Livre VIII - Ch. I-III

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Livre VIII - Ch. I-III
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Livre VIII - Ch. X-XVII
Livre VIII - Ch. XVIII-XXIII

LIVRE HUITIÈME. OÙ L'ON APPORTE LE VOYAGE QUE FIT LA TRÈS-PURE MARIE ATHÈNE AVEC SAINT JEAN. — LE GLORIEUX MARTYRE DE SAINT JACQUES. LA PORT ET LA PUNITION D'HÉRODE. — LA RUINE DU TEMPLE DE DIANE. — LE RETOUR DE L'AUGUSTE MARIE D'ÉPHÉSE A JÉRUSALEM. — L'INSTRUCTION QU'ELLE DONNA AUX ÉVANGÉLISTES. — LE TRÈS-SUBLIME ÉTAT AUQUEL ELLE PUT ÉLEVÉE QUELQUE TEMPS AVANT DE MOURIR. — SA TRÈS-HEUREUSE MORT. — SON ASSOMPTION ET SON COURONNEMENT DANS LE CIEL.

CHAPITRE I. La bienheureuse Vierge part de Jérusalem avec Saint Jean pour aller à Éphèse. — Saint Paul vient de Damas à Jérusalem. — Saint Jacques y retourne. — Il voit notre grande Reine à Éphèse. — On déclare les choses secrètes qui arrivèrent dans tous ces voyages.

Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.

CHAPITRE II. Le glorieux martyre de saint Jacques. — La bienheureuse Marie y assiste et mène. son âme dans le ciel. — On porte son corps en Espagne. — L'emprisonnement de saint Pierre et sa délivrance. — Circonstances mystérieuses de tous ces événements.

Instruction que m'a donnée la grande Reine des anges.

CHAPITRE III. Ce qui arriva à l'auguste Marie lors de la mort et de la punition d'Hérode. — Saint Jean prêche à Éphèse, où il arrive plusieurs miracles. — Lucifer se lève pour attaquer la Reine du ciel.

Instruction que la Reine des anges m'a donnée.

 

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LIVRE HUITIÈME. OÙ L'ON APPORTE LE VOYAGE QUE FIT LA TRÈS-PURE MARIE ATHÈNE AVEC SAINT JEAN. — LE GLORIEUX MARTYRE DE SAINT JACQUES. LA PORT ET LA PUNITION D'HÉRODE. — LA RUINE DU TEMPLE DE DIANE. — LE RETOUR DE L'AUGUSTE MARIE D'ÉPHÉSE A JÉRUSALEM. — L'INSTRUCTION QU'ELLE DONNA AUX ÉVANGÉLISTES. — LE TRÈS-SUBLIME ÉTAT AUQUEL ELLE PUT ÉLEVÉE QUELQUE TEMPS AVANT DE MOURIR. — SA TRÈS-HEUREUSE MORT. — SON ASSOMPTION ET SON COURONNEMENT DANS LE CIEL.

 

CHAPITRE I. La bienheureuse Vierge part de Jérusalem avec Saint Jean pour aller à Éphèse. — Saint Paul vient de Damas à Jérusalem. — Saint Jacques y retourne. — Il voit notre grande Reine à Éphèse. — On déclare les choses secrètes qui arrivèrent dans tous ces voyages.

 

364. Les séraphins ramenèrent l'auguste Marie de Saragosse à Jérusalem, après qu'elle eut enrichi le royaume d'Espagne et cette ville de Saragosse par sa présence, par sa protection, par ses promesses, et par le temple que saint Jacques, assisté des saints anges, y avait construit et dédié à son nom. Aussitôt que la grande Reine des anges fut descendue de la nuée éclatante dans laquelle ces esprits célestes la portaient, se voyant dans le Cénacle, elle se prosterna pour

 

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louer avec une humilité profonde le Très-Haut des bienfaits que sa puissante droite avait opérés dans ce voyage miraculeux, en sa faveur et en faveur de saint Jacques et de ces royaumes. Puis considérant avec son humilité ineffable qu'on avait érigé un temple sous son vocable pendant qu'elle vivait encore dans une chair mortelle, elle s'anéantit de telle sorte dans sa propre estime en la divine présence, qu'il semblait qu'elle eût entièrement oublié qu'elle était la véritable Mère de Dieu, une créature impeccable et incomparablement supérieure en sainteté aux plus hauts séraphins. Pour reconnaître ces bienfaits elle s'abaissa aussi bas que si elle eût été un vermisseau de terre, la plus petite des créatures et la plus grande pécheresse; et,elle crut que ces faveurs l'obligeaient à s'élever au-dessus d'elle-même à de. nouveaux degrés d'une plus haute sainteté. C'est ce qu'elle se proposa et ce qu'elle accomplit, sa sagesse et son humilité atteignant un terme au delà de la portée de la vue humaine.

365. Elle employa en ces exercices pieux et en de ferventes prières, pour la défense et l'agrandissement de la sainte Église la plus grande partie. des quatre jours qui suivirent son retour à Jérusalem. Cependant l'évangéliste saint Jean préparait tout dé qui était nécessaire pour le voyage d'Éphèse; et le quatrième jour, c'est-à-dire le cinq janvier de l'an quarante de Jésus-Christ, saint Jean l'avertit qu'il était temps de partir; qu'il avait trouvé une embarcation , et que tout était prêt pour se mettre en route. La grande Maîtresse de l'obéissance se prosterna

 

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aussitôt, sans faire une seule réplique, et demanda au Seigneur la permission de sortir du Cénacle et de Jérusalem ; puis elle alla prendre congé du maître de la maison et de ceux qui y demeuraient. On comprend combien ce départ leur dut être pénible; car la très-douce Mère de la grâce leur avait ravi le coeur par sa conversation et par les faveurs qu'elle leur faisait de sa main. libérale, et ils se trouvaient tout à coup sans consolation et privés de ce trésor du ciel, dans lequel ils puisaient tant de biens. Ils s'offrirent tous à l'accompagner. Mais sachant que cela n'était pas convenable, ils la supplièrent avec larmes de revenir bientôt, et de ne pas abandonner tout à fait cette maison, qu'elle avait déjà si longtemps occupée. La divine Mère les remercia de leurs offres pieuses et charitables avec des témoignages d'affection et d'humilité, et adoucit un peu leurs regrets, par l'espérance qu'elle leur donna de son retour.

366. Elle pria saint Jean de lui permettre de visiter les saints lieux de notre rédemption et d'y adorer le Seigneur, qui les avait consacrés par sa présence et par son précieux sang; et, accompagnée du même apôtre, elle fit ces stations sacrées avec une dévotion et une vénération incroyables et avec des larmes abondantes, pendant que saint Jean, extrêmement consolé de pouvoir la suivre, faisait les actes les plus sublimes des différentes vertus. La bienheureuse Mère vit les anges qui gardaient les saints lieux; elle leur recommanda de nouveau de résister à Lucifer et à ses démons, et de les empêcher de détruire et de profaner

 

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ces lieux sacrés, comme ils le souhaitaient, et l'entreprendraient par le moyen des Juifs incrédules. Elle avertit les esprits célestes de dissiper par de saintes inspirations les mauvaises pensées et les suggestions diaboliques par lesquelles le dragon infernal tâchait d'exciter les Juifs et les autres mortels à abolir la mémoire de notre Seigneur Jésus-Christ dans ces saints lieux ; elle les chargea de prendre ce soin pendant tous les siècles à venir, parce que la rage des esprits malins durerait toujours contre les lieux et les œuvres de la rédemption. Les saints anges obéirent à leur Reine en tout ce qu'elle leur ordonna.

367. Après avoir fait ces stations, elle se mit à genoux et demanda la bénédiction à saint Jean pour partir de Jérusalem, comme elle le faisait avec son très-saint Fils; car elle pratiqua toujours dans, ses rapports avec le disciple bien-aimé, que le Seigneur lui avait laissé en sa place, les deux grandes vertus d'obéissance et d'humilité. Plusieurs des fidèles qui se trouvaient à Jérusalem lui offrirent de l'argent, des pierres précieuses, et des voitures pour la conduire jusqu'au bord de la mer, et tout ce dont elle pouvait avoir besoin pour son voyage. Mais la très-prudente Dame sut, sans rien accepter, les satisfaire tous par son humilité et par les témoignages. de sa reconnaissance. Elle se servit pour aller jusqu'à la mer d'un âne, sur lequel elle fit le chemin, comme Reine des vertus et des pauvres. Elle se souvenait des voyages qu'elle avait faits jadis avec son très-saint Fils et avec son époux Joseph; et ce souvenir et l'amour divin,

 

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qui l'obligeait de nouveau à voyager, excitaient en son coeur virginal les sentiments de la plus tendre dévotion; et pour être en tout très-parfaite, elle fit de nouveaux actes de résignation à la volonté divine, de ce que, pour la gloire du Seigneur et pour l'exaltation de son saint nom, elle était privée de la compagnie de son Fils et de son époux dans ce voyage, ayant eu la consolation d'en jouir en tant d'autres qu'elle avait faits; et de ce qu'elle quittait la retraite du Cénacle, les lieux saints et la compagnie de tant de pieux fidèles; mais elle bénit en même temps le Très-Haut de ce qu'il lui donnait le disciple bien-aimé pour l'accompagner et suppléer en l'absence de son très-doux Fils.

368. Pour rendre le voyage de notre grande Reine plus agréable et plus consolant, aussitôt qu'elle fût sortie du Cénacle tous ses auges se manifestèrent à elle sous une forme corporelle et visible, et l'environnèrent comme des gardes fidèles. Avec cette escorte céleste, n'ayant point d'autre compagnie humaine que saint Jean, elle se rendit au port, où était le navire qui devait aller à Éphèse. Pendant tout le trajet, elle eut de très-doux entretiens et fit de sublimes cantiques à la louange du Très-Haut, avec ces esprits célestes et quelquefois avec saint Jean qui, toujours empressé et officieux, la servait avec un respect admirable dans toutes les circonstances où il, savait pouvoir lui être utile. La bienheureuse Marie répondait à cette sollicitude de l'apôtre par une humilité et une reconnaissance incroyables; car les deux vertus de gratitude et d'humilité grossissaient

 

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dans l'estime de notre auguste Reine tout ce que l'on faisait pour elle; et quoique tous les services possibles lui fussent dus à tant de titres obligatoires, elle les regardait comme des faveurs toutes gratuites.

369. Ils arrivèrent au port, et s'embarquèrent sur-le-champ dans un vaisseau avec d'autres passagers. La grande Reine de l'univers se mit en mer, et ce fut la première fois qu'elle y arriva de cette manière; elle sonda d'un oeil sûr et embrassa toute cette vaste étendue de la Méditerranée et la communication qu'elle a avec l'Océan. Elle en vit la profondeur, la hauteur, la longueur, la largeur, les abîmes, les plages , la disposition secrète, les mines , les flux et reflux , tous les poissons, grands et petits, et enfin tout ce que renfermait cette merveilleuse partie de la création. Elle connut aussi combien de personnes s'y étaient noyées par des naufrages , et se souvint de la. vérité qu'énonce l'Ecclésiastique, que ceux qui naviguent sur la mer en racontent les dangers (1), et de ce que dit David, que les soulèvements de ses flots agités sont admirables (9). La divine Mère pouvait connaître tout cela, tant par une grâce particulière de son très-saint Fils, que parce qu'elle jouissait aussi au plus haut degré des privilèges de la nature angélique, et d'une participation spéciale des attributs divins analogue et semblable à celle de la très-sainte humanité de notre Sauveur Jésus-Christ. Grâce -à ces dons et à ces privilèges , non-seulement elle connaissait distinctement

 

(1) Eccles., XLIII, 56. — (2) Ps. XCII, 6.

 

toutes choses comme elles sont en elles-mêmes; mais elle les pénétrait, elle les approfondissait encore par sa connaissance, beaucoup plus que les anges.

370. Lorsque la Mère de la sagesse considéra cette immensité. des flots, en laquelle reluisaient, comme dans le plus brillant miroir, la grandeur et la toute-puissance du Créateur, son esprit, par un élan rapide, s'éleva jusqu'à l'être de Dieu même, qui apparaît avec tant d'éclat dans ses admirables créatures, et elle le loua et le glorifia en toutes et pour toutes. Et ayant pitié, comme une tendre Mère , de tous ceux qui s'exposent à la fureur indomptable de la mer et la parcourent au péril de leur vie, elle fit pour eux les plus ferventes prières, et supplia le Tout-Puissant de défendre dans ces dangers tous ceux qui, s'y trouvant, invoqueraient son intercession et son nom, et demanderaient dévotement sa protection. Le Seigneur lui accorda aussitôt cette demande, et lui promit de favoriser dans les périls de la mer ceux qui porteraient quelqu’une de ses images, et qui dans les tempêtes appelleraient avec affection à leur secours l'Étoile de la mer; l'auguste Marie. Ou infèrera de cette promesse que si les fidèles périssent dans leurs navigations, c'est parce qu'ils ignorent cette faveur de la Reine des anges , ou parce qu'ils méritent par leurs péchés de ne point s'en souvenir dans les tempêtes qui les y assaillent, ou qu'ils ne l'invoquent pas avec une vive foi et avec une dévotion véritable : puisque la parole du Seigneur ne peut point manquer (1), et que sa très-pure Mère ne

 

(1) Matth., XXIV, 35.

