Livre II - Ch. X-XXIV

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Livre VIII - Ch. IV-IX
Livre VIII - Ch. X-XVII
Livre VIII - Ch. XVIII-XXIII

CHAPITRE X. De la vertu de justice qu'eut la très-sainte Vierge.

Instruction de la Reine du ciel.

CHAPITRE XI. Où l'on voit ta vertu de force qu'eut la très-sainte Vierge.

Instruction de la Reine du ciel.

CHAPITRE XII. Où l'on découvre la vertu de tempérance qu’eut la très-sainte Vierge.

Instruction de la Reine du ciel.

CHAPITRE XIII. Des sept dons du Saint-Esprit que reçut la très-sainte Vierge.

CHAPITRE XIV. Où sont déclarées les formes et les manières des visions divines qu'avait la Reine du ciel, et les effets que ces visions causaient en elle.

La claire vision qu'eut la très-sainte Vierge de l’essence divine.

Vision abstractive de la Divinité dont jouissait la très-sainte Vierge.

Visions et révélations intellectuelles de la très-sainte vierge.

Visions imaginaires de la Reine du ciel.

Visions divines en formes corporelles que reçut la très-sainte Vierge.

Instruction de la Reine du ciel.

CHAPITRE XV. On y déclare une autre manière de vue et de communication que la très-sainte Vierge avait avec les saints anges qui la servaient.

Instruction de la très-sainte Vierge.

CHAPITRE XVI. On y continue l'enfance de la très-sainte Vierge dans le Temple. — Le Seigneur la dispose pour les afflictions. — Mort de son père saint Joachim.

Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

CHAPITRE XVII. La Reine du ciel commence à souffrir dans son enfance. — Dieu lui fait ressentir ses absences. — les douces et les amoureuses plaintes qu'elle fait.

Instruction que mon auguste Reine et Maîtresse me donna.

CHAPITRE XVIII. On y continue le récit de quelques autres afflictions de notre Reine, dont il se trouvait quelques-unes que Dieu permit par lé moyen des créatures et de l'ancien serpent.

Instruction de la Reine du ciel.

CHAPITRE XIX. Le Très-Haut découvrit aux prêtres l'innocence de la très-sainte Vierge, et à elle-même que heureuse mort de sa mère sainte Anne s'approchait, à laquelle elle se trouva.

Instruction de la très-sainte Vierge.

CHAPITRE XX. Le Très-Haut se manifeste à sa bien-aimée Marie, notre Princesse, par une faveur singulière.

Instruction de la Reine du ciel.

CHAPITRE XXI. Le Très-Haut commande à la très-sainte Vierge de prendre l'état de mariage, et la réponse à ce commandement.

Instruction que la Reine du ciel me donna.

CHAPITRE XXII. On célèbre les épousailles de la très-sainte Vierge avec le très-chaste Joseph.

Instruction de la Reine du ciel.

CHAPITRE XXIII. Qui explique une partie du chapitre trente-unième des Proverbes de Salomon, où le Seigneur m'a renvoyée pour découvrir l'ordre que la très-sainte Vierge tint dans le mariage.

CHAPITRE XXIV. Qui poursuit l'explication de ce qui reste du chapitre trente-unième des Proverbes.

Instruction de la Reine du ciel.

 

CHAPITRE X. De la vertu de justice qu'eut la très-sainte Vierge.

 

550. La grande vertu de justice est celle qui sert le plus à la charité qu'on exerce envers Dieu et envers le prochain; ainsi elle est la plus nécessaire pour la conversation et communication humaine, parce qu'elle est une habitude qui incline la volonté à rendre à chacun

 

(1) Matth, XXV, 1-11. — (2) ID., X, 16.

 

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ce qui lui appartient; elle a pour matière et pour objet l'égalité et le droit qu'on doit observer à l'égard du prochain et à l'égard de Dieu même. Comme les choses dans lesquelles l'homme peut garder ou violer cette égalité envers son prochain sont en si grand nombre, et les manières de le faire si différentes, c'est pour cela que la matière de la justice est fort étendue, et que cette vertu est partagée en plusieurs espèces. On l'appelle justice légale quand elle regarde le bien public, et elle est appelée vertu générale, parce qu'elle peut conduire toutes les autres vertus à cette fin, quoiqu'elle ne participe point de leur nature; mais quand la matière de la justice est une chose déterminée et qu'elle concerne seulement les personnes particulières, parmi lesquelles on rend à chacune son droit, alors on la nomme justice particulière ou spéciale.

551. L'Impératrice de l'univers exerça cette vertu dans toutes ses parties et dans ses différentes espèces envers toutes les créatures, avec bien plus de perfection qu'elles toutes, parce qu'elle seule connut parfaitement ce qui était dû à chacune; et, quoique cette vertu de justice ne regarde pas immédiatement les passions naturelles, comme la force et la tempérance (ainsi que je le dirai dans la suite), néanmoins il arrive plusieurs fois, et fort ordinairement, que ces mêmes' passions n'étant pas modérées et corrigées, on perd la.' justice envers le prochain, comme nous le voyons en ceux qui, par une convoitise désordonnée ou par un plaisir sensuel, usurpent le bien d'autrui. Or, comme il n'y avait aucune passion désordonnée en la très-pure

 

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Marie ni aucune ignorance qui l'empêchât de connaître le milieu des choses, dans lequel la justice consiste; c'est pour cela qu'elle l'accomplissait envers tous, opérant ce qui était très-juste à l'égard de chacun, enseignant à tous de faire la même chose, lorsqu'ils méritaient d'ouïr ses paroles et sa doctrine de vie. Pour ce qui regarde la justice légale, non-seulement elle l'exerça en accomplissant les lois communes, comme celle de la purification et les autres préceptes de la loi, bien qu'elle en frit exempte comme Reine, en qui il n'y avait point de péché; mais il n'y eut personne, excepté son très-saint Fils, qui travaillât autant que cette Mère de miséricorde au bien commun des mortels, adressant toutes ses vertus et toutes ses opérations à cette fin, pour leur mériter la divine miséricorde et pour être utile,à son prochain, en lui procurant plusieurs autres avantages.

552. Les deux espèces de justice, qu'on appelle distributive et commutative, se trouvèrent aussi en la très-sainte Vierge dans un degré héroïque. La justice distributive conduit les opérations par lesquelles on distribue les choses communes aux personnes particulières : et cette incomparable Princesse garda cette équité dans plusieurs choses que l'on fit par sa volonté et par sa disposition. parmi les fidèles de la primitive Église : comme de distribuer les biens communs pour l'entretien et pour diverses autres nécessités des personnes particulières; et quoiqu'elle ne distribuât jamais l'argent par ses propres mains, parce qu'elle ne le touchait aucunement, on le partageait néanmoins par son

 

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ordre, et plusieurs fois par ses conseils; gardant toujours dans ces rencontres, comme dans beaucoup d'autres semblables, une très-grande équité; car chacun recevait ce charitable secours selon sa nécessité et sa condition. Elle observait la même chose dans la distribution des offices et des dignités entre les disciples et les premiers enfants de l'Évangile, dans les assemblées qu'on tenait pour ce sujet. Ainsi cette très-sage Dame ordonnait et disposait toutes choses avec une très-parfaite équité : car, outre la science infuse et la connaissance ordinaire qu'elle avait de tous les sujets, elle ne faisait rien que ce ne fût après une oraison singulière et par une impulsion divine. C'est pourquoi les apôtres avaient recours à elle dans ces sortes d'occasions, et dans la conduite de ceux qui leur étaient soumis , n'entreprenant rien que par soi conseil : et tous ceux qui le suivaient exerçaient eu tout une entière justice sans faire distinction des personnes.

553. La justice commutative enseigne à garder l'égalité dans les choses que les personnes particulières se donnent et reçoivent réciproquement, connue de donner deux pour deux, etc., ou le juste prix de ce que la chose vaut. L'exercice de cette espèce de justice fut moindre en la Reine du ciel que celui (les autres vertus, parce qu'elle n'achetait ni ne vendait rien par elle-même : que si elle avait besoin de faire quelque achat on quelque échange, c'était saint Joseph qui le faisait, et après sa mort, saint Jean l'Évangéliste ou quelque autre des apôtres lui rendait cet office. Car le Maître de la sainteté, qui venait détruire

 

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et arracher l'avarice, racine de toutes sortes de maux (1), voulut éloigner de lui-même et de sa très-sainte Mère les actions qui allument et entretiennent ordinairement le feu de la convoitise des hommes. C'est pour cela que la divine Providence ordonna que ni le Fils ni la Mère n'achèteraient ni ne vendraient aucune chose, bien qu'elle fût nécessaire à l'entretien de la vie naturelle. Néanmoins notre auguste Reine ne laissa pas pour cela d'enseigner tout ce qui regardait cette vertu de justice commutative, afin que ceux qui d'entre les apôtres et d'entre les fidèles de la primitive Église la devaient pratiquer, s'en acquittassent avec toute sorte de perfection.

554. Cette vertu a d'autres opérations qui s'étendent sur le prochain, comme que les uns jugent les autres par un jugement public et civil ou par un jugement particulier, le Seigneur ayant parlé du vice contraire à ce dernier, lorsqu'il nous dit en saint Matthieu : Ne jugez point, afin que vous ne soyez pas jugés (2). Par ces jugements, on donne à chacun ce qui lui est dû, selon l'estime de celui qui juge : c'est pourquoi ces actions sont justes si elles sont conformes à la raison, et injustes si elles s'en éloignent. Notre incomparable Reine n'exerça pas le jugement public et civil, bien qu'elle eût le pouvoir de juger tout l'univers; néanmoins elle accomplit par ses très-sages et très-justes conseils durant sa vie, et par sou intercession après sa mort, ce qui est écrit d'elle dans les Proverbes :

 

(1) I Tim., VI, 10. —(2) Matth., VII,1.

 

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Je marche dans les voies de la justice, et par moi les puissants décident ce qui est juste (1).

555. On ne put jamais trouver aucune injustice touchant les jugements particuliers, dans le coeur très-pur de l'auguste Marie, parce qu'elle ne put jamais être légère dans les soupçons, ni téméraire dans les jugements, ni avoir aucun doute; et, quand. même elle l'aurait eu, elle n'aurait pas eu la malice de l'interpréter en mauvaise part. Ces sortes, de vices très-injustes sont propres. et comme naturels parmi les enfants d'Adam, en qui les passions désordonnées de la haine, de l'envie et de l'émulation au mal dominent et suscitent d'autres vices qui les maîtrisent comme de malheureux esclaves. Les injustices, que l'on commet en soupçonnant facilement le mal, lorsqu'on juge témérairement et qu'on attribue le pire à ce qui est douteux par de faibles conjectures, naissent de ces racines si fort infectées, parce que chacun présume de son frère sans beaucoup de difficulté la faute qu'il a lui-même commise. Que s'il s'attriste par haine ou par envie du bien de son prochain et se réjouit de son mal, donnant légèrement à ce mal la créance qu'il ne lui devait pas donner, c'est parce qu'il le lui désire, et que son jugement suit son affection dépravée. Notre Reine fut libre de toutes ces maladies du péché, comme celle qui n'y avait aucune part: tout ce qui entrait dans son coeur. et en sortait n'était que charité, que pureté, que sainteté et qu'amour le plus parfait; on trouvait en

 

(1) Prov., VIII, 16 et 20.

 

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elle la grâce de la vérité et le chemin de la vie (1). Elle ne doutait ni soupçonnait de rien, à cause de la plénitude de la science et de la sainteté qu'elle avait parce qu'elle connaissait et voyait tous les intérieurs par une véritable lumière et à travers une grande miséricorde, sans soupçonner mal de personne, et sans attribuer aucun péché à celui qui en était exempt, remédiant au contraire aux péchés de ceux qui en étaient atteints, donnant à tous et à chacun ce qui leur appartenait, et étant toujours dans de favorables dispositions de remplir tous les hommes des grâces et des douceurs de la vertu.

556. Il se trouve encore, dans ces deux sortes de justice commutative et distributive, plusieurs espèces de vertus sur lesquelles je ne m'étends point, puisque la Reine du ciel eut en habitude et en actes très-sublimes et très-excellents toutes celles qui lui étaient convenables. Outré ces vertus, il y en a pourtant d'autres qui ont du rapport à la justice, parce qu'elles s'exercent envers le prochain et qu'elles participent en quelque chose à ses qualités, quoique ce ne soit pas en tout : parce que nous ne payons point avec égalité tout ce que nous devons, ou parce que, si nous le pouvons payer, la dette et l'obligation ne sont pas si étroites que la rigueur de la parfaite justice commutative ou distributive le persuade. Je ne dirai point tout ce que ces vertus contiennent, parce qu'elles sont en fort grand nombre et fort différentes; j'en dirai

 

(1) Eccles., XXIV, 25.

 

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néanmoins quelque chose d'une manière très-succincte, pour ne les pas omettre entièrement, afin que l'on sache comment notre incomparable Reine les posséda.

557. C'est un devoir de justice de révérer nos supérieurs : l'obligation que nous avons de reconnaître leurs bienfaits et d'honorer leurs personnes est plus grande ou plus petite, selon la grandeur de leur excellence, de leur dignité et des biens que nous en recevons, quoique notre retour ne puisse égaler ni leur dignité ni ce que nous en avons reçu. Il y a donc trois vertus qui servent à cela, selon les trois degrés de supériorité que nous reconnaissons en ceux que nous devons honorer. Le premier de ces devoirs est la vertu de religion, par laquelle nous rendons à Dieu le culte et l'honneur que nous lui devons, bien que sa grandeur les` surpasse infiniment, et que ses dons ne puissent pas avoir un égal retour de reconnaissance ni de louange. Cette vertu est très-noble entre les vertus morales, à cause de son objet, qui est le culte de Dieu; et sa matière est autant étendue que le sont les manières par lesquelles Dieu peut être immédiatement loué et honoré. On renferme clans cette vertu de religion les oeuvres intérieures de l'oraison, de la contemplation et de la dévotion ; on y comprend aussi tontes ses parties, ses qualités, ses causes, ses effets, tous ses objets et sa fin. Touchant ses œuvres extérieures, l'adoration de latrie est la principale, la plus sublime, et celle qui n'est due qu'à Dieu seul ; ses espèces oit ses parties viennent ensuite : comme sont le sacrifice,

 

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les oblations, les dîmes, les voeux, les serments et les louanges extérieures et vocales; parce que Dieu est honoré et respecté de ses créatures par tous ces actes, lorsqu'elles s'en acquittent selon leur obligation; au contraire, il est fort offensé par les vices qui leur sont opposés.

558. Le second lieu appartient à la piété, qui est une vertu par laquelle nous honorons nos parents, à qui nous devons, après Dieu, et l'être et l'éducation; ce devoir s'étend aussi sur tout ce qui a quelque rapport à cette cause, comme sont nos alliés et notre patrie, qui nous protège et nous gouverne. Cette vertu de piété est si grande, qu'on la doit préférer dans l'occasion aux actes de surérogation de la vertu de religion, comme notre Seigneur Jésus-Christ nous l’enseigne par saint Matthieu (1), lorsqu'il reprit les pharisiens, qui, sous prétexte du culte de Dieu, enseignaient qu'on était dispensé de cette piété envers les parents. Nous donnerons le troisième lieu à la révérence, par laquelle nous rendons honneur et respect à ceux qui ont quelque excellence ou quelque dignité supérieure : cette dignité ne se trouve pas dans le même rang que celle de nos parents ou de notre patrie. Les théologiens renferment dans cette vertu le culte de dulie et l'obéissance comme ses espèces. Par ce culte de dulie nous honorons ceux qui ont quelque participation de l'excellence ou du pouvoir du souverain Seigneur, qui est Dieu, à qui seul appartient la

 

(1) Matth., XV, 3.

 

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suprême adoration de latrie. C'est pourquoi nous honorons les saints par celle de dulie, aussi bien que les personnes constituées en quelque dignité supérieure à laquelle nous nous reconnaissons inférieurs. L'obéissance est celle qui nous fait soumettre notre volonté à celle de nos supérieurs, en voulant toujours accomplir la leur, et non point la nôtre : et la liberté, que nous sacrifions dans l'exercice de cette vertu, est si estimable, que l'obéissance dévient une des plus excellentes et des plus admirables d'entre toutes les vertus morales : parce qu'en elle la créature abandonne plus pour Dieu qu'en aucune autre.

559. Ces vertus de religion, de piété, et de révérence furent dans la très-sainte Vierge dans toute la plénitude dont une pure créature fût capable. Quel esprit pourra concevoir l'honneur, la vénération et le culte que cette auguste Dame rendait à son très-saint et trèsaimé Fils, le connaissant et l'adorant comme Dieu et homme véritable, comme Créateur, Restaurateur et Glorificateur; comme Souverain infini, immense en son être, en sa bonté et en tous ses attributs? Elle seule eut plus de connaissances je ses grandeurs que toutes les autres créatures ensemble; elle mesurait sur cette connaissance l'honneur qu'elle devait rendre à Dieu, et elle s'en acquitta si dignement, qu'elle l'enseigna même aux séraphins. Il ne fallait seulement que la voir dans ses profonds respects pour être incité par une certaine vertu qui sortait de sa sacrée personne, d'honorer le souverain Seigneur, créateur du ciel et de la terre : ce qui fut cause qu'elle porta plusieurs

 

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personnes à louer Dieu sans quel lui en coutât aucune peine. Tous les anges et tous les bienheureux connaissent avec admiration l'oraison, la contemplation et la dévotion qu'elle eut, l'efficace de toutes ses couvres, qui est inséparable de ses demandes; mais tous ne sont pas capables d'exprimer ce qu'ils en pensent. Tous les hommes lui sont redevables d'avoir suppléé, non-seulement à l'impuissance dans laquelle leurs offenses les avaient mis, mais encore à ce qu'ils n'avaient pu obtenir, ni opérer, ni mériter, puisque cette très-sainte Dame a avancé le remède du monde; car si elle ne s'y fût pas trouvée, le Verbe ne serait pas sorti du sein de son Père éternel pour y venir. Dès le premier instant de sa conception elle surpassa les séraphins en contemplation, en prières, en demandes, aussi bien que dans le zèle qu'elle avait pour le service divin. Elle offrit des sacrifices; des oblations et des dîmes, qui furent si agréables à Dieu, qu'il n'y eut personne au monde, si nous en exceptons son très-saint Fils, dont les offrandes fussent reçues de la divine Majesté avec tant de complaisance. Enfin elle surpassa tous les patriarches et les prophètes dans les louanges continuelles, dans les hymnes, les cantiques et les prières vocales qu'elle fit; et il est constant que si nous les pouvions avoir dans l'Église militante comme on les connaîtra dans la triomphante, ce serait une nouvelle admiration du monde.

560. Notre Reine eut les vertus de piété et de révérence, comme celle qui connaissait le mieux ce qu'on devait aux parents, et qui pénétrait le plus leur

 

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héroïque sainteté. Elle rendit aussi tous les bons offices qu'elle put à ses proches, les comblant de grâces singulières, comme elle fit à saint Jean-Baptiste, à sainte Élisabeth, et à ceux qui furent appelés à l'apostolat. Si les Juifs ne se fussent pas rendus indignes de ses bienfaits par leur ingratitude et par leur dureté, elle aurait rendu sa patrie très-heureuse; elle lui fit néanmoins de très-grandes faveurs spirituelles et temporelles autant que la divine équité le permit. Elle fut admirable en la révérence qu'elle portait aux prêtres, comme étant la seule qui sût et pût donner le juste prix à la dignité des oints du Seigneur. Elle enseigna à tous le grand respect qu'on devait avoir pour eux, comme aussi d'honorer les patriarches, les prophètes et les saints, et ensuite les seigneurs temporels et tous ceux qui sont constitués en dignité et eu puissance. Il n'y eut aucun acte de ces vertus qu'elle n'exerçât dans les différentes occasions, et qu'elle n'enseignât à tous ceux qui l'approchaient, particulièrement aux fidèles de l'Église naissante, dans laquelle elle n'obéissait plus à son Fils ni à son époux saint Joseph, puisqu'elle ne jouissait plus de leur présence naturelle, mais à ses ministres, envers qui elle fut d'un exemple admirable pour tout le monde, vu qu'alors, loin d'être obligée d'obéir, elle était en droit de gouverner et de commander toutes les créatures en qualité de Reine et de Maîtresse de l'univers.

561. Il y a encore d'autres vertus qui ont du rap port à la justice, parce que nous rendons par leur

 

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moyen ce que nous devons aux autres par quelque espèce de dette morale, qui en est un titre honnête et décent. Ce sont la gratitude, la vérité, la vengeance, la libéralité, l'amitié ou l'affabilité. Par la gratitude nous nous acquittons en quelque façon envers ceux dont nous avons reçu quelque bienfait, leur en rendant es actions de grâces, selon sa qualité et selon l'affection avec laquelle ils nous l'ont départi, qui est ce qu'on prise le plus; nous avons aussi égard à l'état et à la condition de notre bienfaiteur, car la reconnaissance doit être proportionnée à tout cela, et on peut la témoigner par des actes différents. La vérité porte a pratiquer la sincérité envers tout le monde, comme il est juste qu'on la pratique dans le commerce et dans les conversations indispensables des hommes, y bannissant toute sorte de mensonge (dont il n'est jamais permis de se servir), toute sorte de dissimulation trompeuse, d'hypocrisie, de vanité et d'ironie : vices qui s'opposent tous à la vérité; et bien qu'on puisse quelquefois la cacher, et qu'il soit même convenable de le faire, du moins quand l'occasion se présente de parler de notre propre excellence ou de quelque vertu qui est en nous, pour ne pas fatiguer personne par un excès de vanité, il ne serait pourtant pas juste de dissimuler nos avantages par un mensonge, en nous imposant un vice que nous n'aurions pas. La vengeance est une vertu qui enseigne à réparer par quelque peine le dommage qu'on nous a fait ou celui que notre prochain a reçu. La pratique de cette vertu est fort difficile parmi les mortels, qui d'ordinaire

 

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se laissent emporter par la colère immodérée, et posséder par la haine fraternelle, ce qui est cause qu'on manque à la charité et à la justice. Mais ce n'est pas une petite vertu lorsqu'on ne prétend point le dommage d'autrui et qu'on n'a en vue que le bien public ou particulier, puisque notre Seigneur Jésus-Christ l'exerça quand il chassa du Temple ceux qui le violaient par leurs irrévérences (1); qu'Élie demanda 'le feu du ciel pour châtier quelques péchés (2); et qu'il est dit dans les Proverbes , que celui qui épargne la verge hait son fils (3). La libéralité sert pour distribuer avec discrétion l'argent ou d'autres choses semblables, sans tomber dans les vices d'avarice et de prodigalité. L'amitié ou l'affabilité consiste en une certaine manière honnête et convenable de converser et négocier sans débats ni flatterie, qui sont les vices contraires à cette vertu.

562. La Reine du ciel eut toutes ces vertus, et si l'on en attribue quelqu'une de plus à la justice, elle ne lui a pas sans doute manqué. Elle les eut toutes en habitude, les exerça par des actes très-parfaits, selon que les occasions se présentaient, et les enseigna, comme Maîtresse de toute sainteté, à plusieurs âmes, leur donnant une lumière particulière, afin qu'elles les opérassent avec perfection. Elle exerça la vertu de gratitude envers Dieu par les actes de religion et par le culte dont nous avons déjà parlé, parce que c'est le moyen le plus excellent de lui être agréable, et

 

(1) Joan., II, 15, — (2) IV Reg., I, 10. — (3) Prov., XIII, 24.

 

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comme la dignité de la très-pure Marie, et sa sainteté proportionnée à cette dignité furent au-dessus de. tout ce que les hommes peuvent concevoir, ainsi le retour que cette très-auguste Dame rendit à Dieu, fut proportionné au bienfait qu'elle en avait reçu, autant qu'il était,possible à une pure créature; elle fit la même chose en la piété qu'elle pratiqua envers ses parents et envers sa patrie, comme je viens de dire. La très-humble Princesse reconnaissait si fort les moindres services que les autres personnes lui rendaient, qu'on aurait dit que rien ne lui eût été dû, croyant ne recevoir que des grâces et des faveurs, pendant qu'elle pouvait tout exiger par justice. Elle fut la seule qui sût regarder les offenses qu'on lui faisait comme de très-grands bienfaits, et en rendre des actions de grâces, parce que son incomparable humilité ne s'apercevait jamais des injures : au contraire, elle se ressentait obligée de toutes celles qu'elle recevait; et. comme elle n'oubliait point les bienfaits, elle ne cessait aussi d'en témoigner sa reconnaissance.

563. Tout ce qu'on peut dire de la vérité que la sacrée Vierge exerçait, sera fort peu de chose, puisqu'un vice si méprisable comme est celui qui combat cette vertu, ne pouvait être que très-éloigné de celle qui fut toujours si supérieure au démon , père du mensonge et de la tromperie. La règle dont on se doit servir pour mesurer en notre Reine cette vertu de vérité;- est sa charité et sa simplicité de colombe, qui bannissent toute sorte de déguisement et de fourberie

 

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du commerce dés créatures. Comment la tromperie se pourrait-elle trouver en la bouche de celle qui par une parole d'une humilité véritable, a attiré dans son sein Celui qui est la vérité même et la sainteté par essence? Elle exerça aussi plusieurs actes très-parfaits de la vertu qu'on appelle vengeance, non-seulement en l'enseignant comme maîtresse en diverses occasions qui se présentèrent dans la primitive Église, mais en témoignant elle-même un zèle ardent pour la gloire du Seigneur, et en tâchant de réduire plusieurs pécheurs par le moyen de la correction, comme souvent elle le fit envers Judas; ou en commandant aux créatures (car toutes lui obéissaient) de châtier certains péchés pour le bien de ceux qui méritaient par eux une punition éternelle. Et bien qu'elle fût très-douce dans ces sortes d'occasions , elle n'omettait pas pour cela le châtiment, quand elle voyait que c'était un moyen efficace pour purifier quelqu'un du péché. Mais celui contre qui elle exerça le plus la vengeance, ce fut le démon, afin de délivrer, en le réprimant, le genre humain de sa servitude.

564. Elle excella tout de même dans les actes de libéralité et d'affabilité, parce qu'elle distribuait ses largesses comme Reine de l'univers, et comme celle qui savait donner le juste prix à tout ce qui était visible et invisible. Elle croyait toujours que les choses par le moyen desquelles la libéralité pouvait s'étendre, appartenait plus à son prochain qu'à elle-même; dans cette vue elle n'en refusa jamais aucune, et elle

 

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épargna même les demandes lorsqu'elle put anticiper ses dons. Les nécessités et les misères des pauvres qu'elle soulagea , les biens qu'elle leur, fit, et les actes de miséricorde qu'elle pratiqua , tant pour ce qui regarde le spirituel que pour ce qui regarde le temporel, ne sauraient' être racontés même dans un très-grand volume. Sa douce affabilité envers toutes les créatures fut si particulière: et si admirable, que si elle ne l'eût ménagée par une rare prudence, elle attrait attiré tout le monde après elle par les charmes de ses très-douces manières, parce que tous ceux qui la vouaient et conversaient avec elle, découvraient dans cette extrême douceur, tempérée par son air grave et par sa sagesse céleste, quelque chose de plus qu'humain. Le Très-Haut disposa par une telle providence cette grâce en son .Épouse, que, donnant quelquefois aux personnes qui la fréquentaient de certains indices du mystère du 'grand Roi qu'elle renfermait, il tirait incontinent le voile et le leur cachait, afin de donner lieu aux travaux, en empêchant les applaudissements des hommes ; outre que, ces applaudissements étaient au-dessous de ce qu'on lui devait, et que les mortels n'étaient pas alors capables de trouver le juste point de ce devoir, car le temps n'étant pas encore arrivé d'éclairer les enfants de l'Église par la foi chrétienne et catholique, ils n'auraient su honorer comme créature celle qu'ils auraient reconnue pour Mère du Créateur, sans excéder ou manquer à quelque chose.

565. Les docteurs attribuent une autre partie à

 

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cette grande vertu de justice pour rendre son exercice plus parfait et plus conforme à l'équité; cette partie est appelée epiqueya, par laquelle on décide certains cas qui sortent des règles et des lois, communes, parce qu'elles ne les peuvent pas tous prévoir ni remédier à toutes les circonstances qui leur arrivent; ainsi il est nécessaire d'agir dans quelques occasions par une raison supérieure et extraordinaire. Notre auguste Reine eut besoin de cette vertu, et elle s'en servit dans plusieurs rencontres qu'elle eut durant sa très-sainte Vie , avant et après l'ascension de son très-saint Fils; et singulièrement après pour l'établissement de l'Église, comme je le dirai en son lieu, avec l'aide du Seigneur.

 

Instruction de la Reine du ciel.

 

566. Ma fille, quoique vous ayez connu bien des choses du mérite de cette grande vertu de justice, vous en ignorez pourtant beaucoup d'autres à cause de l'état mortel où vous vous trouvez, et pour cette même raison les paroles n'en pourront pas donner une parfaite intelligence; néanmoins vous trouverez abondamment en elle tout ce qui vous sera nécessaire pour vous bien comporter envers les créatures, et pour vous acquitter dûment du culte que vous devez

 

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à Dieu. Je vous avertis aussi, ma très-chère fille; que l'offense que les hommes font à sa Majesté, en oubliant la vénération, l'adoration et le respect qu'ils lui doivent, et la juste indignation qu'elle a de cet oubli, répondent à la grondeur de cette vertu; et que lorsqu'ils lui rendent quelque honneurs c'est avec tant de lâcheté, de distraction et d'irrévérence, qu'ils méritent plutôt des châtiments que des récompenses. Ils honorent et adorent même avec beaucoup de respect les princes et les puissants de la terre; ils leur demandent des faveurs, et-les sollicitent avec dés empressements étranges, et quand ils les ont reçues ils leur en rendent mille actions de grâces; en pro testant qu'ils cesseront plutôt de vivre que de cesser de les reconnaître. Mais à l'égard du souverain Seigneur qui leur donne l'être, la vie et le mouvement, qui les conserve et les entretient, qui les a rachetés et élevés à la dignité de ses propres enfants, qui leur veut bien faire part de sa gloire, et qui est l'infinie le souverain bien, ils oublient, dis-je, cette divine Majesté, parce qu'ils ne la voient pas par les yeux corporels, comme si toutes sortes de biens ne leur venaient point de sa main libérale; et ils croient avoir tout fait lorsqu'ils lui ont témoigné quelque tiède souvenir, et qu'ils lui ont rendu précipitamment quelques actions de grâces. Je ne veux point ajouter a ce que je viens de vous dire, combien le très-juste Seigneur de l'univers est offensé de ceux qui renversent et foulent aux pieds tout l'ordre de la justice envers leur prochain, pervertissant toute la raison et

 

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la nature par cette iniquité, qui leur ait désirer à leurs frères ce qu'ils ne voudraient pas pour eux-mêmes.

567. Ayez de l'horreur, ma fille, pour des vices si exécrables; tâchez de réparer autant que vous le pourrez, par vos couvres, ce qu'on manque de rendre au Très-Haut par une si noire ingratitude ; et puisque vous êtes dédiée au culte divin par votre profession, faites-en votre principale occupation et le sujet de votre plus ardent amour, imitant en cela les esprits angéliques qui s'y emploient incessamment Portez un grand respect aux choses divines et sacrées, jusqu'aux ornements et aux vases qui servent à ce ministère. Tâchez d'être toujours à genoux pendant l'office divin, l'oraison et le sacrifice; demandez avec foi, et recevez avec une humble reconnaissance, et pratiquez-la envers toutes les créatures , même lorsqu'elles vous offensent. Montrez -vous pitoyable, honnête, douce, sincère et véritable envers tous; sans dissimulation, sans tromperie, sans médisance ni murmure, sans juger légèrement de votre prochain; et afin que vous vous acquittiez de cette obligation de justice, ayez toujours en votre mémoire et en votre désir de faire à autrui ce que vous voudriez qu'on vous fit à vous-même, et souvenez-vous sur toutes choses de ce que mon très-saint Fils a fait et de ce que j'ai fait à son imitation pour tous les hommes.

 

CHAPITRE XI. Où l'on voit ta vertu de force qu'eut la très-sainte Vierge.

 

568. La vertu de force, qui est la troisième des quatre cardinales, sert pour modérer les opérations que chacun exerce, principalement à l'égard de soi-même, par la passion de l'appétit irascible : et quoique l'appétit concupiscible, auquel la tempérance appartient, précède l'irascible, en ce que le désir du concupiscible produit la résistance que l'irascible fait à tout ce qui peut empêcher d'obtenir la chose désirée, on ne laisse pas pour cela de traiter premièrement de l'irascible et de sa vertu, qui est la force : parce que dans l'exécution on obtient d'ordinaire ce qu'on désire par le moyen de cet appétit, qui en surmonte tous les obstacles. C'est pourquoi la force est une vertu plus noble et plus excellente que la tempérance, dont je parlerai dans le chapitre suivant.

569. On réduit l'économie de la passion irascible par la vertu de forcé, en deux parties ou en deux sortes d'opérations, qui consistent à user de la colère selon la raison, et avec de dues circonstances qui la rendent louable et honnête; et à réprimer cette passion, lorsqu'il est plus convenable de la suspendre que

 

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de l'exécuter, puisque l'un et l'autre peuvent être louables ou blâmables, selon la foi et selon les diverses circonstances avec lesquelles on les fait. On donne à la première de ces opérations le nom de force, que quelques docteurs appellent valeur. On nomme la seconde patience, qui est la plus noble, et qui renferme une force supérieure dont les saints se sont principalement servis et se servent, bien que les mondains aient accoutumé d'appeler, par un renversement de jugement aussi bien que des noms, la patience pusillanimité, et la présomption impatiente et téméraire, force, parce qu'ils ne connaissent pas encore en quoi consistent les actes véritables de cette vertu.

570. La très-sainte vierge n'eut pas besoin d'employer la vertu de force pour réprimer aucun mouvement désordonné dans l'appétit irascible, parce que toutes les passions de cette très-innocente Reine étaient réglées et soumises à la raison, et la raison à Dieu, qui la gouvernait dans toutes les actions et dans tous les mouvements; cette vertu lui fut pourtant nécessaire pour s'opposer aux empêchements que le démon lui suscitait par les divers moyens dont il se servait afin qu'elle n'obtint point tout ce qu'elle désirait avec beaucoup de prudence et de règle, tant pour soi que pour son très-saint Fils. Car, puisqu'il n'y avait aucune d'entre toutes les créatures qui pût égaler la force qu'elle témoigna dans cette courageuse résistance et dans un combat si opiniâtre, puisque toutes ensemble n'eurent pas tant d'attaques ni de contradictions à essuyer de la part de l'ennemi commun que

 

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notre auguste et victorieuse Reine. Mais, lorsqu'il fallait qu'elle se servit de cette force envers les hommes, elle était aussi douce que forte, ou, pour mieux dire, aussi forte que douce dans ses opérations : parce que cette incomparable Dame fut la seule qui pût imiter dans toutes ses oeuvres cet attribut de Dieu, qui unit toujours dans les siennes la douceur avec la force (1). Notre Reine tint cette conduite à l'égard de la force; et son coeur généreux ne fut jamais atteint d'aucune crainte désordonnée, parce qu'il s'élevait au-dessus de tout ce qui est créé; sa fermeté ne fut pas pour cela sans modération; elle ne pouvait point tomber dans ces extrémités vicieuses, parce qu'elle connaissait par sa souveraine sagesse les craintes qu'elle devait vaincre et l'audace qu'elle devait éviter : ainsi elle était revêtue de force et de beauté, comme étant l'unique femme forte (1)

571. La très-sainte Vierge fut plus admirable en la partie de la force qui regarde la patience qu'en l'autre, étant la seule qui participa à l'excellence de la patience de Jésus-Christ son très-saint Fils, qui fut de souffrir sans péché, et plus même que tous ceux qui le commirent. Toute la vie de cette auguste Reine ne fut qu'une souffrance continuelle de travaux, singulièrement durant la vie et la mort de notre rédempteur Jésus-Christ, pendant. lesquelles sa patience surpassa tout ce qu'on en peut imaginer; car il n'y a que le seul Seigneur qui la lui donna qui la puisse dignement

 

(1) Sap., VIII, 1. — (2) Prov., XXXI, 25.

 

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faire connaître. Cette très-innocente colombe ne s'impatienta jamais contre aucune créature; tant de travaux immenses qu'elle endura lui parurent petits, et ne furent pas capables de l'affliger, puisqu'elle les recevait tous avec joie et avec actions de grâces. La patience étant donc, selon le rang que l'Apôtre lui donne (1), la fille aînée de la charité., et notre Reine étant la mère de l'amour (2), il faut qu'elle le soit aussi de la patience qu'on doit mesurer avec cet amour : parce que, plus nous aimons et estimons le bien éternel au-dessus de tout ce qui est visible, plus nous nous déterminons à souffrir toutes les choses pénibles que la patience est capable d'endurer pour l'acquérir et pour ne le pas perdre. C'est pourquoi la très-pure Marie surpassa toutes les créatures en patience, et fut mère de cette vertu pour nous, qui, ayant recours à elle, trouverons cette tour de David garnie de mille boucliers de patience (3), dont les forts de l'Église et de la milice de notre Seigneur Jésus-Christ s'arment et se servent dans toutes les occasions qui se présentent.

572. Notre très-patiente Reine ne donna jamais aucun signe de cette faiblesse qui est naturelle aux femmes, ni aucune marque de colère extérieure; parce qu'elle prévoyait toutes choses par la lumière et par la sagesse divine : quoiqu'elles ne l'exemptassent point de douleur, mais qu'elles l'augmentassent en elle au contraire, parce qu'elle connut mieux que personne

 

(1) I Cor., XIII, 4. — (2) Eccl., XXIV, 24. — (3) Cant., IV, 4.

 

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l'énormité des péchés et des offenses infinies qu'on commettait contre Dieu. Son coeur invincible ne s'altéra pas néanmoins pour cela, ni pour les méchancetés de Judas, ni pour les outrages et les irrévérences des pharisiens; son extérieur, encore moins son intérieur n'en furent aucunement troublés : et bien qu'en la mort de son très-saint Fils toutes les créatures et toits les éléments, quoique insensibles, semblassent vouloir perdre la patience contre les hommes, ne pouvant souffrir l'injure qu'ils faisaient à leur Créateur (1), la seule Marie demeura pourtant inébranlable , et toute disposée à recevoir Judas, les pharisiens et les prêtres en ses bonnes grâces, si, après avoir crucifié notre Seigneur Jésus-Christ, ils eussent eu recours à elle comme à la Mère de miséricorde.

573. La princesse du ciel attrait pu s'irriter contre ceux qui avaient procuré une mort si ignominieuse à son très-saint Fils, sans qu'elle eût passé dans une si piste colère les limites de la raison et de la vertu, puisque le même Seigneur a châtié avec beaucoup de justice ce péché : et, comme je pensais en moi-même qu'elle pouvait, bien avoir ces sentiments, il me fut répondu que le Très-Haut ordonna que cette grande Dame n'eût point ces mouvements et ces opérations, quoiqu'elle les eût pu dûment avoir : parce qu'il ne voulait point qu'elle fût un instrument contre les pécheurs et comme leur accusatrice, a cause qu'il l'avait choisie pour être leur médiatrice, leur avocate et la

 

(1) Matth., XXVII, 51 et 52.

 

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Mère de miséricorde, afin due les hommes reçussent par elle toutes les grâces que le Seigneur voulait bien encore donner aux enfants d'Adam, et qu'il y eût une personne qui pût dignement apaiser la colère du juste Juge en intercédant pour les coupables. Elle pratiqua seulement la colère contre le démon, et en ce qui fut nécessaire pour exercer la patience et pour vaincre les empêchements que cet ennemi, (ancien serpent, lui suscitait pour diminuer la perfection de ses couvres.

574. On réduit aussi la magnanimité et la magnificence à la vertu de force, parce qu'elles participent en quelque chose à ses qualités; donnant dans les matières qui les regardent . une fermeté héroïque à la volonté. La magnanimité consiste à opérer des choses grandes, et à les inspirer à ceux qui se sont acquis un grand honneur par leur éminente vertu; c'est pourquoi l'on dit que les grands honneurs servent de matière à cette vertu, qui est accompagnée de plusieurs qualités qui se trouvent dans les magnanimes; comme de haïr les flatteries et les hypocrisies (qui ne peuvent plaire qu'aux âmes basses), de n'être point ambitieux ni intéressé; de préférer le plus honnête et le plus grand au plus utile; de ne parler jamais de soi-même avec vanité; de ne pas s'appliquer à des choses médiocres, se réservant pour les plus grandes; d'être plus enclin à donner qu'à recevoir, parce que toutes ces pratiques sont dignes d'un très-grand honneur. Cette vertu n'est pourtant pas contraire à l'humilité, une vertu ne s'opposant jamais à l'autre : parce

 

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que la magnanimité fait qu'une personne, par ses dons et par ses vertus, se rend digne de grands honneurs sans les désirer par une ambition désordonnée; et l'humilité lui enseigne de les rapporter à Dieu et de se mépriser soi-même par ses fautes, et par sa propre nature inclinée à les commettre. Ainsi les grandes et honorables couvres de vertu demandent, à cause de la difficulté qu'on y trouve, une fermeté singulière qu'on appelle magnanimité, qui consiste à proportionner les forces aux grandes actions, afin que nous ne les omettions pas par pusillanimité, et que nous ne les entreprenions pas aussi par une présomption ambitieuse ni par un appétit de vaine gloire : parce que c'est le propre du magnanime de mépriser tous ces vices.

575. La magnificence signifie aussi lés opérations de grandes choses : et, en cette signification si étendue, elle peut être prise pour une vertu commune, car elle en opère de grandes dans toutes les matières vertueuses. Mais comme il y a une raison particulière ou quelque difficulté à faire de grandes dépenses, quoiqu'elles soient conformes à la raison, c'est pour cela qu'on appelle magnificence singulière la vertu qui incline déterminément aux grandes dépenses en les réglant par la prudence, afin que le coeur ne soit ni avare lorsque la raison demande qu'on donne beaucoup, ni porté à de grandes profusions lorsqu'il n'est pas nécessaire, dissipant ce qu'il doit garder pour de meilleures occasions; et quoique cette vertu semble être confondue dans la libéralité, néanmoins les philosophes les distinguent: parce que celui qui est

 

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magnifique n'a en vue que les grandes choses sans aucune autre prétention, et celui qui est libéral regarde l'amour et l'usage modéré de l'argent : une personne pouvant être libérale sans être magnifique, si elle s'abstient de distribuer ce qui approche le plus de la grandeur et de l'abondance.

576. Ces deux vertus de magnanimité et de magnificence se trouvèrent en la Reine du ciel avec de certains avantages auxquels toutes les autres personnes qui les eurent ne purent point arriver. Marie fut la seule qui ne trouva point de difficulté ni de résistance à opérer les plus grandes choses; elle seule les fit toutes grandes, même dans les matières petites, et elle seule connut parfaitement la nature et les qualités de ces vertus comme de toutes les autres. Ainsi elle leur put donner la plus sublime perfection, sans que cette perfection fût obligée de passer par les inclinations contraires, ni par l'ignorance des moyens, ni par le besoin des autres vertus, comme il arrive aux plus saints et aux plus prudents, qui, ne pouvant pas venir à bout de tout, choisissent et opèrent ce qui leur semble meilleur. Cette très-sainte Dame fut si magnanime, qu'elle fit toujours ce qui était le plus grand, le plus digne d'honneur et de gloire, et, méritant cette gloire de toutes les créatures, elle fut encore plus magnanime eu la méprisant, cri la rapportant seulement à Dieu, et en opérant dans la nième humilité ce que cette vertu avait de plus grand et de plus sublime les oeuvres de cette humilité héroïque étant comme dans une divine émulation avec ce qui est le magnanime

 

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de toutes les autres vertus, s'unissaient ensemble comme de riches joyaux qui ornaient à l'envi parieur belle variété la fille du Roi, cette fille ayant toute sa gloire dans son intérieur, ainsi dire son père David nous l'a dit (1).

