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LE VIII FÉVRIER. SAINT JEAN DE MATHA, CONFESSEUR.Naguère, nous célébrions la mémoire de Pierre Nolasque, appelé par la très sainte Mère de Dieu à fonder un Ordre destiné au rachat des chrétiens captifs chez les infidèles ; aujourd'hui, nous avons à honorer l'homme généreux qui fut le premier favorisé de cette sublime pensée, et établit, sous le nom de la très sainte Trinité, une société religieuse dont les membres s'engagèrent à mettre leurs efforts, leurs privations , leur liberté, leur vie, au service des pauvres esclaves qui gémissaient sous le joug des Sarrasins. L'Ordre des Trinitaires et celui de la Merci, quoique distincts, sont frères dans leur but et dans l'intention qui les a produits; leurs résultats, en six siècles de durée, ont été de rendre à leurs familles et à leur patrie plus d'un million d'hommes, dont ils préservaient en même temps la foi des périls de l'apostasie. C'est en France, près de Meaux, que Jean de Matha, assisté de son fidèle coopérateur Félix de Valois, qui paraîtra à son tour sur le Cycle dans la dernière partie de l'année, établit le centre de son œuvre à jamais bénie. En ces jours de préparation au Carême, où nous avons besoin de raviver en nous la flamme de la charité envers ceux qui souffrent, quel plus admirable modèle que Jean de Matha, que son Ordre tout entier, qui n'a eu d'autre raison d'existence que le 312 désir d'aller arracher aux horreurs de l'esclavage des frères inconnus qui languissent chez les barbares! Est-il une aumône, si généreuse qu'elle soit, qui ne s'efface, quand on la compare au dévouement de ces hommes qui s'obligent par leurs règles non seulement à parcourir la chrétienté pour y recueillir les deniers à l'aide desquels ils rendront la liberté aux esclaves, mais à prendre tour à tour les fers de quelqu'un de ces infortunés, afin d'accroître le nombre des rachetés ? N'est-ce pas, autant que la faiblesse humaine le peut permettre, imiter à la lettre l'exemple du Fils de Dieu lui-même, descendant du ciel pour être notre Rédempteur ? Animés par de tels modèles, nous entrerons plus volontiers encore dans les intentions de l'Eglise qui nous recommandera bientôt les œuvres de miséricorde comme l'un des éléments essentiels de la pénitence quadragésimale. Mais il est temps de lire le récit que la Liturgie nous offre des vertus de l'homme apostolique, à qui l'Eglise et l'humanité sont redevables en partie de tant d'héroïques services. Jean de Matha, instituteur de
l'Ordre de la très sainte Trinité pour la Rédemption des captifs, naquit à
Faucon en Provence, de parents considérables par leur noblesse et par leur
piété. Il fit ses études à Aix, puis à Paris, où, après avoir achevé le cours
de théologie, il reçut le bonnet de docteur. L'éclat de ses vertus et de sa
science porta l'Evêque de Paris , malgré l'humble résistance de Jean, à lui conférer
l'ordre sacré de la prêtrise, afin que pendant le séjour qu'il ferait dans
cette ville, il fût par sa sagesse et par sa conduite un flambeau lumineux pour
les jeunes étudiants. Comme il célébrait sa première Messe dans la chapelle de
l'évêque, en présence du prélat et d'autres personnes, il fut honoré d'une
faveur céleste. Un Ange lui apparut vêtu d'un habit d'éclatante blancheur,
portant sur la poitrine une croix rouge et bleue, et tenant les bras croisés et
étendus sur deux captifs placés à ses côtés, l'un chrétien et l'autre maure.
