NATIVITÉ JEAN-BAPTISTE

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LE XXIV  JUIN. LA NATIVITÉ DE SAINT JEAN-BAPTISTE

 

« Voix de celui qui crie dans le désert: Préparez les sentiers du Seigneur ; voici votre Dieu (1) ! » Oh ! qui, dans notre siècle refroidi, comprendra les transports de la terre à cette annonce si longtemps attendue? Le Dieu promis n'est point manifesté encore ; mais déjà les cieux se sont abaissés (2) pour lui livrer passage. Il n'a plus à venir, celui que nos pères, les illustres saints des temps prophétiques, appelaient sans fin dans leur indomptable espérance. Caché toujours , mais déjà parmi nous , il repose sous la nuée virginale près de laquelle pâlit pour lui la céleste pureté des Chérubins et des Trônes; les ardeurs réunies des brûlants Séraphins se voient dépassées par l'amour dont l'entoure à elle seule , en son cœur humain, l'humble fille d'Adam qu'il s'est choisie pour mère. La terre maudite, devenue soudain plus fortunée que l'inexorable ciel fermé jadis à ses supplications, n'attend plus que la révélation de l'auguste mystère; l'heure est venue pour elle de joindre ses cantiques à l'éternelle et divine louange qui, dès maintenant, monte de ses profondeurs , et, n'étant autre que le Verbe lui-même , célèbre Dieu comme il mérite de l'être. Mais sous le voile d'humilité où , après comme

 

1. ISAI. XL, 3, 9. — 2. Psalm. XVII, 10.

 

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avant sa naissance, doit continuer de se dérober aux hommes sa divinité, qui découvrira l'Emmanuel ? Qui surtout, l'ayant reconnu dans ses miséricordieux abaissements, saura le faire accepter d'un monde perdu d'orgueil, et pourra dire, en montrant dans la foule le fils du charpentier (1) : Voilà celui qu'attendaient vos pères!

Car tel est l'ordre établi d'en haut pour la manifestation du Messie : en conformité de ce qui se fait parmi les hommes, le Dieu fait homme ne s'ingérera pas de lui-même dans les actes de la vie publique ; il attendra, pour inaugurer son divin ministère, qu'un membre de cette race devenue la sienne, un homme venu avant lui, et doué à cette fin d'un crédit suffisant, le présente à son peuple.

Rôle sublime, qui fera d'une créature le garant de Dieu, le témoin du Verbe ! La grandeur de celui qui doit le remplir était signalée, comme celle du Messie, longtemps avant sa naissance. Dans la solennelle liturgie du temps des figures, le chœur des lévites, rappelant au Très-Haut la douceur de David et la promesse qui lui fut faite d'un glorieux héritier, saluait de loin la mystérieuse lumière préparée par Dieu même à son Christ (2). Non que, pour éclairer ses pas, le Christ dût avoir besoin d'un secours étranger : splendeur du Père, il n'avait qu'à paraître en nos obscures régions, pour les remplir de la clarté des cieux ; mais tant de fausses lueurs avaient trompé l'humanité, durant la nuit des siècles d'attente, que la vraie lumière, s'élevant soudain, n'eût point été comprise, ou n'eût fait qu'aveugler des yeux rendus impuissants par les ténèbres précédentes  à porter  son éclat.

 

1. MATTH. XIII, 55. — 2. Psalm. CXXI, 17.

 

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L'éternelle Sagesse avait donc décrété que comme l'astre du jour est annoncé par l'étoile du matin, et prépare sa venue dans la clarté tempérée de l'aurore ; ainsi le Christ lumière serait précédé ici-bas d'un astre précurseur, et signalé parle rayonnement dont lui-même, non visible encore, revêtirait ce fidèle messager de son avènement. Lorsque autrefois le Très-Haut daignait pour ses prophètes illuminer l'avenir, l'éclair qui, par intervalle, sillonnait ainsi le ciel de l'ancienne alliance s'éteignait dans la nuit, sans amener le jour ; l'astre chanté dans le psaume ne connaîtra point la défaite ; signifiant à la nuit que désormais c'en est fini d'elle, il n'éteindra ses feux que dans la triomphante splendeur du Soleil de justice. Aussi intimement que l'aurore s'unit au jour, il confondra avec la lumière incréée sa propre lumière ; n'étant de lui-même, comme toute créature, que néant et ténèbres, il reflétera de si près la clarté du Messie, que plusieurs le prendront pour le Christ (1).

La mystérieuse conformité du Christ et de son Précurseur, l'incomparable proximité qui les unit, se retrouvent marquées en maints endroits des saints Livres. Si le Christ est le Verbe, la parole éternelle du Père, lui sera la Voix portant cette parole où elle doit parvenir ; Isaïe l'entend par avance qui remplit d'accents jusque-là inconnus le désert, et le prince des prophètes exprime sa joie dans l'enthousiasme d'une âme qui déjà se voit en présence de son Seigneur et Dieu (2). Le Christ est l’ange de l’alliance ; mais dans le texte même où l'Esprit-Saint lui donne un titre si rempli pour nous d'espérance, paraît aussi portant ce. nom d'ange l'inséparable messager, l'ambassadeur

 

1. LUC. III, 15. — 2. ISAI. XL.

 

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fidèle à qui la terre devra de connaître l'Epoux : « Voici que j'envoie mon ange qui préparera le chemin devant ma face, et aussitôt viendra dans son temple le dominateur que vous cherchez, l'ange de l'alliance que vous réclamez; voici  qu'il vient, dit le Seigneur des armées (1). » Et mettant fin au ministère prophétique dont il est le dernier représentant, Malachie termine ses propres oracles par les paroles que nous avons entendu Gabriel adresser à Zacharie, pour lui notifier la naissance prochaine du Précurseur (2).

La présence de Gabriel en cette occasion, montrait elle-même combien l'enfant promis alors serait l'intime du Fils de Dieu; car le même prince des célestes milices allait aussi, bientôt, venir annoncer l'Emmanuel. Nombreux pourtant se pressent les messagers fidèles au pied du trône de la Trinité sainte, et le choix de ces augustes envoyés varie, d'ordinaire, selon la grandeur des instructions que le Très-Haut transmet par eux au monde. Mais il convenait que l'archange chargéde conclure les noces sacrées du Verbe avec l'humanité, préludât à cette grande mission en préparant la venue de celui que les décrets éternels avaient désigné comme l’ Ami de l'Epoux (3). Six mois après, député vers Marie, il appuyait son divin message en révélant à la Vierge très pure le prodige qui, dès maintenant, donnait un fils à la stérile Elisabeth : premier pas du Tout-Puissant vers une merveille plus grande. Jean n'est pas né encore; mais, sans plus tarder, son rôle est ouvert : il atteste la vérité des promesses de l'ange. Ineffable garantie que celle de cet enfant, caché toujours au sein de sa mère, et déjà témoin pour Dieu dans la négociation

 

1. Malach. III, 1. — 2. Ibid. IV, 5, 6. — 3. JOHAN. III, 29.

 

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sublime qui tient en suspens la terre et les deux! Eclairée d'en haut, Marie reçoit le témoignage et n'hésite plus : « Voici la servante du Seigneur, dit-elle à l'archange ; qu'il me soit fait selon votre parole (1). »

Gabriel s'est retiré, emportant avec lui le secret divin qu'il n'est point charge de communiquer au reste du monde. La Vierge très prudente ne parlera pas davantage ; Joseph lui-même, son virginal époux, n'aura pas d'elle communication du mystère. Ne craignons point cependant : l'accablante stérilité dont le monde a gémi, ne sera pas suivie d'une ignorance plus triste encore, maintenant que la terre a donné son fruit (2). Il est quelqu'un pour qui l'Emmanuel n'aura ni secret, ni retard ; et lui saura bien révéler la merveille. A peine l'Epoux a-t-il pris possession du sanctuaire sans tache où doivent s'écouler les neuf premiers mois de son habitation parmi les hommes, à peine le Verbe s'est fait chair : et Notre-Dame, instruite au dedans du désir de son Fils, se rend en toute hâte vers les monts de Judée (3). Voix de mon bien-aimé ! Le voici qui vient, bondissant sur les montagnes, franchissant les collines (4). A l'ami de l'Epoux sa première visite, à Jean le début de ses grâces. Une fête distincte nous permettra d'honorer spécialement la journée précieuse où l'Enfant-Dieu, sanctifiant son Précurseur, se révèle à Jean par la voix de Marie ; où Notre-Dame, manifestée par Jean qui tressaille en sa mère, proclame enfin les grandes choses que le Tout-Puissant a opérées en elle selon la miséricordieuse promesse qu'il fit autrefois à nos pères, à Abraham et à sa postérité pour jamais (5).

 

1. LUC. I. — 2. Psalm. LXXXIV, 13. — 3 LUC. I, 39. — 4. Cant. II, 8. — 5. LUC. I, 55.

 

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Mais le temps est venu où, des enfants et des mères, la nouvelle doit s'étendre au pays d'alentour, en attendant qu'elle parvienne au monde entier. Jean va naître, et, ne pouvant parler encore, il déliera la langue de son père. Il fera cesser le mutisme dont le vieux prêtre, image de l'ancienne loi, avait été frappé par l'ange ; et Zacharie, rempli lui-même de l'Esprit-Saint, va publier dans un cantique nouveau la visite bénie du Seigneur Dieu d’Israël (1).

 

1. LUC. I, 68

 

Préludons par le chant des premières Vêpres, avec la sainte Eglise, aux joies de la grande solennité qui s'annonce. Et, tout d'abord, remarquons la couleur blanche des ornements que revêt aujourd'hui l'Epouse ; les pages qui suivent nous en expliqueront le mystère.

 

LES PREMIÈRES VÊPRES DE SAINT JEAN-BAPTISTE.