577. Notre lierne excella aussi cri la magnificence, car, bien qu'elle fût pauvre et de biens et d'esprit, sans avoir aucune attache aux choses de la terre, elle dispensa néanmoins fort magnifiquement ce que Dieu lui donna, comme il arriva lorsque les rois mages offrirent de riches dons à l'enfant Jésus (2); et ensuite pendant le temps qu'elle vécut dans l'Église après l'Ascension du Seigneur. Sa plus grande magnificence fut qu'étant maîtresse de tout ce qui est créé, elle le destinât, tout autant qu'il dépendait de son affection, pour être distribué magnifiquement en faveur des pauvres, à l'honneur et au culte de Dieu. Elle enseigna, comme Maîtresse de toute perfection, cette doctrine et cette vertu à plusieurs dans des occasions auxquelles les hommes ont tant de répugnance, à cause de leurs coutumes et de leurs basses inclinations à agir avec l'honnêteté et la prudence requises. Les mortels désirent ordinairement (selon leur penchant) l’honneur et la gloire de la vertu, et de passer pont. de grands personnages. Aveuglés de cette affection désordonnée, ils oublient de rapporter cette gloire an Seigneur de toutes choses; ils se trompent dans les moyens qu'ils prennent, et si l'occasion se présente de faire quelque

 

(1) Ps. XLIV,14. — (2) Matth., II, 11.

 

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oeuvre de magnanimité ou de magnificence, ils l’évitent et ne s'y sauraient résoudre, parce qu'ils ont l'âme basse et le courage abattu . et comme ils veulent paraître grands, excellents et dignes de vénération par un autre endroit, ils prennent, pour en venir à bout, d'autres moyens faussement proportionnés et véritablement vicieux, comme d'affecter d'être colères, vains, impatients, dédaigneux, hautains et orgueilleux; mais tous ces vices découvrent plutôt la pusillanimité et la bassesse d'un coeur que la magnanimité; c'est pour cela qu'au lieu de l'honneur et de la gloire qu'ils souhaitent, ils n'acquièrent parmi les sages que du blâme et du mépris. Parce qu'on trouve plus facilement l'honneur en le fuyant qu'en le recherchant, et plutôt par les bonnes œuvres que par les vains désirs.

 

Instruction de la Reine du ciel.

 

578. Ma fille, si vous tâchez de connaître avec attention (comme je vous le commande) la qualité de cette vertu de force et la grande nécessité qu'on en a, vous aurez par son moyen à votre disposition, la conduite de l'appétit irascible, qui est une des passions qui se meut plus facilement et qui trouble le plus la raison. Vous aurez aussi en cette vertu un instrument par lequel vous pourrez opérer ce qu'il y a de plus

 

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grand et de plus parfait dans toutes les autres vertus; ainsi que vous le désirez; et vous aurez de quoi résister à vos ennemis et vaincre les empêchements qu'ils vous opposent, pour vous faire perdre le courage dans ce qui est le plus difficile de la perfection. Mais prenez bien garde, ma très-chère fille, que comme la puissance irascible sert à la concupiscible pour résister à ce qui s'oppose à ses désirs, il arrive que si la puissance concupiscible s'égare et aime ce qui est vicieux et qui n'est seulement qu'un bien apparent, incontinent elle entraîne après soi l'irascible, et cette puissance étant une fois en désordre, bien loin de pratiquer la vertu de force, elle tombe dans des vices très-énormes. Par ce que je viens de vous dire, vous comprendrez que de l'appétit désordonné de la propre excellence et de la vaine gloire, qui tire son origine de l'orgueil, naissent plusieurs vices dans l'irascible, qui sont les débats, les querelles, les louanges, les cris, les impatiences, les opiniâtretés, et d'autres vices qui appartiennent à l'appétit concupiscible, comme sont l'hypocrisie, le mensonge, le désir des vanités et des curiosités, et la passion de paraître quelque chose de plus parfait que l'on n'est dans la vérité, et de cacher avec adresse ce qu'on a d'imperfection tant par ses propres péchés que par sa propre bassesse.

579. Vous serez exempte de tous ces vices pernicieux si vous vous efforcez de mortifier et d'étouffer les mouvements désordonnés de l'appétit concupiscible par la tempérance dont vous allez parler. Mais

 

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lorsque vous désirez et que vous aimez ce qui est juste et convenable, bien que vous deviez vous aider de la force et de l'appétit irascible bien ordonné pour l'acquérir, il faut bien prendre garde de n'y pas excéder, parce qu'il est toujours dangereux de s'emporter quand on est sujet à son amour-propre. Quelquefois ce vice se cache sous les apparences d'un saint zèle, et alors il trompe facilement la créature qui s'emporte pour les choses qu'elle désire pour soi-même, voulant ensuite que l'on croie que c'est par un zèle qu'elle a pour Dieu et pour le bien de son prochain. C'est pour cela que la patience qui naît de la charité et qui est accompagnée du désintéressement et de la magnanimité, est si nécessaire et si glorieuse; puisque celui qui aime véritablement le souverain bien , souffre avec plaisir la perte du vain honneur et de la gloire apparente, les méprisant avec magnanimité comme des choses viles et trompeuses ; et quoiqu'il soit honoré des créatures, il ne fait aucun cas de cet honneur, se montrant dans toutes les autres pertes et dans tons les travaux qui lui peuvent arriver, invincible et constant; de sorte qu'il fait tout son possible pour acquérir le trésor de la persévérance et de la patience.

 

CHAPITRE XII. Où l'on découvre la vertu de tempérance qu’eut la très-sainte Vierge.

 

580. La créature a deux mouvements par lesquels elle désire le bien sensible et s'éloigne du mal , et ce dernier est modéré parla force qui sert (comme j'ai déjà dit) pour empêcher que la volonté, par le secours de l'appétit irascible, ne se laisse vaincre, mais au contraire, qu'elle vainque elle-même avec hardiesse en supportant patiemment toutes sortes de maux sensibles pour acquérir le bien honnête. La tempérance, qui est la dernière et la moindre des vertus cardinales, sert pour régler les autres mouvements de l'appétit concupiscible. Elle en est la moindre, parce que le bien qu'elle poursuit n'est pas si général que celui que regardent les autres vertus, la tempérance concernant immédiatement le bien particulier de celui qui a cette vertu. Les théologiens considèrent la tempérance en tant qu'elle renferme une modération générale de tous les appétits naturels; et dans ce sens elle est une vertu générale et commune qui comprend toutes les vertus qui meuvent l'appétit conformément à la raison. Nous ne prenons

 

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pas ici la tempérance dans cette généralité, mais en tant qu'elle sert pour régler la puissance concupiscible dans les matières de l'attouchement, où la volupté meut avec plus de violence, comme aussi dans les autres matières, délectables qui ont du rapport au plaisir de l'attouchement, quoique ce ne soit pas avec la même violence.

581. Dans cette considération, la tempérance a le dernier rang parmi les vertus cardinales, parce que son objet n'est pas si noble que celui des autres; néanmoins on ne laisse pas de lui attribuer quelques excellences particulières, en tant qu'elle retire des objets les plus sales et les plus ravalés, tels qu'on les découvre dans l'intempérance des voluptés sensitives, qui se trouvent dans les hommes et dans les bêtes. C'est pourquoi David dit que l'homme devient semblable à elles lorsqu'il se laisse entraîner par cette infâme passion (1). Pour ce même sujet on appelle le vice de l'intempérance puéril, parce qu'un enfant ne se meut point par la raison, mais par la fantaisie de l'appétit, et qu'on ne le modère que par le châtiment, ainsi que la puissance concupiscible le demande, si on la veut réprimer dans ces sortes de plaisirs. La tempérance retire l'homme de ce déshonneur et de cette souillure, en lui enseignant à se conduire plutôt par la raison que par la volupté; c'est pour cela que cette vertu a mérité qu'on lui attribuât une certaine honnêteté et une certaine beauté qu'on distingue dans

 

(1) Ps. XLVIII, 13 et 21.

 

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l'homme qui se conduit selon les règles de la raison contre une passion si effrénée et si souvent rebelle à cette même raison; comme au contraire celui qui s'assujettit au plaisir animal s'attire une grande infamie, puisqu'il se rend par là semblable,aux bêtes.

582. La tempérance renferme les vertus d'abstinence et de sobriété, qui combattent les vices de la gourmandise et de l'ivrognerie (le jeûne est compris dans l'abstinence); ces vertus sont les premières productions de la tempérance, parce que la nourriture, qui est l'objet du goût, est la première chose qui se présente à l'appétit pour la conservation de la nature. Les vertus de chasteté et de pudicité, qui modèrent l'usage de la propagation naturelle, viennent ensuite accompagnées de ces deux filles, la virginité et la continence, pour s'opposer à l'incontinence, à la luxure et aux autres vices qui en sont inséparables. Après ces vertus, qui tiennent le premier rang dans l'ordre de la tempérance, il y en a d'autres qui refrènent l'appétit dans de moindres plaisirs, comme sont celles qui modèrent les sens de l'odorat, de l'ouïe et de la vue, et qui sont renfermées dans les vertus qui règlent le sens du toucher. Outre celles-là, il s'en trouve d'autres qui leur sont semblables, quoiqu'elles regardent d'autres sujets: ce sont la clémence et la douceur, qui arrêtent la colère, règlent le châtiment et empêchent de tomber dans une cruauté brutale. La modestie, qui a pour inférieures quatre différentes vertus, dont la première est l'humilité, qui éloigne l'homme de l'orgueil, afin qu'il ne souhaite point

 

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désordonnément sa propre excellence. La seconde est la modération de l’étude, afin qu'il ne désire point de savoir plus qu'il ne lui est convenable, et cette vertu est opposée au vice de la curiosité. La troisième est la retenue, qui sert à l'homme pour ne pas rechercher le superflu et l'ostentation dans son vêtement et dans les autres choses extérieures. Et la quatrième est celle qui modère l'appétit déréglé dans l'usage des plaisirs, tels que sont les jeux, les railleries, les danses, etc. Bien que cette vertu n'ait point de nom particulier, elle ne laisse pas d'être fort nécessaire, et c'est ce qu'on appelle généralement modestie ou tempérance.

583. Les termes dont nous nous servons pour exprimer les vertus des créatures en général, sont (comme je l'ai déjà dit si souvent) trop faibles pour expliquer l'excellence de celles qui se trouvèrent eu la Reine du ciel. Les grâces de la très-pure Marie curent bien plus de proportion avec celles de son Fils bien-aimé, et celles de l'humanité de ce divin Seigneur avec les perfections divines, que toutes les vertus de tous les saints ensemble n'en eurent avec celles de cette auguste Reine des vertus. Ainsi tout ce que nous en pouvons dire n'approche pas de ce quelles sont clans la vérité, puisque -nous n'en pouvons parler que par comparaison aux grâces et aux vertus qu'ils ont reçues, qui, quelque consommées qu'elles fussent, étaient toujours dans des sujets fort imparfaits, capables de péché, et ensuite de désordre. Que si l’Ecclésiastique, parlant de ces vernis, dit qu'on ne saurait

 

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assez priser l'excellence d'un homme continent (1), que dirons-nous de la tempérance de cette maîtresse des grâces et des vertus, et de la beauté que leur abondance donnait à son aime très-sainte? Tous les domestiques de cette femme forte étaient pourvus d'un double vêtement (2), parce que ses puissances étaient ornées de deux perfections d'une beauté et d'une force incomparables. L'une était la justice originelle, qui soumettait ses appétits à la raison et à la grâce; l'autre, les habitudes infusés, qui augmentaient continuellement ses grâces et ses vertus, pour donner à toutes ses actions la perfection la plus sublime.

584. Tout ce que les autres saints qui se sont signalés dans la tempérance out pu faire, a été de réduire la concupiscence rebelle sous le joug de la raison, afin qu'ils ne désirassent rien avec excès et qu'elle ne leur donnât pas occasion de se repentir dans la suite de ce qu'ils auraient souhaité avec trop d'empressement; que s'il s'en trouve quelqu'un d'entre eux qui se soit distingué dans la pratique de cette vertu, tout ce qu'il a pu faire a été de refuser à l'appétit ce qu'on peut retrancher à la nature humaine sans la détruire; mais il sentait toujours dans les actes de la tempérance quelque difficulté qui retardait l'affection de la volonté, ou du moins qui lui faisait tant de résistance, que son désir ne pouvait pas être entièrement satisfait, et qu'il avait sujet de se

 

(1) Eccles., XXVI, 20. — (2) Prov., XXI, 21,

 

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plaindre avec l'Apôtre de la malheureuse sujétion où le mettait son corps pesant et rebelle (1). Cette contradiction ne se trouvait point en la très-sainte Vierge; ses appétits, sans se plaindre et sans prévenir la raison, lui laissaient opérer toutes les vertus avec tant d'harmonie et de concert, que, la fortifiant comme une armée bien ordonnée et rangée en bataille (2), ils faisaient un choeur d'une mélodie céleste; et comme il n'y avait aucun dérèglement â réprimer dans ces mêmes appétits, elle s'exerçait de telle sorte dans cette vertu de tempérance, qu'il n'y eut jamais le moindre mouvement désordonné dans son âme; su contraire, imitant les perfections divines, ses opérations étaient comme émanées de ce sacré modèle; et tirées sur lui, qu'elles regardaient toujours comme l'unique règle qui pouvait les rendre parfaites, et comme la dernière fin à laquelle elles devaient se terminer.

585. L'abstinence et la sobriété de la très-pure Marie furent un sujet d'admiration aux anges, parce qu'étant Reine de l'univers et souffrant les passions naturelles de la faim et de la soif, elle ne désira jamais les viandes qui eussent rapport à son pouvoir et â sa grandeur; elle ne se servait point des aliments pour contenter son goût, elle rien usait que par nécessité, et cela avec tant de tempérance, qu'elle n'excéda ni ne pouvait excéder, n'en prenant qu'autant qu'elle en avait besoin pour l'entretien de l'humide

 

(1) Rom., VII, 24. — (2) Cant., VI, 8.

 

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radical et la conservation de sa vie : encore n'en prenait-elle qu'après avoir enduré les extrémités de la faim et de la soif, voulant par ce peu de nourriture laisser en elle, pour ainsi dire, plus d'espace et de vide à la grâce. Elle ne souffrit jamais aucune altération par la superfluité du manger ou du boire; elle n'en fut pas plus. pressée dans un jour que dans un autre, et elle n'en ressentit aussi aucune par le défaut des aliments, parce que si elle retranchait quelque chose de ce que la chaleur naturelle demandait, la divine grâce y suppléait, la créature se devant nourrir de cette grâce, et. non. pas seulement du pain (1). Le Très-Haut la pouvait bien entretenir sans qu'elle bût ni ne mangeât, mais il ne le fit point, parce que cela n'était pas convenable,' ni pour elle, qui aurait cessé de mériter dans cet usage modéré du manger et d'être le modèle de la tempérance, ni pour nous, qui aurions été privés du fruit de tant de mérites qu'elle y acquit. Je parle dans plusieurs endroits de cette histoire, de la qualité de sa nourriture, et des temps auxquels elle la recevait. Elle ne voulut jamais manger de viande ni manger plus d'une fois par jour, excepté lorsqu'elle fut avec saint Joseph ou qu'elle accompagnait son très-saint Fils dans ses voyages; car dans ces occasions, pour la nécessité qu'il y avait de se conformer aux autres, elle suivait l'ordre que le Seigneur lui donnait, et dans toutes sortes de rencontres elle était toujours admirable en la tempérance.

 

(1) Matth., IV, 4.

 

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586. Les séraphins ne sont pas capables de parler dignement de la pureté et de la pudeur de la Vierge des vierges, puisqu'ils furent en cette vertu, qui leur est naturelle, inférieurs à leur Reine, et que l'exemption du vice contraire se trouva, par un privilège de la grâce et du pouvoir de Dieu, dans un plus haut degré en la très-sainte Marie que dans les anges mêmes, que par leur nature ce vice ne peut point atteindre. Il n'est pas possible aux mortels de former en cette vie une juste idée de cette vertu en la Reine du ciel, parce que ce corps terrestre, qui nous environne, nous embarrasse beaucoup, et sert comme d'un nuage qui empêche notre âme de voir entièrement la lumière cristalline de la chasteté. Notre grande Reine eut cette vertu dans un tel degré, qu'elle aurait pu avec justice la préférer à la dignité de Mère de bien, si cette dignité n'eût été celle qui la proportionnait le plus à cette grandeur ineffable où elle se trouve. Mais en mesurant la pureté virginale de Matie avec l'estime qu'elle. en fit et avec la dignité à laquelle cette pureté l'éleva, on découvrira en partie quelle fut cette vertu en son corps virginal et en son âme très-pure. Elle se la proposa dès son immaculée conception, elle la voua dès sa naissance et l'observa de telle, manière durant tonte sa vie, qu'il n'y eut rien au monde qui l'ait jamais pu offenser cri sa pudeur. Pour ce sujet elle ne parla jamais et aucun homme que ce ne fût par la volonté de Dieu, et n'en regarda jamais aucun au visage, non plus que les femmes; ce n'était pas pourtant pour le danger, mais pour augmenter

 

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son mérite, pour nous servir d'exemple et à cause de cette surabondance de prudence, de sagesse et d'amour divin qui se trouvait en elle.

587. Salomon, parlant de la clémence et dé la douceur de cette auguste Reine, dit qu'elle était sur sa langue (1), parce qu'elle ne la remua jamais que ce ne fût pour distribuer la grâce, qui était répandue sur ses lèvres (2). La douceur règle la colère, la clémence modère le châtiment. Notre très-douce Reine n'eut point de colère à modérer, elle ne se servait de cette puissance que contre le péché et le démon, comme j'ai déjà. dit dans le chapitre précédent, traitant des actes de la force, etc. Elle n'en eut point contre les créatures raisonnables, qui lui inspirât de les punir; elle n'en fut jamais émue pour quelque sujet qu'elle en eût; sa douceur ne pouvait pas être altérée; l'égalité de son intérieur et de son extérieur fut inébranlable et au-dessus de nos imitations; on ne découvrit jamais aucun changement en sa personne, ni en sa voix, ni en ses actions, qui marquât le moindre mouvement intérieur de colère. Le Seigneur regarda cette douceur et cette clémence comme des canaux par lesquels il voulait nous communiquer toutes ses faveurs, et tous les effets de ses éternelles et anciennes miséricordes; et pour cette fin il fallait que la clémence de notre auguste Reine fût proportionnée à celle que ce divin Seigneur a pour les créatures. Que si l'on considère avec attention les oeuvres

 

(1) Prov., XXXI, 26. — (2) Ps. XLIV, 34.

 

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de la clémence divine envers les pécheurs, et que la très-sainte Vierge était l'instrument propre par lequel elles s'exécutaient, on découvrira en partie la clémence de cette Dame. Toutes ses corrections furent plus en priant, en enseignant, en instruisant, qu'en châtiant : elle demanda cela au Seigneur, et sa providence le disposa ainsi , afin que la loi de la clémence se trouvât en cette très-douce Reine comme dans tin exemplaire dont sa divine Majesté se servit pour enseigner aux hommes cette vertu aussi bien que les autres.

588. Il nous faudrait faire plusieurs livres, et emprunter même les langues des anges pourparler dignement de quelque partie des autres vertus que la modestie de la très-sainte Vierge renferme, singulièrement de son humilité, de sa retenue, et de sa pauvreté. Toute cette histoire est remplie de ce que j'en puis dire parce que l'humilité incomparable de la Reine du ciel éclata dans toutes ses actions sur toutes les autres vertus. Je crains beaucoup d'offenser la grandeur de cette vertu singulière, en entreprenant de réduire dans des termes si bornés que les nôtres l'immense océan qui a bien pu recevoir et renfermer Celui qui est incompréhensible et sans limites. Tout ce que les saints et les anges mêmes ont pu connaître de cette vertu d'humilité, et opérer par elle, n'est jamais arrivé aux premiers degrés de celle de notre Reine. Qui est celui d'entre les saints et d'entre les anges même que Dieu ait bien voulu appeler sa Mère? Qui est-ce, excepté le Père éternel et Marie, qui ait pu

 

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appeler le Verbe incarné son Fils? Or, si celle qui arriva à être semblable au Père en cette dignité, et qui reçut les grâces et les dons convenables à cette même dignité, s'estima la dernière de toutes les créatures, et les regarda toutes comme ses supérieures, quelle odeur, quel doux parfum ne devait-il pas exhaler en la présence de Dieu , cet humble nard (1) renfermant dans son sein le souverain Roi des rois ?

589. Ce n'est pas une merveille que les colonnes du ciel tremblent en présence de la lumière inaccessible de la majesté infinie de Dieu (2), puisqu'elles y virent la perte de leurs semblables, et qu'elles furent préservées de ce malheur par des faveurs qui ne leur, furent point cachées. Que les plus forts et les plus invincibles d'entre les saints s'humilient en embrassant le mépris et en se reconnaissant indignes du moindre bienfait de la grâce , et même du moindre secours des choses naturelles, tout cela est fort juste et fort à propos : parce que nous avons tous péché, et nous avons besoin de la miséricorde de Dieu pour arriver à sa gloire (3); il n'y en a aucun de si saint et de si grand, qu'il ne le puisse être davantage; ni de si parfait, qu'il ne lui manque quelque vertu; ni de si innocent, que les yeux de Dieu n'y découvrent quelque défaut : quand même il s'en trouverait quelqu'un qui serait parfaitement accompli en toutes choses, il est néanmoins compris comme tous les

 

(1) Cant, I, 11. — (2) Job., XXVI, 11. — (3) Rom., III, 23.

 

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autres dans les grâces communes, sans qu'aucun soit supérieur, ni à tous, ni en tout.

590. Mais en cela l'humilité de la très-pure Marie a été sans exemple; car quoiqu'elle fût l'aurore de la grâce, le commencement de tout le bien des créatures, la plus sublime de tontes, le prodige des perfections de Dieu, le centre de son amour, le théâtre de sa toute-puissance; quoiqu'elle eût le bonheur de l'appeler son Fils, et d'en être appelée sa Mère, elle s'humilia néanmoins au-dessous de tout ce qui est créé; bien qu'elle jouit de la plus grande excellence de toutes les oeuvres de Dieu, n'étant qu'une pure créature , car il n'y en avait aucune, pour élevée quelle fût, quelle ne surpassât, elle ne laissa pas de s'humilier, se croyant indigne de la moindre estime, de la moindre excellence et du moindre honneur qu'on eût pu donner à la plus petite de toutes les créatures raisonnables. Elle ne s'estimait pas seulement indigne de la dignité de Mère de Dieu , et des grâces que cette dignité renfermait, mais même de l'air qu'elle respirait, de la terre qui la soutenait, des aliments qu'elle recevait, et de la moindre assistance des créatures; elle se réputait indigne de tout, et lorsqu'elle recevait quelque chose, elle en témoignait sa reconnaissance comme si elle l'eût véritablement été. Pour dire beaucoup en peu de paroles, ce n'est pas une fort grande humilité à une personne de ne désirer point l'excellence, qui ne lui appartient pas absolument, ou qu'elle ne mérite par aucun titre, quoique la clémence infinie du Très-Haut admette cette humilité,

 

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et agrée celui qui s'humilie de la sorte. Mais ce qui est admirable est que celle à qui toute la majesté et toute l'excellence étaient dues, s'humilia plus que toutes les créatures ensemble, et ne désira ni ne rechercha aucun honneur ni aucune déférence; et qui étant en la forme de digne Mère de Dieu, elle s'anéantit en elle-même, méritant par cette humilité d'être élevée , comme de justice, à l'empire et à la souveraineté de tout ce qui est créé.

591. Les autres vertus qui sont renfermées dans la modestie répondaient en Marie à cette humilité incomparable : parce que l'appétit de savoir plus qu'il n'est convenable naît d'ordinaire du peu d'humilité ou de charité que l'on a; et étant un vice sans profit, ne laisse pas pourtant d'entraîner beaucoup de dommages, comme nous le voyons dans l'exemple de Dina (1), qui, sortant pour voir par une curiosité inutile ce qui ne lui était pas profitable, fut vue avec une perte si grande de son honneur. De la même racine de l'orgueil naît ordinairement l'ostentation extraordinaire dans les habits, dans les actions déréglées et dans les gestes du corps qui ne servent qu'à la vanité, à la sensualité et à témoigner la légèreté du coeur, selon que l'Ecclésiastique nous l'enseigne, disant que le vêtement du corps, le ris de la bouche, les mouvements de l'homme nous découvrent son intérieur (2). Toutes les vertus contraires à ces vices étaient en la très-sainte Vierge inaccessibles à leurs atteintes,

 

(1) Gen., XXXIV, 4. — (2) Eccles., XIX, 27.

 

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il n'y avait ni contradiction , ni mouvement, qui pussent les retarder ou les ternir; au contraire elles découvraient en cette auguste Princesse, comme filles et compagnes inséparables de sa profonde humilité, de son ardente charité et de sa pureté incomparable, de certains traits qui la faisaient paraître plus divine qu'humaine.

592. Elle était très-studieuse sans curiosité : parce qu'étant remplie de sagesse, et surpassant en cela les chérubins mêmes, elle apprenait néanmoins, et se laissait instruire de tous, comme ignorante. Lorsqu'elle se servait de la science divine, ou qu'elle consultait la divine volonté, elle était si prudente; et c'était avec des fins si relevées et des circonstances si saintes, que ses désirs blessaient toujours le coeur de Dieu, et l'attiraient à sa volonté bien ordonnée. Elle fut admirable en la pauvreté , puisque étant Maîtresse de tout ce qui est créé, et l'ayant à sa disposition, elle laissa, pour imiter son très-saint Fils, tout ce qu'elle en avait reçu (1) : parce que, comme le Père éternel mit toutes choses entre les mains du Verbe incarné, ainsi ce Seigneur les remit toutes en celles de sa Mère, et elle, pour suivre son exemple, les abandonna toutes avec plaisir, pour la gloire de son Fils et de son Seigneur. Touchant la modestie de ses actions, la douceur de ses paroles, et pour tout ce qui regardait son extérieur, il suffira de dire qu'elle aurait été prise pour plus qu'humaine, par la grandeur

 

(1) Joan., XIII, 3.

 

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ineffable qui en, rejaillissait, si la foi n'eût appris qu'elle était une pure créature, comme le sage d'Athènes saint Denis le déclara.

 

Instruction de la Reine du ciel.

 

593. Ma fille, vous avez dit quelque chose de la dignité de cette vertu de tempérance, touchant l'excellence que vous en avez connue, et celle que j'exerçais, quoique vous omettiez beaucoup de choses, par lesquelles on pourrait être entièrement persuadé du grand besoin qu'ont les mortels de se servir de la tempérance dans leurs actions. Ce fut une peine du premier péché, que l'homme perdit le parfait usage de la raison, et que les passions désobéissantes se révoltassent contre elle et en elle, contre celui qui s'était révolté contre son Dieu en méprisant son très-juste précepte. La vertu de tempérance a été nécessaire pour réparer ce dommage, afin que par elle on maîtrisât les passions, on refrénât leurs mouvements sensuels, on donnât à ces mouvements une règle; que par elle l'homme fût rétabli dans la connaissance du milieu parfait et prudent, qui se trouve dans l'appétit concupiscible, et que ce milieu lui enseignât et l'inclinât de nouveau à suivre la raison, comme capable de la Divinité, et à ne plus suivre ses plaisirs, comme une bête dépourvue de raison. Il est impossible que la

 

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créature se dépouille du vieil homme sans cette vertu , et qu'elle se dispose pour recevoir les dons de la grâce et de la sagesse divine, parce qu'elles n'entrent point dans l'âme du corps sujet aux péchés (1). Celui qui sait modérer ses passions par la tempérance, en leur refusant le plaisir brutal et immodéré qu'elles demandent, celui-là pourra dire et expérimenter que le souverain Roi l'introduit dans les endroits où se trouvent son vin délicieux , les trésors de la sagesse et les dons spirituels (2), parce que cette vertu est comme une officine universelle, qui est remplie de vertus les plus belles et les plus agréables à Dieu.

594. Quoique je veuille que vous travailliez beaucoup pour les acquérir toutes, je veux aussi que vous considériez singulièrement la beauté et les charmes de la chasteté, la force de l'abstinence et de la sobriété dans le manger et le boire, la douceur et les effets de la modestie dans les paroles et dans` les couvres, et la noblesse de la très-haute pauvreté dans l'usage des choses. Vous obtiendrez par ces vertus la lumière divine, la paix et la tranquillité de votre âme, la sérénité de vos puissances, la conduite de vos inclinations; vous serez toute illuminée par les splendeurs de la divine grâce et des dons célestes; et sortant de la vie animale, vous serez élevée à la conversation et à la vie angélique, qui est celle que je demande de vous, et celle que vous-même souhaitez par la vertu divine. Prenez donc bien garde, ma très

 

(1) Sap., I, 4. — (2) Cant., II, 4.

 

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chère fille, et tachez d'opérer toujours par la lumière de la grâce, et d'empêcher que vos puissances ne se meuvent jamais par le seul plaisir et par leurs propres passions; conduisez-vous dans toutes les choses nécessaires à la vie, par la raison et pour la gloire du Très-Haut; et soit que vous mangiez, soit que vous dormiez ou que vous vous habilliez, dans vos conversations, dans vos désirs, dans les corrections, les commandements ou les prières que vous ferez, faites en sorte que ce soit la lumière et la volonté de votre Seigneur et de votre Dieu, qui vous règlent et gouvernent en cela comme en tout le reste, et non point votre propre caprice.

595. Afin que vous vous affectionniez davantage à la beauté et à la grâce de cette vertu, considérez la laideur des vices contraires, et pesez par la lumière que vous recevez combien le monde est abominable, horrible et monstrueux aux yeux de Dieu et des saints par l'énormité de tant d'abominations que les hommes commettent contre cette aimable vertu. Regardez combien il y en a qui suivent comme des brutes l'horreur de la sensualité; les uns la gourmandise et l'ivrognerie, les autres le jeu et la vanité, ceux-là l'orgueil et la présomption, d'autres l'avarice et le plaisir d'amasser des richesses, et tous généralement l'impétuosité de leurs passions , ne recherchant maintenant que la volupté, qui leur doit thésoriser dans la suite des tourments éternels, et les priver de la vue bienheureuse de leur Dieu.

 

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CHAPITRE XIII. Des sept dons du Saint-Esprit que reçut la très-sainte Vierge.

 

596. II me semble que les sept dons du Saint-Esprit,(selon la lumière que j'en reçois) ajoutent quelque chose aux vertus ou ils se réduisent, et par cette augmentation ils en sont distingués, quoiqu'ils aient le même objet. Il n'est point de bienfait du Seigneur qu'on ne puisse appeler don ou présent de sa main libérale, bien qu'il soit naturel; mais nous ne parlons pas ici des dons dans cette généralité, quoiqu'ils soient des vertus et des libéralités infuses; parce que tous ceux qui ont quelque vertu ou plusieurs ensemble, n'ont pas la grâce des dons dans cette matière, ou du moins ils n'ont pas les vertus dans ce degré qui fait qu'on les appelle des dons parfaits, selon que les docteurs sacrés l'entendent en interprétant les paroles d'Isaïe qui disent que l'Esprit du Seigneur reposerait en notre Sauveur Jésus-Christ (1), faisant mention de sept grâces qu'on appelle communément dons du Saint-Esprit, qui sont: l'esprit de sagesse et d'entendement, l'esprit de conseil

 

(1) Isa., XI, 2.

 

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et de force, l'esprit de science et de piété, et celui de crainte de Dieu, qui furent en l'âme très-sainte de Jésus-Christ rejaillissant de la divinité, à laquelle elle était unie hypostatiquement, comme le ruisseau l'est à la source dont il sort pour se communiquer à d'autres (1), parce que nous participons tous des eaux du Sauveur, grâce pour grâce, et don pour don (2), les trésors de la sagesse et de la science 4e Dieu étant cachés en ce divin Seigneur (3).

597. Les dons du Saint-Esprit répondent aux ver tus auxquelles ils se réduisent; et quoique les théologiens admettent quelque distinction en cette ressemblance, il n'y en peut pourtant pas avoir en la fin des dons, qui est de donner quelque perfection singulière aux puissances, afin qu'elles opèrent plus parfaitement et plus héroïquement qu'à l'ordinaire dans les matières des vertus, parce que sans cette qualité on ne les pourrait pas appeler dons particuliers, et plus parfaits et plus excellents que les autres dons en la manière commune de pratiquer les vertus. Cette perfection des dons doit consister principalement en quelque singulière ou forte impulsion du Saint-Esprit, qui surmonte les empêchements avec une plus grande efficace, excite le libre arbitre et lui donne une plus grande force, afin qu'il n'opère point lâchement dans cette espèce de vertu sur laquelle le don s'étend, mais su contraire avec une grande plénitude de perfection et de force. Le libre arbitre ne pouvant pas obtenir

 

(1) Isa., XII, 3. — (2) Joan., I, 16. — (3) Colos., II, 3.

 

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toutes ces choses s'il n'est éclairé et mû par une vertu efficace et une force singulière du Saint-Esprit qui le portent avec une douce violence, afin qu'il suive cette lumière, qu'il opère avec liberté, et qu'il veuille cette action, qui semble être faite en la volonté par l'efficace de l'Esprit divin, comme l'Apôtre le dit écrivant aux Romains (1). C'est pourquoi ce mouvement est appelé instinct du Saint-Esprit; car quoique la volonté opère librement et sans violence, elle a pourtant dans ces oeuvres beaucoup de rapport à un instrument volontaire, parce qu'elle opère avec moins de dépendance de la prudence commune que les vertus, quoique cela ne diminue en elle ni l'intelligence ni la liberté.

598. J'en ferai comprendre quelque chose par un exemple : Deux choses concourent dans les puissances pour mouvoir la volonté aux actions vertueuses : l'une est le poils ou l'inclination qu'elle a en soi, qui l'attire et la meut en la manière que la pesanteur se trouve en la pierre, et la légèreté au feu pour les faire mouvoir à leur centre; cette inclination augmentant plus ou moins les habitudes vertueuses en la volonté (les vices faisant la même chose en leur manière), parce que ces habitudes pèsent par l'inclination que la volonté a pour l'amour, et cet amour sert de poids à la volonté qui l'attire librement. L'autre chose concourt du côté de l'entendement à ce mouvement, qui est une illustration dans

 

(1) Rom., VIII.

 

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les vertus, par laquelle il se meut et détermine la volonté; et cette illustration est proportionnée aux habitudes et aux actes que la volonté fait. La prudence et la délibération ordinaire de cette même prudence servent pour les actes ordinaires, les autres plus élevés ayant besoin d'un plus haut secours et d'un mouvement supérieur du Saint-Esprit : alors ce mouvement appartient aux dons. Et parce que la charité et la grâce sont une habitude surnaturelle qui dépend de la volonté divine, en fa manière que le rayon naît du soleil, c'est pour cela que la charité a une influence particulière de la Divinité, et par cette influence elle est mue et meut les autres vertus et les habitudes de la volonté, et beaucoup plus lorsqu'elle opère par les dons du Saint-Esprit.

599. Il me semble, conformément à ce que je viens de dire, que je connais dans les dons du Saint-Esprit, en ce qui regarde l'entendement, une illustration singulière en laquelle il se comporte fort passivement pour mouvoir la volonté, à laquelle ses habitudes répondent avec un certain degré de perfection qui l'incline au-dessus de la force ordinaire des vertus à des oeuvres fort héroïques. Et comme, si l'on ajoute à la pesanteur de la pierre une autre impulsion, elle se meut avec un mouvement plus rapide, de mètre ajoutant en la volonté la perfection ou impulsion des dons, les mouvements des vertus sont plus excellents et plus parfaits. Le don de sagesse communique un certain goût à l'âme, par lequel elle tonnait sans tromperie les choses divines et les humaines,

 

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leur donnant à chacune leur prix et leur poids contre le goût qui provient de l'ignorance et de la folie humaine, et ce don appartient à la charité. Le don d'entendement illumine pour pénétrer et connaître les choses divines; il est contre la grossièreté et la pesanteur de notre entendement. Celui de science pénètre les difficultés les plus obscures, et rend les docteurs parfaits; il est contre l'ignorance, et ces deux dons appartiennent à la foi. Le don de conseil redresse et retient la précipitation humaine contre l'imprudence, et il appartient à sa propre vertu. Celui de force chasse la crainte désordonnée et anime la faiblesse, et il appartient à sa vertu. Celui de piété rend le coeur doux, lui ôte la dureté, et l'attendrit contre l'impiété et l'insensibilité, et il appartient à la religion. Le don de crainte de Dieu humilie amoureusement contre l'orgueil, et il se réduit à l'humilité.

600. Tous les dons du Saint-Esprit se trouvèrent en la très-sainte Vierge comme en celle, qui avait quelque sorte de rapport à lui et un certain droit à ses dons en qualité de Mère du verbe divin, dont le Saint-Esprit procède, à qui on les attribue. Mesurant ces dons à la dignité singulière de Mère, il fallait qu'ils se trouvassent en elle avec la que proportion et avec autant de différence de toutes les autres âmes qu'il y en a d'être Mère de Dieu, et les autres d'être seulement créatures; outre que notre auguste Reine était par cette dignité et par l'impeccabilité fort proche du Saint-Esprit, et les autres créatures en étaient fort `éloignées, tant par le péché que par la distance de

 

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l’être commun, sans aucun autre rapport ni proximité avec l'Esprit divin. Que s'ils étaient en notre Maître et Rédempteur Jésus-Christ comme en leur source, ils étaient aussi en Marie, sa digne Mère, comme en un lac, d'où ils se distribuent à toutes les créatures, parce que de sa plénitude surabondante ils se répandent sur toute l'Église. Ce que Salomon a exprimé par une autre métaphore dans les Proverbes, disant que la sagesse s'est bâti une maison sur sept colonnes, etc. etc., et qu'elle y dressa la table, y mêla le vin, et y convia les petits enfants et les insensés, pour les tirer de leur puérilité et leur enseigner la prudence (1). Je ne m'arrête point à en donner l'explication, puisqu'il n'est aucun catholique qui ne sache que cette habitation magnifique du Très-Haut fut la très-pure. Marie, qui était comme construite et fondée sur ces sept dons, tant pour sa beauté et sa fermeté que pour préparer en cette maison mystique le festin général de toute l'Église, parce. que la table se trouve toute prête en Marie, afin que tous les ignorants et les petits enfants d'Adam y aillent se rassasier des influences et des dons du Saint-Esprit.

601. Quand on acquiert ces dons parle moyen de la discipline et de l'exercice des vertus en vainquant les vices contraires, alors la crainte tient le premier rang; mais en notre Seigneur Jésus-Christ, Isaïe commença à les raconter par le don de sagesse, qui en est le plus sublime, parce qu'il les reçut comme Maître

 

(1) Prov., IX, 1-6.

 

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et comme Chef, et non point comme disciple qui les apprit. Nous les devons considérer dans ce même ordre en sa très-sainte Mère, parce qu'elle fut plus semblable à son très-saint Fils dans les dons que' les autres créatures ne le furent à elle-même. Le don de sagesse contient une agréable lumière par laquelle l'entendement connaît la vérité des choses par leurs causes internes et suprêmes, et la volonté par la douceur et le plaisir qui résultent du véritable bien; le discerne et le sépare du faux et de l'apparent, parce que celui-là est véritablement sage, qui connaît sans tromperie le véritable bien pour le goûter, et il le goûte même en le connaissant. Ce goût de la sagesse consiste à jouir du souverain bien par une étroite union de l'amour, qui est suivi de la saveur et du goût du bien honnête, auquel on participe et qu'on exerce par les vertus inférieures à l'amour. C'est pour cela qu'on n'appelle point sage celui qui ne connaît la vérité que par spéculation , quoiqu'il reçoive quelque plaisir de cette connaissance; on ne doit pas non plus appeler sage celui qui opère les actes de vertu pour la seule connaissance, et encore moins s'il le fait pour quelque moindre sujet; mais il sera véritablement sage s'il opère par le goût d'un amour intime et unitif à cause du véritable et souverain bien, qu'il connaît sans tromperie, et en lui et par lui toutes les vérités inférieurs. Cette connaissance communique à la sagesse le don d'entendement, qui la précède et l'accompagne; et il consiste en une profonde pénétration des vérités divines et de celles qu'on

 

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petit réduire et rapporter à cet ordre, parce que l'esprit sonde les choses profondes de Dieu, comme le dit l'Apôtre (1).

602. Nous avions besoin de ce même esprit pour comprendre et pour dire quelque chose des dons de sagesse et d'entendement qu'eut la, Reine du ciel. L'impétuosité du fleuve qui était comme retenu depuis tant de siècles dans la bonté souveraine, réjouit enfin cette Cité de Dieu par le torrent qu'elle versa dans son âme très-sainte par le moyen du Fils unique du Père, et le sien, qui habita en elle comme si elle eùt déchargé, à notre manière de concevoir, la mer infinie de la Divinité dans cet océan de sagesse, au même instant qu'elle en put demander l'esprit; et pour qu'elle le pût demander, ce même esprit vint en elle, afin qu'elle apprit cette sagesse sans fiction , et la communiquât sans jalousie (2), comme elle le fit véritablement, puisque par le moyen de Ait sagesse la lumière du Verbe incarné fut manifestée su monde. Cette Vierge très-sage connut la disposition du monde, les qualités des éléments, le principe, le milieu et la fin du temps et ses vicissitudes, le cours des étoiles, la nature des animaux, les fureurs des bêtes féroces, la force des vents, la complexion et les pensées des hommes, les vertus des plantes, des herbes, des arbres, des fruits et des racines, tout ce qui est au-dessus des connaissances des hommes, les mystères et les voies les plus cachées du Très-Haut (3).

 

(1) 1 Cor., II, 10. — (2) Sap., VII, 13. — (3) Ibid., 17-21.

 

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Notre grande Reine connut toutes ces choses, et les goutta par le don de sagesse, qu'elle puisa dans sa propre source, et alors elle devint comme la parole de la pensée de cette sagesse.

603. Ce fut là qu'elle reçut cette vapeur de la vertu de Dieu et cet écoulement de sa charité sincère (1) , qui la rendit immaculée, et la préserva de la souillure qui salit l'âme, pour en faire un miroir sans tache de la majesté de Dieu. Là, elle fut enrichie de l'esprit d'intelligence; qui contient l'esprit de sagesse, qui est saint, unique, multiplié, subtil, pénétrant et disert; prompt, net, doux, amateur du bien, et surmontant tous les obstacles; bienfaisant, bénin, stable, constant, qui renferme toutes ces vertus et qui pénètre tout avec une netteté et une vivacité très-pure, de sorte qu'il touche le commencement et la fin de toutes choses (2). Ces qualités que Salomon attribue à l'esprit de sagesse, se trouvèrent uniquement et parfaitement en la Reine du ciel après son très-saint Fils; toutes sortes de biens lui vinrent avec la sagesse, et. ces dons de sagesse et d'entendement très-sublimes la précédaient dans toutes ses opérations (3), afin de lui servir de règle dans tous les actes des autres vertus, et qu'elles fussent toutes remplies de cette sagesse avec laquelle elle opérait.

604. Nous avons dit quelque chose des autres dons, parlant des vertus qui leur appartiennent; mais comme tout ce que nous pouvons concevoir et

 

(1) Sap., VII, 25. — (2) Ibid., 22. — (3) Ibid., 11 et 12.

