SERMON POUR LE TROISIÈME DIMANCHE APRÈS L'EPIPHANIE.
SUR LA
FOI.
ANALYSE.
Sujet. Jésus dit au centurion : Allez, et qu'il vous soit
fait selon que vous avez cru.
Rien
de plus puissant auprès de Dieu que la foi; elle obtient tout : et rien qui
mérite plus nos réflexions que les vrais effets de la foi par rapport au salut.
Division. La foi nous sauve,
première partie. La foi nous condamne, deuxième partie.
Première
partie. La foi nous sauve, et comme
perfection de nos bonnes œuvres, et comme principe de nos bonnes œuvres.
1°
La foi nous sauve comme perfection de nos bonnes œuvres, parce que c'est
surtout de la foi que vient aux bonnes œuvres que nous pratiquons leur efficace
et leur prix. Ainsi l'enseignent expressément saint Paul et saint Augustin :
l'un contre les Juifs qui se confiaient dans les œuvres de la loi de Moïse ; et
l'autre contre les pélagiens, qui faisaient fond sur leurs bonnes œuvres
naturelles. Et c'est encore ce que tous les Pères ont prouvé contre tous ces
hérétiques qui tiraient avantage de leurs œuvres, et à qui ces saints docteurs
faisaient voir que hors de l'Eglise et sans la vraie foi il n'y avait point
d'œuvres méritoires, et par conséquent de salut. Delà que de bonnes œuvres
perdues! et de là même quelle estime devons-nous faire du don précieux de la
foi?
2°
La foi nous sauve comme principe de nos bonnes œuvres, parce que c'est de la
foi que nous vient cette ardeur qui nous porte à les pratiquer. Car la foi,
selon l'Apôtre, est la cause mouvante qui fait agir toutes les vertus. Il va encore
plus loin, et, selon ce même Apôtre, c'est la foi qui produit en nous les actes
mêmes de toutes les vertus. C'est pour cela que le concile de Trente appelle la
foi le commencement, le fondement et la racine de notre justification. Mais si
cela est, pourquoi donc y a-t-il tant de chrétiens qui se damnent ? On pourrait
répondre que c'est qu'il y a jusque dans le christianisme très-peu de chrétiens
qui aient vraiment la foi. Chrétiens de nom, sans l'être en effet. Mais
supposant qu'ils aient la foi, la réponse est qu'on peut avoir la foi, et agir
contre les lumières et les maximes de la foi. Or, la foi alors, bien loin de
nous sauver, nous condamne.
Deuxième
partie. La foi nous condamne. Mais
pourquoi et comment nous condamne-t-elle?
1°
Pourquoi la foi nous condamne-t-elle? Parce que nous ne vivons pas selon ses
maximes, et que vivant alors dans le désordre, 1° nous la retenons captive dans
l'injustice, selon l'expression de saint Paul; 2° nous lui enlevons le plus
beau fruit de sa fécondité, qui sont les bonnes œuvres ; 3° dans le sentiment
de l'apôtre saint Jacques, nous la faisons enfin mourir elle-même au milieu de
nous.
2°
Comment la foi, au jugement de Dieu, nous condamnera-t-elle? En nous
convainquant de trois choses : 1° que nous pouvions vivre en chrétiens; 2° que
nous devions vivre en chrétiens; 3° que nous n'avons vécu rien moins qu'en
chrétiens.
Conclusion. Il faut, ou que la foi nous sauve, ou qu'elle nous
condamne. Entre ces deux extrémités, point de milieu. C'est à nous de choisir
l'un ou l'autre : mais y a-t-il là-dessus à délibérer? Pensons souvent aux
accusations que la foi formera contre nous. Voilà ce que nous devons prévenir,
et à quoi nous devons nous préparer tous les jours de notre vie.
Et
dixit Jesus centurioni : Vade, et sicut credidisti, fiat tibi.
Jésus
dit au centurion : Allez, et qu'il vous soit fait selon que vous avez cru. (Saint
Matth., chap. VIII, 13.)
N'est-il pas surprenant que le
Sauveur du monde, au lieu d'attribuer les miracles de sa toute-puissance à sa
toute-puissance môme et à la vertu souveraine de Dieu, les ait communément
attribués dans l'Evangile à la foi des hommes? Puissant en œuvres et en
paroles, il délivrait les possédés, il guérissait les malades, il ressuscitait
les morts ; mais quoiqu'il put bien au moins s'en réserver la gloire, tandis
qu'il en laissait aux autres l'avantage, il la donne encore tout entière à la
foi ; comme si la foi seule eût opéré par lui ce que lui seul il opérait pour
la foi. Allez, dit-il dans notre évangile, et qu'il vous soit fait selon votre
foi : Vade, et sicut credidisti, fiat tibi. C'est la réponse qu'il fait
à ce centenier qui lui vient demander la guérison de son serviteur frappé d'une
mortelle paralysie, et c'est la réponse qu'il a faite en tant d'autres
occasions et sur tant d'autres sujets : partout admirant la foi, lui qui ne
devait rien, ce semble, admirer; partout exaltant la foi, partout publiant la
force et l'efficace de la foi, partout faisant entendre qu'il ne pouvait rien
refuser à la foi : Vade, et sicut credidisti, fiat tibi. C'est de là même
que les hérétiques des derniers siècles ont prétendu tirer cette fausse
conséquence, que tout l'ouvrage et toute l'affaire du salut de l'homme roule
uniquement sur la toi. Erreur que l'Eglise a frappée d'anathème, et qui va directement
à détruire dans le christianisme la pratique et la nécessité des bonnes œuvres.
Mais moi, mes chers auditeurs, sans donner dans
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une telle extrémité, je tire de mon évangile un sujet
beaucoup plus solide, et qui sert de fondement à toute la morale chrétienne ;
et m'attachant à ces paroles du Fils de Dieu : Qu'il vous soit fait comme vous
avez cru : Sicut credidisti, fiat tibi ; je veux vous parler des vrais
effets de la foi par rapport au salut. C'est dans Marie que cette vertu a fait
éclater tout son pouvoir, puisque c'est par la foi que Marie conçut le Verbe
divin. Adressons-nous à elle, et disons-lui : Ave, Maria.
De quelque manière que je
prétende ici m'expliquer, Chrétiens, mon dessein n'est pas de chercher des
tempéraments pour concilier l'opinion des hérétiques de notre siècle, avec la
doctrine de l'Eglise, touchant l'efficace et la vertu de la foi, puisque saint
Augustin m'apprend qu'entre l'erreur et la vérité, il n'y a point d'autre parti
que la confession de l'une et l'abjuration de l'autre. L'opinion, disons mieux,
l'erreur des hérétiques de notre siècle, est que la foi seule nous justifie
devant Dieu ; que nos bonnes œuvres , quelque parfaites qu'elles soient, ne
contribuent en rien au salut; que la vie éternelle ne nous est point donnée par
titre de récompense, mais par forme de simple héritage : héritage que nous ne
pouvons mériter, et dont nous prenons possession sans y avoir acquis aucun
droit. Tel est le langage de l'hérésie; mais voici celui de la foi même. Car il
est de la foi, que la foi seule ne suffit pas pour nous sauver. Il est de la
foi, que nos bonnes œuvres doivent faire une partie de notre justification. Il
est de la foi, qu'en vertu de ces bonnes œuvres, nous acquérons un droit
légitime à la gloire que Dieu nous prépare ; et que cette gloire, par un effet
merveilleux de la grâce de Jésus-Christ, est tout à la fois, comme s'exprime
saint Augustin, et le don de Dieu, et le mérite de l'homme.