 

1.  Ant. Il marchera devant le  Seigneur dans l'esprit et la  vertu d'Elie, pour préparer   au Seigneur un peuple parfait.

 

Psaume CIX. Dixit Dominus, page 43.

 

2. Ant. Jean est son nom, il ne boira ni vin, ni liqueur enivrante, et beaucoup se réjouiront à sa naissance.

 

Psaume CX.  Confitebor tibi, Domine, page 44.

 

 

3. Ant. D'un sein stérile et chargé d'années est né Jean le précurseur du Seigneur.

 

Psaume CXI. Beatus vir, page 45.

 

4. Ant. Cet enfant sera grand devant le Seigneur ; car sa main est avec lui.

 

Psaume CXII. Laudate pueri, page 46.

 

5. Ant. Cet enfant sera appelé Nazaréen; il ne boira ni vin, ni liqueur enivrante, et ne mangera rien d'impur depuis sa naissance.

 

Psaume CXVI.

 

Toutes les nations, louez le Seigneur ; tous les peuples, proclamez sa gloire.

Car sa miséricorde s'est affermie sur nous, et la vérité du Seigneur demeure éternellement.

 

CAPITULE. (ISAI. XLIX.)

 

Ecoutez, îles ; peuples éloignés, prêtez l’oreille: Le Seigneur m'a appelé dès le sein de ma mère, il s'est dès lors souvenu de mon nom.

 

Les Antiennes qui précèdent ont rappelé les promesses concernant le saint Précurseur. Lui-même, au  Capitule,  nous invite à  chanter les

 

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sublimes prévenances du Très-Haut à son égard. L'Hymne qui suit, fournit à l'Eglise une belle formule de prière et de louange. Il en est peu d'aussi célèbre dans la sainte Liturgie.

Sa composition est attribuée à Paul Diacre, moine du Mont-Cassin au VIII° siècle; et l'histoire qu'on en raconte est particulièrement touchante. Honoré de l'ordre sacré dont le titre allait rester inséparable de son nom dans la suite des âges, Paul Warnefrid, l'ami de Charlemagne et l'historien des Lombards, fut un jour désigné pour bénir le cierge triomphal dont l'apparition annonce à l'Eglise, chaque année, la résurrection prochaine de l'Epoux ; mais pendant qu'il s'apprête à remplir la plus solennelle des fonctions réservées aux lévites de la nouvelle alliance, sa voix, auparavant claire et sonore, s'éteint soudain, le laissant impuissant à envoyer au ciel les notes joyeuses du glorieux Exultet. Dans cette extrémité, Paul se recueille ; et se tournant vers Jean, patron à la fois du peuple lombard et de l'église bâtie par Benoît au sommet de la sainte montagne, il invoque celui dont la naissance mit fin au mutisme d'un père, et qui garde le pouvoir de rendre aux fibres vocales leur souplesse perdue. Le fils de Zacharie exauça son dévot client. Telle serait l'origine des strophes harmonieuses qui composent aujourd'hui les trois Hymnes de  la fête.

Ce que l'on connaît mieux, est l'importance que la première de ces strophes a conquise dans l'histoire du chant grégorien et de la musique. L'air primitif sur lequel on chantait l'Hymne de Paul Diacre, offrait cette particularité que la syllabe initiale de chaque hémistiche s'élevait d'un degré sur la précédente dans l'échelle des sons ; on obtenait, en les rapprochant, la série des

 

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notes fondamentales qui forment la base de notre gamme actuelle. L'usage s'introduisit de donner aux notes elles-mêmes les noms de ces syllabes : Ut, Re, Mi, Fa, Sol, La. Gui d'Arezzo, par sa méthode d'enseignement, avait donné naissance à cet usage ; en le complétant par l'introduction des lignes régulières de la portée musicale, il fit faire un pas immense à la science du chant sacré, auparavant laborieuse et longue à acquérir. Il convenait que le divin Précurseur, la Voix dont les accents révélèrent au monde l'harmonie du Cantique éternel, eût cet honneur de voir se rattacher à son nom l'organisation des mélodies de la terre.

 

HYMNE.

 

 

 

Ut queant laxis resonare fibris

Mira gestorum famuli tuorum,

Solve polluti labii reatum, Sancte Johannes.

 

 

Nuntius celso veniens olympo.

Te  patri magnum  fore

nasciturum, Nomen et vitae seriem

gerenda;

Ordine  promit.

 

Ille,  promissi dubius superni,

Perdidit promptae modulos loquelae;

Sed reformasti genitus peremptae

Organa vocis.

 

Ventris obstruso recubans cubili,

Senseras regem thalamo manentem :

Hinc parens, nati meritis, uterque
Abdita pandit.

 

 

 

 

Sit decus Patri, genitaeque Proli,

Et tibi,  compar utriusque virtus Spiritus semper, Deus unus, omni Temporis aevo. Amen.

 

 

V/. Fuit homo missus a Deo,

 

R/. Cui nomen erat Johannes.

 

 

Pour que d'une voix étendue et puissante vos serviteurs fassent retentir les merveilles de vos actes, bannissez, ô saint Jean, l'indignité de nos lèvres souillées.

 

Un messager venu des célestes sommets annonce à votre père que vous naîtrez et serez grand; le nom que vous porterez, la vie que vous mènerez, il expose par ordre toutes choses.

 

Lui doute des célestes promesses, et soudain il n'a plus le pouvoir d'articuler les sons; mais, en naissant, vous restaurez l'organe de sa voix éteinte.

 

Reposant dans le secret des entrailles maternelles, vous aviez senti la présence du roi séjournant en sa couche nuptiale; en suite de quoi, par le mérite de leur fils, votre père et votre mère découvrirent tous deux les mystères.

 

 

Honneur au Père, et au Fils qu'il engendre, ainsi qu'à vous, puissance éternellement égale aux deux, ô Esprit, Dieu unique, dans toute la suite des âges.

Amen.

 

V/.  Il y eut un homme envoyé par Dieu,

 

R/. Dont le nom était Jean.

 

 

 

 

Au Magnificat, reconnaissons la part qu'eut notre Saint à cette ineffable effusion des sentiments de la Vierge Mère, selon ce que nous rappelait la quatrième strophe de l'Hymne précédente. Les deux Cantiques du soir et du matin, le Magnificat et le Benedictus, se rattachent à Jean comme à celui qui fut l'occasion de l'un et de l'autre par son mystérieux tressaillement et par sa naissance.

 

ANTIENNE de Magnificat.

 

Zacharie étant entré dans le temple du Seigneur, l'ange Gabriel lui apparut debout à la droite de l'autel des parfums.

 

Le Cantique Magnificat, page 51.

 

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ORAISON

 

O Dieu, qui nous avez rendu ce jour glorieux par la naissance du bienheureux Jean ; donnez à votre peuple la grâce des joies spirituelles, et conduisez toutes les âmes fidèles dans la voie du salut éternel. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

 

Les chants de l'Eglise en l'honneur de la glorieuse Nativité du Précurseur sont commencés, et déjà tout nous montre en cette fête une des solennités les plus chères à l'Epouse. Que serait-ce, si, remontant vers des temps plus heureux, il nous était donné d'avoir part aux anciennes manifestations de l'instinct catholique en ce jour? Dans les grands siècles où la piété des peuples suivait docilement les inspirations de la Mère commune, le spectacle des démonstrations suggérées à la foi de tous par le retour d'anniversaires aimés, entretenait en chacun l'intelligence de l'œuvre divine et des grandes harmonies que le Cycle ancien savait rendre. Aujourd'hui que l'esprit liturgique a baissé pour plusieurs, le mouvement si catholique qu'il imprimait aux foules ne se retrouve plus, et l'absence d'un gouvernail assuré se fait sentir à la dévotion d'un grand nombre : désemparée, ne se guidant plus sur les phares lumineux que l'Eglise avait disposés à chaque détour de la route , parfois elle apparaît plus sensible au vent des nouveautés qu'au souffle traditionnel de l'Esprit-Saint; elle est privée du sens exquis que les plus petits comme les plus grands de la famille chrétienne puisaient à la commune école du Cycle sacré; sans vue d'ensemble,

 

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trop souvent elle manque de proportions, et son défaut d'équilibre l'expose à mille faux mouvements pleins de périls, ou sans autre résultat qu'une fatigue sans profit. Toutefois les soubresauts et les écarts amenés par l'insuffisance de quelques-uns, ne font point sombrer le navire de la vraie piété, parce que, contre vents et marée, et au milieu même des diminutions qu'il est obligé de consentir, la ferme main du pilote suprême maintient toujours authentiquement la direction première. Nous sommes loin du temps où deux armées ennemies, se trouvant en présence la veille de Saint-Jean, remettaient le combat au lendemain de la fête (1) : en France,, où la sagesse condescendante de l'Eglise s'est résignée à tant de pertes douloureuses, la Nativité de saint Jean-Baptiste n'est plus solennisée que lorsqu'elle tombe un Dimanche ; mais néanmoins, portée au Calendrier comme double de première classe avec Octave, et ne le cédant qu'à la fête du Corps du Seigneur, elle continue de se présenter au fidèle attentif revêtue des caractères qui désignent en elle un des plus importants jours de l'année.

Une autre fête doit venir, à la fin d'août, réclamer nos hommages envers le fils de Zacharie et d'Elisabeth : la fête de son glorieux martyre et de sa naissance au ciel. Mais, toute vénérable qu'elle doive être pour nous, selon l'expression même de l'Eglise au jour de la Décollation de saint Jean-Baptiste (2), elle n'aura pas la splendeur de celle-ci. C'est qu'en effet la solennité de ce jour se rapporte moins à Jean qu'à Jésus qu'il annonce ; tandis que la Décollation, plus personnelle à notre Saint,

 

1. Bataille de Fontenay (samedi 25 juin 841) : Nithardi histor. L. II. — 2. Collecta diei.

 

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ne présente pas dans le plan divin l'importance qu'avait sa naissance, prélude de celle du Fils de Dieu.

