Livre III - Ch. XVI-XXIII

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TOME II

CHAPITRE XVI. Le voyage que la très-sainte Vierge fit pour aller visiter sainte Élisabeth, et son entrée dans la maison de Zacharie.

Instruction que notre Reine et Maîtresse me donna.

CHAPITRE XVII. Le salut que la Reine du ciel fit à sainte Élisabeth, et la sanctification de Jean.

Instruction que la divine Reine me donna.

CHAPITRE XVIII. La très-pure Marie règle ses exercices dans la maison de Zacharie, et gnelques particularités qui arrivèrent entre les deux saintes cousines.

Instruction que la Reine du ciel me donna.

CHAPITRE XIX. Quelques conférences que la très-sainte Vierge eut dans la maison de sainte Élisaheth avec ses anses, et celles qu'elle y eut avec la même sainte.

CHAPITRE XX. Quelques bienfaits singuliers de la très-sainte Vierge dans la maison de Zacharie, à l'égard de personnes particulières.

Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

CHAPITRE XXI. Sainte Élisabeth prie la Reine du ciel de ne point l'abandonner au moment de ses couches. — Elle est avertie de la prochaine naissance de Jean.

Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

CHAPITRE XXII. La naissance du précurseur de Jésus-Christ, et ce que notre souveraine Maîtresse y fit.

Instruction que la Reine de l'univers me donna.

CHAPITRE XXIII. Les avis que la très-sainte Vierge donne à sainte Élisabeth. — A sa demande on circoncit l'enfant, et on lui donne son nom: — Zacharie prophétise.

Réponse et instruction que la très-sainte Vierge me donna.

 

LA CITÉ MYSTIQUE DE DIEU

TOME II

 

 

CHAPITRE XVI. Le voyage que la très-sainte Vierge fit pour aller visiter sainte Élisabeth, et son entrée dans la maison de Zacharie.

 

200. En ce temps-là, dit le texte sacré, l'auguste Marie partit pour s'en aller promptement dans les montagnes, en une ville de Juda (1). Ce mouvement de notre Reine n'aboutissait pas seulement à une démarche extérieure et au départ pour la maison de Zacharie; il se produisait aussi dans son esprit et dans sa volonté, sous une divine impulsion, pour faire sortir son âme de cette pauvre retraite intérieure où elle se tenait dans une fort humble estime d'elle-même. Me sortit de là comme du pied du trône de Dieu, où elle attendait sa volonté pour en exécuter les ordres, comme la plus humble servante, qui a, selon David, les yeux fixés sur les mains de sa maîtresse (2), pour

 

(1) Luc., I, 39. — (2) Ps. CXXII, 2.

 

saisir les moindres signes de ses commandements. S'étant donc levée à la voix du Seigneur, elle s'anima des plus doux sentiments pour accomplir sa très-sainte volonté, en hâtant autant qu'il lui fut possible la sanctification du précurseur du Verbe incarné, qui était dans le sein d'Élisabeth, comme renfermé dans la prison du péché originel. C'était là le but de cet heureux voyage. Et c'est pour ce sujet que la Princesse du ciel se leva, et marcha avec la diligence que saint Luc exprime dans son Évangile.

201. Or les très-chastes époux Marie et Joseph, ayant laissé la maison de leurs parents et oublié leur peuple (1), se mirent en chemin pour aller à la maison de Zacharie dans les montagnes de Judée, qui étaient à vingt-sept lieues de Nazareth; une grande partie de la route était âpre et rude pour une jeune femme si frêle et si délicate. L'unique ressource qu'elle eût contre des fatigues si au-dessus de ses forces était un petit animal, dont elle se servit durant tout le voyage. Il n'avait été pris que pour son service et pour son soulagement, néanmoins la plus humble et la plus modeste des créatures en descendait souvent, et priait son époux Joseph de partager les peines et les commodités, et de se reposer lui-même de temps en temps, eu y montant à son tour. Ce que le discret époux ne voulut jamais faire, mais pour condescendre en quelque chose aux prières de la divine Dame, il permettait qu'elle fût de temps en temps à pied avec lui,

 

(1) Ps. XLIV, 11.

 

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autant qu'il lui semblait que son tempérament délicat le pouvait souffrir sans une trop grande fatigue. Ensuite le saint lui disait avec beaucoup de respect, de ne point refuser ce petit soulagement, et la Reine du ciel obéissait en se remettant sur sa monture.

202. Ils continuaient leur voyage dans ces humbles débats, et ils y employaient si bien le temps, qu'il n'y eut aucun moment qui ne fût rempli de quelque acte de vertu. Ils marchaient seuls, sans être accompagnés des créatures humaines; mais les anges qui gardaient la couche de Salomon (1), l'auguste Marie, les assistaient en toutes choses; et quoiqu'ils s'y trouvassent sous une forme visible pour servir leur Reine et son très-saint Fils, qu'elle portait dans son sein, il n'y eut pourtant qu'elle qui les vit; et ayant égard aux anges et à son époux Joseph, la bière de la grâce marchait avec tant de modestie, qu'elle remplissait par sa présence les champs et les montagnes des doux parfums de ses vertus et des louanges divines, auxquelles elle s'occupait continuellement. Elle s'entretenait quelquefois avec ses anges, et ils faisaient alternativement des cantiques divins avec des motifs différents, tirés des mystères de la Divinité et des oeuvres de la création et de l'incarnation; de sorte que dans cet entretien le coeur très-pur de notre Princesse s'embrasait de nouveau de l'amour de Dieu. Saint Joseph contribuait à tout cela par le discret silence qu'il gardait, recueilli en lui-même et absorbé dans une très-sublime

 

(1) Cant., III, 7.

 

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contemplation, afin de permettre, pensait-il, à sa dévote épouse d'en faire autant.

203. l'autres fois, les saints époux parlaient ensemble et conféraient de beaucoup de choses qui regardaient le salut de leur âme, les miséricordes du Seigneur, la venue du Messie, les prophéties qui l'avaient annoncé aux patriarches, et divers autres mystères et secrets du Très-Haut. Il arriva à saint Joseph dans ce voyage une chose qui lui causa de l'admiration : il aimait tendrement son épouse d'un amour, très-saint et très-chaste, ordonné par une grâce spéciale et une dispensation de l'amour divin lui-même (1) ; d'ailleurs le saint était d'un naturel très-noble, trèsbonnète, très-agréable et très-obligeant; tout cela lui inspirait une sollicitude prudente et affectueuse, à laquelle le portaient déjà la sainteté même et la grandeur qu'il reconnaissait en sa divine épouse, comme eu l'objet spécialement favorisé des plus beaux dons du ciel. C'est ainsi que le saint marchait à côté de la très-sainte Vierge, plein de soins et de prévenances, ne cessant de lui demander si elle ne se lassait et se fatiguait point, ou en quoi il pouvait l'aider et la soulager. Or, comme la Reine du ciel portait dans son sein virginal le feu divin du Verbe incarné, le saint ressentait dans son âme, par les paroles et la conversation de son aimable épouse, des effets tout nouveaux dont il ignorait la cause, et bien qu'il se voyait toujours plus enflammé de l'amour divin, et élevé à une

 

(1) Cant, II, 4.

 

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plus haute connaissance des mystères qui faisaient le sujet de leur entretien, par une flamme intérieure et une nouvelle lumière qui spiritualisaient et renouvelaient tout son être; en sorte que plus ils s'avançaient dans le chemin et prolongeaient ces entretiens célestes, plus ces faveurs augmentaient. C'est pourquoi saint Joseph comprenait que les paroles de son épouse, qui pénétraient son coeur et enflammaient sa volonté du divin amour, étaient comme les organes par où elles lui étaient communiquées.

204. Il y avait la quelque chose de si étrange, que le discret époux Joseph ne put manquer d'en être fortement frappé, et quoiqu'il n'ignorât point que tout cela lui arrivait par le moyen de l'auguste Marie, et que, dans l'admiration où il était, il lui eût été d'une consolation singulière d'en rechercher et d'en apprendre la cause sans une vaine curiosité, néanmoins sa modestie fut telle, qu'il n'osa lui demander aucune chose pour s'en éclaircir; le Seigneur le disposant de la sorte, parce qu'il n'était pas encore temps de lui découvrir le secret du grand Roi (1), qui était caché dans le sein virginal. La divine Princesse regardait son époux, connaissant tout ce qui se passait dans le fond de son tueur; et réfléchissantes elle-même avec sa prudence ordinaire, elle vit bien qu'il fallait naturellement que son très-cher et très-chaste époux s'aperçût dans la suite de sa grossesse, et qu'elle ne la lui pouvait pas cacher. Notre aimable Reine ignorait alors les voies dont Dieu

 

(1) Tob., XII, 7.

 

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se servirait pour conduire ce mystère; mais, quoiqu'elle n'eût reçu aucun ordre du Seigneur de le lui cacher, son extrême prudence et sa propre discrétion lui apprirent combien il était bon de le faire, comme un divin secret, et comme le plus grand de tous les mystères : ainsi, après que l'ange le lui eut annoncé, elle le tint caché sans le découvrir à son époux, ni dans cette occasion ni plus tard, lors des angoisses où saint Joseph se trouva quand il eut connaissance de sa grossesse, comme nous le dirons ci-après.

205. O discrétion admirable ! O prudence plus qu'humaine! Votre grande Dame s'abandonna entièrement à la divine Providence en attendant ce qu'elle en ordonnerait; mais elle ressentit quelque peine en prévoyant qu'elle ne pouvait ni empêcher ni dissiper d'avance ses perplexités; Et ce qui augmentait ses peines, c'étaient les réflexions qu'elle faisait sur les grands soins que le saint prenait de sa personne, auxquels elle croyait devoir un juste retour en tout ce qui lui serait prudemment possible. Elle fit pour cela une prière particulière au Seigneur, lui représentant ses pénibles sentiments, son désir de bien faire, et le besoin que Joseph avait de son secours dans l'occasion qu'elle prévoyait, le priant de l'assister et de la diriger en toutes choses. Dans cette anxiété, notre divine Maîtresse exerça des actes héroïques de foi, d'espérance, de charité, de prudence, d'humilité, de patience et de force, donnant la plénitude de sainteté à tout ce qu'elle faisait, parce qu'elle opérait toujours le plus parfait.

 

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206. Ce fut le premier voyage que le Verbe incarné fit en ce monde, quatre jours après y avoir fait son entrée ; cet ardent amour qu'il avait ne put point souffrir de plus longs retards; il fallait que déjà il commençât, en donnant le principe à la justification des mortels en son divin Précurseur (1), à allumer le feu qu'il venait répandre. C'est pourquoi il communiqua cette ardeur à sa très-sainte Mère, afin qu'elle partit en diligence pour aller visiter Élisabeth (2). La divine Dame servit dans cette occasion de char au véritable Salomon; mais bien plus riche, mieux orné et plus léger que celui du premier, auquel le même Salomon la compara dans ses cantiques (3) : ainsi cette sortie fut beaucoup plus glorieuse, agréable et magnifique pour le Fils unique du Père, parce qu'il allait plus commodément dans le sein virginal de sa Mère, où il jouissait de ses délices amoureuses dans lesquelles elle l'adorait, le bénissait, le contemplait, lui parlait, l'écoutait et lui répondait; car elle seule, qui était alors la dépositaire de ce divin trésor et la confidente d'un si magnifique mystère, l'honorait et lui témoignait beaucoup plus de reconnaissance pour les faveurs qu’elle et tout le genre humain en recevaient, que tous les hommes et les anges ensemble ne l'auraient su faire.

207. Durant le trajet qu'ils parcoururent en quatre jours, nos saints voyageurs n'exercèrent pas seulement les vertus qui ont Dieu pour objet et beaucoup

 

(1) Luc., XII, 49. — (2) Luc., I, 89. — (3) Cant., III, 9.

 

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d'autres intérieures, mais ils pratiquèrent aussi plusieurs actes de charité envers le prochain, parce que notre charitable Dame ne pouvait pas être oisive en présence de ceux qui avaient besoin de secours. Ils ne trouvaient pas partout le même accueil; parce que quelques-uns, laissés dans leur naturelle inadvertance, les congédiaient avec rusticité : d'autres, mus de la divine grâce, les recevaient avec plaisir et amour. Mais la Mère de la miséricorde ne refusait à personne celle qu'elle pouvait exercer en sa faveur; c'est pourquoi elle n'en laissait échapper aucune occasion; et si elle pouvait décemment visiter ou chercher les pauvres, les malades et les affligés, elle les secourait et les consolait, ou bien elle les guérissait de leurs maladies. Je ne m'arrête point à raconter tous les faits de ce genre. Je dirai seulement l'heureuse rencontre qu'une pauvre fille malade eut de notre grande Reine dans un village par où elle passait, au premier jour de son départ. La charitable Princesse la vit, et, touchée de compassion de l'état dangereux dans lequel elle était, se servit de son pouvoir, et, comme Maîtresse des créatures, elle commanda à la fièvre de quitter cette fille, et aux humeurs de reprendre leur cours et leur tempérament naturel. Grâce à ce commandement et à la très-douce présence de la très-pure Marie, le corps de la malade se trouva aussitôt dans une parfaite santé, et son âme dans un meilleur état : elle vécut ensuite fort saintement, parce qu'elle ne perdit jamais le souvenir de sa bienfaitrice; elle en conserva toujours l'image dans son imagination, et elle lui porta toute sa vie un

 

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amour intime, quoiqu'elle ne revit plus notre divine Princesse, et que ce miracle ne fût point divulgué.

208. Le quatrième jour de leur voyage ils arrivèrent à la ville de Juda, qui était le lieu où Élisabeth et Zacharie demeuraient. C'était le nom propre de cette ville, où les parents de saint Jean se trouvaient alors, et c'est pour cela que l'évangéliste saint Luc l'appelle Juda (1), quoique la plupart des commentateurs de l'Évangile aient cru que ce n'était pas son nom propre, mais qu'elle le tirait de cette province qu'on appelait Juda ou Judée, comme l'on appelait aussi pour cette raison montagnes de Judée celles qui de la partie australe de Jérusalem s'étendent vers le midi. Mais ce 'qui m'a été manifesté, est que la ville était appelée Juda, et que l'évangéliste la nomme par son propre nom , bien que les docteurs aient pris communément pour le nom de Juda celui de la province où elle se trouvait. Cela vient de ce que cette ville, appelée Juda, fut ruinée quelques années après la mort de notre Seigneur Jésus-Christ; et comme les commentateurs n'en ont trouvé nulle part aucune mention, ils ont cru que saint Luc, par le, nom de Juda, avait entendu la province et non point le lieu; et c'est à cela qu'il faut attribuer les diverses opinions sur la difficulté de savoir qu'elle était la ville où se fit la visitation.

200. Et parce qu'il m'a été ordonné de déclarer plus exactement cet article à cause de la nouveauté

 

(1) Luc., I, 89.

 

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que l'on y peut trouver; ayant fait ce que l'obéissance m'a prescrit à cet égard, je dis que' la maison de Zacharie et d'Élisabeth où la visitation se fit, fut dans le même endroit où maintenant ces mystères divins sont honorés par les fidèles qui habitent les saints lieux de la Palestine, et par les pèlerins qui y vont satisfaire leur dévotion. Et bien que la ville de Juda, où la maison de Zacharie se trouvait, ait été ruinée, le Seigneur ne permit point que l'on perdit entièrement la mémoire de lieux si vénérables, témoins de tant de mystères et consacrés par les pas de la très-pure Marie, de notre Seigneur Jésus-Christ, de Jean-Baptiste et de ses saints parents. Ainsi les anciens fidèles qui firent construire ces églises et qui réparèrent les lieux saints, furent éclairés, indépendamment du flambeau de la tradition, d'une lumière divine, pour connaître la vérité dans tous ces cas, afin que la mémoire de mystères si admirables fût renouvelée, et que les fidèles eussent dans la suite le bonheur de les adorer, confessant la foi catholique dans les lieux sacrés de notre rédemption.

210. II faut remarquer, pour confirmer ce point, que le démon ayant reconnu, au moment de la mort de Jésus-Christ, que cet adorable Seigneur était Dieu et rédempteur des hommes, travailla avec nue fureur incroyable à en effacer la mémoire de la terre des vivants, comme dit Jérémie (1), aussi bien que celle de sa très-sainte Mère. Ainsi il fit en sorte que la sainte

 

(1) Jerem., XI, 19.

 

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croix une fois fût cachée et enterrée, une autre fois prise et emportée en Perse , et dans cette même vue il fit que plusieurs des lieux saints furent ruinés et abolis. De là vint que les anges transportèrent si souvent la sainte maison de Lorette, parce que le même dragon qui persécutait cette divine Dame (1) avait déjà excité les esprits des habitants du pays à la destruction complète du sanctuaire dans lequel s'est opéré le très-haut mystère de l'incarnation. Or, c'est par les mêmes machinations de l'ennemi que l'ancienne ville de Juda tomba en ruine, tant à cause de la négligence de ses habitants qui l'abandonnèrent successivement, que par suite de divers accidents et calamités qui lui arrivèrent; mais le Seigneur ne permit point que la maison de Zacharie fût entièrement ruinée, à cause des mystères qui y avaient été célébrés.

211. Cette ville était éloignée, comme j'ai dit, de vingt-sept lieues de Nazareth , et environ de deux lieues de Jérusalem, dans cette partie des montagnes de Judée où le torrent de Sorec a sa source. Après la naissance de saint Jean, et quand la très-pure Marie et son saint époux eurent pris congé pour sen retourner à Nazareth, sainte Élisabeth out une révélation divine qui lui apprit qu'un désastre effroyable frapperait bientôt les enfants de Bethléem et des environs (2). Et bien que cette révélation fût faite dans ces termes vagues et généraux qui ne précisaient et

 

(1) Apoc., XII, 13. — (2) Matth., II,16.

 

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ne spécifiaient rien, elle détermina la mère de saint Jean à se retirer avec son mari Zacharie à Hébron, distante de Jérusalem d'environ huit lieues. Les saints y allèrent, parce qu'ils étaient riches, nobles, et qu'ils avaient des maisons et des biens non-seulement en Juda et en Hébron, mais en plusieurs autres endroits. Et quand notre Reine et saint Joseph, fuyant la cruauté d'Hérode, partirent pour l'Égypte (1) (quelques mois après la naissance du Verbe, qui eut lieu après celle de Jean-Baptiste), alors sainte Élisabeth et Zacharie habitaient à Hébron ; et Zacharie mourut quatre mois après que notre Seigneur Jésus-Christ fut né, et dix après qu'Élisabeth eut mis. son fils au monde. J'en ai dit assez pour éclaircir ce doute; ainsi la maison où la visitation a eu lieu n'était ni à Jérusalem , ni à Bethléem , ni à Hébron , mais en la ville qu'on appelait Juda. Et c'est ce que j'ai découvert par la lumière du Seigneur, aussi bien que les autres mystères de cette divine histoire, et l'ayant ensuite demandé nue autre fois à l'ange, pour obéir à de nouveaux ordres, il me le déclara de nouveau.

212. Ils arrivèrent enfin à cette ville de Juda et à la maison de Zacharie. Saint Joseph prit les devants pour prévenir ceux qui s'y trouvaient; et les appelant il les salua de ces paroles : Le Seigneur soit avec vous et remplisse vos âmes de sa divine grâce. Sainte Élisabeth était déjà avertie, car le Seigneur lui même lui avait révélé que sa cousine Marie de Nazareth partait

 

(1) Matth., II, 14.

 

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pour la visiter. Elle apprit seulement dans cette vision combien la divine Dame était agréable aux yeux du Très-Haut; quant au mystère de la maternité divine, il ne lui fut révélé qu'au moment où elles se saluèrent en particulier. Or Élisabeth , informée de son arrivée, sortit incontinent avec quelques-uns de sa famille pour recevoir la très-sainte Vierge, qui (comme la plus humble et la moins avancée en âge) fut la première à saluer sa parente, et lui dit: Le Seigneur soit avec vous, ma très-chère cousine. Et le même Seigneur (répondit Élisabeth) vous récompense d'avoir pris la peine de venir me donner cette consolation. Après cela elles montèrent à la maison de Zacharie, et s'étant toutes deux retirées en particulier, il arriva ce que je dirai dans le chapitre suivant.

 

Instruction que notre Reine et Maîtresse me donna.

