II° DIMANCHE - EPIPHANIE

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SERMON POUR LE DEUXIÈME DIMANCHE APRÈS L'EPIPHANIE.
SUR L'ÉTAT DU MARIAGE.

 

ANALYSE.

 

Sujet. Il y eut des noces à Cana en Galilée, et la mère de Jésus s'y trouva. Jésus fut aussi invité aux noces avec ses disciples.

 

Il n'y a rien dans l'état du mariage que de profane, si l'on n'y appelle Dieu, et si ce n'est Dieu qui y appelle.

Division. Il y a dans l'état du mariage des devoirs de conscience et des obligations à remplir, des peines très-difficiles et très-fâcheuses à supporter, et des dangers extrêmes par rapport au salut à éviter. Or, sans la grâce et la vocation divine, on ne peut, ni satisfaire à ces obligations, première partie; ni supporter ces peines, deuxième partie; ni se préserver de ces dangers, troisième partie.

Première partie. Il y a dans l'état du mariage des devoirs de conscience et des obligations indispensables à remplir; et l'on ne peut y satisfaire sans la grâce et la vocation divine. Nous devons considérer le mariage, dit saint Augustin, comme sacrement, comme lien d'une société mutuelle, et par rapport à l'éducation des enfants, dont il est une légitime propagation. Or, sous ces trois qualités, il a des obligations très-étroites et toutes différentes.

 

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1° Obligations du mariage considéré comme sacrement. Dès que c'est un sacrement, il n'est permis de s'y engager qu'avec une intention pure et sainte; il n'est permis de le recevoir qu'avec une conscience nette et exempte de péché; il n'est permis d'en user que dans la vue de Dieu et pour une fin digne de Dieu. Mais qui pense à ces obligations? qui en est instruit? On a quelque égard à la sainteté des autres sacrements; mais on traite celui-ci comme une affaire temporelle, comme une négociation, comme un trafic mercenaire.

2° Obligations du mariage considéré comme lien d'une société mutuelle. Il demande un amour respectueux, un amour fidèle, un amour officieux et condescendant, un amour constant et durable, un amour chrétien. Mais, par un renversement bien déplorable, cette société que devraient conserver entre eux le mari et la femme, comme un des biens les plus estimables de leur état, est tous les jours exposée aux ruptures, aux aversions, aux éclats et aux divorces les plus scandaleux.

3° Obligations du mariage considéré par rapport à l'éducation des enfants, dont il est une propagation légitime. Il faut les nourrir, ces enfants, il faut les pourvoir et les établir ; surtout il faut les instruire et les élever dans le christianisme. On pense communément assez à leur subsistance et à leur établissement selon le monde, mais on ne s'applique guère à leur éducation selon Dieu. Voilà pourquoi dans cet état du mariage l'on a tant besoin de la grâce, et pourquoi l'on n'y doit point entrer sans vocation.

Deuxième partie. Il y a dans l'état du mariage des peines à supporter, et l'on ne peut bien supporter ces peines sans l'assistance du ciel et le secours de la grâce. Pour les connaître, nous n'avons qu'à regarder le mariage sous les mêmes rapports.

1° Peines du mariage considéré comme sacrement. Cette qualité de sacrement le rend indissoluble, et cet engagement perpétuel en fait une espèce de servitude. Dans le sacerdoce on est engagé pour toujours, mais l'on n'est engagé qu'à Dieu et à soi-même : au lieu que dans le mariage on est encore engagé à un autre que Dieu et que soi-même. Dans l'état religieux il y a un noviciat et un temps d'épreuve; mais il n'y en a point dans le mariage.

2° Peines du mariage considéré comme lien d'une société mutuelle. Quelle croix quand deux personnes obligées de vivre ensemble viennent à ne se pas accorder! Et pour bien s'accorder, que ne doit-on pas souffrir l'un de l'autre, et quelles condescendances ne faut-il pas avoir ?

3° Peines du mariage considéré par rapport à l'éducation des enfants, dont il est une propagation légitime. Souvent l'on n'est pas en pouvoir de les entretenir, ni de les avancer, quelque bien nés qu'ils soient; et plus souvent encore, quelque pouvoir qu'on ait de les établir et de les pousser, ce sont des enfants, ou incapables et sans génie, ou indociles et déréglés. Si l'on avait recours à Dieu, il délivrerait de ces peines, ou il les adoucirait.

Troisième partie. Il y a dans l'état du mariage des dangers à éviter, et c'est un dernier motif pour ne pas s'engager dans cet état sans y être appelé de Dieu. Trois dangers par rapport à la conscience. Car il faut accorder ensemble trois choses les plus difficiles à concilier, savoir : la licence conjugale avec la continence et la chasteté; une véritable et intime amitié pour la créature, avec une fidélité inviolable pour le Créateur; un soin exact et vigilant des affaires temporelles, avec un détachement d'esprit et un dégagement intérieur des biens de la terre. Tout cela fondé sur les mêmes qualités du mariage.

1° Danger du mariage considéré comme sacrement, l'incontinence : d'autant plus criminelle, que le sacrement est plus saint. Car il y a une chasteté propre du mariage, et la dignité du sacrement donne aux fautes qu'on y commet une malice particulière. Or, combien est-il à craindre qu'on ne se laisse emporter à la passion sans égard aux règles qui lui sont prescrites.

2° Danger du mariage considéré comme lien d'une société mutuelle. Cette société demande l'union des coeurs, mais sans préjudice de ce qu'on doit à Dieu et au prochain. Or, combien du fois arrive-t-il qu'une femme oublie ce qu'elle doit à Dieu et ce qu'elle doit au prochain, pour entrer dans les sentiments d'un mari qu'elle aime, pour seconder ses vengeances, pour se conformer à tous ses désirs.

3° Danger du mariage considéré par rapport à l'éducation des enfants. Dans l'obligation de les pourvoir, il faut s'employer à la conduite des affaires et à l'administration des biens; il faut ménager, conserver, amasser. Or, est-il aisé de garder en cela le juste tempérament et le détachement du cœur qui nous sont ordonnés? Il est donc d'une extrême importance de n'entrer dans le mariage que par le choix de Dieu, et d'y attirer sur soi les lumières et les bénédictions de Dieu.

 

Nuptiœ factœ sunt in Cana Galilœœ : et erat mater Jesu ibi : vocatus est autem et Jesus, et discipuli ejus, ad nuptias.

 

Il y eut des noces à Cana en Galilée, et la mère de Jésus s'y trouva. Jésus fut aussi invité aux noces avec ses disciples. (Saint Jean, chap. II, 1.)

 

Non-seulement il y fut invité, Chrétiens, mais il y assista ; et en y assistant il les approuva, il les honora, il les sanctifia, il en bannit les désordres, et déjà il prit des mesures pour les consacrer dans l'Eglise par l'institution d'un sacrement. Ce ne fut donc point en vain, ni sans dessein, qu'il y voulut être appelé : Vocatus est autem et Jesus; car c'est de là, disent les Pères, que vient la sainteté du mariage ; et si l’on n'y appelle Jésus-Christ, il n'y a plus rien dans cet état que de profane, ni rien qui le relève. Mais je dis de plus, et je prétends qu'il ne suffit pas que Jésus-Christ y soit appelé par les hommes, si Ton n'y est d'abord appelé par Jésus-Christ même. C'est-à-dire, mes chers auditeurs, que la grâce de la vocation par où Dieu vous sanctifie pour entrer dans l'état du mariage doit précéder la prière, et comme l'invitation par où vous voulez engager Dieu à s'intéresser dans la sainte alliance que vous contractez, et à la bénir : prière inutile, sans cette vocation divine. Mais si c'est Dieu qui vous appelle, et qu'ensuite vous appeliez Dieu, voilà le modèle parfait et la véritable idée d'un mariage chrétien. C'est aussi l'importante matière dont j'entreprends aujourd'hui de vous entretenir ; et parce que je n'ignore pas à quels écueils mon sujet m'expose, j'ai recours à Dieu. Je m'adresse à lui comme le Prophète, et je lui demande qu'il mette une garde à ma bouche, et qu'il ne laisse pas prononcer à ma langue une parole dont la malignité du siècle puisse abuser. Implorons encore le secours et l'intercession de Marie, en lui disant : Ave, Maria.