Entre les fils des femmes, il n'y en a point de plus grand, dira l'Homme-Dieu de son Précurseur (1) ; et déjà Gabriel, les annonçant tous deux, affirmait de chacun qu'il serait grand (2). Mais la grandeur de Jésus sera d'être appelé le Fils du Très-Haut, et la grandeur de Jean est de marcher devant lui (3). Descendu du ciel comme celui de son Maître , le nom de Jean proclame la grâce que Jésus, sauvant l'homme , doit apporter au monde (4). Jésus, qui vient d'en haut en personne, est au-dessus de tous, et c'est lui, et lui seul, qu'attend l'humanité; Jean, qui vient d'ici-bas au contraire, n'a rien qu'il n'ait reçu ; mais il a reçu d'être l'ami de l'Epoux (5), son introducteur, et l'Epoux ne vient quopar lui à l'Epouse (6).

L'Epouse elle-même ne se connaît, ne se prépare aux noces sacrées, que par lui : sa prédication la réveille au désert (7) ; il l'orne de tous les attraits de la pénitence et des vertus ; sa main enfin, dans un commun baptême, l'unit au Christ sous les eaux. Sublime moment où, élevé par delà tous les hommes et les anges, Jean apparaît au milieu même de la Trinité sainte (8), investissant comme avec autorité d'un titre nouveau la seconde personne incarnée, le Père et l'Esprit agissant avec lui de concert ! Bientôt toutefois, redescendu des sommets plus qu'humains où sa mission l'avait porté, il ambitionne de disparaître : l'Epouse est à l'Epoux, sa joie à lui est entière, son œuvre achevée ;

 

1. MATTH. XI, 11. — 2. LUC. I, 15, 32. — 3. Ibid. — 4. Ibid. 13, 31. — 5. JOHAN. III, 27-31. — 6. Ibid. 1, 7 — 7. Cant. VIII, 5.— 8. Johannes totius medius Trinitatis. Petr. Dam. Sermo 23 (edit. Cajet.).

 

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il n'a plus qu'à s'effacer et décroître (1). A Jésus manifesté désormais (2), à Jésus seul de paraître et grandir. Ainsi l'astre du jour, à partir de la naissance de Jean, qui nous le montre dans sa splendeur, redescend-il des hauteurs du solstice vers l'horizon ; tandis que Noël sera pour lui le signal du mouvement de retour qui lui rendra progressivement tous ses feux.

Jésus seul en effet est la lumière, la lumière sans laquelle le monde resterait dans la mort ; et Jean n'est que l'homme envoyé de Dieu, sans qui la lumière demeurerait inconnue (3). Mais Jésus étant inséparable de Jean comme le jour l'est de son aurore, on ne doit pas s'étonner que l'allégresse du monde, à la naissance de Jean, participe de celle qu'excitera dans son temps la venue du Sauveur : tout ainsi que l'aurore excite en nous la joie du jour qu'elle précède et annonce. Jusqu'au quinzième siècle, l'Eglise latine, avec les Grecs qui continuent de le faire, célébra en septembre la Conception du Précurseur : non qu'elle fût sainte de soi, mais parce qu'elle marquait le commencement des mystères. Dans le même esprit, quoique déjà sainte en elle-même, la Nativité de saint Jean-Baptiste n'est si grandement célébrée, de nos jours encore, que parce qu'elle porte en elle pour ainsi dire la fête même de la Nativité du Sauveur. C'est la Noël d'été. Dès le commencement, Dieu et son Eglise prirent soin, comme nous l’allons voir, d'accuser par mille rapprochements la dépendance et ressemblance des deux solennités.

Dieu, dont la providence poursuit en tout la glorification de son Verbe fait chair,  estime les

 

1. Johan. III, 29-3o.   2.Ibid. I, 31. — 3. Ibid. 4-10.

 

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hommes et les siècles à la mesure du témoignage qu'ils rendent au Christ; et c'est pourquoi Jean est si grand. Car de celui que les prophètes annonçaient comme à venir, que les apôtres prêchaient comme déjà venu, lui seul, en même temps prophète et apôtre, a dit en le montrant : Le voici! Jean étant donc le témoin par excellence(1), il convenait qu' il présidât à la période glorieuse où, trois siècles durant, l'Eglise rendit à l'Epoux ce témoignage du sang qui donne aux martyrs la première place dans sa reconnaissance, après les apôtres et les prophètes sur le fondement desquels elle est bâtie (2). Dix fois s'ouvrirent, sur l'immense étendue de l'empire romain , les veines de l'Epouse; et l'éternelle Sagesse voulut que la dixième et dernière lutte se rattachât, par la journée du 25 décembre 3o3 dans Nicomédie (3), à la naissance du Fils de Dieu dont elle assurait le triomphe. Mais si la Nativité de l'Emmanuel éclaire ainsi dans les fastes sacrés la fin des grands combats, celle de Jean, comme il convenait, en marque les débuts. Ce fut en l'année 64 que, pour la première fois, Rome païenne ouvrit ses arènes aux soldats du Christ ; et c'est le 24 juin que l'Eglise en consacre l'auguste souvenir, par cette mention qui fait suite, dans son Martyrologe, à l'annonce concernant la Nativité du Précurseur : « A Rome, la mémoire sainte des nombreux martyrs qui, sous l'empereur Néron, furent accusés calomnieusement de l'incendie de la Ville, et moururent par l'ordre du prince en divers supplices : les uns exposés sous des peaux de bêtes aux  morsures des chiens, d'autres crucifiés,

 

1. JOHAN. 1, 7. — 2. Eph. II, 20.— 3. Le Temps de Noël, t. I, p. 291. Martyrol. Rom. ad diem 23 Dec. : Octavo Calendas Januarii.

 

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d'autres embrasés en manière de torches à la chute du jour pour éclairer dans la nuit. Tous ceux-là étaient disciples des Apôtres : prémices choisies que l'Eglise romaine, champ fertile en martyrs, offrit avant la mort des Apôtres au Seigneur (1). »

La solennité du 24 juin éclaire donc doublement les origines du christianisme. Il n'y eut pas d'assez mauvais jours dans l'Eglise, pour mettre en défaut, une seule année, la prédiction de l'ange que beaucoup se réjouiraient à la naissance de Jean (2) ; avec la joie, sa parole, ses exemples, son intercession, apportaient le courage aux martyrs. Après le triomphe remporté par le Fils de Dieu sur la négation païenne, lorsque au témoignage du sang succéda celui de la confession par les œuvres et la louange, Jean conserva son rôle de précurseur du Christ dans les âmes. Guide des moines, il les conduit loin du monde et les fortifie dans les combats de la solitude ; ami de l'Epoux, il continue de former l'Epouse, en préparant au Seigneur un peuple parfait (3).

Dans les divers états, à tous les degrés de la vie chrétienne, se fait sentir sa bienveillante et nécessaire influence. Ce n'est pas en vain qu'au commencement du quatrième Evangile, dans le passage le plus dogmatique du Testament nouveau, si l'on peut ainsi parler, Jean se retrouve, comme au Jourdain, intimement uni aux opérations de la Trinité souveraine dans l'universelle économie de la divine Incarnation : Il y eut un homme envoyé de Dieu qui s'appelait Jean, dit l'Esprit-Saint; il vint pour servir de témoin, pour rendre témoignage

 

1. Martyrol. Rom. ad diem 24 Junii : Octavo Calendas Julii. — 2. LUC. I, 14. — 3. Ibid. 17.

 

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à la lumière, AFIN QUE TOUS CRUSSENT PAR LUI (1). « Précurseur dans sa naissance, précurseur dans sa mort, saint Jean, dit saint Ambroise, continue de marcher en avant du Seigneur. Et peut-être plus que nous ne le pensons, son action mystérieuse a sa part dans notre présente vie, dans ce présent jour. Lorsque nous commençons à croire au Christ, il y a comme une vertu de Jean qui nous attire après elle; il incline dans le sens de la foi les sentiers de notre âme; il redresse les chemins tortueux de cette vie, il en fait la voie droite de notre pèlerinage, de peur que nous ne tombions dans les anfractuosités de l'erreur; il fait en sorte que toutes nos vallées puissent se remplir des fruits des vertus, que toute hauteur mondaine s'abaisse devant le Seigneur (2). »

Mais si le Précurseur garde sa part dans chaque progrès de la foi rapprochant du Christ les âmes, il intervient plus encore dans tout baptême accroissant l'Epouse. Les baptistères lui sont consacrés. Le baptême qu'il donnait aux foules sur les bords du Jourdain n'eut jamais, il est vrai, la puissance du baptême chrétien ; mais en plongeant l'Homme-Dieu sous les eaux, il mettait ces dernières en possession de la vertu fécondante qui, sortie de cet Homme-Dieu, allait leur donner de compléter jusqu'à la fin des temps, par l'accession de membres nouveaux, le corps de l'Eglise unie au Christ.

