutes les créatures, ce
bienfait n'eût pas été dignement reconnu de la part de l'Église, et le
Seigneur n'eût pas non plus été satisfait du retour que les
452
hommes
lui doivent pour s'être donné à eux dans cet auguste sacrement.
Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.
606. Ma fille, quand les
mortels, ayant fourni la courte, carrière de leur vie, arrivent au terme que
Dieu leur a assigné pour mériter la vie éternelle, alors s'évanouissent toutes
leurs illusions devant cette grande expérience de l'éternité, dans laquelle
ils vont entrer pour la gloire ou pour la peine qui ne finira jamais. C'est là
où les justes connaissent en quoi a consisté leur bonheur et leur remède, et
les réprouvés leur perdition éternelle et irréparable. O ma fille combien
heureuse est la créature qui, dans le court moment de sa vie, tâche de prévoir
par la science divine ce qu'elle doit bientôt connaître par sa propre
expérience. C'est là la véritable sagesse que de connaître le but dès le
commencement et non-seulement à la fin de la
carrière, afin de la parcourir avec moins d'incertitude, et même avec une
certaine assurance de l'atteindre. Or, considérez maintenant quelles seraient
les dispositions de ceux qui , en entrant dans la
lice , regarderaient un prix considérable qu'on aurait placé au bout de
l'espace à franchir, et qu'ils pourraient gagner en y courant à toute vitesse.
Certes, ils s'élanceraient, ils courraient avec toute la vitesse possible,
sans se laisser distraire ni amuser par rien
453
de ce
qui pourrait les arrêter (1). Et s'ils ne couraient pas, s'ils ne regardaient
pas le prix et la fin de leur course, on les ferait passer pour des fous ou
pour des gens qui ne savent pas ce qu'ils perdent.
607. C'est là l'image de la
vie mortelle des hommes, au terme de la courte carrière de laquelle se trouve
pour prix la gloire éternelle, ou pour punition le tourment éternel, qui
mettent fin à la course. Ils naissent tous à l'entrée de la carrière pour la
parcourir par l'usage de la raison et par le libre arbitre; et personne ne
peut prétexter l'ignorance de cette vérité, et encore moins les enfants de
l'Église. Cela étant, que font de leur jugement ceux qui ont la foi catholique
? Pourquoi s'arrêtent-ils à la vanité? Pourquoi et comment s'attachent-ils à
l'amour des choses passagères , apparentes et
mensongères? Pourquoi songent-ils si peu à la fin où ils arriveront en si peu
de temps? Comment ne s'occupent-ils pas de ce qui les attend à ce terme?
Ignorent-ils peut-être qu'ils naissent pour mourir (2), et que la vie est fort
courte, la mort inévitable, la récompense ou la punition infaillible et
éternelle (3)? Que répondent à cela les amateurs du monde, qui consument leurs
jours si rapides (ils le sont pour tous les mortels) à acquérir des richesses
et des honneurs, et qui usent leurs forces et leurs facultés a la poursuite
des plaisirs fugitifs et abjects de la terre?
608. Or, ma bien-aimée,
considérez combien est
(1) I Cor., IX, 24. — (2) Ps. LXXXVIII, 47. — (3) II Cor., IV, 17.
454
faux et
perfide le monde dans lequel, vous êtes née, et que vous avez sous les yeux.
Je veux que vous y soyez ma disciple, mon
imitatrice, l'enfant de mes désirs et le fruit de mes prières. Oubliez-le
entièrement avec. une intime horreur; ne perdez point de vue le terme vers
lequel vous marchez d'un pas si accéléré, ni la fin pour laquelle votre
Créateur vous a tirée du néant; soupirez toujours après cette fin ; qu'elle
soit le but de tous vos efforts, de toutes vos aspirations; ne vous amusez
point aux choses transitoires, vaines et mensongères; faites que le seul amour
divin demeure en vous, et qu'il consume toutes vos forces; car ce n'est pas un
véritable amour, que celui qui les laisse libres pour aimer quelque autre
chose avec Dieu, et qui ne soumet, ne mortifie et n'attire toute la créature.
Qu'il soit en vous fort comme la mort (1) , afin
que vous soyez renouvelée comme je le désire. Ne contrariez point la volonté
de mon très-saint Fils en ce qu'il veut opérer en
vous, et soyez assurée de sa fidélité, et qu'il paie toujours le centuple (2).
Méditez avec une humble vénération sur ce qui vous a été découvert jusqu'ici;
je vous recommande et vous prescris d'en expérimenter de nouveau la vérité.
C'est pourquoi, ayant achevé cette histoire, vous continuerez mes exercices
avec un nouveau zèle. Rendez des actions de grâces au Seigneur de la grande
faveur qu'il vous a faite de vous avoir ordonné par
l'organe de vos supérieurs de le recevoir chaque jour
(1) Cant., VIII, 6. — (2) Matth., XIX, 29.
455
dans
l'adorable sacrement, et pour vous y disposer à mon imitation, continuez les
prières que je vous ai enseignées.
CHAPITRE XII. Comment l'auguste Marie célébrait son Immaculée Conception et sa
Nativité. — Les bienfaits qu'elle recevait ces jours-là de son Fils notre
Sauveur Jésus-Christ.
609. Tous les offices et
tous les titres honorables que la bienheureuse Marie avait dans l’Eglise, de
Reine, de Mère, de Gouvernante, de Maîtresse et les autres, le
Tout-Puissant les lui donna, non vides comme les
hommes les donnent, mais avec la plénitude et la grâce surabondante que chacun
demandait et que. Dieu même pouvait lui communiquer. Elle les possédait d'une
manière si parfaite, que comme Reine elle connaissait toute sa monarchie,
l'étendue qu'elle avait, et jusqu'où allait soli pouvoir; comme Mère, elle
connaissait ses enfants et les domestiques de sa famille, sans qu'aucun lui
fût caché de tous ceux qui dans la durée des siècles appartiendraient à
l'Église; comme Gouvernante, elle connaissait tous ceux qui étaient sous sa
conduite; et comme Maîtresse pleine de toute sagesse, elle embrassait toute la
456
science
doctrinale au moyen de laquelle la sainte Église allait, par son intercession,
être gouvernée et enseignée dans tous les temps, dans tous les âges, par le
Saint-Esprit, qui devait la diriger jusqu'à la fin du monde.
610. C'est pour cette
raison que notre grande Reine eut une claire connaissance,
non-seulement de tous les saints qui l'ont
précédée et qui lui ont succédé dans l'Église, de leur vie, de leurs oeuvres,
de leur mort et des récompenses qui leur étaient destinées dans le ciel ; mais
encore de toutes les cérémonies, de tous les rites, de toutes les fêtes que
l'Église établirait , et de toutes les décisions qu'elle rendrait dans la
suite des temps; des raisons, des motifs, de la nécessité et des circonstances
favorables qui détermineraient toutes ces choses par l'assistance du
Saint-Esprit , qui nous donne la nourriture dans le temps le plus convenable
pour la gloire du Seigneur et le progrès de l'Église. Et comme j'ai déjà parlé
de tout cela dans le cours de cette histoire divine ,
notamment dans la seconde partie, je m'abstiendrai de répéter dans celle-ci ce
que j'en ai dit. De cette plénitude de science et de sainteté qui se trouvait
en notre auguste Maîtresse naquit en elle une sainte émulation de la
reconnaissance et de la vénération que les anges et les saints témoignaient au
Seigneur, du culte qu'ils lui rendaient, des fêtes qu'ils célébraient dans
l'Église triomphante, et qu'elle voulait introduire dans l'Église militante,
en tant que la seconde pourrait imiter la première, où elle avait vu si
souvent
457
tout ce
qui s'y faisait à la louange et à la gloire du Très-Haut.
611. Avec cet esprit plus
que séraphique, elle commença à pratiquer en elle-même plusieurs des rites et
des exercices que l'Église a imités depuis, et les enseigna aux apôtres, afin
qu'ils les introduisissent selon qu'il était possible alors. Ce fut elle qui
établit non-seulement les exercices de la Passion
que j'ai précédemment indiqués, mais encore un grand nombre d'usages et de
cérémonies qui ont été plus tard repris dans les temples, dans les
congrégations et dans les communautés: Car elle pratiquait tout ce qu'elle
connaissait être du culte du Seigneur ou de l'exercice de la vertu; et d'un
autre côté elle était si éclairée, qu'elle n'ignorait rien de ce qui se
pouvait savoir. Entre autres institutions dont elle fut la promotrice, il faut
citer la célébration de plusieurs fêtes du Seigneur et des siennes, pour
renouveler la mémoire des bienfaits dont elle se trouvait redevable, tant de
ceux qui regardaient le genre humain en général que de ceux qui la regardaient
en particulier, et pour rendre des actions de grâces et mi juste culte
d'adoration à Celui qui en était l'auteur. Il est vrai qu'elle .y consacrait
sa vie entière, sans jamais se laisser aller à la moindre négligence ni au
moindre oubli; néanmoins, quand arrivaient les jours auxquels ces mystères
avaient été opérés , elle s'y disposait d'une
manière spéciale, et les célébrait par de nouveaux exercices et par de
nouveaux actes de reconnaissance. Je parlerai de diverses autres fêtes dans
les chapitres suivants, je
458
dirai
seulement en celui-ci, comment elle célébrait son Immaculée Conception et le
jour de sa Naissance, qui étaient les premiers mystères de sa vie. Elle avait
commencé la commémoration de ces fêtes dès l'incarnation du Verbe, mais elle
les célébrait avec un rite particulier après l'ascension, et surtout dans les
dernières années de sa vie.
612. Le 8 décembre de
chaque année, elle solennisait son Immaculée Conception avec des transports de
jubilation et de reconnaissance qu'on ne saurait dépeindre; car notre auguste
Reine prisait souverainement cet incomparable bienfait, auquel elle se croyait
incapable de correspondre par une suffisante reconnaissance. Elle commençait
dès la veille an soir, et passait toute la nuit en des exercices admirables,
en des larmes de joie, en des actes d'humiliation et en des cantiques qu'elle
faisait à la louange du Seigneur. Elle se considérait formée du limon commun
de la terre, et descendante d'Adam dans l'ordre commun de la nature; mais
choisie entre lors, et préservée elle seule de la loi commune, exempte du
pesant tribut du péché, et comblée dès sa conception de tous les dons et de
toutes les grâces. Elle conviait les anges à rendre des actions de grâces avec
elle, et chantait avec eux les nouvelles hymnes qu'elle faisait. Puis elle
priait encore les antres anges et les saints qui étaient dans le ciel de se
joindre à elle ; mais elle s'enflammait de telle sorte en l'amour divin, qu'il
fallait toujours que le Seigneur la fortifiait pour
empêcher qu'elle ne se consumât et qu'elle ne mourût.
459
613. Après qu'elle avait
consacré presque toute la nuit à ces exercices, notre Sauveur Jésus-Christ
descendait du ciel, les anges l'élevaient sur son trône, et le Seigneur la
menait avec lui dans l'empyrée, où la solennité était continuée avec une
nouvelle joie et une gloire accidentelle des habitants de la Jérusalem
céleste. La bienheureuse Marie s'y prosternait, et adorait la
très-sainte Trinité, lui rendant de nouvelles
actions de grâces pour le bienfait de son immunité et de sa conception
immaculée. Ensuite les anges la replaçaient à la droite de Jésus-Christ son
très-saint Fils; et alors le Seigneur faisait
lui-même une espèce de déclaration à la louange du Père éternel, le glorifiant
de ce qu'il lui avait donné une Mère si digne, si pleine de grâce et exempte
du commun péché des enfants d'Adam. Aussitôt les trois personnes divines
confirmaient de nouveau ce privilège, comme si elles en eussent approuvé,
ratifié et assuré la possession à notre auguste Reine, et comme si elles se
fussent félicitées de l'avoir tant favorisée entre toutes les créatures. Et
pour attester de nouveau cette vérité aux bienheureux, il sortait du trône, au
nom de la personne du Père, une voix qui disait : O Fille du Prince !
vos pieds sont beaux (1), vous avez été
conçue sans aucune tache de péché. Une autre voix du Fils qui disait :
Ma Mère, qui m'a donné la forme en laquelle j'ai racheté les hommes, est très
pure et sans aucune contagion du péché. Et le Saint-Esprit ajoutait :
Vous êtes toute
1) Cant., VII, 1.
459
belle, mon Épouse, vous êtes toute belle et exempte de la souillure du commun
péché (1).
614. Après ces voix, on
entendait celles de tous les choeurs des anges et des saints, qui répétaient
avec une très-douce harmonie: Marie
très-sainte, conçue sans le péché originel. La
très-prudente Mère répondait à toutes ces faveurs
par des actes de reconnaissance et d'adoration , et
par des hymnes de louange su Très-Haut, avec une humilité si profonde, qu'elle
surpassait tout ce que l'esprit angélique peut imaginer. Bientôt, pour
terminer la solennité, elle~était élevée à la vision intuitive et béatifique
de là très-sainte Trinité, et jouissait durant
quelques heures de cette gloire, d'où les anges la ramenaient au Cénacle. Ce
fut en cette manière que la solennité de sa Conception Immaculée se continua
après l'ascension de son très-saint Fils. Et
maintenant elle est célébrée le même jour dans le ciel d'une manière
différente, que je rapporterai dans un autre livre que j'ai ordre d'écrire sur
l'Église triomphante, si le Seigneur me le permet. La bienheureuse Vierge
commença à solenniser cette fête et les autres dès l'incarnation du Verbe;
car, aussitôt qu'elle se vit Mère de Dieu, elle commença à renouveler la
mémoire des bienfaits qu'elle avait reçus pour cette dignité : alors elle
célébrait ces fêtes avec ses saints anges, et avec le culte et la
reconnaissance qu'elle rendait à son adorable Fils, de qui elle avait reçu
tant de faveurs.
(1) Cant., IV, 7.
461
Les
autres choses qu'elle faisait dans son oratoire, quand elle était descendue du
ciel, sont les mêmes que j'ai dites ailleurs, après d'autres semblables
bienfaits; car ils accroissaient sans cesse son humilité admirable.
615. Elle solennisait la
fête de sa Naissance le 8 septembre, jour où elle naquit, et la commençait à
l'entrée de la nuit avec les mêmes exercices et les mêmes cantiques qu'à la
Conception. Elle rendait des actions de grâces de ce qu'elle était née en vie
à la lumière de ce monde, de ce qu'elle avait eu le bonheur d'être élevée au
ciel incontinent après sa naissance, et de ce qu'elle y avait vu la Divinité
intuitivement, comme je l'ai dit en la première partie. Elle s'offrait de
nouveau à employer toute sa vie à ce qu'elle connaîtrait être à la plus grande
gloire du Seigneur et le plus agréable à sa divine Majesté, puisqu'elle savait
qu'elle lui était donnée pour cela. De sorte que Celle qui, dès l'instant
qu'elle parut sur la terre, surpassa en mérite les plus grands saints et les
plus hauts séraphins, prenait encore, arrivée presque au terme de sa vie, la
résolution de recommencer à travailler, comme si c'eût été le premier jour
auquel. elle. se fût
mise à pratiquer la vertu, et elle suppliait de nouveau le Seigneur de
l'assister, de gouverner toutes ses actions, et de les diriger à la plus haute
fin de sa gloire.
616. Quant aux autres
choses qui se passaient en cette fête, quoiqu'elle ne fût point enlevée au
ciel comme le jour de sa Conception , son
très-saint Fils
462
en
descendait néanmoins, et venait dans sou oratoire avec un
très-grand nombre d'anges, avec les anciens patriarches et prophètes,
et particulièrement avec saint Joachim , sainte Anne et saint Joseph. Notre
Sauveur Jésus-Christ descendait avec ce cortége, pour célébrer la Nativité de
sa bienheureuse Mère sur la terre. Et la plus pure des
créatures , en présence de cette céleste assistance , l'adorait avec
une humilité admirable , et lui rendait de nouvelles actions de grâces du
bienfait de l'existence, et des. faveurs dont il
avait été accompagné. Ensuite les anges se joignaient à elle et lui chantaient
: Nativitas tua, Dei
Genitrix Virgo,
etc. C'est-à-dire: «Votre naissance, ô Vierge, Mère de Dieu, a annoncé une
grande joie à tout l'univers ; car de vous, comme de sa couche, s'est levé le
Soleil de justice, qui est Jésus-Christ notre Dieu. »
Les patriarches et les prophètes entonnaient à leur tour des cantiques
de gloire et de reconnaissance; Adam et Ève, de ce que la Réparatrice du
dommage qu'ils avaient causé était née;; les
parents et l'époux de notre auguste Reine, de ce qu ils avaient eu une telle
fille et une telle épouse. Enfin le Seigneur lui-même relevait sa divine Mère,
prosternée par terre, et la plaçait à sa droite, où elle découvrait de
nouveaux mystères par une vision de la Divinité qui n'était point intuitive et
béatifique, mais qui, tout en restant abstractive, était plus pénétrante et
plus lumineuse.
617. Par ces faveurs si
ineffables, elle était de nouveau transformée en son
très-saint Fils, enflammée
463
d'une
plus vive ardeur, et toute spiritualisée pour travailler dans l'Église, comme
si elle n'eût fait que commencer. Dans ces occasions, saint Jean
l'évangéliste, qui méritait de prendre part à la fête, entendait la musique
avec laquelle les anges la célébraient. Et pendant que le Seigneur lui-même
restait dans l'oratoire. avec les anges et les
saints qui l'accompagnaient, l'évangéliste y disait la messe, et notre auguste
Reine communiait, se trouvant à la droite de son adorable Fils, qu'elle
recevait dans son sein sous les espèces eucharistiques. Tous ces mystères
faisaient un spectacle qui ravissait les saints d'une nouvelle joie, et ils
servaient en même temps comme de témoins à la communion la plus digne que l'on
ait vue et que l'on verra jamais dans le monde
après celle de Jésus-Christ. Après que notre grande Dame avait reçu son
très-saint Fils dans l'auguste sacrement, le
Seigneur la laissait recueillie avec lui-même en cet état, et, reprenant son
état glorieux et naturel, il s'en retournait au ciel. O merveilles cachées de
la toute-puissance divine! Si Dieu se montre grand et admirable envers tous
les saints (1), que n'aura-t-il pas fait envers sa digne Mère, qu'il aimait
plus que tous, et pour laquelle il réserva tout ce qu'il y avait de plus grand
et de plus excellent dans les trésors de sa sagesse et de sa puissance. Que
toutes les créatures le glorifient, le louent et le bénissent.
(1) Ps. LXVII, 36.
464
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine du ciel la bienheureuse Marie.
618. Ma fille, je veux que
la première leçon que vous tirerez de ce chapitre serve à dissiper certaines
craintes que je découvre dans votre coeur, à raison de la sublimité et du
caractère extraordinaire des mystères de ma vie, que vous écrivez dans cette
histoire. Vous êtes intérieurement assaillie de deux doutes d'une part, vous
vous demandez si vous êtes un instrument convenable pour écrire ces secrets,
ou s'il ne vaudrait pas mieux qu'une autre personne plus savante et plus
avancée en vertu les écrivît pour donner plus d'autorité à son travail,
puisque vous êtes la moindre, la plus inutile et la plus ignorante de toutes.
D'autre part, vous doutez que ceux qui liront ces mystères y ajoutent foi,
parce qu'ils sont si rares et si inouïs, surtout les visions béatifiques et
intuitives de la Divinité, dont je jouis si souvent pendant la vie mortelle.
Je vais répondre au premier de ces doutes, en convenant d'abord avec vous que
vous êtes la moindre et la plus inutile des créatures; car, puisque vous
l'avez appris de la bouche du Seigneur, et que je vous le confirme, vous en
devez être persuadée. Mais sachez que l'autorité de cette histoire et de tout
ce qui s'y trouve renfermé ne dépend point de l'instrument, mais de l'Auteur,
qui est la souveraine. Vérité, et de celle que ce que vous écrivez contient en
soi; le plus haut séraphin n'y pourrait
465
rien
ajouter s'il écrivait cette histoire, et vous non plus ne pouvez rien en
omettre, rien en retrancher.