 

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refuserait pas son assistance aux marins qui l'imploreraient dans leur détresse.

371. Il arriva encore un autre prodige, et ce fut lorsque la sainte Vierge vit la mer, les poissons et les autres animaux maritimes; elle leur donna à tous sa bénédiction, leur ordonnant de reconnaître et de louer leur Créateur a leur manière. Ce fut une chose merveilleuse, que tous ces poissons, obéissant â la parole de leur Reine, vinrent avec une vitesse incroyable se mettre devant le navire, où se réunirent une multitude innombrable de chaque genre de ces animaux. Et entourant le vaisseau, ils avançaient leur tète hors de l'eau, et ils y demeurèrent longtemps, paraissant vouloir reconnaître la Reine des créatures par leurs mouvements extraordinaires et leurs jeux variés, lui témoignant ainsi leur obéissance , célébrant son passage, et la remerciant à leur manière de ce qu’elle avait daigné traverser l'élément au milieu duquel ils vivaient. Tous ceux qui se trouvaient sur le navire furent stupéfaits à la vue de bette merveille inouïe. Et comme cette multitude de poissons, grands et petits, si serrés les uns contre les autres, empêchait le vaisseau de marcher, les passagers étaient de plus en plus étonnés, mais ils ne devinèrent point la cause d'un prodige qui leur semblait si étrange. Saint Jean fut le seul qui la. pénétra, et il ne put s'empêcher de verser des larmes de joie et de dévotion. Quelques moments après il pria la divine Mère de donner sa bénédiction aux poissons, et de leur permettre de s'en aller, puisqu'ils lui avaient obéi

 

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avec tant de promptitude, lorsqu'elle les avait conviés à louer le Très-Haut. La très-douce Mère fit ce que saint Jean souhaitait, et aussitôt cette multitude de poissons disparut, et la mer, à l'instant calme, ne présenta plus qu'une surface unie , de sorte qu'ils poursuivirent leur voyage, et arrivèrent à Éphèse en peu de jours.

372. Ils débarquèrent, et notre auguste Reine fit sur terre d'aussi grandes merveilles que sur mer; elle guérit les malades , elle chassa les démons du corps de ceux qui en étaient possédés, et qui recouvraient leur liberté rien qu'à se présenter devant elle. Je ne m'arrête point à écrire tous ces miracles, car il me faudrait faire plusieurs volumes et employer un temps considérable, si je voulais rapporter tous ceux que la bienheureuse Vierge opérait, et les faveurs célestes qu'elle répandait de toutes parts comme l'organe et la dispensatrice de la toute-puissance du Très-Haut. Je n'écris que ceux qui sont nécessaires pour l'histoire, et pour découvrir quelque chose de ce que l'on ignorait des oeuvres et des merveilles de notre grande Reine. Il y avait à Éphèse quelques fidèles qui y étaient venus de Jérusalem et de la Palestine. Le nombre n'en était pas grand; mais sachant l'arrivée de la Mère de notre Sauveur Jésus-Christ , ils vinrent tous la visiter et lui offrir, leurs maisons et leurs biens. Mais la Reine des vertus, qui ne cherchait ni l'éclat ni les commodités temporelles, choisit pour sa demeure la maison de quelques femmes peu riches, qui vivaient sans aucune compagnie d'hommes dans

 

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la retraite et dans la solitude. Elles la lui offrirent, par une inspiration du Seigneur, avec beaucoup de charité et de bienveillance. La sainte Vierge accepta cette demeure, et, avec l'intervention et l'assistance des anges, une chambre fort retirée fut disposée pour notre auguste Reine, et une autre pour saint Jean; et ils demeurèrent dans cette maison tant qu'ils séjournèrent dans cette ville d'Éphèse.

373. Après avoir remercié de ce bienfait les maîtresses de la maison, la bienheureuse Marie se retira toute seule dans sa chambre, et, se prosternant, comme elle avait coutume de faire quand elle vaquait à l'oraison, elle adora l'être immuable du Très-Haut; et s'offrant en sacrifice pour le servir dans cette ville, elle dit ces paroles : « Seigneur, Dieu tout-puissant, vous remplissez tous les cieux et toute la terre (1) par l'immensité de votre divinité et de votre grandeur. Voici votre humble servante qui souhaite accomplir parfaitement en tout votre volonté en tout lieu, en tout temps, et quelles que soient les circonstances où il plaira à votre divine providence de me placer : car vous êtes tout mon bien, tout mon être et toute ma vie; les désirs et les affections de ma volonté ne s'adressent qu'à vous seul. Gouvernez, souverain Seigneur, toutes mes pensées, toutes mes paroles et toutes mes oeuvres, afin qu'elles soient toutes selon votre bon plaisir. » La très-prudente Mère connut que le Seigneur acceptait

 

(1) Jerem., XIII, 24.

 

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cette demande et cette offre, et qu'il répondait à ses désirs par une vertu divine qui l'assistait et la gouvernait toujours.

374. Elle continua son oraison, priant pour la sainte Église, et réglant en même temps ce qu'elle voulait faire pour aider de son oratoire les fidèles. En conséquence, elle ordonna à quelques-uns de ses saints anges d'aller secourir les apôtres et les disciples qu'elle connut être les plus affligés par les, persécutions que le démon excitait contre eux par le moyen des infidèles. Dans ce temps-là saint Paul sortit de Damas pour échapper aux poursuites des juifs de cette ville, comme il le rapporte lui-même dans la seconde Épître aux Corinthiens, disant qu'on le descendit le long de la muraille (1). Notre grande Reine, voulant défendre l'Apôtre de ces périls et de ceux que Lucifer lui préparait dans le voyage qu'il allait faire à Jérusalem, lui envoya de ses anges, qui l'assistèrent et le gardèrent; car la rage de l’enfer était plus grande contre saint Paul que contre les autres apôtres. Ce voyage est celui dont le même apôtre fait mention dans l'Épître aux Galates, où il marque qu'il alla trois ans près à Jérusalem pour visiter saint Pierre (2). On ne doit pas compter ces trois ans à partir de la conversion de saint Paul, mais depuis son retour de l'Arabie à Damas. Ce que l'on peut, du reste, inférer du texte de saint Paul, puisque, après avoir dit qu'il retourna d'Arabie à

 

(1) II Cor.,XI, 33. — (2) Galat., I, 18.

 

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Damas, il ajoute incontinent que trois ans après il alla à Jérusalem; or, si l'on comptait ces trois ans avant le voyage qu'il fit en Arabie, le texte serait fort obscur.

375. L'on peut prouver cela avec une plus grande clarté par la supputation que nous avons faite ailleurs sur l'époque de la mort de saint Étienne, et de ce voyage de l'auguste Marie à Éphèse. En effet, saint Étienne mourut (comme je l'ai dit en son lieu) l'an 34 de Jésus-Christ, accompli en comptant les années à partir du jour de la naissance du Seigneur; et en les comptant du jour de sa Circoncision, comme la sainte Église les suppute maintenant, saint Étienne mourut dans les sept jours qui restent jusqu'au premier janvier, avant que la trente-quatrième année fût révolue. La conversion de saint Paul arriva l'an 36, au 25 janvier. Et s'il fût venu à Jérusalem trois ans après, il y eût trouvé la bienheureuse Vierge et saint Jean; cependant il dit lui-même (1) qu'il ne vit d'autres apôtres à Jérusalem que saint Pierre et saint Jacques le Mineur, surnommé Alphée ; que si la Reine de l'univers et saint Jean s'y fussent trouvés, saint Paul n’aurait pas manqué de les voir, et attrait au moins nommé saint Jean; mais il assure qu'il ne le vit point. Cela s'explique, parce que saint Paul vint à Jérusalem l'an 40, la quatrième année de sa conversion étant accomplie, et un peu plus d'un mois après le départ de la très-pure Marie pour

 

(1) Galat., I, 19.

 

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Éphèse, au commencement de la cinquième année de la conversion du même saint, lorsque les autres apôtres, excepté les deux qu'il vit, s'étaient déjà rendus chacun dans sa province, prêchant l'Évangile de Jésus-Christ.

376. Selon cette supputation, saint Paul employa la première année de sa conversion , ou la plus grande partie de ce temps, à prêcher en Arabie, et passa les trois années suivantes à Damas. C'est pourquoi l'évangéliste saint Luc dit au chapitre neuvième des Actes (1), quoiqu’il ne rapporte pas le voyage de saint Paul en Arabie, que longtemps après sa conversion les Juifs qui étaient à Damas tinrent conseil entre eux pour le perdre, entendant par ce long temps les quatre ans qui s'étaient déjà écoulés; puis il ajoute immédiatement qu'étant avertis du dessein qu'ils avaient formé contre lui, les disciples, pendant la nuit, le descendirent le long de la muraille de la ville, et qu'il s'en vint à Jérusalem (2). Et quoique les deux apôtres et les nouveaux disciples qui s'y trouvaient eussent appris sa conversion miraculeuse, ils ne savaient pas s'empêcher de le craindre et de douter de sa persévérance, parce qu'il avait été l'ennemi si déclaré de notre Sauveur Jésus-Christ. Dans cette crainte, ils se méfiaient, au commencement, de saint Paul, jusqu'à ce que saint Barnabé le prit et le menât à saint Pierre, à saint Jacques et aux autres disciples (3). Alors Paul se prosterna aux

 

(1) Act.. IX, 23. — (2) Ibid.. 24 et 25. — (3) Ibid., 26 et 27.

 

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pieds du vicaire de notre Sauveur Jésus-Christ, il les lui baisa , et le pria avec une grande abondance de larmes de lui pardonner comme à un pécheur qui reconnaissait ses égarements, et de le recevoir au nombre de ses ouailles et des imitateurs de son adorable Maître, dont il désirait prêcher le saint nom et la foi jusqu'à verser son propre sang.

377. On infère aussi de ce doute qu'eurent saint Pierre et saint Jacques Alphée de la persévérance de saint Paul, que, lorsqu'il vint à Jérusalem, la bienheureuse Marie et saint Jean n'y étaient point ; car, dans le cas contraire, il aurait visité en premier lieu la sainte Vierge, qui aurait dissipé leurs craintes, et ces deux apôtres se seraient aussi directement informés auprès de la divine Mère pour savoir s'ils pouvaient se fier à lui; et la très-prudente Dame les aurait instruits de tout ce qui s'était passé, puisqu'elle prenait un si grand soin de consoler les apôtres, et particulièrement saint Pierre. Mais comme elle était déjà à Éphèse, ils ne trouvèrent personne qui leur répondît de la constance et de la grâce du nouveau converti, jusqu'à ce que saint Pierre en eut la preuve, en le voyant soumis à ses pieds. Alors il le reçut avec beaucoup de joie, et tous les autres disciples furent satisfaits. Ils en rendirent tous d'humbles et ferventes actions de grâces au Seigneur, et décidèrent que saint Paul prêcherait à Jérusalem , comme il le fit en effet, à la grande surprise des Juifs qui le connaissaient. Et comme ses paroles étaient des dards enflammés qui pénétraient les coeurs de tous

 

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ceux qui l'entendaient, leur étonnement redoubla, de sorte que deux jours suffirent pour que toute la ville de Jérusalem fût troublée par le bruit qui se répandit de l'arrivée de saint Paul, et du changement dont il donnait des preuves publiques.

378. Lucifer et ses démons ne dormaient point dans cette circonstance, où, pour augmenter leurs tourments, le Tout-Puissant se plut à leur; faire sentir plus vivement les coups de sa justice; car aussitôt que saint Paul fut entré dans Jérusalem, ces dragons infernaux sentirent que la vertu divine qui se trouvait en l'Apôtre les tourmentait et les accablait. Mais comme leur orgueil monte toujours (1), comme leur malice est un foyer qui ne s'éteindra jamais, ils eurent à peine éprouvé l'effet si violent de cette force divine, qu'ils redoublèrent de rage contre celui qu'ils en voyaient investi. Et alors Lucifer, outré de fureur, convoqua ses nombreuses légions de démons, et les exhorta de nouveau à s'animer et à déployer toutes les ressources de leur malice pour exterminer saint Paul, décidé qu'il était lui-même, pour réussir dans cette entreprise, à faire jouer tous les ressorts, à Jérusalem et dans le monde entier. Les démons se mirent aussitôt à l'oeuvre, irritant Hérode et les Juifs contre l'Apôtre, et prenant occasion pour cela du zèle incroyable avec lequel il commençait à prêcher.

379. La Maîtresse de l'univers se trouvant à Éphèse,

 

(1) Ps. LXXIII, 24.