La foi de nos pères n'ignorait pas les grands biens dont étaient redevables à Jean les particuliers et les peuples. Tant de néophytes recevaient son nom au baptême, si efficace pour conduire jusqu'à la sainteté était le secours prêté par lui à

 

1. JOHAN. I, 6-7. — 2. Ambr. in LUC. I, 38.

 

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ses clients fidèles, qu'il n'est pas de jour du calendrier où l'on ne puisse honorer la naissance au ciel de quelqu'un d'entre eux (1). Patron autrefois des Lombards, saint Jean-Baptiste l'est aujourd'hui du Canada français. Mais, soit en Orient, soit en Occident, qui pourrait compter les contrées, les villes, les familles religieuses, les abbayes, les églises placées sous ce puissant patronage : depuis le temple qui, sous Théodose, remplaça dans Alexandrie l'antique Sérapéon aux mystères fameux, jusqu'au sanctuaire élevé sur les ruines de l'autel d'Apollon, au sommet duCassin, par le patriarche des moines; depuis les quinze églises que Byzance, devenue la nouvelle Rome, avait consacrées dans ses murs au Précurseur, jusqu'à cette basilique auguste de Latran , vraiment digne du nom qui lui fut donné de basilique d'or , et qui, dans la capitale de l'univers chrétien, reste la maîtresse et la mère de toutes les églises de la Ville et du monde! Primitivement dédiée au Sauveur, elle adjoignit bientôt à ce vocable sacré, comme inséparable, celui de l'Ami de l'Epoux. Le nom de Jean l'évangéliste, cet autre ami de Jésus , dont une tradition place au 24 juin la mort précieuse, fut lui-même ajouté aux deux autres ; mais il n'en demeure pas moins assuré que la pratique commune est d'accord avec les anciens documents, pour rapporter plus spécialement au Précurseur le titre de Saint-Jean-de-Latran sous lequel on désigne aujourd'hui la basilique patriarcale des Pontifes romains.

« Il convenait en effet, dit saint Pierre Damien, que l'autorité de l'Epouse souscrivît au jugement de l'Epoux, et que celui-ci vit son ami le plus grand

 

1. Annus Joannis,  auctore Joanne N. (Pragae,  1664).

 

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élevé en gloire là où celle-là serait reine. Election remarquable, à coup sûr, que celle qui donne à Jean cette primauté en la ville même consacrée par la mort glorieuse des deux flambeaux du monde. Pierre de sa croix, Paul sous le glaive, voient la première place rester à un autre; Rome s'empourpre du sang d'innombrables martyrs, et ses honneurs vont tous au bienheureux Précurseur. Jean, partout, est le plus grand (1). »

En ce jour donc, imitons l'Eglise; évitons les oublis de l'ingratitude ; saluons avec action de grâces et pleine allégresse, l'arrivée de celui qui nous promet le Sauveur. Déjà Noël s'annonce. Sur la place du Latran, le fidèle peuple romain veillera cette nuit, attendant l'heure qui lui permettra de rompre le jeûne sévère et la stricte abstinence de la vigile, pour se livrer à d'innocentes réjouissances, prélude de celles qui, dans six mois, accueilleront l'Emmanuel.

La Vigile de saint Jean n'est plus de précepte dans un grand nombre d'églises ; autrefois, pourtant, ce n'était pas un seul jour de jeûne qu'on savait s'imposer à l'approche de la Nativité du Précurseur, mais un carême entier, rappelant par sa durée et ses prescriptions l'Avent du Seigneur (2). Plus sévères avaient été les saintes exigences de la préparation, plus chère aussi et mieux comprise était la fête. Après avoir égalé la pénitence

 

1. Illa enim mater et magistra omnium Ecclesiarum Ecclesia Romana, cui dictum est : « Ego pro te rogavi, ut non deliciat fides tua, » in honore Johannis Baptistae, post Salvatoris nomen consecrata est et signata. Dignum namque erat ut sententiam Sponsi Sponsae sequeretur auctoritas... Petr. Dam. Sermo XXIII. On voit aussi ce discours attribué à saint Bernard ou à Nicolas de Clairvaux. — 2. Conciles, capitulaires, canons pénitentiels.

 

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du Carême de Jean aux austérités de celui de Noël, on ne s'étonnait plus de voir l'Eglise rapprocher dans sa Liturgie les deux Nativités, à un point qui surprendrait aujourd'hui la foi boiteuse de plusieurs.

Trois Messes célébraient la naissance de Jean, comme celle de Celui qu'il fit connaître à l'Epouse : la première, à nuit close, rappelait son titre de précurseur; la seconde, au point du jour, honorait son baptême ; la troisième, à Tierce, exaltait sa sainteté (1). Préparation de l'Epouse, consécration de l'Epoux, sainteté sans paire: triple triomphe, qui rapprochait le serviteur du Maître, et méritait l'hommage d'un triple Sacrifice au Dieu trois fois saint, manifesté à Jean dans la pluralité de ses personnes et révélé par lui à l'Eglise. De même encore qu'il y avait autrefois deux Matines en la nuit de Noël, Durand de Mende nous apprend, après Honorius d'Autun, que plusieurs célébraient en la fête de saint Jean un double Office (2). Le premier commençait à la chute du jour ; il était sans alléluia, pour signifier le temps de la Loi et des Prophètes qui dura jusqu'à Jean (3). Le second, commencé au milieu de la nuit, se terminait à l'aurore ; on le chantait avec alléluia, pour marquer l'ouverture des temps de la grâce et du royaume de Dieu (4).

L'allégresse, qui est le caractère propre de cette fête, débordait en dehors du saint lieu, et se répandait jusque sur les Musulmans infidèles. Si, à Noël, la rigueur de la saison confinait au foyer domestique les expansions touchantes de la piété privée, la beauté des nuits de la Saint-Jean d'été

 

1. Sacrament. Gregor., Amal., pseudo-Alcuin., Ord. rom. — 2. Dur. Ration, VII, 14: Hon. Gemma anim. IV, 48. — 3. LUC. XVI, 16. — 4. Ibid.

 

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offrait une occasion de dédommagement à la foi vive des peuples. Aussi complétait-elle ce qui lui semblait l'insuffisance de ses démonstrations envers l'Enfant-Dieu, parles honneurs rendus au Précurseur dans son berceau. A peine s'éteignaient les derniers rayons de l'astre du jour, que du fond de l'Orient jusqu'à l'extrême Occident, sur la surface du monde entier, d'immenses jets de flammes s'élançaient des montagnes, et s'allumaient soudain par toutes les villes, dans chaque bourgade, dans les moindres hameaux. C'étaient les feux de la Saint-Jean : témoignage authentique, sans cesse renouvelé, de la vérité des paroles de l'ange et de la prophétie annonçant cette joie universelle qui devait saluer la naissance du fils d'Elisabeth. Comme une lampe ardente et luisante, selon l'expression du Seigneur, il était apparu dans la nuit sans fin, et, pour un temps, la synagogue avait voulu se réjouir à ses rayons (1) ; mais, déconcertée par sa fidélité qui l'empêchait de se donner pour le Christ et la vraie lumière (2), irritée à la vue de l'Agneau qu'il montrait comme le salut du monde et non plus seulement d'Israël (3), la synagogue bientôt s'était retournée vers la nuit, et, d'elle-même, avait mis sur ses yeux le bandeau fatal qui lui permet de rester dans ses ténèbres jusqu'à nos jours. Reconnaissante à celui qui n'avait voulu ni diminuer, ni tromper l'Epouse, la gentilité l'exalta d'autant plus, au contraire, qu'il s'était abaissé davantage ; elle recueillit les sentiments qu'aurait dû garder la synagogue répudiée, et manifesta par tous les moyens en son pouvoir que, sans confondre la lumière empruntée du Précurseur avec l'éclat du Soleil de justice, elle n'en saluait pas

 

1. JOHAN. V, 35. — 2. Ibid. I, 20. — 3. Ibid. 29.

 

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moins avec enthousiasme cette lumière qui avait été pour l'humanité l'aurore des joies nuptiales.

On pourrait presque dire des feux de la Saint-Jean qu'ils remontent, comme la fête elle-même, à l'origine du christianisme. Ils apparaissent du moins dès les premiers temps de la paix, comme un fruit de l'initiative populaire, non sans exciter parfois la sollicitude des Pères et des conciles, attentifs à bannir  toute idée superstitieuse de manifestations qui remplaçaient, si heureusement d'ailleurs, les fêtes païennes des solstices. Mais la nécessité de combattre quelques abus, possibles aujourd'hui comme alors, n'empêcha point l'Eglise d'encourager un genre de démonstrations qui répondait si bien au caractère de la fête. Les feux de la Saint-Jean complétaient heureusement la solennité liturgique ; ils montraient unies dans une même  pensée l'Eglise et  la  cité terrestre. Car l'organisation de ces réjouissances relevait  des communes, et les municipalités en portaient tous les frais.  Aussi le privilège d'allumer  les feux était-il réservé, d'ordinaire, aux premiers personnages de l'ordre civil. Les rois eux-mêmes, prenant part à la joie de mus, tenaient à honneur de donner ce  signal d'allégresse  à leurs peuples ; Louis XIV, en 1648, mit encore le feu au bûcher de la place de Grève, comme l'avaient fait ses prédécesseurs. Ailleurs, comme il se fait toujours en plus d'un endroit de la  catholique Bretagne, le clergé, invité à bénir les bois amoncelés, y jetait lui-même le premier brandon ; tandis que la foule, portant des torches embrasées, se répandait dans les campagnes autour des moissons mûrissantes, ou suivait au bord de l'Océan les sinuosités du rivage,  avec  mille cris joyeux auxquels  répondaient les feux allumés dans les îles voisines.

 

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En certains lieux, la roue ardente, disque enflammé tournant sur lui-même et parcourant les rues des villes ou descendant du sommet des montagnes, représentait le mouvement du soleil qui n'atteint le plus haut point de sa course que pour redescendre aussitôt ; elle rappelait la parole du Précurseur au sujet du Messie : Il faut qu'il croisse et que je diminue (1). Le symbolisme se complétait par l'usage où l'on était de brûler les ossements et débris de toutes sortes, en ce jour qui annonça la fin de la loi ancienne et le commencement des temps nouveaux, selon le mot de l'Ecriture : Vous rejetterez ce qui est vieux, à l'arrivée des nouveaux biens (2).

Heureuses les populations qui conservent encore quelque chose des coutumes où l'antique simplicité de nos pères puisait une joie plus vraie, et plus pure assurément, que celles demandées par leurs descendants à des fêtes où l'âme n'a plus de part !