619. Il n'était pas
convenable qu'un ange l'écrivit, et l'eût-il
écrite, les incrédules et les endurcis de coeur y trouveraient encore à
redire. Il fallait qu'une créature humaine en fût l'instrument, mais il
n'était pas convenable que ce fût la plus savante et la plus sage ; car on
aurait pu attribuer ce travail à sa science, ou bien la lumière divine y
aurait moins éclaté, parce qu'on l'aurait confondue avec les lueurs de la
raison naturelle. Il est de la plus grande gloire de Dieu que ce soit une
femme que ne puissent aider ni la science. ni
l'industrie personnelles. Moi-même j'y trouve une gloire et une satisfaction
particulières, d'autant plus que vous êtes l'instrument choisi ; car vous
saurez, et tout le monde doit savoir, qu'il n'y a rien du vôtre dans cette
histoire, et que vous ne devez non plus vous l'attribuer qu'à la plume avec
laquelle vous l'écrivez-vous n'êtes que l'instrument de la main du Seigneur,
que l'organe de mes paroles. Et ce n'est pas parce que vous ôtes une vile
pécheresse que vous devez craindre que les mortels ne me refusent l'honneur
qu'ils me doivent ; puisque si quelqu’un n'ajoute pas foi à ce que vous
écrivez, ce ne sera pas vous qu'il offensera, mais ce sera moi qu'il outragera
en mettant mes paroles en doute. Quoique le nombre de vos péchés soit grand,
la charité et la miséricorde du Seigneur peuvent les effacer tous; c'est pour
le montrer qu'il n'a pas voulu choisir un autre instrument
466
plus
grand, mais qu'il a daigné vous tirer de la poussière et manifester en vous sa
puissance libérale, d'après les motifs que je vous ai expliqués, et par une
conduite propre à faire mieux connaître la vérité et l'efficace qu'elle a par
elle-même; c'est pourquoi je veux que vous vous y conformiez, que vous
pratiquiez ses enseignements, et que vous deveniez telle que vous souhaitez
être.
620. Pour ce qui regarde le
second doute que vous avez; si l'on ajoutera créance à ce que vous écrivez, à
cause de la grandeur de ces mystères, j'y ai répondu amplement dans tout le
cours de cette histoire. Ceux qui se feront une juste idée de ma personne ne
trouveront aucune difficulté à me croire ; car ils découvriront le rapport
qu'il y a entre les bienfaits que vous rapportez et celui de la dignité de
Mère de Dieu auquel tous les autres se rattachent, parce que sa divine Majesté
fait ses oeuvres parfaites; et si quelqu'un en doute, assurément il ignore ce
que Dieu est et ce que je suis. Si Dieu s'est montré si puissant et si libéral
à l’égard des autres saints; si l'on dit dans l'Église de plusieurs d'entre
eux qu'ils ont vu la Divinité pendant leur vie mortelle (et il est certain
qu'ils la virent), comment, ou avec quel fondement me refusera-t-on ce que
l'on accorde à d'autres qui me sont si inférieurs ? Tous les bienfaits que mon
très-saint Fils leur a mérités, et toutes les
faveurs dont il les a prévenus, n'ont eu d'autre but que sa gloire, et ensuite
la mienne; or l'on estime et l'on aime plus la fin que les moyens, que l'on
aime pour cette fin ;
467
il est
donc évident que l'amour qui a porté la volonté divine à me favoriser a été
plus grand que celui avec. lequel elle a favorisé
tous les autres pour moi : et l'on ne doit pas trouver étrange que ce que le
Seigneur a fait une fois envers eux , il l'ait fait plusieurs fois envers
celle qu'il a choisie pour Mère.
621. Les personnes pieuses
et prudentes savent; et c'est ce que l'on a enseigné dans mon Église, que la
règle par laquelle on mesure les faveurs que j'ai reçues de la droite de mon
très-saint Fils, est sa toute-puissance et ma
capacité car il m'accorda toutes les grâces qu'il put m'accorder, et que je
fus capable de recevoir. Ces grâces ne furent point stériles en moi, mais
elles fructifièrent toujours autant qu'il était possible en une simple
créature. Le même Seigneur était mon Fils, et son action est toute-puissante,
pourvu que la créature ne lui oppose aucun obstacle; or, puisque je ne lui en
opposai aucun, qui osera lui limiter ses opérations et l'amour qu'il avait
pour moi comme étant sa Mère, quand lui-même me rendit plus digne de ses
bienfaits que tous les autres saints, parmi lesquels il n'y en a pas un qui se
soit privé dé jouir un seul moment de sa présence pour assister l'Église comme
je le fis? Et si toutes les autres merveilles qu'il a opérées en ma faveur
semblent excessives et incroyables, je veux que vous sachiez et que tous
sachent aussi que tous ses bienfaits furent fondés et renfermés en celui de ma
conception immaculée ; car ce fut une plus grande grâce de me rendre, digne de
sa gloire lorsque je ne pouvais-la mériter,
468
que de
la manifester lorsque je l'avais méritée, et que je ne présentais aucun
empêchement à cette manifestation.
622. Ces avis suffiront
pour dissiper vos doutes et vos craintes, le reste me regarde; pour vous, vous
n'avez qu'à me suivre et à m'imiter; car c'est là pour vous la fin de tout ce
que vous apprenez et écrivez c'est à cela que vous devez tendre, vous
proposant sans cesse de pratiquer toutes les vertus que vous connaîtrez, sans
en omettre aucune. Et pour cela je veux que vous considériez aussi ce que
faisaient les aubes saints qui nous ont suivis, mon
très-saint Fils et moi , puisque vous n'êtes pas moins redevable qu'eux
à sa miséricorde, et que je ne me suis montrée envers aucun ni plus tendre ni
plus libérale. Je veux que vous appreniez à mon école, comme ma véritable
disciple, la charité, la reconnaissance et l'humilité; et j'exige que vous
fassiez de tels progrès dans ces vertus, que vous vous y signaliez. Vous devez
aussi, en sollicitant l'assistance des saints et des anges, célébrer mes fêtes
avec une intime dévotion, et solenniser d'une manière spéciale celle de mon
Immaculée Conception, en laquelle je fus si favorisée de la puissance divine;
ce bienfait me pénétra d'une joie indicible, et maintenant j'en ai une toute
nouvelle de voir que les hommes remercient et louent le Très-Haut pour un si
rare miracle. A mon exemple, vous rendrez de plus ferventes actions de grâces
au Seigneur le jour anniversaire de votre naissance ,
et vous y ferez quelque chose de particulier pour son service; en
469
outre,
vous prendrez la résolution, dès ce jour-là, de perfectionner votre vie et de
commencer de nouveau à y travailler; c'est ce que tous les mortels devraient
faire , au lieu d'employer le jour de leur naissance à de vaines
démonstrations d'une joie toute terrestre.
CHAPITRE XIII. La bienheureuse Marie célèbre d'autres fêtes avec ses anges,
notamment sa Présentation et les fêtes de saint Joachim, de sainte Anne et de
saint Joseph.
623. La reconnaissance des
bienfaits que la créature reçoit de la main du Seigneur est une vertu si
noble, que par elle nous entretenons le commerce et la correspondance qui
peuvent exister entre nous et Dieu lui-même, lui en nous distribuant les dons
et les trésors de sa libéralité et de sa puissance, et nous en lui offrant
humblement dans notre pauvreté les témoignages de notre gratitude. C'est le
propre de celui qui donne d'une manière généreuse, de se contenter de la seule
reconnaissance du nécessiteux qui a besoin de ses secours; la reconnaissance
est un retour facile, prompt et agréable, qui satisfait l'auteur des
libéralités, et qui l'oblige à les continuer envers
469
celui
qui les reçoit. Et si cela arrive même entre les hommes lorsqu'ils ont un
coeur magnanime et généreux , il en sera bien plus
certainement de même entre Dieu et les hommes; car nous sommes la misère et la
pauvreté même, et il est très-riche et
très-libéral, et si nous pouvons imaginer quelque
besoin en lui, c'est le besoin de donner, et non de recevoir (1). Aussi ce
souverain Seigneur est-il si sage, si juste et si saint, que, s'il nous
repousse, ce n'est jamais parce que nous sommes pauvres, mais parce que nous
sommes ingrats. Il veut nous donner beaucoup, mais il veut aussi que nous
soyons reconnaissants et que nous lui rendions la gloire, l'honneur et la
louange que la gratitude renferme. Ce retour à l'égard des moindres bienfaits
le porte à nous en départir de plus grands, et quand nous les reconnaissons
tous, il les multiplie; mais il n'y a que ceux qui sont humbles qui se les
assurent, parce qu'ils sont toujours reconnaissants.
624. La bienheureuse Marie
fut la maîtresse de cette science, car ayant reçu à elle seule le comble et la
plénitude des bienfaits que la Toute-Puissance
pouvait communiquer à une simple créature, elle les reconnut tous avec toute
la perfection possible. Pour chacun des dons qu'elle reconnaissait avoir reçu,
soit dans l'ordre de la nature, soit dans l'ordre de la grâce (et elle n'en
ignorait aucun), elle exprimait sa gratitude par des cantiques, de louange et
par
471
d'autres
actes admirables, dans lesquels elle en renouvelait la mémoire avec des
hommages et des remerciements particuliers. Pour cela elle destinait dans
l'année certains jours, et dans ces jours certaines heures dans lesquelles
elle repassait en son esprit ces faveurs, et en rendait mille actions de
grâces. A tous ces exercices, à tous ces soins, elle joignait l'activité
infatigable avec laquelle elle s'occupait du gouvernement de l'Église et de
l'enseignement des apôtres et des disciples ; en outre ,
elle donnait ses conseils à ceux qui venaient la consulter, et quoiqu'ils
fussent en très-grand nombre, elle ne les refusait
à aucun, et pourvoyait à tous les besoins des fidèles.
625. Et si la véritable
reconnaissance est si agréable à Dieu , et le porte
à renouveler et à augmenter ses bienfaits, qui pourra imaginer la complaisance
avec laquelle il agréait celle que sa très-prudente
Mère lui témoignait pour de si sublimes faveurs, et les louanges qu'elle lui
offrait pour toutes et pour chacune en particulier, avec l'humilité et la
charité la plus parfaite? Tous les autres enfants d'Adam par rapport à elle
sont lâches et ingrats, et si inconsidérés, que s'il leur arrive de faire
quelque petite chose, elle leur semble fort grande, tandis que notre
très-reconnaissante Reine regardait tout ce quelle
faisait de plus grand comme fort petit; et après avoir donné à ses actions la
plénitude de toute la perfection possible, elle se croyait encore lâche et peu
diligente. J'ai dit ailleurs que l'activité de la bienheureuse Marie était
semblable à celle de Dieu ,
472
qui est
un acte très-simple qui agit par son être propre,
sans pouvoir cesser ses opérations infinies. Notre grande Reine participa
d'une manière ineffable à cette excellence de la Divinité, car elle paraissait
être elle-même une opération infatigable et continuelle ; et si la grâce est,
chez tous, impatiente d'être seulement oisive, on ne doit pas être surpris
qu'en Marie, qui avait reçu une grâce sans bornes, et, si je puis m'exprimer
de la sorte, sans la mesure commune, elle lui donnât une si haute
participation de l'être de Dieu et de ses qualités.
626. Je ne saurais mieux
faire comprendre ce secret que par l'admiration des saints anges qui la
pénétraient davantage. Il arrivait souvent que, ravis de ce qu'ils
contemplaient en leur grande Reine, ils disaient soit entre
eux , soit en s'adressant à elle-même : « Dieu est
puissant, grand et admirable en cette créature au-dessus de toutes ses
oeuvres ! En elle la nature humaine nous surpasse de beaucoup. Que votre
Créateur, ô Marie, soit éternellement béni et glorifié. Vous êtes l'ornement
et la beauté de tout le genre humain. Vous êtes l'objet de la sainte émulation
des esprits angéliques et de l'admiration des habitants du ciel. Vous êtes la
merveille de la puissance de Dieu , le prodige glorieux de sa droite, l'abrégé
des oeuvres du Verbe incarné, la parfaite image de ses perfections, le vestige
de tous ses pas ; vous ressemblez en tout à Celui à qui ,vous avez donné la
forme humaine dans votre sein. Vous êtes la digne Maîtresse de l'Église
militante,
473
et la
gloire spéciale de l'Église triomphante ! l’honneur
des courtisans célestes et la Restauratrice de votre peuple. Que toutes
les nations connaissent votre vertu et votre grandeur, que toutes les
générations vous louent et vous bénissent. Ainsi soit-il. »
627. L'auguste Marie célébrait avec ces princes célestes la mémoire des
bienfaits et des dons qu'elle avait reçus du Seigneur. Et la demande qu'elle
leur faisait,de l'assister en cette reconnaissance ne lui était pas seulement
inspirée par son très-ardent amour, qui lui
méritait toutes ces faveurs et les lui procurait par cette soif insatiable que
le feu de la charité cause là où il brûle; ce qui y contribuait aussi, c'était
son humilité profonde, par laquelle elle se reconnaissait obligée au delà de
toutes les créatures; c'est pourquoi elle les engageait toutes à l'aider à
s'acquitter de sa dette, quoiqu'elle fût la seule qui pût dignement y
satisfaire. Et par cette sagesse admirable elle attirait dans son oratoire la
cour du souverain Roi , et faisait du monde un
nouveau ciel.
628. Elle célébrait tous
les ans le jour qui correspondait à sa Présentation dans le Temple, commençant
le soir de la veille les saints exercices et les actions de grâces auxquels
elle consacrait toute la nuit, comme aux jours de sa Conception et de sa
Nativité. Elle reconnaissait la faveur que le Seigneur lui avait faite en
l'introduisant dans son Temple à un âge si tendre ,
et le remerciait de tous les bienfaits dont il l'avait
474
prévenue
pendant qu'elle y demeura. Mais ce qu'il y avait de plus admirable dans la
célébration de cette fête, c'était que la grande maîtresse des
vertus , quoique pleine de sagesse divine,
rappelait à sa mémoire les instructions que le prêtre et sa Maîtresse lui
avaient données en son enfance dans cette maison de prière. Elle repassait
aussi en son esprit ce que ses saints parents Joachim et Anne lui avaient
enseigné, et tout ce qu'elle avait entendu de la bouche des apôtres. Et elle
faisait de nouveau tout ce qui lui avait été dit, de la manière convenable à
cet âge plus avancé. Ainsi, quoique l'enseignement de son
très-saint Fils lui fût bien suffisant pour diriger toutes ses actions,
et valût plus que tous les autres enseignements, il n'en était point, de tous
ceux qu'elle avait reçus, qu'elle ne voulût méditer. Car quand il s'agissait
de s'humilier, d'obéir en inférieure, et de recevoir des leçons, elle ne
perdait pas un moment, et il n'y avait pas de secrète industrie de ces vertus
qu'elle négligeât. Oh ! avec combien de perfection
elle exécutait les conseils des sages! Ne vous appuyez point sur votre
prudence, et ne soyez point sage à vos propres yeux (1). Ne méprisez point les
avis des anciens, et réglez-vous toujours sur leurs maximes (2). Ne vous
élevez pas avec arrogance, mais accommodez-vous aux petits (3
).
629. Quand l'auguste Vierge
célébrait cette fête, elle éprouvait une espèce de doux regret naturel à la
(1) Prov., III, 5 et 7. — (2) Eccles., VIII, 9. — (3) Rom., XII, 16.
475
pensée
du séjour qui elle avait fait dans le Temple; elle l'avait pourtant quitté
aussitôt qu'elle avait connu la volonté du Seigneur à cet égard , se
soumettant à toutes les très-hautes fins pour
lesquelles il lui ordonna d'en sortir, et le Seigneur continuait à la
récompenser de cette prompte obéissance par diverses faveurs qu'il lai faisait
en cette fête. Il descendait ce jour-là du ciel dans tout l'éclat de sa
magnificence, accompagné des anges, comme dans les autres occasions, et
s'adressant à la bienheureuse Mère dans son oratoire, il lui disait : « Ma
Mère et ma Colombe , venez à moi, qui suis votre
Dieu et votre Fils. Je veux vous donner un temple et une habitation plus
haute, plus tranquille et plus divine, qui sera dans mon être propre. Venez,
ma très-chère et ma bien-aimée, dans la demeure
qui vous appartient légitimement. » Après ces très douces paroles, les
séraphins relevaient lotir Reine de terre (car elle restait toujours
prosternée en la présence de son Fils, jusqu'à ce qu'il lui ordonnât de se
lever), et au milieu des accords d'une musique céleste, ils la plaçaient à la
droite du même Seigneur. Elle sentait on connaissait incontinent que la
divinité de Jésus-Christ la remplissait tout entière, comme le temple de sa
gloire, et qu'elle l'inondait, l'entourait, l'enveloppait comme la mer le
poisson qu'elle renferme dans son sein ; et cette espèce d'union et
d'embrassement divin lui faisait éprouver de nouveaux effets ineffables, car
elle recevait une certaine possession de la Divinité que je ne puis expliquer,
et
476
la
divine Mère, quoiqu'elle ne vit point Dieu face à face, y ressentait une joie
extraordinaire.
630. La
très-prudente Mère appelait cette grande faveur,
mon très-sublime refuge et ma
très-haute demeure, elle appelait aussi cette fête, la fête de l'être
de Dieu, et récitait des hymnes admirables pour en exprimer à la fois la
grandeur et sa reconnaissance. Elle employait la fui de ce jour à rendre des
actions de grâces au Tout-Puissant au nom des
patriarches et des anciens prophètes, depuis Adam jusqu'à ses propres
parents , qui formaient comme le dernier anneau de
la chaîne. Elle les rendait pour tous les dons de grâce et de nature que le
Seigneur leur avait départis, pour tout ce qu'ils avaient prophétisé, et pour
ce que les saintes Écritures rapportent d'eux. Puis elle s'adressait à ses
parents saint Joachim et sainte Anne, les remerciait de ce qu'ils l'avaient
offerte à Dieu dans le Temple dès son enfance, les suppliait de reconnaître en
son nom ce bienfait dans la Jérusalem céleste, où ils jouissaient de la vision
béatifique, et de prier le Très-Haut de lui enseigner à être reconnaissante,
et de, la conduire en toutes ses actions. Et surtout elle les conjurait de
nouveau de, rendre des actions de grâces au Seigneur tout-puissant de ce qu'il
l'avait exemptée du péché originel pour la choisir pour sa Mère, car elle
regardait toujours ces deux bienfaits comme inséparables.
631. Elle célébrait les
fêtes de saint Joachim et de sainte Anne avec presque les mêmes cérémonies, et
les deux saints descendaient dans l'oratoire avec notre
477
Sauveur Jésus-Christ et une multitude innombrable d'anges; et la bienheureuse
Vierge rendait avec eux des actions de grâces au Seigneur de lui avoir donné
des parents si saints et accomplissant si parfaitement sa divine volonté,
ainsi que de la gloire par laquelle il les avait récompensés. Pour toutes ces
oeuvres du Seigneur, elle faisait de nouveaux cantiques avec ses anges, qui
les répétaient avec la musique la plus harmonieuse. Il arrivait encore une
autre. chose à la fête de ses patents : c'est que les anges de cette mime
Reine et plusieurs autres qui descendaient du ciel, lui expliquaient, chacun
selon son rang et sa hiérarchie, un attribut ou une perfection de l’être de
Dieu, et ensuite une autre du Verbe incarné. Cet entretien si divin lui
causait une joie incomparable, et ne faisait qu'exciter encore l'ardeur de ses
affections amoureuses. Saint Joachim et sainte Anne recevaient aussi une joie
accidentelle très-grande, et à la fin de tous ces
mystères notre auguste Princesse demandait la bénédiction à ses parents;
ensuite ils s'en retournaient au ciel, et elle demeurait prosternée pour
exprimer de nouveau la gratitude que lui inspiraient ces bienfaits.
632. Lors de la fête de son
très-chaste et très-saint
époux Joseph, elle célébrait les épousailles dans lesquelles le Seigneur le
lui avait donné pour son très-fidèle compagnon,
afin de cacher les mystères de l'incarnation du Verbe, et pour exécuter avec
une si haute sagesse les secrets et les oeuvres de la rédemption du genre
humain. Et comme tontes ces oeuvres du
478
Très-Haut et de son conseil éternel étaient comme en dépôt dans le coeur
très-prudent de Marie, et qu'elle en faisait la
digne estime qu'elles demandaient, la joie et la reconnaissance avec
lesquelles elle en célébrait la mémoire étaient ineffables. Le
très-saint époux Joseph descendait à la fête tout
rayonnant de gloire, accompagné de milliers d'anges ,
qui la solennisaient avec une grande jubilation et une grande pompe, chantant
de nouvelles hymnes et de nouveaux cantiques que la bienheureuse Marie faisait
pour reconnaître les bienfaits que son saint époux et elle avaient reçus de la
main du Très-Haut.
