BONIFACE

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LE V JUIN. SAINT BONIFACE, ÉVÊQUE ET MARTYR, APÔTRE DE L'ALLEMAGNE.

 

Le Fils de l'homme, proclame Roi dans les hauteurs des cieux au jour de son Ascension triomphante, laisse à l'Epouse qu'il s'est donnée le soin et la gloire de faire reconnaître ici-bas son domaine souverain. La Pentecôte est le signal des conquêtes de l'Eglise ; c'est alors qu'elle s'éveille au souffle de l'Esprit-Saint; toute remplie de cet Esprit d'amour, elle aspire comme lui aussitôt à posséder la terre. Les Anglo-Saxons et les Francs viennent de prêter en ses mains leur serment de foi et hommage au Christ, à qui toute puissance fut donnée sur la terre et au ciel (1). Winfrid aujourd'hui, réalisant le beau nom de Boniface ou bienfaisant que lui donna Grégoire II, se présente entouré des multitudes arrachées par lui du même coup au paganisme et à la barbarie. Grâce à l'apôtre de la Germanie, l'heure bientôt va venir pour l'Eglise de constituer dans ce monde à l'Epoux, indépendamment de sa principauté sur les âmes, un empire plus puissant qu'aucun de ceux qui l'auront précédé ou suivi.

Le Père éternel attire à son Fils (2), non pas seulement les hommes,mais les nations; elles sont dans le temps son héritage (3),  non moins que le

 

1. Matth. XXVIII, 18.—2. Johan. VI, 44. —3. Psalm. II, 6, 8.

 

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ciel l'est pour l'éternité. Or il ne suffit pas aux complaisances de Dieu pour son Verbe fait chair, que les nations viennent isolément chacune reconnaître en lui leur Seigneur et maître. C'est le inonde qui lui fut promis comme possession, sans distinction de peuples, sans limites autres que les bornes de la terre (1) ; reconnu ou non, son pouvoir est universel. Chez plusieurs sans doute, la méconnaissance ou l'ignorance du droit royal de l'Homme-Dieu doit durer jusqu'au delà du temps; pour tous encore, nous le savons trop, la révolte sera possible. Il convenait cependant que l'Eglise, dès qu'elle le pourrait, mît à profit son influence sur les nations baptisées, pour les rassembler dans l'unité d'un même acquiescement extérieur à cette royauté source de toutes les autres. A côté du Pontife, vicaire de l'Homme-Dieu en ce qui touche les intérêts du ciel et des âmes, il y avait place, dans le domaine de la vie présente, pour un chef de la chrétienté qui ne fût tel qu'à titre de lieutenant du Christ Seigneur des seigneurs. Ainsi devait se trouver réalisée en toute plénitude, pour le fils de David, la principauté grandiose que les prophètes avaient annoncée (2).

Institution vraiment digne du nom qui lui sera donné de Saint-Empire ; dernier résultat de la glorieuse Pentecôte, comme étant la consommation du témoignage rendu par l'Esprit à Jésus pontife et roi (3). Aussi, quelques jours encore ; et Léon III, l'auguste Pontife appelé par l'Esprit-Saint à poser le couronnement de son œuvre divine, proclamera, aux applaudissements du monde, l'établissement de cet empire nouveau sous le sceptre de l'Homme-Dieu,  dans la  personne  de

 

1. Psalm. II, 6, 8, — 2 Psalm. LXXI. — 3. Johan. XV, 26.

 

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Charlemagne représentant du Roi des rois. Telle que nous pouvions la prévoir jusqu'ici néanmoins par les enseignements de la sainte Liturgie, cette œuvre merveilleuse n'était pas encore suffisamment préparée ; de vastes régions, celles-là même qui doivent former l'apanage principal du futur empire, ne connaissaient pas même le nom du Seigneur Jésus, ou ne conservaient d'une prédication première, étouffée sous le tumulte des invasions , qu'un mélange confus de pratiques chrétiennes et de superstitions idolâtriques. Et c'est pourquoi, précurseur de Léon III, Boniface se lève, revêtu de la force d'en haut (1). Descendant de ces Angles à figure d'anges, par qui l'ancienne Bretagne est devenue l'île des Saints, il brûle de porter à la Germanie d'où sortirent ses aïeux, la lumière qui est venue les trouver dans la terre de leur conquête.