 

213. Ma fille, quand la créature donne le juste prix aux bonnes couvres et à l'obéissance qu'elle doit au Seigneur, qui les lui ordonne pour sa gloire, elle éprouve alors un grand bonheur à les pratiquer, une douceur singulière à les entreprendre, et mue vive ardeur pour les continuer, et ces effets rendent témoignage de la vérité et du profit qu'elles renferment. Mais l'âme ne peut pas ressentir ni expérimenter ces

 

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mêmes effets, si elle n'est entièrement soumise au Seigneur, et attentive à tout ce que sa divine volonté demande d'elle pour l'écouter avec joie, et l'exécuter avec une agréable diligence, sans se soucier de ses propres inclinations et commodités, comme le serviteur fidèle qui cherche uniquement à faire la volonté de son maître et non la sienne. C'est la manière utile d'obéir que toutes les créatures doivent à Dieu, et surtout les religieuses, qui s'y sont obligées par un voeu particulier. Et afin que vous la pratiquiez, ma très-chère fille, dans toute sa perfection, considérez avec quelle estime David parle en plusieurs endroits es commandements du Seigneur, de ses paroles, de la justice de ses prescriptions, des effets qu'elles produisaient en lui et qu'elles produisent toujours dans les âmes, lorsqu'il proclame qu'elles donnent la sagesse aux enfants, qu'elles réjouissent le coeur humain, qu'elles éclairent les yeux de l'intelligence, qu'elles lui servent d'une très-claire lumière pour se conduire dans toutes ses voies, qu'elles sont plus douces que le miel, plus désirables et plus estimables que l'or et que, les pierres les plus précieuses. Cette prompte soumission à la volonté et à la loi divine rendit David selon le coeur de Dieu; car tels il veut ses serviteurs et ses amis (1).

214. Or regardez, ma fille, avec une très-grande estime les oeuvres de vertu et de perfection que vous savez cotre du bon plaisir de votre Seigneur; ayez soin

 

(1) Lib. Psal., passim; II Reg., XIII, 14; Act., XIII, 22.

 

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de n'en mépriser, de n'en rejeter, de ne laisser d'en entreprendre aucune, quelque violence qu'il vous faille faire à votre faiblesse et à vos inclinations. Placez votre confiance en Dieu ; mettez-vous bravement à l'oeuvre, et vous verrez que son pouvoir vaincra incontinent toutes les difficultés; aussitôt vous reconnaîtrez par une heureuse expérience combien léger est le fardeau et combien doux est le joug du Seigneur (1), et qu'en parlant ainsi, le divin Maître n'a trompé personne, comme voudraient se l'imaginer les lâches et les négligents, qui par leur mollesse et leur peu de confiance combattent tacitement cette vérité. Je veux aussi que, pour m'imiter dans cette perfection, vous fassiez réflexion sur la faveur que la divine clémence me fit en me donnant une pitié et une affection très-douce envers les créatures , comme étant des ouvrages qui participent à la bonté et en quelque façon à l’Être divin. Je souhaitais par cette affection de consoler, de soulager et d'animer toutes les âmes, et par une compassion naturelle, je leur procurais toute sorte de bien spirituel et corporel; je ne désirais du mal à personne , pour grand pécheur qu'il frit : au contraire, c'est vers les pécheurs que je m'inclinais vivement de toute la compatissante de mon coeur, pour leur obtenir le salut éternel. C'est de cette tendre affection que j'avais pour tous les hommes que naissait la peine que j'avais en pensant combien ma grossesse tourmenterait mon époux Joseph, lui

 

(1) Matth., XI, 30.

 

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que je devais plus aimer que tous les autres. Cette douce pitié, je l'éprouvais surtout pour les affligés et les malades, et je tâchais toujours de leur procurer quelque soulagement. Et je veux que dans les applications de ce sentiment, dont vous devez user avec prudence, vous m'imitiez autant qu'il vous sera passible.

 

CHAPITRE XVII. Le salut que la Reine du ciel fit à sainte Élisabeth, et la sanctification de Jean.

 

215. Sainte Élisabeth avait accompli le sixième mois de sa grossesse, et le précurseur futur de notre Seigneur Jésus-Christ était dans la prison du sein maternel, lorsque la très-sainte Mère Marie arriva à la maison de Zacharie. La condition du petit corps de Jean était dans l'ordre naturel, et beaucoup plus parfaite que celle des autres, à cause du miracle qui se fit dans la conception d'une Mère stérile, et parce que Dieu lui destinait la plus grande sainteté qu'il y eût entre les enfants des hommes (1). Mais son âme,

 

(1) Matth., XI, 11.

 

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était alors plongée dans les ténèbres du péché qu'elle avait contracté en Adam, comme les autres enfants de ce premier et commun père du genre humain. Et comme, par la loi commune et générale, les mortels ne peuvent recevoir la lumière de la grâce qu'après avoir reçu celle du soleil matériel, c'est pour cela qu'en suite du premier péché que l'on contracte, avec la nature, le sein maternel nous sert comme d'une prison ou d'un cachot, d'autant que nous sommes coupables en notre père et chef Adam (1). Notre Seigneur Jésus-Christ voulut devancer, au profit de son grand prophète et précurseur, l'heure de ce grand bienfait, en lui accordant par anticipation la lumière de la grâce et la justification six mois après que sainte Élisabeth l'eut conçu, afin que sa sainteté fût privilégiée, comme devait être l'office de précurseur et de. baptiste.

216. Après le premier salut que la très-pure Marie fit à sa cousine Élisabeth, elles se retirèrent toutes deux en particulier, comme j'ai dit à la fin du chapitre précédent. Et dans cette retraite la Mère de la grâce salua de nouveau sa parente (2), et lui dit Dieu vous garde, ma très-chère cousine et sa divine lumière vous communique la grâce et la vie. A ces paroles de la très-sainte Vierge, Élisabeth fut remplie du Saint-Esprit (3), et son intérieur fut si fort éclairé qu'elle connut dans un instant de très-hauts mystères et de très - profonds secrets. Ces effets et ceux que

 

(1) Rom., V, 12. — (2) Luc., I, 40. — (3) Ibid., 41.

 

 

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l'enfant ressentit en même temps dans le sein de sa mère, résultèrent de la présence du Verbe incarné dans celui de Marie, où, se servant de la voix de sa très-sainte Mère comme d'un instrument, il commença d'user de la puissance que le Père éternel lui donna, pour sauver et justifier les âmes, en qualité de leur restaurateur (1). Et comme il exerçait cette puissance en tant qu'homme, ce petit corps adorable, quoiqu'il ne fût conçu que depuis huit jours (chose merveilleuse), ne laissa pas que de se mettre dans ce même sein virginal , en une posture humble pour prier le père; et dans cette prière il demanda la justification de son précurseur futur; et la très sainte Trinité la lui accorda.

217. Saint Jean, qui était dans le sein de sa mère, fut le troisième pour lequel notre Rédempteur pria particulièrement, étant lui-même dans celui de Marie car celle-ci fut la première pour qui il rendit grâces et adressa à son Père diverses demandes et prières; saint Joseph, en qualité de son époux, obtint le second rang dans les prières que fit le Verbe incarné, comme nous l'avons dit su chapitre douzième; et le précurseur eut le troisième dans l'intercession spéciale qu'il offrit en faveur de personnes déterminées et nominativement désignées. Le bonheur et le privilège de saint Jean furent si grands, que notre Seigneur Jésus-Christ présenta au Père éternel ses mérites, la passion et la mort qu'il venait souffrir pour les hommes; et, en vertu de

 

(1) Matth., IX, 6.

 

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tout cela, il demanda la sanctification de cette âme, et il nomma et signala l'enfant qui devait naître saint pour être son précurseur, pour rendre témoignage de sa venue au monde (1), et pour disposer le coeur de son peuple à le connaître et à le recevoir (2); il sollicita en faveur de cet élu toutes les grâces, tous les dons, toutes les faveurs convenables et proportionnées à la sublimité de son ministère, et le Père accorda tout ce que son Fils unique humanisé lui demanda.

218. Cela se fit avant le salut et les paroles de la très-sainte Vierge Et au moment où la divine Dame prononça la formule que nous avons rapportée, Dieu regarda l'enfant dans le sein de sainte Élisabeth, lui donna le plus parfait usage de la raison, et l'éclaira par des secours extraordinaires de la divine lumière, afin qu'il se préparât à sa mission en connaissant le bien qu'il recevait. Par cette disposition., il fut délivré du péché originel et sanctifié, constitué fils adoptif du Seigneur et rempli du Saint-Esprit, avec une grâce très-abondante et une plénitude de dons et de vertus, de sorte que toutes ses facultés furent sanctifiées, dociles et soumises à la raison. Ainsi s'accomplit ce que l'ange saint Gabriel avait dit à Zacharie, que son fils serait rempli du Saint-Esprit jusque dans le ventre de sa mère (3). Au même instant l'heureux enfant vit, du lieu où il était, le Verbe incarné : le sein maternel lui servant comme d'un verre fort clair, et celui de l'auguste Marie, d'un très-pur cristal; et, se mettant

 

(1) Joan., 1,7. — (2) Luc., 1, 17. — (3) Ibid., 15.

 

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à genoux, il y adora son Créateur et son Rédempteur. Et ce fut le tressaillement de joie que sainte Élisabeth sentit et remarqua en son enfant et dans son sein (1). Le petit Jean reconnut par beaucoup d'autres actes pieux le bienfait dont il était l'objet; il exerça toutes les vertus qui se rattachent à la foi, à l'espérance, à la charité, au culte, à la gratitude, à l'humanité, à la dévotion , et les autres vertus qu'il pouvait opérer dans cet état. Il commença dès lors à mériter et à croître en sainteté, sana en déchoir jamais, et sans cesser d'agir avec toute la force de la grâce.

219. Sainte Élisabeth connut au même moment le mystère de l'incarnation, la sanctification de sou fils; la fin et les mystères de cette nouvelle merveille. Elle connut aussi la pureté virginale et la dignité suprême de l'auguste Marie. En cette occasion, la divine Reine étant toute absorbée dans la vision de ces mystères et de là Divinité qui opérait en son très-saint Fils, fut toute divinisée et remplie de la lumière des dons auxquels elle participait. Sainte Élisabeth la vit dans cette majesté; elle vit aussi comme à travers la glace la plus transparente le Verbe humanisé dans le sein virginal, comme dans une couche d'un cristal ardent et animé. L'instrument efficace de tous ces admirables effets, ce fut la voix de la très-pure Marie, aussi forte et aussi puissante que douce aux oreilles du Très-Haut; toute cette vertu était comme émanée de celle qu'eurent ces puissantes paroles : Fiat mihi secundum

 

(1) Luc., I, 44.

 

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verbum tuum (1), par lesquelles elle attira le Verbe éternel du sein du Père dans son entendement et dans ses sacrées entrailles.

220. Sainte Élisabeth, ravie en admiration par les choses qu'elle ressentait et découvrait en des mystères si divins, fut toute transportée d'une joie spirituelle du Saint-Esprit, et, considérant la Reine de l'univers et ce qu'elle y apercevait, elle exhala ses sentiments en s'écriant à haute voix, suivant le récit de saint Luc : « Vous êtes bénie entre les femmes, et le fruit de votre ventre est béni. Et d'où me vient ce bonheur, que  la Mère de mon Seigneur me visite? Car je n'ai pas plutôt entendu votre voix, lorsque vous m'avez  saluée, que mon enfant a tressailli de joie dans mon  sein. Vous ôtes bienheureuse d'avoir cru, car les   choses que le Seigneur vous a dites seront accomplies (2). a Sainte Élisabeth renferma dans ces paroles prophétiques de grandes excellences de l'auguste Marie, voyant à la lumière divine ce que le pouvoir du Tout-Puissant avait opéré en elle, ce qu'il opérait alors, et ce qu'il y devait opérer dans la suite. En entendant ces paroles, le petit Jean connut et comprit tout cela dans le sein de sa mère, qui, tout éclairée à l'occasion de sa sanctification, exalta pour elle-même et pour son fils, comme l'instrument de leur commun bonheur, cette très-pure Marie, que lui ne pouvait encore ni bénir ni louer par sa propre bouche, dans l'état où il était.

 

(1) Luc., 1, 38. — (3) Ibid., 48-45.

 

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221. A ce discours de sainte Élisabeth, qui élevait si haut notre grande Reine, la Maîtresse de la sagesse et de l'humilité répondit en renvoyant toutes ses louanges à l'auteur même de ces merveilles, et de la voix la plus douce et la plus mélodieuse elle entonna le cantique du Magnificat, que nous répète saint Luc : « Mon âme glorifie le Seigneur; et mon  esprit se réjouit en Dieu mon Sauveur, de ce qui il a a regardé la bassesse de sa servante, car désormais je  serai appelée bienheureuse dans la durée de tous les a siècles. Parce que le Tout-Puissant a fait en moi de  grandes choses, et son nom est saint. Sa miséricorde s'étend de génération en génération sur ceux  qui le craignent. Il a déployé la puissance de son  bras; il a dissipé les desseins que les hommes superbes formaient dans leur coeur. Il a renversé les  puissants de leurs trônes, et il a élevé les humbles Il a comblé de biens ceux qui étaient pressés de la  faim, et a réduit à la disette ceux qui vivaient dans  l'abondance. Il a pris en sa protection Israël son  serviteur, se souvenant de sa miséricorde, qu'il avait  promise à nos pères, à Abraham et à sa postérité  pour jamais (1). »

222. Comme sainte Élisabeth fut la première qui ouït ce doux cantique de la bouche de la très-pure Marie, elle fut aussi la première qui l'approfondit et qui le commenta par l'intelligence infuse qu'elle en avait reçue. Elle y découvrit plusieurs des grands

 

(1) Luc., I, 47-57.

 

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mystères qu'y avait renfermés en si peu de paroles celle qui l'avait composé. L'esprit de l'auguste Marie glorifia le Seigneur pour l'excellence de son être infini (1); elle lui rapporta et lui donna toute la gloire et toute la louange, comme au principe et à la fin de toutes ses oeuvres (2), comprenant et confessant que la créature ne se doit glorifier et réjouir qu'en Dieu seul, puisque lui seul est tout son bien et toute sa félicité (3). Elle confessa aussi l'équité et la magnificence du Très-Haut dans les soins qu'il prenait des humbles (4), en leur communiquant son amour et son esprit divin avec largesse; et combien il était juste que les mortels vissent, connussent et considérassent que ce fut par cette humilité qu'elle mérita que toutes les nations l'appelassent bienheureuse, et que par cette vertu tous les humbles mériteront aussi le même bonheur, chacun selon son degré. En un mot elle manifesta aussi toutes les miséricordes et tous les bienfaits que le Tout-Puissant lui fit, et toutes les faveurs qu'elle recevait de son saint et admirable nom (5), les appelant de grandes choses, parce qu'il n'aurait su y en avoir de petite, avec une capacité et une disposition aussi immenses que celles de cette grande Reine.

223. Comme les miséricordes du Très-Haut débordèrent de la plénitude de l'auguste Marie sur tout le genre humain, comme elle est la porte du ciel par où elles sortirent et sortent toutes, par où nous

 

(1) Luc., I, 47. — (2) I Tim., I, 17; Apoc., I, 8. — (3) II Cor., X, 17, 18. — (4) Ps. CXXXVII, 6. — (5) Luc., I, 49.

 

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devons tous entrer dans la participation de la Divinité, elle confessa que la miséricorde du Seigneur s'étendra par elle sur toutes les générations  pour se communiquer à ceux qui le craignent (1). Et comme ses miséricordes infinies élèvent les humbles et cherchent ceux qui Je craignent, de même le puissant brai de la justice dissipe et détruit les superbes (2) , et tous les vains projets qu'ils forment dans leur coeur, les renversant de leur trône pour y placer les pauvres et les humbles (3). Cette justice du Seigneur appliqua avec beaucoup de gloire ses premiers et admirables effets sur Lucifer, le chef des superbes, et sur ses adhérents, lorsque le puissant bras du Très-Haut les dissipa et les abattit (car ils se précipitèrent eux-mêmes) de ce rang élevé quant à l'ordre de la, nature et quant à l'ordre de la grâce qu'ils occupaient primitivement dans le plan divin, et dans les desseins de l'amour infini qui veut que tous soient sauvés (4). Ils se précipitèrent par leur, orgueil avec lequel ils essayèrent de monter là où ils ne pouvaient ni ne devaient parvenir (5); par cet orgueil ils tombèrent sous le poids des  justes et impénétrables jugements du Seigneur, qui dissipèrent et abattirent l'ange superbe et tous ses partisans; et les humbles furent mis en leur place par le moyen de la très-sainte Vierge et Mère, qui est la dépositaire des anciennes miséricordes.

 

(1) Luc., I, 51. — (2) Ibid., 51. — (3) Ibid.. 53. — (4) I Tim., II, 4. — (5) Isa., XIV, 13.

 

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224. C'est pour cette mène raison que cette divine Dame dit et confesse; que Dieu a enrichi les pauvres (1), les comblant de l'abondance de ses trésors de grâce et de gloire; et que quant aux riches de leur propre estime, aux hommes enflés d'une présomptueuse arrogance, à ceux dont l'âme n'aspire qu'à se gorger des faux biens dans lesquels `le monde fait consister l'opulence et la félicité, le Très-Haut a renvoyé et renvoie toujours ceux-là vides de la vérité, qui né peut entrer dans des coeurs qu'occupent tout entiers le mensonge et la vanité. Il prit sous sa protection Israël, son serviteur et son enfant, se souvenant de sa miséricorde (2), pour lui enseigner où est la prudence, où est la vérité, où est l'entendement, où sont la longue vie et la nourriture, où sont la lumière des yeux et la paix. Il lui enseigna le chemin de la, prudence et les voies cachées de la sagesse et de la discipline, que n'ont point su découvrir les `princes des nations, et qu'ont ignorés les puissants qui dominent sur les animaux de la terre, qui prennent leur plaisir avec les oiseaux du ciel, et qui amassent des trésors d'or et d'argent, non plus que les enfants d'Agar et les habitants de Theman, qui sont les sages, les prudents et les superbes de ce monde (3). Le Très-Haut communique cette sagesse à ceux qui sont enfants' de lumière et d'Abraham par la foi, 'par l'espérance et par l'obéissance (4) , parce qu'il le promit ainsi et à lui

 

(1) Luc., I, 53. — (2) Ibid., 54. — (a) Baruch., III, 14, 16, 17, 18, 20, 23, 24, 37. — (4) Gal., III, 7.

 

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et à sa postérité spirituelle (1), par le béni et heureux fruit du ventre virginal de la très-pure Marie.

225. Sainte Élisabeth pénétra ces mystères cachés en entendant les paroles de la Reine des créatures, et non-seulement ce que je puis exprimer de ce que cette heureuse Dame y découvrit, mais plusieurs autres grands secrets qui dépassent mon intelligence; je ne veux pas non plus m'étendre sur ce qui m'en a été révélé, parce que je serais trop diffuse dans ce discours. biais les deux saintes et prudentes dames Marie et Élisabeth me rappelèrent, dans les doux et divins entretiens qu'elles eurent, ces deux séraphins qu'Isaïe vit autour du trône du Très-Haut, chantant alternativement ce cantique sublime et toujours nouveau, Saint, satins, etc., et ayant chacun six ailes, deux dont ils voilaient leur face, deux dont ils cachaient leurs pieds, et deux autres dont ils volaient (2). Il est sûr que l'ardent amour de ces très-saintes Dames surpassait celui de tous les séraphins, puisque la seule Marie aimait beaucoup plus qu'eux tous ensemble. Elles s'enflammaient dans ce divin embrasement, étendant les ailes de leur coeur pour se le découvrir mutuellement, et pour voler à la plus haute intelligence des mystères du Très-Haut. Elles voilaient leur face par deux autres ailes d'une rare sagesse, parce qu'elles résolurent toutes deux de garder toute leur vie le secret du grand Roi (3), et parce qu'elles assujettirent aussi leur raison à une foi

 

(1) Luc., I, 55. — (2) Isa., VI, 3 et 4. — (3) Tob., XII, 7.

 

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soumise, exempte d'orgueil et de curiosité. Elles voilèrent les pieds du Seigneur aussi bien que les leur par des ailes séraphiques, étant humiliées et anéanties dans une très-basse estime d'elles-mêmes à la vue d'une si grande Majesté. Que si la très-pure Marie renfermait le souverain Seigneur dans son sein virginal, nous pouvons dire avec raison et avec vérité qu'elle voilait le trône oit le Seigneur faisait sa demeure.