633. Après avoir ainsi
passé plusieurs heures, elle s'entretenait une partie de ce jour avec le
glorieux époux Joseph sur les perfections et les attributs divins; car, en
l'absence du Seigneur, c'étaient les entretiens auxquels la tendre Mère se
plaisait le plus. Et au moment de prendre congé du saint époux, elle le
suppliait de prier pour elle en la présence de la Divinité, et de la louer en
son nom. Elle lui recommandait aussi de prier pour les besoins de la sainte
Église et des apôtres, et surtout elle lui demandait sa bénédiction. Le
glorieux saint s'en retournait ensuite au ciel, et elle continuait dans son
oratoire, suivant sa coutume , ses actes d'humilité
et de reconnaissance. Mais on doit remarquer deux choses : la première, c'est
que, quand son Fils vivait sur la terre, et se trouvait présent à ces fêtes;
il se montrait ordinairement transfiguré à sa bienheureuse Mère, comme sur le
Thabor. Il lui fit souvent cette faveur à elle seule,
479
surtout
dans cet occasions, lui donnant par là quelque récompense de son intime
dévotion et de sa profonde humilité, et la renouvelant par les effets divins
que produisait en elle cette merveille. La seconde chose, c'est que, pour
célébrer ces faveurs, elle ajoutait à tout ce que j'ai dit un autre soin bien
digne de sa charité et de notre attention. Aux jours qui ont été indiqués et
en d'autres jours dont je parlerai plus loin, elle nourrissait plusieurs
pauvres, leur apprêtait elle-même à manger, et les servait à genoux. En pareil
cas, elle recommandait à l'évangéliste de lui amener les pauvres les plus
délaissés et les plus misérables, et le saint se conformait à ses
instructions. En outre, elle apprêtait quelque autre chose de plus délicat
pour l'envoyer dans les hôpitaux aux malades pauvres qu'elle ne pouvait
appeler chez elle, et elle allait ensuite les consoler et les soulager par sa
présente. Voilà comment la bienheureuse Marie célébrait ses fêtes ; voilà
l'exemple qu'elle a proposé à l'imitation des fidèles, afin qu'ils se montrent
constamment reconnaissants, et qu'ils offrent, autant qu'ils le peuvent, le
sacrifice de leurs louanges et de leurs bonnes oeuvres.
Instruction que la grande Reine du ciel m'a donnée.
634. Ma fille, le péché
d’ingratitude envers Dieu est un des plus énormes que les hommes commettent,
480
un de
ceux par lesquels ils se rendent le plus indignes et le plus abominables aux
yeux du Seigneur et des saints, qui ont une espèce d'horreur pour cette
honteuse insensibilité des mortels. Et quoiqu'il leur soit si funeste, chacun
d'eux en particulier ne commet néanmoins aucun autre péché avec plus d'inconsidération
ni plus fréquemment. Il est vrai que le Seigneur, pour n'avoir pas lieu d'être
aussi irrité de cet oubli de ses bienfaits si odieux et si général , a voulu
que la sainte Église réparât publiquement en partie le manque de
reconnaissance que ses enfants et tous les hommes témoignent envers Dieu.
C'est pour reconnaître ses bienfaits que le corps de l'Église lui adresse tant
de prières et lui offre tant de sacrifices de louange et de gloire, qui sont
ordonnés dans la même Église. Mais comme les faveurs et les grâces de sa
libérale et attentive providence ne tombent pas seulement sur le commun des
fidèles, mais s'adressent en particulier à celui qui reçoit le
bienfait , ils ne sauraient s'acquitter de leur
dette par la reconnaissance commune, parce que chacun y est spécialement
obligé pour ce qui lui revient des divines largesses.
635. Combien s'en
trouve-t-il parmi les mortels, qui pendant toute leur vie n'ont pas fait un
seul acte de véritable reconnaissance envers Dieu de ce qu'il la leur a donnée
et la leur conserve; de ce qu'il leur donne la santé, les forces, la
nourriture, les honneurs , la fortune, et tant
d'autres biens temporels et naturels? Il y en à d'autres qui, tout en
connaissant l'Auteur de ces bienfaits, ne songent point à l'en
481
remercier;
à la vérité, ils aiment Dieu, qui les leur a départis, mais pour l'amour
qu'ils se portent à eux-mêmes, et parce qu'ils se complaisent en ces choses
temporelles et terrestres, parce qu'ils se réjouissent de les posséder. Il y a
là une illusion qu'on découvrira par deux marques :
d'abord , quand ils perdent ces biens terrestres et passagers, ils
s'affligent, se dépitent, se désolent, ils ne sauraient penser à autre chose;
il n'y a rien qu'ils estiment ni qu'ils désirent, parce qu'ils n'aiment que ce
qui est apparent et périssable. Et quoique bien souvent le Seigneur ne fasse
que leur accorder le plus grand des bienfaits en les privant de la santé, des
honneurs, des richesses et autres choses semblables, afin qu'ils ne s'y
attachent point avec une affection désordonnée et aveugle, ils regardent
néanmoins cette heureuse perte comme un malheur et comme une espèce
d'injustice, et veulent toujours que leur coeur coure après les choses
périssables pour périr avec elles.
636. Seconde marque de
cette illusion : la passion aveugle qu'ils ont pour ce qui est passager les
empêche de se souvenir des biens spirituels, qu'ils ne savent ni estimer ni
reconnaître. Cette faute grossière est surtout énorme de la part des enfants
de l'Église, que la miséricorde infinie, sans y être aucunement obligée, sans
qu'ils l’eussent aucunement mérité, a daigné mettre dans le chemin assuré de
la vie éternelle eu leur appliquant spécialement les mérites de la Passion et
de la mort de mon très-saint Fils. Chacun de ceux
qui sont aujourd'hui dans la saints Église
482
pouvait naître en d'autres temps et en d'autres siècles, avant que Dieu vint
au monde, et, après son avènement, il pouvait le créer parmi les gentils, les
idolâtres , les hérétiques et autres infidèles , où sa damnation éternelle
aurait été inévitable. Sans qu'ils pussent se prévaloir d'aucun mérite, il les
a tous appelés à la foi, il leur a fait connaître la vérité infaillible, il
les a justifiés par le baptême., il leur a donné
les sacrements, les ministres, la doctrine et la lumière de la vie éternelle.
Il les a mis dans le chemin assuré, il les assiste par ses secours, il leur
pardonne quand ils ont péché, il les relève, quand ils sont tombés, il les
attend à la pénitence , il les convie par sa
miséricorde, et il les récompense de la main la plus libérale. Il les défend
par ses anges, il se donne lui-même à eux en gage et comme l'aliment de leur
vie spirituelle; enfin, il les comble de tant de bienfaits, qu'on ne saurait
ni les compter ni les mesurer, et il ne se passe point un jour, point une
heure où leur dette ne grossisse.
637. Or dites-moi, ma
fille, quelle reconnaissance ne doit-on pas à une
si libérale et si paternelle clémence? Et combien sen trouve-t-il qui l'aient
dignement? Le plus considérable bienfait est que, malgré cette ingratitude,
les portes de cette miséricorde ne se soient point fermées, et que ses sources
n'aient point été taries, parce qu'elle est infinie. Le principe d'où provient
le plus souvent cette méconnaissance si effroyable chez les hommes, est leur
ambition démesurée, et l'avidité avec laquelle ils convoitent les
483
biens
temporels , apparenta et passagers. C'est cette soif insatiable qui cause leur
ingratitude; car, comme ils désirent si vivement la possession des choses
temporelles , tout ce qu'ils reçoivent leur parait
peu de chose; ils n'en témoignent aucune reconnaissance, et ils oublient en
même temps les bienfaits spirituels, et ainsi ils sont
très-ingrats à l'égard des uns et des autres. A cette folie ils en
ajoutent d'ordinaire une autre plus grande, qui est de demander à Dieu
non-seulement ce dont ils ont besoin, mais tout ce
qui leur vient à la fantaisie, et qui doit contribuer à leur propre damnation.
C'est quelque chose de bas et de honteux parmi les hommes, que de demander un
bienfait à celui qu'on a offensé, et surtout que de le lui demander pour s'en
servir à l'offenser davantage. Or quelle raison aura un homme vil, terrestre
et ennemi de Dieu, de lui demander la vie, la santé ,
la réputation , la fortune, et les autres choses qu'il a toujours reçues avec
ingratitude, et dont il n'a jamais usé que contre Dieu même?
638. Ajoutez à cela qu'il
ne lui a jamais témoigné aucune reconnaissance pour le bienfait de l'avoir
créé, racheté, appelé, entendu, justifié, et de lui avoir destiné sa propre
gloire dans le ciel. Et si l'homme vent obtenir cette gloire, il est évident
qu'il ne pourra, après s'en être rendu si indigne par son ingratitude, la
demander sans un excès d'audace et de témérité, sil ne demande d'abord la
connaissance et la douleur d'une telle offense. Je vous assure, ma
très-chère fille, que ce péché si réitéré de
l'ingratitude
484
envers
Dieu est une des plus grandes marques de réprobation chez ceux qui le
commettent avec tant d'oubli et d'inconsidération.
C'est aussi une mauvaise marque , que le juste Juge
accorde les biens temporels à ceux qui les lui demandent, en oubliant le
bienfait de la rédemption et de la justification; car ne faisant aucun cas de
ce qui peut leur procurer la vie éternelle, ils demandent alors l'instrument
de leur mort; et s'ils l'obtiennent, ce n'est pas une faveur, c'est la
punition de leur aveuglement qu'ils reçoivent.
639. Je vous découvre
toutes ces illusions, toutes ces erreurs, afin que vous les craigniez et que
vous les évitiez. Mais sachez que votre reconnaissance ne doit pas être
commune: car vous ne sauriez vous-même vous faire une idée de la grandeur des
bienfaits que vous avez reçus. Ne vous laissez point abuser par une certaine
retenue qui, sous prétexte d'humilité, pourrait vous empêcher de les
reconnaître et d'en témoigner toute la gratitude à laquelle vous êtes tenue.
Vous n'ignorez pas les efforts qu'a faits le démon pour vous détourner du
souvenir des oeuvres et des faveurs du Seigneur et des miennes, par la vue de
vos fautes et de vos misères, qu'il tâche de vous représenter comme
incompatibles avec les dons et les lumières que vous avez reçus.
Débarrassez-vous une bonne fois de toutes ces pensées, vous persuadant que
plus vous attribuez à Dieu les biens que vous recevez de sa main libérale,
plus vous vous abaissez , plus vous vous humiliez; et que plus vous lui devez,
plus vous
485
vous
trouverez pauvre pour vous acquitter envers lui d'une plus grande dette,
n'étant pas capable de satisfaire à la plus petite que vous ayez. Il n'y a pas
de présomption à connaître cette vérité, mais de la prudence ; il n'y a pas
d'humilité à vouloir l'ignorer, mais de la folie, et une folie fort
répréhensible; car vous ne sauriez reconnaître ce que vous ignorez, ni aimer
beaucoup votre bienfaiteur si vous n'appréciez les bienfaits qui vous y
obligent. Vous craignez de perdre la grâce et l'amitié du Seigneur ; et c'est
avec beaucoup de raison , car il a fait en votre
faveur ce qui suffirait pour justifier bien des âmes. Mais c'est une chose
fort différente de craindre avec prudence de perdre cette grâce, ou de la
révoquer en doute pour n'y ajouter pas foi ; et le démon cherche par ses
artifices à vous donner ici le change : car au lieu d'une sainte crainte il
veut vous inspirer une incrédulité opiniâtre sous les apparences d'un bonne
intention et d'une crainte salutaire. C'est celle-ci seule qui doit vous
servir à garder votre trésor, à vous conserver dans une pureté angélique, à
m'imiter avec zèle, et à profiter de toutes les instructions que je vous donne
pour cela dans cette histoire.
486
CHAPITRE XIV. La manière admirable avec laquelle la bienheureuse Marie
célébrait les mystères de l'Incarnation et de la Nativité du Verbe incarné, et
reconnaissait ces grands bienfaits.
640. L'auguste Marie étant
si fidèle dans les petites choses, il est hors de doute qu'elle ne fût aussi
très-fidèle dans les grandes. Et si elle fut si
prompte, si attentive et si exacte à reconnaître les moindres bienfaits, il
est certain qu'elle l'était aussi parfaitement que possible dans les plus
grandes faveurs qu'elle et tout le genre humain reçurent
de la main du Très-Haut. Entre tous ces bienfaits, l'oeuvre de l'incarnation
du Verbe éternel dans le sein de sa très-heureuse
et très-pure Mère tient le premier lieu; car ce
fut l'oeuvre la plus excellente et la grâce la plus grande de toutes celles
jusqu'auxquelles pouvaient aller, eu faveur des hommes, la puissance et la
sagesse infinies, unissant l'être divin avec l'être humain en la personne du
Verbe par l'union hypostatique, qui fut le principe de tons les dons que fit
le Tout-Puissant à la nature humaine et à la
nature angélique. Par cette merveille inouïe, Dieu contracta un tel
engagement, due, si je puis m'exprimer de la sorte, il ne s'en serait point
tiré d'une manière aussi glorieuse, s'il n'avait
487
trouvé
en la nature humaine elle-même quelque caution qui, par sa sainteté et sa
reconnaissance, profitât,aussi pleinement que possible d'un pareil bienfait,
conformément à ce que j'ai dit dans la première partie. Cette vérité devient
plus intelligible quand on se rappelle ce que la foi nous enseigne, à savoir
que la divine Sagesse a prévu de toute éternité l'ingratitude des réprouvés,
et combien ils profiteraient peu et useraient de la faveur si insigne et si
ineffable que Dieu nous a faite en se faisant homme
véritable , Maître, Rédempteur et Exemplaire de tous les mortels.
641. C'est pourquoi la même
Sagesse infinie ordonna cette merveille de telle sorte qu'il y eût parmi les
hommes quelqu'un qui pût réparer cette injure faite par tous ceux qui se
montrent insensibles à un bienfait si sublime, et s'entremettre par une digne
reconnaissance entre eux et Dieu, pour l'apaiser et le satisfaire autant qu'il
était possible du côté de la nature humaine. C'est ce que fit en premier lieu
la très-sainte humanité de notre Rédempteur
Jésus-Christ, qui fut le Médiateur auprès du Père éternel (1), réconciliant
avec lui tout le genre humain, et satisfaisant pour les péchés des hommes avec
une surabondance de mérites et une ample compensation de notre dette. Mais
compte ce Seigneur était vrai Dieu et vrai homme, il semble que la nature
humaine lui aurait été encore redevable à lui-même, si parmi
(1) I Tim., II. 5.
488
les
simples créatures il ne s'en fut trouvé une qui lui payât cette dette tout
autant qu'il était possible de leur côté avec la divine grâce. Sa propre Mère
et notre auguste Reine lui rendit ce retour; car elle seule fut la Secrétaire
du grand conseil et la Dépositaire de ses mystères. Elle seule les pénétra,
les estima et les reconnut aussi dignement qu'on pouvait l'exiger de la nature
humaine sans divinité. Elle seule pénétra notre ingratitude et la lâcheté avec
laquelle, comparativement à elle, les autres enfants d'Adam tâchent
quelquefois de la réparer. Elle seule sut et put apaiser et satisfaire son
propre Fils après l'injure qu'il reçut des mortels quand tous ne le reçurent
pas pour leur Rédempteur et leur Maître, et pour leur vrai Dieu incarné pour
le salut de tous.
642. Notre grande Reine eut
ce mystère incompréhensible si présent en sa mémoire, qu'elle ne l'oublia
jamais un seul moment. Elle connaissait aussi toujours l'ignorance que tant
d'enfants d'Adam avaient de ce bienfait; et pour la reconnaître, tant en son
nom qu'au nom de tous, elle se prosternait chaque jour plusieurs fois, faisait
d'autres actes d'adoration, et répétait continuellement en divers termes cette
prière : « Souverain Seigneur, Dieu de mon âme, je me prosterne en votre
divine présence en mon nom et en celui de tout le genre humain, et je vous
loue et vous bénis pour le bienfait admirable de votre Incarnation ; je
vous glorifie et vous adore dans le mystère de l'union hypostatique de la
nature divine avec la nature humaine, en la divine personne du
489
Verbe
éternel. Si les misérables enfants d'Adam ignorent ce bienfait, et si
ceux qui le connaissent n'en rendent pas de dignes actions de grâces,
souvenez-vous, Seigneur très-clément, vous qui
êtes notre Père, souvenez-vous qu'ils vivent en une chair pleine
de faiblesses, d'ignorance et de passions, et qu'ils ne peuvent venir à vous
si vous ne daignez les attirer par votre bonté miséricordieuse (1).
Pardonnez, pion Dieu, ce manquement d'une nature si fragile. Moi qui
suis votre servante et un vermisseau de terre, je vous remercie de ce
bienfait avec tous les courtisans de votre gloire, et pour moi et pour
chacun des mortels. Et vous, mon adorable Fils, je vous supplie du plus
intime de mon âme de vous charger de cette cause des hommes
vos frères, et de leur obtenir le pardon de votre Père éternel. Secourez
avec votre bonté immense ces infortunés conçus dans le péché, qui
ignorent leur propre mal, et qui ne savent ce qu'ils font ni ce qu'ils
doivent faire. Je prie pour votre peuple et pour le mien; puisque, en
tant que vous êtes homme, nous sommes tous de votre nature, ne
la méprisez pas; et en tant que vous êtes Dieu, vous donnez un prix
infini à vos oeuvres. Faites a qu'elles soient le retour et la reconnaissance
digne de notre dette : puisque vous seul pouvez payer ce que nous
avons tous reçu et ce que nous devons au Père éternel, qui, pour le
salut des pauvres et le
(1) Joan., VI, 44.
490
rachat
des captifs, a bien voulu vous envoyer du ciel sur la terre. Donnez la vie aux
morts, enrichissez les pauvres, éclairez les aveugles; vous êtes notre salut,
notre bien et tout notre remède (1). »
663. La grande Reine de
l'univers faisait ordinairement cette prière et d'autres semblables. Mais ,
outre cette continuelle reconnaissance, elle ajoutait d'autres nouveaux
exercices pour célébrer le sublime mystère de l'Incarnation, lorsque les jours
arrivaient auxquels le Verbe divin se revêtit de chair humaine dans son sein :
en ces jours elle était plus favorisée du Seigneur que dans les autres fêtes
qu'elle célébrait : car celle-ci durait les neuf jours qui précédèrent
immédiatement le 25 mars, c'est-à-dire celui où ce mystère fut accompli avec
la préparation que j'ai dite an commencement de la seconde partie. J'y ai
rapporté dans neuf chapitres les merveilles qui précédèrent
l'Incarnation , pour disposer dignement la divine
Mère qui devait concevoir le Verbe incarné dans son âme et dans son sein
virginal. Je suis obligée d'en rappeler ici et d'en répéter brièvement les
circonstances, pour indiquer la manière dont elle célébrait et renouvelait la
reconnaissance de ce miracle et de ce bienfait ineffable.
fils.
Elle commençait cette solennité le 16 mars vers le soir, et pendant les neuf
jours suivants jusqu'au 25, elle demeurait enfermée sans manger ni dormir; et
pendant cette neuvaine, l'évangéliste seul
(1) Luc., IV, 18; Matth.,
X, 8.
491
la
voyait pour lui administrer la sainte communion. Le
Tout-Puissant renouvelait toutes les faveurs qu'il fit à la
bienheureuse Marie dans les autres neuf jours qui précédèrent l'Incarnation ;
mais en ceux-ci elle recevait de son adorable Fils, notre Rédempteur, d'autres
nouveaux bienfaits; car, comme il était déjà né de la
très-digne Mère, il se chargeait de l'assister et de la favoriser en
cette fête. Les six premiers jours de cette neuvaine il arrivait que, quelques
heures après le commencement de la nuit, que la divine Mère consacrait à ses
exercices ordinaires, le Verbe incarné descendait du ciel avec la même majesté
et la même gloire qu'il y a à la droite du Père éternel, accompagné d'un
très-grand nombre d'anges; et il entrait avec cet
éclat dans l'oratoire où était sa très-sainte
Mère.
645. La
très-prudente et très-pieuse
Mère adorait son Fils et son Dieu véritable avec une humble vénération, et
avec ce culte que sa très-haute sagesse était
seule capable de lui rendre dignement. Ensuite, parle ministère des saints
anges, elle était élevée de terre et placée à la droite du même Seigneur sur
son trône, où elle sentait une union intime et ineffable avec l'humanité et la
Divinité, qui la transformait et la remplissait de gloire et de nouvelles
influences, que je ne saurais exprimer. Dans cet état le Seigneur renouvelait
en elle les merveilles qu'il opéra pendant les neuf jours avant l'Incarnation:
le premier de ceux-ci répondant au premier de ceux-là, le second au second, et
ainsi des autres. Il ajoutait aussi d'autres
492
nouvelles
faveurs et de nouveaux effets admirables, conformes à l'état où se trouvaient
le même Seigneur et sa bienheureuse Mère. Et quoiqu'elle conservât toujours là
science habituelle de toutes les choses qu'elle avait connues jusqu'alors,
dans cette occasion néanmoins son entendement était éclairé d'une nouvelle
lumière et doué d'une nouvelle force pour user de cette science avec une
intelligence et avec des effets plus merveilleux.