Trente ans d'une vie monastique commencée dès l'enfance malgré les caresses et les larmes d'un père, ont préparé son âme; mûri dans la retraite et le silence d'un si long temps, rempli de la science divine, accompagné des prières de ses frères, il peut en toute sécurité suivre l'attrait qui l'appelle. Rome le voit d'ahord soumettant ses vues au vicaire de l'Homme-Dieu, source féconde autant qu'unique de toute mission dans l'Eglise. Grégoire II, digne en tout des grands papes honores du même nom, exerçait alors sur le monde chrétien la vigilance apostolique ; entre les écueils dressés par l'astuce lombarde et l'hérétique démence de Léon l'Isaurien, sa ferme et prudente main conduisait sûrement la barque de Pierre aux gloires souveraines qui l'attendaient en ce siècle

 

1. Act. I, 8.

 

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huitième. Dans l'humble moine prosterné à ses pieds, l'immortel Pontife a bientôt reconnu l'auxiliaire puissant que lui envoie le ciel ; et, muni de la bénédiction apostolique, Winfrid, devenu Boniface, sent l’Esprit-Saint l'entraîner à des conquêtes que Rome même autrefois n'avait point rêvées.

Par les sentiers qu'il trace au delà du Rhin dans les régions non frayées de la terre barbare, l'Epouse du Fils de Dieu pénètre plus avant que ne firent les légions, renversant les dernières idoles des faux dieux, civilisant et sanctifiant les hordes farouches, fléau du vieux monde. Fils de saint Benoît, le moine anglo-saxon donne à son œuvre une stabilité qui défiera les siècles. Partout s'élèvent des monastères, prenant pour Dieu possession du sol même, fixant autour d'eux par la force de l'exemple et leurs bienfaits les tribus nomades. Sur tous les fleuves, du sein des forêts, en guise des cris de vengeance et de guerre, monte maintenant l'accent de la prière et de la louange au Dieu très-haut. Disciple chéri de Boniface, Sturm préside à cette colonisation pacifique, qui laisse loin derrière elle les colonies de vétérans dans lesquelles Rome païenne mettait la principale force de son empire.

Voici qu'à la même heure, en ces sauvages régions où la violence jusque-là régnait en souveraine, s'organise la milice sainte des épouses du Seigneur. L'Esprit de la Pentecôte a soufflé dans la terre des Angles, et, comme au Cénacle, les saintes femmes en ont eu leur part ; les vierges consacrées, obéissant à l'impulsion céleste, ont quitté leur patrie et le monastère où s'abrita leur enfance. Après avoir pourvu de loin d'abord aux besoins de Winfrid, copié pour lui en lettres d'or les livres

 

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saints, elles rejoignent l'apôtre ; intrépides, elles ont passé la mer, et sont venues, sous la garde de l'Epoux, prendre leur part des travaux entrepris pour sa gloire. Lioba les conduit : Lioba, dont la douce majesté, dont les traits célestes élèvent la pensée au-dessus de la terre ; qui, par sa science des Ecritures, des Pères et des saints Canons, égale les plus célèbres docteurs ; mais l'Esprit divin a plus encore enrichi son âme d'humilité et de saint héroïsme. Elle sera mère de la nation allemande. Les hères Germaines, avides de sang, qui, au jour de leurs noces, n'agréaient pour dons qu'un cheval de bataille avec le bouclier et la framée (1), apprendront d'elle les qualités de la femme forte. On ne les verra plus s'enivrer de carnage et ramener au combat leurs maris vaincus; mais les vertus de l'épouse et de la mère remplaceront en elles la fureur des camps; la famille sera fondée sur le sol germanique, et, avec elle, la patrie.