Cependant, Chrétiens, sans
m'engager dans une controverse qui ne convient ni au temps ni à l'assemblée où
je parle, j'avance deux propositions non-seulement orthodoxes, mais
incontestables, et qui vont partager ce discours : savoir, que c'est la foi qui
nous sauve, première proposition ; et que souvent aussi c'est la foi qui nous
condamne, seconde proposition. Elles semblent l'une et l'autre contradictoires
; mais la contradiction apparente qu'elles renferment me donnera lieu de vous
développer les plus beaux principes et les plus grandes maximes de la théologie
sur cette importante matière. Le juste sauvé par la foi, et le pécheur condamné
par la foi. Le juste sauvé par la foi, parce que c'est surtout de la foi que
vient notre justification : vous le verrez dans la première partie. Le pécheur
condamné par la foi, parce que la foi sans les œuvres devient contre lui un
titre de réprobation ; je vous le ferai voir dans la seconde partie.
Commençons.
PREMIÈRE PARTIE.
C'est la foi qui nous sauve ;
cette vérité nous est trop expressément marquée dans l'Ecriture pour en pouvoir
douter. Mais le point est de savoir comment et en quel sens il est vrai que la
foi nous sauve. Sur quoi je dis que la foi nous sauve en deux manières, et
comme perfection de nos bonnes œuvres, et comme principe de nos bonnes œuvres.
Comme perfection de nos bonnes œuvres, parce que c'est surtout de la foi que
vient aux bonnes œuvres que nous pratiquons leur efficace et leur prix. Comme
principe de nos bonnes œuvres, parce que c'est de la foi que nous vient à
nous-mêmes cette sainte ardeur qui nous porte à les pratiquer. La suite vous
fera mieux entendre ces deux pensées. Appliquez-vous à l'une et à l'autre.
De quelque sorte que les
théologiens expliquent le mystère de la justification des hommes, il est
toujours vrai, comme l'Ecriture nous l'enseigne, que c'est de la foi que nos
actions tirent leur prix et leur efficace devant Dieu; et par conséquent que la
foi est comme la perfection de nos vertus et de toutes nos bonnes œuvres. Je ne
puis être sauvé ni prétendre aux récompenses de Dieu, que par le mérite des bonnes
œuvres : vérité constante ; mais je dois aussi reconnaître que mes bonnes
œuvres ne peuvent avoir de mérite devant Dieu que par la foi. C'est la foi qui
leur doit imprimer ce sceau de la vie éternelle, que saint Paul appelle
excellemment signaculum justitiae fidei (1). Et de même, dit saint
Chrysostome, qu'une pièce de monnaie qui n'aurait pas la marque du prince,
quelque précieuse qu'elle fût d'ailleurs, ne serait censée de nulle valeur et
de nul usage dans le commerce ; ainsi, quoi que je fasse d'honnête, de louable,
et même de grand et d'héroïque, si je ne le fais dans l'esprit de la foi, et si
tout cela ne porte le caractère de la foi, je ne m'en dois rien promettre pour
le salut. Voilà, Chrétiens, ce qui de tout temps a passé pour incontestable
dans notre religion, et ce que nous devons établir pour règle de toute notre
conduite. Voilà ce que l'Apôtre
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prêchait aux Juifs avec tant de zèle. Voilà ce que saint
Augustin prouvait aux pélagiens avec tant de force et tant de solidité. Voilà
ce que les Pères de l'Eglise remontraient sans cesse aux hérétiques de leur
siècle, et voilà ce que les prédicateurs de l'Evangile doivent encore
aujourd'hui, et plus que jamais, faire comprendre à leurs auditeurs : que sans
la foi, je dis sans une foi pure, sincère, humble, obéissante, tout ce que nous
faisons nous est inutile par rapport à l'éternité bienheureuse.
Prenez garde, Chrétiens, et
suivez-moi. Les Juifs se confiaient dans les œuvres de la loi de Moïse,
c'est-à-dire dans les sacrifices qui leur étaient ordonnés; et, pourvu qu'ils
l'observassent fidèlement et inviolablement, cette loi, ils s'assuraient que
toutes les promesses faites à Abraham devaient s'accomplir dans eux. Vous vous
trompez, mes Frères, leur disait saint Paul : ce n'est point la pratique de
votre loi qui vous sauvera ; c'est la foi de Jésus Christ. Vous avez beau
immoler des victimes, vous avez beau vous purifier, vous avez beau faire
profession d'un culte exact et religieux ; si toutes ces observances et toutes
ces cérémonies ne sont sanctifiées par la foi, vous ne faites rien. C'est par
la foi que vous avez été justifiés, et c'est la foi qui doit vous donner accès
auprès de Dieu : Justificati ex fide (1). Ainsi leur parlait cet homme
apostolique. Les pélagiens faisaient fond sur leurs bonnes œuvres naturelles,
et se persuadaient que Dieu y avait égard dans la distribution de ses grâces,
et que la raison pourquoi il appelait les uns et n'appelait pas les autres,
pourquoi il choisissait les uns préférablement aux autres, était que les uns se
disposaient avec plus de soin que les autres, par les bonnes œuvres de la
nature, à recevoir cette grâce de vocation et de choix. Et il faut avouer, avec
saint Prosper, que cette erreur avait quelque chose de spécieux; mais c'était
une erreur, et saint Augustin fut suscité de Dieu pour la combattre et la
détruire. Non, mes Frères, reprenait ce docteur incomparable, il n'en va pas de
la sorte : ces bonnes œuvres naturelles sur quoi vous vous appuyez n'ont aucun
effet pour le salut; ce n'est point lace qui engage Dieu à nous accorder sa
grâce, et jamais il ne nous en tiendra compte dans l'éternité. C'est à la foi
qu'il a attaché tout le mérite de notre vie ; et sans la foi rien ne nous peut
conduire a lui. Enfin les hérétiques presque de tous les siècles ont tiré
avantage de leurs bonnes œuvres, et, par une aveugle
présomption, se sont flattés de vivre dans leur secte plus
saintement que les catholiques, d'être plus réformés qu'eux, plus austères
qu'eux, plus adonnés aux exercices de la charité et de la pénitence qu'eux ;et
à n'en juger que par l'extérieur, peut-être ont-ils eu quelquefois sujet de le
prétendre. Mais parce que leur foi n'était pas saine, les Pères leur répondaient
toujours que c'était en vain qu'ils se glorifiaient; que toutes ces œuvres de
piété, quoique éclatantes, n'étaient que des œuvres mortes; leurs vertus, que des fantômes, et que de fécondes qu'elles eussent
été avec la foi, elles devenaient sans la foi des arbres stériles; qu'il n'y
avait que le champ de l'Eglise où l'on pût espérer de cueillir de bons fruits;
que quiconque semait ailleurs que dans ce champ, perdait et dissipait (car je
ne me sers ici que de leurs expressions); que c'était dans cette Eglise
universelle, et par conséquent dépositaire unique de la vraie foi, que Dieu,
selon le témoignage de David, voulait être loué : Apud te laus mea in Ecclesia
magna (1); que hors de là il n'y avait ni louanges ni prières qu'il écoutât
; et que quand un homme dont la foi se trouvait corrompue osait paraître devant
les autels pour s'acquitter d'un devoir de religion, c'était à lui
particulièrement qu'il adressait ces terribles paroles : Quare tu enarras
justifias meas, et assumis testamentum meum per os tuum (2) ? Pourquoi
t'ingères-tu à sanctifier mon nom, et pourquoi, n'ayant pas la foi de mes
serviteurs, entreprends-tu de me rendre des services que je ne puis agréer? que
les bonnes œuvres séparées de la foi, bien loin d'être aux sectateurs de
l'hérésie un fonds de mérite, serait plutôt devant Dieu un sujet de confusion,
puisque Dieu, non-seulement ne leur saurait nul gré d'avoir l'ait le bien
qu'ils faisaient en ne croyant pas ce qu'ils devaient croire, mais qu'il les
jugerait même avec plus de rigueur pour n'avoir pas cru ce qu'ils devaient
croire en faisant le bien qu'ils faisaient: Ac per hoc solo Dei meoque
judicio (ces paroles sont remarquables),
non solum minus laudandi sunt, quia se confinent, cum
non credant sed etiam multo magis vituperandi, quia non credant cum se
contineant; en un mot, que, dans le christianisme, ce n'était point
absolument par la substance des œuvres, mais par la qualité de la foi, que Dieu
faisait le discernement des justes : Deus quippe noster et sapiens judex,
justos ab injustis non operum, sed ipsius fidei lege, discernit. Tout cela
est de saint Augustin. D'où il concluait qu'un chrétien qui,
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dans sa condition, pratiquerait tout ce qu'il y a de plus saint
et de plus parfait, mais qui n'aurait pas L'intégrité de la foi, avec toute sa
perfection et sa prétendue sainteté, serait éternellement l'objet de la
réprobation divine: Per quam discretionem fit, ut homo injuriarum patientissimus,
eleemosynarum largissimus, si non rectam fidem in Deum habet, cum suis istis
laudabilibus moribus, ex hac vita damnandus abscedat.