646. Le premier jour de
cette neuvaine ; toutes les oeuvres que Dieu fit au premier jour de la
création du monde lui étaient manifestées ; elle connaissait l'ordre et le
mode suivant lesquels toutes les choses qui regardent ce jour-là furent
créées: le ciel, la terre et les abîmes avec leur longueur, leur largeur et
leur profondeur ; la lumière, les ténèbres, et leur division ; toutes les
qualités et toutes les propriétés de ces choses matérielles et visibles. Et
des invisibles, elle connaissait la création des anges, toutes leurs espèces,
toutes leurs qualités, le temps qu'ils persévérèrent en la grâce, la lutte qui
eut lieu entre les anges fidèles et les apostats, la chute de ceux-ci et la
confirmation en grâce des autres; et tout le reste que Moïse renferme
mystérieusement dans les œuvres du premier jour (1). Elle pénétrait aussi les
fins qu'eut le Tout-Puissant en la création de ces
choses et des autres, pour communiquer sa Divinité et pour la manifester par
'elles, de sorte qu'elles portassent
(1) Gen., I, 1
tous les
anges et tous les hommes, comme êtres intelligents, à le connaître et à le
louer. Et comme le renouvellement de cette science n'était pas oiseux en la
très-prudente Mère, son
très-saint Fils lui disait : « Ma Mère et ma Colombe, je vous ai fait
connaître toutes ces oeuvres de ma puissance infinie pour vous
manifester ma grandeur avant de prendre chair dans votre sein
virginal ; et maintenant je vous en renouvelle la connaissance pour vous
donner de nouveau la possession, et pour vous constituer la Maîtresse absolue
de toutes, comme étant ma Mère, voulant que les anges, les cieux, la terre, la
lumière et les ténèbres vous servent et vous obéissent, et afin que vous
rendiez de dignes actions de
grâces au Père éternel, et que vous le bénissiez pour le bienfait de la
création, que les mortels négligent de reconnaître. »
647. Notre grande Reine
répondait à cette volonté du Seigneur, et satisfaisait à cette dette des
hommes avec toute la plénitude possible ,
reconnaissant pour elle-même et pour toutes les créatures ces bienfaits
incomparables. Elle passait le jour en ces exercices et en d'autres fort
mystérieux, jusqu'à ce que son très-saint Fils
s'en retournât au ciel. Le second jour, le Seigneur en descendait à minuit
dans le même apparat, et renouvelait en sa divine Mère la connaissance de
toutes les oeuvres du second jour de la création (1) la formation du firmament
au milieu des eaux, la
(1) Gen., I, 6, etc.
494
division
des eaux supérieures et des eaux inférieures, le nombre et la disposition des
cieux, leur construction et leur harmonie, leurs lois et leur nature, leur
grandeur et leur beauté. Elle connaissait. tout
cela avec une certitude infaillible, supérieure à tous les systèmes,
quoiqu'elle connût aussi ceux que les docteurs et les écrivains ont conçus sur
cette matière. Le troisième jour il lui était manifesté de nouveau ce que les
livres saints en rapportent (1), et que le Seigneur rassembla les eaux qui
étaient sur la terre, en forma la mer, et découvrit la terre afin qu'elle
donnât des fruits, comme elle le fit aussitôt au commandement de son Créateur,
produisant des plantes, des herbes, des arbres, et les autres choses qui la
parent et l'embellissent. Elle connut la nature, les qualités et les
propriétés de toutes ces plantes, et en quelle manière elles pouvaient être
utiles ou nuisibles pour l'usage des hommes. Le quatrième jour elle connut en
particulier la formation du soleil , de la lune , des étoiles, des cieux, leur
matière, leur forme, leurs qualités, leurs influences, les orbites qu'ils
décrivent, et les divers mouvements par lesquels ils distinguent les temps,
les années et les jours (2). Le cinquième jour il lui était manifesté la
création ou génération des oiseaux du ciel, des poissons de la mer, qui furent
tous formés des eaux, et de quelle manière ces êtres se produisirent dans leur
commencement, et devaient ensuite se conserver et se propager; elle connut
(1) Gen., I, 9. — (2) Ibid., 14.
495
toutes
les espèces et toutes les qualités des animaux de la terre et des poissons de
la mer (1). Le sixième jour elle recevait de nouvelles lumières et de
nouvelles notions sur la création de l'homme, comme étant la fin de toutes les
autres créatures matérielles (2); et outre qu'elle voyait sa structure et
l'harmonie de son organisation, en laquelle il les résume toutes d'une manière
admirable, elle connaissait aussi le mystère de l'Incarnation, à laquelle se
rapportait cette formation de l'homme, ainsi que tous les autres secrets de la
sagesse divine, qui étaient renfermés en cette oeuvre et en celles de toute la
création, par où le Seigneur faisait éclater sa grandeur et sa majesté
infinie.
648. En chacun de ces jours
l'auguste Vierge faisait un cantique particulier à la louange du Créateur,
pour les oeuvres qui correspondaient à la création de ce jour, et pour les
mystères qu'elle pénétrait en ces oeuvres. Elle faisait ensuite de grandes
prières pour tous les hommes, surtout pour les fidèles, afin qu'ils fussent
réconciliés avec Dieu et qu'ils apprissent à le connaître, à l'aimer, à le
louer dans ses oeuvres et pour ses oeuvres, au moyen des lumières qu'ils
recevraient et sur elles et sur la Divinité. Et comme elle prévoyait
l'ignorance de tant d'infidèles, qui n'arriveraient point à cette connaissance
ni à la véritable foi qui leur pouvait être communiquée; et que beaucoup de
fidèles, tout en proclamant que le Très-Haut est
(1) Gen., I, 20. — (2) Ibid., 27.
496
l'auteur
de ces oeuvres , seraient fort négligents à lui en témoigner une juste
reconnaissance, elle faisait des actes héroïques et admirables pour réparer
tous ces manquements des enfants d'Adam. Cette généreuse correspondance lui
attirait de nouvelles faveurs de la part de son
très-saint Fils , qui l'élevait à de
nouveaux dons et à une nouvelle participation de sa divinité et de ses
attributs, rassemblant en elle ce dont les mortels s'étaient rendus indignes
par leur odieuse insensibilité. Et il lui donnait un nouvel empire sur chacune
des oeuvres de ce jour, afin qu'elles la reconnussent et la servissent toutes
comme la Mère du Créateur, qui l'établissait Maîtresse souveraine de tout ce
qu'il avait créé dans le ciel et sur la terre.
649. Au septième jour, ces
divines faveurs lui étaient renouvelées avec surcroît. En effet, les trois
derniers jours son Fils ne descendait point du ciel, mais la divine Mère y
était enlevée , comme il arriva dans les jours
correspondants qui précédèrent l'incarnation. Ainsi ,
à minuit, sur l'ordre du Seigneur, les anges la portaient dans l'empyrée, où
après qu'elle avait adoré l'être de Dieu, les plus hauts séraphins l'ornaient
d'un vêtement plus blanc que la neige et plus brillant que le soleil. Ils lui
mettaient une ceinture de pierres précieuses si riches et si belles, qu'il n'y
'a rien dans la nature à quoi on puisse les comparer, car chacune surpassait
en éclat le soleil, et même plusieurs s'ils eussent été unis ensemble. Ils
l'ornaient ensuite de bracelets, de colliers et d'autres parures
497
dignes
de la personne qui les recevait, et de Celui qui les donnait; car les
séraphins descendaient avec un respect admirable tous ces bijoux du trône de
la très-sainte Trinité, dont la participation
était marquée d'une manière différente par chacun de ces ornements. Et
non-seulement ils signifiaient la nouvelle
participation des perfections divines que notre auguste Reine recevait, mais
les séraphins qui la paraient (ils étaient au nombre de six), représentaient
aussi de leur côté le mystère de leur ministère.
650. Après ces séraphins il
en venait six autres, qui revêtaient leur Reine d'un autre ornement nouveau,
et retouchaient, pour ainsi dire, toutes ses puissances, leur donnant une
souplesse, une beauté et une grâce qu'il n'est pas possible d'exprimer. Quand
ils avaient terminé leur travail, six autres séraphins leur succédaient, et
par leur ministère ils lui donnaient les qualités et la lumière par lesquelles
son entendement et sa volonté étaient élevés pour la vision et la jouissance
béatifique. Et notre grande Reine une fois parée de tous ses atours et si
ravissante, tous ces séraphins (au nombre de dix-huit) l'élevaient au trône de
la très-sainte Trinité, et la plaçaient à la
droite de son Fils unique notre Sauveur. Là il lui était demandé de déclarer
ce qu'elle voulait et ce qu'elle désirait. Et la véritable Esther répondait :
a Je demande, Seigneur, miséricorde pour mon peuple (1), et en son nom et an
mien je désire et je veux reconnaître
(1) Esth., VII, 3.
408
la
faveur que votre toute-puissance miséricordieuse lui a faite, en donnant la
forme humaine au Verbe éternel dans mon sein pour le racheter. » Elle
présentait encore d'autres demandes pleines d'une charité et d'une sagesse
incomparables, priant pour tout le genre humain, et spécialement pour la
sainte Église.
651. Bientôt son
très-saint Fils, s'adressant au Père éternel , lui
disait : « Je vous glorifie, mon Père, et je vous présente cette créature,
fille d'Adam, agréable à vos yeux, comme choisie entre toutes les autres
créatures pour être ma Mère et le témoignage de nos attributs infinis. Elle
seule sait pleinement correspondre par une digne estime et par une
reconnaissance sincère à la faveur que j'ai faite aux hommes en me revêtant de
leur nature pour leur enseigner le chemin du salut éternel et pour les
racheter de la mort. Nous l'avons choisie pour apaiser notre colère contre
l'ingratitude des mortels. Elle nous donne le retour que les autres ne peuvent
ou ne veulent nous donner; mais nous ne pouvons rejeter les prières que notre
bien-aimée nous fait pour eux avec la plénitude de sa sainteté et de notre
complaisance. »
652. Toutes ces merveilles
étaient réitérées pendant les trois derniers jours de cette neuvaine; et au
dernier, c'est-à-dire au 25 mars, à l'heure de l'incarnation, la Divinité lui
était intuitivement manifestée avec une plus grande
gloire que celle de tous les bienheureux. Et quoique dans tous ces jours les
saints
499
reçussent
une nouvelle joie accidentelle, le denier jour était néanmoins plus solennel
pour toute cette Jérusalem triomphante, qui faisait éclater des transports
d'allégresse extraordinaire. Les faveurs que la bienheureuse Mère recevait
dans ces jours surpassent infiniment tout ce que nous pourrions imaginer, car
le Tout-Puissant lui confirmait et lui augmentait
d'une manière ineffable tous les privilèges, toutes les grâces et tous les
dons. Et comme elle était voyageur pour mériter, et qu'elle connaissait tous
les états de la sainte Église, tant à son époque que dans les siècles futurs,
elle sollicita et mérita pour tous les âges de grands bienfaits, ou, pour
mieux dire, tous ceux que le pouvoir divin a opérés et opèrera jusqu'à la fin
du monde en faveur des hommes.
653. Notre auguste
Princesse obtenait, dam toutes les fêtes qu'elle célébrait, la conversion
d'une infinité d'âmes, qui alors et depuis embrassèrent la foi catholique.
Cette indulgence était pins grande le jour de
l'Incarnation, car elle mérita pour plusieurs royaumes, plusieurs provinces et
plusieurs nations, les faveurs qu'elles ont reçues par leur vocation à la
sainte Église. Et les peuples qui ont persévéré avec plus de constance dans la
foi catholique sont plus redevables aux prières et aux mérites de la divine
Mère. Mais il m'a été particulièrement découvert que c'était pendant les jours
auxquels elle célébrai le mystère de l’incarnation qu'elle délivrait toutes
les Amer qui. étaient dans le purgatoire; et du
ciel, où cette faveur lui était accordée en qualité de Reine de tout ce qui
est
500
créé et
de Mère du Rédempteur du monde, elle envoyait les anges qui les menaient à
l'empyrée, et là elle les présentait au Père éternel comme le fruit de
l'incarnation pour laquelle il avait envoyé son Fils unique su monde, afin de
lui gagner les âmes que son ennemi avait tyrannisées, et elle faisait de
nouveaux cantiques de louange pour toutes ces âmes. Et dans cette joie d'avoir
augmenté la cour céleste , elle revenait sur la
terre, où elle rendait de nouvelles actions de grâces pour ces bienfaits avec
son humilité ordinaire. On ne doit pas être surpris de cette merveille, tarit
fallait bien que le jour où la bienheureuse Marie fut élevée à la dignité
immense de Mère de Dieu et de Maîtresse de tout ce qui est créé, elle
distribuât les trésors de la Divinité aux enfants d'Adam , ses frères et ses
propres enfants , lorsqu'ils lui avaient été tous remis ce jour-là, au moment
où elle avait reçu dans son sein cette même Divinité unie
hypostatiquement à sa propre substance; et sa seule sagesse parvenait à
estimer dignement ce bienfait propre pour elle et commun pour tous.
654. Elle célébrait d'une
autre manière et avec d'autres faveurs la fête de la Naissance de son adorable
Fils. Elle commençait dès la veille avec les mêmes exercices, les mêmes
cantiques et les mêmes dispositions que dans les autres fêtes; et à l'heure de
la naissance, son très saint Fils descendait du ciel accompagné d'une infinité
d'anges, et avec la même gloire et avec la même majesté que les autres fois.
Il menait aussi avec lui saint Joachim, sainte Anne, saint
501
Joseph, sainte Élisabeth, mère de Baptiste, et plusieurs autres saints. Puis
les anges,, par ordre du Seigneur, l'élevaient de
terre et la plaçaient à sa divine droite, répétant avec une harmonie céleste
le Gloria in excelsis qu'ils chantèrent le
jour de la naissance (1), et d'autres hymnes que cette même Reine avait faites
en reconnaissance de ce mystère et de ce bienfait, et à la louange de la
Divinité et de ses perfections infinies. Après avoir consacré un temps assez
long à ces louanges, la divine Mère demandait à son Fils Jésus la permission
de descendre du trône, et se prosternait de nouveau en sa présence. En cette
humble posture elle l'adorait au nom de tout le genre humain, et lui rendait
des actions de grâces de ce qu'il était né au monde pour son salut. Après cet
acte de reconnaissance elle faisait une fervente prière pour tous, et
spécialement pour les enfants de l'Église, représentant la fragilité de la
condition humaine, et le besoin qu'elle avait de la grâce et du secours de la
divine droite, pour se relever et pour parvenir à la connaissance du Seigneur,
et mériter la vie éternelle. Elle alléguait la miséricorde que le même
Seigneur avait témoignée en naissant dans son sein virginal pour le remède des
enfants d'Adam; la pauvreté dans laquelle il était né, les travaux et les
peines qu'il avait supportés , le temps qu'elle
l'avait nourri de son propre lait et entretenu comme Mère, et de tous les
mystères qui lui arrivèrent en ces oeuvres. Son
(1) Luc., II, 14.
502
très-saint
Fils, notre Sauveur, agréait cette prière, et en présence de tous les auges et
de tous les saints qui l'accompagnaient, il témoignait la satisfaction qu'il
avait de la charité avec laquelle sa bienheureuse Mère priait pour son peuple;
et lui accordait de nouveau, que comme maîtresse et dispensatrice de tous les
trésors de la grâce, elle les appliquât et les distribuât entre les hommes
selon sa volonté. C'est ce que la très-prudente
Reine faisait avec une sagesse admirable au plus grand profit de l'Église. Et
pour terminer cette. solennité, elle priait,les
saints de louer le Seigneur dans le mystère de sa naissance, en son nom et en
celui de tous les autres mortels. Puis elle demandait la bénédiction à son
très-saint Fils, qui, après la lui.
avoir donnée, s'en retournait au ciel.
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.
655. Ma fille et ma
disciple, je veux que l'admiration avec laquelle vous écrivez les secrets que
je vous découvre de ma vie et de ma sainteté, vous soit un sujet de louer le
Tout -Puissant, qui a été si libéral envers moi, et de vous élever au-dessus
de vous-même par la confiance avec laquelle vous devez implorer ma puissante
intercession et ma protection maternelle. Mais si vous êtes surprise de ce que
mon très-saint Fils ajoutait en moi grâces sur
grâces et dons sur
503
dons, et
me visitait et m'élevait si souvent au ciel, souvenez-vous de ce que vous avez
écrit, que je me privai volontairement de la vision béatifique pour prendre
soin de l'Église. Et quand même cette charité n'aurait pas mérité auprès du
Très-Haut la récompense quelle le porta à me donner lorsque j vivais dans la
chair mortelle, il suffisait que je fusse sa Mère et qu'il fût mon Fils pour
qu'il opérât à mon égard des merveilles telles, qu'une intelligence créée ne
saurait les concevoir, et qu'elles ne pourraient convenir à aucune autre
créature. La dignité de Mère de Dieu est d'un ordre tellement supérieur à
toutes les dignités possibles, que ce serait une grossière ignorance de me
dénier les faveurs que n'ont point obtenues les autres saints. Quand le Verbe
éternel prit de ma substance la chair humaine, Dieu lui-même contracta un
engagement si considérable (pour emprunter votre langage), qu'il ne l'aurait
point rigoureusement rempli, s'il n'avait en conséquence fait en ma faveur
tout ce qui dépend de sa toute-puissance, et tout ce que j'étais capable de
recevoir. Cette puissance de Dieu est infinie, et l'on ne saurait l'épuiser;
elle reste toujours infinie, et ce qu'elle communique au dehors est toujours
fini, toujours borné. Moi aussi, je suis une simple créature finie, et en
comparaison de l'être de Dieu, tout ce qui est créé n'est rien.
656. Mais en outre je ne
mis aucun empêchement de mon côté; au contraire, je méritais que la
Toute-Puissance réalisât en moi sans restriction,
sans mesure,
504
tous les
dons, toutes les grâces et toutes les faveurs jusqu'où elle pouvait s'étendre.
Et comme toutes ces faveurs, quelque grandes et admirables qu'elles fussent,
étaient toujours finies, et que le pouvoir et l'être de Dieu sont infinis et
sans bornes, on doit en conclure qu'il a pu accumuler en moi grâces sur grâces
et bienfaits sur bienfaits. Et non-seulement il a
pu le faire, mais il convenait qu'il le fit pour accomplir avec toute
perfection cette oeuvre et cette merveille de me rendre sa digne Mère :
puisque aucune de ses oeuvres n'est en son genre imparfaite ou défectueuse.
C'est parce que toutes mes grâces sont renfermées dans la dignité dont il
m'honora en me rendant sa Mère, comme dans le principe d'où elles découlent,
que le jour auquel les hommes ont connu ma maternité divine, ils ont connu
implicitement, et comme dans leur cause, les prérogatives qui m'appartiennent
à raison d'une telle excellence ; seulement il a été laissé à la dévotion, à
la piété et à la délicatesse des fidèles, pour complaire à mon
très-saint Fils et pour mériter ma protection, de
traiter dignement de ma sainteté et de mes dons, et de les déduire de mon
titre de Mère de Dieu, pour les proclamer selon leur dévotion et ma dignité.
Ainsi,plusieurs saints et divers docteurs ont reçu
une science, des lumières et des révélations particulières sur quelques-unes
des faveurs, et sur les nombreux privilèges que le Très Haut m'a accordés.
657. Et comme la plupart
des mortels ont été à cet égard, les uns timides par un bon zèle, les autres
505
plus
réservés qu'ils ne devaient l'être, par indévotion, mon
très-saint Fils a voulu, dans sa bonté paternelle, leur découvrir ces
mystères cachés, au moment le plus opportun pour la sainte Église, sans en
confier le soin au raisonnement humain ni à la science sur laquelle il
s'exerce, mais en ne s'en rapportant qu'à sa propre lumière et à sa divine
vérité; afin que les mortels ressentent une nouvelle joie et conçoivent de
plus vives espérances, sachant combien je puis les favoriser, et rendant au
Tout-Puissant la gloire et la louange qu'ils lui
doivent rendre en moi et dans les oeuvres de la rédemption du genre humain.