 

Saint Augustin parlant du mariage dans un

 

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excellent traité, et rapportant tous les avantages et tous les biens dont Dieu a pourvu cet état, les réduit à trois principaux : à l'éducation des enfants, qui en est la fin; à la foi mutuelle et conjugale, qui en est le nœud; et à la qualité de sacrement, qui en fait comme l'essence dans la loi de grâce : Bonum habent nuptiœ, et hoc tripartitum, proles, fides, sacramentum. Ce sont ses paroles, répétées en divers endroits des ouvrages de ce Père. Et en effet, c'est un bien pour les hommes que Dieu, par l'institution d'un sacrement, ait établi des alliances entre eux, et qu'il ait élevé ces alliances à un ordre surnaturel, par une grâce dont ils sont eux-mêmes les ministres. De plus, ce n'est pas un avantage peu estimable pour une personne engagée dans le mariage, de penser qu'une autre personne sur la terre lui est obligée de sa foi, et que, ne lui étant rien dans l'ordre de la nature ni selon la proximité du sang, elle ne laisse pas de lui devoir tout : amour, respect, complaisance, fidélité. Enfin je prétends que c'est un honneur aux pères et aux mères que Dieu les ait choisis pour lui élever dans le mariage des enfants, c'est-à-dire des serviteurs dont il soit glorifié, et des sujets qui amplifient son Eglise. Voilà donc trois grandes prérogatives du mariage : c'est un sacrement, c'est le lien d'une mutuelle société, c'est une propagation légitime des enfants de Dieu. Tout cela est vrai, Chrétiens; mais ne pensez pas que ce soient des biens tellement gratuits, qu'ils ne soient accompagnés d'aucunes charges : car voici l'idée que vous vous en devez former, et que je vous prie de comprendre, parce que j'en vais faire le partage de ce discours. De ces trois sortes de biens résultent par nécessité des devoirs de conscience et des obligations indispensables à remplir dans le mariage (ce sera la première partie) ; des peines très-difficiles et très-fâcheuses à supporter dans le mariage (ce sera la seconde) ; et des dangers extrêmes, par rapport au salut, à éviter dans le mariage (ce sera la troisième). Or, je soutiens qu'on ne peut ni satisfaire à ces obligations, ni supporter ces peines, ni se préserver de ces dangers, sans la grâce et la vocation de Dieu. D'où je conclus qu'il n'y a donc point d'état parmi les hommes, où cette vocation divine soit plus nécessaire. C'est tout le sujet de l'attention favorable que je vous demande.

 

PREMIÈRE PARTIE.

 

On n'en peut douter, Chrétiens : à considérer le mariage dans toute son étendue, et surtout selon les trois qualités que j'ai marquées, comme sacrement, comme lien d'une mutuelle société, et par rapport à l'éducation des enfants dont il est une propagation légitime, cet état porte avec soi des obligations qu'il vous est d'une importance extrême de bien connaître, et que je vais, pour satisfaire au devoir de mon ministère, vous expliquer.

C'est, sans contredit, un bien pour le christianisme, et pour vous en particulier, qui êtes appelés par la Providence à vivre dans le monde, que le Fils de Dieu ait consacré le mariage par son institution ; que non-seulement le mariage ne soit point un état criminel, comme l'ont voulu faire passer quelques hérétiques, ni une société purement civile, comme il l'est parmi les païens ; ni une simple cérémonie de religion, comme il l'était dans l'ancienne loi ; mais un sacrement qui confère la grâce de Jésus-Christ, établi pour sanctifier les âmes, pour représenter un de nos plus grands mystères, qui est l'incarnation du Verbe, et pour en appliquer les mérites à ceux qui le reçoivent dignement : Sacramentum hoc magnum (1). Oui, mes Frères, disait saint Paul, ce sacrement est grand ; et je vous le dis, afin que vous sachiez l'avantage que possède en ceci notre religion par-dessus toutes les autres. Car il n'est grand que par le rapport qu'il a avec Jésus-Christ, notre divin Sauveur ; il n'est grand que dans l'Eglise, qui est l'épouse de Jésus-Christ, il n'est grand que pour les fidèles, qui sont les membres du corps mystique de Jésus-Christ, c'est-à-dire qu'il n'est grand que pour vous : Ego autem dico vobis in Christo et in Ecclesia (2). Tout cela est de la foi. Mais de là que s'ensuit-il? des obligations à quoi l'on fait bien peu de réflexion dans le monde, et que le mariage néanmoins vous impose. Car, puisque c'est un sacrement de la loi de grâce, il n'est donc permis de s'y engager qu'avec une intention pure et sainte ; il n'est donc permis de le recevoir qu'avec une conscience nette, et exempte de péché ; il n'est donc permis d'en user que dans la vue de Dieu, et pour une fin digne de Dieu ; et quiconque manque à ces devoirs commet une offense qui tient de la nature du sacrilège, parce qu'il profane un sacrement. Présupposé le principe de la foi, il n'y a rien en toutes ces conséquences qui ne soit évident et incontestable.

Mais, encore une fois, on ne pense guère à ces conséquences dans le monde : et d'où vient qu'on n'y pense pas ; qu'on oublie dans ce

 

1 Ephes., V, 32. — 2 Ibid.

 

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sacrement les règles de piété, que l'on garde et que l'on croit devoir garder en recevant les autres? Vous êtes les premiers, et souvent même les plus zélés à condamner un homme qui entrerait dans l'Eglise et dans les ordres sacrés par des vues ou d'intérêt ou d'ambition. Vous ne voudriez pas approcher du sacrement de nos autels sans vous être auparavant purifiés dans les eaux de la pénitence ; et vous croiriez vous rendre coupables en vous présentant au tribunal de la pénitence, pour une autre tin que d'honorer Dieu et de vous réconcilier avec Dieu. Quand on vous parle de ce Simon le Magicien, qui demanda aux apôtres le sacrement de confirmation par un motif de vaine gloire ; et quand on vous dit que Judas parut à la table de Jésus-Christ, et qu'il y communia dans une disposition criminelle, vous réprouvez l'attentat de l'un et de l'autre. Or, le mariage est-il moins respectable et moins vénérable en qualité de sacrement? Le Sauveur du monde l'a-t-il moins institué que les autres sacrements? a-t-il moins de vertu pour donner la grâce que les autres sacrements? contient-il des mystères moins relevés que les autres sacrements? tout ce qui se dit des autres sacrements pour les exalter et nous les faire honorer, ne convient-il pas également à celui-ci ? et par conséquent ne demande-t-il pas par proportion des dispositions aussi parfaites, un motif aussi chrétien , une pureté de cœur aussi entière, un usage aussi honnête et aussi saint?