C'est ce qu'avait compris Boniface, en appelant à lui Lioba, Walburge, et leurs compagnes. Epuise de travaux, fatigué plus encore, hélas ! comme il arrive à tous les hommes de Dieu, par de mesquines jalousies se couvrant d'un faux zèle, l'athlète du Christ ne dédaignait pas de venir lui-même trouver près de sa tille bien-aimée conseil et réconfort. Appréciant à sa valeur la part qu'elle avait eue dans son œuvre, il la voulut pour compagne de son repos dans la tombe, en sa chère abbaye de Fulda.

Mais l'apôtre est loin encore d'être au soir de sa vie. Il doit assurer le sort spirituel des convertis sans nombre qu'a faits sa parole, et placer à leur tête ceux que l'Esprit-Saint désigne

 

1. Tacit. De mor. Germ. 18.

 

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gouverner l'Eglise de Dieu (1). Par ses soins, la hiérarchie sacrée se constitue et se développe ; le sol se couvre d'églises ; et sous la houlette d'évêques élus de Dieu, des peuples nouveaux, créés comme par enchantement, vivent à la gloire de la Trinité sainte en ces contrées hier païennes, où Satan avait cru pouvoir éterniser sa domination.

Vainement d'autre part, Arius, Manès, divers corrupteurs de la foi sainte anciens et nouveaux, chassés de partout, végètent encore sur les confins ignorés du paganisme germain; vainement la cupidité d'indignes ministres du Seigneur se flatte d'exploiter toujours l'ignorance de chrétientés trop éloignées du centre vital, et jusque-là forcément délaissées. L'éclat inaltéré du Verbe divin, qui revêt Boniface comme une robe de gloire (2), rayonne de lui jusqu'au fond des retraites obscures où l'hérésie se dérobe ; le fouet dont l'Homme-Dieu s'arma pour expulser les vendeurs du temple est dans les mains de son apôtre, et il chasse loin de leurs troupeaux sacrilègement abusés les prêtres infâmes qui, à prix égal, offrent au Dieu très-haut l'hostie du salut, ou immolent des bœufs et des boucs aux divinités vaincues de la Germanie. Au bout de quarante années d'un fécond apostolat, l'Allemagne, convertie ou délivrée des pasteurs mercenaires, est acquise au Christ.

Mais le vaillant précurseur du Saint-Empire ne doit pas borner son action puissante à préparer la race germanique aux grandes destinées qui l'attendent. La France, fille aînée de l'Eglise, est, dans ses princes, appelée la première à porter le globe d'or surmonté de la croix, auguste emblème de l'universelle royauté du Fils de Dieu. Or, si la

 

1. Act. XX, 28. — 2. Eccli. XV, 1, 5.

 

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France de Clotilde, pure d'hérésie, reste fidèle à son baptême, elle-même cependant réclame du ciel à cette heure le secours nécessaire au salut des nations dans les périodes critiques de leur histoire. Les descendants de Clovis n'ont conservé de son royal héritage que le titre vain d'un pouvoir qu'ils n'ont plus, tandis que la vraie puissance est passée aux mains d'une famille nouvelle : race vigoureuse, qui vient de donner sa mesure en écrasant près de Poitiers l'immense armée des Maures. Mais en sauvant la chrétienté, Charles Martel conduit l'Eglise de France à deux doigts de sa ruine par la distribution qu'il fait des sièges épiscopaux, des abbayes, aux compagnons de sa victoire. Sous peine d'une situation non moins désastreuse que ne l'eût faite la victoire d'Abdrame, il faut déposséder de leurs crosses usurpées ces étranges titulaires, et renvoyer du moins leurs fils aux armées franques ; avec autant de douceur que de fermeté, par l'ascendant de la vertu, il faut amener le héros de Poitiers et sa descendance au respect du droit des Eglises.