226. Quand l'heure arriva pour les deux saintes femmes de sortir de leur retraite, sainte Élisabeth s'offrit elle-même comme esclave à la Reine du ciel; elle mit toute sa famille à son service et toute sa maison à sa disposition; elle la pria d'accepter pour son oratoire une chambre où elle même avait l'habitude de vaquer à l'oraison, comme le lieu le plus tranquille et le plus propre aux pieux exercices. La divine Princesse l'accepta avec d'humbles remerciements, et se proposa de s'en servir pour s'y recueillir et pour y prendre son repos; et dès lors personne n'y entra que les deux saintes cousines. Notre aimable Reine s'offrit à son tour de servir et d'assister sainte Élisabeth comme sa servante, lui disant que c'était un des principaux motifs de la visite qu'elle lui faisait. Oh! quelle amitié si douce, si sincère et si inséparable, resserrée par le plus fort lien de l'amour divin! Je vois que le Seigneur est admirable, de découvrir le grand mystère de son incarnation à trois femmes plutôt qu'à aucun autre du genre humain: la première fut sainte Anne, comme nous avons dit en son lieu;

 

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la seconde fut a Fille et la Mère du Verbe, la très-pure Marie; la troisième fut sainte Élisabeth et son fils avec elle; mais comme il était alors dans le sein de sa mère, on ne le prend pas pour une autre personne: d'où l'on peut inférer que ce qui semble folie en Dieu surpasse toute la sagesse des hommes, comme dit saint Paul (1).

227. Notre divine Reine et sa cousine Élisabeth sortirent de leur retraite à l'entrée de la nuit; après y avoir demeuré un assez long temps, la très-sainte Vierge vit Zacharie qui était devenu muet; elle lui demanda sa bénédiction comme su prêtre du Seigneur, et le saint la lui donna. Mais quoiqu'elle ne pût le voir dans cet état sans ressentir une affectueuse pitié, comme elle savait le mystère que cette affliction renfermait, elle ne s'empressa pas de lui procurer le remède; néanmoins elle pria pour lui. Sainte Élisabeth, qui connaissait le bonheur du très-chaste époux joseph (que lui-même ignorait), le traita avec beaucoup d'estime et de vénération, et le combla des plus tendres prévenances. Après que le saint eut demeuré trois jours dans la maison de Zacharie, il demanda permission à sa divine épouse de s'en retourner à Nazareth, la laissant en la compagnie de sainte Élisabeth, afin qu'elle l'assistât dans ses couches. Il prit congé avec promesse de revenir chercher notre aimable Princesse quand elle. le ferait avertir. Sainte Élisabeth lui offrit quelques présents, le priant de les

 

(1) I Cor., I, 25.

 

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accepter et de les porter à sa maison; mais il n'en voulut recevoir que fort peu de chose, et cela à cause de ses vives instances, parce que l'homme de Dieu n'était pas seulement amateur de la pauvreté, mais il était aussi d'un coeur magnanime et généreux. Ensuite il prit le chemin de Nazareth avec la petite monture qu'il avait empruntée. Étant arrivé à sa maison, il y fut servi, dans l'absence de son épouse, par une de ses parentes et voisines qui avait le soin de leur porter les choses nécessaires du dehors; lorsque notre très-sainte Dame s'y trouvait.

 

Instruction que la divine Reine me donna.

 

228. Ma fille, afin que votre coeur soit toujours plus embrasé de la flamme du désir que vous avez continuellement d'acquérir la grâce et l'amitié de Dieu, je souhaite fort que vous connaissiez la grande dignité, l'excellence et la félicité de l'âme qui parvient à en être embellie; mais cette beauté est si ravissante et d'un si haut prix, que toutes mes explications ne suffiront point pour vous en donner une juste idée, et il vous sera encore moins possible de l'exprimer par vos paroles. Contemplez le Seigneur, et regardez-le à là divine lumière dont il vous éclaire; elle vous fera voir qu'il lui est bien plus glorieux de justifier une seule âme que d'avoir créé tous. les globes

 

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du ciel et de la terre avec cette suprême perfection naturelle qu'ils présentent. Que si les créatures connaissent la grandeur et la puissance de Dieu par ces merveilles (1), dont elles n'aperçoivent la plupart que par leurs sens corporels, que diraient-elles , que penseraient-elles, si elles voyaient des yeux de l'âme les charmes ineffables que la grâce répand sur tant de créatures capables de la recevoir?

229. Ce ne sont point des mots, ce ne sont point des phrases qui peuvent faire comprendre ce que sont ces communications du Seigneur, cette participation aux perfections divines, dont fait jouir la grâce sanctifiante : on en dit fort peu de chose en l'appelant plus pure et plus blanche que la neige, plus brillante que le soleil, plus précieuse que l'or et les pierreries, plus douce, plus aimable, plus agréable, que les dons les plus riches, que les caresses les plus délicieuses; plus belle enfin que tout ce que les créatures peuvent rêver dans leurs désirs. Considérez aussi, ma fille, la laideur du péché, afin que vous puissiez arriver à une plus grande connaissance de la grâce par son contraire: car les ténèbres, la corruption, les choses les plus horribles et les plus monstrueuses n'en sauraient figurer la difformité et la puanteur. Les martyrs et les saints l'ont bien compris, puisque, pour acquérir et conserver cette beauté, et pour ne pas tomber dans cet abîme de malheur, ils n'ont appréhendé ni les prisons, ni les ignominies, ni le feu, ni les bêtes féroces,

 

(1) Rom., I, 20.

 

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ni les rasoirs, ni les tourments, ni la longueur des peines et des douleurs, ni la mort même (1). Tout cela ne vaut et ne pèse que bien peu de chose; tout cela doit se compter pour rien, sil s'agit de s'élever d'un seul degré sur l'échelle de la grâce. Et ce degré, et 'successivement beaucoup d'autres degrés peuvent être franchis par une âme, fût-elle la plus rabaissée par le monde. Voilà ce qu'ignorent les hommes qui n'estiment et ne convoitent que la beauté passagère et trompeuse des créatures, et à qui les objets qui en sont dépourvus paraissent vils et méprisables.

230. Par tout ce que. je viens de dire, vous jugerez jusqu'à nu certain point du bienfait que le Verbe incarné fit à sou précurseur dans le sein de sa mare. Lui-même l'apprécia, et c'est pourquoi il y tressaillit de la joie la plus vive. Vous saurez aussi ce que vous devez l'aire, et ce que vous devez souffrir pour acquérir et conserver ce bonheur, et pour ne point ternir une si grande beauté par le moindre péché , pour ne point en retarder le développement par la plus légère imperfection. Je ceux qu'en imitant ce que je fis dans la visite que je rendis à ma cousine Élisabeth , vous n'acceptiez ni ne recherchiez aucune amitié humaine, et que, parmi les créatures, vous ne fréquentiez que celles avec qui vous pouvez et devez parler des ouvres et des mystères du Très-Haut, et qui peuvent vous enseigner le véritable chemin de son bon plaisir. Et quelque grands que soient vos embarras et vos occupations,

 

(1) Hebr., XI, 36 et 37.

 

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qu'ils ne vous fassent jamais oublier les exercices spirituels et les règlements de la vie parfaite, parce qu'on doit les observer et les suivre, non-seulement dans la tranquillité, mais encore dans les contradictions, dans les difficultés et dans les occupations les plus pénibles, d'autant plus que la nature imparfaite se relâche à la moindre occasion.

 

CHAPITRE XVIII. La très-pure Marie règle ses exercices dans la maison de Zacharie, et gnelques particularités qui arrivèrent entre les deux saintes cousines.

 

231. Le précurseur du Seigneur ayant été sanctifié, et sa mère sainte Élisabeth renouvelée par de plus grands dons et par des faveurs, spéciales dont la communication était le but principal de la visite de la très-sainte Vierge, cette grande Reine voulut régler les occupations auxquelles elle devait se livrer dans la maison de Zacharie, parce qu'elles ne pouvaient pas être en tout conformes à celles qu'elle avait dans la sienne. Et afin de conduire son désir par la direction de l'Esprit divin, elle se retira dans son oratoire, où elle se prosterna en la présence du Très-Haut, et lui demanda, selon sa coutume, de la gouverner et de lui prescrire ce qu'elle devait faire pendant le temps

 

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qu'elle demeurerait dans la maison de ses serviteurs Élisabeth et Zacharie , afin qu'elle lui fût agréable en toutes choses, et qu'elle accomplit entièrement ce qui plairait le plus à sa divine Majesté. Le Seigneur exauça sa prière, et lui répondit : « Mon Épouse et ma Colombe, je règlerai toutes vos actions, et je conduirai vos pas à ce qui me sera le plus agréable; je  vous marquerai le jour que je veux que vous retourniez à votre maison. Pendant que vous serez   dans celle de ma servante Élisabeth, vous couver serez avec elle. Au surplus, vous continuerez vos a exercices et vos prières, surtout pour le salut des  hommes; vous demanderez toujours que je n'use  point de ma justice envers eux à cause des offenses  continuelles qu'ils commettent et qu'ils multiplient  contre ma bonté. Et en intercédant ainsi pour eux vous offrirez l'Agneau sans tache, que vous portez  dans votre sein, et qui ôte les péchés du monde (1). Voilà quelles seront vos occupations pour le présent. »

232. C'est d'après cette leçon et ce nouveau commandement du Très-Haut que la Princesse du ciel régla toutes les occupations qu'elle devait avoir dans la maison de sa cousine Élisabeth. Elle se levait à minuit, sans manquer jamais à cette pieuse pratique, pour vaquer incessamment à la contemplation des mystères divins, donnant à la veille et au sommeil ce qui était précisément nécessaire à l'état

 

(1) I Petr., I, 19 ; Joan., I, 29.

 

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naturel du corps. Elle recevait du Très-Haut, en chacun de ces temps, des faveurs, des lumières, des élévations et des caresses toujours plus particulières. Pendant les trois mois qu'elle demeura avec sa cousine, elle eut plusieurs visions de la Divinité, de cette manière abstractive qui lui était la plus familière; elle jouissait encore plus souvent de la vision de la très-sainte humanité du Verbe dans l'union hypostatique; parce que son sein virginal où elle le portait, lui servait d'un autel et d'un oratoire perpétuel. Elle le regardait avec les accroissements que ce sacré corps recevait chaque jour; et à la vue de ce développement, à la vue du mystère qu'elle découvrait chaque jour dans le champ immense de la Divinité et de la puissance divine, l'intelligence de cette illustre Dame grandissait aussi. Maintes fois elle aurait succombé à l'excès de son amour, consumée du feu de ses ardentes affections, si la vertu du Seigneur ne l'eût fortifiée. Elle ne laissait pas de s'employer parmi ces occupations secrètes à tout ce qui regardait le service et la consolation de sa cousine Élisabeth , sans y consacrer néanmoins un moment de plus que ce que la charité demandait. Elle s’en retournait incontinent dans sa petite solitude, où elle répandait are esprit en la présence du Seigneur avec plus de liberté.

233. Ses applications intérieures ne l'empêchaient pas non plus de s'occuper bien souvent à des ouvrages manuels. Et le divin précurseur fut si heureux en tout, que cette grande Reine lui fit elle-même les bandes et les langes dans lesquels il fut enveloppé; parce que la

 

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dévotion et la prévoyance de sa mère sainte Élisabeth lui procurèrent cette faveur, qu'elle, sollicita de notre divine Maîtresse avec beaucoup d'humilité et de respect. La très-pure Marie s'empressa de faire la layette avec une incroyable charité et obéissance : elle voulait, pour s'exercer à cette dernière vertu, obéir à celle qu'elle était disposée à servir comme la moindre de ses servantes, surpassant toujours toutes les créatures en humilité et en obéissance. Quoique sainte Élisabeth tâchât de la prévenir en plusieurs choses qui regardaient soli service, elle la devançait néanmoins pan sa rare prudence et par sa sagesse incomparable, et sa constante prévoyance lui faisait toujours remporter la palme de la vertu.

234. Les deux saintes cousines avaient ainsi de grandes et douces disputes qui étaient fort agréables 'au Très-Haut, et faisaient l'admiration des anges : car sainte Élisabeth prenait un grand soin de servir notre aimable Princesse, et de porter tous ceux de sa famille à en faire de même; mais celle qui était la Maîtresse des vertus, toujours plus officieuse, prévenait et évitait avec une adresse admirable les soins de sa cousine, et lui disait : « Ma cousine, je trouve ma consolation a à être commandée, et mon plaisir est de toujours  obéir: il n'est pas juste qu'étant la plus jeune, votre  amitié me prive des douceurs que cette habitude me a procure; la même raison demande que non-seulement je vous serve comme ma Mère, mais que je a serve aussi tous ceux de votre maison. Traitez-moi  donc comme votre servante tant que je jouirai de

 

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votre compagnie. Sainte Élisabeth lui répondit Madame et ma bien-aimée, au contraire je dois vous obéir, et vous devez me commander et me gouverner en toutes choses; et je vous demande cette grâce avec bien plus de justice, parce que si vous voulez,  Madame, exercer l'humilité, moi je dois le culte et la révérence à mon Dieu et à mon Seigneur, que  vous portez dans votre sein virginal; et je connais  votre dignité, qui mérite toute sorte d'honneur et

de respect. » Mais la très-prudente Vierge lui repartait: « Mon Fils et mon Seigneur ne m'a pas élue pour Mère afin que l'on me regardât pendant cette vie  comme Maîtresse; car son royaume n'est pas de ce monde (1), et il n'y vient pas. pour être servi, mais pour y servir (2), y souffrir et y enseigner aux mortels la pratique de l'obéissance et de l'humilité (3), a en condamnant leur luxe et leur orgueil. Or, si la  Majesté souveraine me donne cette leçon et s'appelle a l'opprobre des hommes (4), comment permettrai-je, moi qui suis sa servante et qui ne mérite point la  compagnie des créatures, que celles qui sont formées à son image et à sa ressemblance (5) me servent ? »

235. Sainte Élisabeth persistait dans ses sentiments, et disait à sa très-sainte cousine : « Madame, ce que a vous dites pourrait servir à ceux qui ignorent le mystère que vous renfermez; mais moi, qui en ai

 

(1) Joan., XVIII, 36. — (2) Matth., XX, 28. — (3) Matth., XI, 29. — (4) Ps., XXI, 7. — (5) gen., I, 27.

 

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reçu du Seigneur la connaissance sans l'avoir, mérités, je serais fort blâmable devant lui si je ne lui rendais en votre personne l'honneur que je lui dois  comme à mon Dieu, et à vous comme à sa Mère : car il est juste que je vous serve tous deux, comme aune esclave sert ses maîtres. » La divine Marie, répondant à cela, lui disait : « Ma très-chère soeur, cette  vénération que vous désirez justement témoigner est due au Seigneur, que je porte dans mon, sein,  qui est notre souverain bien et notre Sauveur: mais moi, qui ne suis qu'une simple créature, et parmi les créatures qu'un petit vende terre, ne me considérez donc qu'en ce que je suis par moi-même, tout en adorant le Créateur, qui m'a choisie, pour sa pauvre demeure; ainsi, par la même lumière de la vérité, vous donnerez à Dieu ce qui lui est dû, et à moi ce qui m'appartient; c'est-à-dire que vous me laisserez servir et me mettre au-dessous de tout le monde, et c'est ce que je vous demande pour ma consolation et pour l'amour du même Seigneur que  je porte dans mon sein. »

236. Les deux saintes cousines passaient d'heureux et assez longs moments dans ces édifiants débats. Mais la sagesse divine rendait notre Reine si ingénieuse en matière d'humilité et d'obéissance, qu'elle en sortait toujours victorieuse, imaginant mille moyens de se faire commander pour pouvoir obéir, C'est ainsi qu'elle agit avec sainte Élisabeth tout le temps qu’elles demeurèrent ensemble; mais la chose se passait de telle sorte, que toutes dent traitaient respectivement

 

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avec magnificence le mystère du Seigneur qui était caché et mis en dépôt dans le sein de la très-pure Marie, comme Mère et Maîtresse des vertus et de la grâce; et dans le coeur de sa cousine Élisabeth, comme matrone très-prudente et remplie de la lumière du Saint-Esprit. Ce fut par cette même lumière qu'elle régla la manière de se comporter envers la Mère. de Dieu, en lui obéissant autant que possible, et en combinant la déférence qu'elle montrait à ses désirs avec le respect qu'elle devait à sa dignité, et en elle, à son Créateur. Elle se dit donc en elle-même, que si elle ordonnait quelque chose à la Mère de Dieu , ce ne serait que pour lui obéir et pour la satisfaire; lorsqu'elle le faisait, elle en demandait la permission et pardon au Seigneur : loin, d'ailleurs, de lui donner jamais aucun ordre en termes impératifs, elle employait la prière, et elle n'usait d'une certaine autorité que lorsqu'il s'agissait de procurer quelque soulagement à notre aimable Reine, comme de la faire manger ou dormir. Elle la pria aussi de faire quelques petits ouvrages pour elle, ce que notre Princesse fit avec bien du plaisir : mais sainte Élisabeth ne s'en servit jamais, parce qu'elle les garda avec beaucoup de vénération.

237. La très-sainte Vierge acquérait par ces moyens la pratique de la doctrine que le Verbe incarné venait enseigner, s'humiliant, lui qui était la forme du Père éternel, la figure de sa substance (1) , et, Dieu véritable

 

(1) Hebr., I, 3.

 

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de Dieu véritable, jusqu'à prendre la forme et le ministère d'esclave (1). Cette auguste Dame était Mère de Dieu, Reine de tout ce qui est créé, supérieure en dignité et en excellence à toutes les pures créatures, et cependant elle se soumit toujours aux moindres; elle n'en reçut jamais aucun service comme une chose qui lui fût due, elle ne s'enorgueillit point et ne sortit jamais des très-bas sentiments qu'elle avait d'elle-même. Quelles excuses pourront alléguer ici notre, présomption et notre vanité insupportable, puisque étant rempli de péchés abominables, nous sommes si insensés que de croire, par la plus horrible des folies, que tout nous soit dû, et que le monde entier doive fort s'empresser de nous honorer et de nous rendre, service? Et si on nous le refuse, nous perdons aussitôt le peu de bon sens que nos passions nous peuvent avoir laissé. Toute cette histoire divine est un tableau d'humilité qui condamne notre orgueil. Et attendu qu'il ne m'appartient pas d'enseigner ni de corriger, mais plutôt d'être enseignée et dirigée, je prie tous les fidèles enfants de lumière de se mettre comme moi cet exemplaire devant les yeux, afin que nous nous humiliions à son imitation.

218. Il n'aurait, pas été difficile au Seigneur d'exempter sa très-sainte Mère de toutes ses actions d’une humilité si extrême par lesquelles il l'exerçait; il aurait bien pu aussi lui donner quelque marque de distinction parmi les créatures, ordonnant qu'elle

 

(1) Philip., p, 6 et 7.

 

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eût été louée et honorée de toutes, avec les démonstrations que le monde fait pratiquer envers ceux qu'il veut honorer et élever, comme Assuérus le st à l'endroit de Mardochée (1). Et si tout cela avait été soumis au jugement des hommes, peut-être eussent-ils ordonné que la femme qui était plus sainte que toutes les hiérarchies célestes, et qui portait dans son sein le Créateur des anges et des cieux eux-mêmes, eût toujours vécu à l'écart, entourée des égards et de l'adoration de toutes les créatures; il leur eût paru indigne qu'elle se fût adonnée à des occupations vulgaires et serviles, qu'elle n'eût pas usé en tout de son empire, et qu'elle n'eût pas reçu toute sorte de vénération et d'autorité. C'est tout ce que la sagesse humaine, si l'on peut l'appeler sagesse, aurait pu faire, parce qu'elle ne pénètre pas plus loin. Mais ces illusions sont étrangères à la véritable science des saints, émanée de la sagesse infinie du Créateur, qui donne le nom et le juste prix aux honneurs, et qui ne renverse point les conditions des créatures. Le Très-Haut aurait ôté beaucoup à sa très-chère Mère, et lui aurait donné fort peu en cette vie s'il l'eût privée et retirée des œuvres d'une très-profonde humilité., et élevée en même temps par les applaudissements et les honneurs extérieurs des hommes; et le monde aurait fait une fort grande perte, s'il n'eût pas eu cette doctrine pour le désabuser, et, cet exemple pour humilier et confondre son orgueil.