 

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connut toutes ces machinations; car, indépendamment dg sa merveilleuse science, les anges qu'elle avait envoyés pour secourir saint Paul l'informèrent de tout ce qui se passait à son égard. Et comme la bienheureuse Mère prévoyait l'agitation que la malice d'Hérode et des Juifs causerait dans Jérusalem, et d'un autre côté l'importance qu'il y avait de lui conserver la vie pour l'exaltation du nom du Très-Haut et la propagation de l'Évangile, et qu'elle connaissait en même temps le péril où il se trouvait, tout cela jeta notre charitable Reine dans de nouvelles inquiétudes, d'autant plus vives qu'elle se voyait loin de la Palestine, où elle aurait pu assister les apôtres de plus près. Mais elle le fit d'Éphèse par l'efficace de ses prières, de ses larmes et de ses gémissements continuels, et par le ministère des saints anges. Le Seigneur voulant adoucir la douleur que lui causait sa sollicitude maternelle, lui répondit, un jour qu'elle était en oraison, que ce qu'elle demandait pour saint Paul lui serait accordé, qu'il lui conserverait la vie, et qu'il le mettrait à l'abri de ce péril et des embûches du démon. Et c'est ce qui arriva; car saint Paul, priant un jour dans le Temple, fut ravi en extase; et dans cet état il fut favorisé de sublimes illuminations qui le remplirent de joie, et le Seigneur lui ordonna de sortir promptement de Jérusalem, parce qu'il le fallait pour sauver sa vie de la haine des Juifs, qui ne recevraient point sa doctrine.

380. C'est pour cette raison que saint Paul ne demeura cette fois que quinze jours à Jérusalem,

 

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comme il le dit lui -même dans le chapitre premier de son Épître aux Galates (t). Étant retourné quelques années après de Milet et d'Éphèse à Jérusalem , où il fut pris, il rapporte cette extase qu'il eut dans le Temple, et le commandement que le Seigneur lui fit de sortir au plus tôt de Jérusalem, comme il est marqué dans le chapitre vingt-deuxième des Actes. Il communiqua cette vision et cet ordre du Seigneur à saint Pierre, en qualité de chef des apôtres ; et, quand les fidèles eurent appris le danger qu'il courait, ils l'envoyèrent secrètement à Césarée et à Tarse (2), afin qu'il prêchât également aux Gentils, comme il le fit. La très-pure Marie était l'instrument de toutes ces merveilles et de toutes ces faveurs ; elle était la médiatrice par l'intercession de laquelle son très-saint Fils les opérait; et les connaissant aussitôt, elle en rendait d'humbles actions de grâces en son nom et en celui de toute l'Église.

381. La vie de saint Paul étant en sûreté, la compatissante Mère espérait que la divine Providence favoriserait Jacques, son cousin, dont elle prenait un soin particulier. Il était toujours à Saragosse, assisté par les cent anges qu'elle lui donna à Grenade pour sa compagnie et pour sa défense, comme je l'ai dit. Ces esprits célestes allaient et venaient sans cesse d'Espagne en Palestine, et de Palestine en Espagne, présentant à la bienheureuse Marie les demandes de notre apôtre, et lui rapportant les avis de notre

 

(1) Gaist., I,18. — (2) Act., IX, 30.

 

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grande Reine; par ce moyen, saint Jacques apprit que l'auguste Marie était arrivée à Éphèse. Et lorsque la petite chapelle du Pilier de Saragosse fut achevée , et qu'il l'eut mise en un état convenable, il la recommanda à l'évêque et aux disciples qu'il laissait dans cette ville comme dans plusieurs autres d'Espagne. Saint Jacques partit ensuite de Saragosse quelques mois après l'apparition qu'il eut de la Reine des anges; il continua de prêcher dans les divers endroits par où il passait; il s'embarqua sur la côte de Catalogne pour l'Italie, où, poursuivant son voyage et sa prédication, sans y faire un trop long séjour, il s'embarqua une autre fois pour l'Asie avec un ardent désir d'y voir la bienheureuse Marie, sa maîtresse et sa protectrice.

382. Saint Jacques obtint heureusement ce qu'il souhaitait; et, étant arrivé à Éphèse, il se prosterna aux pieds de la Mère de son Créateur en versant d'abondantes larmes de joie et de dévotion. Il lui rendit les plus humbles et les plus ferventes actions de grâces pour les faveurs incomparables qu'il avait reçues du Tout-Puissant par son entremise, dans son voyage d'Espagne et dans le cours de ses prédications; de ce qu'elle l'y avait honoré de sa présence , et de toutes les grâces qu'elle lui avait faites dans ces visites. La divine Mère, comme Maîtresse de l'humilité, le releva aussitôt, et lui dit : « Considérez , Seigneur, que vous êtes l'oint du Très-Haut, son christ et son ministre, et que je ne suis qu'un petit ver de terre. » Ce disant, cette grande Reine se mit à genoux, et

 

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demanda la bénédiction à saint Jacques comme au prêtre du Très-Haut. Il resta quelques jours à Éphèse, en la compagnie de l'auguste Vierge et de son frère saint Jean, auquel il raconta tout ce qui lui était arrivé en Espagne; il eut pendant ces jours-là, avec la très-prudente Mère, des entretiens très-sublimes, dont il suffit de rapporter seulement ceux qui suivent.

383. Saint Jacques étant prêt à partir d'Éphèse, la très-pure Marie lui dit : « Jacques, mon fils, il ne a vous reste pas longtemps à vivre. Vous savez avec quelle tendresse je vous aime dans le Seigneur, et souhaite vous introduire dans l'intimité de sa charité éternelle, pour laquelle il vous a créé, racheté et appelé. Je désire manifester cette tendresse dans les quelques jours que vous avez encore à vivre, et je vous promets de faire pour vous avec la divine grâce tout ce qui me sera possible comme une véritable Mère. » Jacques, répondant à cette faveur si ineffable, dit à la sainte Vierge avec la plus profonde vénération : « Auguste Dame, Mère de mon Dieu et de mon Rédempteur, je vous rends mille actions de grâces du fond de mon âme pour ce nouveau  bienfait, digne de votre seule charité sans borne. Je vous prie, divine Maîtresse, de me donner votre a bénédiction pour aller endurer le martyre pour  votre Fils et mon adorable Maître. Je désire, si c'est sa divine volonté et pour sa gloire, vous supplier de m'honorer de votre présence dans le sacrifice de ma vie, et à l'heure de ma mort, afin que

 

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vous m'offriez comme une hostie agréable à sa divine Majesté. »

384. La bienheureuse Vierge répondit à cette prière de saint Jacques, qu'elle la présenterait au Seigneur, et l'accomplirait si sa volonté divine daignait, dans sa bonté, le décider de la sorte pour sa gloire. Par cette espérance et par d'autres paroles éternellement vivifiantes , elle fortifia et anima l'apôtre pour le martyre qui l'attendait, et elle lui dit entre autres choses : « Mon fils Jacques, quels tourments et quelles peines pourraient paraître à craindre, quand ils conduisent dans la joie éternelle du Seigneur (1) ? Les choses les plus amères et les plus terribles sont douces et aimables à celui qui a connu le Bien infini dont il doit jouir au prix d'une douleur passagère. Je vous félicite, Seigneur, de votre très-heureux sort, et de ce que vous serez bientôt affranchi des passions de la chair mortelle, pour jouir du souverain Bien comme compréhenseur, et pour participer à la joie de sa divine présence. Votre bonheur me ravit et me transporte quand je considère que dans si peu de temps vous  devez acquérir ce que je souhaite avec tant d'ardeur, et que vous échangerez la vie temporelle pour  la possession indéfectible du repos éternel. Je vous donne la bénédiction du Père, et, du Fils, et du  Saint-Esprit, afin que toutes les trois personnes en  l'unité d'une seule essence vous assistent dans la

 

(1) II Cor., IV, 17.

 

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tribulation, et vous dirigent dans vos désirs ; et  mes voeux vous accompagneront dans votre glorieux martyre. »

385. Notre grande Reine ajouta d'autres réflexions d'une sagesse admirable et d'une extrême consolation pour saint Jacques. Elle lui ordonna de louer la très-sainte Trinité en son nom et en celui de toutes les créatures, et de prier pour la sainte Église quand il serait parvenu à la vision béatifique. Saint Jacques lui promit de faire tout ce qu'elle lui ordonnait, et lui demanda de nouveau sa protection pour l'heure de son martyre; et la divine Mère la lui promit une seconde fois. Au moment du dernier adieu, saint Jacques lui dit : « Divine Maîtresse, qui êtes bénie entre toutes les femmes, votre vie et votre intercession sont l'appui sur lequel la sainte Église doit  être assurée, maintenant et pendant tous les siècles, parmi les persécutions et les tentations des ennemis du Seigneur; et votre charité sera l'instrument de votre légitime martyre. Souvenez-vous toujours, comme une très-douce Mère, du royaume d'Espagne, où la sainte Église et la foi de votre très saint Fils et mon Rédempteur viennent d'être établies. Prenez-le sous votre protection spéciale;  conservez-y votre temple sacré et la foi que j'y ai  prêchée quoique indigne de cet auguste ministère, a et donnez-moi votre sainte bénédiction. m La très-pure Marie lui promit d'exaucer sa prière et d'accomplir ses désirs; et lui ayant donné sa bénédiction, elle le congédia.

 

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386. Saint Jacques prit aussi congé de son frère saint Jean, avec beaucoup de larmes de part et d'autre, mais ces larmes étaient des larmes de joie, à cause du bonheur de l'aîné des deux frères , qui devait être le premier à entrer dans la félicité éternelle et à remporter la palme du martyre. Saint Jacques partit ensuite pour Jérusalem, où il prêcha quelques jours avant que de mourir, comme je le dirai dans le chapitre suivant. La grande Reine de l'univers resta à Éphèse, toujours attentive à tout ce qui se passait à l'égard de saint Jacques et de tous les autres apôtres, sans jamais les perdre intérieurement de vue, et sans cesser de prier pour eux et pour toua les fidèles de l'Église. Et à l'occasion du martyre que saint Jacques allait subir pour le nom de Jésus-Christ, elle fut si enflammée d'amour, et son coeur embrasé eut des désirs. si ardents de donner sa vie pour le même Seigneur, qu'elle mérita beaucoup plus de couronnes que tous les apôtres ensemble; car elle souffrit en chacun d'eux plusieurs martyres d'amour, plus douloureux pour son coeur si tendre et si virginal que le tranchant des rasoirs et le supplice du feu ne le pouvaient être. pour le corps des martyrs.

 

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Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.

 

387. Ma fille, vous avez dans ce chapitre plusieurs règles de perfection propres à vous faire pratiquer le bien. Or considérez que, comme Dieu est le principe de tout l'être et de toutes les puissances des créatures, il doit, selon l'ordre de la raison, en être aussi la fin car si elles reçoivent tout sans l'avoir mérité, elles doivent tout à Celui qui le leur a donné gratuitement; et si elles l'ont reçu pour opérer, elles doivent toutes leurs oeuvres à leur Créateur, et non à elles-mêmes ni à aucun autre. Cette vérité, que je connaissais clairement et que je repassais dans mon esprit, m'obligeait à me prosterner à chaque instant pour adorer l'être immuable de Dieu avec la plus profonde vénération, comme vous l'avez écrit si souvent avec admiration. Je considérais que j'avais été tirée du néant et formée du limon de la terre; et je m'abîmais dans ce même néant en la présence de l'être de Dieu, le reconnaissant pour l'Auteur qui me donnait la vie, l'être et le mouvement (1), et sachant que je ne serais rien sans lui, et que je lui devais tout, comme à l'unique principe et à la fin de tout ce qui est créé. Par la considération de cette vérité, tout ce que je faisais et que je souffrais me semblait fort peu de chose; et quoique je ne cessasse point de pratiquer le bien, j'aspirais néanmoins

 

(1) Act., XVII, 28.

 

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toujours à faire et à souffrir davantage; mais mon coeur n'était jamais satisfait, parce que je me trouvais toujours plus redevable, plus pauvre et plus obligée. C'est là une science bien accessible à la raison naturelle, et encore plus à la lumière de la foi, si les hommes n'en détournaient pas les yeux, puisque la dette est commune et manifeste. Mais je veux, ma fille, qu'au milieu. de cet oubli général vous ayez soin de m'imiter en ces exercices que je vous ai fait connaître, et je vous recommande surtout de vous humilier à mesure que le Très-Haut vous élèvera à ses faveurs et à ses plus tendres caresses. Vous en avez l'exemple dans l'humilité que je pratiquais lorsque je recevais quelque bienfait singulier, comme il arriva quand le Seigneur ordonna de me dédier un temple pendant ma vie mortelle. Cette faveur et toutes les autres m'humilièrent au delà de tout ce que les hommes peuvent concevoir; et si je m'humiliais de la sorte quoique j'eusse fait tant de bonnes oeuvres, considérez ce que vous devez faire, ayant reçu tant de faveurs de la main libérale du Seigneur, et faisant si peu de chose pour le payer de retour.