Nous savons tout cela dans la spéculation ; mais, dans la pratique, voici la différence qu'on met entre ce sacrement et les autres. Pour ceux-là on s'y prépare, on y cherche Dieu, on y prend des sentiments de religion, et en cela l'on agit chrétiennement ; mais est-il question du sacrement dont je parle, vous diriez que c'est dans la vie une chose indifférente et toute profane, à laquelle ni Dieu ni la religion n'ont point de part. On fait un mariage par des considérations purement humaines, sans en avoir le moindre remords ; on le célèbre au pied de l'autel, dans un état actuel de péché ; et quoique ce soit incontestablement une profanation sacrilège, à peine en a-t-on quelque scrupule, parce que la plupart même ignorent ce point de conscience. Or, sur cela, mes chers auditeurs , comment peut-on se justifier devant Dieu? Car si vous voulez que je vous en déclare ma pensée, voila un des désordres les plus essentiels qui règnent aujourd'hui dans le christianisme. On n'y regarde plus, ce semble , le mariage comme une  chose sacrée, mais comme une affaire temporelle, et comme une pure négociation. Qui est-ce qui consulte Dieu pour embrasser cet état? qui est-ce qui considère cet état comme un état de sainteté où Dieu l'appelle? qui est-ce qui choisit cet état dans les vues de sa prédestination éternelle et de son salut? Le dirai-je? les païens mêmes étaient sur ce point plus religieux, du moins plus sages et plus sensés. Si le mariage parmi eux n'était pas un sacrement, ce n'était pas non plus, comme il l'est devenu parmi nous, un trafic mercenaire, où Ton se donne l'un à l'autre, non par une inclination raisonnable, non par une estime honnête, ni selon le mérite de la personne, mais selon ses revenus et ses héritages, mais au prix de l'argent et de l'or. Car tel est le nœud de presque toutes les alliances ; c'est l'argent qui les forme : d'où vient ensuite ce dérèglement si commun, qu'après un mariage contracté sans attachement, on fait ailleurs de criminels attachements sans mariage. Quoi qu'il en soit, ce que nous ne pouvons assez déplorer, Chrétiens, c'est que le mariage renfermant dans son essence deux qualités, celle de contrat et celle de sacrement, ou n'a d'attention que sur la première, qui est d'un ordre; inférieur ; et qu'on néglige absolument l'autre, qui néanmoins est toute surnaturelle et toute divine. En qualité de contrat, on y observe toutes les règles de la prudence. Combien de traités, combien de conférences et d'assemblées, combien d'articles et de conditions, combien de précautions et de mesures? Mais pour la qualité de sacrement, ni réflexions ni préparatifs. On croit que tout se réduit à quelques cérémonies extérieures de l'Eglise, dont on s'acquitte sans recueillement et sans esprit de religion. Or, est-il possible qu'un sacrement ainsi profané vous attire de la part de Dieu les secours de grâce qu'il y a attachés? et si vous manquez de ces secours, comment accomplirez-vous les obligations de votre état?

Je dis les obligations que vous impose le mariage , non-seulement pris comme sacrement, mais de plus considéré comme lien d'une société mutuelle. Car voici où je prétends que sont nécessaires les grâces de Dieu les plus puissantes et les plus abondantes; vous l'allez comprendre. Il ne s'agit point seulement ici d'une société apparente, mais d'une société de cœur; en sorte que vous pratiquiez a la lettre ce précepte de l'Apôtre : Viri, diligite uxores veslras, sicut et Christus dilexit Ecclesiam (1) ;

 

1 Ephes., V, 25.

 

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Vous, maris, aimez celles que Dieu vous a données pour épouses ; et vous, femmes, ceux que la Providence vous a destinés pour époux. La règle que vous devez en cela garder, est de vous aimer l'un l'autre, comme Jésus-Christ a aimé son Eglise : Sicut et Christus dilexit Ecclesiam. Voilà, dis je, votre modèle. Aimez-vous d'un amour respectueux, d'un amour fidèle, d'un amour officieux et condescendant, d'un amour constant et durable, d'un amour chrétien. Tout cela, ce sont autant de devoirs renfermés dans cette foi conjugale que vous vous êtes promise de part et d'autre, et qui vous a unis. Prenez garde : je dis d'un amour respectueux, parce qu'une familiarité sans respect porte insensiblement et presque infailliblement au mépris. Je dis d'un amour fidèle, jusqu'à quitter, pour un époux ou pour une épouse, père et mère, puisque c'est en termes formels la loi de Dieu ; mais à plus forte raison jusqu'à rompre tout autre nœud qui pourrait attacher le cœur, et à se déprendre de tout autre objet qui le pourrait partager. Je dis d'un amour officieux et condescendant , qui prévienne les besoins ou qui les soulage, qui compatisse aux infirmités, qui lie les esprits, et qui maintienne entre les volontés un parfait accord. Je dis d'un amour constant et durable, pour résister aux fâcheuses humeurs qui le pourraient troubler, aux soupçons et aux jalousies, aux animosités et aux aigreurs. Enfin je dis d'un amour chrétien ; car, c'est ici que je puis appliquer, et que se doit vérifier la parole de saint Paul, que la femme chrétienne et vertueuse est la sanctification de son mari. C'est ce qu'ont été ces illustres princesses qui ont sanctifié les empires, en convertissant et en sanctifiant les princes dont elles étaient tout ensemble et les épouses et les apôtres. C'est ce que vous devez être, Mesdames, faisant dans vos familles ce que celles-là ont fait si glorieusement et avec tant de mérite dans les royaumes; estimant que le plus solide témoignage que vous puissiez donner à un époux, d'un véritable amour, est de le retirer du vice et de le porter à Dieu ; employant à cela toute votre étude, y rapportant tous vos vœux, tous vos conseils, tous vos soins; et vous animant à persévérer dans ce saint exercice par le beau mot de saint Jérôme à Laeta. Elle était fille d'un père idolâtre, unis que son épouse avait enfin réduit, par sa vigilance et par sa patience, à embrasser la foi. Or il fallait bien, dit saint Jérôme, que cela fût ainsi : un aussi grand zèle que celui de votre mère pour le salut de son mari ne devait point avoir d'autre effet. Et pour moi, ajoute ce saint docteur, dans son style élevé et figuré, je pense que ce Jupiter même qu'adoraient les païens eût cru en Jésus-Christ, s'il eût vécu dans une si sainte alliance : Ego puto, etiam ipstim Jovem, si habuisset talem cognationem, potuisse in Christum credere.

Mais par un renversement que nous ne déplorerons jamais assez, mes chers auditeurs, et dont peut-être vous éprouvez vous-mêmes les suites funestes, qu'arrive-t-il? vous ne pouvez l'ignorer, puisque vous le voyez tous les jours. Cette société, qui devait faire l'union et le bonheur des familles, et en être le plus ferme appui ; cette société, que devaient conserver mutuellement entre eux le  mari  et  la femme comme un des biens de leur état les plus estimables, à quoi se trouve-t-elle sans cesse exposée?aux ruptures, aux aversions, aux divisions, aux éclats quelquefois les plus scandaleux ; et cela pourquoi? parce que ni l'un ni l'autre ne veut contribuer à l'entretenir.  Une femme est entêtée, est capricieuse, est idolâtre de sa personne, aime le jeu, la dépense, les vains ajustements, les compagnies et les divertissements du monde. Un mari est impérieux, est jaloux, est chagrin, est emporté et colère, aime son plaisir et la débauche. Et parce qu'ils ne voudraient pas se faire la moindre violence, l'une pour revenir de ses entêtements, pour régler ses caprices, pour mettre des bornes à son jeu, à ses dissipations, à ses vanités, à son attachement au monde ; l'autre pour abaisser ses hauteurs, pou radoucir ses chagrins, pour se défaire de ses soupçons injustes et de ses inquiétudes outrées et mal fondées, pour modérer ses emportements et pour se retirer de ses débauches; de là viennent les contrariétés, les plaintes réciproques et les murmures, les reproches aigres et amers ; on conçoit du dégoût l'un pour l'autre, et souvent enfin, pour prévenir de plus grands désordres, on se trouve réduit à se séparer l'un de L'autre. Divorces et séparations que la loi des hommes autorise, mais qui ne sont pas  pour cela toujours justifiés devant Dieu et selon la loi de Dieu. Divorces et séparations si ordinaires aujourd'hui dans le monde, et que nous pouvons regarder comme la honte de notre siècle, surtout parmi des chrétiens. Divorces et séparations d'où suit presque immanquablement la ruine des maisons les mieux établies, et où nous voyons s'accomplir à la lettre cette parole de Jésus-Christ : que tout royaume divisé sera désolé. Divorces et séparations,

 

 

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vivent quelquefois sans scrupules les personnes d'ailleurs les plus adonnées aux exercices de la piété, ne se souvenant pas que le premier devoir d'une piété solide est à leur égard, et autant qu'il peut dépendre de leurs soins, de demeurer dans une société que Dieu lui-même a formée, ou a dû former.