L'Office des Laudes a aujourd'hui une importance particulière, le Cantique Benedictus, qu'on y chante toute l'année, étant l'expression même des sentiments inspirés par l'Esprit-Saint au père de Jean-Baptiste, à l'occasion de la naissance qui réjouit ainsi Dieu et les hommes. C'est pourquoi, ne pouvant insérer l'Office entier, nous donnerons du moins ici le Cantique, en le faisant précéder des deux Hymnes de Matines et de Laudes, qui font suite à celle des Vêpres dans la composition de Paul Diacre. Les Antiennes, le Capitule et le Verset des Laudes, sont les mêmes que l'on trouvera plus loin aux secondes Vêpres.

 

1. JOHAN. III, 3o. — 2. Levit., XXVI, 10.

 

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HYMNE DE MATINES.

 

Dès vos plus tendres années, fuyant la foule et les villes, vous gagnâtes les antres du désert, pour éviter que le moindre écart de la langue ne vînt ternir l'éclat de votre vie.

 

Là vous eûtes un dur vêtement de poils de chameau pour couvrir vos membres sacrés, pour ceinture une lanière , pour aliment le miel et les sauterelles.

 

Les autres prophètes avaient seulement chanté, d'un cœur inspiré, l'astre qui devait paraître ; mais vous, du doigt, vous montrez celui qui ôte le péché du monde.

 

Il n'y eut point dans l'immensité du vaste univers un fils de la femme plus saint que ne fut Jean, lui qui mérita de plonger sous les eaux celui qui lave les crimes des siècles.

 

Honneur au Père, et au Fils qu'il engendre, ainsi qu'à vous, puissance éternellement égale aux deux, ô Esprit : Dieu unique, dans toute la suite des âges.

Amen.

HYMNE DE LAUDES.

 

O mille    fois   heureux , vous dont le mérite est si sublime, dont la blanche pureté ne connut jamais de souillure, très puissant martyr, habitant des forêts, le plus grand des prophètes.

 

D'autres ont leurs couronnes brillantes d'oeuvres ayant produit trente pour un, deux fois plus en quelques-uns ; mais vous, plus que triplant vos œuvres, allez jusques à cent dans la gloire de  votre diadème (1).

 

Maintenant, par la vertu de mérites si féconds, brisez les durs rochers de nos cœurs, aplanissez le chemin raboteux, redressez les sentiers qui s'écartent ;

 

Afin que le doux Créateur et Rédempteur du monde, trouvant nos âmes purifiées des souillures de toute faute, daigne comme il convient, à sa venue, y poser ses pieds bienheureux.

 

Que les habitants des deux vous célèbrent en leurs louanges, ô Dieu simple et trois en  personnes ; dans nos  supplications, de notre  côté, nous  vous demandons grâce : épargnez vos rachetés. Amen.

 

V/. Cet enfant sera grand devant le Seigneur.

 

R/. Car sa main est avec lui.

 

Ant. La bouche de Zacharie fut ouverte, et il prophétisa disant : Béni soit le Dieu d'Israël.

 

1. Et aliud cecidit in terram bonam: et dabat fructum ascendentem, et crescentem ; et afferebat unum triginta, unum sexaginta, et unum centum. Marc. IV, 8. 20.

 

CANTIQUE   DE   ZACHARIE.

 

Béni soit le  Seigneur, le Dieu  d'Israël ; car il a visité et racheté son peuple.

Et il nous a suscité un puissant Sauveur, dans la maison de David, son serviteur :

Comme il l'avait promis par la bouche de ses Saints, de ses Prophètes, qui ont prédit dans les siècles passés,

Qu'il nous sauverait de nos ennemis et de la main de tous ceux qui nous haïssent ;

Qu'il ferait la miséricorde promise à nos pères, et se souviendrait de son alliance sainte,

Du serment par lequel il avait juré à Abraham notre père de faire, dans sa bonté,

Que, délivrés de la main de nos ennemis, nous   le puissions servir sans crainte

Dans la sainteté et la justice , marchant devant lui tous les jours de notre vie

Et vous , petit Enfant Précurseur de l’Emmanuel vous serez appelé
Prophète du Très-Haut , car vous marcherez devant la face du Seigneur, pour préparer ses voies,

Pour donner à son peuple la connaissance du salut, et annoncer la rémission des péchés,

Par les entrailles de la miséricorde de notre Dieu, ce divin Orient qui s'est levé sur nous du haut du ciel,

Pour éclairer ceux qui sont assis dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort, pour diriger nos pas dans la voie de la paix.

 

 

A TIERCE

 

L'Hymne et les trois Psaumes dont se compose l'Office de Tierce,  se trouvent ci-dessus, page 26.

 

Ant. Ils faisaient signe d'indiquer à son père comment il voulait qu'on le nommât ; et il écrivit : Jean  est son nom.

 

Le Capitule comme aux  premières  Vêpres, page 288.

 

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R/. br. Il y eut un homme * Envoyé par Dieu. Il y eut.

V/. Dont le nom était Jean. * Envoyé.

Gloire au Père. Il y eut.

V/.  Entre les fils des femmes il n'y en a point eu de plus grand

R/. Que Jean-Baptiste.

 

L'Oraison est la Collecte de la Messe, page 310.

 

A LA MESSE.

 

La Messe est composée de divers passages de l'Ancien et du Nouveau Testament. L'Eglise, disent les auteurs liturgistes, veut ainsi nous rappeler que Jean forme le trait d'union des deux alliances et participe de chacune. Il est l'agrafe précieuse qui fixe le double manteau de la loi et de la grâce (1) sur la poitrine du Pontife éternel.

 

1. Petr. Chrys. Sermo 91.

 

L'Introït est d’Isaïe ; nous retrouverons plus au long, dans l'Epître, le texte d'où il est tiré. Le Psaume qui se chantait autrefois avec lui est le XCI°, dont le premier verset reste seul maintenant en usage, quoique la raison primitive du choix de ce psaume se trouve dans le suivant et le treizième : Il est bon d'annoncer au matin votre miséricorde, et de manifester votre vérité dans la nuit !... Le juste fleurira comme le palmier ; il se multipliera comme le cèdre du Liban.

 

INTROÏT.

 

Le Seigneur m'a appelé par mon nom dès le ventre de ma mère; il a fait de ma langue un glaive acéré ; il m'a protégé sous l'ombre de sa main; il m'a mis en réserve comme une flèche choisie.

Ps. Il est bon de louer le Seigneur, et de chanter des psaumes à votre nom, ô Très-Haut ! Gloire au Père. Le Seigneur

 

 

La Collecte rassemble les vœux du peuple fidèle, en ce jour devenu si grand par la naissance du Précurseur. Elle implore l'abondance des joies spirituelles, qui sont la grâce propre de cette fête, ainsi que l'avait annoncé Gabriel ; et, rappelant le rôle du fils de Zacharie qui consiste à redresser les sentiers du salut, elle demande que pas un des chrétiens ne s'écarte des voies de l'éternelle  vie.

 

COLLECTE.

 

O Dieu, qui nous avez rendu ce jour glorieux par la naissance du bienheureux Jean, donnez à votre peuple la grâce des joies spirituelles, et conduisez toutes les âmes fidèles dans la voie du salut éternel. Par Jésus-Christ notre Seigneur.

 

ÉPÎTRE.

 

Lecture du Prophète Isaïe. Chap. XLIX.

 

Ecoutez, îles ; et vous, peuples éloignés, soyez attentifs: Le Seigneur m'a appelé dès le sein maternel; dès le ventre de ma mère il s'est souvenu de mon nom. Il a fait de ma langue un glaive acéré; il m'a protégé sous l'ombre de sa main, et il m'a mis en réserve comme une flèche choisie : il m'a caché dans son carquois. Et il m'a dit : Vous êtes mon serviteur, Israël; je me glorifierai en vous. Et le Seigneur, qui m'a formé dès le sein de ma mère pour être son serviteur, dit maintenant : Voici que je vous ai donné pour lumière aux nations ; vous êtes le salut que j'enverrai jusqu'aux extrémités de la terre. Les rois vous verront et les princes se lèveront devant vous, et ils se prosterneront à cause du Seigneur et du Saint d'Israël qui vous a choisi.

 

 

Isaïe, dans ces quelques lignes, a directement en vue d'annoncer le Sauveur ; l'application qu'en fait l'Eglise à saint Jean-Baptiste, nous montre une fois de plus l'étroite union du Christ et de son Précurseur dans l'œuvre de la Rédemption. Capitale de la gentilité, devenue la mère de l'univers chrétien, Rome s'est plue à faire entendre, dans ce grand jour, aux fils que l'Epoux lui a donnés, la prophétie consolante qui s'adressait à eux, avant même qu'elle ne fût fondée sur les sept collines. Huit siècles avant la naissance de Jean et du Messie, une voix s'élevait de Sion, et, franchissant les limites de Jacob, retentissait sur tous les rivages où la nuit du péché retenait l'homme

 

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asservi à l'enfer : Ecoutez, îles ; et vous, peuples éloignés, soyez attentifs ! C'était la voix de Celui qui devait venir et de l'ange chargé de marcher devant lui, la voix de Jean et du Messie, exaltant la commune prédestination qui faisait d'eux, comme serviteur et Maître, l'objet des mêmes décrets éternels. Et la voix, après avoir célébré le privilège qui les désignerait, quoique si diversement, dès le sein maternel, aux complaisances du Tout-Puissant, formulait l'oracle divin qui devait être promulgué en d'autres termes, sur leurs berceaux, par le ministère de Zacharie et des anges. Je me glorifierai en vous, qui êtes vraiment pour moi Israël ; c'est peu de Jacob, qui ne vous écoutera point et dont vous ne me ramènerez qu'un petit nombre (1) : voici que je vous ai donné pour lumière aux nations, vous êtes le salut que j’enverrai jusqu'aux extrémités de la terre ; pour le peu d'accueil que vous aura fait mon peuple, les rois se lèveront et, à votre parole, ils adoreront le Seigneur qui vous a choisi comme négociateur de son alliance (2).