 

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dire de cette Cité mystique, l'auguste Marie, n'est rien au prix de ce qu'elle renfermait, c'est pour cela que nous trouverons toujours beaucoup de choses à y ajouter. Le don de conseil suit dans l'ordre d'Isaïe celui d'entendement, et consiste en une lumière surnaturelle, par laquelle le Saint-Esprit touche l'intérieur, en l'éclairant au-dessus de toute intelligence humaine et commune, afin qu'il choisisse tout ce qui est le plus utile, le plus décent et le plus juste,. et rejette le contraire, soumettant la volonté, par les règles de la loi divine, à l'unité d'un seul amour et à la conformité de la volonté parfaite du souverain bien; et que par cette érudition la créature s'éloigne de la multiplicité des diverses affections, des amours inférieurs et extérieurs, et des mouvements qui peuvent empêcher le coeur humain d'ouïr et de suivre cette sainte impulsion et ce conseil divin, et de se conformer à notre Seigneur Jésus-Christ, qui dit par un très-haut conseil au Père éternel : Que ma volonté ne s'accomplisse point, mais bien la vôtre (1).

605. Le don de force est une participation ou une influence de la vertu divine, que le Saint-Esprit communique à la volonté créée, afin qu'étant par ce moyen animée, elle s'élève heureusement au-dessus de tout ce que la faiblesse humaine peut craindre, ce qui lui arrive d'ordinaire dans les tentations, les douleurs, les tribulations et les adversités; et qu'après avoir surmonté toutes ces choses, elle acquière

 

(1) Matth., XXVI, 39.

 

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et conserve ce que les vertus ont de plus sublime et de plus excellent, et surpasse même toutes les vertus, les grâces, les consolations intérieures et spirituelles, les révélations, les autours sensibles, pour nobles et excellents qu'ils soient, et qu'ayant enfin comme abandonné tout cela , elle s'élève par un divin effort jusqu'à ce qu'elle ait obtenu la parfaite union du souverain bien , après laquelle elle soupire avec des désirs très-ardents, d'où il arrive que du fort coule véritablement la douceur (1) , ayant une fois surmonté tous ces obstacles en celui qui le fortifie (2). Le don de science est une connaissance judicieuse avec une rectitude infaillible de tout ce qu'on doit croire et opérer par les vertus. Il se distingue de celui de conseil, en ce que celui-ci choisit, et l'autre juge; le premier fait le jugement droit, et le second l'élection prudente. Il se distingue aussi du don d'entendement, parce que celui-ci pénètre les vérités divines et internes de la foi et des vertus comme en une simple intelligence; et le clou de science commit en maître ce qu'on eu peut inférer, appliquant les opérations extérieures des puissance, à la perfection de la vertu; en laquelle le clou de science est comme la racine et la mère de la discrétion.

606. Le don (le piété est une vertu ou influence divine par laquelle le Saint-Esprit amollit et liquéfie en quelque façon la volonté humaine, la mouvant pour tout ce qui regarde le service de Dieu et l'utilité

 

(1) Judic., XIV, 14 — (2) Phil., IV, 13.

 

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du prochain. Par cette tendresse et cette douceur, notre volonté est prompte, et la mémoire toute disposée à louer et bénir le souverain bien, et à lui rendre grâces et honneur en toutes sortes de temps, de lieux et de rencontres ; et à porter une tendre et amoureuse compassion aux créatures, sans leur manquer dans leurs travaux et dans leurs nécessités. L'envie ne se trouve point dans ce don de piété qui ne tonnait ni haine ni tiédeur, ni attachement ni bassesse de coeur, parce qu'il cause à celui-ci une forte et douce inclination par laquelle il se porte amoureusement à toutes les oeuvres de l'amour de Dieu et du prochain , rendant celui qui le possède, honnête, doux, officieux et diligent. C'est pour cette raison que l'Apôtre a dit que l'exercice de la piété est utile à toutes choses, et qu'elle a la promesse de la vie éternelle (1), parce qu'elle est un instrument très-noble de la charité.

607. On trouve en dernier lieu le don de crainte de Dieu, si hautement loué et si souvent recommandé dans l'Écriture (2) et par les Pères comme le fondement de la perfection chrétienne et le principe de la véritable sagesse, parce duc la crainte de Dieu est la première qui résiste à la folie arrogante des hommes, et celle qui la détruit avec plus de force. Ce don si important consiste en une fuite amoureuse, en une honte et timidité très-noble; de sorte que, par leur moyen, l'âme se retire en elle-même et en sa propre condition et bassesse, considérant cette bassesse en comparaison

 

(1) I Tim., IV, 8. —(2) Ps. II, XVIII, XXXIII, CX, CXVIII, et alibi.

 

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de la grandeur et de la majesté suprême de Dieu; et ne voulant pas présumer ni savoir hautement de soi et en soi, elle craint, comme l'Apôtre l'a enseigné (1). Cette sainte crainte a divers degrés, parce que dans son principe on la nomme initiale, et dans la suite filiale : car elle commence premièrement à éloigner l'âme du péché, comme contraire au souverain bien, qu'elle aime avec respect; ensuite elle l'introduit dans l'abattement et dans le mépris d'elle-même, lui faisant comparer son être propre avec la Majesté divine, son ignorance avec sa sagesse, et sa pauvreté avec ses richesses infinies; et l'âme se trouvant par son secours entièrement soumise à la divine volonté, s'humilie et se soumet aussi à toutes les créatures pour Dieu, et agit envers lui et envers elles avec un très-grand amour qui l'élève à la perfection des enfants de Dieu, et à la suprême unité d'esprit avec le Père; le Fils, et le Saint-Esprit.

608. Si je m'étendais davantage sur l'explication de ces dons, je m'éloignerais beaucoup de mon sujet, et le discours en serait trop diffus : il me semble que ce que j'en dis est suffisant pour faire entendre leur nature et leurs qualités. Ce qu'ayant compris, on doit considérer que tous les dons du Saint-Esprit se trouvèrent en notre auguste Reine, non-seulement dans le degré suffisant et commun que chacun d'eux renferme dans son genre (parce que cela peut être commun aux autres saints), mais ils se trouvèrent en cette très

 

(1) Rom., XI, 20.

 

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sainte Dame avec une excellence et un privilège singulier, tel qu'aucun autre saint ne l'a jamais eu, ne pouvant pas même être convenable à tout ce qui lui était inférieur. Ayant donc connu en quoi consiste la sainte crainte, la piété, la force, la science, le conseil, comme dons particuliers du Saint-Esprit, que le jugement humain et l'entendement angélique s'y étendent autant qu'ils pourront, et en pensent tout ce qu'il peut y avoir de plus relevé, de plus noble, de plus excellent, de plus parfait, de plus divin; et qu'ils avouent après cela que les dons de Marie sont au-dessus de ce que toutes les créatures ensemble en ont conçu, et que ce qui en est même le plus bas est aussi le plus relevé de toutes les pensées créées, et que le sublime des dons de cette auguste Reine des vertus touche (en quelque façon et selon notre manière d'exprimer les choses) l'extrémité inférieure de Jésus-Christ et de la Divinité.

Instruction de la très-sainte Vierge.

609. Ma fille, ces dons très-nobles et très-excellents du Saint-Esprit que vous avez connus, sont l'émanation par où la Divinité se communique aux âmes saintes : et c'est pour cela qu'ils n'admettent aucune limitation de leur côté, comme ils l'ont du sujet qui les reçoit. Que si les créatures bannissaient de leur

 

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coeur les affections terrestres (quoique ce coeur soit limité), elles ne laisseraient pas de participer sans mesure, par le moyen des dons inestimables du Saint-Esprit, au torrent de la Divinité, qui est infinie. Les vertus purifient la créature de la laideur et de la souillure des vices, s'il s'en trouve quelqu'un en elle; elle commence à rétablir par ces vertus le bel ordre de ses puissances, qu'elle a perdu premièrement par le péché originel, et ensuite par ses péchés actuels; outre cela, elles lui ajoutent la beauté, la force et le plaisir dans l'exercice des bonnes oeuvres. Mais les dons du Saint-Esprit élèvent ces mêmes vertus à une perfection sublime, à un ornement et à une beauté incomparable; de sorte que, par tous ces avantages, l'âme se dispose, s'embellit et se rend agréable pour être unie en esprit d'une manière admirable à la Divinité dans le lien de la paix éternelle, sortant de cet état très-heureux pour opérer avec autant de fidélité que de constance les vertus les plus héroïques, qui lui fournissent des ailes pour s'en retourner dans le même principe d'où elle est sortie, qui est Dieu, sous l'ombre duquel elle repose tranquillement (1), sans que les impétuosités furieuses des passions et de leurs appétits désordonnés la troublent. Mais peu de personnes arrivent à cette félicité, et il n'y a que l'expérience de celui qui la reçoit qui la puisse faire connaître.

610. Prenez donc bien garde, ma très-chère fille, et considérez avec une profonde attention comme vous

 

(1) Cant., II, 3

 

monterez au plus haut de ces dons- car c'est la volonté du Seigneur et la mienne que vous montiez aux premières places du festin (1) que sa douceur divine vous prépare par la bénédiction des dons que vous avez reçus de sa libéralité pour cette fin (2). Sachez qu'il n'y a que deux chemins pour arriver à l'éternité : l'un qui mène à la mort éternelle par le mépris de la vertu et par l'ignorance de la Divinité, l'autre qui conduit à la vie éternelle par la connaissance fructueuse du Très-Haut, parce que c'est la vie éternelle que de le connaître aussi bien que son Fils unique, qu'il a envoyé au monde (3). Une infinité de fous suivent le chemin de la mort (4), ignorant leur propre ignorance, leur présomption et leur orgueil par une folie horrible. Ceux que Dieu a appelés par sa miséricorde à son admirable lumière, et régénérés en enfants de cette même lumière (5), ont reçu de sa bonté infinie dans cette régénération le nouvel être qu'ils ont par la foi, l'espérance et la charité, qui les rend siens et héritiers de la divine et éternelle jouissance (6); et, les ayant réduits à l'être dé ses enfants, il leur a donné les vertus qui se répandent en la première justification, afin que, comme enfants de la lumière, ils produisent avec proportion les oeuvres de lumière; et en suite de ces opérations il leur prépare les dons du Saint-Esprit. Et comme le soleil matériel ne refuse à aucun sa chaleur et sa lumière, s'il est propre et disposé

 

(1) Luc., XIV, 10. — (2) Ps. XX,4. — (3) Joan., XVII, 3. — (4) Eccles., I, 15. — (5) I Petr., II, 9. — (6) Ephes., V, 8.

 

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à recevoir la force de ses rayons, de même la sagesse divine, qui crie sur les hautes montagnes et dans les grands chemins, à la porte des villes, au milieu des rues et dans tous les endroits les plus retirés (1) pour convier et appeler tous les mortels, ne devait se refuser ni se cacher à personne. Mais la folie des hommes les rend sourds, ou l'impiété malicieuse les rend moqueurs, et la perversité incrédule les éloigne de Dieu, dont la sagesse ne trouve aucune place dans le coeur malin ni dans le corps sujet aux péchés (2).

611. Mais vous, ma chère fille, faites de sérieuses réflexions sur vos promesses, sur votre vocation et sur vos désirs, car la langue qui ment à Dieu est homicide de son âme : ne courez pas après la mort dans le désordre de la vie; gardez-vous d'acquérir, la perdition par les oeuvres de vos mains (3), comme le font les enfants de ténèbres, ainsi qu'il vous est découvert par la lumière divine. Craignez le Tout-Puissant par une crainte sainte, humble et bien ordonnée, et que cette crainte vous serve de guide dans tout ce que vous ferez. Osez votre coeur doux, soumis et docile à la discipline et aux oeuvres de piété. Jugez avec droiture de la vertu et du vice. Animez-vous par une force invincible pour opérer ce qui sera le plus rude et le plus élevé, et pour souffrir ce qui se trouvera de plus contraire et de plus difficile dans les travaux. Choisissez avec discrétion les moyens pour l’exécution de

 

(1) Prov., VIII, 1, 2, 3. —- (2) Sap., I, 4. — (8) Ibid., 11 et 12.

 

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ces oeuvres. Secondez la force de la divine lumière, par laquelle vous vous élèverez au-dessus de tout ce qui est sensible; vous monterez à la connaissance sublime des secrets de la divine sagesse; vous apprendrez à distinguer le vieil homme du nouveau, et vous vous rendrez capable de recevoir cette sagesse, lorsque étant entrée dans le cellier de votre époux, vous serez enivrée de son amour et ornée de sa charité éternelle (1).

 

 

CHAPITRE XIV. Où sont déclarées les formes et les manières des visions divines qu'avait la Reine du ciel, et les effets que ces visions causaient en elle.

 

612. Quoique la grâce des visions divines, les révélations et les ravissements (je ne parlerai pas ici de ln vision béatifique) soient des opérations du Saint-Esprit, on les distingue néanmoins de la grâce justifiante et des vertus qui sanctifient et perfectionnent l'âme dans ses opérations : et l'on prouve que la sainteté et les vertus peuvent être en une personne sans ces dons, en ce que plusieurs ont été justes et saints sans qu'ils

 

(1) Cant., II, 4.

 

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aient eu besoin absolument pour cela de recevoir des visions et des révélations divines. On ne doit pas aussi régler les révélations et les visions par la sainteté et la perfection de ceux qui les ont, mais bien par la volonté de Dieu, qui les accorde, à qui il lui plait, au temps qu'il le juge convenable, et au degré que sa sagesse et sa volonté dispensent, opérant toujours avec poids et mesure (1) pour les fins qu'il prétend dans son Église. Car Dieu peut communiquer les plus grandes et les plus hautes visions et révélations au moindre saint, et les plus petites au plus grand (2) pouvant même accorder le don de prophétie et plusieurs autres dons gratuits à ceux qui ne sont pas saints; car il y a des ravissements qui peuvent résulter d'une cause qui ne soit pas précisément vertu de la volonté; c'est pourquoi, lorsqu'on fait comparaison entre l'excellence des prophètes, on ne prétend pas parler de la sainteté (puisqu'il n'y a que Dieu seul qui la puisse examiner), mais de la lumière de prophétie et de la manière de la recevoir, par où l'on peut juger laquelle des prophéties est la plus on la moins élevée, selon les différentes raisons. Celle sur laquelle on établit cette doctrine est, parce que la charité et les vertus, qui rendent saints et parfaits ceux qui les ont, regardent la volonté; et les visions et les révélations appartiennent à l'entendement ou à la partie intellectuelle, dont la perfection ne sanctifie point l'âme.

613. Mais encore que la grâce des visions divines

 

(1) Sap., XI, 21. — (2) Prov., XVI, 2.

 

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soit distincte de la sainteté et des vertus, dont on peut la séparer, la volonté. et la Providence divine les unissent néanmoins plusieurs fois, selon la fin et le motif que Dieu. a lorsqu'il communique ces dons gratuits des révélations particulières; parce qu'il les ordonne quelquefois pour le bien commun de l'Église, comme l'Apôtre nous l'enseigne (1), et comme il arriva envers les prophètes, qui, étant inspirés de Dieu par les révélations du Saint-Esprit et non point par leur propre imagination, prophétisèrent pour nous les mystères de la rédemption et de la loi évangélique (2). Et lorsque les révélations et les visions sont de cette nature, il n'est pas nécessaire qu'elles se joignent avec la sainteté, puisque Balaam fut prophète sans être saint. Il fut pourtant convenable, et d'une grande bienséance, que la divine Providence fit que les prophètes fussent ordinairement saints, et qu'elle ne confiât point trop fréquemment l'esprit de prophétie et les révélations divines à des vases impurs (quoique Dieu l'ait fait dans quelques cas particuliers comme Tout-Puissant), afin que la mauvaise vie de l’instrument ne dérogea point à la vérité divine et à son ministère, et pour plusieurs autres raisons.

614. D'autres fois, les révélations et les visions divines ne regardent pas des choses si générales, et ne s'adressent point immédiatement au bien commun, mais au bien particulier de celui qui les reçoit : et comme les premières sont des effets de l'amour que

 

(1) I Cor., XII. — (2) I Petr., I, 10 et 21.

 

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Dieu porta et porte à son Église, de même ces révélations particulières ont pour cause l'amour spécial par lequel Dieu aime l'âme à laquelle il les communique, pour l'enseigner et pour l'élever à un plus haut degré d'amour et de perfection. Dans cette manière de révélations, l'esprit de sagesse se répand parmi les nations dans les âmes saintes, pour faire des prophètes et des amis de Dieu (1). Et comme la cause efficiente est l'amour divin singulièrement communiqué à quelques âmes, ainsi la cause finale aussi bien que l'effet de ces insignes faveurs sont la sainteté, la pureté, l'amour de ces mêmes âmes; et la grâce des révélations et des visions est le moyen par oh l'on acquiert tous ces avantages.

615. Je ne prétends pas établir par là que les révélations et les visions divines soient des moyens absolument requis et nécessaires pour faire des saints et des parfaits, parce que plusieurs le sont par d'autres moyens que par ceux-là; néanmoins ayant supposé cette vérité, qu'il dépend seulement de la volonté divine d'accorder on de refuser aux justes ces dons particuliers, nous découvrons pourtant qu'il y a, tant de notre côté que de celui du Seigneur, quelques raisons de bienséance, afin que sa divine Majesté les communique aussi fréquemment qu'elle fait à plusieurs de ses serviteurs. L'une desquelles se prend du côté de la créature ignorante, parce que le moyen le plus proportionné et le plus convenable de s'élever

 

(1) Sap., VII, 27.

 

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aux choses éternelles, de les pénétrer et de se spiritualiser pour arriver à la parfaite union du souverain bien, est la lumière surnaturelle des mystères et des secrets du Très-Haut, qui lui est communiquée par les révélations, les visions et les intelligences particulières qu'elle reçoit dans la solitude et dans l'excès de son entendement, ce divin et très-doux Seigneur la conviant à cet heureux état par des promesses et par des caresses très-fréquentes, dont l'Écriture sainte est remplie, et en particulier les Cantiques de Salomon.

616. L'autre raison est du côté du Seigneur, parce que l'amour est impatient de communiquer ses biens et ses secrets au bien-aimé et à l'ami. Je ne veux plus vous appeler serviteurs ni vous traiter comme tels, mais comme mes amis (dit le Maître de la vérité éternelle aux apôtres), parce que je vous ai découvert les secrets de mon Père (1). On lit aussi que Dieu parlait à Moïse comme à un ami (2). Les saints Pères, les patriarches et les prophètes ne reçurent pas seulement les révélations générales de l'Esprit divin, mais plusieurs autres particulières et familières, en signe de l'amour que Dieu leur portait, comme on peut l'inférer de la demande que Moïse fit au Seigneur de lui laisser voir. sa face. Les titres que le Très-Haut donne aux âmes choisies le prouvent aussi, les honorant du nom d'épouses, d'amies, de colombes, de sueurs, de parfaites, de bien-aimées, de belles, etc. (3). Et

 

(1) Joan., XV, 15. — (2) Exod., XXXIII, 11. — (3) Cant., IV, 8 et 9; I, 14; II, 10.

 

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quoique tous ces titres déclarent assez la grandeur de l'amour divin et ses effets, tous ensemble ne sauraient pourtant exprimer les douceurs inconcevables que le souverain Roi communique à ceux qu'il veut bien honorer de la sorte, parce qu'il est le seul qui puisse tout ce qu'il veut, et qui sache aimer comme époux, comme ami, comme père, comme infini et souverain bien, sans borne et sans mesure.

617. Cette vérité ne perd rien de son crédit pour n'être pas connue de la sagesse charnelle, ni en ce que quelques âmes aveuglées par cette sagesse se sont laissé tromper par l'ange des ténèbres transformé en ange de lumière dans quelques faussés visions (1) et quelques révélations apparentes. Ce dommage ayant été plus fréquent parmi les femmes, tant à cause de leur ignorance que de leurs passions, il s'est néanmoins trouvé plusieurs hommes, qui paraissaient forts et savants, qui en ont été atteints. Mais il est provenu en tous d'une mauvaise racine; je ne parle point ici dé ceux qui par une hypocrisie diabolique ont feint des révélations, des visions et des ravissements sans les avoir eus, mais de ceux qui les ont soufferts et reçus par une tromperie du démon, quoique ce n'ait pas été sans un grand péché et sans un consentement criminel. On peut dire que les premiers trompent plutôt qu'ils ne sont trompés, et que les seconds le sont dans le commencement, parce que l'ancien serpent, qui les tonnait immortifiés en leurs passions, et qui

 

(1) II Cor., XI, 14

 

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voit bien que leurs sens intérieurs sont fort peu exercés dans la science des choses divines, introduit dans eux, par une subtilité remplie de malice, une secrète présomption qui les flatte d'être favorisés de Dieu, et bannit de leur coeur l'humilité et la crainte, en les élevant dans de vains désirs de curiosité, de savoir les choses sublimes, d'avoir des révélations, des visions extatiques, et d'être singuliers et distingués dans ces faveurs; de sorte qu'ils ouvrent la porte au démon, afin qu'il les remplisse d'erreurs et d'illusions , et leur trouble les sens par une confusion de ténèbres intérieures, sans qu'ils puissent pénétrer ni connaître dans cet état aucune chose divine ni véritable, excepté quelque apparence de l'un et de l'autre que l'ennemi leur représente pour autoriser ses tromperies et cacher son venin.

618. On évite cette tromperie dangereuse en craignant avec humilité, en ne désirant point cette science avec présomption, et en ne s'en rapportant point au tribunal passionné du jugement particulier et de la propre prudence (1); mais remettant cette cause à Dieu, à ses ministres et aux savants confesseurs à qui il appartient d'en examiner l'intention, puisque par ce moyen l'on connaîtra certainement si l'âme a désiré ces faveurs par la voie de la vertu et de la perfection, ou pour la gloire extérieure des hommes. Le chemin le plus assuré est de ne les désirer jamais, et de craindre toujours le danger, qui est

 

(1) Rom., XI, 20.

 

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grand en toute sorte de temps, et principalement dans les commencements; parce que le Seigneur n'envoie pas les dévotions et les douceurs sensibles, supposé qu'elles viennent du Seigneur (car le démon les contrefait bien souvent), à cause que l'âme se trouve capable de la nourriture solide de ses plus grands secrets et de ses plus sublimes faveurs; mais pour servir d'aliments aux faibles et aux petits, afin qu'ils se retirent avec plus de courage des vices et renoncent avec plus d'ardeur à tout ce qui est sensible , et non point afin qu'ils s'imaginent d'être fort avancés dans la vertu, puisque même les ravissements qui résultent de l'admiration supposent plus d'ignorance que d'amour. Mais quand l'amour est extatique, fervent, ardent, pur, agissant, inaccessible, impatient de toute autre chose, excepté de celle qu'il aime , et qu'avec cela il a recouvré l'empire sur toutes les passions et les affections humaines, alors l'âme est . disposée à recevoir la lumière des révélations cachées et des visions divines; et elle s'y dispose d'autant plus, qu'avec cette divine lumière elle les désire le moins, se croyant indigne des moindres faveurs. Que les hommes savants et les sages ne soient pas surpris si les femmes ont été si fort favorisées en ces dons , parce que, outre qu'elles sont ferventes en amour, Dieu choisit d'ordinaire ce qui est le plus faible pour rendre un plus grand témoignage de son pouvoir : elles n'ont pas aussi la science acquise de la théologie, comme les hommes doctes, mais le Très-Haut la leur communique par infusion, pour illuminer

 

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et fortifier leur jugement faible et ignorant.

619. Étant fondés sur cette doctrine, nous connaîtrons (quand même il n'y aurait point eu en la très-sainte vierge d'autres raisons particulières) que les révélations et les visions divines que le Très-Haut lui communiqua furent plus relevées, plus admirables, plus fréquentes et plus divines qu'à tout le reste des saints. On,doit mesurer ces dons (comme les autres) à sa dignité, à sa sainteté, à sa pureté et à l'amour que son Fils et toute la très-sainte Trinité portait à celle qui était Mère du Fils, Fille du Père, et Épouse du Saint-Esprit. Elle recevait selon la grandeur de ces titres les influences de la Divinité, notre Seigneur Jésus-Christ et sa Mère en étant infiniment plus aimés que tout le reste des saints, des anges et des hommes. Je réduirai les visions divines qu'eut notre auguste Reine à cinq espèces différentes, et je traiterai de chacune le mieux que je pourrai et selon qu'il m'a été manifesté.

 

La claire vision qu'eut la très-sainte Vierge de l’essence divine.

 

620. La première et la plus excellente fut la vision béatifique de l'essence divine, qu'elle vit plusieurs fois clairement étant voyageuse et en passant, dont j'ai déjà fait mention six commencement de cette histoire,

 

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et je continuerai de la faire dans la suite, selon les temps et les occasions auxquelles elle reçut ce suprême bienfait quant à la créature. Il y a des docteurs qui doutent si d'autres saints ont aussi vu en leur chair mortelle, clairement ou intuitivement, la Divinité; mais laissant à part les opinions des autres, je dis qu'on n'en peut pas douter à l'égard de la Reine du ciel, à qui l'on ferait injure de la mesurer par la règle commune des autres saints, puisque la Mère de la grâce reçut plusieurs faveurs qu'il ne leur était pas possible de recevoir; l'on peut dire pourtant que, de quelque manière que la chose se fasse, les voyageurs peuvent jouir de la vision béatifique comme en passant. La première disposition de l'âme qui doit voir la face de Dieu est la grâce sanctifiante en un degré très-parfait et fort extraordinaire; celle que l'âme très-sainte de Marie avait dès le premier instant de sa conception fut surabondante et avec une telle plénitude, qu'elle surpassait celle des plus hauts séraphins. La grâce sanctifiante doit être accompagnée, pour voir Dieu, d'une grande pureté dans les puissances, sans qu'il y en ait aucun reste ni le moindre effet du péché; et comme il serait nécessaire de laver et de purifier un vase qui aurait reçu quelque mauvaise liqueur jusqu'à ce qu'il ne lui eu restât ni senteur ni la moindre chose qu'il pat communiquer à une autre très-pure qu'on y voudrait mettre, ainsi l'âme se trouve infectée et souillée par le péché et par ses effets, principalement par les actuels. Et parce que tous ces effets la disproportionnent avec la souveraine

 

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bonté, il est nécessaire que pour s'unir à cette bonté par la claire vision et par l'amour béatifique, elle soit premièrement lavée et purifiée de telle sorte qu'il ne lui reste ni marque, ni senteur, ni saveur du péché, ni aucune habitude vicieuse, ni aucune inclination acquise par les vices. Cela ne se doit pas entendre seulement des effets et dés souillures que les péchés mortels laissent, mais aussi des véniels, qui causent à lime juste une laideur particulière, comme pour ainsi dire un cristal très-pur est terni et obscurci par le souffle qui le touche : ainsi tout cela se doit purifier et réparer pour voir Dieu clairement.

621. Outre cette pureté, qui est comme une négation de souillure, si la nature de celui qui doit voir Dieu par la vision béatifique est corrompue par le premier péché, il en faut purger l'aiguillon ; de sorte que pour cette suprême faveur il doit être éteint ou lié comme si la créature ne l'avait point, parce qu’alors elle ne doit avoir aucun principe ni aucune cause prochaine qui l'inclinent an péché, ni à la moindre imperfection; car le libre arbitre doit être comme dans l'impossibilité pour tout ce qui répugne et à la sainteté et à la bonté souveraine. On connaîtra par là et par ce que j'en dirai dans la suite la difficulté de cette disposition pendant que l'âme vit dans une chair mortelle, et l'on avouera qu'il faut de très-sages précautions, beaucoup de prudence et de très-grandes raisons avant que de croire que l'on ait reçu une si haute faveur. La raison que j'y découvre est qu'il y a en la créature sujette au péché deux disproportions

 

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et deux distances immenses, étant comparée avec la nature divine. L'une de ces distances consiste en ce que Dieu est invisible, infini, un acte très-pur et très-simple, et la créature au contraire est corporelle, terrestre, corruptible et grossière. L'autre est celle qui est causée par le péché, qui s'éloigne sans mesure de la bouté souveraine, et cette disproportion est plus grande que la première ; c'est pourquoi toutes les deux doivent être ôtées pour unir ces extrémités si fort éloignées, lorsque la créature est mise dans la manière la plus sublime d'être unie à la Divinité, et qu'elle devient semblable à Dieu même en le voyant et en jouissant de lui comme il est (1).

622. La Reine du ciel avait cette disposition de pureté de péché ou d'imperfection en un plus haut degré que les anges, parce qu'elle ne fut atteinte ni du péché originel, ni de l'actuel, ni d'aucun de leurs effets; la grâce et la protection divine furent plus puissantes en elle pour cela que la nature dans les anges, par laquelle ils étaient exempts de contracter ces difformités; ainsi par cet endroit la très-sainte Vierge n'avait point la disproportion ni l'obstacle du péché qui pussent l'empêcher de voir la Divinité; et par un autre endroit; outre qu'elle était immaculée, sa grâce surpassait dans le premier instant de sa conception celle des anges et des saints, et ses mérites étaient proportionnés à la grâce, parce qu'elle mérita plus dans le premier acte que tous ensemble, par les

 

(1) Joan., III, 2.

 

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plus sublimes et les derniers qu'ils firent pour arriver à la vision béatifique dont ils jouissent. Selon cette doctrine, s'il est juste de différer aux autres saints la récompense de la gloire qu'ils méritent jusqu'à ce que le terme de leur vie mortelle soit arrivé, et avec ce terme celui de la mériter, il ne paraît pas que l'on fasse contre la justice de ne prendre point cette loi avec tant de rigueur à l'égard de la très-sainte Vierge, et de croire que le souverain Maître exerça une autre providence envers elle, et qu'elle en reçut les effets pendant qu'elle vivait en la chair mortelle. L'amour de la très-sainte Trinité ne pouvait pas souffrir un si long retardement à son égard sans lui manifester clairement ses grandeurs dans de diverses rencontres, puisqu'elle méritait cette faveur au-dessus de tous les anges, des séraphins et des saints qui devaient jouir, et jouissaient avec moins de grâce et de mérites du souverain bien. Outre cette raison, il y en avait une autre de bienséance pour faire que la Divinité se découvrît clairement en elle, qui était parce qu'étant élue pour être Mère du même Dieu, elle connût par expérience et par jouissance le trésor infini de la Divinité, qu'elle devait revêtir d'une chair mortelle et porter dans son sein virginal, et qu'ensuite elle traitât son très-saint Fils comme vrai Dieu, ayant déjà joui de sa divine présence.

623. Mais avec toute la pureté dont nous venons de parler, y ajoutant même la grâce sanctifiante, l'âme n'est pas encore avec tout cela proportionnée ni disposée pour la vision béatifique, parce qu'il lui

 

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manque d'autres dispositions et d'autres effets divins que la Reine du ciel recevait quand elle jouissait de ce bienfait; et toute autre âme que la sienne en aurait besoin avec plus de raison, si elle était assez heureuse que d'être destinée à cette faveur pendant sa vie mortelle. L'àme étant donc purifiée et sanctifiée domine j'ai déjà dit, le Très-Haut la retouche comme avec un feu très-spirituel , qui la renouvelle et la purge comme l'or dans le creuset, en la manière que les séraphins. purifièrent Isaïe (1). Ce bienfait cause deux effets dans l'âme, l'un qui la spiritualise et qui sépare en elle (selon notre façon d'exprimer) la crasse et la rouille de son être et de l'union terrestre du corps matériel; l'autre qui remplit toute l'âme d'une nouvelle lumière , qui bannit je ne sais quelle obscurité et quelles ténèbres, comme la lumière de l'aube bannit celle de la nuit; et cette nouvelle lumière en prend possession et la laisse toute clarifiée et remplie de nouvelles splendeurs de ce feu. En suite de cette lumière l'âme reçoit d'autres effets, parce que si elle a ou qu'elle ait eu des péchés, elle les pleure avec une douleur et une contrition incomparable, parce qu'il n'y a aucune douleur humaine qui puisse arriver à celle-là, car tout ce qu'on peut souffrir en comparaison de ce qu'on souffre dans cette occasion, est fort peu pénible. On ressent incontinent après un autre effet de cette lumière qui purifie l'entendement de toutes les espèces des choses terrestres , visibles ou

 

(1) Isa., VI, 7

 

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sensibles qu'il a reçues par les sens, parce que toutes ces images et ces espèces acquises par les sens disproportionnent l'entendement et lui servent d'obstacle pour voir clairement le souverain esprit de la Divinité. Ainsi il faut nettoyer et purger la puissance de ces fantômes et de ces représentations terrestres, qui l'empêchent non-seulement de voir Dieu 'intuitivement, mais de le voir même abstractivement, car l'entendement doit être aussi purifié pour cette vision.

624. Comme il n'y avait point de péchés à pleurer en l'âme très-pure de notre Reine, ces illuminations et ces purifications causaient en elle les autres effets, commençant à élever et à proportionner sa propre nature , afin qu'elle ne fût pas si éloignée de la dernière fin, et qu'elle ne ressentît point les effets du sensible et de la sujétion du corps. Avec cela elles causaient aussi dans cette âme très-candide de nouveaux mouvements d'humiliation et de la propre, connaissance du néant de la créature, comparée avec le Créateur et avec ses faveurs, de sorte que son coeur enflammé se mouvait à plusieurs autres actes héroïques des vertus; et ce bienfait causerait à proportion les mêmes choses aux autres âmes, si Dieu le leur communiquait en les disposant pour les visions de sa Divinité.

625. Nous pourrions avoir quelque sujet de croire, dans l'ignorance où nous sommes, que ces dispositions dont nous venons de parler suffisent pour arriver à la vision béatifique; mais cela n'est pas

 

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ainsi, parce qu'il y manque encore une autre qualité et un rayon plus divin avant que d'arriver à la lumière de gloire. Et, bien que cette nouvelle purification ne diffère point des autres , elle en est cependant distinguée dans ses effets, parce qu'elle élève l'âme à un autre état plus haut et plus serein, on elle sent avec une plus grande tranquillité une très-douce paix, qu'elle ne sentait point dans l'état des premières dispositions ni dans les autres purifications, parce qu'on ressent en elles quelque peine et quelque amertume des péchés si on les a commis; ou, si on ne les a pas commis, l'on se trouve du moins dans un dégoût des bassesses de la nature terrestre, et ces effets ne s'accordent point avec cette si grande proximité du souverain bonheur ou l'âme se trouve. Il me semble que les premières purifications servent pour mortifier la nature, et que celle-ci sert pour la vivifier et la guérir; et le Très-Haut agit en toutes comme le peintre qui dessine premièrement le portrait, ensuite il en fait l'ébauche, en lui donnant les premières couleurs, et après il lui donne les dernières, afin qu'il paraisse dans sa plus grande perfection.

626. En suite de ces purifications, de ces dispositions et des effets admirables qu'elles causent, Dieu communique la dernière disposition, qui est la lumière de gloire, par laquelle l'âme est élevée, fortifiée et achevée d'être proportionnée pour voir Dieu et pour en jouir par la vision béatifique. La Divinité lui est manifestée dans cette lumière, car aucune créature ne la pourrait voir sans son secours; et comme il est

 

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impossible que la créature acquière cette lumière et ces dispositions par elle seule, c'est pour ce sujet qu'il est aussi impossible de voir Dieu naturellement, car tout cela surpasse les forces de la nature.

627. L'Épouse du Saint-Esprit, la Fille du Père, et la Mère du Fils fut prévenue de tous ces avantages et de toutes ces beautés pour entrer dans le lit nuptial de la Divinité, quand elle jouissait, comme en passant, de sa vue et de sa jouissance intuitive. Et comme tous ces bienfaits répondaient à sa dignité et à ses agréments, c'est pour cela que ni les raisons ni les pensées créées (et encore moins celles d'une fille ignorante comme je le suis) ne les peuvent concevoir ai exprimer; ces illuminations étaient si hautes et si divines en nôtre Reine, que nous ne pouvons que les admirer; l'on est aussi dans une plus grande impossibilité de comprendre la joie que cette âme, qui surpasse en sainteté tous les séraphins et tous les saints ensemble, en ressentait. Que si l'on peut dire avec une vérité infaillible que les yeux n'ont point vu, ni les oreilles entendu, ni le coeur de l'homme conçu ce que Dieu a préparé aux moindres justes qui jouissent de sa vue (1), que sera-ce de ce que les plus grands saints en reçoivent? Et si le même apôtre qui nous appris cette vérité a avoué qu'il ne lui était pas possible de dire ce qu'il en avait entendu (2), qu'est-ce que pourra alléguer notre ignorance de la Sainte des saints, et de la Mère de Celui qui est la gloire des

 

(1) I Cor., II, 9. — (2) Id., XII, 4.

 

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saints? Ce fut elle qui connut et découvrit, après l'âme de son très-saint Fils, qui était homme et vrai Dieu , le plus de mystères dans ces espaces immenses et dans ces secrets infinis de la Divinité ; elle eut plus de part que tous les bienheureux ensemble aux trésors infinis et aux grandeurs éternelles de cet objet inaccessible, que ni le principe ni la fin ne peuvent renfermer; ce fut là où cette Cité de Dieu fut réjouie et arrosée par le torrent de la Divinité, qui l'inonda par les impétuosités de sa sagesse et de sa grâce, qui la spiritualisèrent et la divinisèrent (1).

 

Vision abstractive de la Divinité dont jouissait la très-sainte Vierge.

 

628. La seconde forme des visions de la Divinité qu'eut la Reine du ciel fut abstractive , qui est fort différente de l'intuitive, et lui est même fort inférieure; c'est pourquoi elle lui était plus fréquente, quoiqu'elle ne lui fût pas continuelle. Cette connaissance ou vision du Très-Haut n'arrive point eu ce qu'il se découvre immédiatement en lui-même à l'entendement créé, mais parle moyen de quelques espèces dans lesquelles il se manifeste : et, parce qu’il s'y trouve un milieu entre l'objet et la puissance, cette

 

(1) Ps., XLV, 5.

 

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vue est très-inférieure par rapport à la vision claire ou intuitive; elle n'indique pas non plus la présence réelle, quoiqu'elle la contienne intellectuellement avec des qualités inférieures. Et, bien que la créature connaisse qu'elle approche la Divinité et qu'elle découvre en elle les attributs, les perfections et les secrets que Dieu lui veut montrer dans un miroir volontaire, néanmoins cette créature ne sent ni ne connaît point sa présence, ni elle n'en jouit pas entièrement.

629. Ce bienfait est pourtant fort grand et fort rare; et; après celui de la vision intuitive, il est le plus grand : et, quoiqu'il n'ait pas besoin de la lumière de la gloire, mais seulement de celle qui se trouve dans les mêmes espèces, et qu'il n'exige pas aussi la dernière disposition et la purification qu'il faut avoir pour entrer dans cette lumière de gloire, néanmoins toutes les autres dispositions qui précèdent la claire vision doivent précéder celle-ci : parce que par elle l'âme entre dans les vestibules de la maison du Seigneur (2). Les effets de cette vision sont admirables, parce que, outre l'état qu'elle suppose en l'âme, la trouvant au dessus d'elle-même, elle l'enivre d'une douceur ineffable par laquelle elle l'enflamme de l'amour divin, la transforme en cet amour, et lui cause un oubli et un éloignement de tout ce qui est terrestre et d'elle-même; car alors elle ne vit plus en soi, mais en Jésus-Christ, et Jésus-Christ en elle (3). Outre cela,

 

(1) Ps., LXIV, 5. — (2) Ps. XXXV, 9. — (3) Gal., II, 20.

 

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cette vision laisse en l'âme une lumière qui la conduirait toujours au plus haut de la perfection, qui lui enseignerait les chemins les plus assurés de l'éternité, et la rendrait comme le feu perpétuel du sanctuaire (1) et comme la lampe de la cité de Dieu (2), si elle ne la perdait par sa négligence, par sa tiédeur et par quelque péché.

630. Cette vision divine causait ces effets et plusieurs autres en notre auguste Reine dans un degré si éminent; qu'il ne m'est pas possible d'exprimer ce que j'en conçois par nos termes ordinaires. L'on en pourra pourtant découvrir quelque chose, si ion considère le très-pur état de cette âme, où il n'y avait aucun empêchement de tiédeur, ni de péché, ni de négligence, ni d'oubli, ni d'ignorance, ni la moindre inconsidération; su contraire, elle était pleine de grâce, ardente eu amour, diligente dans ses exercices, continuelle dans les louanges du Créateur, prompte à le glorifier et toujours disposée, afin que son bras tout-puissant opérât en elle sans aucune résistance. Elle eut cette sorte de vision et de faveur. dans le premier instant de sa conception, comme j’ai dit en son lieu et redit plusieurs fois dans le récit que j'ai fait de sa très sainte vie, et comme je le dirai encore dans la suite.

 

(1) Levit, VI, 12. — (2) Apoc., XXIII, 5.

 

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Visions et révélations intellectuelles de la très-sainte vierge.

 

631. La troisième sorte de visions ou révélations qu'eut la très-sainte Vierge fut intellectuelle. Et, bien qu'on puisse appeler la connaissance ou vision abstractive de la Divinité révélation intellectuelle, je donne néanmoins à cette connaissance un autre rang particulier, et plus haut, pour deux raisons. L'une, parce que l'objet en est unique et suprême entre les choses intelligibles; et ces révélations intellectuelles et plus communes, dont nous parlons ici, ont plusieurs et divers objets, parce qu'elles s'étendent sur les choses matérielles et spirituelles, et sur les vérités et les mystères intelligibles. L'autre raison est parce que la vision abstractive de l'essence divine est causée par des espèces très-hautes, infuses et surnaturelles de cet objet infini : mais la révélation commune, ou vision intellectuelle, quelquefois se fait par les espèces infuses dans l'entendement des objets révélés; et d'autres fois ces espèces infuses ne sont pas nécessaires pour ce qu'on y découvre, parce que les mêmes espèces qu'a la fantaisie ou l'imagination peuvent servir dans cette révélation; et par ces espèces l'entendement étant éclairé d'une nouvelle lumière ou vertu surnaturelle; peut entendre les mystères que Dieu lui révèle, comme il arriva à Joseph en Égypte, et à Daniel (2) en Babylone.

 

(1) Gen., XL et XLI. — (2) Dan., I, II, IV, V.

 

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David eut aussi cette sorte de révélation, qui est, après la connaissance de la Divinité, la plus noble et la plus assurée, parce que ni les démons ni les bons anges mêmes ne peuvent point répandre cette lumière surnaturelle dans l'entendement, quoiqu'ils puissent mouvoir les espèces par l'imagination.

632. Cette espèce de révélation intellectuelle fut commune aux saints prophètes du vieux et du nouveau Testament, parce que la lumière de la prophétie parfaite qu'ils eurent se termine à l'intelligence de quelque mystère caché : sans cette intelligence ou lumière intellectuelle, ils n'eussent pas été parfaitement prophètes, ni ils n'eussent pas parlé prophétiquement. C'est pourquoi celui qui fait ou dit quelque chose prophétique (comme Caïphe et les soldats, qui ne voulurent point diviser là tunique de notre Seigneur Jésus-Christ (1), quoiqu'il fût mû comme eux par l'impulsion divine), celui-là ne serait pas parfaitement prophète, parce qu'il ne parlerait pas prophétiquement, c'est-à-dire par la lumière: ou intelligence divine.. Il est vrai que les saints prophètes et ceux qui le sont parfaitement, qu'on appelait Videntes ou Voyants, par la lumière intérieure par laquelle ils découvraient les secrets cachés, pouvaient aussi faire quelque action prophétique sans connaître tous les mystères que ces secrets renfermaient; mais en cette action ils n'eussent pas été si parfaitement prophètes qu'en celles auxquelles ils prophétisaient par l'intelligence surnaturelle.

 

(1) Joan., XI, 49; XIX, 24.