Tel était, mes chers auditeurs,
le langage de ces grands hommes que Dieu nous a donnés pour maîtres; et voilà
la source de l'affreux détordre où sont tombés tant d'esprits superbes, et
séduits par le démon de l'infidélité. Ah! Chrétiens, qui le pourrait
comprendre, et s'en former une juste idée? qui pourrait dire combien, par
exemple, l'hérésie seule de Calvin a détruit de mérites, a ruiné de bonnes
œuvres, a corrompu de vertus, a fait périr devant Dieu de fruits admirables que
la grâce devait produire et que la vraie foi aurait vivifiés? Car enfin,
reconnaissons-le ici, quand ce ne serait que pour adorer la profondeur
impénétrable des jugements de Dieu; avouons-le de bonne foi, et, par le
témoignage que nous rendrons à une vérité qui ne nous intéresse en rien,
convainquons nous sensiblement et efficacement d'une autre, où il s'agit de
tout pour nous. Dans ces sectes malheureuses que l'hérésie et le schisme
suscitaient, il y a eu du bien, au moins apparent. Au milieu de cette ivraie,
l'ennemi même qui lavait semée affectait de faire paraître le bon grain. On y
voyait des hommes modestes, charitables,abstinents : mais notre religion nous
oblige à croire que parce qu'ils ne portaient pas sur le front ce signe du Dieu
vivant, c'est-à-dire le signe de la loi, quelques merveilles qu'ils fissent,
Dieu leur disait toujours : Je ne vous connais point. Ils priaient, mais leurs
prières étaient réprouvées ; ils jeûnaient, mais Dieu méprisait leurs jeûnes :
et s'ils eussent pensé à s'en plaindre et a lui en demander raison ; s'ils lui
eussent dit, comme les Juifs : Quare jejunavimus et non aspexisti, humiliavimus
animas nostras et nescisti (1) ; Hé! Seigneur, pourquoi avons-nous jeûné,
sans que vous ayez jeté les yeux sur nous? et pourquoi nous sommes-nous
humiliés en votre présence, sans que vous l'ayez su, ou que vous ayez paru le
savoir? Dieu, toujours juste, et toujours sûr de la justice de son procédé, leur
eût fait cette réponse, pleine de raison et d'indignation tout ensemble : Ecce
in
die jejunii vestri invenitur voluntas vestra (1) ;
C'est que, malgré vos abstinences et vos jeûnes, j'ai découvert votre orgueil,
votre opiniâtreté, votre rébellion, une volonté et une disposition de cœur tout
opposée à cette obéissance de l'esprit qu'exigeait la foi de mon Eglise : Ecce
in die jejunii vestri invenitur voluntas vestra ; réponse qui les aurait
confondus.
Et en effet, quand au moment de
la mort, où ils devaient être jugés de Dieu, ils venaient à lui produire leurs
bonnes œuvres, mais leurs bonnes œuvres faites dans l'hérésie; Dieu, tout porté
qu'il est à récompenser, se voyait comme forcé de les rejeter, et de leur
prononcer par la bouche d'un autre prophète, ce triste et redoutable arrêt :
Seminastis multum et intulistis parum (2) ; il est vrai, vous avez beaucoup
semé; mais le comble de votre misère est que vous n’avez rien à recueillir. Respexistis
adamplius, et ecce factum est minus (3) ; Vous avez cru gagner bien plus
que vos frères qui suivaient avec simplicité la route commune de la foi ; mais
en poursuivant un gain chimérique,vous avez perdu le gain réel et solide que
vous pouviez faire. Intulistis in domum, et exsufflavi illud (4) : Vous
avez fait un amas et un trésor; mais c'était un amas de poussière que le vent a
emporté et dissipé; et pourquoi tout cela? ajoute le Seigneur : Quam ob
causam, dicit Dominus exercituum (5)? Ecoutez-en, Chrétiens, la raison : Quia
domus mea deserta est, et vos festinastis unusquisque in domum suam (6) ;
C'est que vous avez abandonné ma maison, qui est l'Eglise, et que vous vous
êtes retirés chacun dans vos maisons particulières; c'est que vous vous êtes
fait des églises à votre mode; que vous vous êtes laissé aller à des
nouveautés; que vous avez écouté des maîtres et des docteurs que je
n'autorisais pas ; et que, par une infidélité bizarre et capricieuse, vous avez
préféré leurs sentiments et leur conduite à la règle universelle que j'avais
établie. Voilà, disait Dieu par son prophète, voilà le ver qui a gâté toutes
vos œuvres.
Or, Chrétiens, ce que Dieu disait
alors, nous pouvons bien encore le dire maintenant, et nous l'appliquer à
nous-mêmes. Car quoiqu'il n'y ait point d'hérétiques déclarés parmi les
catholiques mêmes, ou plutôt parmi ceux qui en portent le nom, vous savez
combien il y en a dont la foi nous doit être au moins très suspecte, parce que
ce n'est pas une foi pure et entière. Ils n'ont pas, ce semble, quitté l'Eglise
;
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mais on peut être extérieurement dans l'Eglise, et n'avoir
pas la foi de l'Eglise. On peut être dans la communion du corps de l'Eglise, et
n'être pas dans la communion de son esprit. Ce sont des gens qui vivent bien ;
vous le dites, et la charité m'engage à le croire, malgré bien des exemples qui
pourraient me rendre cette bonne vie équivoque et assez douteuse. Mais enfin
qu'ils soient des anges, si vous le voulez, par leurs mœurs ; qu'ils soient des
martyrs : si cependant ils n'ont pas la pureté de la foi, l'humilité de la foi,
la sincérité de la foi, la plénitude de la foi , je vous répondrai avec saint
Paul, que dans leur vie prétendue angélique, il leur est impossible de plaire à
Dieu : Sine fide impossibile est placere Deo (1) ; et j'ajouterai, avec
saint Cyprien, que ce n'est point leur sang que Dieu demande, mais leur foi : Non
quœrit in vobis sanguinem, sed fidem.