 

(1) Esth., VI, 10.

 

239. Sainte Élisabeth fut fort favorisée du Seigneur dès le jour qu'elle eut le bonheur de l'avoir pour hôte dans le sein de sa Mère, vierge. Par les entretiens familiers de cette divine Reine et par la connaissance qu'elle avait des mystères de l'incarnation, elle croissait en toute sorte de sainteté, comme celle qui la puisait à sa propre source. Elle méritait de voir quelquefois la très-sainte Vierge dans ses extases, élevée de terre, et remplie d'une splendeur si divine et d'une beauté si éblouissante, qu'il ne lui était pas possible de la regarder au visage, et elle n'aurait pas môme pu, soutenir l'éclat de sa présence si la vertu divine ne l'eût fortifiée. Quand elle la pouvait voir à son insu dans ces occasions, comme aussi dans plusieurs autres , elle me prosternait à ses pieds, et elle adorait le Verbe incarné dans le sein virginal de sa très-heureuse Mère, comme dans son temple sacré. Cette sage matrone gaula dans son coeur tous les mystères qu'elle connut par la lumière divine et par la fréquentation qu'elle eut avec notre grande Peine, comme une très-fidèle et très-prudente dépositaire du secret qui lui avait été confié. Que si après la naissance du petit Baptiste, elle s'entretint avec lui et avec Zacharie de quelques mystères, ce ne fut que de ceux qui leur étaient communs, et nous pouvons dire qu'elle fut en toutes choses une fournie forte, sage et sainte.

 

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Instruction que la Reine du ciel me donna.

 

240. Ma fille, les bienfaits du Très-Haut, et la connaissance de ses divins mystères font naître dans les Mmes bien disposées un goût et une estime de l'humilité qui les portent aussi doucement qu'efficacement à se mettre à leur place légitime et naturelle, comme le feu tend a s'élever par sa légèreté, comme la pierre tend à descendre par son propre poids. Voilà ce que fait la véritable lumière : elle procure et donne à la créature la claire connaissance d'elle-même, et elle renvoie les ouvres de la grâce à leur origine, d'où vient tout doit parfait (1). Elle établit ainsi chaque chose dans son centre; et c'est l'ordre parfait qu'indique la droite raison , mais qui trouble et violente pour ainsi dire là vaine présomption des mortels. C'est pourquoi l'orgueil et l'orgueilleux ne sauraient désirer le mépris, ni le supporter avec patience, ni souffrir un supérieur, ni même s'accorder avec des égaux ; ils font tous leurs efforts pour dominer seuls sur tous les autres. Mais c'est au milieu des plus grands bienfaits que le coeur humble s'abaisse davantage; ils ne font que produire en lui , malgré le calme dont il jouit, une sainte et ardente cupidité ales humiliations; il cherche toujours la dernière place, et il est comme à la torture lorsqu'il ne la trouve pas derrière tons les antres, lorsque les

 

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occasions de pratiquer l'humilité lui échappent.

241. Vous connaîtrez en moi, ma très-chère fille, la véritable pratique de cette doctrine, puisque parmi tant de bienfaits que je reçus de la droite du Tout-Puissant, il n'y en eut aucun de petit; cependant mon coeur ne s'éleva et ne s'enfla jamais de présomption (1), et il ne sut désirer que les abaissements qui pouvaient me mettre au-dessous de toutes les créatures. Je tiens singulièrement à ce que vous m'imitiez en cela, à ce, que tout votre soin soit d'être la dernière de toutes, d'obéir toujours, d'être soumise à tous, d'être, réputée la plus inutile; enfin vous devez vous estimer moins que la poussière devant le Seigneur et devant les hommes. Vous ne pouvez pas nier que vous n'ayez été plus favorisée que mille générations, et que vous ne soyez celle qui l'a le moins mérité; or comment vous acquitterez-vous de cette grande obligation, si vous ne vous humiliez envers tous et plus que tous les enfants d'Adam, si vous ne concevez une très-haute estime pour l'humilité, et si vous n'aimez tendrement cette vertu? Il est juste que vous obéissiez à vos supérieurs, et c'est ce que vous devez toujours faire. Mais j'exige de vous que vous alliez plus loin, et qu'en tout ce qui ne sera point péché, vous obéissiez ait plus petit comme vous obéiriez au plus grand; et c'est ma volonté que vous soyez fort exacte en cette pratique comme je l'étais

 

(1) Ps. CXXX, 4.

 

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242. Vous prendrez seulement garde à exercer cette soumission envers vos inférieurs avec plus de retenue, de peur que, ne connaissant point le désir que vous avez d'obéir, elles ne veuillent que vous le fassiez quelquefois en ce qui n'est pas convenable. Mais vous pouvez acquérir de grands mérites sans qu'elles perdent rien de leur obéissance, en ne leur montrant l'exemple qu'avec ce juste tempérament qui sauvegarde les droits de la supérieure. Si l'on vous fait quelque tort, si l'on vous donne quelque sujet de déplaisir, souffrez-le, acceptez-le (pourvu qu'il vous soit personnel) avec une grande estime, sans ouvrir la bouche pour vous défendre ni pour vous en plaindre; et reprenez les fautes qu'on commettra contre Dieu sans y mêler vos intérêts avec ceux de sa divine Majesté : car vous ne devez jamais croire utile de défendre votre propre cause, et vous devez toujours croire important de défendre l'honneur de Dieu; mais gardez-vous bien de vous laisser aller, soit pour l'un, soit pour l'autre, il la colère on à une agitation désordonnée. Je veux aussi que vous cachiez avec une grande prudence les faveurs du Seigneur, parce que l'on ne doit lits découvrir légèrement le secret du grand Roi (1); d'autant plus que les hommes charnels ne sont ni capables ni dignes des mystères du Saint-Esprit (2). Imitez-moi, suivez-moi en tontes choses, puisque vous souhaitez d'être ma très-chère fille; et sachez qu'en m'obéissant vous la deviendrez, et vous

 

(1) Tob., XII, 7. — (2) I Cor., II, 14.

 

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porterez le Tout-Puissant à vous fortifier et à diriger vos pas de manière à vous faire atteindre le but auquel il veut vous conduire. Ne lui résistez pas, mais au contraire soyez prompte à obéir à sa lumière et à sa grâce. Faites en sorte de la faire fructifier (1), d'y correspondre avec fidélité et avec diligence, et de rendre par son secours toutes vos actions parfaites.

 

CHAPITRE XIX. Quelques conférences que la très-sainte Vierge eut dans la maison de sainte Élisaheth avec ses anses, et celles qu'elle y eut avec la même sainte.

 

243. La plénitude de la sagesse et de la grâce de la très-pure Marie ne lui permettait pas, avec son immense capacité, de laisser aucun moment, aucun lieu, aucune occasion qu'elle ne remplit de la plus grande perfection, opérant en tout temps et en toutes circonstances ce qu'elle exigeait, et ne négligeant jamais, autant que possible, ce que la vertu avait de plus saint et de plus excellent. Et, comme habitante du ciel, elle n'était partout qu'une étrangère sur la terre, comme elle était elle-même le ciel intellectuel le plus glorieux,

 

(1) II Cor., VI, 1.

 

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le temple vivant où Dieu faisait sa résidence; elle portait toujours avec elle l'oratoire et le sanctuaire, qu'elle trouvait aussi bien chez sa cousine Élisabeth que dans sa propre maison, sans qu'il y eût aucun lieu, aucun temps, aucun emploi qui l'empêchassent de s'y retirer. Elle était au-dessus de tout cela, et, sans en être embarrassée, elle agissait continuellement à la vue et sous l'impression toute-puissante de l'amour. Cependant notre très-prudente Dame ne laissait pus de converser avec les créatures quand l'occasion s'est présentait, et de donner à toutes choses ce qui lotir était convenable. Et comme ses entretiens les plus fréquents, pendant les trois mois qu'elle fut dans la maison de Zacharie, étaient avec sainte Élisabeth et avec les anges de sa garde, je dirai dans ce chapitre quelque chose des conférences qu'elle ont avec eux, et de ce qui lui arriva avec sa cousine.

244. Notre divine Princesse, se trouvant libre et seule, passait une grande partie de ce temps ravie dans les contemplations et dans les visions divines. Elle avait coutume de s'entretenir, quelquefois pendant, quelquefois après ces visions, avec ses saints anges dos mystères et des trésors sacrés que renfermait son cœur amoureux. Un des premiers jours qu'elle passa dans la maison de Zacharie, elle leur tint ce discours : « Esprits célestes, mes gardes et mes compagnons,   ambassadeurs du Très-Haut, acolytes de sa divinité, venez et soulagez mon cœur épris et blessé de  son divin amour; affligé de sa propre étroitesse, ce cœur gémit de ne pouvoir satisfaire par des œuvres

 

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aux obligations qu'il reconnaît, ne fût-ce que dans la limite de ses désirs. Venez, princes célestes, et  louez avec moi le nom admirable du Seigneur; glorifions ensemble la sainteté de ses desseins et de ses  oeuvres. Aidez ce pauvre vermisseau à bénir son  Créateur, qui a daigné regarder sa petitesse avec  miséricorde. Parlons des merveilles de mon Époux;  traitons de la beauté de mon Seigneur et de mon  très-aimable Fils : permettez à ce cœur de se soulager en exhalant ses profonds soupirs auprès de  vous, mes compagnons et mes amis, qui connaissez  mon secret et mon trésor, que le Tout-Puissant a   déposé dans les étroites parois d'un vase si fragile Ces secrets divins sont grands, et ces mystères sont  admirables : je les contemple enivrée des plus doux   sentiments; mais leur suprême hauteur m'anéantit,  leur profondeur m'abîme, et la force même de mon  amour me consume et change tout mon être. Mon cœur embrasé ne peut jamais être satisfait; il ne saurait jouir d'un entier repos, parce que mes désirs surpassent mes couvres, et que mes obligations sont au-dessus de mes désirs : je me plains de moi-même, parce que je n'effectue point ce que je désire, que je ne désire pas tout ce que je dois, et que je me trouve toujours dans l'impuissance de rendre le juste retour. Sublimes séraphins, écoutez mes amoureuses plaintes; je languis d'amour (1); ouvrez-moi vos coeurs enflammés, où la beauté de mon divin

 

(1) Cant., II, 5.

 

Maître rejaillit, afin que les splendeurs de sa lumière  et les traits de ses infinies perfections conservent et  entretiennent ma vie, qui se consume de son  amour. »

245.« Mère de notre Créateur et notre Reine, lui   répondirent les saints anges, vous êtes en la véria table possession du Tout-Puissant et du souverain  bien; et puisque vous le tenez par un lien si étroit  et que vous êtes sa véritable Épouse et sa propre. Mère, jouissez éternellement de cette possession. Vous êtes l'Épouse et la Mère du Dieu d'amour, et,  si l'unique principe et la source de la vie se trouve  en vous, personne ne vivra de cette vie comme vous, ô Reine et Maîtresse de l'univers ! Mais ne prétendez point trouver le repos dans un amour si ardent, puisque la condition et l'état de voyageuse où vous êtes ne permettent pas que vos affections arrivent  maintenant à ce terme, où vous ne pourriez plus  acquérir de nouveaux surcroîts de plus grands mérites, et obtenir une plus brillante couronne. Vos  obligations surpassent sans comparaison celles de   toutes les nations; mais elles doivent croître et se  multiplier encore: quelque ardent, quelque expansif  que devienne votre amour, il ne pourra jamais embrasser son objet, parce qu'il est éternel, incommensurable, infini en perfections; vous serez toujours  heureusement vaincue par sa gloire, puisqu'il ne  peut être compris ni aimé autant qu'il le doit être  que par lui seul. Vous trouverez en lui, auguste a princesse, de quoi désirer et aimer toujours de plus

 

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en plus , et cela convient à sa grandeur et à notre gloire. »

246. Ces entretiens ne faisaient qu'attirer dans le coeur de la très-pure Marie le feu du divin amour, parce qu'en elle devait justement s'accomplir ce commandement du Seigneur, qui ordonnait que le feu de l'holocauste frit continuellement allumé dans son tabernacle et sur ses autels, et que l'ancien prêtre l'alimentât de manière qu'il fût perpétuel (1). La chose fut exécutée en notre grande Dame avec bien plus de perfection, où se trouvaient tout ensemble le tabernacle, l'autel, le souverain et le nouveau prêtre, notre Seigneur Jésus-Christ, qui conservait ce divin brasier et l'augmentait chaque jour, en lui fournissant, comme une nouvelle matière, mille faveurs, mille bienfaits, mille influences de sa divinité; et notre souveraine Maîtresse apportait de son côté ses nouvelles œuvres, dont les nouveaux dons du Seigneur rehaussaient l'incomparable valeur, en augmentant et sa sainteté et sa grâce. Sitôt que cette sublime femme fut entrée dans le monde, l'incendie du divin amour s'alluma sur l'autel de son âme pour ne s'éteindre jamais pendant toute l'éternité de Dieu lui-même. Tant il est vrai que le feu de ce sanctuaire vivant fut et sera perpétuel et sans fin.

247. D'autres fois elle conversait avec les anges dans des moments où. ils lui apparaissaient sous une forme humaine, comme je l'ai dit en divers endroits,

 

(1) Levit., VI, 19.

 

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et ses plus fréquents entretiens roulaient sur les mystères du Verbe incarné; elle était si profonde en cela et dans la science des Écritures et des prophètes, qu'elle causait de l'admiration aux esprits angéliques. Parlant avec eux de ces sacrés mystères dans une certaine occasion, elle leur dit : « Mes seigneurs, qui   êtes serviteurs et amis du Très-Haut, mon cœur est  blessé et pénétré des flèches de douleur, en considérant ce que les saintes Écritures disent de mon  très-saint Fils, et ce qu'Isaïe et Jérémie ont écrit  des cruels tourments qui l'attendent : Salomon dit  qu'on le condamnera à un très-ignominieux genre  de mort, et les prophètes parlent toujours de sa a passion, de sa mort et de tout ce qui lui doit arriver en des termes singulièrement énergiques (1). Oh! si c'était la volonté de sa divine Majesté que je  vécusse alors pour me livrer à la mort pour l'auteur  de ma vie! Que mon esprit s'afflige en réfléchissant   sur ces vérités infaillibles, sachant que mon Seigneur ne doit sortir de mon sein que pour souffrir!  Oh! qui pourrait le préserver de ses ennemis?   Dites-moi, princes célestes, par quelles oeuvres ou  par quels moyens pourrai-je obliger le Père éternel de tourner contré moi la rigueur de sa justice,   et d'en délivrer l'innocent qui ne peut avoir aucun  péché? Je sais bien qu'il ne faut pas moins que les  oeuvres d'un Dieu incarné pour satisfaire un Dieu

 

(1) Gen., XXII, 2; Num., XXI, 8; Ps. XXI; Dan., IX, 26; Isa., LIII, 2; Jerem., XI, 18.

 

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infini, offensé par les péchés des hommes; mais  mon très-saint Fils a plus mérité par la première  de ces couvres que le genre humain n'a pu perdre  et n'a pu l'offenser par ses ingratitudes. Or, si cela  suffit, dites-moi, ne sera-t-il pas possible que je  meure pour empêcher sa mort et ses tourments? Je  ne crois pas qu'il rejette mes humbles désirs et que  mes angoisses lui déplaisent. Mais que dis-je, où est-ce que ma peine et mon affection me transportent? puisque je veux que la volonté divine soit accomplie en tout, et lui être entièrement sou mise. »

248. La très-sainte Vierge tenait ce discours et plusieurs autres semblables avec ses anges, principalement dans le temps de sa grossesse. Et ces divins esprits lui répondaient avec le plus grand respect sur tous les sujets de ses peines; ils la fortifiaient et la consolaient en lui rafraîchissant la mémoire des mystères qu'elle connaissait, et en lui alléguant les raisons et les convenances qu'il y avait, que notre Seigneur Jésus-Christ mourût pour la rédemption du genre humain, pour vaincre le démon et le dépouiller de sa tyrannie, pour la gloire du Père éternel et l'exaltation de son très-saint Fils (1). Les mystères qui se passèrent entre cette grande Reine et ses anges furent si relevés et en si grand nombre, qu'il n'est pas possible qu'une langue humaine les raconte, et

 

Tit., II, 14; Joan., XII, 31; Joan., XIV, 13; Luc., XXIV, 26; Joan., XII, 32.

 

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que notre entendement les comprenne en cette vie. Quand nous jouirons du Seigneur, nous verrons en lui ce que nos organes ne peuvent pas atteindre maintenant. Et parle peu que j'en ai dit, notre piété pourra arriver à la considération des autres choses plus grandes.

249. Sainte Élisabeth était aussi fort éclairée et fort versée dans les divines Écritures, et elle le fut beaucoup plus après la visitation; ainsi notre Reine s'entretenait avec elle des mystères divins que la sainte matrone connaissait, et ses connaissances augmentèrent par les enseignements de la très-pure Marie, par l’intercession de laquelle elle reçut de grands bienfaits et des dons singuliers du ciel. Elle se trouvait souvent dans l'admiration de voir et d'ouïr la profonde sagesse de la Mère de Dieu, et la bénissant de nouveau, elle lui disait : « Soyez bénie, ma Maîtresse et Mère de mon Seigneur, entre toutes les femmes (1) et que toutes les nations exaltent et connaissent notre dignité. Vous êtes très-heureuse par le très-riche trésor que vous portez dans votre sein virginal : je vous félicite par avance avec de très-humbles affections de la joie que vous éprouverez quand vous aurez le Soleil de justice entre vos bras, et que vous le nourrirez du propre lait de vos mamelles virginales. Souvenez-vous alors, ma Maîtresse, de votre servante, et offrez-moi à votre très-saint Fils et mon Dieu véritable en la

 

(1) Luc., I, 42.

 

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chair humaine, afin qu'il reçoive mon cœur en sacrifice. Oh! qui pourrait mériter de vous servir et de vous assister? Mais si je ne suis pas digne d'obtenir ce bonheur, accordez-moi au moins celui de recevoir mon coeur dans votre sein, puisque ce n'est pas sans sujet que je crains qu'il ne se déchire quand il faudra me séparer de vous. » Sainte Élisabeth exprimait en présence de l'auguste Marie d'autres délicieux sentiments de l'affection la plus tendre; et notre très-prudente Dame la consolait, la ranimait et la vivifiait par ses divines et efficaces réponses. Notre Reine mêlait parmi des actions si excellentes et si sublimes, plusieurs autres actions d'humilité et d'abnégation, servant non-seulement sa cousine Élisabeth, mais même les servantes de sa maison. Elle balayait toujours sa petite chambre, et bien souvent la maison de sa parente; elle lavait la vaisselle avec les servantes, et s'occupait à beaucoup d'autres choses d'une profonde humilité. Qu'on ne soit pas surpris que je particularise des actions si petites et si basses en apparence, car la grandeur de notre Reine les ennoblit et les rehausse pour notre instruction, afin que son exemple dissipe notre orgueil et rabatte notre sotte fierté. Quand sainte Élisabeth apprenait quels humbles offices remplissait la Mère de piété, elle en souffrait et tâchait de l'empêcher; c'est pourquoi dans ces sortes d'occasions, la divine Dame faisait tout son possible pour se dérober aux yeux de sa cousine.

250. O Reine du Ciel et de la terre ! notre refuge

 

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et notre avocate, quoique vous soyez la Maîtresse de toute sainteté et de toute perfection, j'ose bien vous demander, ma bonne Mère, dans l'admiration où je suis de votre humilité, comment est-ce que vous pouviez concilier la majesté de votre dignité, qui vous donnait l'empire sur toutes choses, et l'adorable présente du Verbe incarné que vous portiez dans votre sein virginal, avec des occupations si viles, comme de balayer le sol et de faire d'autres choses semblables, puisqu'il nous semble que vous pouviez vous en dispenser, pour la révérence qui était due â votre très-saint Fils, sans que vous eussiez pour cela manqué à votre humble désir? Le mien est, mon auguste Dame, que vous me fassiez la grâce de m'éclaircir cette difficulté.

Réponse et instruction de la très-sainte Vierge.