 

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Cette révélation intellectuelle a plusieurs degrés dont il n'est pas nécessaire de parler ici; et, bien que le Seigneur la puisse communiquer toute seule, sans qu'elle soit accompagnée de.la charité et des vertus de celui qui la reçoit, néanmoins elle se trouve d'ordinaire avec elles comme elle se trouva dans les prophètes, les apôtres et les justes, lorsque ce divin Seigneur leur découvrait ses secrets comme à ses amis; la même chose arrive aussi quand les révélations intellectuelles sont pour le plus grand bien de la personne qui les reçoit, comme nous avons déjà dit. C'est pour cela que les révélations demandent une très-sainte disposition en l'âme qui doit être élevée à ces divines intelligences; car d'ordinaire Dieu ne les communique que quand l'âme est tranquille, pacifique, séparée des affections terrestres, et quand ses puissances sont bien ordonnées et disposées pour recevoir. les effets de cette divine lumière.

633. Ces révélations intellectuelles furent en la Reine du ciel fort différentes de celles des saints ét des prophètes, parce qu'elles lui étaient continuelles en acte et en habitude, quand elle ne jouissait pas des autres visions plus relevées de la Divinité. Outre que la clarté, l'extension de cette lumière intellectuelle et leurs effets furent incomparables en la très-sainte Vierge, parce qu'elle connut plus de mystères, de vérités et de secrets du Très-Haut que tous les saints patriarches, prophètes, apôtres, et plus même que tous les anges ensemble; et elle connaissait toutes ces choses avec plus de pénétration, de clarté, de fermeté

 

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et d'assurance. Par cette intelligence elle pénétrait depuis l'être de Dieu et ses attributs jusqu'à la plus petite de ses œuvres et de ses créatures, sans qu'il y eût aucune chose où elle ne connût la participation de la grandeur du Créateur, sa disposition et sa providence divine; de sorte qu'elle seule a pu dire avec assurance que le Seigneur lui manifesta les secrets et les mystères les plus cachés de sa sagesse, comme le prophète nous l'a assuré (1). Il n'est pas possible de raconter les effets que ces intelligences causaient en notre auguste Reine; toute cette histoire leur sert pourtant d'une ample déclaration. Elles sont d'une utilité admirable dans les autres Ames, parce qu'elles illuminent d'une manière très-relevée l'entendement, enflamment avec une ardeur incroyable la volonté, désabusent, détournent, élèvent et spiritualisent la créature : et il semble même quelquefois que le corps pesant et terrestre en est subtilisé et se trouve dans une sainte émulation avec l'Ame qui l'anime. La Reine du ciel eut dans ces sortes de visions un autre privilège dont je ferai mention dans le chapitre suivant.

 

Visions imaginaires de la Reine du ciel.

 

634. Le quatrième rang contient les visions imaginaires qui se font par des espèces sensitives, causées

 

(1) Ps., L, 8.

 

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ou mues dans l'imagination ou fantaisie; elles représentent les choses d'une manière matérielle et sensible, comme une chose qu'on peut regarder, entendre, toucher et goûter. Les prophètes du vieux Testament manifestèrent sous cette forme de visions de grands mystères, que le Très-Haut leur révéla en elles, singulièrement Ézéchiel, Daniel et Jérémie; et saint Jean l'Évangéliste écrivit sous de semblables visions son Apocalypse. Ces visions sont inférieures aux précédentes par ce qu'elles ont de sensible et de corporel; c'est pourquoi le démon les peut contrefaire dans la représentation en mouvant les espèces de la fantaisie; mais, étant père du mensonge, il ne le saurait faire dans la vérité. Néanmoins on doit fort rebuter ces visions, et les examiner par la doctrine assurée des saints Pères et de nos docteurs, parce que, si le démon aperçoit quelque avidité dans les Ames qui pratiquent l'oraison et la dévotion, et si Dieu le lui permet, il les trompera facilement, puisque même les saints qui craignaient le danger de cers visions en ont été surpris par le démon transformé en ange de lumière, comme il est écrit dans leurs vies, tant pour notre instruction que pour nous faire tenir sur nos gardes.

635. Où trouverons-nous donc ces visions et ces révélations imaginaires sans danger, avec, toute, sûreté et avec toutes les qualités divines, si ce n'est en la très-pure Marie, dont la lumière ne pouvait être obscurcie ni atteinte par la tromperie du serpent ? Ces sortes de visions furent fort fréquentes

 

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à notre Reine; parce quelle y découvrait plusieurs oeuvres que faisait son très-saint Fils lorsqu'elle en était absente , comme nous le verrons dans la suite de cette histoire. Elle connut aussi par la vision imaginaire plusieurs autres créatures et. mystères, dans des occasions où il était nécessaire qu'elle les découvrit, selon que la volonté divine le disposait. Comme cette faveur et les autres que recevait la Reine du ciel étaient ordonnées à des fins très-relevées, tant en ce qui regardait sa sainteté, sa pureté et ses mérites, que par rapport au bien de l'Église, dont la maîtresse et la coopératrice de la rédemption était cette grande Mère de la grâce, c'est pour cela que les effets de ces visions et de leurs intelligences étaient admirables, et toujours avec des fruits incomparables de la gloire du Très-Haut, et avec une augmentation de nouveaux dons et de nouvelles grâces en l'âme de la très-sainte Vierge. Je dirai dans la vision qui suit ce qui arrive ordinairement dans les autres âmes par celles-ci, parce qu'on doit faire un même jugement de ces deux sortes de visions.

 

Visions divines en formes corporelles que reçut la très-sainte Vierge.

 

636. Le cinquième et le dernier degré des visions et des révélations est celui qu'on aperçoit par les sens extérieurs du corps, et c'est pour cela qu'on appelle ces visions corporelles, quoiqu'elles puissent

 

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arriver en deux manières. L'une qui est véritablement corporelle quand quelque chose de l'autre vie, comme Dieu, l'ange, le saint, ou le démon, ou l'âme, etc , apparaît à la vue ou à l'attouchement avec un' corps réel et qui a une quantité; les anges, bons ou mauvais, formant alors par leur ministère et par leur vertu quelque corps aérien et. fantastique, lequel, bien qu'il ne soit pas un corps naturel, ni ce qu'il représente, véritable, néanmoins est véritablement corps de l'air condensé, ayant ses dimensions de quantité. L'autre manière peut être impropre et comme abusant la vue, lorsque le corps qui paraît n'a point de quantité, mais seulement quelques espèces de ce corps et de sa couleur, etc., qu'un ange peut causer aux yeux en altérant l'air qui se trouve entre deux; et celui qui la reçoit croit voir quelque corps réel et présent, et cependant il ne voit que de seules espèces par lesquelles sa vue est altérée avec une tromperie imperceptible aux sens. Cette manière des visions qui trompent les sens n'est pas le propre des bons anges ni des apparitions divines, quoiqu'elle soit possible; la voix que Samuel entendit (1) en pouvait être une; mais le démon les affecte pour ce qu'elles ont de trompeur, singulièrement à la vue; et tant pour cette raison que parce que notre Reine n'eut pas ces sortes de visions, je traiterai seulement ici de celles qui étaient véritablement corporelles, et qui furent celles dont elle fut favorisée.

 

(1) I Reg., III, 4.

 

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637. L'Écriture sainte fait mention de plusieurs visions corporelles qu'eurent les saints et les patriarches. Adam vit Dieu représenté par un ange (1), Abraham par les trois anges (2), Moise par le buisson, et vit plusieurs fois le même Seigneur (3). Il s'en est trouvé d'autres, qui étaient. pécheurs, qui en ont eu aussi plusieurs corporelles et imaginaires, comme Caïn (4), Balthazar (5), qui vit la main qui écrivait sur la muraille; des visions imaginaires, Pharaon (6) eut celle des vaches, et Nabuchodonosor celles de l'arbre et de la statue (7) ; et il y en a d'autres semblables dans l'Écriture sainte. D'où l'on peut connaître que pour ces visions corporelles et imaginaires la sainteté n'est pas requise en celui qui les reçoit. Il est vrai que celui qui a quelque vision imaginaire ou corporelle, sans en avoir la lumière ou quelque intelligence, n'est pas appelé prophète, ni ce n'est pas une révélation parfaite en celui qui voit ou reçoit les espèces sensibles, mais en celui qui en a l'intelligence, qui est nécessaire en la vision , selon Daniel (8); ainsi Joseph et le même Daniel furent prophètes, et non pas Pharaon, ni Balthazar, ni Nabuchodonosor. Et pour ce qui regarde la vision en elle-même, celle qui vient avec une plus grande et plus haute intelligence est plus relevée et plus excellente, bien que, par rapport aux apparences, celles qui représentent Dieu et sa très-sainte Mère soient plus grandes, et

 

(1) Gen., III, 8. — (2) Id., XVIII, 1. — (3) Exod., III, 2. — (4) Gen., IV, 9. — (5) Dan., V, 5. — (6) Gen., XLI, 2. — (7) Dan., II, 1. — (8) Dan., X, 1.

 

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ensuite celles qui représentent les saints selon leurs différents degrés.

638. Il est constant que pour recevoir les visions corporelles par les sens, il faut qu'ils soient disposés. Pour les visions imaginaires, Dieu les envoie fort souvent dans des songes, comme il arriva à saint Joseph (1), le très-chaste époux de la très-pure Marie, aux rois mages (2), à Pharaon (3), etc. On en peut recevoir d'autres ayant l'usage des sens corporels, car en cela il n'y a aucune répugnance. Néanmoins, l'ordre le plus commun et le plus naturel à ces visions et sua intellectuelles est que Dieu les communique dans quelque extase ou ravissement des sens extérieurs, parce qu'alors toutes les puissances intérieures sont plus recueillies et mieux disposées pour l'intelligence des choses relevées et divines, quoique en cela les sens extérieurs aient coutume de causer moins d'empêchement pour les visions intellectuelles que pour les imaginaires, parce gaie les dernières sont plus proches de l'extérieur que les intelligences de l'entendement. C'est pourquoi quand les révélations intellectuelles se font par des espèces infuses, ou quand l’affection ne ravit point les sens, on y reçoit plusieurs fois, sans perdre ces sens, de très-hautes intelligences des mystères les plus grands et les plus relevés.

639. Cela arrivait plusieurs fois, et presque ordinairement en la Reine du ciel; car bien qu'elle eût plusieurs ravissements pour la vision béatifique (ce

 

(1) Matth., I, 20. — (2) Id.. II, 12. — (3) Gen., XL, 2.

 

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qui est toujours nécessaire dans l'état de voyageurs) et qu'elle en eût aussi dans quelques visions intellectuelles et imaginaires; néanmoins, quoiqu'elle y eût fort souvent l'usage de ses sens, elle y reçut pourtant de plus considérables révélations et des connaissances plus sublimes que tous les saints et les prophètes dans leurs plus grands ravissements, où ils virent tant de mystères. L'usage des sens extérieurs n'était pas non plus un empêchement à notre grande Reine pour les visions imaginaires, parce que son noble coeur et sa sublime sagesse n'étaient point retardés par les effets d'admiration et d'amour qui ont coutume de ravir les sens dans les autres saints et dans les prophètes. Pour ce qui concerne les visions corporelles qu'elle eut des anges, nous en avons une preuve dans l'Annonciation du mystère de l'Incarnation que le saint archange Gabriel lui fit (1). Et bien que les évangélistes ne fassent aucune mention des autres qu'elle eut durant le cours de sa très-sainte vie, le jugement prudent et catholique ne les doit pas révoquer en doute, puisque la Reine du ciel et des anges devait être servie par ses sujets, comme nous le dirons dans la suite, en déclarant le continuel service que ceux de sa garde et plusieurs autres lui rendaient en forme corporelle et visible, et en une autre manière, comme on le verra dans le chapitre qui suit.

640. Les autres âmes doivent être fort circonspectes, et se tenir sur leurs gardes dans ces sortes de

 

(1) Luc., I, 18.

 

visions corporelles, à cause qu'elles sont sujettes aux tromperies et aux illusions. dangereuses de l'ancien serpent. Celle qui ne les désirera jamais évitera une bonne partie du danger. Que si l'âme se trouvant éloignée de ce désir et même des autres affections désordonnées, il lui arrive quelque vision corporelle ou imaginaire, elle doit être fort retenue à y ajouter foi et à exécuter ce que la vision lui demande; car ce serait une très-mauvaise marque et propre du démon de vouloir incontinent, sans précaution et sans conseil, lui obéir et lui donner créance : ce que les saints anges, qui sont maîtres en l'obéissance, en la vérité, en la prudence et en la sainteté, n'inspirent pas. L'on peut découvrir d'autres signes dans la cause et dans les effets de ces visions pour connaître leur sûreté, leur vérité ou leur tromperie; mais je ne m'arrête point sur ce sujet, pour ne me pas écarter de mon propos, et parce que je m'en remets aux personnes savantes dans les mystères de la théologie.

 

Instruction de la Reine du ciel.

 

641. Ma fille, vous pouvez tirer de la lumière que vous avez reçue dans ce chapitre une règle pour vous conduire dans les visions et les révélations du Seigneur; elle est renfermée en deux points. L'un consiste à les soumettre avec un coeur humble et sincère

 

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au jugement et à la censure de vos confesseurs et de vos supérieurs, demandant avec une vive foi au Très-Haut de les éclairer, afin qu'ils y découvrent sa sainte volonté et sa vérité divine, et qu'ils vous les enseignent en toutes choses. L'autre doit être dans votre intérieur, et il consiste à bien considérer les effets que les visions et les révélations y causent, pour les discerner avec prudence et sans tromperie; car la vertu divine qui opéré par elles vous enflammera dans le chaste amour du Très-Haut, et vous inspirera un profond respect pour lui, vous portera dans la connaissance de votre bassesse à avoir du dégoût pour la vanité mondaine, à souhaiter d'être méprisée des créatures, à souffrir avec joie, à aimer la croix et à la recevoir avec un cœur courageux et constant, à désirer les choses les plus humbles, à aimer ceux gui vous, persécutent, à craindre le péché, et à avoir même en horreur le plus léger, à aspirer au plus pur et au plus parfait de la vertu, à renoncer à vos inclinations, et à vous unir au souverain et véritable bien. Ce seront là les marques infaillibles de la vérité avec laquelle le Très-Haut vous visite par le moyen de ses révélations, en vous enseignant ce qu'il y a de plus saint et de plus parfait dans la loi chrétienne, dans son imitation et dans la mienne.

642. Afin donc, ma très-chère fille, que vous mettiez en pratique cette doctrine que le Seigneur vous enseigne par un effet de son infinie bouté, tâchez de n'oublier jamais, ni de perde de vue les faveurs qu'il vous a faites, de vous l'avoir enseignée avec tant

 

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d'amour et de tendresse. Renoncez à toute sorte d'attache et de consolation humaine, aux plaisirs et aux appâts que le monde vous offre; résistez avec une forte résolution à tout ce que les inclinations terrestres demandent, quoique ce soit en des choses permises et petites; et après que vous aurez tourné le dos à tout ce qui est sensible, je veux que vous n'ayez de l'amour que pour les souffrances. Les visites du Très-Haut vous ont enseigné, vous enseignent et vous enseigneront cette science et cette philosophie divine; par ces mêmes visites vous sentirez la force du feu divin, qui ne se doit jamais éteindre dans votre cœur ni par aucun péché ni par la moindre tiédeur. Soyez sur vos gardes, préparez votre cœur et ceignez-vous de la force pour recevoir et pour opérer de grandes choses, et soyez ferme en la foi de ces instructions, en les croyant, les estimant et les gravant dans votre cœur avec une humble affection et un profond respect de votre âme, comme étant envoyées par la fidélité de votre Époux, et distribuées par moi , qui suis votre Maîtresse.

 

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CHAPITRE XV. On y déclare une autre manière de vue et de communication que la très-sainte Vierge avait avec les saints anges qui la servaient.

 

643. La force de la grâce divine et de l'amour que cette même grâce cause en la créature, est si puissante, qu'elle peut effacer en elle l'image du péché et de l'homme terrestre (1), et faire que sa conversation soit dans le ciel (2), en la faisant entendre, aimer et agir, non plus comme créature terrestre, ruais comme céleste et divine, parce que la force de l'amour ravit le coeur et l'âme du corps quelle anime, la met et la transforme en ce qu'elle aime. Cette vérité chrétienne, qui est crue de tous, entendue des doctes et éprouvée des saints, doit être considérée dans son exécution en notre grande Reine et Maîtresse , avec des privilèges si particuliers , qu'elle ne peut pas être expliquée par l'exemple des autres saints, ni comprise par l'entendement des anges. La très-pure Marie était, en qualité de Mère du Verbe, maîtresse de tout ce qui est créé; mais étant une vive image de son Fils unique, elle usa si peu des créatures à son imitation, qu'elle

 

(1) I Cor., XV, 49. — (2) Philip., III, 20.

 

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n'en voulut prendre que ce qui était, précisément nécessaire pour le service du Très-Haut, pour la vie naturelle de son très-saint Fils et la sienne.

644. Sa conversation céleste devait répondre à cet oubli et à cet éloignement de toutes les choses terrestres, et cette conversation devait être proportionnée à la dignité de Mère de Dieu et de Maîtresse des cieux, en la communication desquels sa conversation terrestre était dûment changée. Pour cette même raison, il devait s'ensuivre, et il était comme nécessaire, que la Reine et Maîtresse des auges fût singulière et privilégiée dans les services et les assiduités de ses courtisans et sujets, et qu'elle conversât et communiquât avec eux d'une manière qui ne fût pas commune à toutes les autres créatures humaines, pour saintes qu'elles fussent. J'ai dit quelque chose, dans le chapitre 23 du premier livre, des apparitions ordinaires et diverses par lesquelles les anges et les séraphins, destinés pour la garde de notre Reine, se manifestaient à elle; et nous avons généralement déclaré dans le précédent les manières et les formes des visions divines qu'elle avait; car il est à remarquer que dans ces sortes de visions , les siennes étaient toujours beaucoup plus excellentes et plus divines que celles des autres saints, tant en la substance et en la manière que dans les effets qu'elles produisaient en sa très-sainte âme.

645. J'ai réservé pour ce chapitre une autre manière de, vision plus singulière et plus privilégiée, que le Très-Haut accorda à sa très-sainte Mère, afin

 

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qu'elle communiquât d'une façon sensible avec les saints anges de sa garde et avec les autres qui la visitaient en de diverses occasions de la part du même Seigneur. Cette sorte de vision et de communication était la même que celle que les ordres et les hiérarchies angéliques gardaient entre eux, où chacun de ces esprits sublimes connaît les autres par lui-même, sans autre espèce qui meuve son entendement que la propre substance et nature de l'ange qui est connu. Outre cela, les anges supérieurs illuminent les inférieurs en leur découvrant les mystères cachés que le Très-Haut révèle et manifeste immédiatement aux supérieurs, afin que cette communication se fasse avec harmonie, en passant comme par autant de degrés du plus haut jusqu'au plus bas; car ce bel ordre était convenable à la grandeur et à la majesté du souverain Roi de tout ce qui est créé. D'où l'on connaîtra que cette illumination ou révélation si bien ordonnée est hors de la gloire essentielle des anges; parce qu'ils reçoivent cette gloire immédiatement de la Divinité, dont la vision et la jouissance sont communiquées à chacun selon la mesure de ses mérites; et un linge ne peut pas rendre un autre essentiellement bienheureux en lui révélant ou découvrant quelque mystère, parce que celui qui est illuminé ne verrait pas Dieu face à face par cette illumination, et sans cela il ne peut pas être bienheureux ni obtenir sa dernière fin.

646. Mais comme l'objet est infini et un miroir volontaire, il a, outre ce qui appartient à la science béatifique des saints, des secrets et des mystères

 

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infinis , qu'il peut révéler et qu'il révèle particulièrement pour le gouvernement de son Église et du monde; et l'ordre que je dis est gardé dans ces illuminations. Et bien que ces révélations soient hors de la gloire essentielle, on ne doit pas pour cela appeler le manquement de leur connaissance, ignorance ni privation de science dans les anges; mais on le doit appeler négation, et la révélation on la doit nommer illumination ou purification de cette négation de science; la chose arrive (selon notre manière d'exprimer) comme si les rayons du soleil pénétraient plusieurs cristaux étant mis les uns derrière les autres, car alors tous participeraient d'une même lumière, communiquée des premiers aux derniers, touchant ou pénétrant premièrement ceux qui lui seraient les plus immédiats. Il y a néanmoins une différence dans cet exemple, qui est que les cristaux, par rapport aux rayons, se portent passivement sans y avoir aucune autre activité que celle du soleil qui les illumine tous par une seule action; mais les anges sont passifs quand ils reçoivent l'illumination des supérieurs, et agents quand ils la communiquent aux inférieurs; et ils communiquent ces illuminations avec louange ; admiration et amour, connaissant qu'elles émanent ou dérivent du suprême Soleil de justice, Dieu éternel et immuable.

647. Le Très-Haut introduisit sa très-sainte Mère, dans cet ordre admirable de révélations divines, afin qu'elle jouit des privilèges que les courtisans du ciel ont comme propres; et il destina pour cela les séraphins

 

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dont il a été fait mention dans le chapitre 14 du premier livre, où nous avons dit qu'ils étaient des plus sublimes et des plus immédiats à la Divinité; il y avait aussi d'autres anges de sa garde qui faisaient cet office, selon que la volonté divine la disposait, dans le temps et en la manière qu'il était nécessaire et convenable. Notre Reine connaissait tous ces Anges et plusieurs autres par eux-mêmes, sans aucune dépendance des sens et de la fantaisie, et sans aucun empêchement du corps mortel et terrestre. Les séraphins et les anges du Seigneur l'illuminaient et la purifiaient par cette vue et par cette connaissance de cette négation de science dont nous venons de parler, en lui révélant plusieurs mystères qu'ils recevaient du Très-Haut pour ce sujet. Et quoique cette sorte, de vue intellectuelle et d'illumination ne fût pas continuelle en la très-sainte vierge, elle lui fut néanmoins fort fréquente, principalement lorsque le Seigneur, pour lui donner occasion d'augmenter ses mérites et de former divers actes d'amour, lui cachait sa présence, comme je le dirai dans la suite. Car alors les anges usaient plus fréquemment de cet office, continuant l'ordre de s'éclairer eux-mêmes jusqu'à arriver à notre auguste Reine, où cette illumination se terminait.

648. Cette sorte d'illumination ne dérogeait point à la dignité de Mère de Dieu et de Maîtresse des anges; parce que ce bienfait et la manière de le communiquer ne se rapportent pas à la dignité et à la sainteté de notre auguste Princesse, en quoi elle était supérieure

 

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à tous les ordres angéliques, mais à l'état et à la condition de sa nature, en laquelle elle leur était inférieure, parce qu'elle était voyageuse et de nature humaine, corporelle et mortelle, et vivant dans une chair passible et dans une nécessité naturelle de l'usage des sens, ce lui fut un grand privilège, quoique digne de sa sainteté. et de sa dignité, que de s'élever à l'état et aux opérations angéliques. Je crois que la puissante main du Très-Haut a étendu cette faveur sur d'autres âmes dans cette vie mortelle, bien que ce n'ait pas été si fréquemment qu'à sa très-sainte Mère, ni avec une si grande plénitude de lumière, ni avec tant d'autres particularités dont elle fut avantagée. Que si plusieurs docteurs accordent (avec quelque fondement) la vision béatifique à saint Paul, à Moïse et à d'autres saints, il sera bien plus croyable que quelques voyageurs aient eu cette connaissance des natures angéliques, puisque cette faveur n'est autre chose que voir intuitivement ou clairement la substance de l'ange ainsi cette vision, dans cette clarté, a du rapport avec la première, dont je viens de parler dans le chapitre précédent; et, étant intellectuelle, elle en a avec celle qui tient le troisième rang dans le même chapitre, quoiqu'elle ne se fasse point par des espèces impresses.

649. Il est vrai que ce bienfait n'est pas ordinaire ni commun, mais fort rare et extraordinaire : aussi il exige une grande disposition de pureté en l'âme et une singulière netteté de conscience. Il ne s'accorde point avec les affections terrestres ni avec les imperfections volontaires, et encore moins avec les effets du péché,

 

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parce que l'âme doit mener une vie plus angélique qu'humaine pour entrer dans l'ordre des anges, puisque, si cette ressemblance et ce rapport y manquaient, les contrariétés qui se trouveraient dans cette union feraient une disproportion monstrueuse. Mais la créature peut (quoique revêtue d'un corps terrestre et corruptible), avec le secours de la divine grâce, renoncer entièrement à ses passions et à ses inclinations dépravées; mourir à tout ce qui est visible, en effacer les espèces et le souvenir, et vivre plus en l'esprit qu'en la chair. Quand elle aura obtenu et acquis la véritable paix, la tranquillité et le repos d'esprit, qui lui causeront une sérénité douce et amoureuse envers le souverain bien, alors elle sera plus disposée pour atre élevée à la vision des esprits angéliques par la clarté intuitive, et pour en recevoir les révélations divines qu'ils se communiquent entre eux, et les effets admirables qui résultent de cette vision.

650. L'on ne peut pas comprendre humainement combien ceux que notre auguste Reine en recevait répondaient à sa pureté et à son amour. La lumière divine qu'elle recevait de la vue des séraphins était incomparable, parce que l'image de la Divinité éclatait d'une certaine manière on eux, qui la lui représentaient comme dans des miroirs spirituels et très-purs, où elle la connaissait avec des attributs et des perfections infinies. La gloire dont les mêmes séraphins jouissaient lui était aussi manifestée dans quelques effets par des manières admirables (parce qu'on connaît beaucoup de ces merveilles en voyant clairement

 

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la substance angélique), et par la vue de tels objets elle était toute embrasée dans les flammes de l'amour divin, et ravie plusieurs fois dans des extases miraculeuses. Étant alors assistée des séraphins et des anges, elle chantait de doux cantiques de gloire et de louange à la Divinité, et c'était avec tant d'ardeur, qu'elle causait de l'admiration à ces esprits célestes : car, bien qu'elle en fût illuminée en son entendement, ils lui étaient néanmoins fort inférieurs en la volonté; et, par une plus grande force d'amour, elle montait et s'unissait avec bien plus de légèreté qu'ils ne le font au dernier et souverain bien, d'où elle recevait immédiatement de nouvelles influences du torrent de la Divinité, dont elle était nourrie. Que si les mêmes séraphins n'eussent pas eu présent l'objet infini, qui était le principe et le terme de leur amour béatifique (1), ils eussent sans doute été les disciples de l'auguste Marie en l'amour divin, comme elle était la leur dans les illustrations de l'entendement qu'elle en recevait.

651. Après cette forme de vision immédiate des natures spirituelles et angéliques, suit la vision intellectuelle, qui lui est inférieure et plus commune aux autres âmes, et qui se fait par des espèces infuses, comme il arrive en la vision abstractive de la Divinité dont j'ai déjà parlé. La Reine du ciel eut quelquefois cette sorte de vision angélique, mais elle ne lui fut pas si ordinaire que la précédente; car, bien que cette faveur de connaître les anges et les saints par des espèces

 

(1) Ps. XXXIX, 9.

 

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intellectuelles et infuses soit fort rare et fort estimable aux autres âmes justes, néanmoins elle n'était pas nécessaire en la Reine des anges, parce qu'elle communiquait avec eux et les connaissait d'une manière plus relevée, excepté lorsque le Seigneur ordonnait qu'ils se cachassent, et que cette vision immédiate lui manquât pour son plus grand mérite et pour l'exercer davantage; car alors elle les voyait par des espèces intellectuelles ou imaginaires, comme j'ai déjà dit dans le chapitre précédent. Ces visions angéliques par des espèces produisent des effets divins dans les autres âmes, parce qu'on y connaît ces substances célestes comme des effets et des ambassadeurs du souverain Roi, l'âme y ayant avec eux de très-doux entretiens du Seigneur et de tout ce qui est céleste et terrestre : et elle y est en toutes choses éclairée, enseignée, corrigée, gouvernée, redressée et incitée à s'élever à l'union parfaite de l'amour divin, et à opérer le plus pur, le plus parfait, le plus saint et le plus sublime de la vie spirituelle.

 

Instruction de la très-sainte Vierge.

 

652. Ma fille, l'amour, la fidélité et les soins avec lesquels les esprits angéliques assistent les mortels dans leurs nécessités, sont admirables, et l'oubli, l'ingratitude et la malhonnêteté que ces mêmes hommes témoignent

 

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dans de si grandes obligations sont insupportables. Ces esprits célestes connaissent dans le secret du coeur du Très-Haut, dont ils regardent la face (1) par la clarté béatifique, l'amour infini et paternel que le Père, qui est aux cieux, porte aux hommes terrestres; c'est là qu'ils donnent le juste prix au sang de l'Agneau par lequel ils furent achetés et rachetés (2), et qu'ils savent ce que valent les âmes achetées par le trésor de la Divinité. De là vient le grand soin que les saints anges portent: à garder les âmes que le Très-Haut a confiées à leur conduite par un effet de son amour et de son estime. Je veux que vous sachiez que les mortels recevraient, par ce sublime ministère des anges, de grandes influences de lumière et des faveurs incomparables du Seigneur, si leurs péchés , leurs abominations et l'oubli d'un si grand bienfait n'y mettaient obstacle; et parce qu'ils ferment le chemin que Dieu avait choisi par une providence ineffable pour les conduire à la félicité éternelle, c'est pour cela que la plupart se perdent, qui se seraient sauvés par la protection des anges s'ils eussent profité de leurs secours et d'un bienfait si utile.

653. O ma très-chère fille! puisque la plupart des hommes sont si lents à considérer et à estimer les oeuvres paternelles de mon Fils et mon Seigneur, je veux,que vous en ayez une singulière reconnaissance, vous qui en avez été favorisée avec tant de libéralité, particulièrement lorsqu'il a destiné les auges pour

 

(1) Matth., XVIII, 10. — (2) I Cor., V, 20.

 

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votre garde. Tâchez de ne vous rendre pas indigne de leur compagnie, et d'écouter avec attention et avec respect leurs instructions; laissez-vous conduire par leur lumière, honorez-les comme des ambassadeurs du Très-Haut, et priez-les qu'ils vous fassent part de leurs secours, afin qu'étant purifiée de vos péchés, exempte d'imperfections et enflammée dans l'amour divin, vous puissiez vous réduire dans un état si spiritualisé, que vous soyez capable de converser avec eux, d'être reçue en leur compagnie et de participer à leurs divines illustrations; car le Très-Haut ne les refusera pas, si vous vous y disposez de votre côté comme je vous l'ordonne.

654. Et parce que vous avez désiré de savoir (après en avoir consulté l'obéissance) la raison pourquoi les saints anges se communiquaient à moi par tant de sortes de visions, je réponds à votre désir en vous déclarant davantage ce que vous en avez connu et écrit par la lumière divine. La cause de cela fut, du côté du Très-Haut, son amour libéral avec lequel il me favorisait; et du mien, l'état de voyageuse où je me trouvais dans le monde : parce qu'il n'était pas possible ni même convenable que cet état fût uniforme ou égal dans les actions des vertus par le moyen desquelles la sagesse divine projetait de m'élever sur tout ce qui est créé; et étant dans la nécessité d'agir comme voyageuse, humaine et sensible dans la diversité des rencontres et des couvres vertueuses, j'agissais quelquefois comme spiritualisée sans aucun empêchement des sens, et les anges conversaient et

 

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traitaient avec moi comme ils conversent et traitent entre eux; d'autres fois il fallait que je souffrisse et que je fusse affligée dans la partie inférieure de l'âme, quelquefois dans le sensible et dans le corps; je souffrais en d'autres occasions des nécessités, des solitudes et des abandonnements intérieurs, et je recevais, selon la vicissitude de ces effets et de ces états, les faveurs et les visites des saints anges; car je parlais plusieurs fois avec eux par intelligence, d'autres fois par vision imaginaire, et en d'autres rencontres par vision corporelle et sensible, selon que l'état et la nécessité le demandaient, et selon que le Très-Haut le disposait.

655. Mes puissances et mes sens furent illustrés et sanctifiés dans toutes ces différentes manières par les couvres des influences et des faveurs divines, afin que je connusse par expérience tout ce qui en résulte, et que je reçusse pour toutes ces couvres les communications de la grâce surnaturelle. Mais je veux que vous sachiez, ma fille, que, bien que le Très-Haut fût si magnifique et si miséricordieux envers moi dans ces faveurs, son équité y garda pourtant un tel ordre, que non-seulement il me favorisa si fort par ses anges à cause de la dignité de Mère, mais encore qu'il eut égard, dans la distribution de ces mêmes faveurs, à mes couvres et à la disposition avec laquelle j'y concourus, assistée de sa divine grâce. Et parce que j'éloignai mes puissances et mes sens du commerce des créatures, et que, renonçant à tout ce qui est sensible est créé, je me convertis au souverain bien eu

 

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m'abandonnant de toutes les forces de ma volonté à son unique et saint amour; à cause de cette disposition que je mis en mon âme, il sanctifia toutes mes puissances par la rétribution de tant de bienfaits;. de visions, d'illustrations de ces mêmes puissances, qui pour son amour, s'étaient privées de tout ce qui est délectable, humain et terrestre. Et je reçus en la chair mortelle de si grandes choses en récompense de mes oeuvres, que vous ne les pouvez ni concevoir ni écrire pendant que vous y vivez, le Seigneur étant si riche en libéralité et en bonté, qu'il ne donne cette récompense dans le temps que comme un gage de celle qu'il réserve dans l'éternité.

656. Outre que le bras du Tout-Puissant me disposa par ces . moyens, afin que dès ma conception l'incarnation du Verbe fût dignement prévenue dans mon sein, et que mes puissances et mes sens fussent sanctifiés et préparés pour la conversation et la communication que je devais avoir avec le Verbe incarné. Que si les autres âmes se disposaient à mon imitation en ne vivant plus selon la chair, mais par une vie spirituelle, pure et éloignée de la contagion des choses terrestres, le Très-Haut est si fidèle envers ceux qui travailleraient de la sorte à s'attirer son amitié, qu'il ne leur refuserait point ses faveurs par l'équité de sa divine providence.

 

CHAPITRE XVI. On y continue l'enfance de la très-sainte Vierge dans le Temple. — Le Seigneur la dispose pour les afflictions. — Mort de son père saint Joachim.

 

657. —Nous avons laissé notre auguste Princesse Marie employant les années de son enfance dans le Temple, et nous en avons diverti le discours pour donner quelque connaissance des vertus, des dons et des révélations divines qu'elle recevait dé la main du Très-Haut, et quelle exerçait par ses puissances dans un âge le plus tendre et toutefois dans une sagesse la plus sublime, La très-sainte enfant croissait en âge et en grâce devant Dieu et devant les hommes, mais avec une telle proportion, que la dévotion était toujours au-dessus de la nature; cette grâce ne fut jamais mesurée à son âge, mais au bon plaisir divin et aux fins relevées auxquelles le torrent impétueux de la Divinité qui s'allait arrêter et reposer dans cette Cité de Dieu, la destinait. Le Seigneur lui continuait ses dons et ses faveurs, lui renouvelant à tout moment les merveilles de son puissant bras, comme si elles n'eussent été réservées que pour la seule Marie. Et cette incomparable enfant y répondait avec tant d'ardeur dans cet âge si tendre, qu'elle remplissait le

 

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coeur du même Seigneur de complaisance et les esprits célestes d'admiration. Ces mêmes esprits découvraient comme une émulation admirable entre le Très-Haut et notre jeune Reine; car pour l'enrichir, le pouvoir divin tirait tous les jours de ses trésors nouveaux et anciens (1) des bienfaits réservés pour elle seule; et comme, elle était une terre bénite (2), non-seulement la semence de la perle éternelle. de ses dons et de ses faveurs n'y était point perdue, ni elle ne rendait pas seulement cent pour un, comme le plus grand des saints, mais encore avec l'admiration de tout le ciel une jeune fille surpassait en amour, en reconnaissance, en louanges et en toutes les vertus possibles, les plus. sublimes et les plus ardents séraphins, sans qu'il y eût ni temps, ni lieu, ni occasion, ni emploi, où elle n'opérât le plus éminent de la perfection, qui lui était alors possible.

658. Étant déjà capable dans les tendres années de son enfance de lire les Écritures, elle en faisait sa plus ordinaire occupation : et comme elle était remplie de sagesse, elle conférait dans son coeur ce qu'elle savait par les révélations divines avec ce qui était révélé dans les Écritures pour tous: dans cette lecture et ces conférences secrètes, elle faisait des demandes et des prières continuelles et ferventes pour la rédemption du genre humain et pour l'incarnation du Verbe. Elle lisait plus fréquemment les psaumes et les prophéties d'Isaïe et de Jérémie, à cause que les mystères du Messie et de

 

(1) Matth., XIII, 52. — (2) Luc., VIII, 8.

 

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la loi de grâce y étaient plus- clairs et plus réitérés elle proposait des questions admirables et très-relevées aux saints anges sur ce qu'elle y découvrait et comprenait, et leur parlait fort souvent avec des tendresses inconcevables de la très-sainte humanité du Verbe; sur ce qu'il se devait faire enfant, naître et se nourrir comme les autres hommes; qu'il devait avoir une mère vierge, croître, souffrir et mourir pour tous es enfants d'Adam.

659. Ses anges et ses séraphins répondaient à ses demandes, l'illustrant de nouveau, la confirmant, et embrasant son coeur ardent et virginal par de nouvelles flammes de l'amour divin, en lui cachant toujours néanmoins sa très-haute dignité, quoiqu'elle s'offrit plusieurs fois avec une humilité très-profonde d'être la servante du Seigneur et de l'heureuse mère qu'il devait choisir pour naître sur la terre. D'autres fois, interrogeant les saints anges, elle disait avec admiration : « Mes princes et mes seigneurs, est-il bien possible  que le Créateur naisse d'une créature et la reconnaisse pour mère? Que le Tout-Puissant, l'Infini, Celui qui a formé les cieux et qui n'en peut pas être  compris, se renferme dans le sein d'une fille et se revête d'une nature terrestre? Que Celui qui orne les éléments, les cieux et les anges mêmes de beauté,  se rende passible? Qu'il y ait une fille de notre  propre nature humaine assez heureuse que de pou voir appeler fils Celui-là même qui l'a tirée du  néant, et qu'elle s'entende appeler mère par Celui   qui est incréé et Créateur de tout l'univers? O, miracle

 

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inouï, si l'Auteur même ne l'eût publié, coin ment pourrait l'esprit humain former une pensée  si magnifique ! O merveille de ses merveilles! O   heureux les yeux qui le verront, et les siècles qui le  mériteront! » Les saints anges répondaient à ces affections et à ces exclamations amoureuses, lui déclarant les mystères divins, excepté celui qui la regardait de si près.

660. La moindre des hautes, des humbles et des ardentes affections de la jeune Marie, était ce seul et unique cheveu de l'Épouse, qui blessait le coeur de Dieu par une si douce flèche d'amour (1); que s'il n'eût pas été convenable d'attendre l'âge propre pour concevoir et enfanter le Verbe incarné, la complaisance du Très-Haut n'eût pas pu s'empêcher (selon notre manière de concevoir) de prendre incontinent notre humanité dans son sein; mais il ne le fit point (quoiqu'elle en fût capable, et par la plénitude des grâces qu'elle avait reçues, et par les mérites singuliers dont elle fut douée dés son enfance), afin que, son enfantement virginal arrivant en l'âge naturel des autres femmes, le mystère de l'Incarnation fût mieux caché, et l'honneur de sa très-sainte Mère plus à couvert; et le Seigneur s'entretenait dans ce délai par les affections et les cantiques agréables qu'il écoutait, selon nos façons d'exprimer, avec complaisance et avec attention en sa Fille et son Épouse, qui devait être ensuite la digne. Mère du Verbe éternel. Les cantiques

 

(1) Cant., IV, 9.

 

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et les psaumes que notre Reine et Maîtresse fit, furent si relevés et en si grand nombre, que s'ils eussent été écrits (comme il m'a été découvert dans la lumière que j'en ai reçue), la sainte Église en aurait beaucoup plus que de tous les prophètes et les saints ensemble, parce que la très-pure Marie dit et renferma tout ce qu'ils ont écrit, et outre cela elle connut et dit beaucoup, plus de choses qu'ils n'en ont écrit, et dont ils n'eurent aucune connaissance. Mais le Très-Haut. ordonna que son Église militante eût surabondamment tout le nécessaire dans les écritures des apôtres et des prophètes, et réserva écrit dans son entendement divin ce qu'il révéla à sa très-sainte Mère, afin de découvrir dans l'Église triomphante ce qui sera convenable à la gloire accidentelle des bienheureux.

661. Outre que la divine bonté condescendit en cela à la volonté de la très-sainte fille notre Maîtresse, qui, pour accroître sa très-prudente humilité, et laisser aux mortels ce rare modèle de tant d'excellentes vertus, voulut toujours cacher le secret du Roi ( 1 ) , et quand il fut nécessaire d'en découvrir quelque chose pour le service de sa Majesté et pour le bien de l'Église, l'auguste Marie y procéda avec tant de prudence, que, quoiqu'elle fût Maîtresse, elle ne laissa pas de paraître toujours une très-humble disciple. Dans son enfance, elle consultait les saints anges et suivait leurs conseils; après la naissance du Verbe incarné, elle eut son Fils unique pour maître

 

(1) Tob., XII, 7.

 

et pour modèle dans toutes ses actions; et, à la fin de ses mystères et de son ascension glorieuse, la grande Reine de l'univers obéissait aux apôtres, comme nous le dirons dans la suite; et ce fut une des raisons pourquoi l'évangéliste saint Jean cacha les mystères qu'il écrivit de cette très-sainte Dame dans l'Apocalypse sous tant d'énigmes, qu'on pût les entendre de l'Église militante ou de la triomphante.

662. Le Très-Haut détermina que la plénitude des grâces et des vertus de Marie prévint le comble de ses mérites, cette très-sainte Vierge s'appliquant aux couvres pénibles et magnanimes autant que ses tendres années le lui pouvaient permettre : et sa divine Majesté lui dit dans une de ses visions ; « Mon Épouse et a ma colombe, je vous aime d'un amour infini, et je demande de vous ce qui est le plus agréable à mes yeux et l'entière satisfaction de mon désir. N'ignorez pas, ma Fille, le trésor caché qui se trouve  renfermé dans les travaux et dans les afflictions, que l'ignorance aveugle des mortels a si fort en  horreur; et que mon Fils unique enseignera, quand  il se sera revêtu de la nature humaine, le chemin  de la croix par son exemple et par sa doctrine , la   laissant pour héritage à mes élus, après qu'il en a aura fait son partage; et il établira la loi de grâce, fondant sa fermeté et son excellence en l'humilité   et en la patience de la croix et des afflictions, parce  que la condition de la nature des hommes l'exige a de la sorte, et singulièrement depuis qu'elle a été dépravée par le péché, qui a corrompu son inclination.

