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LE X MARS. LES QUARANTE MARTYRS.Le nombre quadragénaire éclate aujourd'hui sur le Cycle ; quarante nouveaux protecteurs se lèvent sur nous, comme autant d'astres pour nous protéger dans la sainte carrière de la pénitence. Sur la glace meurtrière de l'étang qui fut l'arène de leurs combats, ils se rappelaient, nous disent leurs Actes, les quarante jours que le Sauveur consacra au jeûne ; ils étaient saintement fiers de figurer ce mystère par leur nombre. Comparons leurs épreuves à celles que l'Eglise nous impose. Serons-nous, comme eux, fidèles jusqu'à la fin ? La couronne de persévérance ceindra-t-elle notre front régénéré dans la solennité pascale ? Les quarante Martyrs souffrirent, sans se démentir, la rigueur du froid et les tortures auxquelles ils furent ensuite soumis ; la crainte d'offenser Dieu, le sentiment de la fidélité qu'ils lui devaient, assurèrent leur constance. Que de fois nous avons péché, sans pouvoir alléguer en excuse des tentations aussi rigoureuses ! Cependant, le Dieu que nous avons offensé pouvait nous frapper au moment même où nous nous rendions coupables, comme il fit pour ce soldat infidèle qui, renonçant à la couronne, demanda , au prix de l'apostasie, la grâce de réchauffer dans un bain tiède ses membres glacés. Il n'y trouva que la mort et une perte éternelle. Nous avons été épargnés et réservés pour la mi- 436 miséricorde ; rappelons-nous que la justice divine ne s'est dessaisie de ses droits contre nous que pour les remettre entre nos mains. L'exemple des Saints nous aidera à comprendre ce que c'est que le mal, à quel prix il nous faut l'éviter, et comment nous sommes tenus à le réparer. Voici maintenant le récit liturgique, dans lequel l'Eglise nous retrace les principaux traits du combat des glorieux Martyrs de Sébaste. Sous l'empire de Licinius,
Agricolaüs étant gouverneur de Sébaste, ville d'Arménie, quarante soldats
rirent éclater leur foi en Jésus-Christ, et leur courage à souffrir les
tourments pour son nom. Après avoir été souvent jetés dans une affreuse prison,
et avoir eu le visage froissé à coups de pierres, on leur fit passer la nuit
sur un étang glacé, nus, exposés à la rigueur de l'air dans le temps le plus
âpre de l'hiver, afin qu'ils y mourussent de froid. Là, ils firent tous cette
prière : « Seigneur, nous sommes entrés quarante dans la lice ; accordez-nous
d'être aussi quarante à recevoir la couronne, et que pas un ne fasse défaut à
notre société. Ce nombre est en honneur, parce que vous l'avez honoré par un
jeûne de quarante jours, et parce qu'il fut le terme après lequel la Loi divine
fut donnée au monde. Elie aussi, après avoir cherché Dieu par un jeûne de
quarante jours, mérita le bonheur de le contempler. » Telle était leur prière. Ceux qui les gardaient étant
endormis, le portier qui veillait seul aperçut, pendant que les Martyrs étaient
en prières, une lumière qui les environnait, et des Anges qui descendaient du
ciel pour distribuer des couronnes à trente-neuf soldats, comme de la part de
leur Roi. A cette vue, il se dit en lui-même: « Ils sont quarante : où donc est
la couronne du quarantième ? » Pendant qu'il faisait cette remarque, un de la
troupe à qui le courage manqua pour supporter le froid plus longtemps, alla se
jeter dans un bain d'eau chaude qui était proche, et affligea sensiblement ses
saints compagnons par sa désertion. Mais Dieu ne permit pas que leurs prières
demeurassent sans effet ; car le portier, plein d'admiration de ce qu'il venait
de voir, s'en alla aussitôt réveiller les gardes : et ayant ôté ses vêtements,
il confessa à haute voix qu'il était chrétien, et alla se joindre aux Martyrs.
Quand les gardes du gouverneur eurent appris que le portier aussi se déclarait
chrétien, ils leur rompirent à tous les jambes à coups
de bâton. Ils moururent tous dans ce
supplice, hors le plus jeune nommé Melithon. Sa mère qui était présente, le
voyant encore en vie, quoiqu'il eût les jambes rompues, l'encouragea par ces
paroles : « Mon fils, souffre encore un peu : le Christ est à la porte ; il va
t'aider de son secours. » Lorsqu'elle vit que l'on chargeait sur des chariots
les corps des autres Martyrs pour les jeter dans un bûcher, et qu'on laissait
celui de son fils, parce que ces impies espéraient amener le jeune homme au
culte des idoles s'il pouvait vivre, cette sainte mère le prit sur ses épaules,
et suivait courageusement les chariots qui portaient les corps des Martyrs.