Enfants de l'Epouse, entrons dans ses pensées ; comprenons quelle reconnaissance doit être la nôtre, à nous gentils, envers celui à qui toute chair devra d'avoir connu le Sauveur (3). Du désert, où sa voix stigmatisait l'orgueil des descendants des patriarches, il nous voyait succéder à Faîtière synagogue ; sans rien diminuer des divines exigences, son austère prédication avait, pour les futurs privilégiés de l'Epoux, des ménagements de langage qu'il ne connaissait point avec les Juifs. « Race de vipères, disait-il à ceux-ci, qui donc vous montre à fuir le châtiment qui s'avance ? Faites de

 

1. ISAI. XLIX, 4-6. — 2. Ibid. 8. — 3. Ibid. XL, 5.

 

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dignes fruits de pénitence, et n'allez pas dire : Nous avons pour père Abraham ; car je vous dis, moi, que Dieu peut faire sortir de ces pierres des fils d'Abraham. Pour vous, déjà la cognée est à la racine, et l'arbre stérile sera jeté au feu (1). » Mais au publicain méprisé, au soldat détesté, à tous les cœurs arides de la gentilité, trop comparables en effet aux rochers du désert, Jean-Baptiste annonçait la grâce qui désaltérerait et féconderait dans la justice leurs âmes desséchées : « Publicains, ne dépassez pas les exigences du fisc ; soldats, contentez-vous de votre solde (2). Moïse a donné la loi ; mais meilleure est la grâce, œuvre de celui que j'annonce (3) : c'est lui qui ôte les péchés du monde (4), et nous donne à tous de sa plénitude (5) ». Quels horizons nouveaux pour ces délaissés, que le dédain d'Israël avait si longtemps tenus à l'écart! Mais pour la synagogue, pareille atteinte au privilège prétendu de Juda était un crime. Elle avait supporté les invectives sanglantes du fils de Zacharie ; elle s'était montrée prête à l'acclamer comme le Christ (6) ; mais l'inviter à marcher de pair, elle qui se proclamait pure, avec l'impure gentilité, c'en était trop : Jean, dès ce moment, fut jugé comme le sera son Maître. Jésus, plus tard, insistera sur cette différence de l'accueil fait à son Précurseur par ceux qui l'écoutaient ; il en fera la base de sa sentence de réprobation contre les Juifs : « En vérité, je vous le dis, les publicains et les femmes perdues vous précéderont dans le royaume de Dieu ; car Jean est venu à vous dans la voie de la justice et vous ne l'avez point écouté, tandis que les publicains et les  femmes

 

1. LUC. III, 7-9. — 2. Ibid: 12-14. — 3. JOHAN. 1, 15-17. — 4. Ibid. 29. — 5. Ibid. 16. —6. Ibid. 19.

 

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perdues ont reçu sa parole, sans que cette vue vous ait amenés à pénitence (1). »

 

1. MATTH. XXI, 31-2 2.

 

A la suite d'Isaïe prophétisant la venue de Jean et du Sauveur, Jérémie, figure de l'un et de l'autre, apparaît au Graduel ; lui aussi fut sanctifié dès le sein de sa mère, et préparé dès lors au ministère qu'il devait remplir. Le Verset demeure en suspens sur l'annonce d'un discours du Seigneur; selon le rit autrefois usité, il se complétait par la reprise du Graduel. Le Verset alléluiatique est emprunté à l'Evangile, et tiré du Benedictus.

 

GRADUEL.

 

Je vous ai connu avant de vous avoir formé dans le sein de votre mère, et avant votre naissance je vous ai sanctifié.

V/. Le Seigneur a étendu sa main, il a touché ma bouche, et il m'a dit.

Alléluia, alléluia.

V/. Vous, enfant, serez appelé Prophète du Très-Haut ; vous marcherez devant le Seigneur, pour préparer ses voies. Alléluia.

 

EVANGILE.

 

La suite du saint Evangile selon saint LUC. Chap. I.

 

Le temps d'Elisabeth arriva, et elle mit au monde un fils. Ses voisins et ses proches ayant donc appris que le Seigneur avait fait éclater sur elle sa miséricorde, l'en félicitaient. Le huitième jour, ils vinrent pour circoncire l'enfant, et ils le nommaient Zacharie, du nom de son père. Mais sa mère répondit : Nullement; il s'appellera Jean. Ils lui dirent : Il n'y a personne dans votre famille qui porte ce nom. En même temps, ils faisaient signe au père de marquer comment il voulait qu'on le nommât. Or lui, demandant des tablettes, écrivit : .Ican est son nom. Et tout le monde fut dans l'étonnement. Au même instant sa bouche s'ouvrit, sa langue se délia, et il parlait en bénissant Dieu. Tous les voisins de Zacharie et d'Elisabeth furent remplis de crainte, et le bruit dotant de merveilles se répandit sur toutes les montagnes de Judée. Ceux qui les apprenaient les gardaient en leur cœur, et ils disaient: Quel pensez-vous que sera cet enfant ? Car la main du Seigneur était avec lui. Et Zacharie son père fut rempli du Saint-Esprit, et il prophétisa, disant: Béni soit le Seigneur Dieu d'Israël, car il a visité et racheté son peuple.

 

Après les lieux sanctifiés par le passage en ce monde du Verbe fait chair, il n'en est point, dans la Palestine, qui doive intéresser plus l'âme chrétienne que celui où se sont accomplis les événements racontés dans notre Evangile. La ville qu'illustra la naissance du Précurseur se trouve à deux lieues de Jérusalem vers le couchant, comme Bethléhem, où naquit le Sauveur, est à deux lieues au midi de la Ville sainte. Sorti par la porte de Jaffa, le pèlerin qui se dirige vers Saint-Jean-dc-la-Montagne rencontre d'abord le monastère grec de Sainte-Croix, élevé sur l'emplacement où furent coupés les arbres dont fut faite la croix du Seigneur. Puis, continuant sa marche à travers le massif des montagnes de Juda, il atteint un sommet d'où se découvre à ses yeux la Méditerranée. La maison d'Obed-Edom qui abrita trois mois l'arche sainte, s'élevait en cet endroit, d'où un sentier rapide conduit au lieu où Marie, la véritable arche d'alliance, passa elle-même trois, mois de bénédictions chez sa cousine Elisabeth. Deux sanctuaires, éloignés d'environ mille pas l'un de l'autre, consacrent les grands souvenirs qui viennent de nous être rappelés par saint Luc : dans l'un fut conçu et naquit Jean-Baptiste ; dans l'autre eut lieu la circoncision du Précurseur, huit jours après sa naissance. Le premier remplace la maison de ville de Zacharie ; il remonte, dans sa forme actuelle, à une époque antérieure aux croisades. C'est une belle église à trois nefs et à coupole, mesurant trente-sept pas en longueur. L'autel majeur est dédié à saint Zacharie, celui de droite à sainte Elisabeth. Sur la gauche, sept degrés de marbre conduisent à une chapelle souterraine creusée dans le roc, et qui n'est autre que l'appartement le plus reculé de la maison primitive : c'est le sanctuaire de la Nativité de saint Jean. Quatre lampes tempèrent l'obscurité de cette crypte vénérable, tandis que six  autres, suspendues sous  la

 

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table même de l'autel, éclairent cette inscription gravée sur le marbre du pavé: HIC PRAECURSOR DOMINI NATUS EST. Unissons-nous en ce jour aux pieux enfants de saint François, gardiens de tant d'ineffables souvenirs ; plus heureux ici qu'à la grotte bénie de Bethléhem, ils n'ont point à disputer au schisme les honneurs qu'au nom de l'Epouse légitime, ils rendent à l'Ami de l'Epoux sur le lieu même de sa naissance.

Les traditions locales placent à quelque distance de ce premier sanctuaire, ainsi que nous l'avons dit, le souvenir de la circoncision du Précurseur. Outre sa maison de ville en effet, Zacharie en possédait une autre plus isolée. Elisabeth s'y était retirée durant les premiers mois de sa grossesse, pour goûter dans le silence le don de Dieu (1). C'était là que Notre-Dame venant de Nazareth l'avait rencontrée, là que s'était produit le sublime tressaillement des enfants et des mères, là que le Magnificat avait prouvé au ciel que la terre désormais l'emportait sur lui dans la louange et l'amour. Il convenait que le chant de Zacharie, le Cantique du matin, retentît lui-même, pour la première fois, au lieu d'où celui du soir était monté comme un encens de si suave odeur. Les récits des anciens pèlerins signalent en cet endroit deux sanctuaires superposés, avec un escalier conduisant de l'un à l'autre : en bas avait eu lieu la rencontre de Marie et d'Elisabeth; ce fut au-dessus, à l'étage supérieur de la maison de campagne de Zacharie, que se passa la plus grande partie du récit qui vient de nous être proposé par la sainte Eglise.

 

Urbain V, en 1368, avait ordonné de chanter le

 

1. LUC. I, 24-26.

 

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Credo au jour de la Nativité de saint Jean-Baptiste et durant l'Octave, pour éviter que le Précurseur ne parût inférieur aux Apôtres. La coutume ancienne de supprimer le Symbole en cette fête a néanmoins prévalu : non comme une marque d'infériorité, à l'égard de celui qui s'élève au-dessus de tous ceux qui annoncèrent jamais le royaume de Dieu ; mais pour rappeler qu'il acheva sa course avant la promulgation de l'Evangile.

L'Offertoire est tiré du psaume d'Introït; c'est le verset qui formait autrefois. l'Introït même de la deuxième Messe du Saint, à l'aurore.

 

OFFERTOIRE.

 

Le juste fleurira comme le palmier ; il se multipliera comme le cèdre du Liban.