Si nous sommes bien persuadés ,
mes chers auditeurs, de cette importante vérité, quelle estime ferons-nous du
don précieux de la foi ! avec quel soin la conserverons-nous ! Nous ne
craindrons pas seulement de la perdre, mais de lui donner la moindre atteinte;
et, pour user de l'expression de saint Ambroise, d'en altérer, en quelque sorte
que ce soit, la virginité. Car ce Père considérait la foi comme une vierge que
la plus légère tache flétrit ; et c'était ainsi qu'il s'exprimait, en parlant
de saint Paul et des premiers chrétiens dont ce grand apôtre avait la conduite
: Timebat ne virginitatem fidei amitterent : Il craignait que les
fidèles ne perdissent la virginité de leur foi. Dans toutes les contestations
qui peuvent naître, au lieu de tant raisonner et de tant examiner, au lieu de
suivre ou nos préjugés, ou nos intérêts, nous ne prendrons point d'autre parti
que celui d'une obéissance filiale et d'un attachement parfait à l'Eglise :
c'est-à-dire celui qui arrête toutes les disputes et toutes les divisions,
celui que les Pères nous ont toujours et par-dessus tout recommandé, celui qui
nous préservera de toutes les illusions et de tous les égarements , celui que
Dieu bénit, où il est obligé lui-même de nous conduire, et où il ferait plutôt
des miracles que de nous laisser dans l'erreur. Nous ferons souvent à Dieu la
même prière que faisaient les apôtres à Jésus-Christ : Adauge nobis fidem
(2) ; Seigneur, augmentez ma foi, purifiez ma foi. Affermissez ma foi. Car je
sais, mon Dieu, que c'est la foi qui nous sauve, non-seulement parce que c'est
elle qui donne le prix à toutes les bonnes œuvres que
nous pratiquons, et qu'elle en est comme la perfection ;
mais encore parce que c'est elle qui nous engage à les pratiquer, et qu'elle en
est le principe. Voici, Chrétiens, ma pensée ; tâchez à la comprendre.
En effet, ce sont deux choses
différentes que d'agir et de bien agir. Ainsi, que la foi soit une condition
nécessaire pour perfectionner nos œuvres toutes les fois que nous agissons , il
ne s'ensuit pas précisément de là qu'elle ait une vertu spéciale pour nous
porter à agir. Je ne puis faire des œuvres de salut sans la foi ; c'est la
première proposition que je viens d'établir. Mais cette proposition n'est pas
la même que celle-ci ; dès que j'ai la foi je me sens animé, excité à faire
toutes les œuvres du salut ; et rien n'est plus propre à nous inspirer
là-dessus cette activité et ce zèle que nous admirons dans les saints, et en
quoi consiste la ferveur chrétienne. Or, c'est encore de cette autre manière que
la foi nous sauve.
Car imaginez-vous, mes frères
(c'est la comparaison de saint Bernard, et cette comparaison est
très-naturelle), imaginez-vous la foi dans un juste, comme le premier mobile
dans l'univers. Ce ciel que nous appelons premier mobile est tellement
au-dessus de tous les autres deux, qu'il ne laisse pas de leur imprimer son
mouvement et son action; et qu'au même temps qu'il roule sur nos tètes, tous
les autres deux roulent comme lui et avec lui. Si ce premier mobile s'arrêtait,
tout ce qu'il y a de globes célestes s'arrêteraient ; mais parce que son
mouvement est continuel, celui des globes inférieurs n'est jamais interrompu. Il
en est de même de la foi. La foi dans une âme chrétienne et dans toutes les
opérations de la grâce, est le premier mobile. C'est une vertu supérieure à
toutes les autres ; en sorte que toutes les autres lui sont subordonnées, et
n'agissent par rapport au salut qu'autant qu'elles sont mues par celle-ci. Tout
ce que je fais pour Dieu, je ne le fais qu'en conséquence de ce que j'ai la
foi, et qu'à proportion de ce que j'ai de foi. Si j'ai beaucoup de foi, je suis
dès lors déterminé à faire beaucoup pour Dieu. Si j'ai peu de foi, je demeure
dans la langueur, et je fais peu pour Dieu. Si je n'ai point du tout de foi, il
est infaillible que je ne ferai du tout rien pour Dieu.
Notre seule expérience nous rend
cette théologie sensible; mais saint Paul enchérit encore, et va plus avant.
Car non-seulement il veut que la foi soit la cause mouvante qui fasse agir en
nous toutes les vertus ; mais il veut
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que ce soit elle-même qui produise en nous les actes de
toutes les vertus, et que toutes les vertus surnaturelles et divines ne soient
proprement que les instruments de la foi. Vérité que le grand apôtre faisait
entendre aux Galates en des termes si décisifs , quand il leur disait que la
foi opère par la charité : Vides quœ per charitatem operatur (1). Pesez
bien ces paroles, Chrétiens: il ne dit pas que c'est la charité qui opère par
la foi, mais il dit que c'est la foi qui opère par la charité, qui aime par la
charité, qui pardonne par la charité, qui assiste par la charité, comme si la
charité n'avait point de fonction qui lui fût propre, et que tout ce qu'elle
fait, ou qu'elle entreprend, fût l'ouvrage de la foi. Or, si c'est la foi qui
opère quand nous aimons Dieu et le prochain (deux devoirs essentiels où toute
la loi est renfermée), qui doute que ce ne soit la foi qui nous sauve et qui
nous justifie?
De là vient que le même saint
Paul, par une suite de raisonnements qui mérite toutes nos réflexions, ne
faisait point difficulté d'attribuer uniquement à la foi les effets les plus
merveilleux et les plus héroïques de toutes les autres vertus; ne reconnaissant
même, pour ainsi dire, dans le christianisme qu'une seule vertu, qui est la
foi, et confondant avec la loi toutes les vertus chrétiennes, comme il paraît
que saint Augustin les comprenait toutes dans la charité. Mais la théologie de
saint Paul est ici bien plus expresse que celle de saint Augustin; car écoutez
comment il parle dans son excellente Epître aux Hébreux. Pour exciter notre
zèle, il nous propose l'exemple des patriarches de l'Ancien Testament; et,
rapportant à un seul point leur éloge, il nous dit que tout ce qu'ils ont fait
de grand, ils l'ont fait par la foi. Que c'est par la foi qu'Abel présenta à
Dieu plus d'hosties que Caïn : Fide plurimam hostiam Abel, quam Cain,
obtulit Deo (2). Que c'est par la foi qu'Abraham se résolut à immoler
lui-même son fils : Fide obtulit Abraham Isaac, cum tentaretur (3). Que
c'est par la foi que Moïse quitta l'Egypte, et renonça au trône de Pharaon : Fide
Moyses reliquit Aegyptum (4). Ainsi des autres. Mais quoi ! reprend
saint Chrysostome, ne fut-ce pas l'ardente charité de Moïse pour le peuple juif qui lui lit abandonner l'Egypte ? Ne fut-ce
pas la piété d'Abel et sa religion qui le rendit si libéral envers Dieu, et qui
lui fit offrir tant de victimes? Ne fut-ce pas l'obéissance d'Abraham qui le
soumit à Dieu, et qui lui fit former la généreuse résolution de
sacrifier son unique et son bien-aimé? Ah! répond ce saint
docteur, tout cela se faisait par la foi. Il est vrai qu'Abraham obéit à Dieu,
et que ce fut une obéissance plus qu'humaine; mais c'était la foi qui obéissait
en lui, c'était la foi qui étouffait dans son cœur tous les sentiments de la
nature, c'était la foi qui le rendait saintement cruel contre son propre sang :
comment cela? parce qu'il est certain qu'Abraham ne consentit à la mort d'Isaac,
et ne se disposa à exécuter l'ordre du ciel, qu'en vertu de ce qu'il crut,
selon le langage de l'Ecriture, contre toute créance, et qu'il espéra contre
l'espérance même : Contra spem in spem credidit (1). C'est pourquoi
l'Ecriture ajoute : Credidit, et reputatum est illi ad justitiam (2) ;
Abraham crut, et il fut justifié devant Dieu. Elle ne dit pas, il crut et de là
il obéit; il sortit de sa maison, il alla sur la montagne, il dépouilla Isaac,
il leva le bras, et il fut ensuite justifié : mais elle dit simplement, il crut
et il fut justifié : imitant en quelque manière les philosophes, qui, sans
s'arrêter à de longs raisonnements, joignent la dernière conséquence avec le
premier principe. Credidit, et reputatum est illi ad justitiam ; Il
crut, et il fut justifié, parce qu'en effet tout le reste qui contribua à la
justification d'Abraham se trouve contenu dans ce seul mot : Credidit,
comme dans sa source et dans sa cause.