388. Je veux aussi, ma fille, que vous m'imitiez en la circonspection et en la pauvreté que je pratiquais, évitant toute sorte de superfluité et ne recherchant point vos aises, quand même vos religieuses ou les autres personnes qui vous sont attachées vous les offriraient. Choisissez ou acceptez toujours en cela ce qui est le plus pauvre, le plus modeste, le plus méprisé et le plus humble; puisque autrement vous ne

 

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sauriez m'imiter, ni suivre mon esprit, par lequel je refusai, sans tomber pourtant dans aucun extrême, toutes les. commodités superflues que les fidèles m'offrirent à Jérusalem et à Éphèse, tant pour mon voyage que pour ma demeure, ne recevant de leurs charitables offres que ce qui me paraissait le plus pauvre et le plus nécessaire. Cette vertu de pauvreté renferme plusieurs autres vertus qui rendent les hommes fort heureux; mais le monde dans son erreur et dans son aveuglement recherche avec ardeur tout ce qui est contraire à cette vertu et à cette vérité.

389. Prenez bien garde aussi de tomber dans une autre erreur commune. C'est, que les hommes, qui devraient savoir que tous les biens du, corps et de l'âme appartiennent au Seigneur, se les approprient ordinairement à eux-mêmes, et s'imaginent y avoir un si grand droit, que non-seulement ils ne les offrent point de bon gré à leur Créateur, mais s'il arrive parfois qu'il les leur ôte, ils s'en affligent et s'en plaignent, comme si Dieu leur faisait quelque tort. Les pères aiment avec tant de passion et d'excès leurs enfants, et les enfants leurs pères; les maris leurs femmes, et les femmes leurs maris; et ils sont tous si attachés aux biens, à l'honneur, à la santé et aux autres avantages temporels, et certaines âmes aux biens spirituels, que s'ils en sont privés, ils en ont une extrême douleur, et quoiqu'il leur soit impossible de' les recouvrer, ils vivent inquiets et sans consolation, passant du ressentiment au désordre de la raison et de l'injustice. Par ce dérèglement non-seulement

 

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ils condamnent les oeuvres de la divine Providence, et perdent le grand mérite qu'ils acquerraient en offrant et en sacrifiant su Seigneur ce qui lui appartient mais ils font aussi connaître qu'ils regarderaient comme leur suprême félicité de posséder ces biens passagers qu'ils ont perdus, et qu'ils vivraient contents pendant plusieurs siècles avec ce seul bien apparent et périssable.

390. Aucun des enfants d'Adam n'a jamais pu autant aimer une chose visible que j'aimais mon très-saint Fils et mon époux Joseph, lorsque je vivais en leur compagnie; et quoique cet amour fait si bien ordonné, j'offris néanmoins de tout mon coeur au Seigneur d'être privée de leur conversation tout le temps que je vécus sur la terre après leur mort. Je veux que vous imitiez cette résignation, quand il vous manquera quelqu'une des choses que vous devez aimer en Dieu, car il ne vous est point permis d'en aimer aucune hors de sa divine Majesté. Vos continuels désirs ne doivent tendre qu'à voir et à aimer éternellement le souverain Bien dans la patrie céleste. Tous vos gémissements et tous vos souhaits doivent être pour cette félicité; et c'est pour elle que vous devez souffrir avec joie toutes les peines et toutes les afflictions de la vie mortelle. Il faut que vous fassiez de tels progrès dans ces sentiments, que dès aujourd'hui vous ayez un vif désir de souffrir, pour vous rendre digne de Dieu, tout ce que vous saurez et apprendrez que les saints ont souffert. Mais sachez que ce désir de souffrir, ces aspirations, ces élans, cette soif de

 

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voir Dieu doivent être d'une telle nature, que par l'amour de la souffrance vous suppléiez aux peines que vous ne pouvez point souffrir, et que vous vous affligiez même de ne point mériter d'obtenir ce que vous,. souhaitez si ardemment. Prenez bien garde de mêler aux désirs que vous avez de la vision béatifique un motif étranger, tel que celui de vous soulager des peines de la vie par la joie que procure cette vision; car désirer la vue du souverain Bien pour être affranchi du labeur de la vie, ce n'est pas là aimer Dieu, c'est s'aimer soi-même et son propre avantage, et cet amour n'est digne d'aucune récompense aux yeux du Tout-Puissant, qui pénètrent et pèsent toutes choses. Mais si vous agissez sincèrement et avec la plénitude de la perfection comme une servante et une épouse fidèle de mon fils, aspirant à le voir pour l'aimer et le louer éternellement, et pour ne l'offenser jamais plus; et si encore vous désirez toute sorte de peines et de tribulations pour cette seule fin, soyez assurée que vous nous serez fort agréable, et que vous arriverez à l'état d'amour auquel vous tendez toujours; car c'est pour cela que nous sommes si généreux envers vous.

 

CHAPITRE II. Le glorieux martyre de saint Jacques. — La bienheureuse Marie y assiste et mène. son âme dans le ciel. — On porte son corps en Espagne. — L'emprisonnement de saint Pierre et sa délivrance. — Circonstances mystérieuses de tous ces événements.

 

391. Notre grand apôtre saint Jacques arriva à Jérusalem, dans le temps que cette ville était tout agitée à propos des disciples et des imitateurs de notre Seigneur Jésus-Christ. Les démons avaient secrètement excité ces nouveaux troubles, irritant de plus en plus les perfides Juifs, et augmentant en eux le zèle de leur loi et l'envie contre la nouvelle loi évangélique, à l'occasion de la prédication de saint Paul. Quoiqu'il n'eût passé que quinze jours à Jérusalem, la vertu divine avait, dans ce peu de temps, béni ses travaux et opéré par son ministère avec tant d'efficace, qu'il convertit une foule de Juifs, et jeta tous les autres dans l'étonnement et dans l'admiration. Les incrédules s'étaient un peu calmés et rassurés en apprenant que saint Paul était sorti de Jérusalem; mais saint Jacques y entra à son tour, immédiatement après, non moins plein de sagesse divine et de zèle pour le nom de notre Rédempteur

 

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Jésus-Christ; et c'est ce qui les irrita de nouveau. Lucifer, qui n'ignorait point sa venue, excitait et augmentait la haine des pontifes, des prêtres et des scribes, afin qu'ils s'inquiétassent et s'alarmassent davantage de l'arrivée du nouveau prédicateur. Saint Jacques se mit aussitôt à prêcher avec beaucoup d'ardeur le nom du Crucifié, sa mort et sa résurrection mystérieuse. Dès les premiers jours il convertit plusieurs Juifs,, parmi lesquels on distinguait Hermogène et Philète, magiciens qui avaient fait un pacte avec le démon. Hermogène était le plus savant en l'art magique, et Philète était son disciple; les Juifs voulurent s'en servir, contre l'apôtre, s'imaginant qu'ils le confondraient dans la discussion, ou qu'ils lui ôteraient la vie par quelque sortilège.

392. Les démons machinèrent- cette méchanceté par le moyen des Juifs, comme instruments de leur iniquité, parce que, subjugués par la divine grâce qu'ils sentaient en l'apôtre, ils ne pouvaient eux-mêmes s'en approcher. Dans cette discussion Philète se présenta le premier pour argumenter contre saint Jacques, ayant été entendu que; s'il ne l'emportait point, Hermogène viendrait à son secours comme maître et plus versé dans la science magique. Philète proposa ses arguments sophistiques, mais le saint apôtre,les détruisit comme les rayons du soleil dissipent les ténèbres, et parla avec tant de sagesse et d'efficace, que Philète se reconnut vaincu et se rendit à la véritable foi de Jésus-Christ. Et dès, lors il se fit le défenseur de l’apôtre et de sa doctrine. Mais craignant

 

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son maître Hermogène, il pria saint Jacques de le garantir de ses attaques et de ses manoeuvres diaboliques par lesquelles il tâcherait de les perdre: Le saint apôtre donna à Philète un linge qu'il avait reçu de l'auguste Marie, et en portant cette relique le néophyte se garantit des maléfices d'Hermogène, jusqu'à ce que le même Hermogène vînt disputer contre l'apôtre.

393. Hermogène ne put s'en excuser, quoiqu'il craignit saint Jacques ; car il avait promis aux Juifs de le vaincre dans la discussion. Ainsi il l’attaqua avec de plus forts arguments que ceux de son disciple Philète. Mais tous ces efforts furent inutiles contre le pouvoir et la sagesse du Ciel, qui semblaient déborder des lèvres du saint apôtre comme un terrent impétueux. Hermogène y fut heureusement submergé, et comme son disciple Philète il fut obligé de confesser la foi et les mystères de Jésus-Christ, de sorte qu'ils embrassèrent tous deux la sainte foi et la doctrine que Jacques prêchait. Les démons s'irritèrent contre Hermogène, et, usant de l'empire qu'il leur avait donné sur lui, ils le maltraitèrent à cause de sa conversion. Et comme il sut que Philète s'en était défendu au moyen de. la relique qu'il avait obtenue du saint apôtre, il le pria de lui faire la même faveur contre ses ennemis, et saint Jacques donna à Hermogène le bâton dont il se servait dans ses voyages, et avec ce bâton il chassa les démons et les empêcha de s'approcher de lui pour le tourmenter.

394. La grande Reine du ciel contribua beaucoup

 

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à ces conversions et aux autres que saint Jacques fit dans Jérusalem par les gémissements et les prières qu'elle offrait de son oratoire à Éphèse; où elle connaissait ( comme on l'a remarqué en divers autres endroits) par une claire vision tout ce que les apôtres et les fidèles de l'Église faisaient, et elle prenait un soin particulier de son cher apôtre, parce qu'il était plus proche du martyre. Hermogène et Philète persévérèrent quelque temps dans la foi de Jésus-Christ, mais ils la perdirent ensuite dans l'Asie, comme on le peut inférer de la seconde épître à Timothée , où l'apôtre lui annonce que Phigelle ou Philète et Hermogène l'avaient quitté (1). La foi avait bien jeté quelques racines dans leur coeur, mais elles ne furent pas assez profondes pour résister aux tentations du démon , qu'ils avaient longtemps servi dans des rapports familiers; et comme ils conservèrent toujours les mauvaises racines des vices, elles finirent par étouffer la bonne semence, et alors ils déchurent de la foi qu'ils avaient reçue.

395. Lorsque les Juifs se virent frustrés de leur vaine espérance par la défaite et la conversion d'Hermogène et de Philète, ils conçurent une nouvelle rage contre l'apôtre saint Jacques, et résolurent de sen débarrasser en lui procurant la mort. Ils offrirent pour cela de l'argent à Démocrite et à Lysias, centurions de la milice des Romains; et les ayant séduits par leurs offres, ils convinrent secrètement avec eux

 

(1) II Tim., I, 15.

 

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qu'ils prendraient l'apôtre avec les gens qu'ils commandaient, et que pour cacher la trahison ils prétexteraient une apparence de tumulte ou de querelle au lieu et au moment où il prêcherait, et qu'alors ils le livreraient entre leurs mains. Abiathar, qui était grand prêtre cette année, et Josias, scribe animé du même esprit que le, pontife, se chargèrent de l'exécution de ce perfide dessein. Ils ne tardèrent pas à pouvoir le réaliser, car saint Jacques prêchant au peuple le mystère de la rédemption du genre humain, et le prouvant avec une sagesse admirable et par des. témoignages tirés des anciennes Écritures, ses auditeurs ,en furent si touchés , que leur componction alla jusqu'aux larmes. Le grand prêtre et le scribe entrèrent aussitôt dans une fureur diabolique, et après avoir donné le signal aux soldats romains, Josias s'avança le premier, et s'étant saisi de saint Jacques, il lui mit une corde au cou et le montra comme un perturbateur de la république, et comme l'auteur d'une nouvelle religion contraire à l'empire romain.

396. Démocrite et Lysias arrivèrent en même temps avec leurs soldats, et ayant pris l'apôtre ils le menèrent à Hérode fils d'Archélaüs, qui était aussi prévenu intérieurement par la malice de Lucifer, et extérieurement par la haine des Juifs. Hérode, excité par toutes ces suggestions, avait suscité contre les disciples du Seigneur, qu'il abhorrait, la persécution dont saint Luc fait mention au chapitre douzième des Actes, en disant qu'il envoya des gens pour les

 

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maltraiter (1), Il se hâta de profiter de l'occasion pour, ordonner qu'on tranchât la tête à saint Jacques (2). La joie de notre grand apôtre fut incroyable en voyant qu'on le prenait. et qu'on le liait comme son divin Maître, et que l’heure si désirée s'approchait de passer de cette vie mortelle à la vie éternelle par le moyen. du martyre, comme la Reine du ciel le lui avait prédit. Il rendit d'humbles et ferventes actions de grâces pour ce bienfait, et protesta de nouveau publiquement de son attachement à la sainte foi de notre Seigneur Jésus-Christ. Et se souvenant qu'il avait prié à Éphèse la bienheureuse Vierge de l'assister à l'heure de sa mort, il l'invoqua alors du plus intime de son âme.