Victoire plus glorieuse que la défaite des Maures, et qui fut celle de notre Boniface ! Triomphe de la sainteté désarmée, aussi profitable aux vaincus qu'à l'Eglise même ; car il devait faire du farouche soldat, bâtard de Pépin d'Héristal, la souche pour les Francs d'une deuxième dynastie dont la gloire allait surpasser l'illustration des rois de la première race.

Légat de saint Zacharie comme il l'avait été de Grégoire III son prédécesseur, Boniface avait fixé à Mayence son siège épiscopal, pour mieux garder au Christ en même temps et la Germanie, conquête de son premier apostolat, et la France sauvée par ses derniers labeurs. Comme un autre

 

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Samuel, lui-même consacra de ses mains la nouvelle royauté, en conférant, par un rite nouveau chez les Francs, l'onction sacrée à Pépin le Bref, fils de Charles Martel. On était arrivé à l'année 752. Encore enfant, un autre Charles, héritier futur du trône qu'il venait d'affermir ainsi par la force de l'huile sainte , attirait les bénédictions du vieillard. Mais Fonction royale de cet enfant était réservée au Pontife suprême; et un diadème plus auguste encore que celui des rois francs devait plus tard se poser sur son front, pour manifester en lui, à la tète de l'Empire romain renouvelé, le lieutenant du Christ.

L'œuvre personnelle de Boniface était achevée ; comme le vieillard Siméon, il avait vu l'objet des ambitions et des labeurs de sa vie, le salut préparé par Dieu au nouvel Israël. Lui aussi ne songe plus qu'à s'en aller dans la paix du Seigneur ; mais l'entrée dans la paix pour un tel apôtre, et il l'entend bien ainsi, ne saurait être que le martyre. L'heure va sonner ; le vieil athlète a choisi son dernier champ de bataille. C'est la Frise, encore à demi païenne ; il y a un demi-siècle, au début de sa carrière apostolique, il avait fui cette contrée pour échapper à l'épiscopat que saint Willibrord voulait lui imposer dès lors ; aujourd'hui qu'elle n'a plus que la mort à lui offrir, il aspire à s'y rendre. Dans une lettre d'humilité sublime, il se prosterne aux pieds d'Etienne III qui vient de succéder à Zacharie, et remet au Siège apostolique la correction de ce qu'il appelle les maladresses et les fautes de sa longue vie (1) ; il laisse à Lull, son très cher fils, l'Eglise de Mayence; il recommande au roi des Francs  les  prêtres disséminés

 

1.  Epist.  LXXVIII.

 

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dans toute la Germanie, les moines, les vierges qui l’ont suivi dans ces lointaines contrées. Puis, faisant disposer parmi les quelques livres qu'il emporte avec lui le suaire qui doit envelopper son corps, il désigne les compagnons de son dernier voyage, et part avec eux pour cueillir la couronne.

 

Lisons le récit consacré par l'Eglise à cette grande vie :

 

Boniface, appelé auparavant Winfrid , naquit chez les Angles sur la fin du septième siècle. Dès son enfance il prit le monde en dégoût, et tourna ses désirs vers la vie monastique. Son père chercha en vain par les appâts du siècle à changer la résolution qu'il avait prise , et il entra dans le cloître. Sous la conduite du bienheureux Wolphard, il s'y forma à toutes les vertus et à tous les genres de science. Honoré, à trente ans, du sacerdoce, il s'adonna à prêcher la parole divine, et produisit par là de grands fruits dans les âmes. Cependant, dans son désir d'accroître le royaume de Jésus-Christ, il pleurait sans cesse le sort de cette multitude infinie de barbares que les ténèbres profondes de l'ignorance retenaient au service du démon. Ce zèle des âmes le dévorait chaque jour de plus en plus d'inextinguibles ardeurs ; par ses prières et ses larmes il demanda au Seigneur de lui faire connaître sa volonté, et il obtint de son Abbé la permission de passer en Germanie.