658. C'est là, ma fille,
une obligation à laquelle je veux que vous vous regardiez comme la première et
la plus rigoureusement soumise, puisque je vous ai choisie pour être ma fille
et ma disciple spéciale, afin qu'en écrivant ma vie, votre coeur s'élevât à un
plus ardent amour et à un plus grand désir de me suivre par l'imitation à
laquelle je vous convie et vous appelle. L'enseignement pratique que renferme
pour vous ce chapitre est que vous devez vous associer à la reconnaissance
ineffable que j'eus du bienfait et du mystère de l'incarnation du Verbe
éternel dans mon sein. Écrivez dans votre coeur cette merveille du
Tout-Puissant, afin que vous ne l'oubliiez jamais;
et signalez-vous surtout par ce souvenir les jours qui correspondent à
l'accomplissement des mystères que vous écrivez de moi. Je veux que vous y
célébriez en mon nom sur la terre cette fête avec des dispositions spéciales,
et i'âme pénétrée d'une joie toute, particulière,
506
reconnaissant au nom de tous les mortels la grâce que Dieu leur a faite en s'incarnant
en moi pour leur salut ; et je veux aussi que vous le glorifiiez pour la
dignité à laquelle il m'a élevée en me choisissant pour être sa Mère. Sachez
que rien ne cause aux anges et aux saints dans le ciel, après la connaissance
qu'ils ont de l'être infini de Dieu, une plus grande admiration que de le voir
uni à la nature humaine; et quoiqu'ils connaissent de plus en plus ce mystère,
il leur en reste toujours plus à connaître pour toute l'éternité.
659 Or, afin que vous
célébriez et renouveliez en vous ces bienfaits de l'incarnation et de la
naissance de mon très-saint Fils, je veux que vous
tachiez d'acquérir une humilité et une pureté angéliques ; car par ces vertus
la reconnaissance que vous devez au Seigneur lui sera agréable, et, par ce
retour, vous satisferez en partie aux grandes obligations que vous avez à
Dieu, parce qu'il a bien voulu se revêtir de votre nature. Considérez et pesez
l'énormité des péchés des hommes, qui, ayant Jésus-Christ pour frère,
dégénèrent de cette excellence et de cette noblesse. Regardez-vous comme
l'image du Dieu-Homme, et soyez persuadée que vous
la méprisez et la défigurez par la moindre faute que vous commettez. Les
enfants d'Adam oublient trop cette dignité nouvelle à laquelle la nature
humaine a été élevée; ils ne veulent point se dépouiller de leurs anciennes
coutumes et de leurs misères, pour se revêtir de Jésus-Christ (1). Mais,
(1) Rom., XIII, 14
507
pour
vous, ma fille, oubliez la maison de votre père et votre peuple (t), et
tàchez de vous renouveler par la beauté de votre
Réparateur, afin que vous soyez agréable aux yeux du souverain Roi.
CHAPITRE XV. Des autres fêtes que la bienheureuse Marie célébrait. — De la
Circoncision, de l'Adoration des Rois, de sa Purification, du baptême, du
jeûne de Jésus-Christ, de l'institution du
très-saint
Sacrement, de la Passion et de la Résurrection.
660. En renouvelant la
mémoire des mystères de la vie et de la mort de notre Sauveur Jésus-Christ,
notre auguste Reine ne voulait pas seulement lui rendre la due reconnaissance
pour elle et pour tout le genre humain , et enseigner à l'Église cette science
divine comme Maîtresse de toute sainteté et de toute sagesse; mais, après
avoir payé cette dette, elle prétendait encore apaiser le Seigneur, et
incliner sa bonté infinie à la miséricorde et à la clémence, dont elle savait
que la fragilité naturelle et la misère des hommes avaient besoin. La
très-prudente Mère savait que leurs péchés
irritaient extrêmement le Très-Haut,
(1) Ps. XLIV, 10.
508
et que
devant le tribunal de sa miséricorde ils ne pouvaient alléguer en leur faveur
que la charité infinie avec laquelle il les a aimés et réconciliés avec lui,
lorsqu'ils étaient pécheurs et ennemis (1). Et comme notre Rédempteur
Jésus-Christ a opéré cette réconciliation par ses oeuvres, par sa vie, par sa
mort et par ses mystères , e est pour cette raison que la bienheureuse Vierge
croyait que les jours auxquels tous ces bienfaits arrivèrent étaient propices
pour redoubler ses prières, pour apaiser le Tout-Puissant,
et pour le supplier d'aimer les hommes parce qu'il les avait aimés ; de les
appeler à la foi et à son amitié, parce qu'il les leur avait méritées; et de
les justifier effectivement, parce qu'il leur avait acquis la justification et
la vie éternelle (2).
661. Jamais les hommes ni
même les anges ne parviendront à apprécier l'étendue des obligations qu'ale
monde à la bonté maternelle de cette charitable Reine. Les grandes faveurs
qu'elle reçut de la droite du Tout-Puissant toutes
les fois que la vision béatifique lui fut manifestée durant sa vie mortelle,
ne furent pas des bienfaits pour elle seule, mais aussi pour nous; car sa
science et sa charité atteignirent dans ces occasions au plus haut degré
possible chez une simple créature, et c'est avec les sentiments qu'elles lui
inspiraient qu'elle désirait la gloire du Très-Haut dans le salut des
créatures raisonnables. Et comme elle était en même temps dans l'état de
(1) Rom., V, 8. — (2) Ibid.. 9.
509
voyageuse
pour mériter et obtenir ce salut, elle souhaitait si vivement qu'aucun ne se
damnât de ceux qui pouvaient arriver à la jouissance de Dieu, qu'on ne saurait
s'imaginer l'ardeur de l'amour qui embrasait son chaste coeur. De là lui vint
un continuel martyre qu'elle souffrit pendant toute sa vie, et qui l'aurait
consumée à chaque heure, à chaque instant, si la puissance divine ne l’eût
conservée. Et ce qui le lui causait, c'était de penser qu'un si grand nombre
d'âmes se damneraient et resteraient privées éternellement de la vision et de
la jouissance de Dieu; et que de plus elles subiraient les tourments éternels
de l'enfer, sans aucune espérance du remède qu'elles auraient méprisé.
662. La
très-douce Mère sentait ce malheur si lamentable
avec une douleur immense, parce qu'elle le connaissait, le considérait et
l'appréciait avec une sagesse égale. Et, sa très-ardente
charité répondant à cette sagesse, elle n'eût pu trouver aucune consolation
dans ces peines, si elle eût été abandonnée à la force de son amour et à ses
réflexions sur ce que notre Sauveur a fait et a souffert pour racheter les
hommes de la perdition éternelle. Mais le Seigneur prévenait en sa
très-fidèle Mère les effets de cette douleur
mortelle , et quelquefois il lui conservait
miraculeusement la vie; d'autres fois il la distrayait de cette douleur par
des considérations différentes, ou bien il lui découvrait les secrets cachés
de la prédestination éternelle, afin que la connaissance des raisons et de
l'équité de la justice divine adoucit
510
l’affliction de son coeur. Tels étaient, entre autres, les moyens que notre Sauveur
Jésus-Christ prenait pour empêcher que la vue des péchés et de la damnation
éternelle des réprouvés ne fit mourir sa
très-sainte Mère. Or, si la prévision de ce
malheureux sort a pu tant affliger le coeur compatissant de notre auguste
Princesse, et a produit en son adorable Fils des effets tels, que, pour'
remédier à la perte des hommes, il s'est offert à la passion et à la mort de
la croix, quels termes employer pour exprimer la folie aveugle de ces mêmes
hommes qui courent avec tant d'impétuosité et d'insensibilité à leur propre
ruine, ruine si irréparable, que les suites n'en seront jamais assez calculées
!
663. Mais ce par quoi notre
divin Maître adoucissait beaucoup cette douleur de sa Mère bien-aimée, c'était
en écoulant ses prières et ses supplications pour les mortels, en lui
témoignant que son amour lui était agréable, en lui offrant ses trésors et ses
mérites infinis, en la faisant sa grande Aumônière, et en laissant à sa
charitable volonté, la distribution des richesses de sa miséricorde et de ses
grâces, afin qu'elle les appliquât aux âmes, selon qu'elle saurait être le
plus convenable. Ces promesses du Seigneur à sa bienheureuse Mère étaient
aussi fréquentes que les prières et les sentiments par lesquels elle les
provoquait, et les unes et les autres augmentaient lors des fêtes qu'elle
célébrait en mémoire des mystères de sou très-saint
Fils. Pour la Circoncision, quand tenait le jour auquel le mystère eut lieu,
elle commençait
511
les
exercices ordinaires à la même heure que dans les autres fêtes, et le Verbe
incarné descendait aussi dans son oratoire avec la même majesté et le même
cortége d'anges et de saints. Et comme ce fut en ce mystère que notre
Rédempteur commença à verser son sang pour les hommes et à se soumettre à la
loi des pécheurs, comme s'il en eût été du nombre, les actes que sa
très-pure Mère faisait en commémoration de la
bonté et de la clémence de son très-saint Fils,
étaient ineffables.
664. La divine Mère s
humiliait profondément ; elle s'apitoyait avec une vive tendresse sur ce que
l’Enfant-Dieu a souffert en un âge si tendre ;
elle le remerciait de ce bienfait pour tous les enfants d'Adam ; elle pleurait
l'ingratitude commune qui leur faisait méconnaître le prix de ce sang versé de
si bonne heure pour le rachat de tous. Et comme si elle se fût trouvée confuse
en la présence de sou adorable Fils de ce qu'ils ne reconnaissaient pas ce
bienfait, elle s'offrait à mourir et à verser elle-même son propre sang pour
satisfaire à cette dette, et pour imiter son Modèle et son Maître. Ces désirs
et ces demandes amenaient entre elle et le même Seigneur de
très-doux entretiens pendant tout ce jour-là. Il
acceptait le sacrifice de sa bienheureuse Mère ; mais comme il n'était pas
convenable que ses ardents désirs fussent accomplis, elle ajoutait de
nouvelles inventions de charité en faveur des mortels. Elle priait son
très-saint Fils de partager les douceurs, les.
caresses et les faveurs qu'elle recevait de sa
puissante droite entre
612
ses
enfants les hommes, et de lui attribuer à elle une part spéciale dans les
souffrances pour son amour et par ce même amour, demandant que, pour ce qui
regardait la récompense, elle s'étendît sur tous, et que tous goûtassent de la
suavité et des délices de son divin esprit, afin qu'attirés par ses charmes
ils entrassent tous dans le chemin de la vie éternelle, et qu'aucun d'eux ne
se damnât après que le Seigneur lui-même s'était fait homme et avait souffert
pour attirer toutes choses à lui (1). Ensuite elle offrait au Père éternel le
sang que son Fils Jésus a versé dans sa Circoncision, et l'humilité qu'il
avait pratiquée en se laissant circoncire étant impeccable. Elle l'adorait
comme Dieu et homme véritable ; et après toutes ces oeuvres et plusieurs
autres d'une perfection incomparable, son très-saint
Fils la bénissait, et s'en retournait au ciel à la droite de son Père éternel.
665. Pour l'Adoration des
rois elle se préparait quelques jours avant que la fête arrivât, comme
amassant quelques dons qu'elle pût offrir au Verbe incarné la principale
offrande, que la très-prudente Dame appelait or,
c'étaient les âmes qu'elle ramenait à l'état de grâce ; et pour cela elle se
servait d'avarice du ministère des anges, qu'elle priait de l'assister à
préparer ce don, en lui disposant plusieurs âmes par de saintes inspirations,
afin qu'elles se convertissent au vrai Dieu, et qu'elles le connussent. Tout
cela s'opérait par leur ministère, et plus encore par les
(1) Joan., XII, 32.
513
prières
qu'elle faisait; car c'était par ces prières qu'elle retirait plusieurs âmes
du péché, qu'elle en amenait d'autres à la foi et au baptême, et qu'elle eu
arrachait d'autres encore au pouvoir du démon à l'heure de la mort. A ce don
elle ajoutait celui de la myrrhe, qui consistait dans ses prosternations les
bras en croix, dans ses actes d'humiliation, et dans d'autres exercices de
pénitence qu'elle faisait pour se préparer et pour avoir de quoi offrir à son
propre Fils. La troisième offrande, qu'elle appelait encens, c'étaient les
élans, les ardents transports de son amour, ses oraisons
jaculatoires , et d'autres très-douces
affections pleines de sagesse.
666. Le jour de la fête
arrivé, son très-saint Fils descendait du ciel
escorté d'une multitude innombrable d'anges et de. saints
pour recevoir cette offrande ; la bienheureuse Vierge priait les courtisans
célestes de l'assister, et, en leur présence, elle offrait ses dons au
Seigneur avec les hommages d'un culte et les sentiments d'un amour admirables,
et en même temps elle faisait une fervente prière pour mortels. Elle était
ensuite élevée au trône de son adorable Fils, et là elle participait à la
gloire de sa très-sainte humanité d'une manière
ineffable, se trouvant divinement unie à elle, et comme transfigurée par ses
splendeurs. Quelquefois le Seigneur lui-même la tenait appuyée sur ses bras,
afin qu'elle pût, pour ainsi dire, se reposer de ses ardentes affections. Les
faveurs qu'elle recevait étaient d'une nature telle, que nous n'avons point de
termes pour les exprimer; car le
514
Tout-puissant tirait chaque jour de ses trésors des bienfaits anciens et
nouveaux. (1).
667. Après avoir reçu ces
faveurs, elle descendait da trône et demandait miséricorde pour les hommes.
Elle terminait ces prières par un cantique de louange au nom d'eux tous, et
conviait les saints à se joindre à elle. Il arrivait ce jour-là une chose
merveilleuse, c'est que , pour finir cette
solennité, elle demandait à tous les patriarches et à tous les autres saints
qui s'y trouvaient, de supplier le
Tout-puissant de l'assister et de la gouverner dans toutes ses actions. Elle
adressait cette demande à chacun d'eux en particulier, s'humiliant devant tous
comme si elle eût voulu leur baiser la main. Et son
très-saint Fils le permettait aveu une complaisance incomparable, afin
que la Maîtresse de l'humilité pratiquât cette vertu envers ses parents, et
envers les patriarches et les prophètes qui étaient de sa propre nature. Mais
elle n'exerçait point cette humilité envers les anges, parce.
qu'ils étaient au ministres, et qu'ils n'avaient
point avec la bienheureuse Vierge cette affinité de nature qu'avaient ses
vénérables ancêtres : c'est pourquoi les esprits célestes s'associaient alors
à ses exercices, en lui donnant leur concours d'une manière différente.
668. Elle célébrait ensuite
le baptême de notre Sauveur Jésus-Christ avec beaucoup de reconnaissance de ce
sacrement, et de ce que le Seigneur lui-même avait voulu le recevoir pour lui
donner un
(1) Math., XIII, 52
515
commencement dans la loi de grâce. Après lei prières qu'elle faisait pour l'Église,
elle se retirait pendant quarante jours pour célébrer le jeûne de notre
Sauveur, en le pratiquant de nouveau aussi rigoureusement que le divin Maître
l'avait fait, et qu'elle-même l'avait imité, comme je l'ai rapporté dans la
seconde partie.. Durant ces quarante jours elle ne
dormait, ni ne mangeait, ni ne sortait de sa retraite, à moins que quelque
nécessité pressante n'exigeât sa présence. Elle ne communiquait qu'avec
l'évangéliste saint Jean pour recevoir de sa main la sainte communion, et pour
expédier par son entremise les affaires les plus importantes qui se
rattachaient su gouvernement de l'Église. Pendant ces jours-là le disciple
bien-aimé jouait un rôle plus actif, parce qu'il s'absentait moins de la
maison du Cénacle. Si beaucoup de malades se présentaient, il les guérissait
en leur appliquant quelque objet appartenant à notre puissante. Reine. Un
grand nombre de possédés venaient aussi au Cénacle, et plusieurs étaient
délivrés avant d'y arriver, parce que les démons n'osaient s'approcher du lieu
où était la bienheureuse Marie. En d'autres cas, l'application au malade du
manteau, ou du voile, ou de tout autre objet servant à l'auguste Vierge,
suffisait pour que les esprits rebelles se précipitassent aussitôt dans
l'abîme. Et si quelques-uns essayaient de résister, l'évangéliste l'appelait,
et à l'instant qu'elle arrivait auprès des possédés, les démons en
sortaient sans attendre qu'elle le leur commandât.
669. Si j'étais obligée de
raconter toutes les merveilles
516
qui se
passaient pendant ces quarante jours à l'égard de notre divine Maîtresse, il
faudrait que j'écrivisse volumes sur volumes; car, puisqu'elle cessait de
dormir, de manger, de reposer, comment rapporter ce qu'avec son activité et sa
sollicitude si efficaces elle opérait durant un si long laps de temps? Il
suffit de savoir qu'elle appliquait, qu'elle offrait toutes ses oeuvres pour
les progrès de l'Église, pour la justification des filmes, pour la conversion
du monde et pour secourir les apôtres et les disciples qui prêchaient dans
toutes les parties de l'univers. Après avoir achevé ce carême , son
très-saint Fils la régalait par un festin
semblable à celui que les anges firent au Seigneur lui-même lorsqu'il eut
achevé son jeûne de quarante jours, comme on l'a vu plus haut. Toutefois, ce
qui embellissait celui de l'auguste Marie, c'était la présence de notre
Sauveur, glorieux , plein de majesté, et accompagné
de milliers d'anges, dont les uns servaient leur Reine, les autres chantaient
des hymnes d'une harmonie divine, tandis que le Seigneur donnait de sa propre
main à sa Mère bien-aimée ce qu'elle mangeait. C'était pour elle un jour
délicieux , plus à cause de la présence de son Fils
et de ses caresses, qu'à cause du goût exquis des aliments et du breuvage
célestes. Et pour rendre grâces de toutes ces faveurs, elle se prosternait,
adorait le Seigneur et lui demandait sa bénédiction ; sa divine Majesté la lui
donnait, et s'en retournait ensuite au ciel. Dans toutes ces apparitions de
notre Seigneur Jésus-Christ, la très-pieuse Mère
faisait des actes
517
héroïques d'humilité, de soumission et de vénération, baisant les pieds de son
Fils, avouant qu'elle ne méritait point ces faveurs, et lui demandant une
nouvelle grâce pour le mieux servir dès lors à l'aide de sa protection.
670. Il serait possible
qu'imbues des idées de la sagesse humaine, certaines personnes s'imaginent que
les apparitions du Seigneur que j'ai eu lieu de rapporter en tant d'occasions
étaient trop fréquentes. Mais elles devraient commencer par mesurer la
sainteté de la Maîtresse des vertus et de la grâce, et l'amour réciproque
d'une telle Mère et d'un tel Fils , et nous dire de
combien ces faveurs excèdent la règle avec laquelle elles mesurent cette
cause, que la foi et la raison tiennent, que l'esprit humain ne saurait
mesurer. Quant à moi, la lumière avec laquelle je connais cette cause me
suffit pour ne point me faire douter de ce que je dis, d'autant plus que je
sais que chaque jour, à chaque heure, à chaque instant, notre Sauveur
Jésus-Christ descend du ciel entre les mains du prêtre, qui le consacre
légitimement en quelque partie du monde que ce soit Et je dis qu'il descend,
non par un mouvement corporel, mais par le changement du pain et du vin en son
sacré corps et en son précieux sang. Ce prodige s'opère d'une manière
différente, que je ne cherche ni à expliquer ni à prouver ici; mais la
doctrine catholique m'enseigne que Jésus-Christ en personne, par une merveille
ineffable, se trouve présent et réside dans l'hostie consacrée. Cette
merveille, le Seigneur la renouvelle sans cesse
518
pour les
hommes et pour leur salut, malgré l'indignité d'un si grand nombre d'entre eux
, et parfois de ceux mêmes qui le consacrent. Or, si quelqu'un a pu le porter
à continuer ce bienfait, ç'a été uniquement la bienheureuse Marie, pour
laquelle il l'a principalement ordonné, comme je l'ai déclaré ailleurs. Qu'on
ne suit donc pas surpris s'il l'a visitée si souvent, puisqu'elle seule a pu
et su le mériter pour elle et pour nous.
671. Après
le . jeûne elle
célébrait la fête de sa Purification et de la Présentation de l'Enfant-Dieu
dans le Temple. Lorsqu'elle était prête à offrir cette hostie, et que le
Seigneur voulait l'accepter, la très-sainte
Trinité lui apparaissait dans son oratoire avec les courtisans célestes. Et su
moment où elle allait offrir le Verbe incarné, les anges la revêtaient des
mêmes ornements que j'ai décrits pour la fête de l'Incarnation. Ensuite elle
faisait une longue prière pour tout le genre humain, et en particulier .pour
l'Église. Le fruit de cette prière et de l'humilité avec laquelle elle se
soumit à la loi de la purification et la récompense des exercices qu'elle
faisait, étaient de nouveaux accroissements de grâce, de nouveaux dons et de
nouvelles faveurs qu'elle recevait pour elle-même, et en outre de grands
bienfaits qu'elle obtenait pour les autres.