397. L'auguste Marie entendit de son oratoire les prières de son bien-aimé apôtre et parent, comme toujours attentive à ce qui le concernait, car elle l'accompagnait et le favorisait partout de son intercession efficace. Et tandis qu'elle priait pour lui, elle vit descendre du ciel une grande multitude d'anges de toutes les hiérarchies; une partie de ces esprits célestes alla à Jérusalem; et entoura le saint apôtre lorsqu'on le menait au lieu du supplice. Les autres anges se rendirent à Éphèse auprès de leur Reine, et l’un des principaux lui dit : « Reine des cieux et notre digne Maîtresse, le souverain Seigneur des armées vous charge d'aller sur-le-champ à Jérusalem pour consoler son grand serviteur Jacques,

 

(1) Act., XII, 1. — (2) Ibid., 2.

 

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l'assister à l'heure de sa mort, et répondre à ses saints et pieux désirs. » La bienheureuse Vierge reçut cette faveur avec beaucoup de joie et de reconnaissance, louant le Très-Haut de la protection dont il couvre ceux qui se confient en sa miséricorde infinie. Sur ces entrefaites l'apôtre marchait au martyre, opérant en y marchant divers miracles, rendant la santé à plusieurs malades et délivrant plusieurs possédés. Comme le bruit se répandit qu'Hérode ordonnait de le faire mourir, beaucoup d'affligés vinrent chercher leur remède avant que le moyen commun de leur consolation leur manquât.

398. Au même moment les saints anges placèrent leur grande Reine sur le trône le plus brillant (comme on l'a vu en d'autres circonstances), et ils la portèrent à Jérusalem au lieu oh se trouvait saint Jacques pour être exécuté. Le saint apôtre se mit à genoux pour offrir à Dieu le sacrifice de sa vie. Et lorsqu'il leva les yeux su ciel, il vit en l'air la bienheureuse Vierge qu'il invoquait dans son coeur. Il la vit revêtue de divines splendeurs et d'une ravissante beauté, accompagnée d'une multitude d'anges qui l'assistaient. A ce divin spectacle il fut enflammé d'une charité, et pénétré d'une joie dont les ardeurs et les transports remuèrent le coeur et toutes les puissances de l'heureux disciple. Il voulut reconnaître d'une voix éclatante la très-pure Marie pour la Mère de Dieu et la Maîtresse de toutes les créatures. Mais un ange le retint dans ce mouvement de ferveur: et lui dit : « Jacques, serviteur de notre Créateur, conservez

 

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dans votre âme ces saintes affections, et ne faites point connaître aux Juifs la présence de notre  Reine, car ils n'en sont pas dignes, et ils en concevraient plutôt de la haine que du respect. » D'après cet avis, l'apôtre se tint dans le silence, et dit intérieurement à la Reine du ciel :

399. « Mère de mon Seigneur Jésus-Christ, mon auguste protectrice, refuge des affligés, donnez moi, sainte Reine, votre bénédiction, si désirée de mon âme à cette heure Offrez pour moi à votre Fils, le Rédempteur du monde, le sacrifice de ma  vie comme un holocauste allumé par le désir que   j'ai de mourir pour la gloire de son saint nom. Que  vos très-pures mains soient aujourd'hui l'autel de  mon sacrifice, afin qu'il soit agréable à Celui qui  s'est offert pour moi sur la sainte croix. Je remets  mon âme entre vos mains, et par elles entre les  mains de mon Créateur. » Quand il eut dit ces paroles, et pendant qu'il tenait toujours les yeux élevés vers la bienheureuse Marie qui lui parlait au coeur, le bourreau lui trancha la tête. Cette grande Reine de l'univers (ô admirable bonté!) reçut l'âme de son bien-aimé apôtre à son côté sur le trône où elle était, et elle la mena ainsi dans l'empyrée et la présenta à son très-saint fils. En faisant cette nouvelle offrande dans la cour céleste, l'auguste Marie causa à tous les habitants du ciel une nouvelle joie et une gloire accidentelle, et tous la félicitèrent par de nouveaux cantiques de louanges. Le Très-Haut reçut l'âme de Jacques, et la plaça en un lieu. éminent de

 

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gloire entre les princes de son peuple. La très-pure Marie, prosternée devant le trône de la Majesté infinie, fit un cantique de louanges et d'actions de grâces pour le martyre et le triomphe du premier apôtre martyr. Dans cette occasion elle ne vit la Divinité que par la vision abstractive dont j'ai plusieurs fois parlé. Mais la très-sainte Trinité la combla de nouvelles bénédictions et de faveurs singulières pour elle et pour la sainte Église, pour laquelle notre charitable Reine fit de ferventes prières. Tous les saints la bénirent aussi; ensuite les anges la ramenèrent à Éphèse, dans son oratoire, où, pendant que tout ce que je viens de dire se passait, un ange tint sa place, représentant sa personne. En y arrivant, la divine Mère des vertus se prosterna selon, sa coutume, et rendit de nouvelles actions de grâces au Très-Haut pour toutes ces merveilles.

400. Les disciples de saint Jacques enlevèrent cette nuit son saint corps, et le portèrent secrètement au port de Joppé, où, par une disposition divine, ils s'embarquèrent avec ce trésor, pour se rendre en Galice. La bienheureuse Vierge leur envoya un ange pour les conduire à l'endroit où Dieu voulait qu'on le déposât. Et quoiqu'ils ne vissent point le saint ange, ils n'en expérimentèrent pas moins son secours efficace, car il les défendit dans tout le voyage, et souvent il les protégeait d'une manière miraculeuse. De sorte que l'Espagne est aussi redevable à la très-pure Marie du bonheur qu'elle a de posséder le corps de saint Jacques, et de l'avoir après sa mort pour défenseur,

 

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comme elle l'avait eu pendant sa vie pour prédicateur de la sainte foi, qu'il a laissée si enracinée dans le coeur des Espagnols. Saint Jacques mourut l'an 41 du Seigneur, le 25 mars, cinq ans et sept mois après qu'il fut parti de Jérusalem pour aller prêcher en Espagne. Or, selon cette, supputation et les autres que j'ai faites précédemment, le martyre de saint Jacques arriva sept ans accomplis après la mort de notre Sauveur Jésus-Christ.

401. Que son martyre ait eu lieu vers la fin du mois de mars, cela résulte du chapitre douzième des Actes, où saint Luc dit que, quand Hérode vit qu'il avait plu aux Juifs en faisant mourir saint Jacques (1), il fit aussi arrêter saint Pierre dans l'intention de lui faire trancher la tête comme à saint Jacques, après la fête de Pâques, qui était celle de l'agneau et des pains sans levain (2), que les Juifs célébraient le 14 de la lune de mars. Cela semble prouver que saint Pierre fut mis en prison pendant cette pâque ou à un jour fort rapproché de la fête; que la mort de saint Jacques avait seulement précédé son emprisonnement de quelques jours, et qu'en l'an 41, le 14 de la lune de mars répondit à l'un des derniers jours de ce trois si l'on suit la supputation des années et des mois solaires que nous avons adoptée. Suivant ce calcul, la mort de saint Jacques arriva le 25 mars avant le 14 de la lune; puis eut lien l'emprisonnement de saint Pierre, et ensuite la célébration de la pâque des Juifs. La sainte

 

(1) Act., XII, 3. — (2) Ibid., 4.

 

Église ne célèbre point le martyre de saint Jacques en son jour, parce qu'il se rencontre avec la fête de l'Incarnation, et ordinairement avec les mystères de la Passion; on l'a transféré su 25 juillet, qui fut le jour auquel on débarqua le corps du saint apôtre en Espagne.

402. La mort de saint Jacques et la promptitude avec laquelle Hérode la lui donna, excitèrent et augmentèrent encore la cruauté des Juifs impies, qui s'imaginèrent avoir trouvé dans ce prince aussi inique . qu'inhumain l'instrument de leur vengeance contre les imitateurs de notre Seigneur Jésus-Christ. Lucifer et ses démons espéraient la même chose, et ceux-ci par leurs suggestions, ceux-là parleurs prières et leurs flatteries , lui persuadèrent de faire arrêter saint Pierre, comme il le fit en effet, dans le désir de satisfaire les Juifs pour ses fins temporelles. Les démons craignaient extrêmement le vicaire de Jésus-Christ, à cause de la vertu qu'ils sentaient partir de lui contre eux; c'est pourquoi ils hâtèrent par leurs secrets artifices son arrestation. Saint Pierre en prison fut étroitement lié avec de fortes chaînes pour être mis à mort après Pâques (1). Et quoique le coeur invincible de l'apôtre fût sans aucune crainte et aussi tranquille que s’il eût été libre, tous les fidèles qui se trouvaient à Jérusalem n'en étaient pas oins consterne, sachant que le roi avait résolu de le faire exécuter au plus tôt. Dans cette affliction , ils prièrent ardemment le Seigneur de conserver son vicaire et le chef de

 

(1) Act., XII, 4.

 

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l'Église (1), par la mort duquel ils étaient menacés de la plus grande des calamités. Ils implorèrent aussi la puissante intercession de l'auguste Marie , en laquelle et par laquelle ils attendaient tous le remède.

403. Cette affliction de l'Église n'était point cachée à la divine Mère, quoiqu'elle fait à Éphèse; ses yeux compatissants observaient de là, par une vision très-claire, tout ce qui se passait à Jérusalem. En ce même temps elle multipliait ses prières, ses gémissements et ses larmes de sang, demandant la liberté de saint Pierre et la défense de la sainte Église. Cette oraison de la très-pure Marie pénétra les cieux et blessa le coeur de son Fils Jésus notre Sauveur. Et pour lui répondre, sa divine Majesté descendit en personne dans l'oratoire de la maison, où elle était prosternée , la face virginale dans la poussière. Le souverain Roi l'aborda, et, la relevant avec une tendre bonté, il lui dit : « Ma Mère, modérez votre doua leur, et dites-moi tout ce que vous souhaitez, je vous l’accorderai, et vous trouverez grâce devant  mes yeux pour l'obtenir. »

404. La présence et les douces paroles du Seigneur remplirent la divine Mère de force, de consolation et de joie; car elle faisait le sujet de soin martyre des peines et des persécutions de l'Église, et elle s'était extrêmement affligée de voir saint Pierre en prison et condamné à la mort, et des maux qui pourraient

 

(1) Act., XII, 5.

 

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arriver à la primitive Église si on le faisait mourir. Elle renouvela ses prières auprès de notre Rédempteur Jésus-Christ, et elle lui dit : « Mon adorable Fils, vous savez la tribulation de votre sainte Église; ses cris sont arrivés à vos oreilles, et pénètrent jusqu'au fond de mon coeur affligé. Ses ennemis veulent ôter la vie à son pasteur et votre vicaire; si vous le permettez maintenant, mon divin Seigneur, votre petit troupeau sera dispersé,  et les loups infernaux triompheront, suivant leurs  désirs, de votre saint nom. Or, afin que je vive, commandez, mon Dieu et vie de mon âme à la mer  et à la tempête de s'apaiser, et aussitôt les flots cesseront de battre cette frêle barque. Défendez, Seigneur, votre vicaire, et confondez vos ennemis. Et  si c'est pour votre gloire et pour votre bon plaisir, faites que les tribulations viennent m'assaillir, moi;   je les souffrirai volontiers pour vos enfants les  fidèles, et, assistée de votre pouvoir, je combattrai  contre les ennemis invisibles pour la défense de   votre Église. »

405. Son très-saint Fils répondit: « Ma Mère,  par la puissance et la vertu que vous avez reçue de  moi, je veux que vous agissiez selon votre volonté. Faites et défaites tout ce que vous jugerez être convenable à mon Église. Et sachez que toute la fureur des démons se tournera contre vous. » La très-prudente Mère rendit de nouvelles actions de grâces pour cette faveur, et s'offrant à combattre les ennemis du Seigneur pour les enfanta de l'Église, elle

 

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dit : « Souverain Seigneur, mon unique espérance, a le coeur de votre servante est tout prêt à souffrir toutes sortes de peines et d'afflictions pour les âmes qui ont conté votre sang et votre vie. Je ne suis qu'une poussière inutile, mais vous êtes d'une a sagesse et d'un pouvoir infinis, et assistée de votre divine faveur je ne crains point le dragon infernal. Et puisque vous voulez que je décide en votre nom a ce qui convient à votre Église, j'ordonne à Lucifer et à tous ses ministres d'iniquité qui troublent  l'Église dans Jérusalem, de descendre à l'instant même au fond de l'abîme, et je veux qu'ils y restent dans l'inaction jusqu'à ce que votre divine providence leur permette de revenir sur la terre. » Cette parole de la grande Reine de l'univers fut si efficace, qu'au moment où elle l'eut prononcée à Éphèse, tous les démons qui étaient à Jérusalem furent précipités dans les cavernes éternelles , sans pouvoir résister à la vertu divine qui opérait par le moyen de la bienheureuse Marie.