251. Ma fille, pour répondre à votre doute, vous devez savoir (outre ce que vous avez écrit dans le chapitre précédent) qu'en matière de vertu il n'est point d'occupation ou d'acte extérieur, pour humble et vil qu'il soit, qui puisse empêcher, si l'on s'en acquitte comme il faut, de rendre au Créateur de toutes choses l'hommage de son culte, de ses adorations et de ses louanges : car ces vertus ne sont point incompatibles; elles peuvent au contraire se rencontrer toutes dans

 

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une même créature, et elles se concilièrent surtout en moi, qui eus, toujours présent le souverain bien, sans que je le perdisse de vue pour quoi que ce fût. Ainsi je l’adorais et je l'honorais dans toutes mes actions, les rapportant toujours à sa plus grande gloire; le Seigneur, qui a fait et ordonné toutes choses, n'en méprise aucune, et les choses les plus. basses ne sauraient non plus ni le rabaisser ni l'offenser. Il n'en est donc point de viles que dédaigne filme qui l'aime véritablement, fût-elle en sa divine présence, parce qu'elles tendent, qu'elles aboutissent toutes à lui comme au principe et à la fin de toutes les créatures. Et, parce que celle qui est terrestre ne peut pas vivre sans ces actions basses et sans plusieurs autres qui sont inséparables de la condition fragile et de la conservation de la nature, il est nécessaire de bien entendre cette doctrine pour les faire avec fruit : car si en accomplissant ces actes, en s'acquittant de ces occupations, on négligeait de les rapporter au Créateur, on ferait souvent de longues haltes dans le chemin du bien et du mérite, on se retarderait dans la pratique des vertus intérieures; et c'est là un défaut aussi funeste que répréhensible, auquel les créatures terrestres attachent trop peu d'importance.

252. C'est d'après cette doctrine que vous devez régler vos actions ordinaires, pour petites qu'elles soient, afin que vous ne perdiez point le temps, qu'on ne peut jamais recouvrer : et soit que vous mangiez, ou que vous travailliez, ou que vous reposiez, soit que vous dormiez, ou que vous veilliez, en quelque temps,

 

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en quelque lieu et en quelque occupation que ce soit, adorez, honorez et regardez en tout et partout votre grand et tout-puissant Seigneur (1), qui remplit et conserve toutes choses. Je veux aussi que vous sachiez que ce qui m'excitait le plus à pratiquer tous les actes d'humilité, c'était de considérer que mon très-saint Fils venait tout humble (2) pour enseigner par sa doctrine et par son exemple cette vertu dans le monde, pour bannir la vanité et l'orgueil des hommes, et pour arracher cette mauvaise semence que Lucifer a semée parmi les mortels par le premier péché. Et sa divine Majesté me donna une si haute connaissance de la manière incroyable dont il se complaît dans cette vertu, que j'eusse souffert les plus rudes tourments du monde pour pouvoir faire un seul de ces actes que vous avez racontés, comme de balayer le sol ou de baiser les pieds à un pauvre. Vous ne trouverez point de termes pour exprimer cette affection que j'eus, non plus que pour faire comprendre l'excellence et la noblesse de l'humilité. Vous connaîtrez en Dieu ce que vous ne pouvez rendre par vos faibles paroles.

253. Gravez cette doctrine dans votre coeur, conservez-la comme la règle de votre vie, et en vous exerçant toujours à tout ce que la vanité humaine méprise, faites en sorte de mépriser vous-même cette vanité comme exécrable et odieuse aux yeux du Très-Haut. Que, dans cette humble conduite, vos pensées soient toujours très-nobles, et votre conversation dans le

 

(1) I Cor., X, 31. — (2) Matth., XI, 29.

 

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ciel (1), avec les esprits angéliques : conversez habituellement avec eux; ils vous donneront une nouvelle lumière de la Divinité et des mystères de Jésus-Christ mon très-saint Fils. Que vos entretiens avec les créatures soient tels, que vous en sortiez toujours plus fervente, et que vous leur inspiriez l'humilité et l'amour divin. Accoutumez-vous de prendre en vous-même la dernière place parmi toutes les créatures; et quand l'occasion se présentera d'exercer les actes d'humilité, vous serez prompte à les mettre en pratique; et vous serez maîtresse de vos passions, si vous commencez par vous juger vous-même comme la moindre, la plus faible et la plus inutile de toutes.

 

CHAPITRE XX. Quelques bienfaits singuliers de la très-sainte Vierge dans la maison de Zacharie, à l'égard de personnes particulières.

 

254. C'est une qualité de l'amour assez connue que celle d'être véhément; actif comme le feu, s'il trouve une matière sur laquelle il puisse agir; et ce feu spirirituel a cela de particulier, que s'il n'a pas cette matière,

 

(1) Philip., III, 20.

 

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il la cherche. Ce maître ingénieux a enseigné tant d'inventions et tant de nouvelles manières de pratiquer les vertus aux amants de Jésus-Christ, qu'il ne leur laisse point un instant de loisir. Et comme il n'est ni aveugle ni insensé, il connaît fort bien la qualité de son très-noble objet, et il sait craindre uniquement une chose : c'est que tous ne l'aiment pas; aussi tâche-t-il de communiquer cet aimable feu sans recherche personnelle et sans envie. Que si dans le grand amour que tant de saints personnages ont eu pour Dieu, et que nous pouvons appeler faible (pour fervent qu'il ait été) en comparaison de celui de l'auguste Marie, le zèle qu'ils eurent pour le salut des aimes fut si admirable et si puissant, comme nous le pouvons conjecturer par tout ce qu'ils ont fait pour le leur procurer, quel devait être celui qui animait cette grande Reine en faveur du prochain, puisqu'elle était la Mère de l'amour divin (1), et qu'elle portait dans ses entrailles le feu vivant, et véritable qui venait embraser le monde (2)! Les mortels connaîtront dans toute cette divine histoire combien ils sont redevables à cette charitable Dame. Et quoiqu'il me soit impossible de détailler les bienfaits particuliers dont elle combla beaucoup d'âme, je ne laisserai pas de dire dans ce chapitre quelques unes des choses de ce genre qui arrivèrent durant le temps que notre Reine passa dans la maison de sa cousine Élisabeth , pour que ces quelques traits fassent deviner les autres.

 

(1) Eccl., XXIV, 24. — (2) Luc., XII, 49.

 

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255. Il y avait dans cette maison une servante d'un très-mauvais naturel , chagrine , colère , toujours prête aux jurements et aux imprécations. Elle fatiguait ses maîtres par son humeur hautaine, et elle était si fort assujettie au démon par tous ces vices et par plusieurs autres désordres, que ce tyran l'entraînait sans peine dans toute sorte de dérèglements funestes. Il y avait environ quatorze ans qu'une bande de démons l'accompagnait sans la quitter un moment, pour s'assurer la proie qu'ils prétendaient faire de son âme. Les ennemis de notre salut ne s'en éloignaient que quand elle était en la présence de la Maîtresse de l'univers; parce que, comme j'ai dit ailleurs, la vertu de notre Reine les tourmentait, surtout depuis qu'elle portait dans son sein virginal le Seigneur tout-puissant et le Dieu des armées (1). Et comme cette servante ne ressentait plus les mauvais effets de cette méchante compagnie lorsque ces cruels persécuteurs de nos âmes étaient forcés de la quitter par la présence de la très-sainte Vierge, qui lui procurait des faveurs toutes nouvelles, elle commença à s'attacher par une vive affection à sa restauratrice. Elle cherchait à l'assister avec un tendre empressement, à lui rendre mille petits services, et à se ménager le plus de temps possible pour se trouver auprès de notre divine Princesse, qu'elle regardait avec respect ; car parmi ses inclinations dépravées, elle en avait une bonne : c'était une certaine

 

(1) Ps. XXIII, 10.

 

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compassion naturelle pour les pauvres et pour les personnes humbles, à qui elle souhaitait même de faire du bien.

256. La divine Princesse, pénétrant les inclinations de cette femme, l'état de sa conscience, le péril de son âme, et les mauvais desseins des démons à son égard, tourna les yeux de sa miséricorde, et la regarda avec une affection de mère. Et quoique cette charitable Reine sût que cette obsession des démons était le juste châtiment des péchés de cette femme, elle lit néanmoins des prières pour elle, et lui obtint le pardon, la guérison et le salut. Elle commanda incontinent à ces esprits rebelles, par la puissance qu'elle avait, d'abandonner cette créature et de ne plus la troubler ni la molester. Et comme ils ne pouvaient résister il l'autorité de notre invincible Princesse, ils cédèrent et s'enfuirent pleins de terreur, ignorant la cause du pouvoir de l’auguste Marie ; mais ils conféraient ensemble, partagés entre l'admiration et l'indignation, et ils disaient : Quelle est cette femme qui a sur nous un empire si extraordinaire? D'où lui vient ce pouvoir exorbitant qui lui permet de faire tout ce qu'elle, vent? Les ennemis conçurent à cette occasion une nouvelle rage contre celle qui leur écrasait la tête (1). Mais cette heureuse pécheresse: fut délivrée de leurs mains; et notre aimable Maîtresse l'avertit, la corrigea, lui enseigna le chemin du salut, adoucit son coeur revécue, et changea son mauvais naturel. Et

 

(1) Gen., III, 15.

 

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elle persévéra toute sa vie dans cet heureux changement, reconnaissant qu'elle en était redevable aux charitables soins de notre seule Reine, bien qu'elle ne pénétrât point le mystère de sa dignité; ainsi elle fut humble, reconnaissante, et elle finit sa vie saintement.

257. Il y avait près de la maison de Zacharie une autre femme qui n'était pas mieux morigénée que cette servante, et à cause du voisinage, elle avait coutume d'y entrer pour s'entretenir avec les domestiques de sainte Élisabeth. Elle vivait dans le libertinage, sans se soucier de conserver l'honnêteté , et comme elle apprit l'arrivée de notre grande Reine dans cette ville, sa modestie et sa retenue , elle dit par une espèce de légèreté et de curiosité : « Qui est cette étrangère que nous venons de recevoir pour voisine, et dont la sainteté et la vie solitaire font tant de bruit? » Poussée par ce vain et impatient désir de connaître les nouvelles et les nouveautés, qui n'est que trop ordinaire à ces sortes de personnes, elle tâcha de voir notre divine Dame, pour observer sa mise et son air. Cette curiosité était impertinente et oisive dans son but, mais les effets n'en furent point inutiles; car cette femme, ayant satisfait son désir, se trouva si fort touchée de la présence et de la vue de l'auguste Marie, qu'elle fut à l'instant toute changée, et transformée en un être nouveau. Elle n'eut plus les mêmes inclinations, et sans connaître la puissance de l'agent, elle subit son efficace influence; ses yeux versèrent des torrents de larme, et son coeur fut percé d'une intime douleur de ses

 

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péchés. Cette heureuse femme, pour n'avoir que regardé avec une attention curieuse la Mère de la pureté virginale, reçut en échange la vertu de chasteté, elle fut délivrée de ses mauvaises habitudes et de ses inclinations sensuelles. Alors elle se retira abîmée dans cette douleur, pour pleurer les désordres de sa vie. Elle sollicita dans la suite le bonheur de voir et d'entretenir la Mère de la grâce ; cette charitable Reine voulut bien l'accueillir, pour l'affermir dans sa conversion, elle qui savait parfaitement ce qui venait d'arriver, et qui portait dans son sein la source même de la grâce, de la sainteté et de la justification, en vertu de laquelle l'avocate des pécheurs opérait. Elle la reçut avec une affection maternelle, elle lui donna de sages avis, et l'instruisit à la pratique de la vertu, de sorte qu'elle la laissa saintement renouvelée, et fortifiée pour persévérer dans le bien.

258. Notre grande Reine fit un très-grand nombre de bonnes oeuvres et de conversions aussi admirables que celles-là , mais toujours en les cachant des ombres du silence et du secret. Elle sanctifia toute la famille de sainte Élisabeth et de Zacharie par sa conversation; elle augmenta la perfection de ceux qui étaient justes, et leur acquit de nouveaux dons et de nouvelles faveurs; elle justifia et éclaira par son intercession ceux qui ne l'étaient pas, et l'amour respectueux que tous avaient pour elle, les lui soumit avec tant de force, que chacun à l'envi s'empressait de lui obéir, et de la reconnaître pour sa Mère, pour son asile et pour sa consolatrice dans toutes ses nécessités. Sa seule vue

 

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produisait tous ces effets, qui lui coûtaient fort peu de paroles, bien qu'elle ne refusât jamais celles qui étaient nécessaires dans de telles occasions. Comme elle pénétrait le secret des coeurs et l'état des consciences, elle appliquait à chacun le remède le plus convenable. Le Seigneur lui manifestait quelquefois si ceux qu'elle voyait étaient du nombre des élus ou des réprouvés. Mais cette connaissance produisait dans son coeur des effets admirables d'une très-parfaite vertu; car elle donnait mille bénédictions aux justes et aux prédestinés (ce qu'elle fait encore maintenant du haut du ciel), et le Seigneur la félicitait de la joie qu'elle eu recevait, et de son côté, elle le priait avec des instances incroyables de les conserver dans sa grâce et dans son amitié. Quand elle voyait quelqu'un dans le péché , elle intercédait du plus profond de son coeur pour sa justification, et ordinairement elle l'obtenait ; que s'il était réprouvé., elle pleurait avec beaucoup de douleur, et elle s'inclinait en la présence du Très-Haut pour la perte de cette image et de cet ouvrage de la Divinité, et elle faisait de très-ardentes oraisons, des offrandes particulières et des actes d'une humilité sublime, afin qu'aucun autre ne tombât dans ce malheur déplorable; de sorts que nous pouvons dire qu'elle était une pure flamme de l'amour divin, qui se trouvait clans un mouvement perpétuel, et qui ne cessait jamais d'opérer de grandes choses.

 

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Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

 

259. Ma très-chère fille, il y a deux pôles autour desquels doivent se mouvoir toutes vos puissances et toute votre activité; il y a deux points qui doivent constituer toute l'harmonie de votre âme . l'un, c'est de vous tenir vous-même dans l'amitié et dans la grâce du Très-Haut; l'autre, c'est de travailler à y établir les autres : que ce soit donc là le but de toute votre vie et de toutes vos occupations. Je veux que vous n'épargniez, s'il est nécessaire, ni travail ni fatigue pour arriver à de si hautes fins, et que vous suppliiez le Seigneur de vous y faire parvenir, en vous offrant de souffrir jusqu'à la mort, et en souffrant en effet tout ce qui se présentera et tout ce que vous pourrez endurer. Et, quoique pour travailler au bien spirituel des. âmes vous ne deviez pas recourir à des moyens extraordinaires, qui ne conviendraient pas à votre sexe, vous devez pourtant tâcher d'y employer avec prudence toutes les secrètes industries que vous jugerez pouvoir être les plus efficaces. Si vous êtes ma fille et l'épouse de mon très-saint Fils, considérez que les créatures raisonnables sont les richesses de notre maison; qu'il les a rachetées, comme le plus cher héritage, au prix de sa vie, de sa mort et de son propre sang (1), parce qu'il les avait perdues par leur désobéissance, après

 

(1) I Cor., VI, 20 ; I Petr., I, 19.

 

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les avoir créées et destinées pour sa possession (1). 

260. Or, quand le Seigneur vous adressera quelque âme nécessiteuse dont il vous fera connaître l'état. travaillez avec beaucoup de fidélité à lui procurer le remède; pleurez et priez avec une intime et fervente affection pour obtenir de Dieu qu'il la délivre d'un si grand mal et d'un péril si formidable; tentez toutes les voies divines et humaines, autant que votre condition le pourra permettre, pour apporter le salut et la vie à cette âme qui aura été remise à vos soins. Avec la prudence et la discrétion que je vous ai recommandées, ne vous lassez ni dans les représentations ni dans les prières qui vous paraîtront utiles, et tâchez, sans bruit ni éclat, de la mettre dans le bon chemin. Je veux même, si l'occasion se présente, que vous commandiez aux démons avec un empire absolu, au nom du Tout-Puissant et au mien, de s'éloigner des âmes que vous connaîtrez être sous leur tyrannie : et comme la chose doit se passer en secret, vous pouvez bien l'exécuter sans crainte et avec une pleine liberté. Sachez que le Seigneur vous a mise et qu'il vous mettra dans des occasions où vous pourrez pratiquer ce que je vous dis : gardez-vous bien de l’oublier ou de le négliger, car sa divine Majesté vous oblige, en qualité de sa fille, d'avoir soin du bien et de la maison de votre père; et souvenez-vous que vous ne devez point être en repos que vous ne vous soyez acquittée de cette obligation avec la dernière exactitude. Ne craignez

 

(1) Gen., III, 6.

 

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point, ma fille, vous viendrez à bout de tout par la grâce de Celui qui vous fortifie (1); et son pouvoir infini armera votre bras pour de grandes entreprises (2).

 

CHAPITRE XXI. Sainte Élisabeth prie la Reine du ciel de ne point l'abandonner au moment de ses couches. — Elle est avertie de la prochaine naissance de Jean.

 

261. Il y avait déjà plus de deux mois que la Princesse du ciel était arrivée à la maison de sainte Élisabeth , qui commençait à se disposer à la douleur due le départ et l'absence de la Maîtresse de l'univers lui devaient causer. Elle aurait voulu ne pas perdre la possession d'un pareil bonheur, tout en comprenant qu'on ne le pouvait humainement mériter. L'humble sainte pesait sans cesse dans son coeur ses propres fautes, craignant qu'elles ne déterminassent l'éclipse de cette. belle Lune, c'est-à-dire le départ de Celle qui renfermait le Soleil de justice dans son sein virginal. Elle pleurait bien souvent lorsqu'elle était seule, et elle jetait de profonds soupirs de ce qu'elle ne pouvait

 

(1) Philip., IV, 13. — (2) Prov.,  XXXI, 17.

 

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trouver les moyens d'arrêter ce divin Soleil, qui l'avait éclairée, comme d'un jour nouveau, de la lumière de la grâce. Elle suppliait le Seigneur avec beaucoup de larmes d'inspirer à sa cousine et à sa maîtresse, l'auguste Marie, de ne la laisser pas seule, ou du moins de ne la pas priver sitôt de son aimable compagnie. L'entourant sans cesse du plus grand respect et des soins les plus assidus, elle méditait sur ce qu'elle ferait pour l'obliger à prolonger son séjour. Et il ne faut point s'étonner si cette illustre femme, si pieuse, si sage, si prudente, sollicitait une faveur qu'auraient pu envier les anges eux-mêmes; car, outre cette grande lumière qu'elle avait reçue du Saint-Esprit pour connaître la sainteté et la dignité suprême de la Vierge bière, cette Reine incomparable lui avait ravi le coeur par les charmes de sa divine conversation, et par les effets merveilleux qu'elle lui faisait éprouver par sa présence, de sorte que sainte Élisabeth n'aurait plus pu vivre loin d'elle, après des rapports si intimes et si doux, sans un secours spécial du Ciel.

262. Sainte Élisabeth résolut, pour se consoler dans sa peine, de découvrir ce qui se passait dans son coeur à notre divine Dame, qui n'en ignorait pas le secret; ainsi elle lui dit avec beaucoup de soumission et de respect : «  Ma cousine et ma bonne Maîtresse, je n'ai pas osé jusqu'à présent vous déclarer le désir et la peine qui m'occupent et qui m'affligent, par l'appréhension que j'avais de manquer au respect que je vous dois : permettez-moi donc, s'il vous plaît, de chercher quelque soulagement en vous faisant le

 

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a récit de mes inquiétudes, puisque je ne vis que dans l'espérance que mes souhaits seront accomplis. Le Seigneur m'a fait dans sa bonté une grâce singulière en vous amenant ici, afin que j'eusse le bonheur, que je ne puis mériter, de converser avec vous, et            de connaître les mystères que la divine Providence a renfermés dans votre auguste personne. Je lui rends, malgré mon indignité, d'éternelles actions de grâces, et je ne cesserai jamais de le louer pour une si grande faveur. Vous êtes le temple vivant de       la gloire du Très-Haut, l'arche du Testament, qui gardez la manne dont les anges mêmes se nourrissent; vous êtes les tables de la véritable Loi, écrite         par l'Être même de Dieu (1). Considérez ma bassesse, et combien sa divine Majesté m'a enrichie dans un instant, en envoyant dans ma maison le trésor des cieux, et celle qu'il a choisie, entre toutes les femmes pour sa propre Mère : je crains avec sujet que, vous ayant déplu et qu'ayant offensé le fruit de votre ventre par mes péchés, vous n'abandonniez cette pauvre servante, et ne la priviez du bien inestimable dont elle jouit maintenant le Seigneur peut, si c’est votre volonté, m’accorder ce bonheur de vous servir toute ma vie, et de ne point me séparer de vous le reste de mes jours : que s'il y avait trop d'inconvénients à ce que je vous suive dans votre maison, il vous serait très-facile de

demeurer dans la mienne et d'y appeler votre saint époux Joseph,

 

(1) Dan., III, 53; Hebr., IX, 4; Ps. LXXVII, 55, Exod., XXXI, 18.