672. Elle célébrait la
mémoire de la Passion, l'institution du très-saint
Sacrement, la Résurrection, non-seulement chaque
semaine, comme je l'ai dit plus haut , mais encore au jour anniversaire de
l'accomplissement
519
du
mystère. De sorte qu'elle renouvelait chaque année cette mémoire, comme
l'Église le fait maintenant dans la semaine sainte. Aux exercices ordinaires
de chaque semaine elle en ajoutait plusieurs autres, et à l'heure où
Jésus-Christ fut crucifié, elle s'étendait sur la croix et y demeurait trois
heures. Elle répétait alors toutes les prières que fit le Seigneur lui-même
, et s'associait à toutes ses douleurs et à tous les mystères qui
arrivèrent ce jour-là. Mais en la solennité du Dimanche suivant, qui
correspondait à la résurrection, elle était transportée par les anges dans
l'empyrée, où elle jouissait ce jour-là de la vision béatifique, tandis
qu'elle n'était qu'abstractive aux autres dimanches de l'année.
Instruction que m'a donnée la grande Reine des anges.
673. Ma fille, l'esprit
divin dont la sagesse et la prudence gouvernent la sainte Église, n'a pas
ordonné par mon intercession qu'on y célèbrerait tant de fêtes différentes
seulement afin qu'on renouvelât la mémoire des mystères divins, des oeuvres de
la rédemption du genre humain-, de celles de ma
très-sainte vie et de celles des autres saints, et afin que les hommes,
loin d'oublier les bienfaits qu'ils ne pourront jamais dignement reconnaître,
se montrassent reconnaissants envers leur Créateur et leur Rédempteur; mais
ces solennités ont été aussi établies afin qu'en ces
520
jours-là
ils s'occupassent à de saints exercices, se retirassent intérieurement des
distractions dans lesquelles les jette les autres jours le soin des choses
temporelles, réparassent par l'exercice des vertus et par le bon usage des
sacrements ce qu'ils ont perdu par ces distractions, imitassent les vertus des
saints, recourussent à mon intercession, et méritassent le pardon de leurs
péchés, la grâce et les bienfaits que la divine miséricorde leur destine par
ces moyens.
674. C'est là l'esprit de
la sainte Église avec lequel elle désire gouverner et nourrir ses enfants
comme une tendre mère. Et moi qui suis la Mère commune de tous, j'ai prétendu
par là les lier et les attirer au chemin assuré de leur salut. Mais le serpent
infernal a toujours travaillé, et surtout dans les temps malheureux où vous
vivez, pour empêcher ces saintes fins du Seigneur et les miennes; et lorsqu'il
ne peut pervertir les institutions de la sainte Église, il emploie sa malice à
les rendre au moins inutiles pour la plupart. des
fidèles, et à faire que, pour beaucoup d'entre eux , ce bienfait ne soit qu'un
plus grand motif de condamnation. Aussi le démon le leur allèguera-t-il
lui-même au tribunal de la divine justice, non-seulement
parce que dans les jours les plus saints et les plus solennels ils n'ont point
suivi l'esprit de la sainte Église , en les
consacrant à des oeuvres de vertu et au culte da Seigneur, mais parce qu'en de
pareils jours ils ont commis des péchés plus graves, comme font ordinairement
les hommes charnels et mondains. L'oubli et le mépris que les enfants de
521
l'Église témoignent en général de cette vérité , sont en effet tort grands et
fort criminels : profanant les jours les plus saints et les plus sacrés, ils
s'y livrent d'ordinaire aux jeux, aux plaisirs, aux désordres, à toutes sortes
d'excès dans le boire et dans le manger, et lorsqu'ils devraient apaiser le
Tout-Puissant, c'est alors qu'ils irritent
davantage sa justice; et au lieu de vaincre leurs ennemis invisibles, ils s'en
laissent vaincre eux-mêmes, et procurent un déplorable triomphe à leur orgueil
et à leur malice.
675. Pleurez, ma fille, ce
malheur, puisque je ne puis pas le pleurer maintenant, comme je le fis durant
ma vie mortelle, et comme je le ferais si j'y étais encore; tâchez de le
réparer autant qu'il vous sera possible avec le secours de la divine
grâce , et travaillez à tirer vos frères de cet
oubli si général. La vie des personnes consacrées à Dieu devrait différer de
celle des séculiers, en ne faisant aucune distinction des jours et en les
employant tous su culte divin , à l'oraison et à de
saints exercices (et c'est ce que vous devez enseigner à vos inférieures);
mais je veux d'une manière particulière que vous et elles vous vous signaliez
dans la célébration des fêtes, surtout de celles du Seigneur et des miennes,
par une préparation et une pureté de conscience plus grandes. Je veux que vous
remplissiez tous les jours et toutes les nuits d'oeuvres saintes et agréables
à votre divin Maître; mais aux jours de fête vous ajouterez de nouveaux
exercices intérieurs et extérieurs. Redoublez de ferveur, recueillez-vous
entièrement dans votre intérieur, et s'il
522
vous
semble que vous faites beaucoup, travaillez de plus en plus pour assurer votre
vocation et votre élection (1), et ne laissez jamais aucun exercice par
négligence. Considérez que les jours sont mauvais (2), et que la vie passe
comme l'ombre (3). Prenez bien garde,de vous
trouver vides de mérite et d'oeuvres saintes et parfaites. Donnez à chaque
heure son occupation légitime, comme vous savez que je le faisais, et comme je
vous l'ai souvent appris et enseigné.
676. Or, afin que vous
réussissiez en toutes ces choses, je vous avertis d'être fort attentive aux
saintes inspirations du Seigneur, et parmi les autres faveurs, faites une
estime particulière de celle qu'elles renferment. Votre fidélité doit être
telle, qu'il n'y ait aucun acte de vertu ou de plus grande perfection qui vous
vienne à la pensée, sans que vous l'exécutiez en la manière qu'il vous sera
possible. Je vous assure, ma très-chère fille,
que, par le peu de cas que les mortels font de ces saintes inspirations, ils
perdent des trésors immenses de grâce et de gloire. J'imitais tout ce que je
voyais faire à mon très-saint Fils lorsque je
vivais avec lui, et je pratiquais tout ce que le divin Esprit m'inspirait de
plus saint, comme vous l'avez appris. Je vivais dans ce soin continuel comme
par la respiration naturelle, et c'est par ces affections que je portais mon
très-saint Fils à m'accorder les faveurs et les
visites qu'il me fit si souvent pendant ma vie mortelle.
677. Je veux
aussi , afin que vous et vos religieuses
(1) II Petr., I, 10. — (2)
Ephes., V, 18. — (3) Ps.
CXLIII,
4.
523
m'imitiez
dans les retraites que je faisais, que vous régliez dans votre monastère
l'ordre et le genre des exercices d'usage à pratiquer durant leur retraite,
par celles que la supérieure autorisera à y passer quelques jours. Vous savez
par votre propre expérience quel fruit l'on retire de cette solitude, puisque
vous y avez écrit presque toute ma vie, et le Seigneur vous y a départi
d'insignes et grandes faveurs, afin que vous perfectionniez la vôtre et que
vous vainquiez vos ennemis. Or, afin que vos religieuses sachent comment elles
doivent se comporter dans ces exercices pour en tirer un plus grand fruit, je
veux que vous leur écriviez un traité particulier, où vous leur, marquerez les
heures de toutes leurs occupations pendant leur retraite. Et ces occupations
doivent être réglées de telle manière, que celles qui feront ces exercices ne
manquent point aux actes de communauté, car on doit préférer cette obligation
à toutes les dévotions particulières. Elles garderont pendant ce temps-là un
silence inviolable, et marcheront toujours couvertes de leur voile, afin qu'on
les distingue et que personne ne leur parle. Celles qui auront quelque office
ne seront point pour cela privées de cet avantage; c'est pourquoi vous en,
chargerez en vertu de l'obéissance d'autres religieuses qui le rempliront
pendant ce temps-là. Priez le Seigneur de vous éclairer de sa lumière pour
écrire ce traité, et je vous assisterai, afin qu'alors vous connaissiez plus
particulièrement ce que je faisais, et que vous le leur proposiez pour leur
instruction.
524
CHAPITRE XVI. De quelle manière la bienheureuse Marie célébrait les fêtes de
l'Ascension de notre Sauveur Jésus-Christ, de la venue du Saint-Esprit, des
anges et des saints, et comment elle faisait mémoire des bienfaits qu'elle
avait reçus.
678. Je trouve en chaque
oeuvre et en chaque mystère de notre auguste Reine de nouveaux secrets à
pénétrer et de nouveaux sujets d'admiration; mais je ne saurais trouver de
nouvelles paroles pour exprimer ce que j'en connais. Par ce qui m'a été
manifesté de l'amour que notre Sauveur Jésus-Christ avait pour sa
très-pure Mère et sa
très-digne Épouse , il me semble que, selon l'inclination et la force
de cette charité, il se serait privé du trône de la gloire et de la compagnie
des saints pour rester auprès de sa Mère bien-aimée, s'il n'eût été convenable
pour d'autres raisons que le Fils fût dans le ciel, et la Mère sur la terre,
pendant le temps que dura cette séparation corporelle. On ne doit pas
s'imaginer que cette appréciation de l'excellence de la sacrée Vierge déroge à
celle de son très-saint Fils et à celle des
saints , car la divinité du Père et du Saint-Esprit
était en Jésus-Christ indivisible avec une suprême unité individuelle, et
toutes les trois personnes sont en chacune paf un mode inséparable
525
d'inexistence, de sorte que la personne du Verbe ne pouvait jamais être sans le Père
et sans le Saint-Esprit. Il est certain que la compagnie des anges et des
saints, comparée avec celle de la bienheureuse Marie, était pour son
très-saint Fils moindre que celle de sa
très-digne Mère, et cela en considérant la force
de l'amour réciproque de Jésus-Christ et de la très-pure
Marie. Mais il était convenable, pour d'autres raisons, que le Seigneur, ayant
achevé l'oeuvre de la rédemption du genre humain, s'en retournât à la droite
du Père éternel, et que sa bienheureuse Mère demeurât dans l'Église, afin de
procurer par ses soins et par ses mérites l'efficace de cette même rédemption,
et d'assister à l'enfantement de la passion et de la mort de son
très-saint Fils:
679. C'est avec cette
providence ineffable et mystérieuse que notre Sauveur Jésus-Christ ordonna ses
oeuvres, les laissant pleines de sagesse, de magnificence et de gloire divine,
mettant sa confiance en cette femme forte, comme il le dit par Salomon dans
ses Proverbes (1). Il ne fut point trompé dans sa confiance, puisque la
très-prudente Mère, au moyen des trésors de la
Passion et du sang du même Seigneur, appliqués par ses propres mérites et par
ses soins, acheta pour son Fils le champ dans lequel elle planta, pour la
faire fleurir jusqu'à la fin du monde, cette vigne (2) de l'Église,
représentée par les âmes des fidèles en qui elle se conserva jusqu'alors, et
parcelles
(1) Prov., XXXI, 11. — (2) Ibid., 16.
626
des
prédestinés , en qui cette Église sera transférée dans la Jérusalem
triomphante pour tonte l'éternité. Et s'il était convenable à la gloire du
Très-Haut que toute cette oeuvre fût confiée à la
très-pure Marie, afin que notre Sauveur Jésus-Christ entrât dans la
gloire de son Père après sa résurrection miraculeuse, il fallait aussi qu'il
conservât avec sa bienheureuse Mère, qu'il aimait infiniment et qu'il laissait
dans le monde, toute la correspondance, tout le commerce possible; ce n'était
pas seulement (amour qu'il lui portait qui l'exigeait, c'était encore la place
qu'occupait, c'était l'entreprise que menait notre auguste Maîtresse sur la
terre , où la grâce , les moyens et les faveurs devaient être proportionnés
avec la' cause et avec la fin très-sublime de tant
de profonds mystères. Tout cela était glorieusement accompli par les
fréquentes visites que le Fils lui-même faisait à sa Mère, et en l'élevant si
souvent su trône de sa gloire, afin que ni cette invincible Reine ne restât
toujours loin de la cour céleste, ni les courtisans divins ne fussent privés
pendant des années entières de la vue désirable de leur Reine, puisque ce
bonheur était possible et convenable pour tous. 680.
Un des jours auxquels ces merveilles étaient renouvelées (outre ceux que j'ai
indiqués), c'était celui où elle célébrait chaque année l'Ascension de son
très-saint Fils. Ce jour-là était grand et fort
solennel pour le ciel et pour elle, car elle s'y préparait dès le jour auquel
elle célébrait la Résurrection de son adorable Fila. Durant tout ce temps elle
faisait mémoire
527
des
faveurs qu'elle avait reçues de son très-doux
Fils, et de la compagnie des anciens patriarches et -des saints qu'il avait
tirés des limbes, et de tout ce qui lui arriva pendant ces quarante jours,
rendant des actions de grâces particulières pour chaque jour avec de nouveaux
cantiques et exercices, comme si les merveilles qui s'étaient passées fussent
arrivées alors, car elle avait toutes ces choses présentes en sa mémoire. Je
ne m'arrête point à rapporter les particularités de ces jours, parce que j'en
ai dit assez dans les derniers chapitres de la seconde partie. J'ajouterai
seulement que dans cette préparation notre grande Reine obtenait des faveurs
incomparables et. de nouvelles influences de la Divinité, par lesquelles elle
était de plus en plus divinisée et disposée aux bienfaits qu'elle devait
recevoir le jour de la fête.
681. Or, le jour mystérieux
étant arrivé qui en chaque année répondait à celui où notre Sauveur
Jésus-Christ monta su ciel, cet adorable Seigneur descendait en personne dans
l'oratoire de sa bienheureuse Mère, accompagné d'une multitude innombrable
d'anges, ainsi que des patriarches et des saints qu'il emmena lors de sa
glorieuse ascension. Notre auguste Dame attendait cette visite prosternée,
selon sa coutume, et anéantie dans les profondeurs de son.
humilité ineffable; mais élevée au delà de tout ce que l'esprit humain
et l'esprit angélique peuvent concevoir au plus haut degré de l'amour divin
auquel puisse atteindre une simple créature. Son
très-saint Fils lui apparaissait au milieu des choeurs des saints,
528
et
renouvelant en elle la douceur de ses bénédictions, il ordonnait aux anges de
l'élever de terre et de la placer à sa droite. Ils exécutaient aussitôt la
volonté du Sauveur, et les séraphins mettaient sur son trône Celle qui lui
avait donné l'être humain, et là son très-saint
Fils lui disait : « Que désirez-vous? que
demandez-vous? que voulez-vous? » A ces questions
la bienheureuse Marie répondait : « Mon Fils et mon Dieu
éternel , je désire la gloire et l'exaltation de
votre saint nom, je veux reconnaître su nom de tout le genre humain la
faveur que vous nous avez faite en élevant par votre toute-puissance en
ce jour notre nature à la gloire et à la félicité éternelles. Je
demande que tous les hommes connaissent, bénissent et glorifient votre
Divinité et votre très sainte humanité. »
682. Le Seigneur lui
répliquait : « Ma Mère et ma Colombe, choisie entre les créatures pour
être ma demeure , venez avec moi dans ma
patrie céleste, où vos désirs seront accomplis et vos de mandes expédiées, et
où vous jouirez de la solennité de ce jour, non parmi les mortels
enfants d'Adam, mais en la compagnie de mea courtisans et des habitants
du ciel. » Ensuite toute cette céleste assemblée s'élevait dans la région de
l'air, comme il arriva le jour même de l'Ascension, et parvenait à l'empyrée,
la Vierge Mère étant toujours à la droite de son adorable Fils. Mais lorsque
le saint cortège atteignait les sublimes hauteurs où il s'arrêtait dans un bel
ordre , on remarquait dans le ciel comme un
529
nouveau
silence et une nouvelle attention, non-seulement
parmi les saints, mais jusque dans le Saint des saints. Alors notre grande
Reine demandait au Seigneur la permission de descendre du trône, et,
prosternée devant la très-sainte Trinité, elle
faisait un cantique ineffable de louanges, qui s'appliquait aux mystères de
l'incarnation et de la rédemption, et à toutes les victoires que son
très-saint Fils remporta jusqu'au jour de sa
glorieuse ascension, auquel il s'en retourna triomphant à la droite du Père
éternel.
683. Le Très-Haut
témoignait combien ce cantique lui était agréable, et tous les saints y
répondaient par de nouveaux cantiques, glorifiant le
Tout-Puissant en cette créature si admirable ; de sorte qu'ils
recevaient tous une nouvelle joie par la présence et par l'excellence de leur
Reine. Ensuite, par le commandement du Seigneur, les anges l'élevaient une
seconde fois à la droite de son très-saint Fils,
et la Divinité lui était manifestée par une vision intuitive et glorieuse,
précédée des mêmes illustrations et du même cérémonial que j'ai rapportés
ailleurs. L'auguste Vierge jouissait ce jour-là de cette vision béatifique
pendant quelques heures, et alors le Seigneur lui donnait de nouveau la
possession de ce lieu qu'il lui avait préparé pour son éternité, comme je l'ai
dit en parlant de l'ascension. Pour exciter davantage notre admiration, et
pour mieux découvrir l'étendue de nos obligations envers la divine Mère, je
dois déclarer que, chaque année, le Seigneur lui-même lui demandait
530
ce
jour-là si elle voulait demeurer dans cette jouissance éternelle pour
toujours, ou redescendre sur la terre pour favoriser la sainte Église.
Laissant ce choix à sa disposition, elle répondait : Que si c'était la volonté
du Tout-Puissant, elle retournerait dans le monde
afin d'y travailler pour les bommes, qui étaient le fruit de la rédemption et
de la mort de son très saint Fils.
684. La
très-sainte Trinité acceptait de nouveau cette
renonciation que la divine Marie réitérait chaque année à la grande admiration
des bienheureux, De sorte qu'elle se priva plusieurs fois pour un temps de la
jouissance de la vision béatifique, afin de venir sur la terre assister
l'Église et l'enrichir par ses mérites ineffables. Et puisqu'il nous est
impossible de les déclarer, il faut bien, sans que cela laisse une lacune dans
cette histoire , que nous en remettions la
connaissance jusqu'au moment où nous l'aurons dans la vision divine. Mais tous
ses mérites et toutes ses récompenses lui étaient gardés comme en dépôt dans
la divine estime, afin qu'ensuite, quand elle en serait mise en possession,
elle fût semblable à l'humanité de son Fils, au degré possible, comme celle
qui devait être dignement à sa droite et sur son trône. Toutes ces merveilles
étaient suivies des prières que notre charitable Reine faisait dans le ciel
pour obtenir l'exaltation du nom du Très-Haut, la propagation de l'Église, la
conversion du monde et une suite de victoires sur le démon; et tous ces
avantages étaient accordés en la manière qu'ils se sont accomplis, et
531
qu'ils
s'accomplissent dans tous les siècles de l'Église, et ces faveurs seraient
encore plus grandes, si les péchés du monde ne l'empêchaient pas, en rendant
les mortels indignes de les recevoir. Puis les auges ramenaient leur Reine
dans l'oratoire du Cénacle aux sons d'une musique céleste, et y étant arrivée,
elle se prosternait pour reconnaître de nouveau ces bienfaits. On doit
remarquer que l'évangéliste saint Jean, par la connaissance qu'il avait de ces
merveilles, eut le bonheur de participer jusqu'à un certain point à leurs
effets; car il voyait souvent la bienheureuse Vierge rayonnante d'une telle
splendeur, qu'il ne pouvait la regarder à cause de la divine lumière qui en
rejaillissait de son visage. Et comme la Maîtresse de l'humilité ne faisait
rien sans en demander à genoux la permission à l'évangéliste, le saint avait
de fréquentes occasions de voir cette splendeur, et par la crainte
respectueuse qu'elle lui causait, il était maintes fois troublé en la présence
de notre grande Reine, tout eu éprouvant une joie ineffable et des effets
extraordinaires de sainteté.
685. L'auguste Marie se servait des effets et des faveurs de cette
grande fête de l'Ascension pour célébrer plus dignement la venue du
Saint-Esprit, et pour s'y préparer pendant les neuf jours qui séparent ces
deux solennités. Elle continuait toujours ses exercices, désirant de toute
l'ardeur de son âme que le Seigneur renouvelât en elle les dons de son divin
Esprit. Et lorsque le jour arrivait, ses désirs étaient accomplis par les
oeuvres de la Toute-Puissance; car à la même
632
heure
qu'il descendit la première fois dans le Cénacle sur le sacré collège, il
descendait chaque année sur la Mère de Jésus, l'Épouse et le Temple de ]'EspritSaint.