406. Lucifer et ses ministres reconnurent que ce coup de fouet partait de la main de notre puissante Reine, qu'ils appelaient leur ennemie, parce, qu'ils n'osaient l'appeler par son nom. Dans cette occasion, ils demeurèrent accablés de honte et de désespoir dans l'enfer, comme en tant d'autres circonstances dont j'ai fait mention, jusqu'à ce qu'il leur fût permis d'en sortir, pour faire la guerre à cette invincible Vierge, ainsi qu'on le verra dans la suite. Pendant le temps de leur abattement ils délibérèrent sur les moyens qu'ils

 

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pourraient choisir pour l'attaquer. Ayant remporté ce triomphe sur les démons, l'auguste Marie, voulant qu'il s'étendit sur Hérode et sur les Juifs, dit à notre Sauveur Jésus-Christ : « J'enverrai maintenant, mon  adorable Fils, si c’est votre volonté, un de vos saints  anges pour délivrer votre serviteur Pierre de la prison. » Notre Seigneur Jésus-Christ approuva la résolution de sa Mère Vierge, de sorte que, par la volonté du Roi et de la Reine de l'univers, l'un des esprits célestes qui les entouraient fut envoyé pour tirer l'apôtre saint Pierre de la prison de Jérusalem.

407. L'ange exécuta cet ordre avec beaucoup de promptitude; et étant arrivé à la prison, il y trouva saint Pierre lié avec deux chaînes entre deux soldats qui le gardaient, outre les autres qui, étaient à la porte de la prison pour y former comme un corps de garde (1). La fête de Pâques était déjà passée, et c'était la nuit précédant le jour auquel on devait exécuter la sentence de mort à laquelle le saint apôtre était condamné. Mais il se trouvait si tranquille dans cet état, qu'il dormait d'un aussi profond sommeil que ses gardes (2). L'ange s'approcha de saint Pierre, et il fut obligé de lui donner un coup pour l'éveiller; et sommeillant encore, il lui dit : « Levez-vous promptement, ceignez-vous, mettez votre chaussure, prenez votre manteau et suivez-moi (3). » Saint Pierre se trouva libre de ses chaînes , et , sans comprendre ce qui lui arrivait, il suivit l’ange ignorant quelle

 

(1) Act., XII, 6. — (1) Ibid., 7. — (3) Ibid., 8.

 

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était cette vision (1). Et après que cet esprit céleste lui eut fait traverser quelques rues, il lui apprit comment le Tout-Puissant l'avait délivré des chaînes et de la prison par l'intercession de la très-pure Marie; puis il disparut (2). Saint Pierre revint à lui (3), pénétra le mystère et la faveur qu'il venait de recevoir, et en rendit des actions de grâces au Seigneur.

408. Il crut qu'il devait se mettre en lieu de sûreté et en avertir auparavant les disciples et Jacques le Mineur, pour le faire avec leur conseil. Et hâtant le pas il alla à la maison de Marie, mère de Jean surnommé Marc (4). C'était la maison du Cénacle, où dans leur affliction plusieurs disciples s'étaient réunis. Saint Pierre frappa à la porte : une servante nommée Rhode qui descendit pour voir qui c était, ayant reconnu la voix de saint Pierre, fut si saisie de joie, qu'au lieu de lui ouvrir, elle courut dire aux disciples que Pierre était à la porte Ils crurent que c'était un rêve de la servante; mais parce qu'elle assurait qu'elle ne se trompait point, ils s'imaginèrent que ce pourrait être son ange. Pendant cette espèce de contestation , on laissait saint Pierre dans la rue , et lui continuait à frapper à la porte. On lui ouvrit enfin, on le reconnut, et tous furent transportés d'une joie incroyable de voir le saint apôtre et le chef de l'Église délivré de la prison et de la mort. Il les instruisit de tout ce qui lui était arrivé avec l'ange, et leur dit

 

(1) Act., XII, 9. — (2) Ibid., 10. — (3) Ibid., 11. — (4) Ibd., 12.

 

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d'en informer secrètement Jacques et les autres frères. Et prévoyant qu’Hérode le ferait bientôt chercher avec beaucoup de soin, ils décidèrent qu'il sortirait cette même nuit de la maison, et qu'il s'éloignerait de Jérusalem de peur qu'on ne le prit une seconde fois. Or saint Pierre, s'en alla, et Hérode le fit chercher, et ne l'ayant pas trouvé, il fit punir les gardes et s'irrita davantage contre les disciples; mais Dieu réprima son orgueil et son impiété, le châtiant sévèrement, comme je le raconterai dans le chapitre qui suit.

 

Instruction que m'a donnée la grande Reine des anges.

 

609. Ma fille, à l'occasion des effets qu'a produite en vous la faveur singulière que reçut de ma bonté mon serviteur Jacques au moment de sa mort, je veux maintenant vous faire connaître un privilège que le Très Haut me confirma lorsque je menai l'âme de son apôtre dans le ciel pour la lui présenter. Je vous ai déjà dit quelques mots de ce secret; mais je vous en donnerai maintenant une plus grande intelligence, afin que vous soyez véritablement ma fille et ma dévote. lorsque je menai au ciel l'heureuse âme de Jacques, le Père éternel me dit, de manière à ce que tous les bienheureux pussent l'entendre : « Ma Fille et ma Colombe, choisie pour l'objet de mes complaisances

 

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entre tontes les créatures, je veux que mes courtisans, tant les anges que les saints, sachent que je vous donne ma divine parole, pour l'exaltation de mon nom , pour votre gloire et pour le profit des mortels, que, s'ils vous invoquent  de tout leur coeur à l'heure de leur mort, à l'imitation de mon serviteur Jacques, et s'ils implorent a votre intercession auprès de moi, j'userai envers eux de ma clémence; je les regarderai des yeux d'un Père plein de bonté; je les délivrerai des périls a de cette dernière heure; j'éloignerai d'eux les a cruels ennemis qui font alors tous leurs efforts pour a faire périr les âmes , et je leur ménagerai par votre  entremise de grands secours, afin qu'ils leur résistent et se mettent en ma grâce, s'ils s'aident de a leur côté; vous me présenterez leur âme, et elle a recevra une riche récompense de ma main libérale. »

410. Toute l'Église triomphante et moi avec elle rendîmes des actions de grâces et de louanges au Très-Haut pour ce privilège. Et quoique ce soit l'office des anges de présenter les âmes devant le tribunal du juste Juge lorsqu'elles sortent de la servitude de la vie mortelle, le Tout-Puissant ne m'en accorde pas, moins ce privilège d'une manière plus éminente qu'il n'accorde les autres privilèges à toutes les créatures: moi, je les ai tous à un autre titre et à un degré particulier; j'en use souvent, et j'en ai usé à l'égard de quelques-uns des apôtres. Et comme je sais que vous souhaitez savoir comment vous pourrez obtenir de moi cette

faveur si estimable pour toutes les âmes, je réponds à votre pieux désir, que ce sera en tâchant de ne vous en rendre pas indigne par l'ingratitude et par l'oubli; vous l'acquerrez surtout par une pureté inviolable, qui est ce que je demande le plus de vous et des antres âmes; car le grand amour que je dois avoir et que j'ai pour Dieu m'oblige de souhaiter avec une intime charité que toutes les créatures observent sa sainte loi, et qu'aucune ne perde son amitié et sa grâce. C'est ce que vous devez préférer à votre propre vie, préférant mourir plutôt que de pécher contre votre Dieu et votre souverain Bien.

410. Ensuite je veux que vous m'obéissiez et pratiquiez ma doctrine; je veux que vous fassiez tous vos efforts pour imiter ce que vous connaissez et écrivez de moi; que vous ne 'mettiez aucune interruption dans l’amour; que vous n'oubliiez jamais l'affection cordiale qu'exige de vous la miséricorde libérale du Seigneur; et que vous témoigniez une continuelle reconnaissance de ce que vous devez à sa divine Majesté et à moi, puisque vos obligations surpassent tout ce que vous pourriez faire pendant la vie mortelle. Soyez fidèle en la gratitude, fervente en la dévotion, prompte à faire tout ce qui sera le plus saint et le plus parfait. Dilatez votre coeur, et prenez garde de le rétrécir par la pusillanimité que le démon cherche à vous inspirer. Portez vos mains à des choses fortes et difficiles (1) par la confiance que vous

 

(1) Prov., XXXI, 19.

 

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devez avoir en Dieu; ne vous laissez point abattre dans les advzrsités; n'empêchez point la volonté du Seigneur en ions, ni les très-hautes fins de sa gloire. Ayez une foi vive et une espérance ferme dans les plus grands périls et les. pins violentes tentations. Vous vous servirez pour tout cela de l'exemple de mes serviteurs Jacques et Pierre, et de la connaissance que je vous ai donnée de l'heureuse sécurité en laquelle reposent ceux qui vivent sous la protection du Très-Haut. C'est par cette confiance et par la dévotion que Jacques eut envers moi qu'il obtint la faveur singulière que je lui fis en son martyre, et traversa d'immenses tribulations pour y arriver. C'est par cette même confiance que saint Pierre était si train quille dans sa prison, sans perdre sa sérénité intérieure, et qu'il mérita en même temps que mon très-saint Fils et moi prissions un si grand soin de son salut et. de sa liberté. Les enfants des ténèbres sont indignes de ces faveurs, parce qu'ils mettent toute leur confiance en ce qui est visible, et dans leurs finesses diaboliques et terrestres. Élevez votre coeur, ma fille, et affranchissez-le de ses erreurs; aspirez à ce qui est le plus pur et le plus saint, et soyez assurée que le bras du Tout-Puissant, qui a opéré en moi tant de merveilles, vous soutiendra.

 

 

CHAPITRE III. Ce qui arriva à l'auguste Marie lors de la mort et de la punition d'Hérode. — Saint Jean prêche à Éphèse, où il arrive plusieurs miracles. — Lucifer se lève pour attaquer la Reine du ciel.

 

412. L'amour produit sur le coeur de la créature raisonnable certains effets semblables à ceux que la pesanteur produit sur la pierre. Celle- ci descend où son propre poids l'entraîne, et c'est au centre; et l'amour est le poids du coeur qui l'entraîne vers son centre, qui est l'objet qu'il aime. Et si parfois, soit par nécessité, soit par inadvertance, le coeur regarde une autre chose, l'amour est si prompt, qu'il le fait aussitôt revenir à son objet comme par un secret ressort. Il semble que ce poids ou ce pouvoir de l'amour ôte en quelque sorte sa liberté à ce coeur, en ce qu'il l'assujettit comme un esclave à ce qu'il aime, afin que, tant que l'amour subsiste, la volonté ne commande rien de contraire à ce qu'il désire et ordonne. De là naît la félicité ou le malheur de la créature, suivant qu'elle fait une bonne ou mauvaise application de son amour; puisqu'elle rend maître d'elle-même ce qu'elle aime; que si ce maître est méchant et vil, il la tyrannise et l'avilit; et s'il est

 

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bon, il l'ennoblit et la rend fort heureuse, et d'autant plus que le bien qu'elle aime est plus noble et plus excellent. Je voudrais me servir de cette philosophie pour expliquer jusqu'à un certain point ce qui m'a été découvert de l'état dans lequel la très-pure Marie vivait, et dans lequel elle fit, dès l'instant de sa conception, de continuels progrès, sans interruption ni diminution, jusqu'à ce qu'elle jouit pour toujours de la vision béatifique, parmi les compréhenseurs.

413. Le saint amour de tous les anges et de tous les hommes ensemble était moindre que l'amour de l'auguste Marie seule; or, si nous pouvions condenser l'amour des anges et des hommes, il est certain qui il résulterait de ce tout un embrasement qui, sana être infini, nous le paraîtrait, par la grandeur excessive qu'il représenterait à notre esprit : si donc la charité de notre grande Reine surpassait tout cela, il n'y eut que la sagesse infinie du Très-Haut qui pût peser l'amour de cette créature, et la force avec laquelle il l'attirait, l'inclinait et le portait vers sa Divinité. Aussi devons-nous être persuadés que dans ce coeur si pur et si ardent il n'y avait point d'autre empire, d'autre mouvement, ni d'autre liberté, que pour aimer souverainement le bien infini; et cela d'une manière si élevée au-dessus de nos faibles conceptions, que nous pouvons plutôt le croire que le comprendre , et plutôt l'avouer que le pénétrer. Cette charité qui possédait le coeur de la très-chaste Marie, l'enflammait à la fois du plus véhément désir devoir le souverain bien, qui lui était absent, et de secourir

 

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la sainte Église qui lui était présente. Elle se consumait dans l'incendie qu'allumaient dans son coeur ces deux sentiments; mais elle les dirigeait de telle sorte; par sa grande sagesse, qu'ils ne se gênaient et ne se contredisaient nullement en elle; elle n'abandonnait point entièrement l'un pour se livrer tout à l'autre; su contraire, elle se donnait tout entière à ces deux affections, à la grande admiration des saints et à la pleine satisfaction du Saint des saints.