C'est pour cela même aussi que le
concile de Trente, voulant nous donner une idée exacte de la foi, s'est servi de
trois paroles bien remarquables, lorsqu'il nous déclare que
la foi est le commencement, le fondement et la racine de notre justification : Fides
est initium, fundamentum et radix totius justificationis nostrœ.
Prenez garde à ces trois différentes
expressions, qui sont tellement liées ensemble et ont un tel rapport, que l'une
néanmoins signifie toujours plus que l'autre, puisque le fondement dit plus que
le commencement, et la racine plus encore que le fondement. Car le commencement
est ce qui tient le premier rang dans l'ordre des choses : mais outre que le
fondement est la première partie par où commence l'édifice, c'est ce qui
soutient et qui porte toute la masse de l'édifice; or, porter, soutenir, est
plus que commencer. De même, outre que la racine est la première partie de
l'arbre, outre qu'elle soutient tout le poids de l'arbre, c'est elle qui
produit toutes les branches, toutes les fleurs, tous les fruits de l'arbre :
or, produire est plus que soutenir ; et
voilà les trois caractères
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de la foi. Elle est la première de toutes nos vertus : ce
n'est pas assez, elle sert d'appui et de base à toutes nos vertus : cela ne
suffit point encore, elle produit dans nous-mêmes toutes nos vertus.
C'est-à-dire, Chrétiens, que si je suis juste, non-seulement je commence par la
foi, non-seulement je me soutiens par la foi, mais je n'agis et je ne vis que
par la foi, suivant cet oracle de l'Ecriture : Justus autem meus ex fide
vivit (1); Mon juste vit de la foi. Ah ! la belle qualité, mes chers
auditeurs, que d'être le juste de Dieu ! combien en voit-on aujourd'hui qu'on
peut appeler les justes des hommes, tandis qu'ils sont devant Dieu des criminels
et des pécheurs? Mais mon juste, dit le Seigneur, n'a point d'autre vie en
qualité de juste, que la vie de la foi : c'est à cela que je le reconnais :
Justus autem meus ex fide vivit.
Et en effet, quand je vis en
juste, toute ma vie est nécessairement une vie de foi ; je ne délibère, je
n'agis, je ne crains, je n'espère, je ne recherche et je ne fuis que par le
mouvement de la foi. C'est la foi qui me fait aimer mes ennemis, car sans la
foi je les haïrais; c'est la foi qui me fait haïr les plaisirs du monde, car
sans la foi je les aimerais; c'est la foi qui me fait oublier une injure, car
sans la foi je me vengerais; c'est la foi qui me fait bénir Dieu dans les
souffrances, qui me fait estimer la pauvreté, qui me fait choisir une vie
austère, car sans la foi j'en aurais horreur. La foi donc est le principe de
tout bien, et c'est elle qui me vivifie, elle qui me sauve : Justus autem
meus ex fide vivit.
Mais si cela est, pourquoi, dans
le christianisme même, et jusque dans le centre de la foi, de cette foi si
répandue sur la terre, y a-t-il néanmoins aujourd'hui tant de chrétiens qui se
damnent, et si peu qui parviennent au salut? Voilà, mes Frères, et il faut en
convenir, voilà une de ces grandes difficultés qui ont fait l'étonnement des
Pères de l'Eglise, et sur quoi il semble que saint Augustin lui-même ait hésité
avec toutes les lumières de son esprit; difficulté que je pourrais éluder
d'abord, en contestant le principe, savoir : que la foi soit aussi répandue
dans le monde qu'il nous plaît de le supposer. Non, non, dirais-je, cela ne
m'est point évident; et, pour l'honneur de la foi même, j'aime mieux douter
qu'elle soit maintenant si commune, que de reconnaître qu'étant si commune,
elle produise si peu de fruits. Détrompons-nous, ajouterais-je : la prédication
de l'Evangile est répandue dans tout le monde;
mais plût au ciel qu'il en fût de même de la foi 1 Car il y
a bien de la différence entre la prédication de l'Evangile et la foi : l'une
est une grâce extérieure et indépendante de nous; mais l'autre est une vertu
infuse, que nous devons conserver et cultiver dans nous. Cette prédication de
l'Evangile, cette grâce extérieure, par une disposition favorable de la
Providence, est très-commune; mais je n'ai que trop lieu de craindre que la foi
ne soit très-rare. Jésus-Christ demandait à ses disciples si, lorsqu'il
viendrait, il trouverait encore de la foi sur la terre, ne croyant pas, dit
saint Chrysostome, qu'il y en dût avoir alors, ou prévoyant qu'il y en aurait
peu : Verumtamen Filius Hominis veniens, putas, inveniet fidem in terra (1)?
Or n'est-ce pas dans notre siècle que cette parole du Sauveur du monde commence
plus que jamais à se vérifier? Quand même le Fils de Dieu n'aurait point parlé
de la sorte, la vie des chrétiens ne serait-elle pas plus que suffisante pour
me faire douter de leur foi? et du peu de connaissance que j'ai du monde,
n'aurais-je pas droit de conclure, au moins de soupçonner, qu'un levain
d'infidélité, mais d'une infidélité secrète et déguisée, y cause une corruption
si générale? Car enfin, poursuivrais-je avec saint Bernard, il est difficile
que la plupart des hommes agissent tout autrement qu'ils ne croient; et qu'il y
ait dans leur conduite une contradiction aussi monstrueuse que celle de vivre
comme ils vivent, et d'avoir la foi. A peine cela se comprend-il, et dans ce
prétendu système il y a je ne sais quoi de si violent, qu'il est comme
impossible qu'on le puisse longtemps soutenir. Quand donc je vois un chrétien
aussi emporté, aussi sensuel, aussi ambitieux qu'un païen, et même au delà d'un
païen ; au lieu de dire, comme on dit communément : Cet homme dément sa foi ;
je dirais presque : Cet homme n'a plus absolument de foi, parce que s'il en
avait, je ne conçois pas qu'il pût la démentir si universellement et si
constamment ; et que croyant d'une façon, il agît toujours de l'autre. Quand je
vois une femme du monde tranquille dans ses désordres, libertine dans ses
conversations, scandaleuse dans ses commerces et dans ses intrigues ; au lieu
de dire, selon le langage ordinaire: Cette femme a une foi faible et
languissante, une foi stérile et infructueuse; je demanderais et je dirais :
Cette femme a-t-elle encore une étincelle de foi? parce que je suis persuadé
qu'il n'en faudrait pas davantage pour
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lui donner horreur de son état, et pour l'en faire sortir.