Cette venue n'était pas moins solennelle que la première, car il venait sous
la forme visible de rayons de feu avec un grand bruit et une splendeur
merveilleuse ; mais néanmoins ces signes n'étaient point manifestes à tous
comme ils le furent lors de la première venue, parce qu'alors cette
manifestation fut nécessaire, tandis qu'en, ce dernier cas il était convenable
qu'elle ne fût connue entièrement que par la divine Mère, et un peu que par
l'évangéliste. Quand elle recevait cette faveur, un
très-grand nombre d'anges l'entouraient, faisant entendre les plus
harmonieux cantiques à la louange du Seigneur, et le Saint-Esprit l'embrasait
de ses feux, et la renouvelait par des dons extraordinaires et par de nouveaux
accroissements de ceux qu'elle possédait déjà à un degré si éminent. Ensuite
notre grande Dame lui rendait de très-humbles
actions de grâces pour cette faveur, et pour celle qu'il avait faite aux
apôtres. et aux disciples, en les remplissant de sa
sagesse et de ses grâces, afin qu'ils fassent les dignes ministres du Seigneur
et les fondateurs de sa sainte Église, et de ce que par sa venue il avait mis
le sceau aux oeuvres de la rédemption du genre humain. Elle priait encore avec
beaucoup d'instance le divin Esprit de continuer en la sainte Église pour les
siècles présents et pour les siècles à venir les influences de sa grâce et de
sa sagesse f et de ne point les suspendre en aucun temps
533
à cause
des péchés des hommes, qui l'offensaient et qui s'en rendaient indignes. L'Esprit-Saint
accordait toutes ces demandes à son Épouse incomparable, et la sainte Église
en recevait le fruit, dont elle jouira jusqu'à la fin du monde.
686. La bienheureuse Marie
ajoutait à tous ces mystères et à toutes ces fêtes du Seigneur et aux siennes,
deux autres fêtes qu'elle célébrait avec une joie et une dévotion singulières
en deux autres jours de chaque année: l'une des saints Anges, et l'autre des
Saints de la nature humaine. Pour solenniser les excellences et la sainteté de
la nature angélique , elle se préparait quelques
jours. par les exercices qu'elle faisait dans les
autres fêtes, et par de nouveaux cantiques de gloire et de louanges, où elle
résumait l'oeuvre de la création de ces esprits célestes, surtout celle de
leur justification et de leur glorification, tous les mystères et tous les
secrets qu'elle connaissait de tous et de chacun en particulier. Puis, le jour
qu'elle avait destiné étant arrivé, elle les conviait tous, et il en
descendait des milliers de tous les choeurs et de tous les ordres dans son
oratoire, où ils se manifestaient à elle avec une gloire et une beauté
admirables. Bientôt deux choeurs se formaient, dans l'un desquels était notre
Reine, et dans l'autre tous les esprits bienheureux, disant alternativement
les louanges de Dieu; la bienheureuse Vierge commençait, et les anges
répondaient avec une harmonie céleste durant tout ce jour. Et s'il était
possible de révéler an monde les cantiques mystérieux que la
très-pure Marie et les anges faisaient
534
alors,
ce serait sans doute une des plus grandes merveilles du Seigneur, et tous les
mortels en seraient ravis. Je ne trouve point de termes pour déclarer le peu
que j'ai connu de ce mystère, et je n'en si d'ailleurs pas le temps. Mais en
premier lieu ils louaient l'8tre de Dieu en lui-même, en toutes les
perfections et en tous les attributs qu'ils connaissaient. Ensuite notre
auguste Reine le bénissait et l'exaltait de ce qu'il avait manifesté sa
majesté, sa sagesse et sa toute-puissance en créant d'aussi belles substances
spirituelles, de ce qu'il les avait favorisées de tant de dons dans l'ordre de
la nature et dans l'ordre de la grâce, de leurs ministères, de leur emploi et
de leur promptitude à accomplir la volonté de Dieu et à assister les hommes et
toutes les autres créatures. Les anges répondaient à ces louanges par le
retour de leurs sentiments et la reconnaissance de leurs obligations, et
chantaient tous ensemble au Tout-Puissant des
hymnes magnifiques, pour le remercier de ce qu'il avait créé et choisi pour
être sa Mère une Vierge si pure, si sainte et si digne de ses plus grands dons
et de ses plus singulières faveurs, de ce qu'il l'avait élevée au-dessus de
toutes les créatures en sainteté et en gloire, et de ce qu'il lui avait donné
un empire absolu sur toutes, afin qu'elles la servissent, l'honorassent et la
reconnussent pour la digne Mère de Dieu et la Restauratrice du genre humain.
687. C'était de cette
manière que les esprits célestes s'entretenaient des grandes excellences de
leur Reine, et bénissaient Dieu en elle. De son côté, elle
535
proclamait
celles des anges, et rendait au Seigneur les mêmes louanges ; de sorte que ce
jour était très-doux et
très-agréable pour la sainte Vierge, et procurait une joie accidentelle
aux anges, et spécialement aux mille anges qui avaient été destinés à sa garde
ordinaire, encore qu'ils participassent tous, dans une certaine mesure, à la
gloire qu'ils rendaient à leur Reine. Et comme ni de part ni d'autre les
divins interlocuteurs n'étaient embarrassés par l'ignorance ou par un manque
de sagesse et d'appréciation des mystères qu'ils confessaient, cet entretien
était d'une sublimité incomparable , et nous en
serons persuadés quand nous le connaîtrons dans le Seigneur.
688. Elle célébrait en un
autre jour la fête de tous les Saints de la nature humaine, s'y disposant
d'avance par plusieurs prières et par plusieurs exercices, comme dans les
autres solennités ; et en celle-ci tous les anciens Pères, tous les
patriarches, tous les prophètes et tous les autres saints qui étaient morts
depuis la résurrection, descendaient du ciel pour la célébrer avec leur
Restauratrice. Elle faisait en ce jour de nouveaux cantiques de reconnaissance
pour la gloire de ces saints, et de ce qu'en eux la
rédemption et la mort de son très-saint Fils
avaient été, efficaces. La joie que notre grande Reine avait dans cette
occasion était fort grande ; car elle connaissait le secret de la
prédestination des saints, qui avaient traversé dans une chair mortelle une
vie environnée de tant de périls, et qu'elle voyait déjà dans la félicité
538
assurée
de la vie éternelle. Elle bénissait le Père des miséricordes pour ce bienfait,
et récapitulait dans ces louanges les faveurs et les grâces que chacun d'eux
avait reçues. Elle leur recommandait de prier pour la sainte Église, et pour
ceux qui y combattaient en danger de perdre la couronne qu'ils possédaient
déjà. Après cela elle faisait mémoire et témoignait une nouvelle
reconnaissance des victoires qu'elle-même avait remportées par la vertu divine
sur le démon, dans les combats qu'elle avait soutenus contre lui, récitant de
nouveaux cantiques, et rendant d'humbles et ferventes actions de grâces pour
ces faveurs et pour les Ames qu'elle avait délivrées de la puissance des
ténèbres.
689. Ce sera un sujet
d'admiration pour les hommes comme ce l'a été pour les anges, d'apprendre
qu'une simple créature revêtue de la chair mortelle opéra tant et de si
incessantes- merveilles, que la réalisation en paraîtrait impossible à
plusieurs âmes ensemble, fussent-elles aussi ardentes que les plus hauts
séraphins; mais notre auguste Reine avait une certaine participation de la
toute-puissance divine, qui rendait facile pour elle ce qui est impossible
pour les autres créatures. En ces dernières années de sa
très-sainte vie, cette activité s'accrut de telle sorte chez elle, que
nous ne saurions concevoir la grandeur de ses oeuvres ; elle n'y mettait
aucune interruption, et ne reposait ni jour ni nuit, parce que le poids de la
mortalité ne l'embarrassait point; au contraire, elle agissait comme les anges
d'une manière infatigable, et
537
plus
même que plusieurs anges ensemble; elle n'était plus qu'une flamme, un
incendie d'une activité immense. Malgré cette énergie divine, les jours lui
paraissaient courts, les occasions rares, et ses exercices bornés, parce que
son amour s'étendait toujours infiniment au delà de ce qu'elle faisait,
quoique le champ de son action fût incommensurable. J'ai dit fort peu de chose
ou rien du tout de ces merveilles par rapport à ce qu'elles étaient en
elles-mêmes; c'est ce que je reconnais et confesse ; car je vois une distance
presque infinie entre ce qui m'a été manifesté, et ce que je ne saurais
comprendre en cette vie. Et si je ne puis donner une entière connaissance de
ce qui m'a été découvert, comment dirais-je ce que j'ignore, et sur quoi je ne
connais que ma propre ignorance ? Tâchons de ne nous rendre pas indignes de la
lumière qui nous attend pour le voir en Dieu, car cela seul pourrait nous
servir de récompense; et quand même nous souffririons jusqu'à la fin du monde
tous les supplices des martyrs, nous serions très-bien
récompensés par la joie que nous aurons de connaître la dignité et
l'excellence 'de la bienheureuse Marie, en la voyant à la droite de son
adorable Fils, élevée au-dessus de tous les esprits angéliques et de tous les
saints qui sont dans le ciel.
539
Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.
690. Ma fille, à mesure que
vous avancez dans le récit de mes oeuvres et dans l'histoire de ma vie
mortelle, je désire que vous avanciez aussi en ma parfaite imitation. Ce désir
croit en moi, comme en vous la lumière et l'admiration de ce que vous entendez
et que vous écrivez. Il est temps de réparer le retard que vous avez apporté
jusqu'à présent, et d'élever votre esprit à l'état auquel le Très-Haut vous
appelle, et auquel je vous convie. Remplissez vos oeuvres de toute la
perfection et de toute la sainteté possible. Sachez que la guerre que vos
ennemis, le démon, le monde et la chair vous font, est implacable, et que vous
ne sauriez vaincre tant de difficultés et tant de tentations, si vous
n'excitez dans votre coeur une émulation assez vive, une ardeur assez
impétueuse pour que vous puissiez renverser d'un choc irrésistible le serpent
venimeux, et lui écraser la tête; car, avec sa malice diabolique, il se sert
d'une foule de ruses, soit pour vous abattre, soit du moins pour vous arrêter
en cette carrière, et pour vous empêcher d'arriver à la fin que vous
poursuivez, à l'état que le Seigneur vous prépare, et pour lequel il vous a
choisie.
691. Vous ne devez point
ignorer, ma fille, combien le démon est attentif à la moindre négligence et à
la plus petite distraction des âmes, qu'il assiège et
539
épie
toujours (1), se prévalant de leurs moindres imprudences pour s'introduire
perfidement chez elles avec ses tentations, puis réveillant les passions
vis-àvis desquelles il sait qu'elles ne se
tiennent pas sur leurs gardes, afin qu'elles reçoivent la blessure du péché
presque sans s'en apercevoir : et quand ensuite elles la sentent et qu'elles
souhaitent le remède, c'est alors qu'elles trouvent une plus grande
difficulté; car elles out besoin d'une plus forte grâce pour se relever après
leur chute, que pour résister avant de tomber. Par le péché l'âme s'affaiblit
dans la vertu; son ennemi s'enhardit , les passions
se rendent plus puissantes ; et c'est pour cela qu'il y en a tant qui tombent,
et si peu qui se relèvent. La ressource contre ce péril est de vivre avec une
attention vigilante, avec un désir continuel de s'attirer la divine grâce, et
avec une ferme résolution de pratiquer ce qui est le plus parfait, ne laissant
aucun moment libre où l'ennemi puisse trouver l'âme oisive, négligente et sans
quelque oeuvre de vertu. Par là le poids de la nature terrestre s'allège, on
maîtrise les passions et les mauvaises inclinations, on intimide le démon,
l'esprit s'élève et se fortifie contre la chair pour l'assujettir à la volonté
divine.
692. Vous avez pour tout
cela un vivant exemple en mes œuvres ; vous les écrivez, et je vous les
manifeste par tant d'illuminations que vous avez reçues afin que vous ne
l'oubliiez pas. Or, soyez attentive,
(1) 1 Petr., V, 8.
540
ma
très-chère fille, à tout ce qui vous est
représenté dans ce brillant miroir: et si vous me reconnaissez pour votre
Mère, pour votre Maîtresse et pour la Maîtresse de toute sainteté et de toute
perfection véritable, ne tardez point à m'imiter et à me suivre. Il n'est pas
possible que ni vous ni aucune autre créature arriviez à la perfection et à la
sublimité de mes oeuvres: aussi le Seigneur ne vous y oblige pas; mars il vous
est très-facile avec la divine grâce de remplir
votre vie d'oeuvres vertueuses et saintes, et d'y consacrer tout votre temps
et toutes vos puissances, ajoutant de saints exercices à d'autres exercices,
des prières à d'autres prières, et des vertus à d'autres vertus, sans qu'il y
ait une époque, un jour, une heure de votre vie que vous ne remplissiez de
bonnes oeuvres, comme vous savez que je faisais. C'est pour cette raison que
j'ajoutais de nouvelles oeuvres aux autres occupations que me donnait le soin
que je prenais de l'Église; et que je célébrais tant de fêtes en la manière et
avec les dispositions que vous avez connues et écrites. En achevant une
action, je commençais à me préparer pour une autre, afin qu'il n'y eût pas
dans ma vie un instant sans des oeuvres saintes et agréables su Seigneur. Tous
les enfants de l'Église peuvent, s'ils le veulent, m'imiter en cela, et vous
le devez faire plus que les autres; car c'est pour ce sujet que le
Saint-Esprit a institué les fêtes de mon très-saint
Fils, les miennes, et celles des autres saints que la même Église célèbre.
693. Je veux que vous vous
signaliez d'une manière
541
toute
particulière en ces diverses solennités, comme je vous l'ai prescrit en
d'autres circonstances, et surtout en la mémoire des mystères de la divinité
et de l'humanité de mon très-saint Fils, et de
ceux de ma vie et de ma gloire. Je veux aussi que vous ayez une grande
dévotion pour les anges, tant à cause de leur excellence, de leur sainteté et
de leur ministère, qu'à raison des faveurs singulières que vous avez reçues
par leur entremise. Je veux que vous tâchiez de leur ressembler par la pureté
de votre âme, par la sublimité des saintes pensées, par l'ardeur de l'amour,
et en vivant comme si vous étiez affranchie de votre corps terrestre et de ses
passions. Ils doivent être vos amis et vos compagnons dans votre pèlerinage,
afin qu'ils le soient plus tard dans la patrie céleste. C'est avec eux que
doivent être maintenant vos entretiens les plus familiers; ils vous y.
découvriront les inclinations de votre Époux , et
vous donneront une connaissance certaine de ses perfections; ils vous
enseigneront les- voies droites de la justice et de la paix; ils vous
défendront contre les démons; ils vous avertiront de leurs tromperies, et à
l'école ordinaire de ces ministres du Très-Haut vous apprendrez les lois de
l'amour divin. Écoutez-les, et obéissez-leur en toute chose.
542
CHAPITRE XVII. Le Très-Haut envoya en ambassade l'ange saint Gabriel à la
bienheureuse Marie, pour lui annoncer qu'il ne lui restait plus que trois ans
à vivre sur la terre. — Ce qui arriva à saint Jean et à toutes les créatures à
la suite de cet avis du Ciel.
694. Pour achever ce qu'il
me reste à dire sur les dernières années de la vie de notre unique et divin
Phénix, l'auguste Marie, il faut que le coeur et les yeux me fournissent
l'encre avec laquelle je désire écrire des merveilles si douces, si tendres et
si touchantes. Je voudrais inspirer aux dévots fidèles de ne point les lire ni
les considérer comme passées, puisque la puissante vertu de la foi rend
présentes les vérités; et si nous les regardons de près avec la piété
convenable et avec une véritable dévotion chrétienne, nous en tirerons sans
doute le très-doux fruit, nous en sentirons les
effets, et notre coeur jouira du bonheur qui a été refusé à nos yeux.
695. La bienheureuse Marie
arriva à l'âge de soixante-sept ans sans avoir interrompu sa carrière, ni
arrêté son vol, ni diminué l'ardeur de son amour et la grandeur de ses mérites
depuis son immaculée conception ; mais plutôt elle augmenta tout cela dans
tous les moments de sa vie. Les dons et les faveurs
543
ineffables du Seigneur l'avaient toute divinisée et toute spiritualisée; les
affections, les désirs et les aspirations de son coeur
très-pur ne la laissaient point reposer hors du centre de son amour;
les chaînes de la chair lui faisaient violence; l'inclination qu'avait la
Divinité de l'unir à elle par un éternel et étroit lieu, était (selon notre
manière de parler) à son plus haut degré; et la terre, indigne par les péchés
des mortels de posséder le trésor des cieux, ne pouvait.
le conserver plus longtemps sans le rendre à son véritable Maître. Le
Père éternel réclamait son unique et véritable Fille; le Fils sa Mère
bien-aimée; et le Saint-Esprit désirait les embrassements de sa ravissante
Épouse. Les anges souhaitaient la présence de leur Reine; les saints celle de
leur grande Maîtresse; et tous les cieux demandaient à leur manière leur
Habitante et leur Impératrice, afin qu'elle les remplit
de gloire, de beauté et de joie. Ils alléguaient seulement en faveur du monde
et de l'Église le besoin qu'elle avait d'une telle Mère et Maîtresse, et la
charité avec laquelle Dieu aimait les infortunés enfants d'Adam.
696. Mais comme le terme de
la carrière mortelle de notre grande Reine était inévitable, le décret de la
glorification de la bienheureuse Mère fut (pour employer notre langage) rendu
dans le divin consistoire, où, fut considéré l'amour qui n'était dit qu'à elle
seule, puisqu'elle avait amplement satisfait à la miséricorde envers les
hommes pendant tant d'années que l'Église l'avait eue pour sa fondatrice et
pour sa maîtresse. Le Très-Haut résolut de l'encourager
544
et de la
consoler, en lui donnant un avis certain du temps qu'il lui restait à vivre,
afin qu'assurée du jour et de l'heure si désirés, elle attendit avec joie la
fin de son bannissement. En conséquence, la très-sainte
Trinité députa le saint archange Gabriel avec plusieurs courtisans des
hiérarchies célestes, afin qu'ils annonçassent à leur Reine quand et comment
arriverait le terme de sa vie mortelle, et elle passerait à la vie
éternelle. »
697. Le saint prince
descendit avec les autres anges à l'oratoire de notre auguste Reine dans le
Cénacle de Jérusalem, où ils la trouvèrent prosternée les bras étendus en
croix, demandant miséricorde pour les pécheurs. Mais en entendant la musique
céleste et en s'apercevant de la présence des saints anges, elle se mit à
genoux pour écouter le divin ambassadeur et ses compagnons, qui, revêtus de
robes d'une blancheur éclatante, l'entourèrent avec un empressement et un
respect inexprimables. Ils avaient tous à la main des couronnes et des palmes
différentes, qui représentaient par leur beauté et leur inestimable richesse
les diverses récompenses et prérogatives de leur grande Reine. Le saint ange
lui adressa d'abord lit salutation de l'Ave, Maria, et poursuivant, il lui dit
: « Notre auguste Impératrice, le Tout-Puissant
et le Saint des saints nous envoie de sa cour avec ordre de vous
annoncer de sa part a la fin très-heureuse de
votre pèlerinage et de votre .
exil en la vie mortelle. Bientôt viendra le jour, divine Reine,
bientôt viendra l'heure si désirée, où
545
par le
moyen de la mort naturelle vous obtiendrez la possession éternelle de la vie
immortelle qui vous attend à la droite et dans la gloire de votre très saint
Fils, notre Dieu. Il ne vous reste plus dès aujourd'hui à vivre sur la
terre que trois ans, après lesquels vous serez élevée et reçue en la joie
éternelle du Seigneur, où tous les bienheureux vous attendent et
souhaitent votre présence. »
698. La
très-pure Marie entendit ce message avec une
consolation ineffable., et se prosternant de
nouveau , elle répondit comme lors de l'incarnation du Verbe : Ecce
ancilla Domini, fiat
mihi secundum
verbum tuum: Voici
la servante du Seigneur, qu'il me soit fait selon votre parole (1). Ensuite
elle pria les saints aunes de l'aider à rendre des actions de grâces pour une
nouvelle qui lui était si agréable. La divine Mère entonna le cantique, et les
séraphins et les anges lui répondirent alternativement l'espace de deux
heures. Et quoique ces esprits angéliques soient par leur nature et par leurs
dons surnaturels si actifs, si éclairés et si éloquents, la bienheureuse
Vierge néanmoins les surpassait tous en tout, comme une reine ses sujets, car
la sagesse et la grâce abondaient en elle comme chez la
maîtresse , et en eux comme chez les disciples. Ayant achevé ce
cantique, et s'humiliant de nouveau, elle chargea les esprits célestes de
prier le Seigneur de la préparer pour passer de la vie mortelle à la vie
éternelle, et de demander de sa part la même chose
(1) Luc., I, 38
546
aux
autres anges et aux saints qui étaient dans le ciel. Ils lui promirent de lai
obéir en tout. Après cela saint Gabriel s'en retourna à l'empyrée avec tout
son cortège.