Et pourquoi l'a-t-il formée? je l'ai dit après saint Augustin : pour une propagation légitime, et pour l'éducation des enfants. Troisième et dernier fonds des plus importantes et des plus essentielles obligations du mariage. Car ce n'est point assez de leur avoir donné la naissance, à ces enfants, et de les avoir mis au monde , il faut les nourrir. Ce n'est point assez de les nourrir, il faut les pourvoir. Ce n'est point encore assez de les pourvoir selon le monde, il faut les instruire et les élever selon le christianisme. De fournir a leur subsistance et à l'entretien d'une vie qu'ils ont reçue de vous, c'est ce que vous dicte la nature, et à quoi il est peu nécessaire de vous porter. De penser à leur établissement temporel, c'est, outre la nature, ce que vous inspire souvent votre ambition , et sur quoi vous n'êtes que trop ardents et que trop zélés. De travailler même à les perfectionner, à cultiver certains talents qui peuvent les distinguer et les avancer dans le monde, c'est un soin que vous ne négligez pas absolument, et de quoi plusieurs s'acquittent avec toute la vigilance convenable. Non pas qu'il n'y ait de ces pères et de ces mères insensibles et durs, qui, tout occupés d'eux-mêmes, semblent méconnaître leurs enfants et les laissent manquer des secours les plus nécessaires, tandis qu'ils ne refusent rien à leurs propres personnes de tout ce qui peut contenter leur mondanité ou leur sensualité. Non pas qu'il n'y en ait à qui la vue de leurs enfants devient tellement insupportable, qu'ils les tiennent de longues années hors de la maison paternelle, les bannissant en quelque manière de leur présence, parce qu'ils leur blessent les yeux, et les abandonnant à des mains étrangères pour les conduire. Non pas qu'il n'y en ait, ainsi que je le disais, dans le discours précédent, qui, ne voulant jamais se dessaisir de rien pour leurs enfants, et pour leur procurer des établissements sortables à leur condition, les voient tranquillement et impitoyablement languir auprès d'eux jusque dans un âge avancé, et les réduisent à la triste nécessité de passer leurs jours sans rang, sans nom, sans état. Non pas qu'il n'y en ait qui, dans un oubli entier de leurs enfants, ou par une molle et aveugle condescendance, ne leur donnent même nulle éducation pour le monde, leur permettant de vivre à leur gré, et les livrant, pour ainsi dire, à eux-mêmes et à tous leurs défauts naturels. Quel champ, si je voulais m'étendre là-dessus et sur bien d'autres désordres que je passe, parce qu'après tout ils sont moins importants et moins fréquents ! Mais le plus essentiel et le plus commun, c'est d'élever des enfants en mondains, sans les élever en chrétiens; c'est de veillera tout ce qui regarde leur fortune, et de n'avoir nulle vigilance sur ce qui concerne leur salut ; c'est de leur inspirer des sentiments conformes aux maximes et aux principes du siècle, et d'être peu en peine qu'ils en aient de conformes aux principes et aux maximes de l'Evangile ; c'est de ne leur pardonner rien dès qu'il s'agit du bon air du monde, des bonnes manières du monde, de la science du monde; et de leur pardonner tout dès qu'il ne s'agit que de l'innocence des mœurs et de la piété. De quoi néanmoins un père et une mère auront-ils plus particulièrement à répondre devant Dieu, si ce n'est de la sanctification de leurs enfants? Comme c'est Là sans contredit la première de toutes les affaires, ou plutôt comme c'est l'unique affaire, c'est à celle-là qu'ils doivent être spécialement attentifs dans l'instruction des enfants dont ils sont chargés, et par conséquent c'est à eux de porter leurs enfants à Dieu, et de les entretenir dans la crainte de Dieu ; à eux de corriger les inclinations vicieuses de leurs enfants, et de les tourner de bonne heure à la vertu ; à eux d'éloigner leurs enfants et de les préserver de tout ce qui peut corrompre leurs cœurs, domestiques déréglés, sociétés dangereuses, discours libertins, spectacles profanes, livres empestés et contagieux; à eux de procurer à leurs enfants de saintes instructions, de leur donner eux-mêmes d'utiles conseils, surtout de leur donner de salutaires exemples, s'étudiant à ne rien dire et à ne rien faire en leur présence, qui puisse être un sujet de scandale pour ces âmes faibles et susceptibles de toutes les impressions. Ceci me mènerait trop loin; et pour ménager le temps qui m'est prescrit, je laisse un plus long détail.

Revenons donc. Telles sont, mes chers auditeurs, les obligations propres de l'état du mariage ; elles ont leurs difficultés, et de grandes difficultés, j'en conviens; mais de là même qu'ai-je voulu conclure? que l'on ne doit point entrer dans cet état sans la vocation divine. Car, pour remplir toutes ces obligations, il faut

 

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une assistance spéciale du ciel ; et ce secours, Dieu ne le donne qu'à ceux qu'il appelle ; secours nécessaire, non-seulement pour accomplir les obligations du mariage, mais pour en supporter les peines, dont j'ai à vous parler dans la seconde partie.

 

DEUXIÈME PARTIE.

 

Il y a des peines dans l'état du mariage ; et la preuve en est d'autant plus sensible, Chrétiens, que vous en avez une expérience plus ordinaire. Pour vous les représenter, je n'ai qu'à suivre toujours les mêmes idées, en considérant le mariage sous les mêmes rapports. Ceci demande, s'il vous plaît, une attention toute nouvelle.

Je l'ai dit et je le répète : Que le mariage soit un sacrement, c'est ce qui fait son excellence et sa plus belle prérogative dans la loi de grâce ; mais c'est cela même aussi qui en fait la servitude; pourquoi? parce que c'est cette qualité de sacrement qui le rend indissoluble, et par conséquent qui en fait un joug, une sujétion , comme un esclavage où l'homme renonce à sa liberté. Si le Fils de Dieu avait laissé le mariage dans l'ordre purement  naturel, ce ne serait qu'une simple convention, plus rigoureuse à la vérité que toutes les autres dans son engagement, mais, après tout, qui pourrait se rompre dans les nécessités extrêmes. Et, en effet, nous voyons que, parmi les païens, où les lois et la jurisprudence ont paru les plus conformes à la raison humaine, la dissolution des mariages était autorisée ; ils les cassaient lorsque des sujets importants le demandaient ainsi ; et ils renonçaient aux alliances qu'ils avaient contractées, dès  qu'elles leur devenaient préjudiciables. Dieu même, dans l'ancienne loi, permettait aux Juifs de répudier leurs femmes ; et quoiqu'il ne leur donnât ce pouvoir que pour condescendre à la dureté de leurs cœurs, c'était  néanmoins un  pouvoir légitime dont il leur était libre d'user. Mais dans l'Eglise chrétienne, c'est-à-dire  depuis que Jésus-Christ a fait du mariage un sacrement, et qu'il lui en a donné la vertu, ce sacrement porte avec soi un caractère d'immutabilité. Est-il une fois reconnu valide, c'est pour toujours. Quand il s'agirait de la conservation de la vie, quand des royaumes entiers devraient périr, quand l'Eglise universelle serait menacée de sa ruine, et que toutes les puissances s'armeraient contre elle, ce mariage subsistera, ce mariage durera jusqu'à la mort, qui seule en peut être le terme. Voilà ce que la foi même nous enseigne.

Or c'est, Chrétiens, ce que j'appelle une servitude, et ce qui l'est en effet. Car, je vous demande : un état qui vous assujettit, sans savoir presque à qui vous vous donnez, et qui vous ôte toute liberté de changer, n'est-ce pas, en quelque sorte, l'état d'un esclave? Or le mariage fait tout cela ; il vous engage à un autre que vous, et c'est ce qu'il a de plus essentiel ; à un autre, dis-je, qui n'avait nul pouvoir sur vous, mais de qui vous dépendez maintenant, et qui s'est acquis un droit inaliénable sur votre personne. Par le sacerdoce, je ne me suis engagé qu'à Dieu et à moi-même : à Dieu, mon souverain Maître, à qui j'appartenais déjà; à moi-même, qui dois naturellement me régir et me conduire : mais, par le mariage, vous transférez ce domaine que vous avez sur vous-même à un sujet étranger, et ce qu'il y a de plus difficile et de plus héroïque dans la profession religieuse, devient la première obligation de votre état. Encore, dans la religion , je ne me trouve pas engagé à telle personne en particulier : ce n'est précisément et pour toujours, ni à celui-ci, ni à celui-là, mais tantôt à l'un et tantôt à l'autre, ce qui doit infiniment adoucir le joug ; au lieu que, dans le mariage, votre engagement est perpétuel pour celui-là et pour celle-ci. Si la personne vous agrée, et qu'elle soit selon votre cœur, c'est un bien pour vous; mais si ce mari ne plaît pas à cette femme, si cette femme ne revient pas à ce mari, ils n'en sont pas moins liés ensemble; et quel supplice qu'une semblable union !