 

Il s'embarqua avec deux compagnons et vint d'Angleterre à Dorsted, ville de Frise. Mais comme il s'était élevé en ce temps une grande guerre entre le roi des Frisons Radbod et Charles Martel , la prédication de l'apôtre fut sans succès ; il revint en Angleterre, et retourna à son monastère, dont on le fit Abbé malgré lui. Après deux ans il abdiqua, du consentement de l’évêque de Winchester, et partit pour Rome, afin d'obtenir de l'autorité apostolique la mission d'évangéliser les gentils. Arrivé à la ville, il fut reçu avec bienveillance par Grégoire II. Le Pontife changea son nom de Winfrid en celui de Boniface. Dirigé sur les provinces germaniques, il annonça Jésus-Christ aux peuples de la Thuringe et de la Saxe. Radbod, le roi de Frise, ennemi mortel du nom chrétien, étant mort sur ces entrefaites, Boniface retourna chez les Frisons, où il se fit pendant trois ans le compagnon de saint Willibrord; sa prédication de l'Evangile fut si heureuse alors, qu'on détruisit les idoles des fausses divinités et  que d'innombrables églises  furent  élevées au vrai Dieu.

 

Saint Willibrord voulait lui confier la charge épiscopale ; il la refusa pour s'adonner plus librement au salut des infidèles, et se rendit en Germanie. Dans la Hesse, il retira plusieurs milliers d'hommes de la superstition diabolique. Appelé à Rome par le Pape Grégoire, il lui remit une très belle profession de sa foi et fut consacré évêque. De retour ensuite chez les Germains, il acheva d'extirper de la Hesse et de la Thuringe les restes de l'idolâtrie. Pour tant de mérites insignes, Boniface fut élevé à la dignité archiépiscopale par Grégoire III. Une troisième fois il fit le voyage de Rome, et fut constitué légat du Siège apostolique par le Pontife suprême. Revêtu de cette autorité, il institua quatre évêchés et tint divers synodes, parmi lesquels on remarque celui de Leptines célébré chez les Belges, au diocèse de Cambrai. Dans ce temps, grâce à l'apôtre, la foi s'accrut merveilleusement en Belgique. Créé par le Pape Zacharie archevêque de Mayence , sur l'ordre du Pontife lui-même, il sacra Pépin roi des Francs. Après la mort de saint Willibrord , il prit  pour lui le gouvernement de l'Eglise d'Utrecht, et s'en acquitta d'abord par Eoban, ensuite par lui-même, lorsque , s'étant déchargé de l’Eglise de Mayence, il voulut se fixer en Frise. Caries Frisons étant retombés dans l'idolâtrie , il voulut leur prêcher de nouveau l'Evangile. Comme il s'acquittait de ce devoir pastoral, il fut attaqué par une troupe de barbares au bord de la Burda, avec Eoban son co-évêque et beaucoup d'autres; massacré par ces impies, il recueillit la palme du martyre. Le corps de saint Boniface fut transporté à Mayence, et, comme il l'avait demandé pendant sa vie , enseveli dans l'abbaye de Fulda qu'il avait fondée. De nombreux miracles illustrèrent sa tombe. Le Souverain Pontife Pie IX a étendu son Office et sa Messe à toute l'Eglise.

 

 

Vous avez été, grand apôtre, le serviteur fidèle (1) de Celui qui vous avait choisi comme ministre de sa parole sainte et propagateur de son règne. En quittant la terre afin d'aller faire reconnaître sa royauté des célestes phalanges, le Fils de l'homme n'en restait pas moins le roi de ce monde qu'il abandonnait pour un temps 1. Il comptait sur l'Eglise pour lui garder sa principauté d'ici-bas.