414. La bienheureuse Marie habitant cette demeure d'une sainteté et d'une perfection si éminentes réfléchissait souvent sur l'état de la primitive Église qui lui était recommandée, et sur les moyens quelle prendrait pour assurer son repos et son progrès. Au milieu de ses sollicitudes et de ses soucis, la délivrance de saint Pierre lui apporta quelque soulagement, parce qu'il pouvait comme chef s'appliquer au gouvernement des fidèles; elle se consolait aussi en pensant que Lucifer et ses démons avaient été chassés de Jérusalem, et privés pour lors de leur pouvoir tyrannique, afin que les imitateurs de ,Jésus-Christ respirassent nu moment, et que la persécution se calmât un peu. Mais la divine Sagesse, qui distribue les peines et les consolations avec poids et mesure (1), voulut que la très-prudente Mère eût dans ce temps-là une connaissance fort claire du mauvais état d'Hérode. Elle vit combien cette âme malheureuse était devenue hideuse et abominable par ses vices monstrueux

 

(1) Sap., XI, 21.

 

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et par le grand nombre de ses péchés, qui irritaient la colère du Tout-Puissant et du juste Juge. Elle connut aussi que, par les impressions infernales que les démons avaient laissées dans le coeur d'Hérode et des Juifs, ils étaient tous furieux contre notre Rédempteur Jésus-Christ et contre ses disciples, depuis que saint Pierre avait été délivré de la prison; et que cet inique roi ou gouverneur avait résolu de se défaire de tous les fidèles qu'il trouverait dans la Judée et dans la Galilée, par tous les moyens en son pouvoir. Mais en connaissant le cruel dessein d'Hérode, la bienheureuse Vierge ne fut point informée dès lors de la fin qu'il aurait. De sorte que sachant seulement qu'il était puissant et qu'il avait une 8me fort dépravée, elle eut en même temps une grande horreur de son mauvais état, et une affliction extrême de la haine qu'il avait contre les fidèles.

415. Notre auguste Reine se trouvant entre ces peines et la confiance qu'elle avait en la faveur divine, ne cessait de prier le Seigneur et de lui présenter ses larmes, ses gémissements et ses humbles exercices que j'ai déjà fait connaître. Et, conduite par sa très-sublime prudence, elle s'adressa à l'un des premiers anges qui l'assistaient, et lui dit: « Ministre du Très Haut, ouvrage de ses mains, le soin que je dois prendre de l'Église me presse vivement de lui procurer toute sorte de biens et de travailler à son progrès. C'est pourquoi je vous prie de monter devant le trône du Très-Haut et d'y présenter mon affliction, et de supplier de ma part sa divine Majesté

 

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de vouloir bien que je souffre pour ses serviteurs  et ses fidèles, et de ne point permettre qu'Hérode  exécute ce qu'il a déterminé contre eux pour détruire l'Église. » Le saint ange alla incontinent faire cette ambassade au Seigneur, pendant que la Reine du ciel priait comme une autre Esther, pour la liberté et le salut de son peuple et pour le sien (1). Le divin ambassadeur revint avec la réponse de la très-sainte Trinité, et en son nom dit à la bienheureuse Vierge : « Princesse des cieux, le Seigneur des  armées dit que vous êtes la Mère et la Maîtresse de   l'Église, et que par sa puissance vous y tenez sa  place pendant votre séjour sur la terre; c'est pour quoi il veut que comme Reine du ciel et de la terre vous fulminiez la sentence contre Hérode. »

416. L'auguste Marie se troubla un peu dans sois humilité par cette réponse. Et s'adressant au saint ange tout enflammée de charité, elle lui di t : « Ai-je   donc, moi , II fulminer une sentence contre l'ouvrage et l'image de mon Seigneur? Depuis que j'ai  reçu l'être de sa divine main, j'ai connu beaucoup  de réprouvés entre les hommes, et, je n'ai jamais  demandé vengeance contre eux; mais autant qu'il a  dépendu de moi j'ai toujours désiré leur remède, s'il était possible, sans jamais avoir eu la pensée  de hâter leur châtiment. Allez, esprit bienheureux, vers le Seigneur, et dites-lui que mon tribunal est inférieur au sien, et que je ne puis

 

(1) Esth., IV, 16.

 

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condamner personne à mort, sans une nouvelle décision du Supérieur; et que, s'il est possible de ramener Hérode au chemin du salut éternel, je souffrirai toutes les peines du monde qu'il plaira  à sa divine Providence d'ordonner, pour empêcher que cette âme ne se perde. » L'ange retourna su ciel avec ce second message de sa Reine, et l'ayant présenté devant le trône de la très-sainte Trinité, il rapporta cette réponse à la divine Mère : « Auguste  Reine, le Très-Haut dit qu'Hérode est du nombre a des réprouvés à cause de son obstination dans le  mal, qu'il ne recevra ni avis, ni exhortation, ni  doctrine, qu'il ne coopèrera point aux secours qui  lui seront donnés, et qu'il ne profitera ni du fruit de la Rédemption, ni de l'intercession des saints,  ni de tout ce que vous ferez et souffrirez pour lui. »

 417. La bienheureuse Vierge envoya une troisième fois le prince céleste avec un nouveau message au trône du Très-Haut, et lui dit : « S'il est convenable  qu'Hérode meure, afin qu'il ne persécute point l'Église, représentez, mon ange, au Tout-Puissant, que le divin Seigneur vivent dans sa chair mort telle a daigné m'accorder, par sa charité infinie, le  titre de Mère et de refuge des enfants d'Adam et d'avocate des pécheurs; qu'il a institué mon tribunal un tribunal de clémence et de pitié pour recevoir et secourir ceux qui y recourront, implorant mon intercession, et qu'il m'a permis, s'ils  s'en prévalaient, de leur promettre au nom de mon  très-saint Fils le pardon de leurs péchés. Or cela

 

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étant, et ayant des entrailles de Mère pour les  hommes, qui sont les ouvrages de ses mains, et le prix de sa vie et de son sang; comment condamnerai-je maintenant l'un d'eux avec tant de sévérité?  La justice ne m'a jamais été remise, mais toujours  la miséricorde, à laquelle mon coeur est entièrement  porté; et maintenant il se trouve serré en quelque  sorte entre la compassion que l'amour y produit et  l'ordre que je reçois d'exercer une justice rigoureuse. Exposez de nouveau, esprit céleste, le sujet de ma  peine su Seigneur; et sachez si son bon plaisir est qu'Hérode meure sans que je le condamne. »

418. Le saint ange monta au ciel avec ce troisième message, et la très-sainte Trinité l'écouta, pleinement satisfaite de la tendre charité de son Épouse. Mais le saint ambassadeur revint bientôt, et transmit ce qui suit à notre compatissante Dame. «Reine de l'univers, Mère  de notre Créateur, et notre auguste Maîtresse, le  Très-Haut déclare que votre miséricorde est pour les mortels qui veulent se prévaloir de votre puissante  intercession, et non pour ceux qui la méprisent,  comme Hérode fera : que vous êtes la Maîtresse de  l'Église, investie de tout le pouvoir divin, qu’en cette qualité il vous appartient d'en user de la manière la plus convenable, et qu'Hérode doit mourir, mais  que ce doit être par votre sentence. » La bienheureuse Marie répondit : « Le Seigneur est juste, et ses   jugements sont équitables (1). Je souffrirais plusieurs

 

(1) Ps. CXVIII, 187

 

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fois la mort pour délivrer cette âme d'Hé rode, si lui-même ne se rendait délibérément  indigne de la miséricorde, et ne se mettait par son  obstination au nombre des réprouvés. C'est un ouvrage de la main du Très-Haut, fait à son image  et à sa ressemblance (1); il a été racheté parle sang  de l'Agneau qui lave les péchés du monde (2). Ce  n'est pas par cet endroit que je prononce la sentence  contre lui, mais parce qu'il s'est fait l'ennemi   obstiné de Dieu, et qu'il s'est rendu indigne de  son amitié éternelle : or, par la justice très-équ table du Seigneur, je le condamne à la mort qu'il  a méritée, afin qu'il n'exécute point les desseins  impies qu'il machine, et qu'ainsi il ne mérite pas de plus grands tourments dans l'enfer. »

419. Le Seigneur opéra cette merveille à la gloire de sa bienheureuse Mère, et en témoignage de ce qu'il l'avait constituée Maîtresse de toutes les créatures avec le suprême pouvoir d'agir à leur égard en Reine, ressemblant en cela à son très-saint Fils. Je ne saurais mieux exposer ce mystère que par les paroles du Seigneur lui-même dans le chapitre cinquième de saint Jean, où il dit en parlant de lui-même : « Que le Fils ne peut rien faire que le Père ne le fasse, mais qu'il fait tout ce que le Père fait (3), parce que le Père l'aime; que si le Père ressuscite les morts, ainsi le Fils ressuscite qui il lui plaît (4) ; que le Père a

 

(1) Job., X, 8 ; Gen., I, 27. — (2) Apoc., I, 5. — (3) Joan., V, 19. — (4) Ibid., 20 et 21.

 

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donné toute la puissance de juger au Fils, afin que tous les hommes honorent le Fils comme ils honorent le Père, parce que celui qui n'honore pas le Fils n'honore pas le Père (1). »Ensuite il ajoute qu'il lui a donné cette puissance de rendre les jugements, parce qu'il était le Fils de l'homme , et il l'a été (2) par sa très-sainte Mère. Or, sachant la ressemblance qu'eut la divine Mère avec son Fils (ressemblance que j'ai sou vent fait ressortir), on saisira l'analogie du rapport qui existe quant à cette puissance de juger, entre la Mère et le Fils, avec celui qui existe entre le Fils et le Père. Et quoique la très-pure Marie soit Mère de miséricorde et de clémence pour tous les enfants d'Adam qui l'invoqueront, le Très-Haut veut néanmoins que l'en sache qu'elle a encore une entière puissance de juger tous les hommes, afin que tous l'honorent aussi comme ils honorent son Fils adorable, qui lui a délégué comme à sa Mère véritable la même puissance dont il est investi, au degré et dans la proportion qui lui appartient en qualité de Mère, quoiqu'elle soit une simple créature.

420. En vertu de cette puissance, notre auguste Princesse ordonna à l'ange d'aller à Césarée, où Hérode se trouvait, et de lui ôter la vie comme ministre de la justice divine. L'ange exécuta aussitôt la sentence, et l'évangéliste saint truc dit que l'ange du Seigneur le frappa, et que le malheureux Hérode, dévoré des vers, mourut (3) pour le temps et pour l'éternité. La

 

(1) Joan., V, 22 et 23. — (2) Ibid., 27. — (3) Act., XII, 23.

 

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blessure fut intérieure, et produisit la corruption et les vers, qui lui donnèrent une fin si misérable. On infère du même texte, qu'après la mort de saint Jacques et la fuite de saint Pierre, Hérode partit de Jérusalem pour se rendre à Césarée, où il accorda la paix aux Tyriens et aux Sidoniens (1). Quelques jours après, étant revêtu de ses habits royaux, il harangua le peuple avec une grande éloquence (2), et le peuple flatteur s'écria en l'entendant que c'était là la voix d'un dieu (3), et l'impie Hérode accueillit cette expression de l’adulation de la multitude avec la complaisance d'un fol orgueil. C'est dans cette occasion que saint Luc dit que, pour n'avoir pas rapporté la gloire à Dieu, et se l'être insolemment appropriée, l'ange du Seigneur le frappa (4). Que si ce péché fut le dernier par lequel il combla la mesure de ses crimes, il s'attira son châtiment, non par celui-là seul, mais par tous ceux qu'il avait commis auparavant, en persécutant les apôtres, en se moquant de notre Sauveur Jésus-Christ (5), en faisant couper la tête à Jean-Baptiste (6), et en se rendant coupable d'un scandaleux adultère avec sa belle-soeur Hérodiade (7), et de toutes sortes d'autres crimes abominables.

421. Le saint ange revint ensuite à Éphèse, et informa la bienheureuse Marie de l'exécution de sa sentence contre Hérode. La compatissante Mère pleura la perte de cette âme; mais elle bénit en même temps

 

(1) Act., XII, 20. — (2) Ibid., 21. — (3) Ibid., 22. — (4) Ibid., 23. — (5) Luc , XXIII, 11. — (6) Marc., V, 27. — (7) Ibid., 17.

 

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les jugements du Très-Haut, et lui rendit des actions de grâces pour le bienfait qu'il avait par cette punition ménagé à l'Église, laquelle, comme dit saint Luc, croissait par la parole du Seigneur (1); et ce n'était pas seulement dans la Galilée et la Judée (où la mort d'Hérode avait fait disparaître le principal obstacle à ses progrès); car dans ce même temps l'évangéliste saint Jean , avec la protection de la divine Mère , commença à établir l'Église évangélique dans Éphèse. La science de l'évangéliste sacré était aussi sublime que celle d'un chérubin, son coeur était enflammé comme l'un des plus hauts séraphins, et il avait près de lui, pour Mère et pour Maîtresse, Celle qui l'était aussi de la sagesse et de la grâce. Avec les riches privilèges dont jouissait l'évangéliste, il put entreprendre de grandes choses et opérer de grandes merveilles pour établir la loi de grâce dans Éphèse, et dans toute cette partie de l'Asie voisine de l'Europe.