A quoi j'ajoute, mes Frères, une nouvelle différence, mais bien remarquable entre nos deux conditions, c'est que, pour l'état religieux, il y a un noviciat et un temps d'épreuve, et qu'il n'y en a point pour le mariage. De tous les états de la vie, dit saint Jérôme, le mariage est celui qui devrait le plus être de notre choix, et c'est celui qui l'est le moins. Vous vous engagez et vous ne savez à qui, car vous ne connaissez jamais l'esprit, le naturel, les qualités du sujet avec qui vous faites une alliance si étroite, qu'après votre parole donnée, et lorsqu'il n'est plus temps de la reprendre. Maintenant que ce jeune homme vous recherche, il n'a que des complaisances pour vous, il n'a que des apparences de douceur, de modération, de vertu; mais dès que le nœud sera formé, vous apprendrez bientôt ce qu'il est; vous verrez succéder à cette douceur feinte des emportements et des colères ; à cette modération

 

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affectée, des brusqueries et des violences ; à cette vertu hypocrite, des débauches et des excès. Maintenant que cette jeune personne est sans établissement, et que vous lui paraissez un parti convenable, elle sait se composer et se contrefaire; mais quand une fois elle n'aura plus tant de ménagements à prendre ni tant d'intérêt à vous plaire, vous en éprouverez bientôt les caprices, les bizarreries, les entêtements, les hauteurs. Quoi que vous fassiez, ou de quelque diligence que vous usiez, il en faut courir le hasard. Ce qui faisait dire à Salomon, que pour les biens et les richesses, c'est de nos parents que nous les recevons ; mais qu'une femme sage et vertueuse, il n'y a que Dieu qui la donne : Divitiœ dantur a parentibus, a Domino autem uxor prudens (1).

Concevez donc bien, mes chers auditeurs, ce que c'est qu'un tel engagement ou qu'une telle servitude pour toute la vie, et sans retour. Il n'y a point de vœu si solennel dont l'Eglise ne puisse dispenser, mais à l'égard du mariage , elle a , pour ainsi dire , les mains liées; et son pouvoir ne s'étend point jusque-là. Engagement qui parut aux apôtres mêmes d'une telle conséquence , que pour cela seul ils conclurent qu'il était donc bien plus à propos de demeurer dans le célibat : Si ita est causa hominis cum uxore , non expedit nubere (2). Et que leur répondit là-dessus le Fils de Dieu? condamna-t-il ce sentiment si peu favorable au mariage? il l'approuva, il le confirma, il les félicita d'avoir compris ce que tant d'autres ne comprenaient pas : Non omnes capiunt verbum istud (3). Pourquoi cela? parce qu'il savait combien en effet ce sacrement serait un rude fardeau pour la plupart de ceux qui le devaient recevoir. Ce que je vous dis, au reste. Chrétiens, n'est point tant pour vous en donner de l'horreur, que pour vous faire sentir à quel point l'assistance divine vous est nécessaire dans le mariage , et de quelle importance il est de ne s'y pas engager sans le gré de Dieu. Ah ! combien en a-t-on vu, et combien en voit-on de nos jours succomber sous ce joug pesant, ou ne le traîner qu'avec peine et en déplorant mille fois leur infortune? Combien de malheureux dans le monde et dans toutes les conditions du monde paraissent contents au dehors , mais gémissent en secret de l'esclavage où ils se trouvent réduits? d'autant plus à plaindre, si j'ose parler de la sorte, qu'ils ont moins de droit eux-mêmes de se plaindre : car, qui les a chargés de ces fers dont la pesanteur les accable? Est-ce

 

1 Prov., XIX, 14 — 2 Matth., XIX, 10. — 3 Ibid., 11.

 

Dieu, qu'il n'ont pas consulté? n'est-ce pas eux-mêmes? Et comment iraient-ils au   pied de l'autel pour se consoler avec le Seigneur, lui dire : Soutenez-moi, mon Dieu ! ou brisez ma chaîne, ou  du moins aidez-moi à la porter? Qu'aurait-il de sa part à leur faire entendre ? Ce n'est point moi qui l'ai formé, ce lien ; je n'ai point été votre conseil : rien ne m'engage à devenir votre appui, ni à soulager votre douleur.

Ce qui la redouble, et ce qui la doit rendre encore plus vive, c'est cette société dont le mariage est le nœud : car, quoique la société, prise en elle-même, ait toujours été regardée comme un bien; toutefois, par l'extrême difficulté de trouver des esprits qui s'accordent ensemble et qui se conviennent mutuellement l'un à l'autre, on peut dire que la solitude lui est communément préférable. Nous avons de la peine à nous souffrir nous-mêmes : un autre nous sera-t-il plus aisé à supporter? Je ne parie point de mille affaires chagrinantes qu'attire la société et la communauté des mariages; ce ne sont que les accidents de votre état; mais des accidents après tout si ordinaires, que les mariages mêmes des princes et des rois n'en sont pas exempts. Je m'arrête à la seule diversité d'humeurs, qui se rencontre souvent entre une femme et un mari. Quelle croix et quelle épreuve ! quel sujet de mortification et de patience ! un mari sa^e et modeste, avec une femme volage et dissipée; une femme régulière et vertueuse, avec un mari libertin et impie. De tant de mariages qui se contractent tous les jours, combien en voit-on où se trouve la sympathie des cœurs? Et s'il y a de l'antipathie, est-il un plus cruel martyre? Du moins si l'on savait par la se sanctifier, si l'on portait sa croix en chrétien , et que d'une triste nécessité on se fit une vertu et un mérite! mais ce qu'il y a de bien déplorable, c'est que ces peines domestiques ne servent encore qu'à vous éloigner davantage de Dieu, et qu'a vous rendre plus criminels devant Dieu. On cherche à se dédommager au dehors, on tourne ailleurs ses inclinations; et à quels désordres ne se laisse-t-on pas entraîner? Du reste, quelles animosités et quelles aversions ne nourrit-on pas dans l'âme? en quelles plaintes et en quels murmures, en quelles désolations et en quels désespoirs les années s'écoulent-elles? On demeure dans ces dispositions jusqu'à la mort; et comme disait saint Bernard, on ne fait que passer d'un enfer à un autre enfer, d'un enfer de péché et de crime à un enfer de peine et de châtiment,

 

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de l'enfer du mariage au véritable enfer des démons.