699. La grande Reine de
l'univers demeura seule dans son oratoire, et pleurant à la fois d'humilité et
de joie, elle se prosterna; puis, baisant la terre comme la commune mère de
tous, elle lui adressa ces paroles : « Terre , je
vous offre les remerciements que je vous dois, puisque, sans que je le
méritasse, vous m'avez nourrie durant soixante-sept ans. Vous êtes
la créature du Très-Haut, et par sa divine a volonté vous m'avez conservée
jusqu'à présent. Je vous prie de m'aider dans le temps qu'il me reste
à demeurer parmi vos habitants, afin que, comme de vous et en vous
j'ai été créée, de vous et par vous j'arrive
à la fin désirée de la vue de mon Créateur. » Elle s'adressa aussi aux
autres créatures, et leur dit : « Cieux, planètes, astres, éléments formés par
la puissante main de mon Bien-Aimé, témoins
fidèles et hérauts de sa grandeur et de sa beauté, je vous remercie
aussi de ce que vous avez contribué par vos influences et par vos
propriété à la conservation de ma vie; assistez-moi de nouveau dès
aujourd'hui, car je la perfectionnerai avec la faveur divine dans le reste de
ma carrière, afin de montrer ma reconnaissance à mon Créateur et au vôtre. »
700. Le jour auquel cette
ambassade arriva, était celui qui dans le mois d'août répondait trois ans
auparavant
547
à celui
de la glorieuse mort de l'auguste Marie; dont je parlerai dans la suite. Mais
dès qu'elle eut reçu cet avis, elle s'enflamma de nouveau au feu du divin
amour, elle multiplia et prolongea tous ses exercices comme si elle avait eu à
réparer quelque chose que par négligence ou par tiédeur elle eût omis jusqu'à
ce jour-là. Le voyageur hâte le pas lorsqu'il voit finir le jour et qu'il lui
reste encore beaucoup, de chemin à faire; l'ouvrier et le mercenaire
redoublent d'efforts et de zèle quand le soir approche, et qu'ils n'ont point
rempli leur tache. Mais notre auguste Reine pressait le pas dans ses oeuvres
héroïques, non par crainte de la nuit, ni par aucune appréhension de ne
pouvoir achever son travail , mais par l'amour et
les ardents désirs de la lumière éternelle; non pour arriver plus tôt, mais
pour entrer plus riche dans la joie du Seigneur. Elle écrivit aussitôt à tous
les apôtres et à tous les disciples qui prêchaient en divers endroits du
monde, pour les animer de nouveau à travailler à la conversion des peuples, et
réitéra plusieurs fois ces exhortations pendant ces trois dernières années.
Quant aux autres fidèles qui étaient près d'elle, elle leur donna des
témoignages plus sensibles de son zèle, les encourageant et les affermissant
dans la foi. Et quoiqu'elle ne leur découvrit point son secret, elle semblait
néanmoins, par ses affections, comme se disposer à prendre bientôt congé
d'eux, en cherchant à les laisser tous riches et comblés de bienfaits
célestes.
701. Elle avait des raisons
différentes qui la portaient
548
à ne
point agir envers l'évangéliste saint Jean comme envers les autres, car elle
le regardait comme son fils, et de son côté il l'assistait et la servait avec
plus d'assiduité. C'est pour cela que notre auguste Princesse crut devoir
l'informer de l'avis qu'elle avait de sa mort, et quelques jours après qu'elle
l'eut reçu , lui ayant en premier lieu demandé sa bénédiction et sa
permission, elle lui dit : « Vous savez, mon fils et mon seigneur, qu'entre
les créatures du Très-Haut, je suis la plus redevable et la plus obligée à
être soumise à sa divine volonté, et si tout ce qui est créé dépend de cette
même volonté, son bon plaisir doit être entièrement accompli en moi pour le
temps et pour l'éternité. Et vous, mon fils, vous me devez aider en cela,
puisque vous connaissez les titres que j'ai d'être toute à mon Dieu. Il m'a
manifesté par sa bonté et par sa miséricorde infinies,
que le terme de ma vie mortelle pour passer à la vie éternelle, arrivera
bientôt; et à partir du jour où j'ai reçu cet avis, il ne me reste plus que
trois ans pour achever mon exil. Je vous supplie, seigneur, de m'aider pendant
ce temps à rendre des actions de grâces et quelque retour au Très-haut pour
les bienfaits immenses que j'ai reçus de son amour
très-libéral. Priez pour moi, comme je vous en supplie du fond de mon
âme. »
702. Ces paroles de la
bienheureuse Mère brisèrent le coeur de saint,Jean,
qui, sans pouvoir cacher sa douleur ni retenir ses larmes, lui répondit : « Ma
Mère et ma charitable Maîtresse, je suis tout prêt à obéir à
549
la
volonté du Très-Haut et à la vôtre, quoique mes mérites ne puissent
égaler mes obligations et mes désirs. Mais vous, ma
très-miséricordieuse Mère, protégez votre pauvre fils, qui se
voit sur le point de rester orphelin et privé de votre sainte
compagnie. » Saint Jean n'eut pas la force d'en dire davantage, suffoqué qu'il
était par les sanglots et par les larmes que lui arrachait la douleur. Et
quoique notre très-douce Reine l'animât et le
consolât par de tendres paroles et des raisons
très-efficaces, le saint apôtre resta dès lors pénétré d'une si cruelle
tristesse, qu'il en était tout affaibli , tout
abattu, comme il arrive aux fleurs qui, ayant suivi dans sa carrière le soleil
qui les vivifie, s'inclinent et se flétrissent vers le soir quand elles
commencent à être privées de ses rayons. La bienheureuse Mère fit de grandes
promesses à saint Jean dans cette affliction, afin qu'il ne mourût point de
douleur, l'assurant qu'elle exercerait en sa faveur l'office de mère et
d'avocate auprès de son très-saint Fils.
L'évangéliste fit part de cette triste nouvelle à saint Jacques le Mineur, qui
en qualité d'évêque de Jérusalem s'employait avec lui au service de la Reine
de l'univers (ainsi que saint Pierre le lui avait recommandé, et que je l'ai
dit en son lieu); et dès lors les deux apôtres étant prévenus du peu de temps
qu'ils avaient à demeurer avec leur auguste Maîtresse, résolurent d'en
profiter : c'est pourquoi ils la visitaient plus fréquemment, et surtout
l'évangéliste, qui ne pouvait s'en éloigner.
703. Dans le cours de ces
trois dernières années de
550
la vie
de notre grande Reine, la puissance divine ordonna, par une secrète et douce
force, que toute la nature commençât à prendre davantage le deuil pour la mort
de Celle qui par sa vie donnait la beauté et la perfection à l'univers. Les
saints apôtres, quoiqu'ils fussent dispersés en divers endroits du monde,
commencèrent à sentir une nouvelle peine que leur causait la crainte qu'ils
avaient d'être privés de leur Maîtresse et de leur Protectrice; car une
illumination divine et mystérieuse leur faisait comprendre que ce terme
inévitable ne pouvait plus être fort éloigné. Les autres fidèles qui se
trouvaient dans Jérusalem et dans la Palestine reconnaissaient en eux-mêmes
comme un secret avis qui leur faisait appréhender que leur trésor et la cause
de leur joie ne leur fussent bientôt enlevés. Les cieux, les astres et les
planètes perdirent beaucoup de leur beauté et de leur éclat, comme le jour
lorsque la nuit s'approche. Les oiseaux donnèrent des marques singulières de
tristesse dans les deux dernières années. Ainsi, il y en avait un
très-grand nombre qui s'assemblaient d'ordinaire
où était la bienheureuse Vierge, voltigeant autour de son oratoire, et faisant
entendre, au lieu de leurs chants agréables, des cris plaintifs et des
gémissements, comme pour témoigner leur douleur, jusqu'à ce que la Reine de
l'univers leur ordonnât elle-même de louer leur Créateur par leurs concerts
naturels. Saint Jean, qui les accompagnait en leurs tristes gémissements, fut
plusieurs fois témoin de cette merveille. Quelques jours avant la mort de la
divine Mère, une
infinité
de petits oiseaux se présentèrent à elle, penchant la tête, becquetant la
terre, et poussant des cris lugubres, comme pour se plaindre de ce qu'elle
allait les quitter pour toujours, et lui demander en même temps sa dernière
bénédiction.
704. Les bêtes féroces même
prirent part à cette affliction universelle; car la bienheureuse Marie, allant
un jour visiter les lieux sacrés de notre rédemption, selon sa coutume, fut
entourée, en arrivant sur la montagne du Calvaire, de plusieurs de ces animaux
qui étaient venus pour l'y attendre; les uns se prosternaient, les autres
inclinaient leur tête, tous poussaient des gémissements lugubres, et
manifestèrent pendant quelques heures la douleur qu'ils sentaient de ce que la
terre allait perdre Celle qu'ils reconnaissaient pour leur Reine et pour
l'honneur de l'univers. La plus grande merveille qui arriva dans ce deuil
général de toutes les créatures fut que, durant les six mois qui précédèrent
la mort de l'auguste Marie, le soleil, la lune et les étoiles, donnèrent moins
de lumière qu'ils n'en avaient donné jusqu'alors aux mortels, et le jour de sa
glorieuse mort ils s'éclipsèrent, comme à la mort du Rédempteur du monde (1).
Plusieurs savants remarquèrent ce changement dans les
cieux , mais les plus habiles en ignoraient la cause, et n en purent
avoir qu'un grand étonnement. Quant aux apôtres et aux disciples qui, comme je
le dirai dans la suite, assistèrent à sa très-douce
et
(1) Matth., XXVII, 45.
552
très-heureuse mort, ils connurent alors les regrets de toute la nature insensible, qui
témoigna d'avance son deuil, tandis que les mortels, capables de raison , ne
songeaient pas à pleurer la perte de leur légitime Reine et de leur véritable
gloire. Pour ce qui regarde les autres créatures, il semble. qu'en elles fut
accomplie la prophétie de Zacharie qui dit , qu'en ce temps-là toute la terre
et toutes les familles de la maison de Dieu seraient dans les larmes, et que
chaque. famille à part aurait un grand deuil, et
que ce deuil serait comme celui qui arrive à la mort d'un fils unique, à
laquelle tous ceux de la famille sont pénétrés de douleur (1). Ce que le
prophète dit du Fils unique du Père éternel et du premier-né de la
bienheureuse Marie, notre Sauveur Jésus-Christ, on le doit aussi appliquer,
avec une juste proportion, à la mort de sa très-sainte
Mère, comme étant la Fille aînée et la Mère de la grâce et de la vie. Et de
même que les sujets et les serviteurs fidèles,
non-seulement prennent le deuil à la mort de leur prince et de leur
reine, mais s'affligent encore du moindre danger qui les menacent, dans la
crainte de les perdre, de même les créatures irraisonnables donnèrent par
avance des marques de leur tristesse lorsque la mort de l'auguste Marie
approchait.
705. L'évangéliste les
accompagnait en cette douleur, et fut le premier à s'affliger de cette perte
plus que tous les autres, sans pouvoir cacher son affliction
(1) Zach., XII, 10 et 12.
553
aux
personnes qui le fréquentaient plus familièrement dans la maison du Cénacle.
Quelques membres de la famille, et notamment deux filles du maître de la
maison qui étaient très-assidues au service de la
Reine de l'univers, et d'autres personnes dévotes, remarquèrent la tristesse
de l'apôtre saint Jean, et le virent maintes fois verser des torrents de
larmes. Et comme elles savaient que le saint était d'une humeur fort égale, il
leur sembla que ce changement supposait quelque chose de grave et
d'inquiétant; c'est pourquoi , touchées de
compassion, elles le prièrent, à diverses reprises, avec instance, de leur
apprendre la cause de sa nouvelle tristesse, pour le soulager autant qu'il
leur serait possible. Le saint apôtre leur en cacha la cause durant plusieurs
jours. Mais, pressé par les charitables importunités de ces braves gens , il
leur découvrit, non sans une disposition particulière de la divine Providence,
que l'heureuse mort de sa Mère et de sa Maîtresse approchait. C'étaient les
titres que l'évangéliste donnait à l'auguste Vierge en son absence. Et ainsi
cette perte dont l'Église était menacée commença à être connue et pleurée
quelque temps avant qu'elle arrivât, par diverses personnes qui avaient des
rapports plus fréquents avec notre bienheureuse Reine; car toutes celles qui
apprirent cette affligeante nouvelle ne purent retenir leurs larmes et les
démonstrations de leur inconsolable douleur. Dès lors elles visitaient plus
souvent la très-pure Marie, se prosternant à ses
pieds, baisant la terre sur laquelle elle avait marché, et la priant de
554
leur
donner sa bénédiction, de les attirer après elle, et de ne les point oublier
dans la gloire du Seigneur, où elle enlèverait avec elle le coeur de tous ses
serviteurs et de toutes ses servantes.
706. Ce fut par une
providence très-miraculeuse du Seigneur que
plusieurs fidèles de ; la primitive Église furent avertis si longtemps
d'avance de la mort de leur Reine; car il n'envoie point d'épreuves ou de
fléaux au peuple qu'il ne les découvre auparavant à ses serviteurs, selon
qu'il l'assuré par le prophète Amos (1). Et quoique cette affliction fût
inévitable pour les fidèles de ce siècle, la divine clémence fit que la
primitive Église réparât autant qu'il était possible cette perte de sa Mère,et
de sa Maîtresse, eu la portant par ses larmes et, par sa douleur pendant
l'espace de temps qu'il lui restait à vivre, à favoriser les fidèles et à les
enrichir des trésors de la divine grâce, qu'elle pouvait, comme en étant la
Maîtresse, leur distribuer pour les consoler au moment de son départ, ainsi
qu'elle le fit en effet; car les entrailles maternelles de la bienheureuse
Marie s'émurent d'une compassion extrême à la vue de leurs larmes, et elle
obtint dans les derniers jours de sa vie de nouveaux bienfaits et de nouvelles
miséricordes de son très-saint Fils, pour eux et
pour tout le reste de l'Église: ce fut pour ne point priver les fidèles de ces
faveurs que le Seigneur ne voulut pas leur ôter à l'improviste la divine Mère,
en laquelle ils trouvaient leur
(1) Amos., III ;7.
555
protectrice,
leur consolation, leur joie, le secours dans leurs besoins, le soulagement
dans leurs travaux , le conseil dans leurs doutes, la santé dans leurs
maladies et toutes sortes de biens.
707. Il est certain que
ceux qui ont cherché la grâce en Celle qui en était la
Mère , n'ont jamais été frustrés dans leur attente. Elle a toujours
secouru tous ceux qui n'ont point résisté à sa clémence maternelle. Mais on ne
saurait s'imaginer les merveilles qu'elle opéra en faveur des mortels dans les
dernières années de sa vie, à cause du grand nombre de personnes qui la
visitaient. Elle donna la santé du corps et de l'âme à tous les malades qui se
présentèrent à elle, en convertit beaucoup à la vérité de l'Évangile, et
rétablit dans l'état de grâce une infinité d'âmes qu'elle tira du péché. Elle
secourut plusieurs pauvres dans des nécessités pressantes, donnant aux uns ce
qu'elle avait et ce qu'on lui offrait, assistant les autres d'une manière
miraculeuse. Elle affermissait tous ceux qu'elle voyait dans la crainte de
Dieu, dans la foi et dans l'obéissance qu'ils devaient à la sainte Église, et
en qualité de trésorière des richesses de la Divinité, de la vie et de la mort
de son très-saint Fils, elle voulut les distribuer
avec une miséricorde libérale avant de mourir, pour laisser dans l'abondance
les fidèles enfants de l'Église qu'elle allait quitter; et en outre elle les
consola et les anima par la promesse des faveurs et des grâces qu'elle nous
obtient aujourd'hui à la droite de son Fils.
556
Instruction que
j'ai reçue de la grande Reine des anges.
708. Ma
fille , pour comprendre la joie que causa en mon âme l'avis du Seigneur
m'annonçant que la fin de ma vie mortelle approchait, il faudrait connaître la
force de mon amour et du désir que j'avais de le voir et de jouir
éternellement de sa divine présence dans la gloire qu'il m'avait préparée. Ce
mystère surpasse la portée de l'esprit humain , et
les enfants de l'Église se rendent indignes et incapables du peu qu'ils en
pourraient pénétrer pour leur consolation; car ils ne regardent point la
lumière intérieure, et ne, s'appliquent pas à purifier leurs consciences pour
en recevoir de plus abondantes effusions. Nous avons été, mon
très-saint Fils et moi, fort libéraux à votre
égard en cette miséricorde et en plusieurs autres, et je vous assure, ma
très-chère Fille, que bienheureux seront les yeux
qui verront ce que vous avez vu, et les oreilles qui entendront ce que vous
avez entendu. Gardez votre trésor, et prenez garde de le perdre; travaillez de
toutes vos forces à recueillir le fruit de cette science et dé ma doctrine. Je
veux que vous le fassiez consister en partie à m'imiter en vous disposant dès
maintenant pour l'heure de votre mort , puisque
quand même vous auriez quelque certitude de vivre, encore longtemps, cet
espace devrait vous paraître fort court pour y assurer une affaire qui doit
aboutir à une éternité de gloire ou à une éternité de supplices.
557
Aucune
créature raisonnable n'a pu être aussi sûre que moi de la récompense: c'est là
une vérité infaillible, et cependant je reçus l'avis de ma mort trois ans
d'avance, et vous avez appris que je m'y préparai, comme créature mortelle et
terrestre, avec la sainte crainte que l'on doit avoir à cette dernière heure.
Je fis en cela ce qui me regardait en qualité de mortelle et de Maîtresse de
l'Église, lui laissant un exemple de ce que les autres fidèles doivent faire
comme mortels, qui ont un plus grand besoin de cette préparation pour ne point
encourir la damnation éternelle.
709. Parmi les stupides
illusions que les démons ont introduites dans le monde, il n'en est pas de
plus grande ni de plus pernicieuse que l'oubli de l'heure de la mort, et de ce
qui doit arriver dans le juste jugement du souverain Juge. Considérez, ma
fille, que le péché est entré dans le monde par cette porte, car la principale
chose que le serpent prétendit persuader à la première femme, fut qu'elle ne
mourrait point et qu'elle ne devait point songer à la mort (1). Il continue à
tromper les hommes par le même mensonge, de sorte qu'il y a un nombre infini
d'insensés qui vivent dans cet oubli, et qui meurent sans avoir réfléchi un
seul instant au malheureux sort qui les attend. Or, afin que vous ne tombiez
point dans cette funeste erreur, souvenez-vous dés à présent que vous devez
infailliblement mourir, que vous avez reçu beaucoup, et peu payé en retour, et
que vous rendrez
(1) Gen., III, 4.
558
un
compte d'autant plus rigide, que le souverain Juge a été plus libéral à vous
enrichir de ses dons, et plus patient à vous attendre. Je ne demande de vous
ni plus ni moins que ce que vous devez à votre Seigneur et à votre
Époux , et c'est de pratiquer toujours ce qu'il y a
de plus parfait, sans négligence, sans interruption et sans oubli.
710. Et si votre faiblesse
vous fait tomber dans quelque omission ou dans quelque négligence, faites en
sorte que le soleil ne se couche point sans que vous vous en soyez repentie et
confessée, si c'est possible, comme si vous aviez à rendre vos derniers
comptes. Et après avoir pris la résolution de vous en corriger, quelque légère
que puisse être la faute, vous commencerez à travailler avec une nouvelle
ferveur et avec autant de soin que si vous n'aviez plus que quelques instants
pour terminer une entreprise aussi importante et aussi difficile que l'est
celle d'acquérir la gloire et la félicité éternelles, pour éviter de tomber
dans une mort et dans des tourments qui n'auront point de fin. Ce doit être là
l'application continuelle de toutes vos puissances et de tous vos sens, afin
que votre espérance soit ferme et accompagnée de joie ; que vous ne
travailliez point en vain, et que vous ne marchiez point au hasard, comme font
ceux qui se contentent de pratiquer quelques bonnes
oeuvres , et qui commettent une foule de péchés énormes (1). Ceux-là ne
sauraient marcher avec
(1) II Cor., I, 7 ; Philiè., II, 16 ; I Cor., IX,
26.
559
sûreté
ni avoir la joie intérieure de l'espérance véritable : car leur propre
conscience la leur fait perdre et les jette dans la tristesse, à moins qu'ils
ne vivent dans l'insouciance et dans la folle allégresse de la chair. Pour
remplir vos œuvres, continuez les exercices que je vous ai enseignés, et
conservez l'habitude de penser à la mort, en faisant toutes les prières, tous
les actes d'humiliation et les recommandations de l'âme qui vous sont
ordinaires. En outre, recevez mentalement le viatique, comme si vous étiez
près de partir pour l'autre vie, et détachez-vous de la vie
présente , en oubliant tout ce qui s'y trouve.
Enflammez votre coeur par des désirs ardents de voir Dieu, et montez jusqu'à
sa présence, où vous devez avoir éternellement votre demeure, et maintenant
votre conversation (1).
(1) Philip., III, 20.
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