 

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Il est aussi conforme à mon équité et à ma providence que les mortels obtiennent et acquièrent la couronne de gloire par le moyen des travaux et des croix, puisque c'est par là que mon Fils unique incarné la leur doit mériter. Vous entendrez par ce discours, ma Fille, que vous ayant élue par la puissance de ma droite pour mes délices, et enrichie de mes dons, il ne serait pas juste que ma grâce fût oisive dans votre cœur, que votre amour fait privé de son fruit, et que vous n'eussiez aucune part à l’héritage de mes élus. Ainsi je veux que vous vous disposiez à souffrir des tribulations et des peines pour mon amour. »

663. L'invincible Princesse Marie répondit à cette proposition du Très-Haut avec plus de fermeté de coeur que tous les saints et les martyrs n'en ont eu dans le monde, et dit à sa divine Majesté ; « Mon Seigneur, mon Dieu et mon Roi, j'ai déjà consacré à  votre divine volonté et bon plaisir toutes mes opérations, mes puissances, et l'être même que j'ai reçu de vous, de votre bonté infinie, afin que toutes choses  s'accomplissent en moi selon le choix de votre suprême sagesse et immense bonté. Que si vous me permettez de faire choix de quelque chose, je ne veux plus que souffrir pour votre amour jusqu'à la mort, et vous supplier, mon bien-aimé, de faire de votre servante un sacrifice et un holocauste de patience agréable à vos yeux. Je me sens si obligée à vous, mon Seigneur et mon Dieu tout-puissant et très-libéral, qu'il n'est aucune des créatures qui

 

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vous doive un si grand retour, ni même toutes ensemble ne vous sont pas si redevables que je le suis  moi seule, la plus incapable de m'acquitter de la  satisfaction que je souhaite de donner à votre magnificence; mais si les souffrances qu'on endure  pour vous ont lieu de quelque satisfaction, faites,  Seigneur, que toutes les tribulations et les douleurs de la mort viennent sur moi : je demande seulement  votre divine protection, et, prosternée devant le trône royal de votre Majesté infinie, je vous supplie de ne me point abandonner. Souvenez-vous, Seigneur, des promesses fidèles que vous avez faites à  vos serviteurs par nos anciens pères et vos prophètes, de favoriser le juste, d'être avec le persécuté, de consoler l'affligé, de le protéger et le dé fendre dans le combat de la tribulation (1) : vos  paroles sont véritables et vos promesses infaillibles;   le ciel et la terre manqueront plutôt que leur certitude; la malice de la créature ne pourra point  éteindre votre charité envers celui qui espère en   votre miséricorde; que votre sainte et parfaite volonté s'accomplisse donc en moi.

664. Le Très-Haut reçut ce sacrifice du matin de la jeune Marie, et lui dit avec des marques de bienveillance ; « Vous êtes belle dans vos pensées, Fille du  Prince, ma colombe et ma bien aimée; j'accepte vos  désirs, agréables à mes yeux, et je veux vous apprendre, pour un principe de leur accomplissement,

 

(1) Ps. XC.

 

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que le temps s'approche auquel, par ma divine disposition, votre père Joachim doit passer de la vie  mortelle dans l'immortelle et éternelle : sa mort  arrivera bientôt, et incontinent après il reposera en paix et sera mis avec les saints dans les limbes, en  attendant la rédemption de tout le genre humain. » Cet avis du Seigneur ne troubla point le coeur magnanime de la Princesse du ciel; mais, comme l'amour des enfants envers leurs pères est une juste dette de la nature, cet amour se trouvant en la très-sainte Fille dans toute sa perfection, elle ne pouvait pas empêcher la douleur naturelle qu'elle ressentait de se voir privée de son très-saint père Joachim, qu'elle aimait saintement en qualité de fille. La tendre et douce Marie ressentit ce mouvement douloureux, compatible avec la sérénité de son esprit; et, comme elle agissait en toutes choses avec une grandeur d'âme incomparable, donnant ce qu'elle devait à la grâce et à la nature, elle fit une fervente prière pour son père Joachim. Elle demanda au Seigneur de le regarder dans le passage de son heureuse mort comme Dieu puissant et véritable; de le défendre du démon singulièrement en cette heure, et de le conserver et constituer dans le nombre des élus, puisqu'il avait confessé et glorifié son saint et admirable nom durant sa vie : et, pour y obliger davantage sa divine Majesté, la très-reconnaissante fille s'offrit d'endurer pour son très-saint père tout ce que le Seigneur. ordonnerait.

665. Sa divine Majesté agréa cette demande et consola la très-sainte enfant, l'assurant qu'il assisterait

 

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son père comme miséricordieux et pitoyable bienfaiteur de ceux qui l'aiment et le servent, et qu'il le placerait entre les patriarches Abraham, Isaac et Jacob, et la prévint de nouveau pour recevoir et souffrir d'autres afflictions. Elle reçut, huit jours avant la mort du saint patriarche Joachim, un autre nouvel avis du Seigneur qui lui déclara le jour et l'heure où il devait mourir; comme en effet il arriva six mois après gaie notre Reine fut entrée dans le Temple. Ayant reçu ces avis du Seigneur, elle demanda aux douze anges (desquels nous avons déjà dit que saint Jean fait mention dans l'Apocalypse) de (assister et le consoler dans sa maladie; ce qu'ils firent avec beaucoup de complaisance. Dans la dernière heure de sa mort, elle lui envoya tous ceux de sa garde, et pria le Seigneur de les lui manifester pour sa plus grande consolation. Le Très-Haut accorda sa prière et accomplit en toutes choses le désir de son élue, unique et parfaite : le grand patriarche et heureux Joachim vit. les mille anges qui gardaient sa chère fille Marie, dont les demandes et les voeux furent surpassés par la grâce du Tout-Puissant; et par son commandement les anges dirent à Joachim ce qui suit :

666 Homme de Dieu, le Très-Haut et Tout-Puissant soit votre salut éternel, et qu'il envoie de son  lieu saint le secours nécessaire et convenable à votre  âme. Votre fille Marie nous a envoyés ici pour vous assister en cette heure, en laquelle vous devez payer à votre Créateur la dette de la mort naturelle. Elle est votre très-fidèle et très-puissante avocate

 

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auprès du Très-Haut, su nom et en la paix duquel  vous devez partir de ce monde avec beaucoup de  consolation, parce qu'il vous a fait père d'une fille  remplie de tant de bénédictions. Et, bien que sa  divine et incompréhensible Majesté ne vous ait pas  manifesté par ses secrets jugements jusqu'à cette  heure le mystère de la dignité en laquelle il doit  élever votre fille, il veut que vous le connaissiez  maintenant, afin que vous l'exaltiez et le glorifiiez,  et que vous joigniez par cette nouvelle la joie de  votre esprit à la douleur et à la tristesse de la mort. Votre fille et notre Reine Marie est choisie par le  Tout-Puissant afin que le Verbe divin se revête de  la chair et de la formé humaine dans son sein virginal. Elle doit être l'heureuse Mère du Messie et la  bénie entre toutes les femmes, supérieure à toutes  les créatures et seulement inférieure à Dieu. Votre  très-heureuse fille doit être la restauratrice de ce  que le genre humain a perdu par le premier péché,  et le haut mont où la nouvelle loi de grâce se doit  former et établir: et, puisque vous laissez au monde  sa réparatrice et une fille par laquelle Dieu lui prépare le remède convenable, partez-en avec joie : le  Seigneur de Sion vous bénisse et vous constitue entré  les saints, afin que vous arriviez à la vue et à la   jouissance de l'heureuse Jérusalem (1). »

667. Lorsque les saints anges tenaient ce discours à Joachim, son épouse sainte Anne était présente,

 

(1) Ps., CXXVI, 5.

 

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assistant au chevet de son lit, et elle l’entendit par la divine disposition ; dans le même instant le saint patriarche perdit la parole, et entrant dans la voie commune à tous les hommes, il commença. d'agoni,Ber, combattant merveilleusement entre la joie d'une nouvelle si agréable et la douleur de sa mort. Il fit dans ce combat, par ses puissances intérieures, plusieurs actes d'amour de Dieu, de foi, d'admiration, de louange, de reconnaissance et d'humilité; il exerça aussi d'autres vertus d'une manière fort héroïque, et étant ainsi absorbé dans la nouvelle connaissance d'un mystère si divin, il arriva au terme de la vie naturelle par la précieuse mort des saints (1). Sa très-sainte âme fut portée par les anges aux limbes des saints pères et des justes, et le Très-Haut ordonna, pour leur consolation et pour leur causer une nouvelle lumière dans cette longue nuit où ils étaient, que l'âme du saint patriarche Joachim fût le nouveau paranymphe et le légat de sa divine Majesté, qui apprit à cette assemblée de justes que le jour de la lumière éternelle commençait à paraître, que l'aurore Marie, fille de Joachim et d'Anne, était déjà venue au monde, de laquelle naîtrait le Soleil de la Divinité, Jésus-Christ rédempteur de tout le genre humain. Les saints. Pères et les justes des limbes apprirent ces nouvelles et les ayant reçues avec beaucoup de joie, ils firent su Très-Haut de nouveaux cantiques de louange.

 

(1) Ps. CXV, 15.

 

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668. L'beureuse mort du patriarche saint Joachim arriva (comme je viens de dire) six mois après l'entrée de sa très-sainte fille, dans le Temple, étant âgée seulement de trois ans et demi lorsqu'elle fut privée de son père naturel, qui vécut soixante-neuf ans et demi, les partageant en cette sorte; dans sa quarante-sixième année il reçut sainte Anne pour épouse; vingt ans après leur mariage, ils eurent la très-pure Marie; et trois ans et demi qu'elle en avait font les soixante-neuf et demi et quelques jours.

669. Le saint patriarche et père de notre Reine étant mort, les saints anges de sa garde s'en retournèrent incontinent auprès d'elle et lui apprirent tout ce qui était arrivé en la mort de son père; après quoi la très-prudente fille sollicita par ses prières la consolation de sa sainte mère, priant le Seigneur de la gouverner et de l'assister comme père dans la solitude en laquelle la privation de son époux Joachim la laissait. La sainte mère lui envoya aussi la nouvelle de la mort, elle fut premièrement adressée à la maîtresse de notre auguste Princesse, afin qu'en la lui donnant elle la consolât. La maîtresse le fit comme sainte Anne le souhaitait, et la très-sage fille, cachant tout ce qu'elle en savait, la reçut avec beaucoup de résignation et avec une modestie de Reine, qui n'ignorait pas ce qu'on prétendait lui apprendre comme une chose nouvelle. Mais comme elle était très-parfaite en tout, elle s'en alla aussitôt au Temple pour y renouveler le sacrifice de louange, d'humilité, de patience et de plusieurs autres vertus et prières, marchant toujours avec des

 

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pas aussi grands que beaux aux yens du Seigneur (1). Et pour comble de toutes ces actions comme de toutes les autres, elle demandait aux saints anges de concourir avec elle et de lui aider à le bénir.

 

Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

 

670. Ma fille, renouvelez plusieurs fois dans le secret de votre coeur l'estime que vous devez Mire du bienfait des travaux que la providence secrète du Seigneur ménage avec sagesse aux mortels. Ce sont ses jugements justifiés en eux-mêmes et plus estimables que l'or et les pierres précieuses, et plus doux que le rayon de miel (1) pour celui qui n'a pas doux goût dépravé. Je veux, ma chère fille, que vous considériez que soit que la créature souffre sans aucun péché ou bien pour ses péchés, c'est un bienfait dont elle ne peut être digne sans une grande miséricorde du Très-Haut; et quoique ce soit une grâce que de recevoir des souffrances pour ses péchés, cette même grâce est néanmoins accompagnée de beaucoup de justice. Cela étant , faites maintenant de sérieuses réflexions sur la folie commune des enfants d'Adam, qui veulent tous des consolations et des faveurs sensibles, et n'aiment que ce qui flatte leur goût dépravé ;

 

(1) Cant., VII, 1. — (2) Ps., XVIII, 1 et 11.

 

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ils ne travaillent que pour s'éloigner du pénible et pour empêcher que la douleur des travaux ne les touche, et lorsque leur plus grand bonheur consisterait à les rechercher avec empressement sans même les avoir mérités, ils le font cependant tout consister à éviter ce qu'ils méritent, et sans quoi ils ne peuvent être bienheureux.

671. Si l'or fuit la fournaise, le fer la lime, le grain le moulin et le fléau, les raisins le pressoir, ils seront tous inutiles, et l'on ne jouira point de la fin pour laquelle ils ont été créés. Or comment est-ce que les mortels se laissent tromper en croyant qu'autant remplis d'horribles vices et de péchés abominables, ils puissent être assez purs et assez dignes de jouir de Dieu éternellement, sans passer par la fournaise et par la lime des travaux? Si lorsqu'ils étaient innocents ils n'étaient point capables d'obtenir le bien infini et éternel pour récompense et pour couronne, comment le feront-ils étant dans les ténèbres et en la disgrâce de Dieu? Joint que les enfanta de perdition font tout ce qu'ils peuvent pour se rendre indignes et ennemis de Dieu, et pour éviter la croix des travaux et des afflictions, qui sont le chemin pour retourner à Dieu, la lumière de l'entendement, le flambeau qui découvre les tromperies des choses apparentes, l'aliment des justes, l'unique moyen de la grâce, le prix de la gloire, et surtout l'héritage que mon Fils et mon Seigneur a choisi pour soi et pour ses élus, naissant et vivant toujours dans les travaux, et mourant sur une croix.

 

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672. C'est par là, ma fille, que vous devez mesurer la valeur des souffrances, que les mondains ne découvrent pas, parce qu'ils sont indignes de cette science divine; et comme ils l'ignorent, ils la méprisent. Réjouissez-vous et consolez-vous dans les tribulations, et quand le Très-Haut daignera vous en envoyer quelqu'une, tâchez d'aller au-devant pour la recevoir comme une de ses bénédictions et un gage de son amour et de sa gloire. Préparez votre coeur par la magnanimité et par la constance, afin que dans l'occasion de souffrir, vous soyez égale et la même que vous étiez dans la prospérité et dans vos résolutions; gardez-vous d'accomplir avec tristesse ce que vous promettez avec joie, parce que Dieu aime celui qui est le même en donnant qu'en offrant (1). Sacrifiez donc votre coeur et vos puissances en holocauste de patience, et vous chanterez, par des cantiques nouveaux de joie et de louange, les justifications du Très-Haut, lorsque dans le lieu de votre pèlerinage il vous distinguera et traitera comme sienne par les marques les plus sensibles de son amitié, qui sont les travaux et les croix des tribulations.

673. Sachez, ma très-chère, que mon très-saint Fils et moi désirons d'avoir parmi les créatures quelques unes de celles qui sont arrivées au chemin de la croix, auxquelles nous puissions enseigner avec ordre cette divine science, et que nous puissions détourner de la sagesse du monde, en laquelle les

 

(1) II Cor., IX, 7.

 

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enfants d'Adam veulent avec une obstination aveugle si fort s'avancer, et rejeter la discipline salutaire des afflictions. si vous voulez être notre disciple, entrez dans cette école, où l'on n'enseigne que la science de la croix, et qu'à chercher en elle le repos et les délices véritables. L'amour terrestre des plaisirs sensibles et des richesses ne s'accorde point avec. cette sagesse, non plus que la vaine ostentation, qui éblouit les yeux faibles des mondains avides du faux honneur, du précieux et du grand, qui entraîne après soi l'admiration des ignorants. Pour vous, ma fille, aimez la vérité, faites choix de la meilleure part et souhaitez d'être de celles qui sont cachées et en oubli dans le monde. J'étais Mère du même Dieu incarné, et par cet endroit Maîtresse avec mon très-saint Fils de tout ce qui est créé; mais je fus fort peu connue, et sa divine Majesté fut fort méprisée des hommes; et si cette doctrine n'eut été la plus estimable et la plus assurée, nous ne l'aurions pas enseignée par nos exemples et par nos paroles: c'est la lumière qui luit dans les ténèbres (1), chérie des élus et rejetée des réprouvés.

 

(1) Joan., I, 5.

 

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CHAPITRE XVII. La Reine du ciel commence à souffrir dans son enfance. — Dieu lui fait ressentir ses absences. — les douces et les amoureuses plaintes qu'elle fait.

 

674. Le Très-Haut, qui règle par son infinie sagesse la conduite des siens avec poids et mesure (1), voulut exercer notre auguste Princesse par quelques afflictions proportionnées à son jeune âge, quoiqu'elle fût toujours grande en la grâce, qu'il voulait par ce moyen lui augmenter avec une plus abondante gloire. Notre jeune Marie était toute remplie de sagesse et de grâce; néanmoins il était convenable qu'elle fût disciple en expérience, et qu'elle y avançât et y apprît la science de souffrir, qui arrive à sa dernière perfection par la pratique. Elle avait joui durant le cours de ses tendres années des délices et des caresses du Très-Haut, de celles des saints anges, aussi bien que de ses parents; et étant dans le Temple elle en avait beaucoup reçu de sa maîtresse et des prêtres, parce qu elle était aimable et agréable aux yeux de tous; il était déjà temps qu'elle commençât d'avoir une

 

(1) Sap., XI, 21.

 

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autre nouvelle science du bien qu'elle possédait, et une certaine connaissance que l'on acquiert par l'absence et la privation de ce bien, et par le nouvel usage des vertus que cette privation cause, comparant l'état des consolations et des caresses avec celui de la solitude, de la sécheresse et des tribulations.

675. La première des afflictions que souffrit notre Princesse fut la suspension des visions continuelles dont le Seigneur lui faisait part; et cette douleur lui fut d'autant plus grande, qu'elle lui était nouvelle, et que le trésor qu'elle, perdait de vue lui était plus précieux et plus sublime. Elle fut aussi privée de la communication sensible des saints anges, et par l'éloignement de tant d'objets si excellents et si divins qui se cachèrent dans un même temps à sa vue (sans pourtant abandonner sa compagnie ni lui discontinuer leurs secrètes assistances), cette âme très-pure et très-affligée croyait être demeurée seule dans la nuit obscure de l'absence de son bien-aimé, qui la revêtait de lumière.

676. Cet événement parut étrange à notre jeune Reine; car bien que le Seigneur l'eût prévenue pour recevoir de plus grands travaux, il ne les lui avait pourtant pas spécifiés. Et comme le coeur candide de cette très-simple colombe ne pouvait rien penser ni opérer que ce ne fût un fruit de son humilité et de son amour incomparable, elle s'appliquait toute à ces deux vertus : par l'humilité elle attribuait à son ingratitude de n'avoir pas mérité la présence et la possession du bien qu'elle venait de perdre, et par l'ardent

 

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amour elle le souhaitait et le cherchait avec une douleur et avec des affections si amoureuses, qu'il n'est pas possible de les exprimer. Dans ce nouvel état de souffrances elle s'adressa entièrement au Seigneur et lui dit

677. « Grand Dieu et Seigneur de tout ce qui est  créé, infini en bonté et riche en miséricordes, je déclare, mon divin Maître, qu'une si vile créature n'a pu mériter vos faveurs, et que mon âme se  plaint avec une intime douleur de sa propre ingratitude et de vous avoir été désagréable. Si cette ingratitude s'est interposée pour faire éclipser le  soleil qui m'animait, me vivifiait et m'éclairait, et si j'ai été lâche dans le retour de tant de bienfaits, faites, mon Seigneur et mon Pasteur, que je connaisse la faute de ma grossière négligence. Si,  comme une ignorante et simple brebis, je n'ai pas su être reconnaissante, ni opérer ce qui était le  plus agréable à vos yeux, je suis prosternée en  terre et unie à la poussière, afin que vous, mon  Dieu, qui habitez dans les hauteurs, me releviez  comme une pauvre et délaissée (1). Vos puissantes  mains m'ont formée (2), et vous ne pouvez pas ignorer notre faiblesse (3), ni en quels vases vous avez confié vos trésors. Mon âme languit dans son amertume et dans votre absence (4), vous qui êtes sa douce vie; je ne trouve aucun soulagement dans

 

(1) Ps. CXII, 8 et 7. — (2) Job., X, 8. — (3) Ps. CII, 14. — (4) Ps. XXX, 11.

 

mes défaillances. Où irai-je si vous me délaissez?  Où pourrai-je arrêter mes yeux sans la lumière qui  les éclairait? Qui me consolera au milieu de ces  peines? Qui me préservera de la mort sans la  vie? »

678. Elle s'adressait aussi aux saints anges, et continuant toujours ses amoureuses plaintes, elle leur disait : « Princes célestes, ambassadeurs du grand Roi, et très-fidèles amis de mon âme, pourquoi  m'avez-vous aussi délaissée? Pourquoi me privez vous de votre douce vue et me refusez votre sainte présence? Mais je ne m'étonne point, mes seigneurs, de votre courroux, puisque peut-être par  ma disgrâce j'ai mérité de tomber dans celle de  votre Créateur et le mien. Lumières agréables des a cieux, éclairez mon entendement dans mon ignorance, et si j'ai manqué en quelque chose, corrigez moi et obtenez-m'en le pardon de mon divin Maître. Très-nobles courtisans de la Jérusalem céleste,  ayez pitié de mon affliction et de mon abandonnement; dites-moi où est allé mon bien-aimé? Où s'est-il caché? Où le trouverai-je, sans que je sois obligée d'aller errante et de parcourir la multitude de toutes les créatures (1) ? Mais, hélas ! vous ne me répondez pas non plus, vous qui êtes si honnêtes et qui connaissez les véritables signes de mon  Époux, parce qu'il ne vous éloigne point de la vue  de sa divine face et de ses beautés infinies. »

 

(1) Cant., I, 6; III, 3.

 

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679. Ensuite elle s'adressait aux autres créatures, et se plaignait à elles, leur disant avec de profonds et redoublés soupirs d'amour ; « Sans doute que a vous qui êtes aussi armées contre les ingrats (1),  serez indignées, comme reconnaissantes, contre  celle qui ne l'a pas été; mais si par la bonté de  mon Seigneur et le vôtre vous me souffrez parmi  vous, quoique je sois la plus abjecte, vous ne pouvez pas pourtant satisfaire mon désir. Cieux, vous  êtes fort beaux et spacieux; planètes et étoiles,  vous êtes toutes fort reluisantes; les éléments sont  grands et invincibles, la terre est revêtue et ornée  de plantes et d'herbes odoriférantes, les pois

sons qui habitent les eaux sont innombrables, les  étendues des mers causent de l'admiration (2), les oiseaux sont légers, les minéraux cachés, les animaux se parent de leurs forces, et tous ensemble a font une longue échelle et une douce harmonie  pour arriver à la connaissance de mon bien-aimé; mais ce sont de trop grands détours pour celle qui aime, et après les avoir tous parcourus avec toute la diligence possible, je nie trouve enfin seule absente de mon bien; et par la fidèle relation que  vous me faites, ô créatures, de sa beauté infinie,  vous n'arrêtez pas mon vol, vous ne soulagez pas ma douleur, vous ne diminuez pas ma peine : au contraire vous augmentez mon affliction et mon a désir, vous enflammez davantage mon coeur, et

 

(1) Sap., V, 18. — (2) Ps. XCII, 4.

 

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vous faites languir ma vie terrestre dans l'amour  que vous ne sauriez rassasier. O douce mort sans ma vie! ô pénible vie sans mon âme et sans mon bien-aimé ! Que ferai je? irai-je? est-ce que je vis ? Mais plutôt où est-ce que je meurs? Et puisque la vie m'a manqué, quelle vertu est celle qui m'anime sans elle ? O créatures ! qui par votre  continue conservation et par vos perfections renouvelées me donnez tant de signes de mon divin Maître, regardez s'il se trouve une douleur semblable à la mienne (1) ! »

680. Notre très-affligée Reine formait dans son coeur, et redisait de bouche plusieurs autres discours, qui ne peuvent être compris par aucun autre entendement créé que le sien, parce qu'il n'y avait que sa prudence et son amour qui pussent estimer la peine et le sentiment que l'absence de Dieu causait dans une lutte qui l'avait déjà goûté et connu comme la sienne. Mais si les mêmes anges s'empressaient, comme avec une sainte et amoureuse émulation, de voir et d'admirer en une pure créature et tendre enfant une si grande variété d'actions très-prudentes, d'humilité, de foi et d'amour, aussi bien que les affections et les élans de son coeur, qui pourra exprimer les délices et les complaisances que le Seigneur prenait en l'âme de son élue et en ses mouvements, dont chacun en particulier blessait le coeur de sa divine Majesté, et procédait d'une plus grande grâce et

 

(1) Thren., I, 12.

 

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d'un plus ardent amour que tout ce que sa main libérale avait départi aux mêmes séraphins? Et si tous ensemble à la vue de la Divinité ne savaient exercer ni imiter les actions de la très-sainte Vierge, ni garder les lois de l'amour avec autant de perfection qu'elle les gardait lorsque Dieu lui était absent et caché, quelle complaisance devait être celle que toute la très-heureuse Trinité recevait d'un tel objet? C'est un mystère caché pour notre bassesse; mais nous devons le révérer avec admiration et l'admirer avec toute sorte de respect.

681. Notre très-innocente colombe ne trouvait pas où elle pourrait arrêter son coeur, ni où reposer le pied de ses affections (1), qui par des vols et des gémissements redoublés voltigeaient au-dessus de toutes les créatures. Elle s'adressait plusieurs fois su Seigneur par de douces larmes et des soupirs amoureux; tantôt elle se tournait vers les anges de sa garde et les invitait; ensuite elle excitait toutes les créatures, comme si elles eussent été capables de raison; et ne trouvant nulle part ce qu'elle désirait, elle montait par son entendement éclairé et par son ardente affection dans cette très-haute demeure, où ils avaient accoutumé de rencontrer le souverain bien et de jouir réciproquement de ses délices ineffables. Mais le divin Seigneur et amoureux Époux qui se laissait posséder de sa bien-aimée, quoiqu'il l'eût privée de sa jouissance, embrasait par cette possession

 

(1) Gen., VIII, 9.

 

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de plus en plus ce coeur très-pur, augmentant ainsi ses mérites, et le possédant de nouveau par des dons renouvelés et cachés, afin que plus elle le possédait, plus elle l'aimât, et plus elle l'aimait et possédait, plus elle le cherchât par de nouvelles inventions et par des désirs ardents d'un amour enflammé. Je l'ai cherché (disait notre Princesse affligée) et je ne l'ai point trouvé; je me lèverai de nouveau, et parcourant avec plus de diligence les rues et les places de la cité de Dieu, je renouvellerai mes soins. Mais, hélas ! mes mains ont distillé la myrrhe, mes empressements et mes oeuvres ne servent que pour augmenter ma douleur. J'ai cherché celui que mon coeur aime, je l'ai cherché, et je ne l'ai point trouvé. Mon bien-aimé s'est absenté, je l'ai appelé, et il ne m'a pas répondu; j'ai tourné les yeux pour le chercher, mais les gardes de la ville, les sentinelles et toutes lés créatures m'ont déplu et m'ont offensée par leur vue. Filles de Jérusalem, âmes saintes et justes, je vous prie, si vous rencontrez man bien-aimé, dites-lui que je languis et que je meurs de son amour (1).

682. Notre Reine s'occupa pendant quelques jours à ces douces et amoureuses plaintes, cet humble nard exhalant de très-agréables odeurs de suavité (2) dans la crainte qu'elle avait d'être rejetée du Seigneur, qui reposait dans le plus secret de son très-fidèle coeur. La divine Providence prolongea ce terme pour sa plus grande gloire et pour augmenter les mérites de son

 

(1) Cant., III, 9; V, 5-8. — (2) Cant., I, 11.

 

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Épouse, de sorte qu'il dura quelque temps; et quoiqu'il ne fût pas fort long, notre auguste Maîtresse y souffrit néanmoins plus de tourments spirituels et plus d'afflictions que tous les saints ensemble, parce que dans la perplexité où elle était, si elle avait perdu Dieu et encouru sa disgrâce par sa faute, il n'y a que le même Seigneur qui put connaître et découvrir combien fut grande la douleur de ce coeur enflammé qui sut aimer avec tant de perfection, que Dieu s'en réservait la connaissance et en voulait laisser les sentiments aux craintes que cette très-sainte Fille avait de l'avoir perdu.

 

Instruction que mon auguste Reine et Maîtresse me donna.

 

638. Ma fille, l'on prise tous les biens selon l'estime que les créatures en font, et elles les estiment autant qu'elles les connaissent pour tels; mais comme il n'y a seulement qu'un véritable bien, tous les autres n'étant qu'apparents et trompeurs, ce souverain bien doit être le seul estimé et connu; et quand vous le goûterez, le connaîtrez et le priserez sur tout ce qui est créé, alors vous lui donnerez et le prix et l'amour qu'il mérite. C'est par ces deux règles que l'on doit mesurer la douleur de l'avoir perdu; ainsi par cet amour et par cette estime, vous découvrirez quelque

 

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chose des effets que je sentais, lorsque le bien éternel s'absentait de moi, me laissant dans le doute et dans la crainte, si j'étais assez malheureuse que de l'avoir perdu par ma faute. Il est constant que la douleur de ces incertitudes et la force de l'amour m'eussent plusieurs fois privée de la vie, si le Seigneur ne me l'eût conservée.

684. Considérez donc maintenant quelle doit être la douleur de perdre véritablement Dieu par les péchés, puisque l'absence du. véritable bien en peut causer une si grande dans une âme qui ne ressent point les mauvais effets du péché; car il est très-certain qu'elle ne le perd pas dans cet état, mais au contraire elle le possède, quoique d'une manière cachée à sa propre connaissance. Cette sagesse ne se trouve point dans l'entendement des hommes charnels, puisqu'ils lui préfèrent par un aveuglement très-insensé le bien apparent, et sont inconsolables lorsqu'ils en sont privés, ne faisant aucun cas du souverain et véritable bien, parce qu'ils ne l'ont jamais goûté ni connu. Et bien que mon très-saint Fils ait banni cette ignorance formidable, contractée par le premier péché, en leur méritant la foi et la charité, afin qu'ils pussent connaître et goûter en quelque manière le bien qu'ils n'avaient jamais expérimenté. Hélas ! l'on perd la charité, et l'on y renonce pour le moindre plaisir; et la foi étant oisive et morte, elle est inutile; ainsi les enfants de ténèbres vivent comme s'ils n'avaient que quelque fausse ou douteuse relation de l'éternité.

 

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685. Craignez, ma fille, ce danger, qui ne peut jamais être assez redouté; veillez et soyez toujours préparée contre les ennemis qui ne dorment jamais. Que votre méditation, tant le jour que la nuit, soit sur ce que vous devez faire pour ne point perdre le souverain bien que vous aimez. Il ne faut pas dormir, ni vous négliger parmi des ennemis invisibles; et si quelquefois votre bien-aimé se cache, attendez-le avec patience, et cherchez-le avec empressement sans discontinuer, car vous ignorez ses secrets jugements; préparez l'huile de la charité pour le temps de l'absente et de la tentation; portez-y aussi une droite intention, afin que cette huile ne vous manque et que vous ne soyez réprouvée avec les vierges folles (1).

 

CHAPITRE XVIII. On y continue le récit de quelques autres afflictions de notre Reine, dont il se trouvait quelques-unes que Dieu permit par lé moyen des créatures et de l'ancien serpent.

 

686. Le Très-Haut continuait de se cacher à la Princesse du ciel, joignant à cette affliction (qui était la plus grande) plusieurs autres, afin d'augmenter en elle

 

(1) Matth., XXV, 12.

 

le mérite, la grâce et la couronne, en embrasant toujours plus son très-chaste amour. Le grand dragon, l'ancien serpent Lucifer, était attentif aux oeuvres héroïques de la très-sainte Vierge; et, quoiqu'il ne pût pas être témoin oculaire des intérieures, parce qu'elles lui étaient cachées, il prenait néanmoins un grand soin d'en découvrir les extérieures, qui étaient si hautes et si parfaites, qu'elles suffisaient pour tourmenter l'orgueil et l'indignation de cet ennemi envieux, parce que la pureté et la sainteté de la jeune Marie l'offensaient au delà de tout ce qu'on en peut dire.

687. Poussé par cette fureur, il assembla un conciliabule dans l'enfer, pour consulter sur cette affaire les plus qualifiés d'entre les esprits de ténèbres; et, les ayant convoqués, il leur tint ce discours : a Je crains que le grand triomphe que nous nous sommes acquis jusqu'à présent dans le monde par la possession de tant d'âmes que nous y soumettons à notre volonté, ne soit abattu et humilié par une femme : nous ne pouvons ignorer ce danger, puisque nous l'avons connu dans notre création, et qu'ensuite la sentence nous a été prononcée, que la femme nous écraserait la tête (1); ainsi il nous faut être sur nos gardes et ne nous pas négliger. Vous avez eu déjà connaissance des grandes perfections d'une fille qui est née d'Anne, et qui, croissant en âge, croît aussi en toutes sortes de vertus j'ai considéré avec attention toutes ses actions, ses

 

(1) Gen., III, 15.

 

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mouvements et ses oeuvres, et je n'y ai pas pu découvrir, dans le temps auquel les passions naturelles se font communément ressentir, les moindres effets de notre mauvaise semence et-de notre malice victorieuse, comme dans les autres enfants d'Adam. Je la vois toujours modeste et très-parfaite, sans la pouvoir-porter ni réduire aux puérilités peccamineuses et humaines ou naturelles des autres enfants; c'est pourquoi toutes ces marques me font douter et craindre en même temps qu'elle ne soit l'élue pour être la Mère de Celui qui se doit faire homme.

688. « Mais je ne puis me persuader que cela soit, puisqu'elle est née comme les autres, soumise aux lois communes de la nature; ses parents ont fait des prières et des offrandes pour eux et pour elle, afin que le péché leur fût pardonné, ayant même été portée au Temple comme les autres filles. Néanmoins, bien qu'elle ne soit point l'élue, elle a pourtant dans son enfance de grands principes qui nous menacent, et qui promettent une vertu et une sainteté distinguée; je ne puis supporter ses manières si prudentes et si discrètes. Sa sagesse me tourmente, sa modestie m'irrite, sa patience me choque, et son humilité me détruit et m'opprime; enfin tout ce qui est en elle me jette dans une fureur qui m'est insupportable, et j'ai plus d'horreur pour elle que pour tous les autres enfants d'Adam. Elle a une certaine vertu singulière qui m'empêche de l'approcher; et si je lui envoie des tentations, elle les rejette, de sorte que tous mes soins envers elle ont été jusqu'à présent inutiles et sans effet. Il nous faut

 

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remédier à ceci et y employer tous nos efforts, si nous voulons éviter la ruine de notre monarchie : je désire plus la perte de cette seule âme que de tout le monde ensemble. Dites-moi donc maintenant, quels moyens et quelles mesures prendrons-nous pour la vaincre et pour en venir à bout? car je promets de récompenser celui qui y réussira par des effets les plus grands de ma libéralité. »

689. La chose fut discutée dans cette confuse synagogue, qui n'est jamais d'accord que pour notre dommage; et, entre plusieurs avis qu'on y donna, un de ces horribles conseillers dit : « Notre prince et seigneur, ne vous tourmentez pas pour une affaire de si peu de conséquence, car il n'est pas possible qu'une faible et jeune fille soit aussi invincible et puissante que nous tous, qui vous suivons. Vous avez trompé Ève en la faisant déchoir de l'état heureux où elle était (1), et par elle vous avez vaincu Adam, son chef. Or, comment ne vaincrez-vous pas cette enfant, leur descendante, qui est née après leur première chute? Promettez-vous dès maintenant cette victoire, et, pour l'obtenir, déterminons-nous à la tenter avec persévérance et à ne perdre point courage, quoiqu'elle y résiste plusieurs fois; et s'il faut que nous dérogions en quelque chose à notre grandeur et présomption, que cela ne nous arrête point, pourvu que nous venions à bout de la tromper; et si cela ne suffit, nous tâcherons de lui faire perdre l'honneur et la vie. »

 

(1) Gen., III, 4.

 

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690. Ensuite il y eut d'autres démons qui dirent à Lucifer : « Nous avons expérimenté, ô grand prince, que c'est un puissant moyen de nous servir des autres créatures pour précipiter plusieurs âmes; cette voie est la plus efficace pour opérer ce que nous ne pouvons par nous-mêmes : c'est par là que nous tramerons la ruine de cette femme, observant, pour y réussir, le temps et les conjonctures les plus propres qu'elle nous présentera par sa conduite. Et surtout il nous importe d'employer tout notre savoir pour lui faut perdre une fois la grâce par quelque péché, et, lorsqu'elle sera privée de ce secours et de cette protection des justes, nous la persécuterons et la vaincrons; car étant seule, elle ne se pourra pas délivrer de nos mains; et ensuite nous tâcherons de la jeter dans le désespoir du pardon. »

691. Lucifer agréa les avis que lui donnèrent ses sectateurs et coopérateurs de la méchanceté, et commanda aux plus savants en malice de l'accompagner, se constituant de nouveau le chef d'une entreprise si difficile, car il ne la voulut confier qu'à sa propre conduite; et bien que Lucifer fût assisté par d'autres démons, néanmoins il se trouva toujours le premier à tenter Marie et son très-saint Fils lorsqu'il fut dans le désert, et dans tout le cours de leur vie, comme nous le verrons en continuant celle-ci.

692. Cependant notre auguste Princesse continuait dans les afflictions et dans la douleur de l'absence de son bien-aimé, lorsque cette troupe infernale l'assaillit de tout côté pour la tenter. Mais la vertu divine

 

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qui la protégeait empêcha les efforts de Lucifer, afin qu'il ne pût s'en approcher de trop près ni exécuter tout ce qu'il projetait; néanmoins, par la permission du Très-Haut, ils attaquaient les puissances de son âme de quantité de troubles remplis de malice et d'iniquité, parce que le Seigneur voulut bien permettre que la Mère de la grâce fût aussi tentée en toute manière, sans aucun péché pourtant, comme son très-saint Fils le devait être dans la suite (1).

693. On ne saurait concevoir ce que le coeur de Marie souffrit dans ce nouveau combat, se voyant environnée de tentations si étranges et si éloignées de sa sainteté ineffable et de la sublimité de ses divines pensées. Et comme l'ancien serpent reconnut notre très-sainte Dame affligée et tout en pleurs, il prétendit par là d'avoir fort avancé ses affaires, aveuglé qu'il était de son orgueil, et parce qu'il ignorait le secret du ciel. Mais, animant ses ministres infernaux, il leur dit : « Poursuivons, poursuivons-la maintenant, car il semble que nous venons déjà à bout de nos intentions; elle est plongée dans la tristesse, grand chemin du désespoir. » Et dans cette erreur où ils étaient, ils lui envoyèrent de nouvelles tentations de crainte et de méfiance, et l'attaquèrent sans relâche, quoique toujours en vain; car plus on frappe la pierre de la généreuse vertu; plus elle envoie d'étincelles et de feu du divin amour. Notre invincible Reine fut si supérieure et si immobile aux attaques de l'enfer, que

 

(1) Hebr., IV, 15.

 

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son intérieur n'en avant pas pu être troublé ni même ébranlé, elles ne servirent que pour la fortifier davantage dans le retranchement de ses vertus incomparables, et pour faire élever toujours plus la flamme du divin embrasement d'amour qui brûlait dans son coeur.

694. Comme le dragon ignorait la sagesse et là prudente cachée de notre Princesse, quoiqu'il la reconnût forte et inébranlable dans ses puissances, et ressentit la résistance de la vertu divine, son ancien orgueil persévérait néanmoins, attaquant la Cité de Dieu par des manières diverses et par de différentes batteries. Nais, bien que l'ennemi rempli de ruses mît en usage toutes ses machines avec autant de vigueur que d'artifice, elles ne firent pourtant non plus d'effet que celles d'un faible fourmi contre un mur de diamant. Notre Princesse était la femme forte à laquelle le cœur de son Époux pouvait se fier, sans crainte d'être trompé dans ses désirs. La force, la pureté et la charité dont elle était armée, embellie et revêtue, lui servaient d'ornement (1). Le superbe et immonde serpent ne pouvait supporter cet objet, dont la vue l'éblouissait et le troublait par une nouvelle confusion ; ainsi il se détermina à lui ôter la vie, animant toute cette troupe de malins esprits à faire leurs derniers efforts pour en venir à bout. Ils employèrent quelque temps à cette entreprise, qui fut aussi vaine que les autres.

 

(1) Prov., XXXI, 11 et 25.

 

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695. La connaissance d'un mystère si caché m'a causé une grande admiration, considérant jusqu'où la fureur de Lucifer s'étendit contre la très-sacrée Vierge dans ses premières années; et, par un autre endroit, la secrète et vigilante protection du Très-Haut pour la défendre. Je vois combien le Seigneur était attentif à protéger son Épouse, son Élue et son unique entre les créatures, et je regarde en même temps tout l'enfer converti en fureur contre elle, pour lui faire ressentir les prémices de la plus grande indignation qu'il eût exercée jusqu'alors envers aucune autre créature, et avec quelle facilité le pouvoir divin dissipe tous le efforts et tous les artifices infernaux. O plus qu'infortuné et misérable Lucifer, combien la grandeur de ton orgueil et de ta témérité surpasse-t-elle celle de ta force (1) ! Tu es trop faible et trop petit pour une si extravagante présomption; commence de te défier de toi-même, et ne te promets point tant de triomphes; puisqu'une jeune et tendre fille t'a écrasé la tète et t'a vaincu en toutes les manières, avoue que tu vaux peu de chose, et que tu n'en sais pas davantage, puisque tu as ignoré le plus grand secret du Roi, et que son pouvoir t'a humilié par l'instrument que tu méprisais le plus, qui est une jeune et faible fille par sa propre nature. Oh! que ton ignorance serait grande si les mortels se prévalaient de la protection du Très-Haut, de l'exemple, de l'imitation et de l'intercession de cette victorieuse et triomphante Reine des anges et des hommes

 

(1) Isa., XVI, 8.

 

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696. La très-forte et très jeune Marie était dans de continuelles et ferventes prières parmi ces successives tentations et ces combats obstinés; elle y disait au Seigneur : « A cette heure, mon Dieu, que je suis dans la tribulation, vous serez avec moi; à cette heure

que je vous invoque de tout mon coeur et que je a cherche vos justifications, vous exaucerez mes demandes (1); maintenant que je souffre de si grandes violences, vous répondrez pour moi (2). Vous êtes mon Seigneur et mon Père , ma force et mon refuge; vous me tirerez par votre saint Nom du danger, vous me conduirez par le chemin assuré, et m'entretiendrez comme votre fille. » Elle rappelait aussi dans son esprit plusieurs mystères de la sainte Écriture, et singulièrement les psaumes qui parlent contre les ennemis invisibles (3), et c'est par ces armes invincibles quelle combattait et vainquait Lucifer, avec des complaisances inconcevables du Seigneur, et de très-grands mérites pour elle, sans perdre en la moindre chose la paix, la fermeté et la tranquillité intérieure, auxquelles elle se fortifiait toujours plus, ayant sans cesse son très-pur esprit dans les hauteurs célestes.

697. Après avoir triomphé de ces tentations, elle commença d'entrer dans un nouveau combat, que le serpent lui livra par l'entremise des créatures,, et cet esprit malicieux envoya pour cela quelques étincelles d'envie et d'émulation contre la très-sainte vierge

 

(1) Ps. CX, 16; CXVIII, 145. — (2)Isa., XXXVIII, 14. — (3) Ps., XXX, 14.

 

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dans le coeur de ses compagnes qui se trouvaient dans le Temple. Le remède de ce poison était d'autant plus difficile, qu'il procédait de la ponctualité avec laquelle notre auguste Princesse s'avançait à l'exercice de toutes les vertus, croissant en sagesse et en grâce devant Dieu et devant les hommes; car, où l'ambition de l'honneur pique, les lumières mêmes de la vertu aveuglent le jugement, et y allument ensuite la flamme de l'envie. Le dragon suscitait à ces pauvres, filles plusieurs pensées qui leur persuadaient qu'en vue des vertus éclatantes de la très-pure Marie, elles étaient obscurcies et peu estimées; que leurs propres négligences y étaient mieux connues de la maîtresse et des prêtres, et que la seule Marie serait préférée de chacun dans toutes les occasions.