Ce sont là, dites-vous, des extrémités, il est vrai; mais, extrémités tant qu'il vous plaira, rien n'est plus commun dans l'état du mariage ; et n'est-ce pas cela même qui nous en doit mieux faire connaître la pesanteur, qu'on y soit si souvent réduit à de pareilles extrémités? Si cet état était pour vous de l'ordre de Dieu, si vous ne l'aviez pas choisi vous-même, ou que vous ne l'eussiez pris que par la vocation de Dieu, que dans les vues de Dieu, que sous la conduite de Dieu, sa grâce vous l'adoucirait, et sa providence ne vous manquerait pas au besoin. Il vous aurait adressée, comme Rébecca a l'époux qui vous était destiné, et qui vous convenait; il donnerait à vos paroles une efficace, et à vos soins une bénédiction toute particulière, pour rendre ce mari plus traitable, pour fixer ses légèretés, pour arrêter ses emportements, pour le retirer de ses débauches, pour calmer ses inquiétudes et dissiper ses jalousies; du moins, dans les ennuis et les dégoûts, dans les rebuts et les mépris, dans les contradictions et les chagrins où vous vous trouvez exposée, il vous revêtirait d'une force divine pour les supporter ; et, par son onction intérieure, il saurait bien, lors même que tout serait en trouble au dehors, vous faire goûter dans le fond de l'âme les douceurs d'une sainte paix. Mais parce que de vous-même, et en aveugle, vous vous êtes, pour ainsi parler, jetée dans les fers, il vous en laisse porter tout le poids; c'est-à-dire, et vous ne le savez que trop, qu'il vous laisse porter tous les caprices d'un mari bizarre, toutes les hauteurs d'un mari impérieux, toutes les brusqueries d'un mari violent, toutes les épargnes d'un mari avare, toutes les dissipations d'un mari prodigue, tous les dédains d'un mari peu affectionné et indifférent, toutes les folles et chimériques imaginations d'un mari jaloux. Il permet que vous-même, au lieu de chercher dans votre patiente et en de sages ménagements le remède aux maux qui vous affligent, vous les augmentiez; que vous-même vous' deveniez une femme vaine, une femme indiscrète, une femme mondaine et dissipée, une femme obstinée et opiniâtre; que vous-même vous ayez vus variations et vos inconstances, vos aigreurs et vos licites, vos vivacités et vos colères; que l'un et l'autre vous ne serviez qu'à exciter le feu de la discorde, et qu'à rendre votre condition plus malheureuse.

Encore si l'on en était quitte à ce prix : mais une troisième source de peines dans le mariage, et j'ose dire une source presque inépuisable, c'est l'éducation des enfants. Un enfant sage, dit Salomon, fait la joie de son père ; et celui au contraire qui a l'esprit mal tourné est un sujet de douleur et de tristesse pour sa mère : Filius sapiens lœtificat patrem ; filius vero stultus mœstitia est matris suœ (1). Mais, sans altérer en aucune sorte la parole du Saint-Esprit, je puis ajouter, dans un autre sens, que des enfants à élever, soit qu'ils soient réglés ou qu'ils ne le soient pas, sont communément pour des pères et pour des mères un lourd fardeau et une croix bien pesante. Je ne parle point des soins que demande une première enfance, sujette à mille faiblesses auxquelles il faut condescendre, à mille besoins auxquels il faut fournir, à mille accidents sur lesquels il faut veiller. Supposons-les dans un âge plus avancé, et dans ce temps où ils commencent proprement à se faire connaître ou par leurs bonnes ou par leurs mauvaises qualités. Que ce soient, si vous le voulez, des enfants bien nés, et qui donnent pour l'avenir les plus heureuses espérances; que ce soient de bons sujets, sur qui dans la suite on puisse compter; j'y consens : mais est-on pour cela en état de les pourvoir et de les avancer? est-on pour cela certain de ne les pas perdre et de les conserver? Quel amer déboire, par exemple, et quelle désolation de se voir chargé d'une nombreuse famille, et de manquer des moyens nécessaires pour l'établir; d'avoir des enfants capables de tout, et de ne pouvoir les pousser à rien; d'être obligé de les laisser dans une oisiveté forcée, où ils passent tristement leurs jours, et dans une obscurité où leur naissance, leur nom, leur mérite personnel, demeurent ensevelis! Quel regret, quel accablement, lorsqu'un accident imprévu,qu'une mort inopinée vient tout à coup à enlever des enfants qu'on aimait et sur qui l'on faisait fond; à qui l'on avait d'amples héritages, de grands titres à transmettre, et qui devaient être le soutien d'une maison, laquelle tombe avec eux, ou va bientôt après eux tomber ! Or, vous le savez, si ce sont là dans le monde des événements rares, dont on ne puisse tirer nulle conséquence; et vous n'ignorez pas ce qu'une expérience si commune vous a là-dessus appris et vous apprend tous les jours.

Mais ce que vous savez encore mieux parce qu'il est encore plus commun, c'est ce qu'il en coûte à des pères et à des mères pour élever

 

1 Prov., X, 1.

 

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des enfants indociles, pour redresser des enfants mal nés, pour soutenir des enfants sans génie et sans talent, pour gagner des enfants ingrats et sans naturel, pour ramener a leurs devoirs des enfants égarés et abandonnés à leurs passions, des enfants déréglés et débauchés, prodigues et dissipateurs. N'est-ce pas là de quoi les familles sont remplies; et qu'y a-t-il de plus ordinaire? Je dis des enfants indociles, des enfants toujours prêts à se révolter contre les sages remontrances qu'on leur fait, et les salutaires enseignements qu'on leur donne; des enfants mal nés, que toutes leurs inclinations tournent au vice, et à qui l'on ne peut inspirer nul sentiment de christianisme, ni même d'honneur; des enfants sans génie, qu'on voudrait former afin de les avancer, mais auprès de qui tous les soins qu'on prend deviennent inutiles, par le peu de disposition qu'on y trouve ; des enfants ingrats qui ne sentent rien de ce qu'on fait pour eux, et dont on ne reçoit point d'autre reconnaissance que mille déplaisirs, d'autant plus piquants qu'on avait moins lieu de les attendre; des enfants volages et inconsidérés, qu'une aveugle précipitation engage en de continuelles et fâcheuses affaires, déréglés et débauchés, que la passion porte à des désordres qui les décrient dans le monde, et dont l'infamie rejaillit sur ceux à qui ils appartiennent; prodigues et dissipateurs, qui, pour fournir à des dépenses excessives, empruntent de toutes parts et à toutes conditions, sans être en peine de l'avenir, et sans en prévoir les funestes suites. Qu'est-il besoin que je m'étende sur cela davantage, et que vous dirai-je dont vous ne soyez mieux instruits que moi? N'est-ce pas là, pères et mères, ce qui vous fait tant gémir? n'est-ce pas ce qui vous plonge en de si profondes mélancolies, ou ce qui vous jette en de violents transports? n'est-ce pas ce qui vous déchire le cœur, et ce qui vous fait dire en tant d'occasions ce que disait cette mère de Jacob et d'Esaü : Si sic mihi futurum erat, quid necesse fuit concipere (1)? Si ce sont là les fruits du mariage, ne vaudrait-il pas mieux pour moi de n'y avoir jamais pensé ? Heureux l'état où , libre et dégagé de tout autre soin, l'on n'est chargé que de soi-même ! Vous le dites , mon cher auditeur, et ce n'est pas sans sujet; mais voici ce qui est encore plus vrai, et ce qu'il faudrait encore plutôt vous dire et vous reprocher devant Dieu : que vous ne deviez donc pas vous déterminer si vite à un choix dont les conséquences

 

1 Genes., XXV,22.

 

étaient tant à craindre ; que vous deviez prendre avec Dieu de justes mesures, te consulter immédiatement lui-même par la prière, et consulter ses ministres, qu'il a établis pour être les interprètes de ses volontés; que vous deviez peser mûrement les choses, non selon les fausses maximes du monde, mais dans la balance de l'Evangile et au poids du sanctuaire ; que vous ne deviez rien omettre enfin, avant que d'embrasser l'état du mariage, pour bien connaître et ses obligations et ses peines, et en dernier lieu ses dangers, dont j'ai à vous entretenir dans la troisième partie.

 

TROISIÈME  PARTIE.

 

Toutes les conditions de la vie ont leurs dangers, je dis leurs dangers par rapport au salut : non-seulement dangers communs, mais dangers particuliers et propres de chaque état. La solitude même n'en est pas exempte, et les anachorètes ont eu à combattre pour mettre à couvert leur innocence, et pour se défendre des attaques où ils ont été exposés. Encore n'y ont-ils pas toujours réussi ; et combien de fois l'Eglise a-t-elle vu ses plus brillantes lumières s'éteindre , et pleuré la chute de ceux qu'elle se proposait de mettre un jour au rang de ses saints? Mais du reste , selon le sentiment universel des Pères et des maîtres de la morale , s'il y a partout des dangers, on peut dire qu'un des états les plus dangereux, c'est le mariage. En voici la preuve : parce que dans le mariage il faut concilier des choses dont l'accord est très-difficile, qui ne se trouvent presque jamais ensemble ; qui, dans l'estime commune des hommes, paraissent incompatibles, et sans lesquelles néanmoins il n'est pas possible d'être sauvé. Car il s'agit d'accorder la licence conjugale avec la continence et la chasteté ; une véritable et intime amitié pour la créature, avec une fidélité inviolable pour le Créateur; un soin exact et vigilant des affaires temporelles, avec un détachement d'esprit et un dégagement intérieur des biens de la terre. Tout cela sur quoi fondé? toujours sur les mêmes qualités du mariage, qui servent de fond à tout ce discours.

