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LE XXVI FÉVRIER. SAINTE MARGUERITE DE CORTONE, PÉNITENTE.Mêlées aux Vierges fidèles qui forment la cour de l'Epoux , les saintes Pénitentes brillent sur le Cycle d'un éclat immortel. En elles resplendit la miséricorde divine, dont elles sont la glorieuse conquête. Epurées par les saintes expiations, parées de leurs larmes et de leurs soupirs, elles ont conquis l'amour de celui qui est la sainteté même, et qui a daigné prendre leur défense contre le Pharisien. A leur tête paraît Marie-Madeleine, à qui beaucoup a été pardonné, parce qu’elle a beaucoup aimé ; mais, entre les sœurs de cette amante de Jésus, deux surtout attirent les complaisances du Ciel : Marie Egyptienne que le Cycle nous amènera bientôt, et Marguerite de Cortone qui vient dès aujourd'hui nous apprendre que, si le péché éloigne de Dieu, la pénitence peut non seulement désarmer sa colère, mais former entre le Seigneur et l'âme pécheresse ce lien ineffable d'amour que l'Apôtre avait en vue, lorsqu'il a dit cette belle parole : Où le péché avait abondé, la grâce a surabondé (1). Etudions les vertus de l'illustre Pénitente du XIIIe siècle, dans les Leçons de l'Office que l'Eglise a consacré à sa mémoire. 1. Rom. V, 20. 383 Marguerite, appelée de
Cortone du lieu de sa mort, naquit à Alviano en Toscane. Les plaisirs du monde séduisirent les
premières années de sa jeunesse ; et
on la vit s'abandonner aux vanités et aux désordres, dans la ville de Montepulciano.
Mais ayant un jour découvert par hasard le cadavre de son amant assassiné par des ennemis, sous un
tas de fagots qui recouvraient une fosse, et près duquel un chien l'avait
conduite, tout d'un coup la main de Dieu
se fit sentir à elle. ; et la pécheresse, saisie d'un
regret profond pour ses fautes, résolut de rompre avec
sa vie antérieure, et pleura
amèrement. Elle revint donc à Alviano, et ayant
coupé ses cheveux et renoncé à ses parures, elle se couvrit d'un
vêtement de couleur obscure, et renonça
pour jamais aux erreurs de sa vie et aux attraits du monde. On la vit
prosternée par terre, la corde au cou,
demander pardon dans les églises à tous ceux qu'elle avait scandalisés
par sa conduite. Elle partit ensuite
pour Cortone ; et là, sous la cendre et
le cilice, elle se mit en devoir
d'apaiser la divine majesté qu'elle avait offensée : jusqu'à ce que, après
trois ans d'exercice dans toutes les vertus, elle obtint l'habit du Tiers-Ordre des Frères Mineurs, sous la conduite desquels
elle s'était placée. Les larmes du repentir lui devinrent familières, et la
contrition de son âme s'épanchait en des sanglots si violents, qu'elle en était
souvent comme suffoquée. Sa couche était la terre nue, son oreiller une pierre
ou un morceau de bois. Ses nuits se passaient dans la méditation des choses célestes ; l'ardeur
de l'esprit qui en elle contraignait la chair, malgré sa faiblesse, à subir de
si grands travaux, lui procura l'avantage de ne jamais plus éprouver un mauvais
désir. Le démon fit jouer contre
elle ses embûches, et lui livra de
perfides assauts ; mais cette femme
forte sut découvrir l'ennemi à son
langage, et, toujours invincible, elle repoussa ses séductions à diverses
reprises. Pour se prémunir contre le poison flatteur de la vaine gloire,
que le malin esprit cherchait à glisser
en elle, on l'entendit constamment accuser sa vie passée par les rues et les
places publiques, déclarant à haute voix qu'elle était digne de tous les
supplices. La défense de son confesseur put seule la détourner du projet
qu'elle avait conçu d'altérer les traits de son visage, qui avait pu autrefois
exciter une passion impure ; et c'était pour elle un regret de savoir que ses longues macérations
n'avaient point anéanti sa beauté. De si nombreuses marques d'une rigoureuse
pénitence épurèrent son âme de toutes les taches du péché ; et devenue
maîtresse d'elle-même jusqu'à affranchir tous ses sens des moindres attraits de
ce monde, elle devint digne de jouir souvent de la compagnie du Seigneur. La
grâce qu'elle avait désirée ardemment, de participer aux douleurs du Christ et de
la Vierge-Mère, lui fut accordée ; on la vit
quelquefois, dans ces moments d'extase, privée de tout sentiment, comme si la
vie l'eût abandonnée. On venait souvent à elle des contrées les plus éloignées,