Ainsi raisonnerais-je, et ce
serait pour l'intérêt même et pour l'honneur de la foi. Car il lui serait en
quelque sorte plus honorable que le commun des hommes fût réputé pour impie et
pour être sans foi, que de passer pour en avoir une qui ne résiste à rien, qui
ne surmonte rien, qui n'opère rien; que dis-je? qui laisse tomber dans les plus
honteux dérèglements et dans les dernières abominations. Et il ne faudrait
point me répondre que ces pécheurs mêmes qui, d'une part, se livrent à leurs
passions les plus déréglées, protestent hautement d'ailleurs qu'ils ont la foi
: je sais, répliquerais-je, qu'ils le protestent, mais la question est de savoir
si l'on doit s'en tenir à leurs protestations, et s'il n'est pas plus juste de
les réduire à la preuve que demandait l'apôtre saint Jacques : Ostende mihi
fidem tuam sine operibus (1) ; Chrétiens, qui peut-être vous glorifiez de
ce que vous n'êtes pas, voulez-vous me faire connaître votre foi? justifiez-la
; par où? par vos œuvres : car, tandis que vous détruirez dans la pratique ce
que vous professez de bouche, tandis que je ne verrai point d'oeuvres, je me
défierai toujours de vos paroles. Et n'est ce pas là, mes chers auditeurs, que
nous réduit [iniquité du siècle? à ne pouvoir plus s'assurer de la foi des
chrétiens; à ne pouvoir plus dire s'ils en ont ou s'ils n'en ont pas, et à ne
savoir plus ce qu'ils sont? N'est-ce pas là l'état déplorable de ce qui
s'appelle parmi nous le monde? Entrez dans les cours des princes, descendez
dans les cabanes des pauvres; assistez, s'il se peut, aux conseils secrets des
politiques de la terre, parcourez les cercles et les assemblées, arrêtez-vous
dans les temples et dans les lieux saints; partout vous demanderez s'il y a de
la foi, parce que partout vous ne trouverez que scandale et que débordement de
mœurs : Putas, inveniet fidem in terra ?
Mais n'insistons pas sur ce point
davantage. Peut-être le libertinage pourrait-il s'en prévaloir, et y
trouverait-il un prétexte pour s'autoriser. Car, un des prétextes du
libertinage est de prétendre que l'on ne croit point, et que l'on n'a point de
foi; et cela pour avoir droit d'imputer les désordres de sa vie au défaut de persuasion,
qui paraît une excuse honnête, au lieu de les imputer à la corruption du cœur.
Reconnaissons donc que parmi ce grand nombre de chrétiens qui se perdent dans
le monde, il y en a en effet plusieurs qui ont encore la foi.
Accordons-leur tout ce que nous pouvons leur accorder,
savoir, que leur foi subsiste; donnons-leur cette consolation, qu'ils la
puissent conserver parmi les excès d'une vie criminelle. L'Eglise ne leur
dispute pas cet avantage : elle a même voulu leur en maintenir la possession
par une décision expresse, en déclarant, dans le concile de Trente, qu'une vie
impure et corrompue ne va pas toujours jusqu'à la destruction de la foi.
Avouons-le avec elle : on peut être chrétien, et mauvais chrétien : on peut
avoir la foi et agir contre la foi. Mais alors la foi nous sauve-t-elle? bien
loin de nous sauver, je dis que, par un effet tout contraire, elle nous
condamne ; et c'est la seconde partie.
DEUXIÈME PARTIE.
Il ne faut pas s'étonner,
Chrétiens, que ce soit la même foi qui nous sauve, et qui nous condamne devant
Dieu. Elle ne fait en cela que ce que fait Jésus-Christ même, lequel étant
l'auteur de notre salut, devient tous les jours par l'abus que nous faisons de
ses mérites et de sa grâce, l'auteur de notre perte éternelle et de notre
réprobation. Ainsi la foi, qui ne nous a été donnée que pour nous justifier, ne
laisse pas de servir à nous condamner, selon les différentes manières dont nous
nous comportons à son égard, et les divers traitements qu'elle reçoit de nous.
Mais encore pourquoi nous condamne-t-elle ; et comment nous condamne-t-elle?
Deqx choses qui me restent à éclaircir, et qui demandent une attention toute
nouvelle.
Je dis que la foi nous condamne,
lorsque nous ne vivons pas selon ses maximes : parce que, vivant alors dans le
désordre, nous la retenons captive dans l'injustice, suivant l'expression de
saint Paul ; que nous lui enlevons le plus beau fruit de sa fécondité, qui sont
les bonnes œuvres, comme parlent saint Hilaire et saint Ambroise ; et que, dans
le sentiment de l'apôtre saint Jacques, nous la faisons enfin mourir elle-même
au milieu de nous. Or, ne sont-ce pas là autant d'outrages que nous lui
faisons, et qu'elle doit venger, pour ainsi dire, en nous condamnant? Prenez
garde : nous la retenons captive dans l'injustice, ce sont les propres paroles du
Maître des nations : Qui veritatem Dei in injustitia detinent (1); Ils
tiennent, dit-il, comme dans les fers la vérité de Dieu. Or, la vérité de Dieu
n'est en nous que par la foi ; et tandis que nous menons une vie corrompue, il
est évident que nous faisons violence
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à cette foi, que nous la tenons dans la sujétion et dans
l'esclavage : comment cela? parce que nous ne lui donnons pas la liberté d'agir
en nous comme elle voudrait et comme elle devrait. Dans la naissance du
christianisme, remarque saint Bernard, lorsqu'il y avait des persécutions, la
foi était libre, pendant que les fidèles étaient captifs : maintenant que les
persécutions ont cessé, les fidèles jouissent d'une liberté dont ils abusent,
et la foi est comme enchaînée. Quel sujet pour nous de confusion et de
condamnation ! Jusque dans les prisons et dans les cachots, les martyrs
publiaient la foi qu'ils avaient dans le cœur, et malgré les tyrans ils
confessaient hautement Jésus-Christ. Il est bien étrange, lorsque l'Eglise est
dans une profonde paix, que la foi des chrétiens n'ait plus la même liberté, et
que cette liberté lui soit ôtée par les chrétiens mêmes, qui deviennent ses
propres persécuteurs, et qui lui sont plus cruels que les infidèles, puisqu'ils
la mettent dans une captivité où les infidèles n'ont pu la réduire : Qui
veritatem Dei in injustitia detinent. Remarquez cette parole : In
injustitia; car saint Paul ne dit pas seulement que nous tenons notre foi
captive, mais que nous la tenons captive dans l'injustice, qui est pour elle la
plus honteuse et la plus odieuse servitude. En effet, cette loi est toute
sainte, et nous la faisons demeurer dans des âmes toutes criminelles; elle est
toute pure et toute chaste, et nous la faisons habiter dans des âmes
voluptueuses et toutes sensuelles: Qui veritatem Dei in injustitia detinent.
Que fait donc la foi? Ah ! mes chers auditeurs, permettez-moi d'user de
cette figure : notre foi ainsi traitée par nous-mêmes, ainsi déshonorée et
profanée, s'élève contre nous; elle demande à Dieu justice, elle crie à son
tribunal; et ne doutons point que Dieu ne l'écoute, et qu'à notre ruine il ne
prenne ses intérêts.