Prenez garde en effet, Chrétiens : s'il y a quelque chose qui rende l'incontinence des mariages plus criminelle devant Dieu , c'est la dignité du sacrement : et cependant rien de plus sujet que le mariage aux excès d'une passion sans règle et sans retenue. Qu'est-ce qui porte plus fortement une femme, et qui l'oblige même à prendre avec plus de zèle tous les intérêts

 

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d'un mari, et à chercher les moyens de lui plaire? n'est-ce pas cette étroite société qu'il doit y avoir entre l'un et l'autre? mais n'est-ce pas aussi d'ailleurs ce même zèle pour un époux, cette même attache qui la met dans un péril évident d'abandonner en mille rencontres les intérêts de Dieu, et de déplaire à Dieu? Enfin , il faut qu'un père et une mère aient de la vigilance et du soin pour établir leur maison , et sans cela ils ne satisfont pas au devoir de leur conscience, puisqu'ils sont les tuteurs de leurs enfants, et qu'après leur avoir donné la vie, ils leur doivent encore l'entretien et l'éducation. Or, dites-moi si cette vigilance, si ce soin d'établir une famille, de placer des enfants, de leur laisser un héritage qui leur convienne et qui puisse les maintenir dans la condition où ils sont nés, n'est pas la plus dangereuse de toutes les tentations ; si ce n'est pas le prétexte le plus spécieux et le plus subtil pour autoriser en apparence toutes les injustices que suggère une avare cupidité, et par conséquent si ce n'est pas une occasion continuelle et toujours présente de se perdre? Reprenons ; et vous, mes chers auditeurs, que votre état expose à tant de périls, ouvrez au moins les yeux pour les apercevoir, et pour apprendre à vous en préserver.

Le premier, c'est l'incontinence des mariages : je m'en tiens à cette parole, et ce n'est même qu'avec peine que je l'ai laissée échapper. Saint Jérôme écrivant à une vierge, et l'instruisant des devoirs du célibat, où elle faisait profession de vivre, ne craignait point de s'exprimer en certains termes dont elle pouvait être blessée : pourquoi? c'est, lui disait ce saint docteur, que j'aime mieux me mettre au hasard de vous parler avec un peu moins de réserve, que de vous cacher des vérités qui concernent votre salut : Malo verecundia periclitari, quam veritate. Peut-être avait-il raison de s'expliquer de la sorte dans une lettre ; mais ici, Chrétiens, dans cette chaire évangélique, je dois, sans altérer la vérité, user de la sage précaution que demande la dignité de mon ministère. Vous savez ce que la loi chrétienne vous ordonne, et ce qu'elle vous défend; ou, si vous ne le savez pas, tout ce que je puis vous dire, c'est qu'il vous est d'une extrême importance de vous en instruire, puisqu'il y va de votre salut; c'est que le mariage est un état de chasteté et de continence , aussi bien que le célibat, quelque différence qu'il y ait d'ailleurs entre l'un et l'autre ; c'est qu'il y a dans le mariage des lois établies de Dieu , et qu'il n'est pas permis de transgresser; c'est que tous les désordres qui s'y commettent, bien loin d'être excusés, et en quelque manière justifiés par le sacrement, tirent de là même une malice et une difformité toute particulière; c'est que vous avez sur cela une conscience qu'il faut écouter, et qui vous jugera devant Dieu ; enfin, selon la pensée de saint Jérôme, c'est que des trois espèces de chasteté, savoir celle de la virginité, celle de la viduité et celle du mariage, la chasteté conjugale, quoique la plus imparfaite, est néanmoins la plus difficile; pourquoi? parce qu'il est bien plus aisé, dit ce saint docteur, de s'abstenir entièrement, que de se modérer; et de renoncer absolument à la chair, qui est votre ennemi domestique, que de lui prescrire des bornes et de la réprimer. La virginité, ajoute le même Père, en se conservant, triomphe presque sans combat : à peine connaît-elle le danger, parce qu'elle le fuit et qu'elle s'en tient éloignée. On peut dire par proportion le même de l'état de viduité; mais il en va tout autrement à l'égard de la chasteté conjugale. Entre elle et l'impureté, il n'y a qu'un pas à faire; mais ce pas conduit au crime et jusqu'à la damnation.

A ce premier danger un autre encore se trouve joint ; c'est celui de la société mutuelle ; comprenez-le. Car l'effet de cette société doit être une union des cœurs si parfaite, que pour un époux l'on soit disposée à se détacher de tout, à quitter tout, à sacrifier tout, mais avec cette exception si délicate et si rare, que l'amour conjugal ne l'emporte pas sur l'amour de Dieu; que l'époux et l'épouse soient tellement attachés l'un à l'autre, qu'en même temps ils soient l'un et l'autre encore plus étroitement attachés à Dieu ; qu'une femme disposée à suivre toutes les inclinations raisonnables d'un mari, ait d'ailleurs la force de lui résister quand il s'agit de suivre ses passions, de participer à ses désordres, de prêter l'oreille à ses discours médisants ou impies, d'entrer dans ses ressentiments, de seconder ses vengeances. Ainsi, que cet époux ait reçu une injure, qu'il ait été offensé et outragé, il vous est permis d'en être touchée, de partager avec lui sa peine, de lui procurer toute la satisfaction convenable : vous le pouvez, et même vous le devez. Mais d'aller au delà, de prendre ses animosités et ses haines, de l'autoriser dans ses emportements et ses violences, de condescendre à tout ce que lui inspire un cœur aigri et animé, ce n'est point agir en femme

 

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chrétienne, ce n'est point là une vraie fidélité; et Jésus-Christ, en instituant le mariage dans son Eglise, n'a point prétendu qu'il servît à se faire un crime propre du crime d'autrui. De même, que ce mari, ou ambitieux ou intéressé, forme d'injustes desseins, et qu'il veuille, contre le droit et la bonne foi, vous engager dans ses entreprises, c'est là qu'avec une sainte assurance, il faut tenir ferme et s'opposer à l'iniquité. Mais je lui dois obéir : point d'obéissance qui lui soit due au préjudice de la loi de Dieu. Mais il s'éloignera de moi : sa disgrâce alors vaudra mieux pour vous que son estime. Mais la paix en sera troublée : vous aurez la paix de la conscience, et elle vous suffira. Mais il cherchera toutes les occasions de me chagriner : vous profiterez de vos chagrins pour pratiquer la patience, et Dieu du reste vous consolera. Mais le moyen enfin de se soutenir toujours dans cette fermeté inébranlable, et de ne se démentir jamais? cela n'est pas aisé, j'en conviens ; mais c'est pour cela même que je vous l'ai proposé comme un des plus grands dangers de votre état.