comme à une maîtresse de perfection. Dans la lumière céleste dont elle était
inondée, elle découvrait les secrets des cœurs et les consciences des hommes ;
elle apercevait, avec une vive douleur et beaucoup de larmes, des péchés dont
Dieu était offensé dans les lieux éloignés d'elle. Enflammée d'amour pour Dieu
et pour le prochain, elle opéra un fruit immense dans les âmes. Des malades
vinrent lui demander la santé, des possédés leur délivrance ; elle obtint l'une
et l'autre. Une mère en pleurs lui apporta son enfant mort ; elle le rendit à
la vie. Ses prières continuelles eurent la vertu d'arrêter des guerres
déclarées. Enfin, sa grande charité s'étendit sur les vivants et sur les morts. Au milieu de tant d'actions
saintes, elle ne relâcha rien de la rigueur avec laquelle elle avait coutume de
traiter son corps. Rien ne put la
distraire de la contemplation
des choses célestes ; et elle parut
admirable dans les deux vies,
reproduisant parfaitement en elle les deux sœurs, Madeleine et Marthe. Ayant enfin
demandé au Seigneur de la faire passer de cette vallée de larmes dans la patrie
céleste, sa prière fut exaucée, et Dieu lui fit connaître le
jour et l'heure de sa mort. Pleine de mérites et de travaux, comblée des dons
du ciel, elle sentit les forces de son corps l'abandonner ; et pendant dix-sept
jours, elle vécut sans autre aliment que ses entretiens avec Dieu. Après avoir
reçu les très saints Sacrements de
l'Eglise, la joie étant peinte sur son visage et ses yeux levés au ciel,
elle partit avec bonheur pour rejoindre l'Epoux, le huit des
calendes de mars, en la cinquantième année de son âge, et la vingt-troisième de
sa conversion, l'an du salut mil deux cent quatre-vingt-dix-sept. Son corps,
conservé jusqu'à ce jour sans corruption, entier, souple, et répandant
une odeur délicieuse, est l'objet d'une
grande dévotion, dans l'Eglise des
Frères Mineurs, qui a pris le nom de
sainte Marguerite. L'éclat des miracles a constamment environné ce saint corps
: ce qui a porté les Pontifes Romains à encourager le culte de Marguerite par
beaucoup de faveurs. Enfin, Benoît XIII a célébré avec pompe sa solennelle
Canonisation, le jour de la Pentecôte, seize mai de l'an mil sept cent
vingt-huit. La joie du ciel fut grande, ô Marguerite, le jour où votre cœur, dépris de ses coupables illusions, se convertit à Dieu ; mais l'allégresse des Anges fut plus vive encore le jour où, quittant ce corps mortel dont votre pénitence avait fait un sacrifice continuel, vous allâtes jouir des embrassements de l'Epoux. Monument éternel de ses miséricordes, nous vous saluons, le cœur rempli d'espérance ; car nous aussi, nous sommes pécheurs, et nous voudrions comme vous éviter la justice que nous avons méritée, et obtenir le pardon que le Seigneur, dans sa bonté, a daigné vous accorder. Priez pour nous, ô Marguerite ! nous sommes vos frères dans la fragilité, dans les égarements ; obtenez que nous le soyons aussi dans la pénitence. Pour vous détacher des vains attraits du siècle, Dieu permit que le spectacle de la mort se révélât à vos yeux dans toute son horreur. Si des circonstances spéciales rendirent la vue du cadavre qui s'offrait à vos regards particulièrement éloquente pour vous, et vous firent mieux sentir encore le danger que l'âme encourt en bravant la justice divine ; comment se fait-il que nous demeurions insensibles aux coups que la mort ne cesse de frapper autour de nous, et qui nous révèlent à 388 toute heure l'incertitude de la vie , et l'approche pour nous du jugement qui décidera de notre sort éternel? Rompez notre assoupissement, ô sainte amante de notre Sauveur ! L'Eglise, en ces jours, marque nos fronts de la cendre expiatrice ; elle nous rappelle que nous ne sommes que poussière, et que bientôt nous rentrerons dans la poussière. Que cet avertissement serve à nous détacher du monde et de nous-mêmes ; qu'il incline notre cœur vers la pénitence, port assuré après tant de naufrages ; qu'il produise en nous le désir de rétablir pleinement nos relations avec un Dieu si tendre à l'égard de la pauvre âme qui, après l'avoir trahi, vient se jeter dans ses bras, et lui demande la grâce de l'aimer. Votre exemple, ô Marguerite, nous apprend que nous pouvons tout espérer. Obtenez-nous une place à vos pieds, et daignez étendre à nous cette charité maternelle qui consuma votre cœur sur la terre. |