D'autant plus coupables envers
elle et plus condamnables, que par les dérèglements de notre vie nous lui
faisons perdre ses plus beaux fruits et sa plus heureuse fécondité. Car, comme
nous l'avons déjà vu, la foi est la source de toutes les vertus, et une source
féconde, qui produit sans cesse de nouveaux fruits de grâce, ou qui les peut
produire. En voulez-vous la preuve sensible? Sans parler de ces saints
patriarches de l'ancienne loi, et de leurs œuvres merveilleuses, que l'Apôtre
nous a si bien marquées dans son Epître aux Hébreux, rappelez en votre esprit
tout ce qu'ont fait dans la loi nouvelle tant de martyrs de l'un et de l'autre
sexe , tant de solitaires et de pénitents ; tout ce que font encore tant de
religieux dans le cloître, et tant d'âmes vertueuses jusques au milieu du
monde. Remettez-vous le souvenir de tout ce que vous avez entendu dire de leurs
longues oraisons , de leurs sanglantes macérations, de leurs veilles et de
leurs travaux, de leurs abstinences et de leurs jeûnes, de la ferveur de leur
zèle, et de la constance infatigable avec laquelle ils ont pratiqué jusques au
dernier soupir de leur vie toute la perfection de l'Evangile. Voilà les fruits
de la foi ; voilà ce que la foi peut opérer en nous-mêmes et par nous-mêmes.
Car, si l'ardeur des fidèles s'est ralentie, la vertu de la foi ne s'est point
altérée, elle a toujours les mêmes vérités à nous proposer, et dans ces mêmes
vérités , les mêmes motifs pour nous exciter : mais nous, Chrétiens, vivant
selon l'esprit du siècle et selon la chair, nous étouffons ces fruits dès leur
naissance. Nous avons la foi ; mais toute agissante qu'elle est, elle ne nous
rend pas plus vigilants, pas plus exacts dans l'observance de nos devoirs, pas
plus adonnés aux œuvres de la piété : c'est une foi oisive et stérile, parce
que nous en arrêtons toute l'action.
Nous allons même plus loin : nous
la faisons mourir, selon la pensée et l'expression de l'apôtre saint Jacques.
Car ce qui vivifie la foi, ce qui en est comme l'esprit, ce sont les bonnes
œuvres. De même donc que le corps est mort, dès là qu'il est séparé de l’âme
qui lui donnait la vie ; ainsi la foi doit être sensée morte , dès là qu'elle
n'est plus accompagnée des œuvres qui l'animaient : Sicut enim corpus sine
spiritu mortuum est, ita et fides sine operibus mortua est (1). Et à
prendre la chose dans un sens plus réel encore et sans figure, on peut dire que
rien ne conduit plus directement ni plus promptement à l'infidélité et au
libertinage de créance, que le libertinage des mœurs. Or, après avoir été
homicide de votre foi, que devez-vous attendre autre chose qu'un jugement
sévère et rigoureux? Oui, mon cher auditeur, pensez bien à ces deux paroles :
homicide de votre foi. Voilà le grand crime dont on vous demandera compte un
jour, et dont il faudra porter la peine. C'est alors que cette foi morte dans
votre cœur, ou par l'inutilité ou même par le désordre de votre vie, commencera
tout à coup à revivre, qu'elle ressuscitera, qu'elle se produira devant Dieu
pour votre conviction et pour votre condamnation.
Je dis pour votre conviction :
car voulez-vous
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savoir, non plus précisément pourquoi, mais comment elle
vous condamnera? Il est aisé de vous le faire comprendre. Ce sera en vous
convainquant de trois choses, savoir : que vous pouviez vivre en chrétien, que
vous deviez vivre en chrétien , et que vous n'avez vécu rien moins qu'en
chrétien. Trois convictions qui vous fermeront la bouche, et qui, malgré vous,
vous feront souscrire vous-même à l'arrêt de votre éternelle réprobation. Elle
vous convaincra que vous pouviez vivre en chrétien, parce que rien ne vous
manquait pour cela : ni lumières, ni secours. Ni lumières, puisqu'elle vous
servait elle-même de maître, puisqu'elle vous avait révélé toutes ses vérités
pour vous éclairer, puisqu'elle vous les faisait entendre sans cesse au fond de
votre cœur, tantôt pour nous exciter par l'espérance, tantôt pour vous retenir
par la crainte, tantôt pour vous engager par un saint amour, tantôt pour vous
attirer par un solide intérêt, toujours pour vous instruire et pour vous
toucher. Ni secours, puisque dans le christianisme vous aviez toutes les sources
de la grâce : tant de sacrements pour vous purifier, pour vous fortifier, pour
vous réconcilier, pour vous nourrir et pour vous faire croître ; tant de
ministres du Seigneur, dépositaires de la loi de Dieu pour vous renseigner,
dispensateurs des trésors de Dieu pour vous les distribuer, remplis de l'Esprit
de Dieu pour vous le communiquer, revêtus de toute la puissance de Dieu pour
vous sanctifier; tant de bons conseils, d'exhortations pathétiques et
véhémentes, de salutaires exemples; enfin tant de moyens dont le détail serait
infini, et dont l'usage vous aurait immanquablement sauvé. Or, d'avoir connu et
d'avoir pu, voilà pourquoi le mauvais serviteur sera jugé avec plus de
sévérité, sera plus rigoureusement condamné, sera plus grièvement puni.
Encore plus digne des châtiments
de Dieu, parce que la foi vous convaincra, non-seulement que vous pouviez vivre
en chrétien, mais que vous le deviez. Car votre parole y était engagée. Vous
l'aviez ainsi promis à la face des autels et sur les sacrés fonts du baptême.
Vous aviez solennellement renoncé au démon et à toutes ses œuvres, renoncé au
monde et à toutes ses pompes, renoncé à la chair et à tous ses désirs sensuels.
On l'avait dit pour vous, et dès que vous vous trouvâtes en état de le
ratifier, vous l'aviez dit vous-même. Or, ce n'est point en vain qu'on promet à
Dieu ; et de tous les engagements, il n'en est point de plus inviolables que
ceux que l'on contracte avec un tel maître. Dès là donc que vous vous étiez
soumis à la foi, vous vous étiez soumis à la loi. C'est-à-dire, dès là que vous
aviez été honoré du caractère de chrétien, et que vous aviez commencé à porter
le nom de chrétien, vous étiez conséquemment et indispensablement obligé à tous
les devoirs du chrétien ; vous en étiez responsable à votre foi et à Dieu même.
Et en effet, pour développer encore mieux la chose, et la considérer plus à
fond , de toutes les contradictions, n'est-ce pas une des plus grossières, de
ne pas agir comme l'on croit, ou de ne pas croire comme l'on agit? et de toutes
les infidélités, n'est-ce pas une des plus criminelles et des plus monstrueuses
, d'avoir renoncé , en présence de Dieu, à l'enfer et à toutes les œuvres de ténèbres,
qui sont tant de péchés proscrits par la loi, et de les commettre impunément,
volontairement, habituellement? d'avoir renoncé aux vaines pompes du monde, et
d'en être adorateur ; de les désirer uniquement, d'y aspirer incessamment, de
les rechercher sans relâche, et de ne travailler que pour cela et qu'en vue de
cela? d'avoir renoncé à la chair, et de ne vivre que selon la chair, de
n'écouter que ses passions, et de suivre aveuglément toutes ses cupidités?