 

1. Luc. XIX.

 

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Bien faible encore était, à l'heure de son Ascension, le nombre de ceux qui voyaient en lui leur Seigneur et Maître. Mais la foi déposée dans les âmes de ces premiers élus était un trésor qu'ils firent valoir en banquiers habiles, et surent multiplier par le commerce apostolique. Transmis de génération en génération jusqu'au retour de l'Homme-Dieu, le précieux dépôt devait produire au Seigneur absent des intérêts toujours plus considérables. Il en fut bien ainsi, ô Winfrid, dans le siècle où vous apportâtes à l'Eglise le tribut de labeurs qu'elle réclame de tous ses fils à cette fin, quoique en des proportions différentes. Vos œuvres parurent bonnes et profitables entre toutes à la Mère commune ; dans sa reconnaissance, prévenant la gratitude de l'Epoux lui-même, elle voulut vous appeler dès ce monde du nom nouveau (1) sous lequel vous êtes maintenant connu dans les cieux.

Et, en effet,  jamais richesses pareilles à celles que vous lui préparâtes ,  affluèrent-elles dans les mains de  l'Epouse ? Jamais  l'Epoux apparut-il mieux et plus pleinement le  chef du  monde, qu'en  ce huitième siècle où les princes francs, formés par vous à leurs grandes destinées, constituèrent la souveraineté temporelle de l'Eglise, et se firent  gloire d'être, à côté du vicaire de l’Homme-Dieu, les lieutenants du Seigneur Jésus ? Le Saint-Empire vous doit d'avoir été possible, ô Boniface. Sans vous,  la France s'abîmait dans les hontes d'un clergé simoniaque, et périssait avant même d'avoir vu  Charlemagne; sans vous, l'Allemagne restait aux barbares et à leurs dieux ennemis de toute civilisation et de tout

 

1. Apoc. II, 17.

 

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progrès. Sauveur des Germains et des Francs, recevez nos hommages.

Devant la grandeur de vos œuvres, au souvenir des grands papes et de ces princes à la taille colossale dont  la gloire relève de la vôtre en toute vérité, l'admiration égale en nous la  reconnaissance. Mais pardonnez si, à la pensée des grands siècles, hélas ! si loin de nous, un retour sur nos temps amoindris vient mêler la tristesse aux joies de votre triomphe. Les  pygmées qui s'admirent aujourd'hui parce qu'ils savent détruire et souiller, ne méritent  sans doute que le mépris. Mais combien, à la lumière de votre politique sainte et de ses résultats, ô précurseur de la glorieuse confédération des  peuples chrétiens, apparaissent malhabiles et coupables ces faux grands princes, ces hommes d'Etat de l'avant-demier siècle, sottement admirés d'un monde qu'ils ont acheminé vers sa ruine ! Les nations catholiques, s'isolant l'une de  l'autre, ont dénoué les liens qui les groupaient autour du vicaire de l'Homme-Dieu; leurs princes, oubliant qu'ils étaient, eux aussi, les représentants du  Verbe divin sur la terre,  ont traité avec l'hérésie pour afficher leur indépendance à l'égard de Rome ou s'abaisser mutuellement. Aussi la  chrétienté n'est plus. Sur ses débris, contre-façon odieuse du Saint-Empire, Satan dresse, à la honte de l'Occident, son faux empire  évangélique, formé d'empiétements successifs,  et reconnaissant pour première origine l'apostasie du chevalier félon Albert de Brandebourg.

Les complicités qui l'ont rendu possible ont reçu leur châtiment. Puisse la justice de Dieu être enfin satisfaite ! O Boniface , criez avec nous miséricorde au Dieu des armées. Suscitez à l'Eglise des serviteurs puissants comme vous le fûtes, en paroles et en œuvres. Venez de nouveau sauver la France de l'anarchie. Détruisez l'empire de Satan, et rendez à l'Allemagne le sentiment de ses vraies grandeurs avec la foi des anciens jours.

 

 

 

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