198. Les compagnes de notre Reine ouvrirent leur coeur à cette mauvaise semence et la laissèrent croître, comme imprudentes et peu exercées qu'elles étaient dans les combats spirituels, jusqu'à ce qu'elle fût changée en une aversion intérieure contre la très-pure Marie. Cette haine passa à l'indignation, avec laquelle elles la voyaient et la fréquentaient, ne pouvant supporter la modestie de cette innocente colombe, parce que le dragon incitait ces filles mal avisées, les revêtant de la même fureur qu'il avait conçue contre la Mère des vertus. La tentation se fortifiant toujours plus, ne tarda pas à éclater par les effets; ces filles vinrent à se la communiquer entre elles, ignorant de quel esprit elles étaient prévenues, dans cette conférence elles résolurent d'inquiéter et de

 

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persécuter la Reine de l'univers, qu'elles ne connaissaient pas, jusqu'à prétendre de la faire chasser du Temple, et l'ayant tirée à part, elles lui dirent des paroles fort rudes, la traitant d'une manière fort hautaine, de brouillonne, d'hypocrite, et qu'elle ne songeait qu'à acquérir par ses artifices les bonnes grâces de la maîtresse et l'approbation des prêtres, et à leur rendre toutes sortes de mauvais offices par ses murmures, exagérant même les moindres fautes qu'elles faisaient, ne considérant pas qu'elle était la plus inutile de toutes, et que pour ce sujet elles la regardaient comme un petit démon.

699. La très-prudente Vierge ouït toutes ces injures et plusieurs autres sans se troubler aucunement; elle leur répondit avec une profonde humilité : « C'est avec justice, mes chères compagnes, que vous me tenez ces discours, car je suis véritablement la moindre et la plus imparfaite de toutes; mais vous, mes sueurs, vous devez pardonner mes fautes comme étant mieux avisées, et m'enseigner  dans mon ignorance, me conseillant dans toutes les occasions, afin que je sois assez heureuse que de pratiquer ce qui sera le plus saint et le plus agréable à votre goût. Je vous prie, mes bonnes amies, de ne me pas refuser votre amitié, quoique je sois si inutile, et d'être persuadées que je veux bien faire tout ce que je pourrai pour la mériter, car je  vous aime et je vous honore comme votre très humble servante, et je le ferai en tout ce en quoi il vous plaira faire l'épreuve de ma bonne volonté.

 

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Commandez-moi donc, mes chères sueurs, et dites moi ce que vous souhaitez que je fasse. n

700. Ces humbles et douces raisons de la très-patiente Marie n'amollirent point le tueur endurci de ses compagnes, possédées de la même rage que le dragon avait conçue contre elle; au contraire: s'irritant toujours plus, il les incitait et les irritait aussi, afin que la morsure et le venin du serpent, répandu contre la femme qui avait été un grand signe dans le ciel (1), s'irritassent davantage par la douceur' du remède. Cette persécution dura plusieurs jours, sans que l'humilité, la patience et la modestie de l'auguste Reine fussent assez puissantes pour diminuer la haine de ses compagnes: au contraire, le démon leur inspira encore plusieurs mouvements remplis de témérité, afin qu'elles missent les mains sur la très-innocente brebis, la maltraitassent et lui ôtassent même la vie. Mais le Seigneur ne permit pas que des pensées si sacrilèges fussent exécutées; tout ce qu'elles purent faire fut de l'injurier et de la pousser en passant. Tout cela se passait en secret, sans que la maîtresse ni les prêtres en eussent connaissance. Cependant la très-sainte Vierge acquérait des mérites incomparables et de riches dons du Très-Haut par l'occasion qu'elle recevait d'exercer toutes les vertus envers sa divine Majesté et envers les mêmes créatures qui la persécutaient. Elle pratiqua à leur égard des actes héroïques de charité et d'humilité, rendant le bien

 

(1) Apoc., XII, 15.

 

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pour le mal, les bénédictions pour les malédictions; les supplications pour les blasphèmes (1), et accomplissant en toutes choses le plus parfait et le plus élevé de la loi divine. Envers le Très-Haut elle exerça les plus excellentes vertus, elle pria pour celles qui la maltraitaient, et s'humilia comme si. elle eût été la plus abjecte et la plus digne des injures qu'elle recevait, causant en cela de l'admiration aux anges; et nous pouvons dire que tout ce qu'elle fit dans jette (encontre surpassait l'entendement humain et le plus haut mérite des séraphins.

701. Il arriva un jour que ces filles étant enivrées de la tentation diabolique, emmenèrent notre jeune Princesse dans une chambre des plus retirées, et croyant y être en toute liberté, elles la chargèrent l'imprécations et d'outrages atroces, afin d'aigrir sa douceur et d'ébranler sa modestie immobile par quelque emportement indiscret. Mais comme la Reine des vertus ne pouvait être, même pour un instant, esclave d'aucun défaut, sa patience se montra plus invincible lorsqu'elle fut plus nécessaire : ainsi elle leur répondit avec plus de douceur et de bénignité. Étant extrêmement fâchées de ne pouvoir arriver à leur fin, elles haussèrent la voix d'une manière si 'extraordinaire , que, se faisant entendre dans le Temple contre la coutume, elles y causèrent une grande nouveauté et une étrange confusion. Les prêtres et la maîtresse accoururent au bruit, et le

 

(1) I Cor., IV, 13.

 

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Seigneur donnant lieu à cette nouvelle affliction dé son Épouse, ils demandèrent avec sévérité la causé de ce trouble. Et la paisible colombe se taisant, les autres filles répondirent avec beaucoup d'indignation et dirent : « Marie de Nazareth nous inquiète toutes par son terrible naturel, et nous insulte en votre absence de telle sorte, que si elle ne sort du Temple; il ne nous sera pas possible de vivre en paix avec elle. Si nous la supportons elle est hautaine, et si nous la reprenons elle se moque de nous, se prosternant à nos pieds avec une humilité feinte, et ensuite elle nous brouille ensemble par ses murmures. »

702. Les prêtres et la maîtresse menèrent la Reine de l'univers à une autre chambre, et là ils la reprirent avec une sévérité proportionnée à la créance qu'ils donnèrent alors à ses compagnes; et après l'avoir exhortée de se corriger et d'agir comme l'où devait agir dans la maison de Dieu, ils la menacèrent que si elle ne le faisait, ils la congédieraient du Temple. Cette menace fut le plus grand châtiment qu'on lui pouvait donner, comme si elle eût été coupable, étant pourtant innocente en toutes les manières. Ceux qui recevront l'intelligence et la lumière du Seigneur pour connaître quelque partie de la très profonde humilité de l'auguste Marie, comprendront quelque chose des effets que ces mystères causaient dans son cœur très-bon, parce qu'elle se croyait la plus, abjecte des enfants d'Adam, la plus indigne de vivre parmi eux et de marcher même sur la terre. La très-prudente Vierge s'attendrit un peu par cette menace,

 

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et, mêlant ses paroles avec ses larmes, elle répondit aux prêtres ; « Mes seigneurs, je vous remercie de la faveur que vous me faites de me reprendre et de m'enseigner, comme la plus imparfaite et la plus digne de correction; mais je vous supplie de me pardonner, puisque vous êtes les ministres du Très-Haut, de dissimuler mes fautes et de me conduire en toutes choses, afin que dans la suite je puisse mieux plaire à sa divine Majesté et à mes sœurs, que je n'ai fait jusqu'à présent; c'est ce que je propose de nouveau avec la grâce du Seigneur, et je commente dès maintenant. »

703. Notre Reine ajouta d'autres raisons remplies de sincérité et de modestie, de sorte que la maîtresse et les prêtres la laissèrent, après l'avoir avertie de nouveau de ce en quoi elle était très-savante. Elle s'en alla incontinent joindre ses compagnes, et, se prosternant à leurs pieds, elle leur demanda pardon, comme si les fautes qu'on lui imputait eussent pu se trouver en elle, qui était la Mère de l'innocence. Alors elles la reçurent avec quelque douceur, croyant que ses larmes étaient des effets du châtiment et de la correction des prêtres et de la maîtresse, qu'elles avaient réduits à leurs mauvaises intentions. Le dragon, qui tramait secrètement cette insigne méchanceté, augmenta la fierté de toutes ces filles, élevant leurs cœurs imprudents à une plus grande témérité; et, comme elles avaient déjà fait quelque impression dans celui des prêtres, elles continuèrent avec plus d'effronterie de tâcher de leur faire perdre, par de nouvelles inventions, l'estime qui leur

 

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pouvait encore rester pour la très-sainte Vierge. Elles inventèrent pour cela de nouveaux mensonges par l'impulsion du même démon; mais le Très-Haut ne souffrit jamais qu'on dit ni présumât des choses fort considérables ni indécentes de celle qu'il avait choisie pour être Mère très-sainte de son Fils unique. Il permit seulement que l'indignation et la tromperie des filles du Temple exagérassent beaucoup quelques petites fautes qu'elles avaient controuvées, et que leur malice lui imputait; toutes ces subtilités ne servirent qu'à découvrir leur méchanceté, qui, étant jointe aux réprimandes de la maîtresse et des prêtres, donnait occasion à notre très-humble et très-innocente Marie d'exercer les vertus et d'accroître les dons du Très-Haut et ses propres mérites.

704. Tout ce que notre Reine faisait était agréable aux yeux du Seigneur, qui trouvait ses délices dans la très-suave odeur de cet humble nard (1), méprisé et maltraité des créatures qui ne le connaissaient pas. Elle redoublait ses plaintes et ses larmes par la longue absence de son bien-aimé; et dans une de ces occasions elle lui dit ; « Mon souverain bien et Seigneur  des miséricordes infinies, on ne doit pas être sur pris si toutes les créatures me baissent et s'arment contre moi, puisque vous, qui êtes mon Maître et  mon Créateur, m'avez abandonnée. Mon ingratitude  envers vos bienfaits mérite bien plus de rigueur;   mais je vous reconnais et vous avoue toujours pour

 

(1) Cant., I, 11.

 

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mon, refuge et mon trésor : vous seul êtes ma richesse, mon bien-aimé et mon repos; et si vous  m'êtes tout cela et que vous soyez absent de moi, comment est-ce que mon coeur affligé pourra se consoler et s'apaiser? Les créatures font ce qu'elles doivent à mon égard; elles n'arrivent pas même à me traiter comme je le mérite, parce que vous êtes doux à affliger et très-libéral à récompenser. Faites, mon Seigneur et mon Père, une juste compensation  de mes négligences avec la douleur que votre absence me cause, et rendez avec largesse le bien que a vos créatures me procurent, en m'obligeant à toua paître toujours plus votre bonté et ma bassesse; élevez, Seigneur, l'indigente de la poussière (1); renouvelez celle qui est la plus abjecte des créatures, et faites que je voie votre divine face, et je serai sauvée (2). »

705. Il n'est pas possible ni même nécessaire de raconter tout ce qui arriva à notre grande Reine dans cette épreuve de ses vertus; mais, la laissant en elle-même pour le présent, nous dirons qu'elle est un modèle animé qui nous doit enseigner à supporter avec joie les plus rudes tribulations, puisque nous sommes dans la nécessité de recevoir de très-rigoureuses peines et de très-dures afflictions pour satisfaire à nos péchés et dompter notre orgueil sous le joug de la mortification. Notre très-innocente colombe ne commit aucun péché, il ne se trouva aucune faute en elle, et elle souffrit

 

(1) I Reg., II, 8. — (2) Ps. LXXIX, 4.

 

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avec un humble silence et une patience inébranlable d'être gratuitement haïe et persécutée. Soyons donc confondus en sa présence, nous qui prenons la moindre injure pour une offense irréparable (quoiqu’elles doivent être toutes légères à ceux qui se sont attiré la colère de Dieu), n'ayant même aucun repos que nous ne nous en soyons vengés. Le Très-Haut pouvait éloigner de son élue et de sa Mère toute sorte de persécution; mais s'il eût usé en cela de son pouvoir, il ne l'eut pas manifesté en se conservant celle qui était persécutée, il ne lui aurait pas donné des gages si assurés de son amour, ni elle n'aurait pas joui du doux fruit d'aimer ses ennemis et ses persécuteurs. Nous nous rendons indignes de tant de biens lorsque, dans les injures qu'on nous fait, nous élevons la voix contre les créatures, et le coeur orgueilleux contre Dieu même, qui les gouverne en toutes choses, et elles ne veulent point s'assujettir à leur Créateur et à leur justificateur, qui sait et connaît ce dont elles ont besoin pour faire leur salut.

 

Instruction de la Reine du ciel.

 

706. Puisque vous faites réflexion, ma fille, sur le modèle qu'on peut trouver dans ces événements, je veux qu'il vous serve d'instruction, afin que vous la conserviez avec estime dans votre coeur, le disposant

 

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à recevoir avec joie les persécutions et les calomnies des créatures, quand vous aurez le bonheur de participer à ce bienfait. Les enfants de perdition, aveuglés de la vanité qu'ils suivent, ne découvrent pas le trésor que la souffrance et le pardon des injures renferment; ils font gloire de la vengeance, qui est même, selon la loi naturelle, la plus grande des bassesses et le plus noir de tous les vices, parce qu'elle part d'un cœur inhumain et s'oppose le plus il. la raison : au contraire, celui qui les pardonne et les oublie, quoiqu'il n'ait pas la foi divine ni la lumière de ]'Évangile, devient par cette magnanimité comme roi de la même nature, parce qu'il reçoit d'elle ce qui en est le plus noble et le plus excellent, et n'est point sujet à l'infâme tribut de se rendre irraisonnable par la vengeance.

707. Que si le vice de la vengeance s'oppose si fort à la même nature, considérez, ma chère fille, quelle opposition il y aura entre elle et la grâce, et combien le vindicatif sera odieux et horrible aux yeux de mon très-saint Fils, qui se fit homme passible, et qui ne mourut et souffrit que pour pardonner, et qu'afin que le genre humain obtint le pardon des injures commises contre le même Seigneur. La vengeance s'oppose à cette intention, à ses œuvres, à sa propre nature, à sa bonté infinie, et elle détruit en quelque façon Dieu, du moins autant qu'il dépend du vindicatif; ainsi il mérite que Dieu emploie tout son pouvoir pour l'anéantir. Il y a la même différence entre celui qui pardonne les injures et le vindicatif, qu'entre le Fils unique et

 

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l'ennemi de nos âmes : celui-ci provoque toute la force de l'indignation de Dieu, et l'autre mérite et acquiert tous les biens, parce qu'il est en cette grâce la très-parfaite image du Père céleste.

708. Je veux que vous sachiez , ma fille, que le Seigneur agréera plus de vous voir souffrir et pardonner les injures avec un coeur tranquille pour son amour que si vous faisiez par votre choix de rudes pénitences et versiez même votre propre sang. Humiliez-vous envers ceux qui vous persécutent, aimez-les et priez pour eux de tout votre coeur ; par cette pratique votre amour s'attirera le coeur de Dieu , vous monterez au degré le plus parfait de la sainteté et vous vaincrez tout l'enfer. Par mon humilité et ma douceur je confondais ce grand dragon, persécuteur des hommes; sa fureur ne pouvait supporter ces vertus, qui le chassaient de ma présence plus vite que la foudre; ainsi je remportai par leur moyen de grandes victoires pour mon âme et de glorieux triomphes pour l'exaltation de la Divinité. Quand quelque personne s'emportait contre moi , je ne concevais aucune indignation contre elle, parce que je connaissais fort bien qu'elle était un instrument du Très-Haut, dont sa divine providence se servait pour  mon propre avantage; cette connaissance et la considération que je faisais , qu'elle était créature de mon Seigneur et capable de sa grâce, m'inclinaient et me forçaient même à l'aimer avec sincérité , et je n'étais point en repos que je ne lui eusse procuré, autant qu'il m'était possible , le salut éternel en récompense de ce bienfait.

 

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709. Tâchez donc d'imiter ce que vous avez découvert et écrit; montrez-vous très-douce, très-pacifique et très-agréable à ceux qui vous seront importuns ; faites-en une estime particulière, et gardez-vous de prendre vengeance du même Seigneur en la prenant de ses instruments; ne méprisez point la précieuse perle des injures, et autant qu'il dépendra de vous, rendez toujours le bien pour le mal, le bienfait pour les offenses, l'amour pour la haine, la louange pour les opprobres, la bénédiction pour les imprécations, et vous serez fille parfaite de vôtre Père (1), épouse bien-aimée de votre Maître, mon amie et ma très-chère.

 

CHAPITRE XIX. Le Très-Haut découvrit aux prêtres l'innocence de la très-sainte Vierge, et à elle-même que heureuse mort de sa mère sainte Anne s'approchait, à laquelle elle se trouva.

 

710. Le Très-Haut ne dormait point (2) parmi les douces plaintes de sa très-chère épouse Marie : au contraire, il leur donnait toutes ses attentions, quoiqu'il lit semblant de ne les pas entendre, à cause des

 

(1) Rom., XII, 14; Matth., V, 48. — (2) Ps., CXX, 4.

 

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grandes complaisances qu'il prenait de la voir continuer avec tant de constance dans l'exercice de ses peines, qui lui procuraient de si glorieux -triomphes et causaient tant de nouveaux sujets d'admiration et de louange aux esprits angéliques. Le feu lent de cette persécution dont nous venons de parler, durait toujours, afin que la divine Marie se renouvelât comme un phénix dans les cendres de son humilité, et que son très-amoureux coeur et son très-pur esprit renaquissent en un être et en un état nouveau de la divine grâce. Mais quand le temps auquel Dieu avait déterminé d'arrêter l'envie et l'émulation aveugle de ces filles déçues fut arrivé, ne voulant pas permettre que leurs puérilités fissent perdre le crédit à celle qui devait être l'honneur et la beauté de toute la nature et de la grâce , alors ce miséricordieux Seigneur parla en songe au prêtre, et lui dit : « Ma servante Marie  est agréable à mes yeux, elle est parfaite, elle est  mon élue, et très-innocente de ce dont on l'accuse. » Anne, la maîtresse des filles, reçut la même révélation. Et sitôt qu'il fut jour le prêtre et la maîtresse se communiquèrent la lumière et l'avis qu'ils venaient de recevoir du Seigneur. Cette connaissance céleste qu'ils eurent d'avoir été trompés, leur causa une sensible douleur; ils appelèrent notre auguste Princesse, lui demandèrent pardon d'avoir trop facilement ajouté foi aux fausses accusations de ses compagnes, et lui proposèrent tous les expédients possibles pour la retirer et pour la défendre de leur persécution et des peines qu'elle en pouvait recevoir.

 

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711. Celle qui était mère de l’humilité ouït cette proposition, et répondit au prêtre et à la maîtresse : « C'est à moi que les corrections sont dues, c'est  pourquoi je vous supplie de me les continuer, puisque je les demande et les estime comme en ayant un grand besoin. La compagnie de mes  soeurs m'est fort agréable, et je veux faire tout  mon possible pour ne la pas perdre et pour la mériter, puisque je leur suis si redevable de ce qu'elles  m'y ont soufferte; et en reconnaissance de cette faveur je désire toujours plus de les servir; mais si vous me commandez quelque autre chose, je suis prête à vous obéir.» Cette réponse de l'auguste Marie confirma et consola davantage le prêtre et la maîtresse des filles; ils approuvèrent son humble demande, mais dans la suite ils en prirent un plus grand soin, la regardant avec un nouveau respect et une affection plus tendre. La très-humble Vierge demanda, selon sa coutume, au prêtre et à la maîtresse de baiser leurs mains et ensuite leur bénédiction, après quoi ils la laissèrent. Mais comme le courant d'une eau cristalline entraîne après soi les sens et la volonté de celui qui en est altéré; ainsi le coeur de notre incomparable Dame fut attiré par le désir de nouvelles souffrances, car étant altérée et embrasée de l'amour divin, elle craignait avec douleur d'être privée du riche trésor des afflictions par les expédients que le prêtre et la maîtresse avaient résolu de prendre.

712. Notre Reine se retira incontinent, et parlant au Très-Haut dans sa solitude, elle lui dit ; « Pourquoi, mon aimable Seigneur, usez-vous de tant de  rigueur envers moi? Pourquoi une si longue ab sente et un si grand oubli de celle qui ne peut vivre  sans vous? Que si dans ma triste solitude privée  de votre douce et amoureuse vue, les gages assurés   de votre amour qui étaient les petits travaux que je  souffrais pour lui, me consolaient, comment pour rai-je vivre maintenant dans les peines de votre  absence sans ce soulagement? Pourquoi, Seigneur,  me retirez-vous sitôt cette faveur? Quel autre que  vous eût pu changer le coeur des prêtres et de la  maîtresse? Mais je ne méritais pas la grâce de leurs  charitables corrections, et je ne suis pas digne de  souffrir des travaux, puisque je ne le suis pas non  plus de jouir de votre très-douce et très-désirée  présence. Si je n'ai pas su vous plaire, mon divin  Seigneur, je me corrigerai à l'avenir de mes négligences, et si vous donnez quelque soulagement à  mes peines, elles n'en pourront recevoir aucun  pendant que mon âme sera privée des délices (le o votre divine face; mais je désire, mon époux,  avec ardeur et soumission, que votre très-sainte  volonté s'accomplisse en toutes chose. »

713. Les prêtres et la maîtresse ayant été désabusés par cet avertissement, la persécution que souffrait notre souveraine Princesse cessa; le Seigneur adoucit aussi la mauvaise humeur des filles qui la lui faisaient souffrir, arrêtant la fureur du démon qui les irritait. dais l'absence par laquelle il se cachait à sa divine

 

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Épouse dura (chose étrange) l'espace de dix ans, bien que le Très-Haut l'interrompit quelquefois, tirant le voile de sa face afin que sa bien-aimée reçût quelque soulagement; ces doux intervalles ne lui furent pourtant pas fort fréquents pendant ce temps-là, et elle ne les recevait point avec tant de caresses que dans les premières années de son enfance. Cette absence du Seigneur fut convenable, afin que notre Reine se disposât par l'exercice de toutes les vertus et avec une perfection accomplie, à la dignité à laquelle le Très-Haut la destinait; que si elle eût joui toujours de la vue de sa divine Majesté par les manières qui lui étaient successivement et si souvent communiquées dans le temps de son enfance (comme nous avons déjà déclaré au chapitre XIVe de ce livre), elle n'eût pas pu souffrir par l'ordre commun de pure créature.

714. Néanmoins, quoique les visions intuitives et abstractives de la divine essence, et celles des anges, dont il a été parlé au même chapitre, fussent suspendues pour la très-sainte Vierge dans cette sorte d'absence du Seigneur, son âme et ses, puissances ne laissaient pas d'avoir plus de dons, de grâces et de lumière surnaturelle que tous les saints ensemble, parce qu'en cela la main du Très-Haut ne fut jamais raccourcie envers elle; mais par rapport aux visions fréquentes de ses premières années, j'appelle absence du Seigneur le temps considérable qu'elle en fut privée. Elle commença de souffrir cette absence huit jours avant la mort de son père saint Joachim ; incontinent après elle ressentit les persécutions que les

 

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esprits infernaux avaient résolu de lui faire tant par eux-mêmes que par le moyen des autres créatures, de sorte que ces peines accompagnèrent notre aimable Princesse jusqu'à la douzième année de son, age, à laquelle étant arrivée elle ouït un jour les saints anges, qui lui dirent sans pourtant se manifester à elle ; « Marie, la fin de la vie de votre sainte mère Anne s'approche, le Très-Haut a déterminé de la  délivrer de la prison du corps mortel, et de donner  une heureuse fin à ses travaux et à ses peines. »

715. Le coeur de la pitoyable fille fut attendri par ce nouveau et douloureux avis; et se prosternant en la présence du Très-Haut, elle fit une fervente prière pour la bonne mort de sa sainte mère, et elle dit : « Roi des siècles, invisible et éternel, Seigneur immortel et puissant, Créateur de l'univers; bien que   je ne sois que cendre et que poussière, (1), et que  j'aie sujet de croire avoir déplu à votre divine  Majesté, je ne laisserai pas pour cela de parler à   mon Seigneur et de répandre mon coeur en sa présence, espérant, mon Dieu, que vous ne mépriserez pas celle qui a toujours confessé votre saint  nom. Envoyez, Seigneur, en paix votre servante,  qui a désiré avec une foi invincible et avec une   espérance ferme, d'accomplir votre divine volonté. Faites qu'elle sorte de ce monde victorieuse et  triomphante de ses ennemis, et qu'elle aille su  port assuré de vos saints élus, que votre puissant

 

(1) Gen., XVIII, 27.

 

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bras la fortifie, et que cette même droite qui a rendu ses voies parfaites l'assiste dans la fin de la  course de notre mortalité, afin qu'elle repose, mon divin Père, en la paix de votre grâce et de votre amitié, elle qui l'a toujours procurée de toutes les forces de son coeur. »

716. Le Seigneur ne répondit point sensiblement à cette demande de sa bien-aimée; mais la réponse fut une faveur admirable qu'il fit et à la fille et à la mère. Car cette même nuit sa divine Majesté commanda aux anges de la très-sainte Vierge de la porter réellement à la présence de sa mère malade, et qu'un d'entre eux tint sa place en prenant un corps aérien de sa même forme. Les anges obéirent au divin commandement , et ils portèrent leur Reine et la nôtre à la chambre de sa mère sainte Anne. Sitôt qu'elle y fut elle s'approcha d'elle avec beaucoup de respect, elle lui baisa la main, et lui dit ; « Ma très-chère mère et très-honorée dame, le Seigneur soit votre lumière et votre force, et soit béni, puisqu'il n'a  pas voulu , par un effet de son infinie bonté, que je  fusse privée du bonheur de votre dernière bénédiction. Accordez-la-moi , je vous en prie, ma très-chère mère, et consolez de cette faveur cette pauvre nécessiteuse. » Sainte Anne lui donna sa bénédiction, et rendit grâces avec une intime affection au Seigneur d'uni tel bienfait, comme celle qui connaissait le mystère de sa fille et de sa Reine; elle la remercia aussi de l'amour qu'elle venait de lui témoigner dans une telle occasion.

 

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717. Ensuite notre Princesse adressant sa vue et ses affections à sa sainte mère, la disposa à recevoir la mort avec courage, et entre plusieurs raisons d'une très-grande consolation qu'elle lui allégua, elle lui dit celles-ci; « Ma très-chère mère, il faut que nous passions par la porte de la mort pour arriver à la vie  éternelle que nous espérons; ce passage est amer  et pénible, mais fructueux, parce qu'on le reçoit par le bon plaisir divin, parce qu'il est le principe de la sûreté et du repos, et parce que la créature  satisfait aussi par son moyen aux négligences et aux manquements quelle a commis en ne vivant pas avec toute la perfection qu'elle devait. Recevez, ma bonne mère, la mort; payez par elle la dette commune avec joie, et partez assurée pour aller à la compagnie de nos saints pères les patriarches, les prophètes, les justes et amis de Dieu, où vous attendrez avec eux la rédemption que le Très-Haut nous enverra par le moyen de notre Sauveur, son salutaire; la certitude de cette espérance servira de soulagement jusqu'à ce que la possession du bien que nous espérons tous arrive.»

718. Sainte Anne répondit à sa très-sainte fille avec un amour réciproque, et avec une consolation digne d'une telle mère et d'une telle fille dans cette occasion; elle lui dit avec une tendresse maternelle : « Marie, ma chère fille, acquittez-vous maintenant  de ce que vous me devez; ne m'oubliez pas en la  présence de notre Dieu et de notre créateur; représentez-lui le besoin que j'ai de sa divine protection

 

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en cette heure; souvenez-vous des obligations  que vous m'avez, puisque je vous ai conçue et  portée neuf mois dans mon sein, et qu'ensuite je  vous ai nourrie de ma propre substance, et vous  garde toujours dans mon coeur. Demandez, ma fille, au Seigneur qu'il étende, la main de ses miséricordes infinies sur cette créature inutile qui en a est sortie, et qu'il me fasse part de sa bénédiction en cette heure de ma mort; puisque toujours comme maintenant toute ma confiance n'a été qu'en son saint nom, ne m'abandonnez pas, mon cher   cœur, jusqu'à ce que vous ayez fermé mes yeux Vous demeurez orpheline et sans aucun secours  humain; mais vous vivrez en la protection du Très Haut, et vous espérerez en ses miséricordes anciennes. Marchez, ma chère fille, par le chemin des justifications du Seigneur (1), et demandez à sa divine Majesté qu'elle gouverne vos affections et vos puissances, et qu'elle soit le maître qui vous enseigne sa sainte loi. Ne sortez pas du Temple avant que d'avoir embrassé un état, et que cela soit par le sage conseil des prêtres du Seigneur, et après avoir demandé continuellement à Dieu a qu'il dispose de tout ce qui vous regarde selon son  bon plaisir, et de vous donner, si c'est sa volonté,  un époux de la tribu de Juda et de la lignée de David. Vous ferez part aux pauvres (envers lesquels vous serez libérale et charitable) des biens de

 

(1) Ps. CXVIII, 27.

 

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votre père Joachim et des miens, qui vous appartiennent. Vous garderez votre secret dans le plus intime de votre coeur, et vous demanderez incessamment au Tout-Puissant qu'il veuille par sa miséricorde envoyer au monde son salutaire, et la   rédemption par le Messie promis. Je supplie sa bonté infinie d'être votre refuge, et d'accompagner  de sa bénédiction celle que je vous donne. »

719. Parmi ces entretiens si relevés et si divins, l'heureuse mère sainte Anne ressentit les dernières douleurs de la mort, ou plutôt de la vie, et s'étant appuyée sur le trône de la grâce, qui étaient les bras de sa très-sainte fille Marie, elle rendit sa très-pure âme à son Créateur. Et après qu'elle lui eut fermé les yeux, comme sa mère le lui avait demandé, laissant le sacré corps accommodé d'une manière fort décente, les saints anges rapportèrent leur Reine dans le Temple. Le Très-Haut n'empêcha point que la force de l'amour naturel ne lui fit ressentir avec beaucoup de tendresse et dé douleur la mort de son heureuse mère, et par cette mort sa propre solitude dans laquelle elle se trouvait privée d'un tel secours: Mais ces mouvements douloureux furent en notre Reine très-saints et très-parfaits, gouvernés et réglés par la grâce de sa très-innocente pureté, et de sa très-prudente innocence, par laquelle elle loua le Très-Haut pour les miséricordes infinies qu'il avait pratiquées en la vie et en la mort de sa sainte mère; cependant ses douces et amoureuses plaintes sur l'absence du Seigneur continuaient toujours.

 

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720. La très-sainte fille ne put pas pénétrer toute la consolation que son heureuse mère reçut par sa présence à l'heure de sa mort, parce qu'elle ignorait sa propre dignité et le mystère que sa mère connaissait, ayant toujours gardé ce secret, comme le Très-Haut le lui avait commandé. Mais celle qui était la, lumière de ses yeux, et qui la devait être de tout l'univers, se trouvant à son chevet, et cette sainte malade expirant entre ses bras, elle ne pouvait pas plus désirer en sa vie mortelle pour avoir la plus heureuse fin qu'aucun des mortels eût jamais eue jusqu'à elle. Sainte Anne mourut plus remplie de mérites que d'années; et sa très-sainte âme fut placée par les anges dans le sein d'Abraham, reconnue et honorée de tous les patriarches, les prophètes et les justes qui s'y trouvaient. Cette très-sainte Dame eut naturellement un tueur grand et magnanime, un entendement clair et relevé; elle était fervente, et avec cela fort tranquille et pacifique; elle avait une médiocre taille, quelque peu au-dessous de celle de sa très-sainte fille Marie, le visage rond, les manières toujours égales et fort modestes, la couleur blanche et vermeille; enfin elle fut mère de celle qui le fut de Dieu même, et cette dignité renferme plusieurs perfections. Sainte Anne vécut cinquante-six ans, partagés en cette manière : elle en avait vingt-quatre quand elle se maria à saint Joachim; elle en passa vingt dans son mariage sans enfant, en sa quarante-quatrième année elle accoucha de la très-pure Marie, et douze qu'elle vécut après la naissance de cette

 

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Reine, dont trois en sa compagnie, et neuf que celle-ci demeura dans le Temple, font cinquante-six ans.

721. J'ai ouï dire qu'il se trouve des personnes qui tiennent que cette grande et admirable dame se maria trois fois, et qu'en chacune elle fut mère d'une des trois Maries, et que d'autres auteurs soutiennent le contraire. Pour moi j'ai reçu, par la seule bonté immense du Seigneur, une grande lumière touchant la vie de cette heureuse sainte, et il ne m'a jamais été découvert qu'elle se soit mariée à d'autres qu'à saint Joachim, ni qu'elle ait eu d'autres filles que Marie, Mère de Jésus-Christ. Peut-être qu'à cause que cela n'était pas nécessaire à l'histoire divine que j'écris il ne m'a pas été déclaré si sainte Anne fut mariée trois fois ou bien une seule fois, ou si les autres Maries, qu'on appelle sueurs, étaient cousines germaines, filles des sueurs de sainte Anne. Elle avait quarante-huit ans quand son époux Joachim mourut, et le Très-Haut la choisit et la tira d'entre celles de son sexe, afin qu'elle fût mère de Celle qui fut supérieure à toutes les pures créatures, et inférieure seulement à Dieu, mais pourtant sa propre mère; et parce qu'elle a eu cette fille, et qu'elle a été par elle aïeule du Verbe incarné, toutes les nations peuvent appeler cette très-fortunée sainte bienheureuse.

 

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Instruction de la très-sainte Vierge.

 

722. Ma fille, la plus grande science de la créature est de s'abandonner entre les mains de son Créateur, qui sait pourquoi il l'a formée et comment il la doit gouverner. Ses propres intérêts consistent à vivre dans l'obéissance et dans l'amour de son Seigneur, qui est très-fidèle envers ceux qui tâchent de lui être agréables par ces moyens; il se charge de tous les événements qui peuvent arriver à ceux qui se fient à sa vérité infaillible, afin qu'ils en sortent victorieux et avantagés. Il afflige et corrige les justes par des adversités, il les console et les vivifie par des faveurs (1), il les anime par des promesses et les intimide par des menaces; il s'absente pour augmenter toujours plus les affections de l'amour, il se manifeste pour les récompenser et les conserver, et par cette admirable variété il rend la vie des élus et. plus belle et plus agréable. C'est tout ce qui m'arrivait en ce que vous venez d'écrire, sa divine miséricorde me visitant et me préparant par diverses sortes de faveurs, par des afflictions de l'ennemi, par des persécutions des créatures, par la perte de mes parents et par l'abandonnement de tous.

723. Parmi cette diversité d'exercices le Seigneur n'oubliait pas ma faiblesse: il joignit à la douleur de la mort de ma mère la consolation de m'y trouver

 

(1) I Reg., II, 6.

 

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présente. O âme! que de biens les créatures perdent pour ne pas pénétrer cette sagesse! Elles refusent dans leurs ténèbres la conduite de la divine Providence, qui est forte, douce et efficace, qui mesure les cieux et les éléments (1), compte les pas (2), pèse les pensées, et dispose toutes choses en faveur des créatures; et cependant elles ne se confient qu'à leur propre prévoyance , qui est dure, inefficace et faible, aveugle, incertaine et précipitée. Ce mauvais principe cause des dommages irréparables à la créature, parce qu'elle-même se prive de là divine protection et renonce à l'honneur d'avoir son Dieu pour son refuge et son tuteur. Joint que s'il lui arrive d'obtenir quelquefois ce qu'elle souhaite par le moyen de la sagesse charnelle et diabolique, à laquelle elle donne toute sa confiance, alors elle se croit heureuse dans son malheur, et boit avec un sensible plaisir le mortel poison de la mort éternelle parmi les trompeuses douceurs qu'elle reçoit dans l'abandonnement et l'inimitié de Dieu.

724. Connaissez donc, ma fille, ce danger, et jetez tous vos soins sans aucune crainte en la providence de votre Dieu et Seigneur, qui, étant infini en sagesse et en pouvoir, vous aime beaucoup plus que vous ne vous aimez vous-même, et vous destine de plus grands biens que vous ne sauriez en désirer ni en demander. Fiez-vous à cette bonté et à ses promesses, qui sont fidèles et sans tromperie. Écoutez ce qu'elle dit par

 

(1) Isa.,  XL, 12. — (2) Job., XXXI, 4.

 

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son prophète au juste, que tout va bien pour lui (1), acceptant ses désirs et ses soins, et s'en chargeant pour les récompenser avec largesse. Par cette très-assurée confiance, vous arriverez pendant la vie mortelle à une participation de la béatitude dans la tranquillité et dans la paix de votre conscience; et bien que vous vous trouviez environnée des flots impétueux des tentations et des adversités, que vous soyez atteinte des douleurs de la mort et entourée des peines de l'enfer (2), espérez et souffrez avec patience, car par elle vous ne perdrez pas le port de la grâce et du bon plaisir du Très-Haut.

 

CHAPITRE XX. Le Très-Haut se manifeste à sa bien-aimée Marie, notre Princesse, par une faveur singulière.

 

725. Notre auguste Princesse ressentait déjà les approches de l'agréable jour de la vue du souverain bien qu'elle désirait avec tant d'ardeur, et elle reconnaissait en ses puissances, comme par un crépuscule avant-coureur, la force des rayons de cette lumière divine qui commençait de s'en approcher. Elle s'embrasait toute par la proximité de la flamme invisible

 

(1) Isa., V,10. — (2) Ps. XVII, 5 et 6.

 

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qui éclaire et brûle sans consumer, et son esprit étant visité par les premières impressions de cette nouvelle clarté, elle demandait à ses anges, et leur disait; « Mes amis et mes seigneurs, mes gardes très-vigilants  et très-fidèles, dites-moi quelle est l'heure de ma nuit? Quand est-ce qu'arrivera l'aurore de mon beau jour, auquel mes yeux verront le Soleil de justice qui les éclaire, et qui donne la vie à mes affections et à mon esprit? » Les princes célestes lui répondirent ; « Épouse du Très-Haut, Celui que votre coeur désire comme sa vérité et sa lumière, est  proche; il ne tardera pas beaucoup, puisqu'il commente déjà de paraître. » Par cette réponse une partie du voile qui lui cachait la vue des substances spirituelles fut ôtée, elle découvrit les saints anges, et elle les vit, comme elle avait accoutumé, en leur être propre, et sans aucun empêchement du corps ni des sens.

726. Par ces espérances qu'elle venait de recevoir, et par la vue des esprits angéliques, les pénibles désirs qu'elle avait de voir son bien-aimé s'adoucirent quelque peu. Mais cette sorte d'amour, qui cherche le très-noble objet de la volonté, ne peut être satisfait qu'avec lui; et quoique la créature qui en est atteinte soit avec les anges et avec les saints, son coeur, blessé des amoureuses flèches du Tout-Puissant, ne saurait reposer sans lui. Néanmoins notre divine Princesse, ressentant une secrète joie par la promesse qu'elle avait reçue d'être bientôt consolée, dit à ses anges ; « Princes célestes, flambeaux

 

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de la lumière inaccessible où se trouve mon bien aimé, pourquoi ai-je mérité d'être privée si longtemps de votre vue? En quoi vous ai-je déplu?  Dites-moi, messeigneurs et mes maîtres, en quoi  ai-je été négligente, afin que je ne vous perde plus  par ma faute. » Ils lui répondirent : « Souveraine Princesse et Épouse du Tout-Puissant, nous obéissons  à la voix de notre Créateur, nous nous conduisons   tous par sa sainte volonté; il nous envoie comme  des esprits qui lui appartiennent, et nous ordonne  ce qui lui plaît; il nous a commandé de nous cacher de votre vue, quand il vous priva de la sienne,  nous ordonnant pourtant d'employer tous nos  soins à vous secourir et à vous défendre sans nous manifester. Nous avons accompli ce commandement, quoique vous n'y prissiez pas garde. »

727 Dites-moi donc maintenant (leur repartit  la très-sainte Vierge) où est mon Maître, mon bien a et mon Créateur? Dites-moi si mes yeux tarderont a à le voir, ou si j'ai été assez malheureuse que de  lui déplaire en quelque chose, afin que cette très-vile créature pleuré amèrement la cause de sa  peine. Ministres et ambassadeurs du grand Roi, a ayez pitié de mon affliction amoureuse, et donnez moi des nouvelles de mon bien-aimé? » — « Tout  maintenant vous allez voir, souveraine Princesse (lui répondirent les anges), Celui que votre âme désire;  mêlez cette confiance avec votre douce peine. Notre  Dieu ne se refuse pas à ceux qui le cherchent véritablement, et avec autant d'ardeur que vous le

 

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cherchez; l'amour de sa bonté est grand, souveraine Princesse, envers ceux qui se préparent à le  recevoir; il satisfera avec largesse vos souhaits. » Les saints anges ne faisaient pas difficulté de l'appeler Souveraine, tant parce qu'ils étaient assurés de sa très-prudente humilité que parce qu'ils feignaient de confondre ce titre honorable avec celui d'Épouse du Très-Haut, ayant été témoins des épousailles que sa divine Majesté célébra avec cette Reine. Et comme sa sagesse infinie disposa que les anges, lui cachant seulement le titre et la dignité de Mère du Verbe jusqu'au temps qu'il avait déterminé, lui rendissent en tout le reste de grands honneurs, c'est pour ce sujet qu'ils lui en donnèrent plusieurs témoignages, quoiqu'ils l'honorassent beaucoup plus en secret qu'en apparence.

728. Notre auguste Princesse attendait l'arrivée de son Époux et du souverain bien parmi ces amoureux entretiens, lorsque les séraphins qui l'assistaient commencèrent à la préparer par une nouvelle illustration de ses puissances, gage assuré et disposition agréable du bien qu'elle attendait. Mais comme ces faveurs allumaient davantage la flamme ardente de son amour, ne pouvant pas encore arriver à sa fin désirée, les élans de ses amoureuses plaintes croissaient toujours plus, et dans ces élans elle dit aux séraphins ; « Esprits a suprêmes qui êtes les plus immédiats à mon bien, a miroirs très-reluisants où son divin portrait étant  représenté avec éclat, j'avais accoutumé de le regarder avec une sensible joie de mon âme, dites-moi

 

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est la lumière qui vous éclaire et qui vous  remplit de beauté ? Dites pourquoi mon bien-aimé  tarde si longtemps? Dites-moi ce qui l'empêche de  me consoler de sa présence? Si c'est par ma faute,  je me corrigerai; si c'est que je ne mérite pas l'accomplissement de mon désir, je me conformerai à  son bon plaisir, et s'il se plait en ma douleur, je la supporterai avec joie; mais, dites-moi, comment  pourrai-je vivre sans ma propre vie? comment me  pourrai je conduire sans ma lumière? »

729. Les séraphins répondant à ces douces plaintes, lui dirent ; « Souveraine Dame, votre bien-aimé ne  tarde pas lorsqu'il s'absente et s'arrête pour votre  profit et pour votre amour; puisqu'il afflige ceux  qu'il aime le plus pour les consoler, qu'il les attriste pour augmenter leur joie, et qu'il se retire   pour être trouvé. Il veut que vous semiez avec  larmes, pour recueillir ensuite avec joie le doux  fruit de la douleur; que si le bien-aimé ne se   cachait, on ne le chercherait jamais avec les soins  et les peines que son absence cause; l'âme ne renouvellerait pas ses affections, et l'estime qu'elle doit avoir de son trésor ne serait pas si grande. »

730. On lui donna cette lumière dont nous avons parlé ci-devant pour purifier ses puissances; ce n'est pas qu'elle eût aucune faute à purger, car elle n'en pouvait point commettre;. mais quoique tous ses mouvements et toutes ses opérations en cette absence du Seigneur, eussent été méritoires et saints, néanmoins ces nouveaux dons étaient nécessaires pour

 

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apaiser dans son esprit et dans ses puissances les mouvements que lui causaient les amoureuses peines qu'elle ressentait d'avoir perdu la présence du Seigneur, et pour la changer de cet état pénible où elle était en ce présent état de nouvelles et de différentes faveurs; parce que pour proportionner les puissances à l'objet et à la manière de le voir, il fallait les renouveler et les disposer. Et c'est ce que les séraphins firent en la manière que nous avons racontée su chapitre XIV° de ce livre. Ensuite le Seigneur lui donna le dernier ornement ou qualité pour la préparer à la dernière disposition immédiate et à la vision qu'il lui voulait manifester.