 

La Secrète relève le double caractère de Prophète et d'Apôtre, qui fait la grandeur de saint Jean ; le Sacrifice qui s'apprête en son honneur va encore augmenter sa gloire, en mettant de nouveau sous nos yeux l'Agneau de Dieu qu'il annonça et qu'il montra au monde.

 

SECRÈTE.

 

Nous chargeons de dons vos autels, ô Seigneur, afin de célébrer comme il convient la naissance de celui qui prophétisa la prochaine arrivée du Sauveur du monde, et montra présent ce Sauveur, notre Seigneur Jésus-Christ votre Fils, qui vit et règne avec vous.

 

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L'Epoux est en possession de l'Epouse, et c'est Jean-Baptiste qui lui a préparé les voies, ainsi que le rappelle l'Antienne de la Communion. Le moment des Mystères est celui où, chaque jour, il répète : L'Epoux est celui à qui est l'Epouse ; l'ami de l’Epoux, qui se tient près de lui et l'entend, tressaille de joie à la voix de l’Époux : cette joie donc, qui est la mienne, est complète (1).

 

COMMUNION.

 

Vous, enfant, serez appelé Prophète du Très-Haut; car vous marcherez devant la face du Seigneur, pour préparer ses voies.

 

Si la joie déborde en l'Ami de l'Epoux, comment l'Epouse, en ce moment béni des Mystères, ne serait-elle pas elle-même toute allégresse et reconnaissance ? Qu'elle exalte donc, en la Postcommunion, celui qui lui fit connaître son Sauveur et Seigneur!

 

POSTCOMMUNION.

 

Faites, ô Dieu, que votre Eglise puise la joie dans la naissance du bienheureux Jean-Baptiste, par qui elle a connu l'auteur de sa renaissance, notre Seigneur Jésus-Christ votre Fils , qui vit et règne avec vous.

 

1. JOHAN. III, 29.

 

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A SEXTE

 

L'Hymne et les trois Psaumes dont se compose l’Office de Sexte, se trouvent ci-dessus, page 32.

 

Ant. Son  nom sera Jean ,  et beaucoup se réjouiront à sa naissance.

 

CAPITULE.  (ISAI. XLIX.)

 

Et maintenant , voici ce que dit le Seigneur qui m'a formé dès le sein de ma mère pour être son serviteur : Je vous ai donné pour lumière aux nations ; vous serez mon salut jusqu'aux extrémités de la terre.

 

R/. br. Entre les fils des femmes, * Il n'y en a point eu de plus grand. Entre les fils.

V/. Que Jean-Baptiste. * Il n'y en a.

Gloire au Père. Entre.

V/. lisabeth, femme de Zacharie, a mis au monde un grand homme :

R/. Jean-Baptiste,le précurseur du Seigneur.

 

L'Oraison est la Collecte de la Messe, page 310.

 

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A NONE.

 

L 'Hymne et les Psaumes, ci-dessus, page 37.

 

Ant. Vous enfant, serez appelé Prophète du Très-Haut ; vous marcherez devant  le

Seigneur, pour préparer ses voies

 

CAPITULE. ( Isaï. XLIX)

 

Les rois vous verront, et les princes se lèveront devant vous; et ils adoreront le Seigneur votre Dieu et le Saint d'Israël qui vous a choisi.

 

R/. br. Elisabeth , femme de Zacharie, * A mis au monde un grand homme Elisabeth.

V/. Jean-Baptiste, le précurseur du Seigneur. * A mis.

Gloire au Père. Elisabeth

V/. Cet enfant sera grand devant le Seigneur.

R/. Car sa main est avec lui

 

L'Oraison, page 310.

 

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LES SECONDES VÊPRES.

 

Les secondes Vêpres de saint Jean-Baptiste ne diffèrent des premières, que par les Antiennes et le Verset. L'Eglise continue d'y célébrer les grandeurs de celui qui est venu apporter la joie au monde, en lui montrant le Dieu si longtemps attendu.

 

1. Ant. ELISABETH, femme de Zacharie, a mis au monde un grand homme, Jean-Baptiste le précurseur du  Seigneur.

 

Psaume CIX Dixit Dominus, page 43.

 

2. Ant. Ils faisaient signe au père d'indiquer comment il voulait qu'on le nommât; et  il écrivit : Jean est son nom.

 

Psaume CX. Confitebor tibi,  Domine, page 44.

 

3. Ant. Son nom sera Jean, et beaucoup se réjouiront à sa naissance.

 

Psaume CXI.  Beatus vir, page 45. Inter natos

 

4. Ant. Entre les fils des femmes, il n'y en a point eu de plus grand que Jean-Baptiste.

 

Psaume CXII. Laudate pueri, page 46.

 

5. Ant . Vous, enfant, serez appelé Prophète du Très-Haut ; vous marcherez devant le Seigneur pour préparer ses voies.

 

Psaume CXVI. Laudate Dominum, omnes gentes, page 288.

 

Le Capitule, page 288.

L'Hymne, page 290.

 

V/. Cet enfant sera grand devant le Seigneur.

R/. Car sa  main  est avec lui.

 

ANTIENNE de Magnificat.

 

L'enfant qui nous est né est plus qu'un prophète ; car c'est celui dont le Sauveur dit : Entre les fils des femmes, il n'y en a point eu de plus grand que Jean-Baptiste.

 

Le Cantique Magnificat. 51

L'Oraison, page 310.

 

La belle Séquence que nous donnons ici , a mérité d'être attribuée à Adam de Saint-Victor , quoiqu'elle soit peut-être un  peu plus ancienne.

 

SÉQUENCE

 

L'Eglise, ô Christ, à votre honneur doit célébrer la naissance de votre précurseur et baptiseur.

 

C'est glorifier le roi, que d'exalter le héraut dont la vertu, dont la mission sublime ' est un fruit de sa grâce.

 

Gabriel promit un fils au vieillard;  lui douta, et perdit la parole.

 

Jean, signalé par le ciel à l'avance, s'était révélé dans le secret même du sein maternel.

 

Héritier donné après l'âge ; longtemps stérile, devenue mère : mystère profond !

 

Il est vrai, cette conception de Jean n'est point suivant l'ordre de la chair : c'est la grâce qui produit un tel enfantement, non la nature.

 

Dieu s'emprisonne au sein de la Vierge : au prisonnier, pareillement prisonnier Jean applaudit de son étroit séjour.

 

Voix de celui qui crie dans le désert, Voix qui annonce le Verbe, à ciel ouvert il montre l'Agneau.

 

L'enfant naît, du Roi nouveau de la loi nouvelle héraut, signal, porte-étendard. La Voix précède le Verbe, le paranymphe l'époux, l'étoile du matin le lever du soleil.

 

De vive voix la mère, par écrit le père, déclarent le nom du nouveau-né, et la langue du père, aussitôt déliée, voit cesser son mutisme.

 

Son ardente foi, sa parole lumineuse et qui conduit à la vraie lumière enseigne d'innombrables foules.

 

Non qu'il soit la lumière, mais il est le flambeau : c'est le Christ qui est la lumière éternelle, la lumière illuminant tout.

 

Un cilice était son vêtement, sa ceinture une lanière ; des sauterelles et le miel des forêts faisaient sa nourriture.

 

Au témoignage que lui rendit le Christ, il ne s'éleva jamais de plus grand parmi les enfants nés d'une femme; par cette parole le Christ s'exceptait, lui qui de chair avait pris chair sans que la chair y eût part.

 

Le juste est condamné à mort ; ordre est donné de lui enlever la vie dans la prison; le roi n'a pas horreur d'offrir sa tête en don dans un festin.

 

Témoin de Dieu, quoique pécheurs, quoique inhabiles à vos louanges , nous vous louons, nous espérons votre clémence : exaucez-nous.

 

En votre nativité accordez-nous la joie promise, et que ne nous délecte pas moins  votre triomphant martyre.

 

Nous vénérons, nous admirons en vous tant de mystères ! par vous le Christ nous daigne accorder sa douce présence !

Amen.

 

Les recueils liturgiques des diverses Eglises abondent en formules profondes et gracieuses, pour exprimer la grandeur de Jean et du rôle qu'il eut à remplir. Telle cette solennelle Antienne des Laudes, au Bréviaire Ambrosien :

 

PSALLENDA.

 

Jean vit dans le sein maternel la lumière que contemplent les âmes, non les sens, et il tressaillit dans le Seigneur. Il est né, le Précurseur de la lumière, l'admirable Prophète montrant l'Agneau qui vient ôter les péchés du monde.

 

Telle encore cette antique prière de notre Sacramentaire Gallican :

 

COLLECTIO.

 

O Dieu qui avez rendu ce jour incomparable dans l'histoire du genre humain, en le consacrant par la naissance de Jean-Baptiste ; accordez-nous, par ses mérites, de suivre les traces que laissa ici-bas la chaussure de celui qui se proclamait indigne de dénouer les cordons du Sauveur.

 

Mais, comme il convenait, l'Eglise Romaine , vouée à Jean, dépassa toutes celles dont elle est la maîtresse et la mère, par l'abondance et la magnificence des formules qu'elle consacra à célébrer l'Ami de l'Epoux. Sans parler des trois Messes du Sacramentaire Grégorien pour ce jour, le Léonien en renfermait deux autres dites ad Fontem, et dont le texte se réfère aux nouveaux baptisés, selon l'ancienne coutume où l'on était de donner le baptême à la fête de saint Jean, comme on le faisait à Pâques, à la Pentecôte et à l'Epiphanie. Des cinq Préfaces spéciales du Sacramentaire Léonien pour chacune de ces Messes, nous donnerons seulement la suivante.

 

PREFACE.