 

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afin que vous y soyez tous deus comme nos maîtres et nos seigneurs, et que je vous y serve comme votre servante avec la même affection qui cause mon désir. Et, bien que je ne mérite point la grâce que je vous demande, je vous supplie de ne pas rejeter mon humble prière, puisque le Très-Haut a déjà surpassé par ses faveurs et mes mérites et mes souhaits. »

263. La très-sainte Vierge écouta avec de très-douces complaisances la proposition et la supplique de sa cousine Élisabeth, et elle lui répondit : « Très-chère amie de mon âme , le Seigneur agréera vos saints et pieux sentiments, et vos désirs sont agréables à ses yeux. J'en suis touchée jusqu'au fond du coeur; mais nous devons entièrement soumettre nos projets et notre volonté au bon plaisir divin. Et quoique cette obligation soit commune à tous les mortels, vous savez bien, ma chère amie, que je lui suis plus redevable que toutes les créatures ensemble, puisque le pouvoir de son bras m'a élevée de la poussière, et qu'il a regardé ma bassesse avec une bonté infinie (1). Toutes mes paroles et tous mes mouvements doivent être gouvernés par la volonté de mon Seigneur et de mon Fils; en dehors et su delà de ses divines dispositions, je n'ai ni à vouloir ni à ne vouloir pas. Nous présenterons vos désirs à la Majesté souveraine, et ce qu'elle décidera comme lui plaisant davantage,

 

(1) Luc., I, 48 et 51.

 

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nous le ferons. Je dois aussi obéir à mon époux  Joseph, et je ne puis, ma très-chère cousine, sans  son ordre, régler mes occupations, ni choisir soit le  lieu de ma résidence, soit ma demeure; il est juste  que nous soyons soumises à ceux qui sont nos chefs et nos supérieurs (1).

264. Sainte Élisabeth se rendit aux raisons si efficaces de la Princesse du ciel, et lui dit avec une humble soumission : « Je veux, chère Maîtresse, suivre votre volonté, et j'ai une respectueuse déférence pour tous vos sentiments. Je vous représente seulement de nouveau l'intime amour de mon coeur, que je consacre à votre service. Que si je ne puis obtenir l'accomplissement de mes désirs, et s'ils ne sont pas conformes, en ce que je vous ai proposé, à la volonté divine, au moins je souhaite, ma bonne Reine, si cela est possible, que vous ne me quittiez point avant la naissance de l'enfant que je porte, afin que, comme, il a connu et adoré son Rédempteur dans mon sein, il jouisse dans le vôtre de sa présence et de sa lumière divine, avant que  de jouir d'aucune autre chose, et qu'il reçoive  votre bénédiction qui accompagnera les premiers pas de sa vie, à la vue de Celui qui les doit tous conduire par les voies de la justice (2); et que vous,  qui êtes la Mère de la grâce, le présentiez à son  Créateur, et lui obteniez de, sa bonté infinie la persévérance de cette grâce première qu'il reçut par

 

(1) Ephes., V, 22. — (2) Prov., XVI, 9.

 

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l'organe de votre très-douce voix, quand j'eus le  bonheur de l'ouïr sans l'avoir mérité. Permettez moi donc, mon asile assuré, que je voie mon fils   entre vos bras , où le même Dieu qui a créé le ciel  et la terre qui subsistent par son commandement (1), doit reposer et prendre ses délices. Que la grandeur de votre pitié maternelle ne se rebute point  par mes défauts; ne me refusez point cette consolation, et accordez à mon fils un si grand bonheur;  je ne mérite point d'être exaucée, mais c'est comme  mère que je sollicite et que je désire si vivement  cette faveur. »

265. La très-sainte Vierge ne voulut pas refuser cette dernière demande à sa cousine, elle s'offrit de demander au Seigneur la réalisation de ses vaux, et lui conseilla d'en faire de même pour apprendre sa très-sainte volonté. Après cela, les deux mères des deux plus saints fils qui aient jamais été au monde, se retirèrent dans l'oratoire de la divine Princesse, et s'y étant mises en oraison, elles présentèrent leurs demandes au Très-Haut. Pendant ce temps-là notre auguste Reine fut ravie en extase, où elle connut par une nouvelle lumière, le mystère, la vie et les mérites du précurseur saint Jean, et la mission qu'il devait remplir cri préparant par sa prédication les voies du coeur des hommes (2) à recevoir leur Rédempteur et leur Maître; mais de tous ces grands mystères elle ne

 

(1) Isa., XLII, 5. — (2) Matth., III, 3; Marc., I, 3; Luc., III, 4; Joan., I, 13.

 

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découvrit à sainte Élisabeth que ce qu'il était convenable qu'elle sût. Elle connut aussi la grande sainteté de sa cousine, qu'elle mourrait dans peu de temps, et que sa mort arriverait après celle de Zacharie. Notre miséricordieuse Mère présenta sa parente au Seigneur avec le tendre amour qu'elle lui portait; elle le pria de l'assister à sa mort, et elle lui représenta les désirs qu'elle avait qu'elle se trouvât à la naissance de son fils. Pour ce qui est de demeurer dans la maison de Zacharie, la très-prudente Vierge n'en fit aucune demande, parce qu'elle comprit aussitôt par la divine science dont elle était éclairée qu'il n'était ni convenable ni conforme à la volonté du Très-Haut qu'elle demeurât toujours dans la maison de sa cousine, comme celle-ci le souhaitait.

266. Sa divine Majesté lui répondit : « Mon Épouse  et ma Colombe, c'est mon bon plaisir que vous  assistiez et que vous consoliez de votre présence a ma servante Élisabeth dans ses couches, qui ne  sont pas fort éloignées, puisqu'elles arriveront dans  huit jours; et après que le, fils qu'elle enfantera  aura été circoncis, vous retournerez à votre maison  avec votre époux Joseph. Vous me présenterez mon  serviteur Jean sitôt qu'il sera né, car il me doit  être un sacrifice fort agréable ; persévérez toujours,  ma chère , à me demander le salut éternel pour les  âmes. » En même temps sainte Élisabeth joignait ses prières à celles de la Reine de l'univers, et suppliait le Seigneur d'ordonner à sa très sainte Mère et Épouse de ne la point abandonner dans ses couches;

 

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alors il lui fut révélé qu'elles étaient fort proches, et plusieurs autres particularités qui lui furent d'une grande consolation dans ses peines.

267. La très-pure Marie revint de son extase, et les deux mères ayant achevé leur oraison, conférèrent ensemble sur ce que les couches de sainte Élisabeth commençaient déjà de s'approcher, selon l'avis qu'elles en avaient reçu du Seigneur; dans cet entretien la sainte dit à notre Reine avec cet ardent désir qu'elle avait de son bonheur : « Dites-moi, je vous  prie, chère Maitresse, si j'obtiendrai la faveur que  je vous ai demandée, de vous avoir près de moi au  moment de mes couches, qui sont si proches? »  L’auguste Dame lui répondit : « Ma très-chère cousine , le Très-Haut a exaucé, nos demandes, et il a  daigné me commander d'accomplir votre souhait et  de vous servir dans cette occasion; c'est ce que je   ferai avec plaisir, attendant non-seulement que vous accouchiez , mais aussi que votre fils soit  circoncis selon la loi, car le tout s'exécutera dans quinze jours. » Cette résolution de la très-sainte Vierge renouvela la joie de sa cousine; Élisabeth, qui, en reconnaissance d'un si grand bienfait, rendit d’humbles actions de grâces au Seigneur et à son auguste Mère. Et après s'être réjouie et consolée de ces bonnes nouvelles et de ces douces promesses, elle songea à se préparer à ses couches, et à se résoudre au départ de notre souveraine Princesse.

 

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Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

 

268. Ma fille, lorsque le désir de la créature naît d'une affection pieuse, et qu'il est conduit par une intention droite à de saintes fins, il ne déplait pas au Très-Haut qu'on le lui expose, pourvu que ce soit avec soumission et avec résignation, pour exécuter ce qui lui sera le plus agréable, selon que sa divine providence en voudra disposer. Car lorsque les âmes se mettent en présence du Seigneur avec cette conformité à sa volonté, avec cette indifférence, il les regarde comme un Père plein de tendresse, et il leur accorde toujours ce qui est juste (1), ne leur refusant que ce qui ne l'est pas, ou ce qui n'est point convenable à leur véritable salut. Le désir due ma cousine Élisabeth avait de m'accompagner et de ne s'éloigner point de moi le reste de ses jours, provenait d'un saint zèle, excellent dans ses motifs; mais cela n'était pas convenable, ni conforme à ce que le Très-Haut avait déterminé relativement aux opérations, aux voyages et aux événements auxquels je m'attendais. Et bien qu'il lui refusât cette demande, elle ne déplut pas an Seigneur, puisque sa divine Majesté lui accorda ce qui ne s'opposait point aux décrets de sa sainte volonté et de sa sagesse infinie, et ce qui était. pour son bien et pour celui de son fils. Le Tout-Puissant

 

(1) Ps., XXXIII, 16.

 

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les enrichit tous deux, et leur départit de très-grands dons par mon intercession et en considération de l'amour que le fils et la mère me portèrent. C'est toujours un moyen très-efficace auprès de Dieu que de lui demander ce qu'on désire obtenir avec une bonne volonté, par ma médiation et en s'appuyant sur la dévotion que l'on a pour moi.

269. Toutes vos demandes et toutes vos prières, je veux que vous les offriez au nom de mon très-saint Fils et au mien; et soyez sûre, sans jamais craindre le contraire, qu'elles seront exaucées si vous les adressez avec la droite intention de ne chercher que le bon plaisir de Dieu. Regardez-moi avec une tendre affection comme votre Mère et votre asile, consacrez-vous à ma dévotion et à mon amour, et sachez, ma fille, que le désir que j'ai de votre plus grand bien m'oblige de vous enseigner le moyen le plus puissant et lé plus efficace par lequel vous puissiez, avec la science de la grâce divine, obtenir de la main libérale du Seigneur de grands trésors et des faveurs considérables. Prenez garde à ne point vous en rendre indigne et à ne point les retarder par votre lâcheté et par vos méfiances. Si vous voulez que je vous aime comme ma plus chère fille, faites en sorte de m'imiter dans tout ce que j'ai pratiqué et que je vous enseigne; tâchez d'y appliquer toutes vos forces et tous vos soins, et croyez que tout ce que vous ferez pour acquérir le fruit de mes instructions sera très-bien employé.

 

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CHAPITRE XXII. La naissance du précurseur de Jésus-Christ, et ce que notre souveraine Maîtresse y fit.

 

270. L'heure arriva où devait paraître l'étoile avant-courière du Soleil de justice et du jour si désiré de la loi de grâce. Il était déjà temps que le grand prophète du Très-Haut, qui surpassait tous les autres prophètes, vint ait monde pour préparer nos coeurs et nous montrer du doigt l'Agneau (1) qui devait le réparer et le sanctifier. Avant que ce heureux enfant sortit du sein maternel, le Seigneur lui manifesta que l’heure de sa naissance s'approchait, et qu'il allait voir le jour commun et entrer dans la carrière ouverte à tous les mortels. Le saint enfant avait le parfait usage de la raison, il était éclairé de la lumière divine et de la science infuse , que lui avait communiquées la présence du Verbe incarné; à leur clarté il vit et reconnut qu'il venait prendre port sur une terre maudite et toute couverte d'épines dangereuses (2), et mettre les pieds dans un

 

(1) Joan., V, 35; Luc., I, 76 ; VII, 26 ; I, 17; Joan., I, 29. — (2) Gen., III, 17.

 

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monde rempli de pièges et parsemé d'écueils, où beaucoup faisaient naufrage et périssaient malheureusement.

271. Le sublime enfant hésitait pour ainsi dire à naître, en suspens entre cette connaissance et l'accomplissement de la loi naturelle et divine. Car d'un côté les causes naturelles avaient épuisé leur action et donné à la formation successive du corps le plus parfait développement, de sorte qu'il était naturellement forcé de naître, et il comprenait, il sentait que le sein maternel allait bientôt le congédier. D'ailleurs l'efficace de la nature était ici secondée par la volonté expresse du Seigneur qui l'appelait à la vie. D'un autre côté, il considérait les périls redoutables de la carrière dans laquelle il devait s'engager, et, partagé entre la crainte et l'obéissance, il semblait tantôt s'arrêter de frayeur, tantôt s'avancer avec zèle. Il eût voulu résister, il eût voulu obéir, et il se disait : « Où vais-je m'exposer au hasard de perdre Dieu ? Comment entrerai-je dans la conversation des mortels, dont tant s'égarent et perdent, avec la raison , le chemin de la vie. Il est vrai que je suis dans les et ténèbres, étant encore dans le sein de ma mère; mais je m'en vais passer dans d'autres bien plus dangereuses. Je me suis trouvé comme emprisonné dès que j'ai reçu la lumière de la raison; mais l'élargissement et la liberté des mortels m'affligent davantage. Allons pourtant dans le monde, puisque vous le voulez, Seigneur : car le mieux est toujours de faire votre volonté. Que si ma vie et mes facultés

 

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peuvent, ô puissant Roi, être employées à votre  service, cela seul suffit pour me faciliter ma sortie  et pour me faire commencer avec joie la course de  mes jours. Donnez-moi, Seigneur, votre bénédiction, afin que je passe dans le monde. »

272. Le précurseur de Jésus-Christ mérita par cette demande que sa divine Majesté lui renouvelât dans le moment qu'il naquit, et sa bénédiction et sa grâce. Le saint enfant en sentit l'effet : car, plein de la présence de Dieu , il comprit qu'il était envoyé pour opérer de grandes choses pour son service, et que les grâces nécessaires pour les exécuter lui étaient promises. Avant de raconter le très-heureux accouchement de sainte Élisabeth, et afin d'accorder le temps dans lequel il arriva avec le texte des sacrés évangélistes, je suis bien aise que l'on sache que la grossesse de cette admirable conception dura neuf mois moins neuf jours (1); car eu vertu du miracle qui rendit féconde la mère stérile, le corps qu'elle avait conçu fut perfectionné dans cet espace de temps, et il. se trouva au terme de sa naissance; et quand l'archange Gabriel dit à la sainte Vierge que sa cousine Élisabeth était dans le sixième mois de sa grossesse, il faut entendre qu'il n'était pas encore accompli , parce qu'il y manquait environ huit à neuf jours. J'ai dit aussi dans le chapitre XVI que notre divine Daine partit le quatrième jour après l'incarnation du Verbe pour aller voir sainte Élisabeth ; et c'est parce que la

 

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chose n'arriva pas immédiatement après, que saint Luc dit que la très-pure Marie partit en ces jours pour s'en aller promptement dans les montagnes (1); et ils employèrent quatre autres jours dans leur voyage, comme nous l'avons dit au même endroit.

273. On doit aussi remarquer que quand le même évangéliste dit que la très-pure Marie demeura près de trois mois dans la maison d'Élisabeth (2), il ne leur manqua que deux à trois jours pour être accomplis; parce que le texte de l'Évangile a été en tout fort ponctuel. Et selon cette supputation, il faut nécessairement inférer que notre auguste Maîtresse ne se trouva pas seulement à la naissance de saint Jean,. mais aussi à la circoncision, et à la détermination de son nom mystérieux, comme je m'en vais le dire. Car en comptant huit jours après l'incarnation du Verbe, on trouve que notre Dame et saint Joseph arrivèrent à la maison de Zacharie le 2 avril, d'après notre manière de supputer les mois solaires, et ils arrivèrent sur le soir. Ajoutant maintenant trois autres mois moins deux jours, qui commencent à courir du 3 avril, on atteint, comme terme de cette période, le 1er juillet, qui est le huitième jour de la naissance de saint Jean, et celui de la circoncision; et la très-sainte Vierge partit le lendemain matin, pour s'en retourner à Nazareth. Et bien que l'évangéliste saint Luc raconte le retour de notre Reine dans sa maison , avant l'accouchement de sainte Élisabeth (3), il n'eut

 

(1) Luc., I, 39. — (2) Ibid.. 56. — (3) Ibid 56, 57.

 

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pas lieu avant, mais après, le texte sacré anticipant le récit du retour de la divine Marie pour achever tout ce qui la regardait, et pour poursuivre ensuite l'histoire de la naissance du précurseur sans interrompre le récit de son discours, et c'est ce qui m'a été déclaré, afin que je l'écrivisse.

274. Or, le moment si désiré de la délivrance s'approchant, sainte Élisabeth sentit que l'enfant se remuait dans son sein comme s'il se fût dressé sur ses pieds, et c'était un effet de la nature et de l'obéissance de l'enfant. Lorsque des premières douleurs peu intenses survinrent à la mère, elle fit avertir sa cousine Marie, sans oser pourtant la prier de se trouver présente à son accouchement ; parce que le grand respect qu'elle avait pour sa dignité et pour l'adorable fruit qu'elle portait, lui fit croire qu'il n'était pas décent de demander cette faveur. Aussi notre auguste Reine n'alla point alors dans l'appartement de sa cousine, mais elle lui envoya les langes qu'elle avait préparés pour emmailloter le très-heureux enfant. Il naquit quelques moments après, et on le vit dans toute la perfection qu'on pouvait désirer, découvrant dans la pureté de son corps celle qui embellissait son âme car sa naissance fut en quelque façon plus pure que celle des autres enfants. On l'emmaillota dans les langes, qui étaient déjà dignes d'une vénération singulière, étant (ouvrage des mains de la très-sainte Vierge. Lorsque tous les arrangements eurent été pris autour de sainte Élisabeth, qui commençait à pouvoir se reposer, alors la très-sainte Vierge sortit

 

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de son oratoire par le commandement du Seigneur, et alla voir le fils et la mère, qu'elle félicita de ses heureuses couches.

275. A la prière de sa mère, la Reine du ciel prit dans ses bras le nouveau-né, et le présenta comme une nouvelle oblation au Père éternel. Sa divine Majesté la reçut avec complaisance, comme les prémices des oeuvres du Verbe incarné, et comme l'exécution de ses divins décrets. Le très-heureux enfant, rempli du Saint-Esprit, reconnut sa Reine légitime, il lui fit la révérence, qui ne fut pas seulement intérieure, mais aussi extérieure, par une petite inclination de tète, et il adora derechef le Verbe fait homme dans le sein de sa très-pure Mère, où il le découvrit alors par une lumière très-particulière. Et appréciant aussi le bienfait qu'il avait reçu entre les mortels, il fit des actes sublimes de reconnaissance, d'amour, d'humilité et de vénération à Jésus-Christ et à sa Mère vierge. La très-sainte Dame, en l'offrant au Père éternel, fit pour lui cette prière : « Seigneur d'une majesté suprême, Père saint et puissant, recevez à votre service les prémices de votre très-saint Fils, mon Seigneur. C'est celui qu'il a sanctifié, et racheté du pouvoir et des effets du péché et de vos anciens ennemis. Recevez ce sacrifice du matin , donnez-lui, avec votre sainte bénédiction, votre divin Esprit, afin qu'il soit fidèle dispensateur du ministère auquel vous le destinez pour votre honneur et pour celui de votre Fils unique. » La prière de notre Reine fut en tout efficace, et elle connut que sa

 

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divine Majesté enrichissait l'enfant qu'elle avait choisi pour son précurseur, et cet heureux enfant ressentit dans son âme l'effet de tant de faveurs ineffables.