Et voilà ce que voulait dire saint Paul, écrivant aux Corinthiens, lorsqu'il faisait consister le bonheur des vierges à n'être point partagées entre Dieu et le monde, à n'être point chargées de l'obligation et du soin de plaire aux hommes, mais seulement à Jésus-Christ, l'époux de leurs âmes : Et mulier innupta et virgo cogitat quœ Domini sunt (1). Au lieu, ajoutait-il, qu'une femme est toujours en peine comment elle se maintiendra tout à la fois et dans la grâce de son mari et dans celle de son Dieu; se trouvant obligée, autant qu'il lui est possible, à contenter l'un et l'autre, et ne sachant néanmoins en mille rencontres comment y réussir, ni par où les accorder. Tellement qu'il faut, par une triste nécessité, qu'elle renonce l'un pour l'autre, qu'elle abandonne l'un pour s'attacher inviolablement à l'autre; et c'est ce qui la trouble, ce qui divise son cœur, ce qui lui remplit l'esprit de pensées, de vues, d'affections toutes contraires, ce qui la tient en de continuelles perplexités, et quelquefois dans les plus cruelles incertitudes. Quœ autem nupta est, cogitat quœ sunt mundi, quomodo placeat viro (2). D'autant plus dangereusement exposée, que la présence d'un mari avec qui elle vit, et l'intérêt de le ménager font plus d'impression sur elle. Si peut-être, à certains moments où la résolution est plus forte et la grâce plus abondante, elle

 

1 1 Cor., VII, 34. — 2 Ibid.

 

écoute la conscience et se maintient dans le devoir, qu'il est à craindre que cette conscience toujours combattue par l'occasion, ne vienne enfin à se relâcher avec le temps et à céder! N'est-ce pas ainsi qu'une molle complaisance a perdu tant de femmes, et tous les jours en perd tant d'autres? Elles étaient, de leur fond et par leur penchant, douces, patientes, équitables, droites, régulières : mais un homme insatiable et avare, colère et vindicatif, sensuel et voluptueux, les a rendues complices de ses fraudes et de ses aversions, de ses excès et de ses plus honteuses cupidités.

Que dirai-je, ou que ne me reste-t-il point à dire d'un dernier danger, que porte avec soi le soin d'une famille et l'éducation des enfants? Il est certain, et je vous l'ai déjà fait assez entendre, que l'éducation de vos enfants vous engage par devoir et par état à vaquer aux affaires temporelles. Mais il n'est pas moins vrai que cet engagement est un écueil, où il est rare de ne pas échouer : et qui ne voit pas l'extrême difficulté qu'il y a de concilier ensemble le soin des biens de la terre et le détachement de ces mêmes biens? Selon l'Evangile, si vous négligez de pourvoir vos enfants d'une manière conforme à leur condition, vous vous rendez coupables devant Dieu ; et si d'ailleurs, afin de pourvoir vos enfants, vous vous laissez emporter au désir et a l'amour des richesses, il n'y a point de salut pour vous. Dans le mariage, il ne vous est pas permis, comme aux autres, d'abandonner toutes choses pour suivre Jésus-Christ : ce n'est point là votre perfection. Il faut que vous possédiez, que vous conserviez, et même que vous travailliez raisonnablement à acquérir. Mais en possédant, en conservant, en acquérant, il faut préserver votre cœur de toute affection terrestre. Ainsi vous le dit saint Paul ; écoutez-le : Hoc itaque dico, Fratres, reliquum est ut et qui habent uxores, tanquam non habentes sint ; et qui emunt, tanquam non possidentes ; et qui utuntur hoc mundo, tanquam non utantur (1). Voila, mes Frères, disait ce grand apôtre, ce que j'ai à vous intimer de la part de Dieu ; savoir, que parmi vous ceux qui sont engagés dans le mariage aient l'esprit et le cœur aussi libres que s'ils étaient pleinement maîtres d'eux-mêmes ; que ceux qui vendent et qui achètent, le fassent comme s'ils ne possédaient rien ; et que ceux qui ont la disposition des biens de ce monde, en usent comme s'ils ne leur appartenaient pas : pourquoi cela?

 

1 1 Cor., VII, 29, 30, 31.

 

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parce que la figure de ce monde passe, poursuivait le docteur des Gentils : Prœterit enim figura hujus mundi (1). Et moi j'ose ajouter, en vous appliquant cette morale, parce que le soin que vous pouvez et que vous devez avoir des biens de ce monde, ne vous dispense en aucune sorte de l'obligation d'y renoncer de cœur et de volonté. Jésus-Christ en a fait une loi générale pour tous les hommes ; et cette loi, dit saint Chrysostome, ne pouvant s'entendre d'un renoncement réel et effectif, il faut par nécessité l'interpréter du renoncement de l'esprit : Qui non renuntiat omnibus (2). C'est-à-dire, Chrétiens, que quand le Sauveur des hommes prononçait cet oracle, il parlait pour vous aussi bien que pour moi : avec cette différence néanmoins, qu'en vous faisant ce commandement, il vous obligeait à quelque chose de plus difficile que moi. Car, il voulait que ce détachement intérieur ne vous ôlat rien de toute la vigilance nécessaire pour la conservation de vos biens et pour l'entretien de vos familles. Or, de joindre l'un et l'autre ensemble, c'est ce que j'appelle la vertu héroïque de votre état. Et comment en effet, me direz-vous, atteindre à ce point de pauvreté évangélique? A cela je vous réponds ce que répondait Jésus-Christ lui-même sur un sujet à peu près semblable : La chose est impossible aux hommes, mais elle ne l'est pas à Dieu. Elle est impossible à ceux qui s'ingèrent d'eux-mêmes et sans la grâce de la vocation dans le mariage, ou qui l'ayant cette grâce, n'en font pas l'usage qu'ils doivent; mais a ceux qui y sont fidèles, tout devient possible. Abraham vécut dans le même état que vous, il eut une maison à soutenir comme vous, il posséda de plus grands biens que vous ; et jamais ces biens périssables n'excitèrent le moindre désir dans son cœur, et n'y allumèrent le feu de la convoitise.

Quoi qu'il en soit, vous connaissez, mes chers auditeur, les obligations du mariage : vous en savez les peines, vous n'en ignorez pas les dangers, et par conséquent vous voyez combien il vous importe d'y être éclairés, conduits, secourus de Dieu ; c'est-à-dire, combien il vous importe de n'y entrer que par le

 

1 1 Cor., VII, 31. — 2 Luc, XIV, 33

 

choix de Dieu et d'y attirer sur vous la grâce de Dieu. Mais si ce n'est pas par cette vocation divine que je l'ai embrassé, n'y a-t-il plus de ressources pour moi, et que ferai-je? Vous ferez ce que fait le pécheur pénitent. En se convertissant à Dieu, il répare par la grâce de la pénitence ce qu'il a perdu en se dépouillant de la grâce d'innocence. De même vous réparerez après le mariage le mal que vous avez commis en vous engageant dans le mariage : et puisque vous n'avez pas eu les premières grâces de cet état, vous aurez recours à Dieu pour obtenir les secondes. Car Dieu a de secondes grâces pour suppléer au défaut des premières, et c'est dans ces secondes grâces que vous devez mettre votre confiance. Cependant, parce qu'elles sont plus rares et moins abondantes quand elles n'ont pas été précédées des autres, ce qui vous reste, c'est de veiller avec plus d'attention sur vous-mêmes, de vous appliquer avec plus de zèle à tous les devoirs d'un état où Dieu veut maintenant que vous persévériez, de concevoir un repentir plus vif et plus amer de l'égarement où vous êtes tombés par votre faute, de redoubler sur cela vos vœux, et de crier plus fortement vers le Seigneur. Ah! mon Dieu, lui direz-vous, comme dit le frère de Jacob à Isaac après avoir perdu son droit d'aînesse, n'avez-vous pas plus d'une bénédiction, et le trésor de vos grâces n'est-il pas infini? Num unam tantum benedictionem habes, Pater (1)? Il est vrai, Seigneur, je me suis écarté de ma route, en m'écartant de celle que vous m'aviez marquée : car c'était là proprement ma route, c'était mon chemin. Mais m'avez-vous pour cela rejeté; et votre providence manque-t-elle de moyens pour réparer la perte que j'ai faite? Jetez, mon Dieu, jetez encore un regard favorable sur moi, et ne m'abandonnez pas à moi-même, lorsque je veux désormais nf abandonner pleinement à votre conduite : Mihi quoque obsecro ut benedicas (2). Il vous écoutera, mon cher auditeur; et par un retour de sa miséricorde, il prendra pour vous de nouvelles vues de prédestination, et vous fera arriver au salut éternel, que je vous souhaite, etc.

 

1 Genes., XXVIII, 38. — 2 Ibid.

 

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