422. Aussitôt que saint Jean fut arrivé à Éphèse, il commença à y prêcher et à baptiser ceux qu'il convertissait à la foi de notre Sauveur Jésus-Christ, confirmant sa prédication par de grands miracles et par des prodiges inouïs parmi les Gentils. Et comme il sortait des écoles des Grecs beaucoup de philosophes et d'hommes versés dans leurs sciences humaines, mélangées de tant d'erreurs, le. saint apôtre les convoquait et leur enseignait la véritable science, se servant non-seulement de miracles, mais encore de solides

 

(1) Act., XII, 24.

 

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raisons par lesquelles il rendait la foi chrétienne plus croyable. Il se bitait de renvoyer tous les nouveaux convertis à l'auguste Marie, qui en instruisait la plupart; et comme elle connaissait leur intérieur et leurs inclinations, elle leur parlait au coeur et les remplissait des influences de la divine lumière. Fille faisait de nombreux miracles en leur faveur, chassant les démons des corps des possédés, et guérissant toute sorte de maladies; en outre, elle secourait les pauvres et travaillait de ses propres mains pour subvenir à leurs nécessités; elle visitait les hôpitaux, et y servait elle-même les malades. Elle avait dans la maison où elle demeurait des habits pour les personnes les plus pauvres. Elle en assistait beaucoup à l'heure de la mort, et dans ce périlleux passage elle gagna un grand nombre d'âmes qu'elle ramena à leur Créateur et affranchit de la tyrannie du démon. Il y en eut tant qu'elle conduisit dans le chemin de la vérité et de la vie éternelle, et elle opéra dans ce ministère tant de merveilles, qu'on ne saurait les dénombrer dans plusieurs volumes, car il ne se passait point de jour où elle n'étendit le domaine du Seigneur en produisant les fruits les plus abondants dans les âmes qu’elle lui acquérait.

423. Les progrès que la primitive Église faisait chaque jour par la sainteté, par les soins et par les oeuvres héroïques de la grande Reine du ciel, remplissaient les démons de confusion et de rage. Et quoiqu'ils se réjouissent de la damnation de toutes les âmes qu'ils emmenaient dans leurs ténèbres étenelles,

 

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ils furent fort tourmentés de la mort d' Hérode , car ils ne craignaient aucun amendement d'un homme si endurci en des vices si abominables; et c'est pourquoi ils le regardaient comme un puissant instrument contre les imitateurs de notre Seigneur Jésus-Christ. La divine Providence permit que Lucifer et les autres dragons infernaux se relevassent du fond de l'enfer, où ils avaient été précipités de Jérusalem par la force de la bienheureuse Marie, comme on l'à vu dans le chapitre précédent. Et après avoir employé le temps qu'ils y demeurèrent à préparer les tentations dont ils prétendaient se servir pour s'opposer à l'invincible Reine des anges, Lucifer résolut de se plaindre devant le Seigneur, en la manière qu'il le fit à l'égard de Job (1), quoique ce fut dans cette occasion avec des marques d'une plus grande fureur contre la sainte Vierge. Et dans cette résolution , lorsqu'il était prêt à sortir de l'abîme, il s'adressa à ses ministres en ces termes

424. « Si nous ne vainquons cette femme notre ennemie, je crains qu'elle ne détruise indubitablement tout mon empire, parce que nous reconnaissons tous en elle une vertu plus qu'humaine, qui nous abat et opprime quand elle veut et en la manière qu'elle veut; et jusqu'à présent nous n'avons pu trouver aucun moyen pour l'abattre à notre tour, ou même pour lui résister. C'est ce que je ne saurais supporter; car si c'était Dieu qui se tint offensé de mes

 

(1) Job., 1, 9, etc.

 

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hautaines pensées et de ma rébellion, lui qui a une puissance infinie pour nous anéantir, je n'aurais pas une si grande confusion quand il me vaincrait par lui-même; mais cette femme, quoiqu'elle soit Mère du Verbe incarné, n'est point Dieu, elle n'est qu'une simple créature d'une nature fort inférieure à la mienne; je ne souffrirai plus qu'elle me traite avec tant d'empire et qu'elle m'atterre toutes les fois qu'il lui en viendra la fantaisie. Allons, allons la détruire, et plaignons-nous au Tout-Puissant, comme nous l'avons arrêté. » Le dragon se plaignit et allégua son prétendu droit devant le Seigneur, disant : « Que tandis que l'ange était d'une nature si supérieure, il élevait pansa grâce et par ses dons Celle qui n'était que terre et que poussière, et ne la laissait point dans sa condition ordinaire; que c'était pour cela que les démons ne pouvaient ni la persécuter ni l'aborder. » Mais on doit remarquer que ces ennemis ne se présentent point devant le Seigneur par aucune vision qu'ils aient de sa divinité, ils ne sauraient y arriver; mais comme ils ont une certaine connaissance, une certaine foi, quoique faible et forcée, des mystères surnaturels, ils peuvent, su moyen de ces notions, s'adresser à Dieu; et c'est en ce sens que l'on dit qu'ils sont en sa présence, qu'ils se plaignent, ou qu'ils ont une espèce d'entretien avec le Seigneur.

425. Le Tout-Puissant permit à Lucifer de sortir pour attaquer l'auguste Marie; et comme les conditions que cet esprit rebelle demandait étaient injustes, il y en eut plusieurs qui lui furent refusées. La divine

 

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Sagesse accorda à chacun des démons les armes qui étaient convenables pour rendre la victoire de sa Mère plus glorieuse, et afin qu'elle brisât la tête de l'ancien serpent (1). Le combat et le triomphe furent également mystérieux, ainsi que nous le verrons dans les chapitres suivants; ils sont racontés dans le chapitre douzième de l'Apocalypse avec les autres mystères dont j'ai fait mention dans la première partie de cette histoire, en expliquant ce même chapitre. Je dis seulement ici que le Très-Haut permit tout cela, non-seulement pour la plus grande gloire de sa très-sainte Mère, et pour l'exaltation de son pouvoir et de sa sagesse divine, mais aussi pour avoir un juste motif de soulager l'Église des persécutions que les démons machinaient contre elle, et pour donner occasion à sa bonté infinie de répandre avec équité dans la même Église les faveurs que lui acquerrait par ces victoires l'auguste Marie, la seule entre toutes les autres âmes qui pût les remporter. Le Seigneur agit toujours de la sorte dans son Église, disposant et fortifiant quelques âmes choisies , afin que le dragon exerce sur elles sa fureur comme sur des membres de la sainte Église ; et si elles le vainquent avec le secours de la grâce divine, ces victoires tournent à l'avantage de tout le corps mystique des fidèles, et l'ennemi perd le droit et les forces qu'il avait contre eux.

 

(1) Gen., III, 15.

 

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Instruction que la Reine des anges m'a donnée.

 

426. Ma fille, si, dans ce récit de ma vie que vous écrivez, je vous représente si souvent l'état déplorable du monde et celui de la sainte Église dans laquelle vous vivez, et si je vous exprime à chaque instant le désir maternel que j'ai que vous m'imitiez, vous devez être persuadée, ma très-chère fille, que c'est parce que j'ai de grands motifs de vous obliger à vous affliger à mon exemple, et à pleurer maintenant ce que je pleurais lorsque je vivais de la vie des mortels; et je m'affligerais encore dans ces siècles présents, si je pouvais connaître la douleur dans l'état où je me trouve. Je vous assure , ô âme, que les temps approchent où vous devriez pleurer avec des larmes de sang les calamités des enfants d'Adam. Et je renouvelle en vous cette connaissance de ce que je découvre du ciel dans le monde entier et parmi ceux qui professent la sainte foi , parce que vous ne pouvez pas les connaître totalement d'une seule fois. Or, jetez les yeux sur tous, et voyez comme la plupart des hommes sont dans les ténèbres et dans les erreurs de l'infidélité, en laquelle ils courent sans espérance de remède à la damnation éternelle. Voyez aussi combien peu les enfants de la foi et de l'Église se soucient et se préoccupent de cette perte, dont aucun ne, s'afflige; car, comme ils méprisent leur propre salut, ils ne songent point à celui des autres, et comma la ;foi est morte en eux et que l'amour divin leur manque, ils

 

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ne s'affligent point de la perte des âmes qui ont été créées pour Dieu lui-même, et rachetées par le sang du Verbe incarné.

427. Ils sont tous enfants d'un Père qui est aux cieux (1), et chacun est obligé de secourir son frère en la manière qui lui est possible. Cette obligation regarde plus directement les enfants de l'Église, qui peuvent s'en acquitter par leurs prières. Mais cette sollicitude charitable doit être plus vive chez les puissants, et chez ceux qui doivent tous leurs moyens d'existence à la foi chrétienne, et qui reçoivent de plus grands bienfaits de la main libérale du Seigneur. Ceux qui par la loi de Jésus-Christ jouissent de tant de biens temporels, et les emploient tous à leurs propres plaisirs, sont ceux qui en qualité de puissants seront tourmentés puissamment (2). Si les pasteurs et les supérieurs de la maison du Seigneur n'ont d'autre soin que de vivre dans les délices et de fuir le travail auquel ils doivent personnellement se livrer, ils se rendent responsables de la ruine du troupeau de Jésus-Christ et du ravage qu'y font les loups infernaux. O ma fille, en quel état lamentable a été réduit le peuple chrétien par les puissants, par les pasteurs négligents, par les mauvais ministres que Dieu lui a donnés par ses secrets jugements 10 quelle punition et quels reproches ne doivent-ils pas attendre ! Ils ne pourront se disculper devant le tribunal du juste Juge, puisque la vérité catholique qu'ils

 

(1) Matth., XXIII, 9. — (2) Sap., VI, 7.

 

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professent les détrompe, que la conscience les reprend, et qu'ils se rendent sourds et insensibles à tout.

428. La cause de Dieu et de son honneur est abandonnée; les âmes qu'il considère comme son propre bien sont privées de la véritable nourriture; presque tous ne songent qu'à leurs intérêts et à leur conservation; chacun se sert de ses diaboliques finesses et de ses raisons d'état; la vérité est obscurcie et opprimée; la flatterie règne de toutes parts; l'avarice est effrénée, le sang de Jésus-Christ foulé aux pieds, le fruit de la rédemption méprisé; personne ne veut hasarder ses aisés et ses intérêts pour empêcher que le Seigneur ne perde ce qui lui a coûté sa Passion et sa vie. Les amis de Dieu eux-mêmes mollissent dans la défense de cette cause, car ils n'usent point de la charité et de la sainte liberté avec le zèle qu'ils doivent; la plupart se laissent vaincre par leur lâcheté, ou se contentent de travailler seulement pour eux, et abandonnent la cause commune des autres âmes. Vous comprendrez par là, ma fille, que mon très-saint Fils, ayant implanté l'Église évangélique de ses propres mains, l'ayant fertilisée par son propre sang, elle est arrivée à ce malheureux temps dont le Seigneur lui-même se plaignait par ses prophètes; puisque la sauterelle a dévoré les restes du gazam ; le jélech, les débris de la sauterelle ; et le chasil, les restes du jélech (1); et le Seigneur voulant cueillir le

 

(1) Joel., I, 4.

 

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fruit de la vigne, se trouve comme celui qui cherche quelques raisins après qu'on a fait toute la vendange, ou quelques olives que le démon n'ait pas secouées on emportées (1).

429. Dites-moi maintenant, ma fille, comment sera-t-il possible, qu'ayant un véritable amour pour mon très-saint Fils et pour moi, vous donniez accès dans votre coeur à la moindre consolation, à la vue de la perte si déplorable des âmes qu'il a rachetées par son sang et moi par celui de mes larmes, puisque, pour les lui acquérir, j'ai souvent versé des larmes de sang? Si je pouvais en verser encore aujourd'hui, je le ferais avec une nouvelle douleur et avec une nouvelle compassion; mais comme il ne m'est pas possible maintenant de pleurer les périls de l'Église, je veux que vous le fassiez, et que vous n'acceptiez aucune consolation humaine dans un siècle si calamiteux et si digne de pitié. Pleurez donc amèrement, et ne perdez point le prix de cette douleur; qu'elle soit si vive, que votre unique soulagement consiste à vous affliger pour le Seigneur que vous aimez. Considérez ce que je fis pour prévenir la damnation d'Hérode, et pour. en préserver ceux qui voudraient se prévaloir de mon intercession; et dans la béatitude je prie continuellement pour le salut de mes dévots. Ne vous laissez point abattre par les peines et les tribulations que mon très-saint. Fils vous enverra, afin que vous aidiez vos frères et lui acquerriez son propre bien

 

(1) Isa., XXIV, 13.

 

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Parmi tant d'injures que les enfants d'Adam lui font, tâchez de les réparer, jusqu'à un certain point, par la pureté de votre âme, qui doit être plus angélique qu'humaine. Combattez pour le Seigneur contre ses ennemis, et en son nom et su mien; brisez-leur la tête; dominez leur orgueil avec empire, et précipitez-les au fond de l'abîme; conseillez même aux ministres de Jésus-Christ auxquels vous parlerez, d'en faire de même par la puissance qu'ils ont, et avec une vive foi, pour défendre lEs âmes, et en elles l'honneur et la gloire du Seigneur; et ainsi ils repousseront les ennemis et les vaincront en la vertu divine.

 

 

 

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