731. Cette sorte d'élévation causait dans les puissances de notre auguste Reine les effets et les opérations d'amour et des vertus que le Seigneur prétendait, ce qui est tout ce que j'en puis exprimer; et sa divine Majesté se trouvant parmi ces mêmes puissances, ôta le voile qui la couvrait, et après y avoir été si longtemps cachée, elle se manifesta à son épouse, à son unique et à sa bien-aimée Marie par une vision abstractive de sa divinité. Bien que cette vision fût par des espèces et non pas immédiate, elle fut pourtant très-claire et très-relevée en son genre; et le Seigneur essuya par elle les larmes continuelles de notre Reine, récompensa ses affections et ses amoureuses peines, satisfit son désir, et elle se reposa entièrement dans une abondance de délices et entre les bras de son bien-aimé (1). Ce fut là que la jeunesse

 

(1) Cant., VIII, 5.

 

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de cette aigle embrasée d'amour se renouvela (1), pour élever toujours plus son vol dans la région impénétrable de la Divinité; et elle monta si haut par les espèces, quelle conserva d'une manière admirable après cette vision, qu'aucune autre créature n'a pu .y arriver ni même le comprendre.

732. La joie que la très-pure Marie reçut dans cette vision devait être mesurée tant à l'extrème douleur par où elle avait passé, qu'aux grands mérites qu'elle avait acquis par son moyen. Pour moi, je ne Puis dire autre chose, sinon que où la douleur se trouva la plus grande, la consolation le fut aussi (2), et que la patience, l'humilité, la force, la constance, les affections et les amoureuses peines furent en Marie durant tout le temps de cette absence, plus excellentes qu’elles n'ont jamais été en aucune autre créature. Il n'y eut que cette seule et unique Dame qui sut pénétrer ce que cette sagesse avait de plus relevé, et qui sut donner le juste poids à la privation de la vue du Seigneur, et ressentir son absence avec toutes les circonstances requises; elle sut aussi le chercher avec patience, souffrir avec humilité toutes les afflictions qu'il lui envoyait et les supporter avec force, le glorifier avec un amour ineffable, estimer ensuite ses faveurs et profiter de sa jouissance.

733. La très-sainte Vierge ayant été élevée en cette vision, se prosterna par son affection en la présence divine, et dit à sa Majesté : « Seigneur incompréhensible

 

(1) Ps. CII, 5. — (2) II Cor., I, 5.

 

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et souverain bien de mon âme, puisque  vous élevez de la poussière ce pauvre vermisseau,  recevez, Seigneur, l'ouvrage de votre bonté, recevez votre propre gloire avec celle que vos saints  courtisans vous donnent en très-humbles actions  de grâces des bontés dont vous comblez mon âme;   et si mes œuvres vous ont été désagréables, comme  partant d'une créature basse et terrestre, réformez  maintenant en moi, mon divin Maître, tout ce qui  vous déplaît. O bonté infinie, O unique sagesse,  purifiez et renouvelez ce cœur, faites qu'il vous. soit  agréable et qu'il soit humble et repentant afin que  vous ne le rejetiez plus. Si je n'ai pas reçu les petits   travaux et la mort de mes parents comme je le  devais, et si je me suis éloignée en quelque chose de  votre bon plaisir, réglez, mon Dieu, mes puis lances , et agissez envers moi comme Seigneur tout-puissant, comme Père absolu, et comme l'unique Époux de mon âme. »

734. Le Très-Haut répondit à cette humble prière Mon Épouse et ma Colombe, la douleur de la mort de vos parents et le sentiment des autres afflictions ne sont pas des fautes, mais des effets naturels de la condition humaine; et par l'amour avec lequel vous vous êtes conformée en toutes choses à la disposition de ma divine volonté, vous avez mérité de nouveau ma grâce et ma complaisance. Je distribue, comme Seigneur de toutes choses, la véritable lumière et ses effets par ma sagesse; je forme successivement le jour et la nuit; je cause la sérénité

 

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et je donne aussi le temps propre à la tempête, afin qu'on exalte et mon pouvoir et ma gloire, que  l'âme y marche plus assurée avec le contre-poids de sa propre connaissance, que les flots agités des a tribulations la fasse plus tôt arriver au port assuré  de mon amitié et de ma grâce, et qu'étant plus remplie de mérites, elle m'oblige de la recevoir  avec plus de bienveillance. Voilà, ma bien-aimée,  l'ordre admirable de ma sagesse, et c'est pour ce   sujet que vous avez tardé si longtemps à me voir; a parce que je veux que vous pratiquiez la plus grande

sainteté et la plus grande perfection. Servez-moi  donc , ma très-chère, puisque je suis votre Époux et le Dieu des miséricordes infinies, et puisque mon  nom est admirable dans la diversité de mes grandes  œuvres. »

735. Notre Reine Marie sortit de cette vision toute renouvelée et toute remplie d'une nouvelle science de la Divinité et des mystères cachés du grand Roi, qu'elle glorifiait. et louait par des cantiques et par des élans continuels de son esprit entièrement calmé; et à mesure que les faveurs qu'elle en recevait, s'augmentaient, son humilité et toutes ses autres vertus croissaient aussi. Sa prière ordinaire était de faite toujours ce qui serait, le plus agréable à la volonté du Très-Haut, et de l'accomplir en toutes choses; et elle passa quelques jours en cet état, jusqu'à ce que arriva, ce que, je dirai au chapitre suivant.

 

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Instruction de la Reine du ciel.

 

736. Ma fille, je vous redirai souvent la leçon de la plus. grande sagesse des âmes, qui consiste à acquérir la connaissance de la croix par l'amour des travaux, en les souffrant à mon imitation avec patience. Que si la condition des mortels n'était pas si grossière, ils les désireraient pour le seul bon plaisir de leur Dieu et de leur Seigneur, qui leur a fait connaître que sa volonté et ses complaisances s'y rencontraient, puisque le serviteur fidèle et affectionné doit toujours préférer l'agrément de son maître à sa propre commodité. Mais la grossièreté -des mondains les empêche d'en user de la sorte avec leur Seigneur, ignorant, après tant de déclarations, que tout leur remède dépend de suivre Jésus-Christ par la croix, et qu'il faut que les enfants coupables souffrent avec leur Père innocent, et que les membres se conforment à leur chef, afin que le fruit de la rédemption leur soit profitable.

737. Recevez donc, ma fille, cette instruction, et gravez-la au plus profond de votre cœur, et sachez qu'en qualité de fille du Très-Haut, d'épouse de mon très-saint Fils et de ma disciple, quand même vous seriez en liberté de choisir, vous devriez acheter pour votre ornement la précieuse perle des souffrances, afin de vous rendre plus agréable à votre Seigneur et à votre Époux; et préférer les travaux de sa croix à ses caresses et à ses faveurs, parce qu'en choisissant les consolations et les délices, votre amour-propre y peut

 

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avoir beaucoup de part; mais, dans l'élection des tribulations et des peines, le seul amour de Jésus-Christ s'y rencontre. Que si, pour innocent qu'on soit, l'on doit toujours préférer les peines aux satisfactions de l'esprit, quelle est la folie des hommes pécheurs, d'aimer avec tant d'aveuglement les plaisirs sensibles et charnels, et d'avoir si fort en horreur tout ce qu'ils pourraient souffrir pour Jésus-Christ et pour le salut de leurs âmes !

738. Votre prière continuelle, ma fille, doit être de redire sans cesse: Me voici, Seigneur, que voulez-vous faire de moi (1) ? Mon coeur est préparé et tranquille; il est tout disposé (2), que voulez-vous, Seigneur, que . je fasse pour vous? Faites que cette prière soit en vous sincère et véritable, et qu'elle parte plutôt du profond de votre coeur que de votre bouche. Vos pensées doivent être relevées, et votre intention droite, pure et noble;* elle ne doit avoir d'autre but que de faire en toutes choses ce qui sera le plus agréable au Seigneur, qui distribue les travaux, sa grâce et ses faveurs avec poids et mesure. Examinez toujours par quelles pensées, par quelles actions, et en quelles occasions vous pouvez déplaire ou agréer davantage à votre bien-aimé, afin que vous connaissiez ce que vous devez retrancher ou désirer en vous. Eloignez au plus tôt le moindre désordre pour petit qu'il soit, ou ce qui est le moins pur et le moins parfait, quoiqu'il vous paraisse permis et de quelque utilité : parce que vous devez croire

 

(1) Act., IX, 6. — (2) Ps. LVI, 8.

 

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mauvais et inutile pour vous tout ce qui n'est pas le plus agréable su Seigneur, et nulle imperfection ne vous doit paraître petite si elle déplaît à Dieu. Avec cette soigneuse crainte et cette sainte précaution, vous marcherez assurée, et soyez persuadée, ma tres-chère fille, que toutes les exagérations humaines ne sauraient exprimer la grande récompense que le Très-Haut réserve pour les âmes qui, vivent dans cette application.

 

CHAPITRE XXI. Le Très-Haut commande à la très-sainte Vierge de prendre l'état de mariage, et la réponse à ce commandement.

 

739. Notre très-belle Princesse étant arrivée à sa treizième année et demie, et étant déjà fort avancée en grandeur de corps et d'esprit, de vertus et de mérites, eut une autre vision abstractive de la Divinité en la même forme que les autres de cette espèce dont nous avons parlé. Nous pouvons dire qu'il arriva en cette vision la même chose que l'Écriture dit être arrivée il Abraham quand Dieu lui commanda de sacrifier son fils bien-aimé Isaac, unique gage de toutes ses espérances : Dieu tenta Abraham, dit Moïse (1), éprouvant

 

(1) Gen., XXII, 1 et 2.

 

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sa prompte obéissance pour la couronner. Nous pouvons dire aussi que Dieu tenta notre auguste Maîtresse en cette vision; il lui commanda de prendre l’état de mariage. En quoi nous découvrirons aussi la vérité, qui dit combien les jugements du Seigneur sont incompréhensibles, et combien ses voies et ses pensées sont élevées au-dessus des nôtres (1). Celles de la très-pure Marie étaient autant éloignées de celles que le Très-Haut lui découvrit en lui ordonnant de recevoir un époux pour sa garde et pour sa compagnie, que le ciel l'est de la terre (2), parce qu'elle avait désiré et résolu de n'en avoir aucun durant toute sa vie, autant qu’il pouvait dépendre de sa volonté, renouvelant souvent le veau de chasteté qu’elle avait fait de si bonne heure.

744. Le Très-Haut avait célébré avec la très-pure Marie ces épousailles solennelles que nous avons racontées, après qu'elle fut entrée dans le Temple, les confirmant par l'approbation du veau de chasteté, qu'elle lit avec tant de gloire en la présence de tons les esprits angéliques. La très chaste colombe avait renoncé à toute sorte de commerce humain et aux attachements de la terre, à l'espérance et à l'amour de toutes les créatures: elle était toute transformée en l'amour le plus par de ce souverain bien qui ne manque jamais, étant persuadée qu'elle serait plus chaste en l'aimant, plus pure en le touchant, et plus vierge en le recevant. Le commandement que le Seigneur lui fit de recevoir,

 

(1) Rom., XI, 33. — (2) Isa., LV, 9.

 

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un époux terrestre, sans qu'elle s'y attendit et sans lui découvrir autre chose alors, fut un grand sujet d'admiration dans le coeur très-innocent de cette sainte fille, qui vivait dans l'assurance de n'avoir point d'autre époux que le même Dieu qui le lui commandait. Cette épreuve ut bien plus grande que celle d'Abraham, puisqu'il n'aimait pas tant son fils Isaac (1) que l'auguste Marie n'aimait la chasteté inviolable.

741. Mais la très-prudente Vierge suspendit son jugement à un commandement si surprenant, et ne l'appliqua qu'à espérer et à croire mieux qu'Abraham en l'espérance contre l'espérance (2), et elle dit au Seigneur ; « Dieu éternel, d'une majesté incompréhensible, Créateur du ciel et de la terre, et de a tout ce que s'y trouve renfermé; vous, Seigneur,  qui pesez les vents et qui prescrivez, par votre puissance les limites à la mer (3), toutes choses étant  soumises à votre volonté (4), vous pouvez faire de  ce petit vermisseau tout ce qu'il vous plaira, sans  que je manque jamais à ce que je vous ai promis. Que si je ne m'écarte point, mon bien-aimé, de votre  hou plaisir, je confirme de nouveau que je veux être  chaste tout le temps de ma vie, et que je ne veux  point d'autre maître ni d'autre époux que vous, mon  divin Seigneur; et puisque je dois, comme votre   créature, vous obéir, il est de votre soin, mon cher,  Époux, de tirer ma faiblesse humaine de cette peine

 

(1) Gen., XXII. — (2) Rom., IV, 18. — (3) Job., XXVIII, 25; Ps. CIII, 9. — (4) Esth., XIII, 9.

 

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en laquelle votre saint amour me met. » La très-chaste Marie se troubla quelque peu, comme il lui arriva dans la suite en l'ambassade de l'archange saint Gabriel (1); mais, quoiqu'elle ressentit quelque tristesse, cela n'empêcha pas qu'elle ne rendît la plus héroïque obéissance qu'elle eût pratiquée jusqu'alors; de sorte qu'elle se soumit entièrement à la volonté du Seigneur. Sa divine Majesté lui répondit : «Marie, apaisez votre coeur; votre résignation m'est agréable;  la puissance de mon bras n'est pas sujette aux lois;  je prends sur mon soin tout ce qui vous sera le plus  convenable. »

742. La très-sainte Vierge revint de la vision à son état ordinaire avec cette seule promesse du Très-Haut, et elle fut continuellement agitée entre la suspension et l’espérance dans lesquelles le commandement et la promesse divine l'avaient laissée; le Seigneur la voulant obliger par ce moyen à multiplier ses larmes et de nouvelles affections d'amour et de confiance, de foi, d'humilité, d'obéissance, de chasteté, et de plusieurs autres vertus, qu'il nous serait impossible de raconter. Pendant que notre Princesse s'occupait avec quelque douleur à cette prière et à ces perplexités soumises et prudentes, Dieu parla dans un songe au souverain prêtre, qui était saint Siméon, et lui commanda de se disposer à marier Marie, pille de Joachim et d'Anne de Nazareth, parce que sa divine Majesté la regardait avec un soin et avec un amour particulier. Le saint

 

(1) Luc., I, 29.

 

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prêtre répondit à Dieu, et lui demanda de faire connaître celui avec lequel Marie devait se marier. Le Seigneur lui ordonna d'assembler les autres prêtres et les docteurs, et de leur exposer comme cette fille était seule et orpheline, et qu'elle n'avait aucune volonté de s'engager dans le mariage; mais que la coutume étant qu'aucune fille aînée ne sortirait du Temple sans se marier, il était convenable de lui faire embrasser cet état avec la personne qu'ils jugeraient le plus à propos.

743. Le prêtre Siméon obéit aux ordres divins; et, ayant assemblé les autres, il leur découvrit la volonté du Très-Haut, et leur proposa la complaisance que sa divine Majesté avait pour cette fille, Marie de Nazareth, comme il lui avait été révélé; et que, se trouvant dans le Temple privée de ses parents, il était de leur obligation de prendre un soin particulier de ce qui la regardait, et de lui chercher un époux digne d'une fille si honnête, si vertueuse et si irréprochable en ses mœurs, comme ils l'avaient tous reconnu durant le temps qu'elle y avait demeuré ; joint que la personne, le bien, la qualité et les autres avantages qui se trouvaient eu elle étaient si considérables, qu'il fallait prendre bien garde à qui on devait la confier. Il leur dit aussi que Marie de Nazareth n'avait point d'inclination pour le mariage, mais qu'il n'était pas juste qu'elle sortit du Temple sans embrasser cet état, parce qu'elle était orpheline et aînée.

744. Après que cette affaire eut été proposée et bien considérée dans l'assemblée, des prêtres et des docteurs, ils délibérèrent tous par une impulsion du Ciel

 

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qu'en une chose où l'on devait désirer si fort de bien rencontrer, et où le Seigneur avait déclaré son bon plaisir, il fallait consulter sa sainte volonté et lui demander qu'il découvrît par quelque signe celui qui serait le plus propre pour être l'époux de Marie, et que cet époux fût de la maison et de la lignée de David, afin que la loi fût accomplie. Ils déterminèrent pour cela un jour auquel tous les jeunes hommes de cette lignée qui étaient en Jérusalem se devaient assembler dans le Temple : et ce fut justement le jour auquel notre Princesse achevait sa quatorzième année. Et, comme il était nécessaire de lui donner connaissance de cette résolution et de lui demander son consentement, le prêtre Siméon l'appela, et lui proposa l'intention que lui et les autres prêtres avaient de lui donner un époux avant qu'elle sortit du Temple.

745. La très-prudente Vierge, ayant son visage couvert d'une pudeur virginale, répondit au prêtre avec une grande modestie et une profonde humilité ; « Pour  moi, Monseigneur, j'ai désiré, autant qu'il pouvait  dépendre de ma volonté, de garder la chasteté toute  ma vie en me consacrant à mon Dieu et à son sera vice dans ce saint Temple, en reconnaissance des  grands biens que j'y ai reçus; et je n'ai jamais eu Y aucune inclination pour le mariage, me croyant incapable des soins qu'il entraîne après soi. Voilà mon intention; mais vous, Monseigneur, qui êtes en la place de Dieu, m'enseignerez ce qui sera le plus conforme à sa sainte volonté. — Ma fille, lui répliqua le prêtre, le Seigneur recevra vos saints désirs;

 

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mais faites réflexion qu'aucune des filles d'Israël ne  refuse présentement de se marier pendant que nous attendons, selon les divines prophéties, la venue du Messie; et c'est pour cela que celle qui a des enfants  parmi nous s'estime heureuse et bénie. Vous pourrez servir Dieu avec beaucoup de perfection dans cet état, et, afin que vous y rencontriez une personne qui seconde vos bonnes intentions, nous ferons des prières su Seigneur, et nous lui demanderons, comme je vous ai dit, qu'il nous découvre  par quelque signe l'époux qui lui sera le plus agréable d'entre ceux de la lignée de David; et vous, ma fille, demandez la même chose par des prières  continuelles, afin que le Très-Haut vous regarde et nous conduise tous. »

746. Cela arriva neuf jours avant celui qu'on avait déterminé pour prendre la dernière résolution et pour exécuter ce qui avait été arrêté. Pendant ce temps-là, la très-sainte Vierge redoubla ses prières, ses larmes et ses soupirs, et demanda su Seigneur l'accomplissement de sa divine volonté en une chose qui lui était si importante, et qui la jetait dans de si grandes peines. Le Seigneur lui apparut et lui dit:  « Mon Épouse et ma  Colombe, apaisez votre coeur affligé, et éloignez-en le trouble et la tristesse : je suis attentif à vos désirs et à vos prières; je gouverne toutes choses, et le prêtre est conduit par ma lumière; je vous donnerai un époux qui ne s'opposera pas à vos saints  désirs, mais plutôt vous les confirmera avec le secours  de ma grâce : je vous le chercherai parfait et selon

 

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mon coeur, et je le choisirai d'entre mes serviteurs a mon pouvoir est infini, et ma protection ne vous  manquera jamais. »

747. La très-sainte Vierge répondit au Seigneur : « Souverain bien et amour de mon âme, vous n'ignorez pas le secret de mon coeur, et lés désirs que vous a y avez mis dès l'instant que vous me donnâtes  l'être; conservez-moi donc, mon divin Époux, chaste  et pure, comme je l'ai désiré par vous et pour vous. Ne méprisez point mes soupirs, et ne m'éloignez pas de votre divine face. Ayez égard, Seigneur, à  ma faiblesse, puisque je ne suis, par ma bassesse,  qu'un chétif ver de terre; que si je commets quelque a faute dans l'état de mariage, je manquerai à votre  égard et à mes désirs : faites que j'arrive au véritable but de votre bon plaisir, et que mon peu de mérite ne vous rebute point de m'accorder cette   grâce; quoique je ne sois que poussière inutile (1),  je crierai aux pieds de votre divine grandeur, et j'espérerai en vos miséricordes infinies. »

748. La très-chaste fille s'adressait aussi à ses saints anges, qu'elle surpassait en sainteté et en pureté, et leur communiquait plusieurs fois les peines qu'elle ressentait touchant le nouvel état qu'elle attendait. Et ces esprits célestes lui dirent un jour : « Épouse  du Très-Haut, car vous ne pouvez pas ignorer ni a oublier ce titre, encore moins l'amour qu'il vous porte, et qu'il est tout-puissant et véritable;

 

(1) Gen., XVIII, 27.

 

apaisez, souveraine Dame, votre coeur; puisque le ciel et la terre cesseront plutôt d'être, que la vérité  de ses promesses ne manque de s'effectuer (1). Votre  divin Époux se charge de tout ce qui vous regarde; la puissance de son bras, qui domine sur les éléments et sur toutes les créatures, peut suspendre  la force des flots impétueux, et empêcher la véhémence de leurs opérations, afin que le feu ne bride  point, et que la terre ne soit point pesante. Ses  profonds jugements sont saints et impénétrables;  ses décrets sont justes et admirables; les créatures  ne peuvent pas les comprendre, mais elles doivent  les respecter. Que si sa divine Grandeur veut que  vous la serviez dans le mariage, il sera mieux pour  vous de lui être agréable en cet état, que de lui déplaire dans un autre. Son infinie Majesté vous conduira sans doute par ce qui sera le meilleur, le plus parfait et le plus saint; soyez assurée de ses  promesses. » Les peines de notre Princesse diminuèrent quelque peu par cette exhortation angélique; et elle leur demanda de nouveau de l'assister, de la garder, et de représenter au Seigneur sa soumission, puisqu'elle attendait avec résignation tout ce que sa divine volonté voudrait ordonner.

 

(1) Matth., XXIV, 34.

 

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Instruction que la Reine du ciel me donna.

 

749. Ma très-chère fille, les jugements du Seigneur sont très-relevés et très-vénérables; les créatures ne les doivent point sonder, puisqu'elles sont dans l'impossibilité de les pénétrer. Sa divine Majesté me commanda de prendre l'état de mariage, et elle me cacha alors son secret; mais il fallait que cela s'exécutât de la sorte afin que mes couches fussent honorables su monde, qui réputait le Verbe incarné dans mon sein pour enfant de mon Époux, parce qu'il en ignorait alors le mystère. Ce fut aussi un moyen convenable pour le cacher à Lucifer et à ses démons, qui étaient fort irrités contre moi, et faisaient tous leurs efforts pour pratiquer il mon égard leur furieuse indignation. Et quand il me vit prendre l'état commun des femmes mariées, il s'aveugla, croyant qu'il était incompatible d'avoir un homme pour époux et d'être Mère de Dieu; et cette méprise l'apaisa un peu, et lui fit donner quelque trêve à sa malice. Le Très-Haut eut aussi d'autres fins dans mon mariage, qui ont été manifestées, quoiqu'elles me fussent cachées alors, parce que cela était ainsi convenable.

750. Je veux que vous sachiez ma fille, que la plus grande douleur et la plus sensible affliction que j'eusse endurée jusqu'à ce jour, fut d'apprendre que je devais avoir un homme pour époux , le Seigneur ne m'en déclarant pas le mystère; et si sa divine vertu ne m'eût

 

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fortifiée dans cette peine, et ne m'eût laissé quelque confiance, quoique assez obscure et sans détermination, je serais morte par la force de la douleur. Vous comprendrez par là combien la créature doit être soumise à la volonté du Très-Haut, et qu'elle doit assujettir son faible entendement sans s'amuser à sonder les secrets inaccessibles et impénétrables de sa divine Majesté. Et quand la créature trouve quelque difficulté ou quelque danger en ce que le Seigneur ordonne, elle doit se, confier en lui, et croire qu'il ne la met point dans le péril pour l'abandonner ensuite, mais plutôt pour l'en faire sortir victorieuse et triomphante, si elle coopère de son côté au secours qu'elle en reçoit; que si lame veut examiner les jugements de sa sagesse, et se satisfaire avant que de croire et d'obéir, alors elle fait injure à la gloire et à la majesté de son Créateur, et perd en même temps le mérite qu'elle pourrait acquérir.

751. Je reconnaissais que le Très-Haut est au-dessus de toutes les créatures, qu'il n'a pas besoin de nos raisonnements, et qu'il ne veut qu'une volonté soumise, puisqu'on ne lui peut donner aucun conseil, mais seulement obéissance et louange. Et quoique je m’affligeasse beaucoup pour l'amour de la chasteté, à cause que je ne savais pas ce qu'il me commanderait dans l'état de mariage, néanmoins cette douleur et cette peine ne me rendirent pas assez curieuse que de vouloir examiner sa conduite : au contraire elles servirent à rendre mon obéissance plus excellente et plus agréable à sa divine Majesté. Sur cet exemple

 

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vous devez régler la soumission que vous êtes obligée d'avoir pour tout ce que vous connaîtrez être du bon plaisir de votre Époux et de votre Seigneur, vous abandonnant en sa protection et en la fermeté de ses promesses infaillibles; vous devez aussi vous laisser conduire sans résister à ses commandements, ni à ses inspirations, en ce en quoi vous aurez l'approbation de ses prêtres et de vos supérieurs.

 

CHAPITRE XXII. On célèbre les épousailles de la très-sainte Vierge avec le très-chaste Joseph.

 

752. Le jour déterminé arriva auquel, comme nous avons dit au chapitre précédent, notre Princesse achevait la quatorzième année de son âme; en ce jour les jeunes hommes de la tribu de Juda et de la lignée de David (dont notre souveraine Maîtresse descendait) qui étaient alors en la ville de Jérusalem, s'assemblèrent. Joseph, originaire de Nazareth et habitant de la sainte cité, reçut ordre de se trouver avec eux, parce qu'il était un de ceux de la race royale de David. Il avait alors trente-trois ans, étant bien fait, d'un visage agréable, mais d'une modestie incomparable,

 

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et surtout très-chaste en ses pensées et en ses couvres; ses inclinations étaient très-saintes, et il avait fait dès sa douzième année le veau de chasteté. II était parent au troisième degré de la vierge Marie; sa vie était très-pure, et irrépréhensible aux yeux de Dieu et des hommes.

753. Tous les jeunes hommes étant assemblés su Temple, unirent leurs prières avec celles des prêtres , et demandèrent au Seigneur qu'il leur inspirât ce qu'ils devaient faire. Le Très-Haut parla au coeur du souverain prêtre, lui inspirant de faire prendre à chacun de ces jeunes hommes une baguette sèche, et qu’ils demandassent tous avec une vive foi à sa divine Majesté qu'elle découvrit par ce moyen celui qu'elle avait choisi pour être l'époux de Marie. Et comme personne n'ignorait la vertu et l'honnêteté de cette  sainte fille, ni le bruit qui s'était répandu de sa beauté, de ses biens et de sa qualité, qu'elle était aînée et unique en sa maison, chacun souhaitait de mériter le bonheur de l'avoir pour épouse. Il n'y eut parmi eux que le très-humble et, très-juste Joseph qui se crût -in ligne d'un si grand bien; et se souvenant du voeu de chasteté qu'il avait fait, et après avoir proposé de nouveau de l'observer toute sa vie, il se résigna à la volonté divine, s'abandonnant entièrement à tout ce qu'elle voudrait disposer; mais cela n'empêchait pas qu'il n'eût plus de vénération et plus d'estime que tous les autres pour la très-sainte fille.

754. Tous ceux qui étaient assemblés faisant cette prière , on vit fleurir la seule baguette que Joseph

 

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portait, et l'on vit en même temps descendre une très-belle colombe revêtue d'une splendeur admirable, qui se mit sur la tête du même saint; ensuite Dieu lui parla intérieurement et lui dit ; « Joseph, mon serviteur, Marie doit être votre épouse; recevez-la  avec soin et avec respect, car elle est agréable à  mes yeux; elle est très-juste et très-pure de corps  et d'esprit: vous ferez tout ce qu'elle vous dira. » Par la déclaration et le signe du ciel, les prêtres se déterminèrent de donner à, Marie saint Joseph pour époux, comme celui que Dieu même lui avait choisi. Et appelée par eux pour les épousailles, celle qui était excellente comme le soleil et plus belle que la lune (1), sortit, et paraissant en présence de tous avec une majesté plus qu'angélique , et avec une beauté , une honnêteté et une grâce incomparable, les prêtres la marièrent avec Joseph, le plus chaste et le plus saint des hommes.

755. L'auguste Marie , avec un air modeste et attendri, et comme Reine d'une majesté très-humble, prit congé des prêtres et de la maîtresse, demanda leur bénédiction et pardon à ses compagnes, et les remercia toutes des bienfaits qu'elle en avait reçus. Elle fit tout cela en partie avec des manières accompagnées d'une très-profonde humilité, et en partie avec des paroles fort brèves et fort prudentes, parce qu'elle parlait très-peu dans toutes les occasions, et que tout ce quelle disait était d'un très-grand poids.

 

(1) Cant., VI, 9.

 

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Elle sortit du Temple avec une sensible douleur de le quitter contre ses inclinations et contre ses désirs, et étant accompagnée par quelques-uns des ministres qui servaient au Temple dans les choses temporelles, qui étaient séculiers et des plus considérables d'entre eux , elle s'en alla avec son époux Joseph à Nazareth, patrie des deux nouveaux époux. Et bien que saint Joseph fût né en ce lieu, néanmoins, par la disposition du Très-Haut, il était allé demeurer à Jérusalem à cause de quelque revers de fortune, où elle lui fut si favorable, qu'il eut le bonheur d'être l'époux de celle que Dieu avait choisie pour être sa propre Mère.

756. Étant arrivés à Nazareth, on la Princesse du ciel avait les maisons et les autres biens de ses bienheureux parents, ils y furent reçus et visités de toute leur parenté et de leurs amis, avec les réjouissances et les applaudissements qu'on a coutume de témoigner en de semblables occasions. Après s'être acquittés fort saintement de tous les devoirs que la civilité demande, et avoir satisfait à ces obligations temporelles de la conversation et du commerce des hommes avec beaucoup d'honnêteté, nos très-saints mariés Joseph et Marie se trouvèrent libres et débarrassés dans leur maison. La coutume avait introduit parmi les Juifs que les époux examineraient pendant les premiers jours de leur mariage leur naturel, afin qu'ils vécussent par cette connaissance mutuelle avec plus de tranquillité et de paix.

757. En un de ces jours, saint Joseph dit à son épouse Marie : a Madame, je rends grâces au Très-

 

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Haut de m'avoir fait la faveur de me choisir pour  votre époux lorsque je méritais le moins cet bon heur et que je me croyais le plus indigne de votre  compagnie; mais sa divine Majesté, qui peut, quand  elle veut, élever le pauvre, a usé de cette miséricorde envers moi, et je désire que vous m'aidiez,   comme je l'espère, de votre bonté et de votre  vertu, à lui rendre la reconnaissance que je lui  dois, en la servant avec droiture de cœur. En tout ce qui regardera son service je serai votre serviteur, et je vous prie, par l'affection sincère avec laquelle je vous estime, de suppléer aux biens qui me manquent et à beaucoup de qualités que je n'ai pas, et que je devrais avoir pour être votre époux;  faites-moi connaître, Madame, votre volonté, afin  que je l'accomplisse. »

758. La très-sainte Épouse ouit ce discours avec un cœur humble et avec un air accompagné d'une douce gravité, et répondit au saint ; « Monseigneur,  je suis bien aise que le Très-Haut m'ayant destinée  au mariage, ait eu la bonté de vous choisir pour  mon époux et pour mon maître, et que les services  que je prétends vous. rendre aient été approuvés de  sa divine volonté; mais si vous me le permettez,  je vous dirai les intentions et les pensées que je  désire vous déclarer sur ce sujet » Le Très- Haut prévenait par sa grâce le cœur sincère de saint Joseph, et l'enflammait de nouveau en son divin amour par le moyen des raisons de la très-sainte Vierge. Et le saint repartit à son, épouse : « Parlez, Madame, car

 

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votre serviteur écoute. » Dans cette occasion la Reine de l'univers était assistée par les mille anges de sa garde en forme visible, comme elle le leur avait demandé. La cause de cette demande fut, parce que le Seigneur fit que la très-pure Marie connût le respect et le- soin avec lesquels elle. devait parler à son époux, l'ayant laissée dans la retenue et dans la crainte naturelle qu'elle avait toujours, eue de parler toute seule avec un homme, ce qui ne lui était jamais arrivé jusqu'alors, si ce n'est peut-être dans quelque rencontre avec le souverain prêtre; et tout cela eut lieu afin qu'elle agît en toutes choses avec une plus grande grâce- et un plus grand mérite.

759. Les saints anges obéirent à leur Reine, et n'étant sensibles qu'à sa seule vue, ils l'assistèrent de leur présence., et en cette nombreuse compagnie elle dit à saint Joseph ; « Monseigneur et mon époux,  il est juste que nous rendions grâces et que nous  donnions gloire et louange à notre Dieu et Créateur,   qui est infini en bonté et incompréhensible en ses  jugements, et qui a fait éclater sa grandeur et sa  miséricorde en nous choisissant pour son service.« Je me reconnais plus redevable à sa divine Majesté  qu'aucune autre créature et plus que toutes en semble, parce que j'ai reçu de sa main très-libérale plus de largesses, lorsque je les méritais le moins. En ma plus tendre jeunesse, poussée par la force de cette vérité qui me communiqua la lumière en me désabusant de tout ce qui est visible, je me consacrai à Dieu par le voeu que je lui fis d'être

 

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toute ma vie chaste d'esprit et de corps; je suis à  lui et je le reconnais pour mon Époux et pour mon  Maître , et je suis dans une volonté inébranlable de  lui garder la foi de la chasteté. Je veux , Monseigneur, que vous m'aidiez à accomplir ce voeu, et en a tout le reste je serai votre fidèle servante pour  prendre soin de votre vie autant que la mienne durera. Recevez, mon époux, cette sainte résolution , et confirmez-la par la vôtre ,afin qu'en nous  offrant en sacrifice agréable à notre Dieu , il nous  reçoive en bonne odeur, et nous nous procurions  les biens éternels que nous espérons. »

760. Le très-chaste Joseph, tout rempli de joie par le discours de sa très-sainte épouse, lui répondit  Madame, en me déclarant vos chastes pensées et  vos saintes résolutions, vous avez pénétré et ouvert  mon cœur, que je n'ai pas voulu vous découvrir  avant que vous m'eussiez manifesté le vôtre. Je   me reconnais aussi le plus obligé d'entre les hommes  au Seigneur de l'univers, parce qu'il m'a appelé de  fort bonne heure par sa véritable lumière, afin que  je l'aimasse avec droiture de coeur. Je veux bien  que vous sachiez, Madame, que dès la douzième  année de mon âge je fis aussi promesse de servir le Très-Haut en chasteté perpétuelle; je renouvelle  maintenant le même voeu, pour ne pas empêcher le  vôtre : au contraire je vous promets en présence de sa divine Majesté de vous y aider autant qu'il dé pendra de moi, afin que vous la serviez en toute  pureté et que vous l'aimiez selon vos désirs. Je

 

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serai avec sa grâce votre très-fidèle serviteur, et je  vous prie de recevoir mes chastes affections, de me  regarder comme votre frère, et de n'avoir jamais  aucun autre amour que celui que vous devez à ce  divin Seigneur, et ensuite à moi. » Durant cet entretien le Très-Haut confirma de nouveau dans le cœur de saint Joseph la vertu de chasteté et l'amour saint et pur qu'il devait porter à son épouse la très sainte Vierge: ainsi le saint eut cet amour en un degré très-éminent, et notre auguste Reine le lui augmentait et lui ravissait le coeur par sa très-prudente, conversation.

761. Les deux très-saints et très-chastes époux ressentirent une joie et une consolation incomparable par la vertu divine que le bras du Tout-Puissant opérait en eux, et l'auguste Princesse promit à saint Joseph de seconder ses désira comme celle qui était la maîtresse des vertus, et qui opérait en toutes sans aucune contradiction ce qui en était le plus relevé et le plus excellent. Le Très-Haut donna aussi à saint Joseph une pureté toute nouvelle et un empire absolu sur ses passions, afin qu'il servit son épouse Marie sans nul obstacle, dans un parfait dégagement, et avec une grâce autant admirable qu'extraordinaire, et qu'il suivît en la servant la volonté et le bon plaisir du Seigneur. Ils firent le partage des biens. que saint Joachim et sainte Anne avaient laissés à leur très-sainte fille; une partie fut offerte au Temple où elle avait demeuré, l'autre fut appliquée aux pauvres, et la troisième resta sous la conduite et la disposition

 

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du saint époux Joseph, notre Reine ne se réservant que le soin de le servir et de travailler dans la maison, parce que la très-prudente Vierge se dispensa toujours de vendre et d'acheter, et de tout ce qui regardait le dehors, comme je l'ai marqué dans un autre endroit.

762. Saint Joseph avait appris en ses premières années le métier de charpentier, comme un des plus honnêtes et des plus propres pour gagner l'entretien de sa vie, parce qu'il était pauvre des biens de for tune, ainsi que je l'ai déjà dit; il demanda à sa très-sainte épouse si elle agréerait qu'il exerçât ce métier pour la servir et acquérir quelque chose en faveur dés pauvres, puisqu'il fallait travailler et n'être point oisif. La très-prudente Vierge y consentit, avertissant saint Joseph que le Seigneur ne voulait pas qu'ils fussent riches, mais pauvres et amateurs et protecteurs des pauvres autant que le bien qu'ils avaient le leur pourrait permettre. Après quoi les deux saints mariés eurent une sainte dispute, sur ce que chacun voulait obéir -à l'autre comme supérieur. Mais la très-pure Marie, qui était la très-humble d'entre les humbles, vainquit en humilité, et ne voulut point permettre que, l'homme étant le chef, l'ordre de la nature fût renversé; ainsi elle fit consentir son époux à recevoir ses obéissances en toutes choses, lui demandant seulement la permission de faire l'aumône aux pauvres du Seigneur : ce que le saint lui accorda.

763. Saint Joseph ayant reconnu par une nouvelle

 

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lumière du Ciel, durant ces premiers jours dont nous venons de parler, le naturel de son épouse Marie, sa rare prudence, sa profonde humilité, sa pureté incomparable, et toutes les vertus ensemble, au delà de tout ce qu'il en pouvait espérer, fut de nouveau ravi en admiration; l'esprit rempli de joie, le cœur tout enflammé par d'ardentes affections, il ne cessait de louer le Seigneur et de lui rendre de nouvelles actions de grâces pour lui avoir donné une telle épouse sans l'avoir méritée. Et afin que cette oeuvre fût très-parfaite en tout (parce qu'elle était le principe de la plus grande que Dieu devait opérer par sa toute-puissance), ce même Seigneur fit que la Princesse du ciel répandit par sa présence et par sa vue une crainte et un respect si grand dans le coeur de son Époux, que nous n'avons point de termes pour le pouvoir exprimer. Et cela résultait d'une rayonnante splendeur de la divine lumière que saint Joseph voyait sortir du visage de notre Reine, joint qu'elle avait une majesté ineffable qui l'accompagnait toujours, étant revêtue de ce merveilleux éclat avec d'autant plus de raison que Moïse quand il descendit de la montagne (1), que l'entretien qu'elle eut avec Dieu avait été plus long et plus intime que le sien.

764. Ensuite la très-sainte Vierge eut une vision divine, en laquelle le Seigneur lui dit; « Mon Épouse,  ma bien-aimée et mon élue, voyez combien je suis fidèle en mes paroles envers ceux qui m'aiment et

 

(1) Exod., XXXIV, 30.

 

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qui me craignent; répondez donc maintenant à ma a fidélité en gardant les lois de mon épouse en toute sainteté, pureté et perfection : la compagnie de mon serviteur Joseph, que je vous ai donnée, vous y aidera; obéissez-lui comme vous le devez, et ayez soin de sa consolation, car telle est ma volonté. » La très-pure Marie répondit; « Je vous loue et vous glorifie, mon Dieu, pour le conseil admirable et la providence paternelle dont vous avez usé envers moi, indigne et pauvre créature; tous mes désirs sont de vous obéir et de vous plaire comme votre servante, qui vous est plus obligée qu'aucune autre créature. Accordez-moi , Seigneur, votre divin secours, afin qu'il m'assiste et me conduise en toutes choses, et que je puisse toujours faire ce qui vous sera le plus agréable; que je m'acquitte aussi par son moyen des obligations de l'état auquel vous me mettez, et que comme votre fidèle esclave je ne m'écarte jamais de vos ordres et de votre bon plaisir. Donnez-moi votre bénédiction, car avec elle j'obéirai à votre serviteur Joseph, et je le servirai comme vous me le commandez, mon divin Maître et mon Créateur ! »

765. La maison et le mariage de Marie et de Joseph furent fondés sur ces divins appuis, et dès le huitième jour de septembre, jour auquel on fit les épousailles, jusqu'au vingt-cinquième de mars suivant, que l'incarnation du Verbe arriva (comme je le dirai dans la seconde partie), les deux époux vécurent en façon que le Très-Haut les disposa mutuellement. à l'oeuvre

 

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pour laquelle le-Très-Haut les avait choisis; et notre auguste Dame ordonna les choses qui regardaient leurs personnes et leur maison, comme on le verra dans les chapitres suivants.

766. Mais je ne puis empêcher que mon affection n'éclate, avant que de les commencer, sur le sort fortuné du plus heureux des mortels, saint Joseph. D'où vous est venu, ê homme de Dieu, un si grand bonheur, qu'entre les enfants d'Adam on ait pu dire de vous seul, que le même Dieu fût si fort à vous, qu'on le prit pour votre Fils unique? Le Père, éternel vous donne sa Fille, le fils vous remet sa véritable Mère, le Saint-Esprit vous confie son Épouse et vous met en sa place, et toute la très-sainte Trinité vous donne son élue, son unique et son excellente comme le soleil, pour votre légitime épouse. Connaissez-vous bien, mon grand saint, votre dignité? Pénétrez-vous vos avantages? Savez-vous que celle que vous venez de recevoir pour femme est Reine et Maîtresse du ciel et de la terre, et que vous êtes le dépositaire des trésors inestimables de Dieu même? Voyez, homme divin, quel précieux gage vous avez, et sachez que si vous ne rendez pas les anges et les séraphins envieux, votre bonheur et le mystère que votre mariage renferme leur causent de grandes admirations. Recevez les congratulations de tant de faveurs et de joies au nom de tout le genre humain. Vous avez entre vos mains le registre des divines miséricordes, vous êtes le maître et l'époux de celle qui n'a que Dieu au-dessus d'elle, vous serez riche et heureux

 

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parmi les hommes et parmi les anges. Souvenez-vous de notre pauvreté et notre misère, et de moi chétif ver de terre, qui désire d'être votre fidèle servante enrichie et favorisée de votre puissante intercession.

 

Instruction de la Reine du ciel.

 

767. Ma fille, vous trouverez par l'exemple que j'ai donné dans l'état de mariage auquel le Très-Haut me mit, la condamnation de l'excuse que les âmes qui s'y trouvent engagées, allèguent pour ne pratiquer pas la perfection. Il n'est rien d'impossible à Dieu ni à celui non plus qui espère en lui avec une vive foi, et qui s'abandonne entièrement à sa divine disposition. Je vivais dans la maison de mon époux avec la même perfection que dans le Temple, parce qu'en changeant d'état je ne perdis pas l'affection, ni le désir, ni le soin de l'aimer et de le servir; au contraire je les augmentai,, afin que rien ne m'empêchât de m'acquitter des obligations d'épouse; c'est pourquoi Dieu m'assistait toujours plus par son secours, et sa puissante main disposait toutes choses selon mes désirs. Et c'est ce que le Seigneur ferait envers toutes les créatures, si de leur côté elles répondaient à ses faveurs; mais elles jettent la faute sur l'état de mariage : et en cela elles se trompent elles-mêmes, parce que l'empêchement de leur perfection et de leur sainteté

 

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ne vient pas de cet état, mais des soins vains et superflus qu'elles y prennent , et de ce qu'elles préfèrent leur propre satisfaction su bon plaisir du Seigneur.