Cette vision ravit l'homme de Dieu en extase, et il comprit aussitôt qu'il
était destiné pour racheter les captifs des mains des infidèles. Pour se conduire avec plus de
maturité dans une affaire de cette importance, il se retira dans une solitude,
où, par l'ordre de la divine Providence, il trouva Félix de Valois qui habitait
déjà le même désert depuis beaucoup d'années. Il se lia de société avec lui, et
s'exerça pendant trois ans à la prière, à la contemplation et à la pratique de
toutes les vertus. Comme ils s'entretenaient un jour des choses divines au bord
d'une fontaine, un cerf s'approcha d'eux, portant entre ses cornes une
croix de couleur rouge et bleue. Félix ayant paru surpris de la nouveauté de ce
spectacle, Jean lui raconta la vision
qu'il avait eue à sa première Messe. Ils
s'appliquèrent donc tous deux avec plus de ferveur à la prière, et, après en
avoir reçu trois fois l'avertissement en songe, ils résolurent de partir
pour Rome, afin d'obtenir du
Souverain Pontife l'institution d'un nouvel Ordre pour le rachat
des captifs. Innocent III, qui
avait été élu peu de temps auparavant,
les reçut avec bonté, et pendant qu'il délibérait sur
leur projet, en la seconde fête de sainte Agnès, durant la Messe solennelle dans l'Eglise de Latran, au
moment de l'élévation de la sainte Hostie, un Ange vêtu de blanc, avec une
croix de deux couleurs, lui apparut sous les traits d'un homme qui
rachète des captifs. Le Pontife,
encouragé par cette vision, approuva l'institut, et voulut qu'on l'appelât l'Ordre de la très
sainte Trinité de la Rédemption des
captifs, décrétant que ceux qui en feraient
profession porteraient un habit blanc, avec une croix rouge et bleue. L'Ordre étant ainsi établi,
les saints fondateurs s'en retournèrent en France, et bâtirent leur premier
monastère à Certroid, dans le diocèse de Meaux. Félix
demeura pour le gouverner, et Jean repartit pour Rome avec quelques-uns de ses
compagnons. Innocent III leur donna la maison, l'église et l'hospice de
Saint-Thomas de Formis, sur le mont Coelius, avec plusieurs revenus et possessions. Il leur
donna aussi des lettres pour l'émir qui régnait à Maroc, et l'œuvre de la
Rédemption des captifs commença sous d'heureux auspices. Jean se dirigea
ensuite sur l'Espagne dont une grande partie gémissait encore sous le joug des
Sarrasins, et il inspira aux rois, aux princes et aux autres fidèles la plus
grande compassion envers les captifs et les pauvres. Il bâtit des monastères,
éleva des hospices, et racheta par lui-même beaucoup de captifs, avec un grand
avantage pour leurs âmes. De retour à Rome, où il s'appliqua avec ardeur aux
œuvres saintes, épuisé de fatigues et par une grande maladie, enflammé du plus
ardent amour de Dieu et du prochain, il fut réduit à l'extrémité. Ayant fait
assembler les frères, il les exhorta avec ardeur à continuer cette œuvre de la
Rédemption que le ciel même avait révélée ; après quoi il s'endormit dans le
Seigneur, le seize des calendes de
janvier, l'an du salut mil deux cent treize. Son corps fut enseveli avec
l'honneur convenable dans l'Eglise même de Saint-Thomas de Formis. Jouissez maintenant du fruit de votre dévouement pour vos frères, ô Jean de Matha! Le Rédempteur du monde voit en vous une de ses plus fidèles images, et il se plaît à honorer aux yeux de toute la cour céleste les traits de ressemblance que vous avez avec lui. C'est à nous sur la terre de suivre vos traces, puisque nous espérons arriver au même terme. La charité fraternelle nous y conduira ; car nous savons que les œuvres qu'elle inspire ont la vertu d'arracher l'âme au péché (1). Vous l'avez comprise telle qu'elle est dans le cœur de Dieu, qui aime nos âmes avant nos corps, et qui cependant ne dédaigne pas de subvenir aux besoins de ceux-ci. Emu des périls que couraient tant d'âmes exposées au danger de l'apostasie , vous êtes accouru à leur aide, et vous leur avez fait comprendre tout le prix d'une religion qui suscite de tels dévouements. Vous avez compati aux souffrances de leurs corps, et votre main généreuse a fait tomber les chaînes sous le poids desquelles ils languissaient. Enseignez-nous à imiter de tels exemples. Que les périls auxquels sont exposées les âmes de nos frères ne nous trouvent plus insensibles. Faites-nous comprendre cette parole d'un Apôtre : « Celui qui aura retiré un pécheur des erreurs de sa voie, en même temps qu'il sauvera l'âme de celui-ci, couvrira la multitude de ses propres péchés (2). » Donnez-nous part aussi 1. Eccli. III, 33. — 2. Jacob, V, 20. 317 à cette tendresse compatissante qui nous rendra généreux et empressés à soulager les maux que nos frères souffrent dans leurs corps, et qui sont trop souvent pour eux l'occasion de blasphémer Dieu et sa Providence. Libérateur des hommes, souvenez-vous en ces jours de tous ceux qui gémissent par le péché sous la captivité de Satan, de ceux surtout qui, dans l'ivresse des illusions mondaines, ne sentent plus le poids de leurs chaînes et dorment tranquillement dans leur esclavage. Convertissez-les au Seigneur leur Dieu, afin qu'ils recouvrent la véritable liberté. Priez pour la France votre patrie, et maintenez-la au rang des nations fidèles. Protégez enfin les restes précieux de l'Ordre que vous avez fondé, afin que, l'objet de son antique dévouement ayant pour ainsi dire cessé aujourd'hui, il puisse encore servir aux besoins de la société chrétienne. |