 

Il est vraiment juste de vous louer, ô Seigneur, en ce jour où naquit le bienheureux Jean-Baptiste. Sans voir encore les spectacles de la terre, il révélait déjà ceux du ciel ; il annonçait l'éternelle lumière, avant d'avoir aperçu celle du temps : témoin de la vérité, avant même d'être apparu au monde, prophète avant d'être né ; caché dans les entrailles maternelles, et par son tressaillement prophétique annonçant dès lors le Fils unique de Dieu ; précurseur de votre Christ, avant que de naître. Et il n'est pas étonnant, Seigneur, que, venu au jour, il ait montré votre Fils qu'enfermé dans le sein de sa mère il avait reconnu. Il est bien vrai qu'entre les enfants des femmes il n'eut point de semblable ; car il est inouï qu'aucun homme ait eu mandat pour la Divinité, avant d'être entré dans les conditions de l'humaine vie. Combien admirable est l'annoncé, c'est ce qui apparaît clairement dans les merveilles de celui qui l’annonce. Il convenait également que, serviteur d'office du bain symbolique, il accordât son ministère à celui qui venait consacrer le mystère du parfait baptême ; prêchant aux mortels la rémission des péchés, c'était justice qu'il obéit à celui qu'il avait désigné comme étant venu pour ôter le péché du monde.

 

Dans ce concert des Eglises à l'honneur de Jean, pourrions-nous oublier les Eglises orientales, auxquelles le saint Précurseur inspira tant de chants harmonieux ? Au nom de toutes celles que le défaut d'espace nous contraint de laisser dans le silence, l'Eglise Syriaque exaltera l'auguste baptiseur du Christ en ces strophes que lui consacre son poète sublime, le grand diacre d'Edesse. La longueur de cette Hymne admirable nous oblige à l'abréger et à n'en donner aujourd'hui qu'une partie, réservant l'autre pour le jour de l'Octave.

 

HYMNE (1).

 

(De Domino nostro et Johanne.)

 

Transporté en esprit au Jourdain, j'y ai vu  des choses admirables, lorsque le glorieux Epoux s'est révélé à l'Epouse, pour la délivrer de la servitude du péché et la sanctifier.

 

J'ai vu Jean dans la stupeur, la foule debout autour de lui, et le glorieux Epoux incliné devant le fils de la stérile pour recevoir de lui le baptême.

 

Mon âme admire et le Verbe et la Voix. Jean est la Voix du Seigneur Verbe : celui qui était caché va se manifester au monde.

 

L'Epouse, fiancée à l'Epoux, contemple l'Epoux sans le connaître ; les paranymphes sont là; le désert est rempli ; au milieu d'eux le Seigneur est caché.

 

Alors l'Epoux,se manifestant lui-même, s'approcha de Jean près du fleuve. Emu, le héraut divin dit de lui : « C'est lui l'Epoux que j'ai annoncé ! »

 

Il est venu au baptême, l'auteur de tout baptême, il s'est manifesté au Jourdain. Jean l'a vu, et, retirant sa main, l'a supplié, disant :

 

« Comment voulez-vous être baptisé , ô Seigneur dont le baptême sanctifie tous les êtres ? C'est vous qui possédez le vrai baptême d'où découle la sainteté parfaite. »

 

Le Seigneur a répondu : « Je le veux : approche et donne-moi le baptême ; c'est ma volonté. Tu ne peux résister à ma volonté ; je serai baptisé par toi, parce que je le veux ainsi. »

 

  Ne dites pas cela, je vous en prie, Seigneur; ne me contraignez pas, car ce que vous me dites est difficile. C'est à moi d'être baptisé par vous '. car votre hysope purifie tout.

 

— Je le demande, et il me plaît que la chose soit ainsi. Mais toi, Jean, pourquoi hésites-tu ? laisse-nous accomplir ce qui est juste. Va donc , baptise-moi ; pourquoi cette incertitude?

 

  Qui peut saisir en ses mains la flamme ? O vous, feu consumant dans tout votre être, ayez pitié de moi, et permettez que je n'approche pas de vous ; car ce m'est une chose difficile.

 

— Je t'ai manifesté ma volonté : que crains-tu ? Approche donc et baptise-moi, tu ne seras pas consumé. Le repas des noces est prêt ainsi que la chambre nuptiale : ns m'en éloigne pas.

 

  Il faut bien, Seigneur, que je considère ma nature : je ne suis que terre, et c'est vous qui m'avez façonné, qui donnez l'être à toute créature. Pourquoi donc vous baptiserais-je dans les eaux?

 

  Il faut que tu saches pourquoi je suis venu et à quelle fin je t'ai demandé le baptême. Le baptême est au milieu de la route que j'ai choisie, ne me le refuse pas.

 

— Ce fleuve est trop étroit pour que vous v puissiez descendre. Les cieux ne peuvent contenir votre immensité ; combien moins ces eaux du baptême !

 

— Le sein d'une vierge est plus étroit que le Jourdain, et pourtant librement j'en ai fait mon séjour. Si j'ai pu naître du sein d'une vierge, je puis être baptisé dans le Jourdain.

 

— Voici que les armées des cieux sont ici présentes ; les phalanges angéliques ,

rosternées, vous adorent ; épouvantement qui fait trembler mes membres, ô Seigneur, s'oppose à ce que je puisse vous baptiser.

 

  Toutes les phalanges des célestes Vertus te proclament bienheureux, de ce que je t'ai choisi dès le sein de ta mère pour me donner le baptême ; ne crains donc point , puisque c'est ma volonté.

 

  J'ai préparé la voie , c'était ma mission ; j'ai fiancé l'Epouse, selon l'ordre que j'en avais reçu. Maintenant que vous êtes venu, que votre manifestation éclate par le monde, et que je n'aie pas à vous baptiser.

 

— Les fils d'Adam attendent de moi le don de la nouvelle naissance; je leur ouvrirai la voie dans les eaux; mais cela n'est possible que par mon baptême.

 

  Les sacrificateurs reçoivent de vous leur consécration, votre hysope purifie les pontifes, vous constituez les christs et les rois. Que vous servira le baptême ?

 

— L'Epouse que tu m'as fiancée attend que, descendant dans le fleuve, j'y sois baptisé et la sanctifie. Ami de l'Epoux, ne me refuse pas le bain qui m'attend.

 

1. S. Ephrem Syri Hymni et Sermones. Th. J. Lamy, t. I.

 

 

Précurseur du Messie, nous partageons la joie que votre naissance apporta au monde. Elle annonçait la propre naissance du Fils de Dieu. Or, chaque année, l'Emmanuel prend vie à nouveau dans l'Eglise et les âmes ; et, pas plus aujourd'hui qu'il y a dix-huit siècles, il ne veut naître sans que vous-même ayez, comme alors, préparé les voies à cette nativité qui donne à chacun de nous son Sauveur. A peine s'achève, au Cycle sacré, la série des mystères qui ont consommé la glorification de l'Homme-Dieu et fondé l'Eglise, que déjà Noël se montre à l'horizon ; déjà, dans son berceau, Jean tressaille et révèle l'approche de l'Enfant-Dieu. Doux prophète du Très-Haut, qui ne pouvez parler encore et déjà, pourtant, dépassez tous les princes de la prophétie, bientôt le désert, comme nous le redirons, semblera vous avoir ravi pour jamais au commerce des hommes. Mais dans les jours de l'Avent, l'Eglise vous aura retrouvé; elle nous

 

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ramènera sans cesse à vos enseignements sublimes, aux témoignages que vous rendrez à Celui qu'elle attend. Dès maintenant, commencez la préparation de nos âmes ; redescendu sur notre terre en ce jour d'allégresse, venu comme messager de la prochaine arrivée du Seigneur, pourriez-vous un instant rester oisif devant l'œuvre immense qui vous incombe en nous?

Chasser le péché, dompter les vices, redresser les instincts faussés de la pauvre nature déchue : tout cela devrait être accompli sans doute, tout cela serait achevé dès longtemps, si nous avions répondu fidèlement à vos labeurs passés. Il n'est que trop vrai pourtant ; c'est à peine s'il semble, en plusieurs, que le défrichement ait jamais commencé : terres rebelles, où les pierres et les ronces défient vos soins depuis des années. Nous le reconnaissons, dans la confusion de nos âmes coupables : nous confessons nos fautes à vous et au Dieu tout-puissant, comme l'Eglise nous apprend à le faire au début du grand Sacrifice ; mais, en même temps, nous vous prions avec elle d'intercéder pour nous auprès du Seigneur notre Dieu. Vous le proclamiez au désert : de ces pierres mêmes, Dieu peut toujours faire sortir des fils d'Abraham.

Chaque jour, les solennelles formules de l'oblation qui prépare l'immolation sans cesse renouvelée du Sauveur, nous apprennent la part honorable ex. puissante qui vous revient dans cet auguste Sacrifice ; votre nom, de nouveau prononcé lorsque la victime sainte est sur l'autel, supplie alors pour nous pécheurs le Dieu de toutes miséricordes. Puisse-t-il, en considération de vos mérites et de notre misère, être propice à la prière persévérante de notre mère  l'Eglise,  changer nos cœurs,  et

 

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remplacer leurs attaches mauvaises par les attraits des vertus qui nous vaudront la visite de l'Emmanuel ! A ce moment sacré des Mystères, trois fois invoqué selon la formule même que vous nous avez apprise, l'Agneau de Dieu qui ôte les péchés du monde aura lui-même pitié de nous et nous donnera la paix : cette paix précieuse avec le ciel, avec la terre, avec nous-mêmes, qui nous préparera pour l'Epoux en nous rendant les fils de Dieu (1) selon le témoignage que, chaque jour également, vous renouvelez par la bouche du prêtre au sortir de l'autel. Alors votre joie et la nôtre sera complète, ô Précurseur ; l'union sacrée, dont ce jour de votre nativité renferme pour nous l'espérance déjà si joyeuse, sera devenue, dès cette terre et sous les ombres de la foi, une réalité sublime, en attendant la claire vision de l'éternité.

 

1. Johan I, 12 ; MATTH. V, 9.

 

 

 

 

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