768. Que s'il n'y a point d'excuse dans le monde pour ne pas suivre la perfection de la vertu, il y en aura encore moins dans la religion à cause des saintes occupations et des moyens faciles qu'il y a de la pratiquer. Ne vous croyez jamais empêchée pour l'office de supérieure que vous avez, puisque Dieu vous y ayant mise par la voie de l'obéissance, vous ne devez pas vous méfier de son assistance et de sa protection, car il se chargea dès le même jour du soin de vous Sonner les forces et les secours pour vous acquitter des obligations de votre charge, et particulièrement de celle de la perfection avec laquelle vous le devez aimer et servir. Tâchez de vous rendre agréable à votre Seigneur par le sacrifice de votre volonté, en vous soumettant avec patience à tout ce que sa divine providence ordonne, que si vous n'y portez aucun obstacle, je vous assure de sa protection, et que vous connaîtrez toujours par votre propre expérience la puissance de son bras, qui conduira toutes vos oeuvres à la plus grande perfection.

 

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CHAPITRE XXIII. Qui explique une partie du chapitre trente-unième des Proverbes de Salomon, où le Seigneur m'a renvoyée pour découvrir l'ordre que la très-sainte Vierge tint dans le mariage.

 

769. Sitôt que la Princesse du ciel fut dans le nouvel état de son mariage, elle éleva son très-pur entendement au Père des lumières, pour savoir de lui ce qu'elle devait faire pour lui être toujours plus agréable parmi les nouvelles obligations de son état. Et afin que je puisse donner quelque connaissance des saintes pensées et de l'admirable conduite qu'elle y garda, le même Seigneur m'a renvoyée aux qualités de la femme forte , que Salomon nous a laissées écrites pour cette grande Dame dans le dernier chapitre de ses Proverbes; et en le poursuivant je dirai ce que je pourrai de ce qui m'en a été découvert. Or il est dit dans le dixième verset de ce chapitre

770. Qui trouvera une femme forte? Son prix vient de loin et des dernières fins (1). Cette demande est admirative en l'appliquant à notre grande et forte femme Marie, et elle sera négative si on l'applique à quelque autre que ce soit en la lui comparant, puis

 

(1) Prov., XXXI, 10.

 

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qu'on ne peut trouver une autre femme forte comme la Princesse du ciel dans tout le reste de la nature humaine et de la loi commune. Toutes les autres furent et seront faibles, sans en excepter aucune qui ne soit tributaire du démon par le péché. Qui trouvera donc une autre femme forte? Ce ne seront pas les rois et les monarques, ni les puissants princes de la terre, ni les anges du ciel, ni même le pouvoir divin n'en trouvera pas une autre, parce qu'il ne la créerait pas semblable à l'incomparable Marie; elle est l'unique, la seule sans exemple et sans égale, et celle qui seule a mesuré en la dignité le bras du Tout-Puissant; il ne lui put pas donner plus que son propre Fils, éternel et de sa même substance, égal à lui, immense, incréé, infini.

771. Il fallait que le prix de cette femme forte vint de loin, puisqu'il ne se trouvait pas sur la terre ni parmi les créatures. On appelle prix cette valeur par laquelle on achète ou l'on estime une chose; et lorsqu'on la prise, on sait ce quelle vaut. Le prix de cette femme forte , Marie , fut estimé dans le conseil de la très-adorable Trinité, quand Dieu même la racheta ou acheta pour soi avant toutes les autres pures créatures, comme la recevant de la même nature humaine pour quelque retour, car c'est ce qu'on appelle acheter dans la rigueur. Le retour ou le prix qu'il donna pour Marie fut le Verbe humanisé, et le Père éternel se tint satisfait, selon notre manière de concevoir, en recevant Marie; puisque, trouvant cette femme forte dans son entendement divin, il l'estima

 

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et la prisa si fort, qu'il se détermina de donner son propre Fils, afin qu'il fût conjointement et avec quelque espèce de justice fils de la très-pure Marie; et à sa seule considération, cet adorable Fils se serait incarné et l'aurait choisie pour Mère. Avec ce prix inestimable, le Très-Haut donna tous ses attributs, sa sagesse, sa bonté, sa toute-puissance, sa justice et les autres attributs, et tous les mérites de son Fils incarné pour se l'acquérir et se l'approprier à lui-même, la tirant par avance de la nature humaine, afin que si elle venait à se perdre toute, comme effectivement elle se perdit en Adam, la seule Marie avec son Fils fût réservée, comme prisée de si loin, que toute la nature créée ensemble n'a pu pénétrer lé décret de sa valeur. Ainsi le prix de notre Reine est venu de fort loin (1).

772. Ce loin est aussi signifié par les fins de la terre, parce que Dieu est la dernière fin et le principe de tout ce qui est créé, d'où toutes les choses sortent, et où toutes s'en retournent, comme les fleuves dans la mer. Le ciel empyrée est aussi la fin corporelle et matérielle de tout ce qui est corporel; et il est singulièrement appelé le siège de la Divinité. Mais, dans un autre sens, on appelle fins de la terre les termes naturels de la vie, et la fin des vertus, en quoi l'on fait consister le dernier point, où la vie et l'être que les hommes ont se terminent; car ils sont tous créés pour connaître et aimer le Créateur, comme fin immédiate de leur vie et

 

(1) Eccles., I,7.

 

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de leurs actions. On dit tout cela en disant que le prix de l'incomparable Marie vient des dernières fins, parce que sa grâce, ses dons et ses mérites vinrent et commencèrent des dernières fiais des autres saints, soit vierges, confesseurs, martyrs, apôtres et patriarches tous ensemble ne purent arriver dans les fans de leurs vies et de leur sainteté, où Marie commença la sienne. Notre Seigneur Jésus-Christ, son très-saint Fils, est aussi appelé fin des oeuvres du Très-Haut, et l'on dit avec la même vérité que le prix de notre grande Reine vint des dernières fins, puisque toute sa pureté, toute son innocence et toute sa sainteté vinrent de son très-saint Fils comme d'une cause exemplaire et du principal auteur d'elle seule, comme de son ouvrage singulier.

773. Le coeur de son mari met sa confiance en elle, et il ne manquera point de dépouilles (1). Il est certain que le divin Joseph fut appelé mari de cette femme forte, parce qu'il l'eut pour épouse légitime : il est aussi constant que son coeur se confia à elle, espérant que par sa vertu incomparable tous les biens véritables lui viendraient. Mais il se confia singulièrement à elle, la voyant enceinte, quand il en ignorait le mystère : parce qu'alors il crut et se confia en l'espérance contre l'espérance des marques qu'il découvrait (2), sans avoir aucune autre satisfaction de cette vérité évidente que la même sainteté d'une telle femme. Et, quoiqu'il se déterminât à la laisser, parce qu'il voyait l'effet devant

 

(1) Prov.,  XXXI, 11. — (2) Rom., IV, 18.

 

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ses yeux, n'en sachant pas la cause (1), néanmoins il n'osa jamais se méfier de son honnêteté et de sa retenue, ni se séparer du saint et pur amour que le très-chaste coeur d'une telle épouse s'était acquis. Aussi il ne se trouva point trompé ni pauvre de dépouilles car si on appelle dépouilles ce qui est au-dessus du nécessaire, tout fut surabondant pour cet heureux mari, quand il connut la dignité de son Épouse et ce qu'elle renfermait en elle.

774. Cette divine Dame eut aussi son très-saint Fils, Dieu et homme véritable, qui mit sa confiance en elle, dont Salomon a prétendu principalement parler, et il se confia si fort à cette femme forte, qu'il lui remit et son être et son honneur envers toutes les créatures. Toute la grandeur du Fils et de la Mire est renfermée dans cette confiance, parce que Dieu ne lui put pas confier davantage, ni elle ne lui put pas mieux correspondre, afin qu'il ne se trouvât ni trompé ni pauvre de dépouilles. O merveille étonnante du pouvoir et de la sagesse infinie, que Dieu eût une si grande confiance en une pure créature et en une femme, qu'il voulût bien prendre chair humaine dans son sein et de sa propre substance, et être appelé fils par elle, être nourri de son lait et vivre sous son obéissance; qu'il voulût la faire coadjutrice de la rédemption, dépositaire de la Divinité, et dispensatrice de ses trésors infinis et des mérites de son très-saint Fils, de sa vie, de ses miracles, de sa prédication, de sa mort et de

 

(1) Matth., I, 19.

 

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tous les autres mystères! Il se confia en toutes choses à l'auguste Marie. Mais qu'on augmente davantage l'admiration, sachant que dans cette confiance il ne fut pas trompé, parce qu'une femme et pure créature sut et put satisfaire avec ponctualité à tout ce qui lui fut confié, sans qu'elle manquât à la moindre chose et sans qu'elle pût opérer en aucune avec plus de foi, d'espérance, d'amour, de prudence, d'humilité et de plénitude de toute sainteté. Cet homme adorable ne se trouva point pauvre de dépouilles, mais riche de louanges et de gloire : c'est pourquoi le texte ajoute :

777. Il lui donnera la rétribution du bien, et non du mal, pendant tous tes jours de sa vie (1). Je connus que ce retour était celui que la très-sainte Vierge reçut de son propre Fils, Dieu et homme, car nous avons déjà déclaré en quoi elle correspondit de son côté. Que si le Très-Haut récompense toutes les moindres oeuvres que l'on fait pour son amour par une rétribution surabondante, non-seulement de gloire dans le ciel, mais aussi de grâce en cette vie, quel pouvait être le retour des biens et des trésors que la Divinité lui donna pour récompenser les oeuvres de sa propre Mère? 11 n'est que celui qui l'a fait qui le puisse connaître. On découvrira néanmoins quelque chose de ce qui arrivait durant toute la vie de notre Reine, entre elle et le pouvoir divin, si l'on considère la correspondance que l'équité du Seigneur tient en récompensant par un bienfait et par un secours plus grand celui qui profite de ses

 

(1) Prov., XXXI, 12.

 

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moindres faveurs. Cette très-sainte correspondance commença dès le premier instant de sa conception, y recevant, par la préservation du péché originel, plus de grâces que tous les anges ensemble; et correspondant ponctuellement à ce bienfait, elle crût en grâce, et elle opéra avec cette même grâce à proportion; ainsi elle agit durant toute sa vie sans tiédeur et sans retardement. Or, qui sera surpris après cela qu'elle n'eût que son très-saint Fils qui la surpassât, et que tout le reste des créatures fût presque infiniment au-dessous d'elle?

776. Elle a cherché la laine et le lin, et elle a travaillé avec des matins sages et ingénieuses (1). C'est une juste et digne louange de la femme forte, de dire qu'elle est attentive à tout ce qui regarde l'intérieur de sa maison, filant du lin et de la laine pour habiller sa famille et lui procurer les autres choses qu'on peut acquérir par ce moyen. Voilà un sage conseil qui est exécuté par les mains qui s'adonnent au travail et qui ne sont jamais oisives : car l'oisiveté de la femme qui demeure les bras croisés est une marque de sa noire folie et de plusieurs autres vices qu'on ne saurait raconter sans rougir. En cette vertu extérieure, qui est le fondement du gouvernement domestique, pour ce qui regarde une femme mariée, l'auguste Marie fut une femme forte et un digne modèle de toutes les femmes, parce qu'elle ne fut jamais oisive, et qu'elle travaillait véritablement le lin et la laine pour son

 

(1) Prov., XXXI, 13.

 

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époux, pour son Fils et pour plusieurs pauvres qu'elle secourait de son travail. Mais, comme elle unissait dans un sublime degré de perfection les occupations de Marthe avec les contemplations de Marie, elle exécutait plus souvent le sage conseil des oeuvres intérieures que des extérieures : et, conservant les espèces dès visions divines et la lecture des saintes Écritures, elle ne fut jamais oisive dans son intérieur, elle y travaillait continuellement à accroître les dons et les vertus de l'âme. Et c'est pour cela que le texte dit :

777. Elle est comme le vaisseau d'un. marchand, qui porte son pain de loin (1). Comme ce monde visible est appelé mer orageuse, l'on peut aussi appeler ceux (lui l'habitent et qui traversent ses ondes inconstantes, (lit nom de vaisseaux. Ils travaillent tous dans cette navigation pour porter leur pain, qui est l'entretien clé la vie; celui qui était le moins obligé de l'acquérir par son travail, le porte de plus loin, et celui qui travaille le plus gagne davantage et porte son pain de loin avec plus de sueur. C'est une espèce de contrat entre Dieu et l'Homme, que celui qui est serviteur travaille et sue en cultivant la terre, et que le Seigneur de toutes choses l'aide par le moyen des causes secondes avec lesquelles il concourt, afin que donnant le pain à l'homme, elles le nourrissent et lui paient la sueur de son visage. Et ce qui arrive dans ce contrat à l'égard du temporel, arrive aussi à l'égard du

 

(1) Prov., XXXI, 14.

 

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spirituel, où celui qui ne travaille point ne doit point manger (1).

778. La très-sainte Vierge fut parmi tous les enfants d'Adam le riche et heureux vaisseau du marchand, qui porta son pain et le nôtre de loin. Nulle personne du monde ne fut si discrète, si diligente et si laborieuse qu'elle dans le gouvernement de sa famille; il n'y en eut aucune de si prévoyante en tout ce qu'elle découvrait par son incomparable prudence être nécessaire à sa pauvre famille et au secours des pauvres; elle mérita et gagna toutes choses par sa foi et par ses soins très-prudents, dé sorte qu'elle les porta de loin; parce qu'elle était fort éloignée de la corruption de notre nature humaine, et même des biens dont elle avait hérité. Il est impossible de raconter ni de comprendre tout ce qu'elle acquit, tout ce qu'elle mérita et tout ce qu'elle distribua aux pauvres dans cet heureux commerce. Mais elle fut et plus forte et plus admirable lorsqu'elle nous porta le pain spirituel et vivant qui descendit du ciel, puisqu'elle le tira non-seulement du sein du Père, d'où il ne serait pas sorti alors si cette femme forte ne se fût trouvée, mais qu'il ne serait pas même venu au monde, qui était très-éloigné de le mériter, si ce n'eût été dans le vaisseau de Marie. Et bien qu'elle rie pût, étant créature, mériter que Dieu vint art monde; néanmoins elle mérita qu'il avançât son départ, et qu'il vint dans le riche vaisseau de son sein, parce qu'il n'aurait pas

 

(1) II Thess., III, 10.

 

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pu entrer dans un autre qui eût été moindre en mérites; elle seule fit que la vue, la communication et la nourriture de ce pain divin arrivassent à ceux qui en étaient loin.

779. Elle se lèse lorsqu'il est encore nuit, et elle a pourvu au nécessaire de ses domestiques et d la nourriture de ses servantes (1). Cette qualité de la femme forte n'est pas moins louable que les autres : elle se prive du repos délicieux de la nuit pour gouverner sa famille, distribuant à ses domestiques et à son époux, à ses enfants, à ses alliés et ensuite à ses serviteurs lei justes occupations que chacun doit avoir, leur donnant même tout ce dont ils peuvent avoir besoin pour cela. Cette force et cette prudence n'ont aucun égard à la nuit, pour s'y abandonner au sommeil et à l'oubli des propres obligations, parce qu'on ne doit point prendre le soulagement du travail pour satisfaire à l'appétit, mais bien à la nécessité. Note Reine fut admirable en cette prudence économique, quoiqu'elle n'eût point de serviteurs, ni de servantes dans sa famille, parce que l'émulation de l'obéissance et de l'humilité servile dans les offices domestiques, ne lui permit de confier à personne ces vertus; ainsi elle était une très-vigilante servante dans les soins qu'elle prenait de son très-saint Fils et de son époux Joseph; il n'y eut jamais en elle aucune négligence, aucun oubli, ni aucun retardement touchant ce qu'elle devait prévoir pour eux, ou ce dont elle devait les pourvoir,

 

(1) Prov., XXXI, 15.

 

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comme je le dirai dans tout le reste de ce discours.

780. Mais quelle langue peut exprimer la vigilance de cette femme forte? Elle se leva clans la nuit de son cour secret et clans le mystère de son mariage qui était alors caché, elle fut ponctuelle à exécuter avec humilité et avec obéissance tout ce qui lui était commandé. Elle pourvut ses domestiques et ses serviteurs, qui étaient les puissances intérieures et les sens extérieurs, de tout leur entretien, et distribua à chacun sa juste nourriture, afin que , pendant le travail du jour, l'esprit ne fiât point dépourvu du nécessaire, lorsqu'il s'appliquerait au service du dehors. Elle commanda aux puissances de l'âme par un précepte inviolable, que leur aliment fût la lumière de la Divinité, et qu'elles s'occupassent continuellement à méditer et à contempler avec ferveur la loi divine durant le jour et la nuit, sans jamais cesser de le faire quoi qu'il leur arrivât dans les exercices extérieure et dans les occupations de son état. C'est en quoi consistaient le gouvernement et l'entretien des domestiques de l'âme.

781. Elle distribua aussi aux serviteurs, qui sont les sens extérieurs, leurs justes occupations et leur nourriture proportionnée; et usant du pouvoir qu'elle avait sur ces puissances, elle leur commanda qu'étant servantes de l'esprit, elles le servissent, et bien qu'elles, vécussent dans le monde, elles en ignorassent la vanité et v fussent comme mortes, ne vivant dans ce même monde que pour ce qui serait nécessaire à la nature et à la grâce; quelles ne se nourrissent pas tant de

 

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douceurs sensibles que de celles qu'elle leur communiquerait et dispenserait de la partie supérieure de l'âme par ses influences surabondantes. Elle mit des bornes à toutes les opérations, afin qu'elles fussent toutes renfermées sans imperfection dans la circonférence du divin amour, en le servant et en lui obéissant sans résistance, sans réplique et sans retardement.

782. Elle se leva pendant la nuit, et elle prit aussi soin de ses domestiques. Il y eut une autre nuit en laquelle cette femme forte se leva, elle eut aussi d'autres domestiques à qui elle devait pourvoir. Elle se leva durant la nuit de la loi ancienne, obscurcie parles ombres de la lumière qui devait venir, elle vint au monde lorsque cette nuit s'approchait de sa fin, et par sa prévoyance ineffable elle donna et distribua lit nourriture de la grâce et la vie éternelle à tous ses domestiques, qui étaient les saints pères et les justes qui composaient son peuple, et à tous les pécheurs, serviteurs et esclaves qui composaient le reste de la nature humaine. Et ce fut avec tant de vérité et de propriété, qu'elle la leur donna changée en aliment de sa propre substance et de son propre sang que cette adorable vie de nos âmes reçut dans son sein virginal.

 

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CHAPITRE XXIV. Qui poursuit l'explication de ce qui reste du chapitre trente-unième des Proverbes.

 

783. Il ne pouvait manquer aucune qualité de la femme forte à notre grande Dame, parce qu'elle était la reine des vertus et la fontaine de la grâce. Elle a considéré (poursuit le texte) un champ, et l'a acheté, elle a planté une vigne du fruit de ses matins (1). Le champ que notre femme forte, la très-pure Marie, considéra, fut la plus élevée perfection qui produit ce qui est le plus fertile et le plus odoriférant des vertus : le considérant et l'estimant à la clarté de la divine lumière, elle connut le trésor qu'il renfermait. Et pour acheter ce champ, elle vendit tout le Terrestre dont elle était véritablement reine et maîtresse, préférant à toute autre chose la possession du champ qu'elle acheta, par la renonciation de l'usage qu'elle en pouvait avoir. Cette seule Dame eut le pouvoir de vendre tout, pour acheter le vaste champ de la sainteté, parce qu'elle était maîtresse de tout : elle seule le considéra et le connut parfaitement, et après Dieu

 

(1) Prov., XXXI, 16.

 

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elle fut la seule pure créature qui s'appropria le champ de la Divinité et ses attributs infinis, dont les autres saints reçurent quelque partie. Elle a planté une vigne du fruit de ses mains. Elle planta la sainte Église, non-seulement en nous donnant son très-saint Fils, afin qu'il la formât et qu'il l'établit, mais en qualité de sa coadjutrice, qui fut après son ascension maîtresse de cette même Église, comme je le dirai dans la troisième partie de cette histoire. Elle planta la vigne du paradis céleste que cette cruelle bête Lucifer avait ravagée et comme détruite , parce qu'elle fut remplie de nouvelles plantes par le soin et par le fruit de la très-sainte Vierge. Elle planta la vigne dans son vaste et magnanime coeur par les rejetons des vertus et par le cep fécond, Jésus-Christ, qui distilla sous le pressoir de la croix le très-doux vin de l'amour, dont ses bien-aimés sont enivrés et dont ses domestiques sent nourris (1).

784. Elle a ceint son corps de force, et elle a affermi son bras (2). La plus grande force de ceux qu'on appelle forts consiste au bras par lequel on fait les oeuvres difficiles , et comme la plus grande difficulté de la créature terrestre est de se ceindre en ses passions et en ses inclinations, en les ajustant a la raison , c'est pour ce sujet que le texte sacré a ajouté que la femme forte se ceignit et affermit son bras. Notre Reine n’eut point de passions ni de mouvements déréglés à ceindre en sa très-innocente personne, et elle ne laissa pas

 

(1) Cant., V, 1. — (2) Prov., XXXI, 17.

 

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pour cela d'être plus forte à se ceindre que tous les enfants d'Adam, qui ont été mis en désordre par la semence du péché. La vertu et l'amour qu'elle employa dans les oeuvres de mortification furent bien plus considérables lorsque ces oeuvres n'étaient point nécessaires que si elles l'eussent été. Il n'y eut aucun de ceux qui étaient malades du péché et dans l'obligation d'y satisfaire, qui employât tant de force à mortifier ses passions désordonnées que notre Princesse Marie en mit à gouverner et à sanctifier toujours plus toutes ses puissances et tous ses sens. Elle affligeait son très-chaste corps par des pénitences continuelles, en veillant, en jeûnant et en se prosternant souvent en forme de croix, comme nous le dirons dans la suite; elle refusait à ses sens le plaisir, le repos, et tout ce qui les pouvait flatter; ce n'est pas qu'elle eût sujet de craindre qu'ils s'émancipassent en la moindre chose, mais c'était pour opérer en tout le plus saint et le plus agréable au Seigneur, sans tiédeur et sans relâche, parce qu'elle fit toutes ses œuvres dans toute la force de la grâce.

785. Elle a goûté, et elle a vu que son trafic était bon; sa lampe ne s'éteindra point pendant la nuit (1). Le Seigneur est si bénin et si fidèle envers ses créatures, que quand il nous ordonne de nous ceindre par la mortification et par la pénitence, parce que le royaume du ciel est attaqué par la force, et c'est la violence qui l’emporte (2), il nous communique en

 

(1) Prov., XXXI, 18. — (2) Matth., XI, 12.

 

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cette vie un goût et une consolation qui remplissent notre coeur de joie, par la même violence que nous faisons à nos inclinations. L'on connaît en cette joie combien le trafic du souverain bien est bon et profitable par le moyen de la mortification avec laquelle nous ceignons les inclinations et nous les retirons des autres goûts terrestres, parce que nous recevons en même temps la joie de la vérité chrétienne, et en cette même joie un gage de celle que nous espérons en la vie éternelle; et celui qui négocie le plus en reçoit un plus grand moût, augmente ses trésors dans le ciel, et fait une plus grande estime de cet heureux trafic.

786. Quelle connaissance et quel goût devait avoir de cette vérité notre femme forte Marie, puisque nous-mêmes, qui sommes sujets aux péchés, la connaissons par notre propre expérience ? Que si par le moyen de la pénitence et de la mortification la divine lumière de la grâce peut être conservée dans nous, en qui la nuit du péché est si. longue et si obstinée, combien devait-elle éclairer dans le coeur de cette très-pure créature ! Elle n'était point opprimée par le dégoût de la nature corrompre et pesante; la contradiction de la concupiscence n'avait nul pouvoir sur elle; elle ne pouvait pas être troublée par les remords de la mauvaise conscience, ni par la crainte des péchés commis; sa lumière était au-dessus de tout entendement humain et angélique ;cela étant, elle devait très-bien connaître et goûter ce trafic, sans que la lampe de l'Agneau (1) qui l'éclairait s'éteignît

 

(1) Apoc., XXI, 23.

 

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pendant la nuit de ses travaux et des périls de la vie.

787. Elle a porté sa main d des choses fortes, et ses doigts ont pris le fuseau (1). La femme forte qui augmente ses vertus et les biens de sa famille par le travail de ses mains, goûte et connaît le trafic de la vertu; celle-là peut bien étendre le bras sur les grandes choses. C'est ce que la très-sainte Vierge fit sans aucun embarras des obligations de son état, parce que, s'élevant au-dessus d'elle-même et de tout le terrestre, elle étendit ses désirs et ses œuvres sur ce qui était le plus grand et le plus fort de la connaissance et de l'amour de Dieu , et surpassa toute la nature humaine et angélique. Et comme elle commençait dès ses épousailles à s'approcher de la dignité et de l'office de Mère, elle commençait aussi à étendre son coeur et le bras de ses oeuvres saintes avec tant de perfection, qu'elle arriva à coopérer à l'œuvre la plus grande et la plus forte de la toute-puissance divine, qui fut l'incarnation du Verbe. De quoi je parlerai plus amplement dans la seconde Partie, en déclarant les préparations qu'eut notre Reine pour ce grand mystère. Et parce que la délibération des grandes choses serait vaine si elles n'étaient exécutées, c'est pour cela qu'il est dit que les doigts de celle femme forte prirent le fuseau, nous voulant signifier par là que notre Reine exécuta tout ce qui était le plus grand et le plus difficile, comme elle l'avait connu et proposé dans sa très-droite intention.

 

(1) Prov., XXXI, 19,

 

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Elle fut en tout véritable, sans bruit et sans ostentation, n'ayant rien de cette femme qui aurait la quenouille à sa ceinture sans la filer, et qui serait oisive dans ces belles apparences : ainsi le texte ajoute

788. Elle a ouvert sa main d l'indigent, et elle a étendu ses bras vers le pauvre (1). C'est une grande force de la femme prudente et ménagère d'être libérale envers les pauvres, et de ne se point abandonner avec faiblesse et lâcheté à la crainte qu'elle pourrait avoir d'appauvrir par là sa famille, puisque le plus puissant moyen d'accroître toutes sortes de biens est de distribuer avec libéralité celui de la fortune aux pauvres de Jésus-Christ, qui sait et peut donner cent pour un, même en cette vie présente (2). La très-sainte Vierge distribua aux pauvres et au Temple celui que ses parents lui avaient laissé, comme j'ai déjà dit; et outre cela elle travaillait de ses mains pour seconder cette miséricorde, qui lui était naturelle; car si elle ne leur eût fait part de sa propre sueur, elle n'aurait pas satisfait le pieux et libéral amour qu'elle leur portait. L'on ne doit pas être surpris que l'avarice du monde ressente maintenant tant de pauvreté dans les biens temporels, puisque les hommes sont si pauvres de pitié et de miséricorde envers les nécessiteux, qu'ils ne font servir qu'à la vanité immodérée ce que Dieu n'a fait et n'a créé que pour l'entretien des pauvres et le remède des riches.

 

(1) Prov., XXXI, 20. —(2) Matth., X, 30.

 

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789. Notre pitoyable Reine et Maîtresse n'ouvrit pas seulement sa propre main à l'indigent, mais elle ouvrit aussi celle du bras de Dieu tout-puissant, qui semblait la tenir fermée en retenant le Verbe divin, parce que les mortels ne le méritaient pas et s'en rendaient tous les jours plus indignes. Cette femme forte lui fit étendre les bras et ouvrir les mains en faveur des pauvres esclaves et affligés dans la misère du péché; et parce que cette nécessité, s'étendant généralement sur tous, s'étendait aussi sur chacun en particulier, c'est pour cela que l'Ecriture les comprend tous en les appelant indigent ou pauvre au singulier, puisque tout le genre humain était un pauvre aussi impuissant que s'il n'eût été qu'un seul. Ces mains de notre Seigneur Jésus-Christ, étendues pour travailler à l'oeuvre de notre rédemption , et ouvertes pour répandre les trésors de ses mérites et de ses dons, furent en quelque façon les mains propres de la très-pure Marie, parce qu'elles étaient de sou Fils, et que sans elle le pauvre genre humain ne les aurait pas connues ouvertes, et pour plusieurs autres raisons.

790. Elle ne craindra point pour sa maison le froid ni la neige, parce que lotis ses domestiques ont un double vêtement (1). Notre nature ayant perdu le soleil de justice et la chaleur de la grâce et de la justice originelle, se trouva sous la glace du péché, qui engourdit toutes les puissances, les rend paresseuses et

 

(1) Prov., XXXI, 21.

 

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les empêche d'opérer le bien. De là naissent les difficultés dans la vertu, la tiédeur dans les actions, l'inadvertance, la paresse, la légèreté, et d'autres manquements innombrables; depuis le péché, nous nous trouvons glacés dans l'amour divin, dépouillés et sans forces pour résister, aux tentations. Notre auguste Reine fut exempte dans sa maison et dans son âme de tons ces empêchements et de tous ces dommages, parce que tous ses domestiques, les puissances intérieures et extérieures, furent garantis du froid du péché par un double vêtement. L'un fut la justice originelle et les vertus infuses , autre celles qu'elle acquit par elle-même dès le premier instant qu'elle commença à opérer. La grâce commune qu'elle eut, comme personne particulière, et celle que le Très-Haut lui donna, singulièrement pour la dignité de Mère du Verbe, lui servirent aussi d'un double vêtement. Je ne m'étends pas sur cette prévoyance dans le gouvernement de sa maison, parce que ce soin peut être louable aux autres femmes, compte étant nécessaire; maison la maison de la Reine du ciel et de la terre, il ne fallut pas un double vêtement pour son très-saint Fils, qui n'en avait qu'un; ni pour elle, ni pour son époux saint Joseph, non plus, auxquels la pauvreté était le plus grand ornement et le plus doux abri.

791. Elle s'est fait un vêtement d'un drap fort et bien tissu; elle se revêt de lin et de pourpre (1). Cette

(1) Prov., XXXI, 22.

 

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métaphore déclare aussi l'ornement spirituel de cette femme forte, et cet ornement fut un habit tissu avec force et avec variété, dont elle se servit pour se couvrir entièrement et pour se défendre de la rigueur du temps, car c'est pour cela qu'on fait des draps forts. La robe longue des vertus et des dons de l'auguste Marie fut impénétrable à la rigueur des tentations et ù la violence de ce fleuve que le grand dragon roux ou ensanglanté, que saint Jean vit dans l'Apocalypse (1), jeta contre elle. Outre la force de ce vêtement, sa beauté était admirable, aussi bien que la variété de ses vertus tissées, faisant un même corps sans être supposées ou rapportées, parce qu'elles étaient comme incorporées et comme converties en sa substance dès qu'elle fut formée en grâce et en justice originelle. C'était là où l'on trouvait la pourpre de la charité, le blanc de la chasteté, le céleste de l'espérance, avec toute la variété des dons et des vertus qui la revêtaient et l'ornaient en même temps. Cette couleur blanche et vermeille que l'Épouse prit pour l'humanité et la divinité (2), la donnant pour marque de son Époux, fut aussi un des ornements de Marie, parce que donnant au Verbe le vermeil de sa très-sainte humanité, le même Verbe lui donna en échange la divinité, non-seulement en les unissant dans son sein virginal, mais en laissant en sa Mère plus de traits et plus de rayons de cette même divinité qu'en toutes les créatures ensemble.

 

(1) Apoc., XII, 15. — (2) Cant., V, 10.

 

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792. Son mari éclatera de gloire dans les portes lorsqu'il sera assis avec les sénateurs de la terre (1). Le jugement particulier de chacun se fait dans les portes de la vie éternelle, et ensuite le général que nous espérons se fera, comme les anciennes républiques le faisaient aux portes de la ville. Dans le jugement universel, saint Joseph sera placé avec gloire parmi les nobles du royaume de Dieu , parce qu'il aura un siége entre les apôtres pour juger le monde, et il jouira de ce privilège en qualité d'époux de cette femme forte qui est Reine de l'univers, et en qualité de père putatif du Juge suprême. Notre Seigneur Jésus-Christ, qui appartient si étroitement à la très-sainte Vierge, est reconnu pour souverain Seigneur et pour Juge véritable et naturel dans le jugement qu'il fait et dans celui qu'il fera des anges et des hommes. Et la Reine du ciel est participante de cette excellence, parce qu'elle lui a donné la chair humaine par laquelle il a racheté le monde, et le sang qu'il a versé pour le prix et pour la rédemption des hommes. L'on connaîtra toutes ces vérités quand il viendra faire le jugement universel avec une grande puissance, sans qu'il y ait alors personne qui ne le connaisse et ne l'avoue.

793. Elle a fait un linceul, et elle l'a vendu, et elle a donné une ceinture au Chananéen (2). Ce soin laborieux de la femme forte renferme deux grandes prérogatives de notre Reine : l'une est qu'elle fut ce linceul

 

(1) Prov., XXXI, 23. — (2) Ibid., 24.

 

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si pur et si grand, que le Verbe éternel y put être enveloppé en se rétrécissant pourtant, et elle ne le vendit qu'au même Seigneur, qui lui donna en échange son propre Fils , parce que toutes les créatures ensemble n'eussent pas eu de quoi payer ce linceul de la pureté et de la sainteté de Marie , personne ne pouvant être dignement son fils,que le Fils de Dieu même. L'autre est qu'elle donna gratuitement la ceinture au Chananéen descendant de Chanaan maudit de son père (1), parce que tous ceux qui furent compris dans la première malédiction et qui se trouvèrent relâchés et dans le désordre des passions et des appétits déréglés, purent se ceindre de nouveau avec la ceinture que la très-pure Marie leur donna en son Fils, premier-né et inique, et en sa loi de grâce, pour se renouveler, se réformer et se ceindre. Les anges et les hommes réprouvés n'auront aucune excuse, puisqu'ils ont tons eu de quoi se contenir et se ceindre dans leurs affections désordonnées, comme les prédestinés le font en se prévalant de cette grâce qu'ils ont reçue gratuitement de Marie, sans qu'elle leur en ait demandé le prix pour la mériter ou pour l'acheter.

794. Elle est revêtue de force et de beauté, et elle rira au dernier jour (2). La force et la beauté font un autre vêtement qui orne la femme forte; la force la rend inébranlable dans les souffrances et vigoureuse dans les opérations contre les puissances de l'enfer;

 

(1) Gen., IX, 24. — (2) Prov., XXXI, 25.

 

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la beauté lui donne une grâce extérieure et un agrément admirable en tout ce qu'elle fait. Notre Reine était aimable aux yeux de Dieu, des anges et des hommes par ces deux excellences et par ces nouvelles qualités; elle n'était pas seulement exempte de péché et de défaut, mais elle avait cette double grâce qui la rendit si agréable et si estimable à l'Époux , qui disait souvent qu'elle était fort belle et fort charmante en toutes ses manières (1). Et où il n'y aura point de faute à reprendre, il n'y aura par conséquent point de sujet de pleurer au dernier jour, lorsque nul des mortels n'en sera exempt, excepté cette auguste Dame et son très-saint Fils. Il seront et ils paraîtront tous avec quelque péché dont ils eurent occasion de s'affliger et de se repentir; et les réprouvés pleureront alors de n'avoir pas dûment pleuré les leurs avant ce jour formidable, auquel cette femme forte sera joyeuse et riante dans la reconnaissance de son bonheur incomparable, et de ce que la justice divine s'exercera 'à l'égard des m¢chants et contre les rebelles à son très-saint Fils.

795. Elle a ouvert la bouche à la sagesse, et la loi de clémence est sur sa langue (2). C'est une grande excellence de la femme forte, de n'ouvrir la bouche que pour enseigner la sainte crainte du Seigneur et pour exécuter quelque oeuvre de clémence. Notre Reine et Maîtresse accomplit cela avec une très-haute perfection; elle ouvrit la bouche comme maîtresse de

 

(1) Cant., IV, 1 et 7. — (2) Prov., XXXI, 26.

 

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la sagesse divine, quand elle dit au saint archange : Fiat mihi secundum verbum tuum (1) ; et toutes les fois qu'elle parlait, c'était comme Vierge très-prudente et remplie de la science du Très-Haut, pour l'enseigner à tous et pour intercéder pour les misérables enfants d'Ève. La loi de clémence était, comme elle y est et sera toujours, sur sa langue, en qualité , de pitoyable mère de miséricorde; parce que sa seule intercession est la loi inviolable d'où dépend notre remède dans toutes nos nécessités, si nous savons l'émouvoir à ouvrir la bouche et à remuer la langue pour le demander.

796. Elle a considéré les sentiers de sa maison, et elle n'a point mangé son pain étant oisive (2). Ce n'est pas une petite louange de la mère de famille, de dire qu'elle considère attentivement toutes les voies les plus assurées pour en augmenter. les biens; mais en cette divine prudence, la seule Marie fut celle qui donna le modèle aux mortels, parce qu'elle seule sut considérer, chercher et trouver tous les chemins et les sentiers les plus abrégés de la justice par où elle pourrait arriver avec une plus grande sûreté et avec plus de diligence à la Divinité. Elle acquit cette science dans un degré si éminent, qu'elle surpassa tous les mortels et même les esprits bienheureux. Elle connut et elle considéra le bien et le plus profond et le plus caché de la sainteté, la condition de la faiblesse humaine, la tromperie des ennemis, le péril du

 

(1) Luc, I, 38 . — (2) Prov., XXXI, 27.

 

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monde et tout le terrestre; et comme elle connut tout cela, elle opéra le bien qu'elle connaissait sans manger son pain dans l'oisiveté, et sans avoir reçu en vain ni l'âme ni la divine grâce (1); c'est pourquoi elle mérita ce qui suit :

797. Ses enfants se sont levés et ont publié qu'elle était très-heureuse; son mari s'est levé et l'a louée (2). Les véritables enfants de cette femme forte ont dit de grandes et de glorieuses choses d'elle dans l'Église militante, en la publiant pour très-heureuse entre les femmes, et ceux qui ne se lèvent point et ne la publient pas, ne doivent point être réputés pour ses enfants, ni pour savants, ni pour sages, ni pour dévots. Mais quoiqu'ils aient tous parlé par les impulsions et par les mouvements' de notre Seigneur Jésus-Christ Dieu et homme, son très-saint Fils, et par ceux du Saint-Esprit, son Époux; néanmoins, il semble que cet Homme-Dieu qu'on doit appeler sien, se soit tu, et ne se soit point levé jusqu'à présent pour la publier, par rapport au grand nombre des mystères et aux secrets très-relevés de sa très-sainte Mère, qu'il a tenus cachés. Et il y en a tant, que le Seigneur m'a fait connaître qu'il réserve de les manifester dans l'Église triomphante après le jugement universel, parce qu'il n'est pas maintenant convenable de les déclarer tous su monde, indigne et incapable de tant de merveilles. Ce sera là où Jésus-Christ, Fils de Marie, parlera, découvrant pour sa propre

 

(1) Ps. XXIII, 4. — (2) Prov., XXXI, 28.

 

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gloire et celle de sa Mère , et pour la joie des saints, les prérogatives et les excellences de cette Dame; et ce sera là que nous les connaîtrons : il nous suffit maintenant de les croire avec vénération sous le voile de la foi et de l'espérance de tant. de biens.

798. Beaucoup de filles ont amassé des richesses, mais vous les avez toutes surpassées (1). On appelle filles du Très-Haut toutes les âmes qui sont parvenues à sa grâce , et tous les mérites, tous les dons et toutes les vertus qu'elles ont pu acquérir par cette même grâce; et qu'elles ont acquis en effet par son secours, sont les véritables richesses, car tout le reste, qui appartient à la terre , en a injustement usurpé le nom. Le nombre des prédestinés sera fort grand, Celui qui compte les étoiles par leurs noms le, connaît (2). Mais la seule Marie a plus amassé que toutes ces créatures ensemble, qui sont filles du Très-Haut et les siennes; et elle seule sera la plus avancée, comme ayant la prérogative. d'être non-seulement leur Mère en la grâce et en la gloire, mais aussi en qualité de Mère du même Dieu, parce que selon cette dignité elle surpasse toute l'excellence des plus grands saints; ainsi la grâce et la gloire de cette Reine surpasseront tout ce que les prédestinés en ont et en pourront avoir. Et parce que les avantages extérieurs et apparents que les femmes estiment si fort, sont vains en elle en comparaison de la grâce intérieure et

 

(1) Prov., XXXI, 29. — (2) Ps., CXLVI, 4.

 

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de la gloire qui répond à cette grâce, c'est pour cela que le texte ajoute :

799. La grâce est trompeuse, et la beauté est vaine; la femme qui craint le Seigneur est celle qui sera louée. Donnez-lui du fruit de ses mains, et que ses oeuvres la louent dans les portes (1). Le monde attribue faussement la grâce à plusieurs choses visibles qui ne l'ont pas, n'ayant de la grâce et de la beauté que ce que la fausse opinion des ignorants leur donne, comme sont l'apparence des bonnes oeuvres en la vertu, l'agrément ou l'éloquence dans les paroles douces, un certain brillant dans les entretiens et dans les manières; on appelle aussi grâce la bienveillance des grands et du peuple. Tout cela n'est que tromperie et fausseté, comme la beauté de la femme, qui s'évanouit en peu de temps. Celle qui craint Dieu et qui enseigne à le craindre, celle-là mérite avec justice la louange des hommes et du même Seigneur. Et parce qu'il la veut louer lui-même, il dit : Qu'on lui donne du fruit de ses mains, remettant sa louange à ses grandes oeuvres exposées à la vue de tous, afin qu'elles-mêmes soient ses panégyristes, car il importe fort peu que les hommes louent la femme qui est noircie par ses propres actions. C'est pourquoi le Seigneur veut que celles de sa très-sainte Mère soient manifestées aux portes de sa sainte Église, et qu'elles soient publiées autant qu'il sera possible et convenable dans la vie présente, réservant, comme j'ai dit, la plus grande

 

(1) Prov., XXXI, 30 et 31.

 

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gloire et la plus grande louange pour l'autre, où elles dureront pendant tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Instruction de la Reine du ciel.

 

800. Ma fille, vous avez une grande doctrine pour votre conduite dans ce chapitre, et quoique vous n'ayez pas écrit toute la substance qu'il renferme, je veux pourtant que vous graviez dans le plus profond de votre cœur, et que par une loi,inviolable vous exécutiez en vous-même et ce que vous en avez déclaré et ce que vous en laissez dans le secret. Pour cela il faut que vous soyez recueillie dans votre intérieur, oubliant tout le visible et le terrestre, et que vous soyez très-attentive à la divine lumière qui vous assiste et qui défend toutes vos puissances par un double vêtement, afin que vous ne ressentiez ni le froid ni la tiédeur dans la perfection, et que vous résistiez aux mouvements déréglés des passions. Ceignez-les, ma fille, et ayez soin de les mortifier par la ceinture de la crainte du Seigneur; et étant éloignée des choses apparentes et trompeuses, élevez votre entendement, et considérez avec attention les voies de votre intérieur, et les sentiers que Dieu vous a enseignés pour le chercher dans votre secret et pour le trouver à travers les périls des embûches. Et ayant

 

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une fois goûté la douceur du trafic du ciel, ne permettez pas que la divine lumière qui vous enflamme et vous éclaire dans les ténèbres, s'éteigne dans votre entendement par votre négligence. Ne mangez pas le pain dans l'oisiveté, mais travaillez sans cesse, et vous mangerez le fruit de vos travaux ; et étant renforcée en Dieu, vous ferez des oeuvres dignes de son bon plaisir, et vous courrez après l'odeur de ses parfums jusqu'à ce que vous parveniez à sa possession éternelle. Ainsi soit-il.

 

FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.

 

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