Durant le trajet, Melithon rendit son âme à Dieu dans les embrassements de sa
pieuse mère ; et elle le jeta dans le même bûcher qui devait consumer les corps
des autres Martyrs, afin que ceux qui avaient été si étroitement unis par la
foi et le courage, le fussent encore après la mort dans les mêmes funérailles,
et qu'ils arrivassent au ciel tous ensemble. Le feu ayant dévoré leurs corps,
on jeta ce qui était resté dans une rivière mais on retrouva ces reliques
saines et entières dans un même lieu, où elles s'étaient miraculeusement
réunies, et on les ensevelit avec honneur. Afin de célébrer plus dignement la mémoire de 439 ces célèbres Martyrs, nous empruntons quelques traits à la Liturgie grecque qui chante leur gloire avec un saint enthousiasme. (DIE IX MARTII.)Supportant avec générosité
les maux présents, remplis de joie à cause de la récompense qu'ils espéraient,
les saints Martyrs se disaient entre eux : « Ce n'est pas un vêtement que nous
dépouillons, c'est le vieil homme ; l'hiver est rigoureux, mais le Paradis est
doux ; la glace est cruelle, mais le repos est agréable. Ne reculons donc pas,
chers compagnons; souffrons un peu, afin de recevoir du Christ Seigneur et Sauveur
de nos âmes la couronne de victoire. » Athlètes admirables, vous
avez souffert le martyre avec courage ; vous avez passé par le feu et l'eau;
vous êtes arrivés au repos du salut, obtenant pour héritage le royaume des
cieux; offrez-y pour nous vos saintes prières, quarante Martyrs pleins de
sagesse. Le gardien des quarante
Martyrs fut frappé d'étonnement, à la vue des couronnes; il méprisa l'amour de
cette vie, il s'éleva par le désir de ta gloire, Seigneur, qui lui était
apparue, et il chanta avec les Martyrs : « Tu es béni, Dieu de nos pères ! » Le soldat trop amateur de la
vie courut au bain empoisonné, et il y périt; mais l'ami du Christ, ravisseur
généreux de la couronne qui lui était apparue, plongé dans un bain
d'immortalité, chantait avec les Martyrs: « Tu es béni, Dieu de nos pères ! » La mère aimée de Dieu, pleine
d'un mâle courage, imitatrice de la foi d'Abraham, portant sur ses épaules le
fils qui était le fruit de sa piété, amena le Martyr avec les Martyrs. comme une victime. O mon fils, disait cette mère aimée du
Christ à celui qu'elle avait enfanté, cours dans la voie, élance-toi rapidement
vers la vie qui dure toujours ; je ne supporte pas que tu arrives le second
auprès de Dieu qui donne la récompense.
» Venez, frères, célébrons par
nos louanges la phalange des Martyrs, brûlée par la froidure, et consumant par
son ardeur le froid de l'erreur ; l'armée généreuse, le bataillon sacré
toujours résistant et invincible, combattant sous ses boucliers réunis; les
défenseurs et les gardiens de la foi, le chœur divin des quarante Martyrs, les
intercesseurs de l'Eglise, eux dont la
prière est puissante auprès du Christ pour obtenir la paix à nos âmes et la grande
miséricorde. Vaillants soldats de Jésus-Christ, qui consacrez par votre nombre mystérieux l'ouverture de la sainte Quarantaine, recevez aujourd'hui nos hommages. Toute l'Eglise de Dieu vénère votre mémoire ; mais votre gloire est plus grande encore dans les cieux. Enrôlés dans la milice du siècle, vous étiez avant tout les soldats ; du Roi éternel ; vous lui avez gardé fidélité, et, en retour, vous avez reçu de sa main la couronne immortelle. Nous aussi nous sommes ses soldats ; et nous marchons à la conquête d'un royaume qui sera le prix de notre courage. Les ennemis sont nombreux et redoutables ; mais, comme vous, nous pouvons les vaincre, si, comme vous, nous sommes fidèles à user des armes que le Seigneur nous a mises entre les mains. La foi en la parole de Dieu, l'espérance en son secours, l'humilité et la prudence assureront notre victoire. Gardez-nous, ô saints athlètes, de tout pacte avec nos ennemis ; car, si nous voulions servir deux maîtres, notre défaite serait certaine. Durant ces quarante jours, il nous faudra retremper nos armes, guérir nos blessures, renouveler nos engagements ; venez-nous en aide, guerriers émérites des combats du Seigneur; veillez, afin que nous ne dégénérions pas de vos exemples. Une couronne aussi nous attend ; plus facile à obtenir que la vôtre, elle pourrait cependant nous échapper, si nous laissions faiblir en nous le sentiment de notre vocation. Plus d'une fois, hélas ! nous avons semblé renoncer à cette heureuse couronne que nous devons ceindre éternellement ; aujourd'hui nous 442 voulons tout faire pour nous l'assurer, Vous êtes nos frères d'armes; la gloire de notre commun Maître y est intéressée ; hâtez-vous, ô saints Martyrs, de venir à notre secours. |