276. Pendant que la Maîtresse de l'univers tint le petit Baptiste entre ses bras, elle demeura secrètement dans une très-douce extase l'espace de quelque peu de temps; et c'est dans cet état qu'elle l'offrit, qu'elle pria pour lui, le tenant appuyé sur son sein, où le Fils unique du Père éternel et le sien devait bientôt reposer. Ce fut un privilège singulièrement étonnant du grand précurseur, qui ne fut accordé à aucun autre saint. Et l'on ne doit pas être surpris que l'ange le proclamât grand en la présence du Seigneur, puisque sa divine Majesté le visita et, le sanctifia avant qu'il naquit, et qu'en naissant il fut mis sur le trône de la grâce (1). Ce saint enfant eut le bonheur de se voir le premier entre les bras qui devaient porter le Dieu fait homme lui-même , et de donner un motif à sa très-douce mère de désirer plus vivement y serrer son propre Fils et Seigneur, ce souvenir redoublant en même temps dans le coeur de notre auguste Dame de saintes affections pour son petit précurseur. Sainte Élisabeth connut ces divins mystères, parce que le Seigneur les lui manifestait, en regardant son fils miraculeux entre les bras de Celle qui lui était beaucoup plus mère qu'elle-même, puisqu'il ne devait à sainte Élisabeth que l'être naturel, et qu'il était redevable à la très-pure Marie de celui d'une grâce si excellente.

 

(1) Luc., I, 15.

 

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Toutes ces merveilles faisaient une très-douce harmonie dans le coeur des deux très-heureuses mères, et du petit Baptiste, qui pénétrait aussi des mystères si profonds et si vénérables, qui exprimait la joie de son âme par toute sorte de démonstrations enfantines et par les mouvements de ses faibles membres, et qui se pressait contre notre divine Dame, dont il sollicitait les caresses et témoignait ne point vouloir se séparer. Elle le caressait, mais c'était avec tant de majesté et de retenue, qu'elle ne le baisa jamais, comme une Vierge peut d'ordinaire se le permettre envers des enfants de cet âge; car elle réservait sa très-chaste bouche pour son très-saint Fils. Elle n'arrêta pas même sa vue sur le visage du saint enfant, parce qu'elle ne regarda que la sainteté de son âme, et à peine l'aurait-elle connu par le rapport de ses yeux, si grande était la prudence et la modestie de l'incomparable Reine du ciel.

277. La naissance de Baptiste fut incontinent divulguée, comme dit saint Luc (1); tous les parents et les voisins en vinrent féliciter Zacharie et sainte Élisabeth, parce que c'était une maison riche, noble, estimée de toute la contrée, et qu'ils s'étaient acquis par leur sainteté les cœurs de tous ceux qui les connaissaient. D'ailleurs, comme on les avait vus un si long temps sans héritier par la stérilité de sainte Élisabeth, et qu'elle se trouvait dans un âge fort avancé, l’admiration et la joie que fit éprouver à tout le monde

 

(1) Luc., 1, 58.

 

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un fait si inattendu, furent d'autant plus grandes; on comprenait que cet enfant tenait plus du miracle que de la nature. Le saint prêtre Zacharie,toujours muet , ne pouvait exprimer ses sentiments par des paroles; car l'heure n'était pas encore arrivée où sa langue devait être déliée avec tant de mystère. Mais il manifestait la joie intérieure dont il était inondé par d'autres démonstrations, et au fond de son âme il ne cessait d'offrir des cantiques de louanges et d'actions de grâces pour le bienfait inouï qu'il commençait d'expérimenter et de reconnaître après son incrédulité. Je dirai dans le chapitre qui suit comment la parole lui fut rendue.

 

Instruction que la Reine de l'univers me donna.

 

278. Ma très-chère fille, ne soyez pas surprise que mon serviteur Jean appréhendât si fort d'entrer dans le monde; car les ignorants du siècle ne sauraient l'aimer autant que les sages savent l'avoir en horreur, et craindre ses dangers par la science divine et la lumière céleste qui les éclaire. Celui qui naissait pour être le précurseur de mon très-saint Fils avait l'une et l'autre dans un sublime degré, et connaissant par là le dommage que le monde fait essuyer à l'âme, il était naturel que la crainte suivît cette connaissance. Ainsi cette crainte lui servit pour entrer heureusement

 

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dans le monde; car plus on le connaît et on l'abhorre, plus sûrement on traverse ses flots agités et ses abîmes profonds. L'enfant béni commença sa course avec un tel dégoût, une telle aversion, une telle horreur pour tout ce qui est terrestre, qu'il ne donna jamais aucune trêve à cette inimitié. Il ne fit point de paix avec la chair, il ne voulut souffrir aucune de ses trompeuses flatteries, il n'abandonna point ses sens à la vanité, il ne daigna pas même la regarder, et dans cette haine qu'il avait vouée au monde et à toutes ses maximes, il donna sa vie pour la justice (1). Le citoyen de la véritable Jérusalem ne saurait s'accorder ni s'allier avec Babylone, il n'est même pas possible de s'attirer la grâce du Très-Haut, de résider dans cette sainte cité, et de nouer en même temps des rapports avec ses ennemis déclarés (2), parce que personne n'a jamais pu, personne ne peut servir deux maîtres opposés (3), ni faire que la lumière et les ténèbres se trouvent ensemble (4), et que Jésus-Christ soit d'accord avec Bélial.

279. Gardez-vous plus que du feu, ma très-chère, de ceux qui sont possédés des ténèbres et amateurs du monde (5) ; car la sagesse des enfants du siècle est charnelle et diabolique, et leurs voies ténébreuses mènent à la mort. Si, devant conduire quelqu'un à la véritable vie, il vous fallait pour cela sacrifier celle qui vous est naturelle, vous n'en devriez pas moins

 

(1) Marc., VI, 17. — (2) Jacob., IV, 4. — (3) Matth., VI, 24. — (4) II Cor., VI, 14. — (6) Rom., VIII, 7.

 

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conserver toujours la paix de votre intérieur. Je vous destine trois lieux, afin que vous y demeuriez et que vous n'en sortiez jamais; et s'il arrive que le Seigneur vous commande de vous occuper des besoins des créatures, je veux que vous le fassiez sang perdra cet asile, comme celui qui, étant dans un château entouré d'ennemis, se trouverait obligé de paraître à la porte pour quelque affaire importante; il négocierait de ce poste ce qui serait. précisément nécessaire avec tant de circonspection, qu'il songerait beaucoup plus au chemin par où il devrait s'en retourner et se mettre à couvert, qu'aux, affaires, du dehors, et sa prudence le mettrait toujours en. garde contre l'imminence du péril. Voilà ce que vous devez faire, vous aussi, si vous voulez vivre en sûreté; car vous, ne doutez pas que vous ne soyez environnée d'ennemis, bien plus cruels et plus venimeux, que les aspics et les basilics.

280. Les lieux de votre demeure doivent être la divinité du Très -Haut, l'humanité de mon très-saint Fils, et le secret de votre intérieur. Vous devez être dans la Divinité comme- la perla dans sa nacre et le poisson dans la mer; pouvant étendre vos affections et vos désirs dans, ses espaces infinis. La très-sainte humanité de mon Fils, sera le mur, qui vous. défendra, et son coeur ouvert, la couche royale où vous reposerez sous l'ombre de sa protection (1). Votre intérieur vous donnera une joie pacifique par le témoignage de la bonne conscience, et si vous la conservez pure, elle

 

(1) Ps., XVI, 8.

 

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vous facilitera le doux commerce de votre Époux (1). Afin que la retraite matérielle et corporelle vous aide en tout cela, je veux, et c'est mon bon plaisir, que vous vous la procuriez en restant dans votre tribune ou dans votre chambre, et que vous n'en sortiez que quand la vertu de l'obéissance ou l'exercice de la charité vous y obligera. lin secret que je vous découvre, c'est qu'il y a des démons choisis par Lucifer et spécialement chargés d'attendre les religieux et les religieuses quand ils sortent de leur retraite, et de les attaquer alors par toutes sortes de tentations pour tâcher de les abattre. Ceux-là n'entrent pas facilement dans les chambres, parce qu'il n'y a pas tant d'occasions de parler, de voir, et d'user mal des sens, ce en quoi ils trouvent d'ordinaire leur proie, à laquelle ils s'attachent comme des loups carnassiers. Et c'est pour ce sujet qu'ils sont enragés de voir les religieux dans la retraite et le recueillement, parce qu'ils désespèrent de les vaincre , tant qu'ils ne les surprennent point parmi les dangers de la conversation humaine.

281. En général, il est certain que les démons n'ont aucun pouvoir sur les âmes, lorsqu'elles ne s'assujettissent point à eux par le péché mortel, ou bien qu'elles ne leur donnent point entrée par le péché véniel; car le péché mortel leur donne sur celles qui le commettent comme un droit propre, dont ils usent pour les entraîner à d'autres. Quant au péché

 

(1) II Cor., I, 12.

 

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véniel, comme il diminue les forces de l'âme, de même il augmente celles que l’ennemi peut déployer dans la tentation. Autant, en effet, les imperfections atténuent le mérite et retardent les progrès de la vertu sut le chemin de la perfection, autant elles animent l'adversaire. Car quand il s'aperçoit que l'âme tolère sa propre tiédeur ou s'engage légèrement dans le péril par une oisiveté imprudente et par l'oubli du tort qu'elle se fait, alors, semblable à un serpent rusé, il l'épie et la suit pour lui communiquer son mortel venin; il la pousse devant lui comme un jeune oiseau sans expérience, jusqu'à ce qu'elle tombe dans un des piéges nombreux qu'il lui a tendus.

282. Or, considérez, ma fille, avec admiration ce que Nous savez là-dessus par la lumière divine, et pleurez avec une intime douleur la perte de tant d'âmes ensevelies dans ce sommeil dangereux. Elles vivent dans les ténèbres de leurs passions et de leurs inclinations dépravées, sans faire nulle réflexion sur le péril qui les menace, insensibles à leur propre mal, inconsidérées dans les occasions; bien loin de les éviter et de les craindre, elles les cherchent avec tout l'aveuglement de l'ignorance; elles suivent avec une impétuosité furieuse leurs mauvaises inclinations, qui les précipitent dans de faux plaisirs; elles ne mettent un frein ni à leurs passions ni à leurs désirs; et sans prendre garde où elles mettent les pieds, elles s'engagent dans toutes sortes de dangers et de précipices. Les ennemis sont innombrables, leur ruse, diabolique et infatigable, leur vigilance continuelle,

 

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leur haine implacable, leur activité incessante ; après tout cela doit-on s'étonner si de semblables extrémités, ou, pour mieux dire, si de tant de dangers divers résultent pour les vivants tant de maux irréparables ; que le nombre des insensés étant infini (1) , celui des réprouvés soit sans nombre, et que le démon s'enorgueillisse de tant de triomphes que les mortels lui ménagent par leur propre et effroyable perte? Dieu vous, préserve, ma fille, d'un si grande malheur! pleurez et lamentez celui de vos frères, et demandez-en le remède avec autant de ferveur qu'il vous sera possible.

 

CHAPITRE XXIII. Les avis que la très-sainte Vierge donne à sainte Élisabeth. — A sa demande on circoncit l'enfant, et on lui donne son nom: — Zacharie prophétise.

 

283. Le précurseur de Jésus-Christ. étant né, le retour de l'auguste Marie à Nazareth était inévitable; et, bien que sainte Élisabeth fût trop sage et trop prudente pour ne pas se conformer à cet égard à la divine volonté, et ne pas modérer jusqu'à un certain,

 

(1) Eccles., I, 15.

 

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point sa douleur par cette soumission, elle souhaitait néanmoins d'adoucir en quelque façon sa solitude par les avis de la Mère de la Sagesse. Elle lui dit dans cette espérance : « Madame et Mère de mon Créateur,  je vois bien que vous vous préparez à votre départ,  et que par là je serai privée de la consolation de a votre aimable compagnie. Je vous supplie, ma très chère cousine, de me faire la grâce de me laisser à quelques instructions qui puissent me servir en   votre absence à diriger toutes mes actions selon le bon plaisir du Très-Haut. Vous portez dans votre sein virginal le Maître qui corrige les sages, et la source de la lumière (1), et vous venez par lui la communiquer à tous : faites part, mon aimable Maîtresse, à votre servante de quelques-uns de ces rayons qui éclatent dans votre très-pur  esprit, afin que le mien soit éclairé et conduit par a les droits sentiers de la justice jusqu'à ce que j'aie  le bonheur de voir le Dieu des dieux dans Sion (2). »

284. Ce discours de sainte Élisabeth causa en la très-pure Marie de la tendresse et de la compassion, et dans ces sentiments elle répondit à sa cousine en lui donnant des instructions célestes pour se conduire le reste de sa vie, qui devait se terminer dans fort peu de temps; elle l'assura aussi que le Très-Haut prendrait soin du petit Baptiste, et qu’elle-même le recommanderait à sa divine Majesté. Et quoiqu'il ne soit pas possible de raconter tout ce que notre auguste

 

(1) Sap., VII, 15; Eccles., I, 5. — (2) Ps. XXII, 3; LXXXIII, 8.

 

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Reine conseilla à sainte Élisabeth dans les très-doux entretiens qu’elle eut avec elle lorsqu'elle en prit congé, je dirai pourtant quelque chose de ce que j'en connais en la manière que je l'ai appris, ou selon que la faiblesse de mes termes me le permettra. Or, la très-pure Marie lui dit : « Ma cousine et ma très chère amie, le Seigneur vous a choisie pour ses oeuvres et pour ses très-hauts mystères, dont il a  daigné vous communiquer une si grande lumière,  voulant bien aussi que je vous ouvre mon coeur. Je vous y tiens gravée pour vous présenter à sa divine Majesté; je n'oublierai jamais les humbles bontés que vous avez eues pour la plus inutile des créatures, et j'espère que vous en recevrez une grande récompense de mon très-saint Fils, mon  Seigneur.

285. « Élevez toujours votre esprit aux choses célestes, et, vous aidant de la lumière de la grâce que vous avez, ne perdez jamais de vue l'Être immuable de Dieu éternel, ni la munificence de sa bonté infinie, qui l'a porté à tirer les hommes du néant pour les élever à sa gloire et les enrichir de ses dons (1). Cette obligation commune à toutes les créatures, la miséricorde du Très-Haut nous l'a rendue beaucoup plus étroite, quand elle nous a poussée dans cette voie lumineuse, afin que nous avancions toujours et que nous allions jusqu'à suppléer par notre reconnaissance à. la noire ingratitude

 

(1) Eccles., XXXII, 17.

 

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des mortels, qui les empêche toujours davantage de connaître et de glorifier leur Créateur. Et c'est ce que nous devons faire, en débarrassant notre coeur des engagements du monde, afin qu'il marche en pleine liberté à son heureuse fin. C'est pour cela, ma bonne amie, que je vous recommande beaucoup de le détourner et de l'éloigner de tout ce qui est terrestre, même des choses qui vous appartiennent, afin que, délivrée des empêchements de la terre, vous éleviez votre esprit aux vocations divines, que vous espériez la venue du Seigneur, et que, quand il vous appellera, vous lui répondiez avec joie (1) et sans la violence douloureuse que l'âme ressent lorsqu'il faut qu'elle se sépare du corps, et de tout le reste qu'elle aime à l'excès. Maintenant que c'est le moment de souffrir et d'acquérir la couronne, tâchons de la mériter et de marcher avec diligence, pour arriver à l'union intime de notre véritable et souverain bien.

286. « Soyez fort soigneuse d'obéir à Zacharie, votre mari et votre chef, de l'aimer et de le servir tant qu'il vivra, avec une très-grande soumission. Offrez continuellement votre fils miraculeux à son Créateur; et en lui et pour lui vous le pouvez aimer comme mère, car il sera un grand prophète, il défendra la loi et l'honneur du Très-Haut avec le zèle d'Élie, que sa divine Majesté lui donnera, et il travaillera pour l'exaltation de son saint nom (2).    

 

(1) Luc., XII, 36. — (2) Malac., IV, 5; Luc., I, 17.

 

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« Mon très-saint Fils, qui l'a choisi pour son précurseur et pour l'ambassadeur de sa venue et de sa doctrine, le protégera comme son favori, le comblera des dons de sa droite, le rendra grand et admirable parmi les nations, et fera éclater sa grandeur et sa sainteté dans le monde (1).

287. Travaillez avec un zèle ardent. à faire craindre, honorer et révérer dans toute votre maison, dans toute votre famille, le saint nom de notre Dieu et Seigneur, du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob. Ayez un très-grand soin de soulager les pauvres dans leurs nécessités, autant qu'il vous sera possible (2); enrichissez-les des biens temporels que le Très-Haut vous a départis de sa main avec abondance, afin que vous les leur dispensiez avec la même libéralité, car ils leur appartiennent plus qu'à vous (3), puisque nous sommes tous enfants du Père qui est aux cieux, auquel tout ce qui est créé appartient; et il n'est pas juste que le Père étant riche, un enfant veuille avoir et conserver le superflu, pendant que ses frères vivent dans la pauvreté et le dénûment : par cette pratique de la charité vous vous rendrez fort agréable au Dieu immortel des miséricordes. Continuez ce que vous faites, et exécutez ce que vous avez projeté, puisque Zacharie laisse la chose à votre disposition. Avec cette permission vous pouvez être libérale. Vous

 

(1) Jean., I, 7; III, 29; Luc., I, 15; Matth., XI, 9. — (2) Tob., IV, 7 et 8. — (3) II Cor., VIII, 14.

 

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confirmerez votre espérance par toutes les épreuves que le Seigneur vous enverra, et dans vos rapports avec les créatures vous serez pleine de bénignité et de mansuétude, humble, pacifique, toujours patiente, bien que plusieurs doivent vous exercer  sans cesse et vous fournir comme la matière de   votre couronne : cette conduite répandra au fond  de votre Aime une sainte allégresse. Bénissez éternellement le Seigneur pour les très-hauts mystères   qu'il vous a manifestés, demandez-lui le salut des  Aimes avec un amour et un zèle continuel, et priez  sa divine Majesté qu'elle me gouverne et me conduise, afin que je dispense dignement le sacrement  que sa bonté immense a confié à la plus humble  et à la plus pauvre de ses servantes. Envoyez a quérir mon époux, qui me remmènera. Et préparez  cependant toutes choses pour la circoncision de votre fils, qui doit être appelé Jean, parce que  c'est le nom que le Très-Haut lui a donné, et c'est  le décret de sa volonté immuable (1). »

288. Ce discours, accompagné de plusieurs autres paroles de vie éternelle que la très-sainte Vierge dit à sainte Élisabeth, produisit dans son coeur des effets si divins, quelle resta quelques instants muette et subjuguée par la force de l'esprit qui l'enseignait, l'illuminait et ravissait toutes ses pensées et tous ses sentiments sur les hauteurs d'une doctrine si céleste : car le Très-Haut se servait des paroles de sa très-pure

 

(1) Luc., I, 18.

 

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Mère, comme d'un instrument animé, pour vivifier et renouveler le cour de sa servante. Et, après qu'elle fut revenue à elle-même et qu'elle eut modéré ses larmes, elle dit à la Vierge sacrée : « Madame et Reine de tout ce qui est créé, la douleur et la cou solution que j'éprouve me réduisent également au  silence. Entendez les paroles qui se forment au plus  intime de mon cœur, et que je ne saurais en dégager. Mes sentiments vous diront ce que ma langue  est impuissante à exprimer. Je m'en rapporte au Tout-Puissant pour le retour qu'exigent toutes vos  faveurs : car c'est lui qui récompense de ce qui est donné à des pauvres tels que nous. Je vous de mande seulement que, comme vous êtes en toutes  choses ma protectrice et la cause de mon bien, vous  m'obteniez la grâce et les forces nécessaires pour  pratiquer vos leçons, et pour supporter la privation  de votre douce compagnie; car ma douleur est excessive. »

289. Ensuite l'on se disposa pour la circoncision du petit Baptiste, parce que le temps déterminé par la loi s'approchait (1). Beaucoup de parents et amis de cette sainte famille s'assemblèrent donc dans la maison de Zacharie, conformément à l'usage des juifs (surtout parmi les nobles); ils se mirent à conférer sur le nom qu'on donnerait à l'enfant. Car, en règle générale, ils attachaient une grande importance au choix du nom qu'il convenait de donner aux enfants,

 

(1) Luc., 1, 59.

 

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et prenaient à cet égard des précautions vraiment minutieuses; et le cas qui se présentait était tout à fait extraordinaire, tant à cause de la qualité de Zacharie et de sainte Élisabeth que parce que chacun admirait la merveille de la grossesse et de l'enfantement d'une mère vieille et stérile : on y pressentait quelque grand mystère. Zacharie était muet, ainsi il fallut que sa femme sainte Élisabeth présidât dans cette assemblée et, outre qu'on avait pour elle un très-grand respect et une estime toute particulière, elle était si renouvelée et si rehaussée en sainteté depuis la visite de la Reine du ciel, sa fréquente conversation et la connaissance de ses mystères, que tous ceux qui la virent s'aperçurent de ce changement : parce qu'on remarquait même jusque sur son visage une espèce de splendeur qui la rendait en même temps et vénérable et admirable; c'était la réverbération des rayons de la sainteté près de laquelle il lui était donné de vivre.