Voilà néanmoins de quoi la foi
vous convaincra, et c'est le dernier témoignage qu'elle rendra contre vous : je
veux dire que pouvant vivre en chrétien, que devant vivre en chrétien, vous
n'avez vécu rien moins qu'en chrétien. Car c'est alors que , développant tous
ses principes et toutes ses maximes, elle les comparera avec votre vie; ou que, développant toute votre vie, elle la comparera avec ses maximes et ses
principes. Or, quelle opposition entre l'un et l'autre ! Une foi qui n'enseigne
à l'homme que le mépris des biens terrestres et périssables, et une vie toute
employée à les acquérir, à les conserver, à les accumuler par tous les moyens,
justes ou injustes, qu'inspire une avarice insatiable. Une foi qui n'apprend à
l'homme qu'à s'humilier, qu'à s'abaisser, qu'à fuir les honneurs mondains et
les fausses grandeurs du siècle ; et une vie toute occupée de soins, de
projets, d'intrigues souvent très-criminelles , pour
l'avancement d'une fortune
humaine. Une foi qui ne prêche à l'homme que mortification, que pénitence, que
détachement de soi-même, et une vie passée dans les jeux, dans les spectacles,
dans les assemblées et les parties de plaisir, dans les plus honteuses
voluptés. Une foi de pratique et d'actions et une vie dénuée de toutes les
œuvres chrétiennes.
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Est-ce donc ainsi qu'on est chrétien , et qu'on vit en
chrétien ? est-ce en ne faisant rien de tout ce que la foi ordonne, et en
faisant tout ce qu'elle défend ? Tels sont les reproches que vous devez
attendre de votre foi ; et à des reproches si bien fondés et sans nulle excuse,
que doit-il succéder autre chose qu'un jugement sans miséricorde?
Concluons, mes chers auditeurs,
par cette pensée avec laquelle je vous renvoie, et que vous ne pouvez trop
méditer. Il faut, ou que ma foi me sauve, ou que ma foi me condamne. Entre ces
deux extrémités, point de milieu. Si ma foi n'est pas le principe de ma
justification, elle sera immanquablement' le sujet de ma réprobation. Il ne
tient qu'à moi qu'elle ne soit pour moi un moyen de salut, parce qu'il ne tient
qu'à moi d'en faire un usage tel que je dois et tel que Dieu le demande. Mais
si, par ma faute, ce n'est pas un moyen de salut pour moi, ou que je me rende
ce moyen de salut inutile par l'abus que j'en ferai, il ne dépend plus alors de
moi que ce ne soit pas contre moi un moyen de damnation, parce que c'est un
talent que Dieu m'a mis dans les mains pour lui en rendre compte, et pour en
retirer tout le fruit qu'il en attendait. Ce serait donc bien me tromper
moi-même, de regarder la foi que j'ai reçue comme une de ces choses
indifférentes, qui ne peuvent nuire lorsqu'elles ne servent pas. Si ma foi ne
me fait pas le plus grand de tous les biens, elle me fera le plus grand de
'tous les maux. C'est à moi de prendre mon parti entre l'un et l'autre ; mais
je n'ai que l'un ou l'autre à choisir. Que dis-je? et y a-t-il là-dessus à
délibérer? y a-t il à hésiter un moment,
dès qu'il est question de se garantir
d'une éternité malheureuse, et de se procurer une souveraine félicité?
Ah ! Chrétiens, pensons souvent
aux accusations que formera contre nous et aux reproches que nous fera cette
foi, quand nous comparaîtrons avec elle devant le tribunal de Dieu. C'est à
quoi nous ne faisons guère de réflexion maintenant; mais quand la figure du
monde se sera évanouie , et que nous nous trouverons seuls avec cette foi en la
présence de Dieu, que lui répondrons-nous? Voilà, mon cher auditeur, à quoi
nous devons nous préparer tous les jours de notre vie. Il vous en coûtera
quelque sujétion, quelque violence, quelques efforts ; mais il vaut bien mieux
se contraindre pour quelque temps, que de s'exposer à un malheur qui ne doit
jamais finir. Car, je le répète, et je ne puis assez vous le faire entendre :
s'il arrive que vous vous perdiez, ce sera dans votre foi même que vous
trouverez votre plus cruel tourment. Vous n'aurez plus cette foi surnaturelle
et divine qui est un des dons de Dieu les plus précieux : c'est une grâce dont
Dieu vous dépouillera. Mais vous aurez encore le souvenir de cette foi, mais
vous aurez encore le caractère de cette foi, mais vous aurez encore toutes les
connaissances que vous donnait cette foi, et c'est cela même qui fera votre
supplice. Vous aurez, dis-je, le souvenir de cette foi qui vous enseignait de
si solides vérités que vous avez méprisées, qui vous donnait de si saintes
règles de conduite que vous n'avez pas suivies, qui vous promettait de si
grandes récompenses que vous n'avez pas pris soin de mériter; et ce souvenir
sera plus cuisant pour vous que tout le feu de l'enfer. Vous porterez encore
tout le caractère de cette foi, c'est-à-dire le caractère du baptême ; et ce
caractère sera le signe à quoi les démons, ministres de la justice de Dieu,
vous discerneront entre les réprouvés, pour exercer sur vous avec plus de
fureur toute leur rage. Vous aurez encore toutes les connaissances que vous
donnait cette foi ; et ces connaissances suppléeront au défaut de cette foi :
en sorte que vous croirez toujours Dieu comme les démons le croient, et que
vous tremblerez comme eux, que vous vous désespérerez comme eux , que votre
créance sera , pour vous comme pour eux, le sujet de votre confusion éternelle.
Mais il serait donc plus à
souhaiter de n'avoir jamais eu la foi ? Oui, mes Frères, il serait plus
avantageux de ne l'avoir jamais eue, que de l'avoir profanée par une vie
criminelle. Mais cela même ne sera plus en votre pouvoir; car malgré vous il
sera éternellement vrai que vous aurez été chrétiens, et il faudra éternellement
porter la peine de ne l'avoir été que de nom et dans la spéculation, sans
l'être de mœurs et dans l'action. Pour prévenir ce reproche et l'affreux
châtiment dont nous sommes menacés, quelle résolution avons-nous à prendre?
point d'autre que de conserver la foi, et de vivre selon la foi. Cette foi nous
dit des choses qui répugnent à nos sens, mais il s'y faut soumettre. Elle nous
dit que le monde est notre plus dangereux ennemi ; fuyons-le. Elle nous dit de
nous haïr nous-mêmes et de nous renoncer nous-mêmes ; travaillons à acquérir ce
saint renoncement, et pratiquons-le autant qu'il est nécessaire. Elle nous dit
de mortifier la chair par l'esprit, et d'en réprimer les désirs; combattons-les
généreusement et constamment.
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Elle nous dit d'être humbles jusque dans la grandeur, d'être
pauvres jusque dans l'abondance, d'être pénitents jusqu'au milieu des aises et
des commodités; entreprenons tout cela et venons à bout de tout cela. Nous
aurons dans les secours de la grâce et dans les motifs de notre foi de quoi
nous animer, de quoi nous fortifier, de quoi nous rendre tout facile. Demandons-les
avec confiance, ces secours, et Dieu ne nous les refusera pas. Ayons-les
continuellement devant les yeux, ces motifs, et ils nous soutiendront. Alors nous
mériterons d'entendre un jour de la bouche de Jésus-Christ, ce qu'il dit au
centenier de notre Evangile : Sicut credidisti, fiat tibi ; Qu'il vous
soit fait comme vous avez cru. Vous avez fait valoir le talent que je vous
avais confié; vous avez rendu votre foi fertile en bonnes œuvres et agissante;
venez en recevoir la récompense. Vous avez marché par le chemin qu'elle vous
traçait, vous l'avez suivi, et vous y avez persévéré ; venez prendre possession
de mon royaume céleste, qui est le terme où elle vous appelait, et où vous
jouirez d'une félicité éternelle, etc.