290. La divine Marie se trouva présente à cette assemblée, parce que sainte Élisabeth la pria instamment de s'y rendre, et surmonta toutes ses résistances en se servant d'une espèce de commandement fort respectueux et fort humble. La grande Reine obéit; mais ce fut après avoir obtenu du Très-Haut qu'il ne la ferait point connaître, et qu'il ne manifesterait aucune chose de ses bienfaits cachés par ou elle pût être honorée. Le désir de la très-humble entre les humbles fut accompli. Et comme les gens du monde laissent dans l'humilité ceux qui ne se distinguent pas du commun par un extérieur éclatant, il n'y eut personne

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qui fit à elle aucune attention particulière,, excepté sainte Élisabeth : elle fut la seule qui la traita avec une vénération intérieure et extérieure, reconnaissant que c'était sous sa direction que se déciderait la grande affaire dont on s'occupait. Il arriva ensuite ce qui est raconté dans l'Évangile de, saint Luc (1); que quelques-uns voulaient nommer l'enfant Zacharie,'du nom de son père. Mais la prudente mère, assistée de la très-sainte Maîtresse, dit: a Mon fils sera, appelé Jean. » Les parents lui répondirent qu'il n'y avait aucun de sa famille qui portât ce nom : en quoi l'on peut remarquer qu'on a toujours fait une grande estime des noms des plus illustres prédécesseurs, afin qu'en les portant on les imitât en quelque chose. Sainte Élisabeth persista à dire que son fils devait être nommé Jean.

291. Quoique Zacharie fût muet, les parente souhaitèrent qu'il leur fit connaître dans cette occasion son sentiment par quelque signe ; et, s'étant fait donner une plume, il écrivit ces mots : Son nom est Jean (2). A l'instant où il les écrivait, la très-pure Marie, usant du pouvoir de Reine que Dieu lui avait donné sur les choses naturelles et créées, commanda à la langue de Zacharie de se délier et de bénir le Seigneur, parce que le moment était venu. A cet ordre divin le saint se trouva libre, et il commença de parler, jetant, comme dit l'Évangile, dans l'admiration et dans la crainte tous ceux qui étaient présents (3).

 

(1) Luc., I, 59, 60, 61. — (2) Ibid., 62, 63. — (3) Ibid., 64, 65.

 

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Et quoiqu'il soit vrai que l'archange Gabriel dit à Zacharie, comme on le voit dans le même Évangile, qu'à cause de son incrédulité il demeurerait muet, jusqu'à ce que ce qu'il lui annonçait. fût accompli (1), cela n'est pas néanmoins contraire à ce que je dis ici; car lorsque le Seigneur révèle quelque décret de sa divine volonté, bien qu'il soit efficace et absolu, il ne déclare pourtant pas toujours les moyens par lesquels il le doit exécuter, comme il les prévoit dans sa science infinie : ainsi l'ange déclara à Zacharie qu'il deviendrait muet en punition de son incrédulité; mais il ne lui dit point qu'il serait guéri par, l'intercession de la sainte Vierge, quoique le Seigneur l'eût prévu et déterminé de la sorte.

292. Or, comme la voix de l'auguste Marie servit d'instrument pour sanctifier le petit Baptiste et sa mère Élisabeth, de même son ordre secret et, sa prière furent le puissant ressort qui rendit le mouvement à la langue de Zacharie, lorsque, plein du Saint-Esprit, il s'écria d'une voix prophétique :

« Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël, de ce  qu'il est venu visiter et racheter son peuple,

« Et qu'il nous a suscité un puissant Sauveur dans  la maison de son serviteur David;

« Ainsi qu'il l'avait promis par la bouche de ses saints prophètes qui ont vécu dans les siècles  passés,

« Pour nous délivrer de la puissance de nos ennemis

 

(1) Luc., I, 20.

 

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et de la main de tous ceux qui nous haïssent, 

« Afin d'exercer sa miséricorde envers nos, pères, et de se souvenir de sa sainte alliance :

« Selon le serment qu'il avait fait à notre père Abraham de se donner à nous,

« Pour que, délivrés de la main de nos ennemis, nous le servions sans crainte,

« Marchant devant lui dans la sainteté et dans la  justice tous les jours de notre vie.

« Et vous, petit enfant, vous serez appelé le prophète du Très-haut, car vous irez devant la face du Seigneur afin de préparer ses voies ,

« En donnant la connaissance du salut à son peuple,  afin qu'il reçoive la rémission de ses péchés;

« Par les entrailles de la miséricorde de notre  Dieu, qui ont porté le Soleil levant à nous visiter  d'en haut,

« Pour éclairer ceux qui demeurent dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort, et pour conduire  nos pas dans le chemin de la paix (1). »

293. Zacharie fit dans ce divin cantique un abrégé des très-hauts mystères de la divinité, de l'humanité et de la rédemption du Christ, dont les anciens prophètes avaient parlé avec plus d'étendue; il renferma en peu de mots plusieurs sublimes et divins,secrets, et il les pénétra par l'abondance de la grâce, qui éclaira son esprit et transporta son âme de ferveur en présence de tous ceux qui assistaient à la circoncision

 

(1) Luc., I, 68-79.

 

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de son fils; car tous furent témoins du miracle qui lui fit recouvrer l’usage de la parole et prophétiser en même temps des mystères si divins, qu'il ne m'est pas possible d'en donner toute l'intelligence que le saint prêtre en eut.

294. Il dit : Béni soit le Seigneur, le Dieu d'Israël (1), dans la connaissance qu'il avait que le Très-Haut, pouvant par un seul acte de sa volonté, ou par une seule parole, racheter son peuple et lui donner le salut éternel, ne se servit pourtant pas de sa seule puissance, mais aussi de sa bonté et de sa miséricorde infinie, le Fils du Père éternel descendant pour visiter ce peuple et pour faire l'office de frère en la nature humaine, de maître par sa doctrine et par ses exemples, et de rédempteur par sa vie, par sa passion, et par la mort de la croix. Zacharie connut alors l'union des deux natures en la personne du Verbe, et il vit par une lumière surnaturelle ce grand mystère réalisé dans le sein virginal de la très-pure Marie (2). Il découvrit aussi l'exaltation de l'humanité du Verbe et la gloire du triomphe que Jésus-Christ, Dieu et homme, devait remporter en donnant le salut éternel au genre humain, selon les divines promesses que son père David en avait reçues (3) ; et que ces mêmes promesses avaient été faites au monde par les oracles des prophètes depuis son commencement et le principe de son. existence; car dès la création, dès

 

(1) Luc, I, 68. — (2) Ibid.. 69. — (3) Il Reg., VII, 12; Ps. CXXXI, 11, 70

 

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la formation primitive du monde, Dieu fit avancer, pour ainsi dire, la nature et la grâce pour y préparer sa venue, dirigeant toutes ses oeuvres vers cette heureuse fin, à partir de la formation d'Adam.

295. Il comprit comment le Très-Haut voulut que nous obtinssions par ces moyens la grâce et la vie éternelle, que nos ennemis ont perdues par leur orgueil et leur désobéissance obstinée, lorsqu'ils furent précipités dans les profonds abîmes, et que les sièges qui leur étaient destinés s'ils eussent été obéissants, fussent réservés pour ceux qui le seraient parmi les mortels (1). Que dès lors l'ancien serpent tourna contre ceux-ci la haine qu'il avait conçue contre Dieu lui-même (2), dans l'entendement duquel nous étions déjà renfermés et prédestinés à l'être par sa sainte et éternelle volonté; et que nos premiers parents Adam et Ève étant déchus de son amitié et de sa grâce, il leur tendit la main, les mit dans un état d'espérance, et ne les abandonna point comme les anges rebelles (3); mais, pour assurer leurs descendants de la miséricorde dont il voulait user envers eux, il fit entendre les oracles prophétiques et appropria les figures que l'Ancien Testament renferme, et que sa divine Majesté devait confirmer et accomplir dans le Nouveau par la venue du Rédempteur. Et afin que cette espérance reposât sur un fondement inébranlable (4), le Seigneur confirma par le serment

 

(1) Luc., I, 71. — (2) Apoc., III, 17. — (3) Luc., I, 71; Sap, X, 2 — (4) Luc., I, 72.

 

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la promesse qu'il fit à Abraham de le constituer le père de son peuple et de la foi (1), pour qu'assurés d'un bienfait si admirable et si inouï , comme l'était celui de nous promettre et de nous donner son propre Fils fait homme, et la liberté des enfants d'adoption (2) en laquelle nous étions régénérés par lui-même, nous servissions sa divine Majesté sans crainte de nos ennemis, qui étaient déjà abattus et vaincus par notre Rédempteur.

296. Et pour nous apprendre comment le Verbe éternel nous a mis à même, par sa venue, de servir le Très-Haut avec liberté (3), il dit aussi que ce fut par la justice et par la sainteté qu'il renouvela le monde, et qu'il fonda sa nouvelle loi de grâce pour tous les jours du siècle présent et' pour tous ceux de chacun des enfants de l'Église, où ils doivent vivre dans la sainteté et dans la justice (4) ; et c'est ainsi que tous vivraient, si tous faisaient les efforts dont ils sont capables. Puis Zacharie discerna en son fils Jean le principe de l'exécution de tant de mystères que la divine lumière lui découvrait; c'est pourquoi, se tournant vers lui, il l'en félicita, et lui prédit sa dignité, sa sainteté et son ministère, disant : Et vous, mon fils, vous serez appelé le prophète du Très-Haut; car vous irez devant la face du Seigneur (qui est sa divinité), préparant ses voies (5) par la lumière que vous donnerez à son peuple sur la venue

 

(1) Gen., XXII, 16 et 18. — (2) Luc., X, 73; Gal., IV, 5. — (3) Luc., I, 74. — (4) Ibid. 75. — (5) Ibid., 76.

 

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de son Rédempteur, afin que par votre prédication les Juifs aient connaissance de leur salut éternel (1), qui est notre Seigneur Jésus-Christ, le Messie promis; qu'ils le reçoivent en s'y disposant par le baptême de la pénitence et la rémission des péchés (2), et qu'ils sachent qu'il vient pardonner les leurs et ceux de tout le monde (3); car les entrailles de sa miséricorde l'ont porté à tout cela (4), et c'est par elle, et non par nos mérites, qu'il a daigné nous visiter (5), en descendant du sein de son Père éternel et en naissant parmi nous pour éclairer ceux qui, ignorant la vérité depuis tant de siècles, ont été et sont comme ensevelis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort éternelle, et pour conduire leurs pas et les nôtres dans le chemin de la véritable paix que nous attendons (6).

297. Zacharie connut tous ces mystères par la divine révélation d'une manière plus complète et plus approfondie, et il les comprit clans sa prophétie. Quelques-uns même de ceux qui l'entendirent furent aussi éclairés par les rayons de la lumière du Très-Haut, pour pressentir que le temps du Messie et de l'accomplissement des anciens oracles était déjà venu. Et tout émerveillés à la vite de tant de nouveaux prodiges, ils disaient ; « Quel sera donc cet enfant envers qui la main du Seigneur se montre si puissante et si admirable (7)? » Le petit Baptiste fut circoncis, et on

 

(1) Luc., I, 77. — (2) Marc., I, 4. — (3) Joan., I, 29. — (4) Luc., I, 78. — (5) Tit., III, 5. — (6) Luc., I, 79. — (7) Ibid.. 66.

 

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l'appela Jean; son père et sa mère concoururent miraculeusement à son nom : ils se conformèrent à toutes les prescriptions de la loi, et le bruit de toutes ces merveilles se répandit dans les montagnes de Judée (1).

298. Reine et Maîtresse de l'univers , ravie de ces oeuvres merveilleuses que le bras du Tout-Puissant opéra par votre entremise en vos serviteurs Élisabeth, Jean et Zacharie, je considère les différentes conduites que la divine Providence et votre rare discrétion y eurent. Car votre très-douce voix fut l'instrument dont le Saint-Esprit se servit pour sanctifier pleinement, par une opération secrète, le fils et la mère; et pour faire parler et illuminer Zacharie, vous n'employâtes qu'une prière et un commandement intérieur, et toute l'assemblée fut témoin de ce bienfait éclatant, et de la grâce que le Seigneur faisait au saint prêtre. J'ignore la raison de ces prodiges, et je représente mon ignorance à votre bonté maternelle, afin que vous m'enseigniez comme ma Maîtresse.

 

Réponse et instruction que la très-sainte Vierge me donna.

 

299. Ma fille, c'est pour deux raisons que les divines effets que mon très-saint Fils opéra par mon organe

 

(1) Luc., I, 65.

 

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en saint Jean et en sa mère Élisabeth, ne furent pas manifestes comme ceux qu'éprouva Zacharie. L'une est que ma servante Élisabeth s'étant déjà exprimée en termes si clairs lorsqu'elle me glorifia avec le Verbe incarné dans mon sein, il ne fallait pas que ni le mystère ni ma dignité fussent alors découverts avec plus d'éclat, parce que la venue du Messie devait être manifestée par d'autres moyens plus convenables. L'autre raison fut que tous les coeurs n'étaient pas disposés, comme celui d'Élisabeth, à recevoir une semence si précieuse et si nouvelle; ils n'eussent pas même aperçu des mystères si relevés avec la vénération qui leur était due. Il était d'ailleurs plus à propos que le prêtre Zacharie fût, à cause de sa dignité, chargé de manifester ce qu'il était opportun; on devait naturellement recevoir de lui les premières communications de la lumière avec plus de respect qu'on n'eût fait de sainte Élisabeth se trouvant en la présence de son mari; et ce qu'elle dit fut réservé pour être divulgué en son temps. Et quoique les paroles du Seigneur portent avec elles la force et l'efficace nécessaire pour s'insinuer, néanmoins dans cette occasion, l'organe du prêtre était un moyen plus doux et plus convenable, tant pour les ignorants que pour ceux qui étaient peu versés dans les mystères divins.

300. Il fallait aussi honorer et mettre en crédit la dignité du sacerdoce, dont le Très-Haut fait une si grande estime, que, s'il trouve chez ceux qui en sont revêtus les dispositions convenables, il ne manque jamais de les élever et de leur communiquer son

 

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esprit, afin que le monde les vénère comme ses élus et ses oints; outre que les merveilles du Seigneur ne courent pas chez eux le même risque d'être compromises, avec quelque éclat qu'elles se produisent au dehors. Que s'ils répondaient à leur dignité, ils agiraient parmi les autres créatures comme des séraphins et apparaîtraient comme des anges. On découvrirait une rayonnante majesté sur leur visage, comme sur celui de Moïse quand il sortit de la présence du Seigneur (1). Au moins ils doivent converser avec les autres hommes d'une telle façon, qu'ils s'attirent leur respect après qu'ils les auront portés à honorer leur Créateur. Je veux , ma chère fille , que vous sachiez que le Très-Haut est maintenant fort indigné contre le monde, parmi tant de péchés qui s'y commettent en particulier, à cause de ceux dont se rendent coupables en cette matière les prêtres aussi bien que les laïques : les prêtres, parce que, oubliant l'éminence de leur dignité, ils l'outragent eux-mêmes en se rendant méprisables par leurs mauvais exemples et leurs scandales, et en négligeant tout à fait leur sanctification ; les laïques, parce que leur conduite est téméraire et irrévérencieuse à l'égard des oints , qui malgré leurs imperfections et leurs habitudes répréhensibles, doivent toujours être honorés et respectés comme tenant sur la terre la place de Jésus-Christ mon très-saint Fils.

301. Je n'agis point à l'égard de Zacharie comme

 

(1) Exod., XXXIV, 29.

 

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j'avais fait à l'égard de sainte Élisabeth, à cause de cette vénération qui était due à sa dignité. Car bien que le Très-Haut voulut que je fusse le canal ou l'instrument par lequel leur serait communiqué son divin esprit; néanmoins je montrai dans le salut que je fis à Élisabeth une espèce de supériorité, afin de commander au péché originel que son fils avait ; et dès lors il lui devait être pardonné par le moyen de mes paroles, qui devaient remplir le fils et la mère du Saint-Esprit. Et comme je n'avais point contracté le péché originel, attendu que j'en fus exempte, je pus en cette occasion exercer sur lui un plein empire, en le dominant du haut du triomphe que le Très-Haut, en m'en préservant, m'avait fait remporter sur lui, et non comme une esclave semblable à tous les enfants d'Adam qui ont péché en lui (1). Or, pour délivrer Jean de cette servitude et de ces chaînes du péché, le Seigneur voulut que je commandasse comme celle qui ne lui avait jamais été soumise. Je ne saluai point Zacharie avec ces marques d'autorité, mais je priai pour lui, témoignant à sa personne les égards et la vénération qu'exigeaient sa dignité et ma modestie. Et quoique le commandement que je fis à sa langue de se délier ne fût que mental , je ne l'aurais pas fait à cause du respect que je portais au prêtre, si le Très-Haut ne me l’eût ordonné, en me faisant aussi connaître que l'imperfection et l'infirmité qui le rendaient muet, amoindrissaient ses bonnes dispositions;

 

(1) Gen., III, 5; Rom., V, 12.

 

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car un prêtre doit avoir la libre jouissance de toutes ses facultés pour servir et louer le Seigneur. Dans une autre occasion je m'étendrai davantage sur le respect que l'on doit porter aux prêtres; ainsi ce que je viens de vous dire suffit pour répondre à votre doute.

302. L'instruction que je vous donne maintenant est que vous tâchiez d'âtre enseignée dans le chemin de la vertu et de la vie éternelle par toutes les personnes que vous fréquenterez-, soit qu'elles vous soient supérieures, soit qu'elles vous soient inférieures. Et demandant à toutes, avec la prudence qui vous doit toujours accompagner, qu'elles vous redressent et vous conduisent, vous imiterez ce que ma servante Élisabeth fit principalement envers moi, car le Seigneur fait bien souvent consister la bonne direction des âmes en cette humilité, et par elle il les conduit au véritable but, et il leur envoie sa divine lumière; il en sera de même à votre égard si vous agissez avec une discrétion sincère et avec un zèle ardent de la vertu. Tâchez aussi de rejeter bien loin toutes les flatteries des créatures, et de vous éloigner des conversations où vous les pouvez entendre, parce que d'enchantement qu'elles produisent obscurcit la lumière et pervertit le sens de l'intelligence crédule (1). Et le Seigneur est si jaloux des âmes qu'il aime tendrement, qu'à l'instant il se retire si elles reçoivent les louanges humaines et se plaisent à leurs douceurs,

 

(1) Sap., IV, 12.

 

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parce qu'elles se rendent indignes de ses faveurs par cette légèreté. Il n'est pas possible qu'une âme jouisse à la fois des adulations du monde et des caresses du Très-Haut, qui sont véritables, saintes, pures, sérieuses, qui humilient, purifient, apaisent et illuminent le coeur, tandis qu'au contraire les caresses et les flatteries des créatures sont vaines, inconstantes, trompeuses, impures et mensongères, comme sortant de la bouche de ceux qui sont accoutumés à mentir, et tout ce qui est mensonge est oeuvre de l'ennemi (1).

303. Votre Époux, ma très-chère fille, ne veut pas que vos oreilles s'appliquent à ouïr des discours faux et terrestres, ni que les flatteries du monde les infectent et les souillent; ainsi je veux que vous les teniez fermées à toutes ces tromperies empoisonnées, par une forte résolution de ne leur donner aucun accès. Que si votre Seigneur et Maître se plait à faire entendre à votre coeur des paroles de vie éternelle, il est juste que pour être prête à ses divins épanchements et attentive à son amour, vous vous rendiez insensible, sourde et muette à tout ce qui est terrestre, et que toutes les douceurs passagères et vaines vous soient un tourment et une mort. Sachez que vous lui avez de très-grandes obligations, et que tout l'enfer ensemble, se prévalant de la facilité de votre naturel, veut le pervertir, afin que vous l'ayez doux envers les créatures, et ingrat envers Dieu. Faites

 

(1) Joan., VIII, 44.

 

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tous vos efforts pour résister en la foi de votre divin Maître et de votre Époux bien-aimé (1).

 

 

 

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