SERMON CLXXVIII
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SERMON CLXXVIII. SUR LA JUSTICE (1).

 

ANALYSE. — L'évêque étant obligé de combattre non-seulement ceux qui contredisent la saine doctrine par leurs discoure, mais encore ceux qui y résistent par leurs actions, saint Augustin croit devoir réfuter ici ceux qui blessent la justice. Il leur rappelle et leur prouve que la justice impose trois devoirs : 1° Celui de ne pas ravir le bien d'autrui. Si l'Evangile condamne avec tant de rigueur ceux qui ne font pas l'aumône avec leurs propres biens, quels supplices n'attendent pas ceux qui dérobent ce qui ne leur appartient point ! Vainement ils prétextent qu'avec ce bien ravi ils assistent les malheureux, ou qu'ils ne dépouillent que des païens. En dépouillant les païens ils les empêchent de devenir chrétiens, et en dépouillant des chrétiens c'est le Christ même qu'ils dépouillent ; 2° le second devoir prescrit par la justice est de restituer le bien d'autrui. L'Ecriture en faisait une obligation sacrée au peuple juif lui-même. Exemple mémorable et touchant de restitution ; 3° une autre obligation imposée par, la justice, c'est de la pratiquer, non par une crainte servile, mais par le pur amour qui ne demande pour récompense que le bonheur de jouir de Dieu.

 

1. Ce qu'on vient de lire de l'Epître du bienheureux Apôtre sur le choix des évêques, a été pour nous tous un avertissement. Nous y avons appris, nous, à nous examiner sérieusement, et vous, à ne pas nous juger, surtout à cause de cette pensée qui suit le passage de l'Evangile dont on nous a encore donné lecture : « Gardez-vous de juger avec acception des personnes, mais rendez un juste jugement (2) ». En effet pour ne pas faire, dans ses jugements, acception des étrangers, il ne faut pas faire non plus acception de soi-même.

Le bienheureux Apôtre dit quelque part « Je combats, mais non comme frappant l'air; au contraire je châtie mon corps et le réduis

 

1 Tit. I, 9. — 2. Jean, VII, 24.

 

« en servitude, de peur qu'après avoir prêché aux autres, je ne sois réprouvé moi-même (1) ». Cette frayeur se communique à nous. Que fera l'agneau, lorsque tremble le bélier? Parmi les nombreux devoirs auxquels l'Apôtre exige que soit propre l'évêque, il en est un qui vient de nous être rappelé aussi, et que nous pourrons nous contenter d'examiner et d'approfondir; car si nous cherchions à les étudier tous en détail et à traiter de chacun d'eux comme il se rait convenable, ni nos forces ni les vôtres n suffiraient, les nôtres pour parler, les vôtres pour écouter. Or, quel est ce devoir spécial que j'ai en vue, avec le secours de Celui qui vient de me glacer d'effroi ? C'est que nonobstant

 

1. I Cor. IX, 26, 27.

 

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tant ses autres obligations l'évêque doit être, selon l'Apôtre, puissant en bonne doctrine, afin de pouvoir confondre les contradicteurs. Quelle oeuvre importante ! quel lourd fardeau ! quelle pente rapide ! Mais « j'espérerai en Dieu, est-il écrit, car il me délivrera lui-même du piège des chasseurs et des dures paroles (1) ». C'est qu'il n'est rien, comme la crainte des paroles dures, pour rendre indolent un ministre de Dieu quand il s'agit de confondre les contradicteurs.

2. Je commencerai donc, autant que Dieu m'en fera la grâce, par vous expliquer ce que signifie « confondre les contradicteurs ». Le mot contradicteur est susceptible de plusieurs sens. Très-peu en effet nous contredisent par leurs paroles, mais beaucoup par leur vie désordonnée. Quel chrétien oserait me soutenir qu'il est bien de dérober ce qui appartient à autrui, quand aucun ne se permettrait de dire qu'il est bien de conserver avec ténacité ce qui nous appartient à nous-mêmes? Il est parlé d'un riche qui avait fait un grand héritage et qui ne trouvait plus à loger ses récoltes; qui s'applaudissait du dessein, conçu tout à coup, de détruire ses vieux greniers pour en construire de nouveaux et les remplir, et qui disait à son âme : « Voilà, mon âme, que pour longtemps tu as beaucoup de bien : livre-toi à la joie, au plaisir, à la bonne chère ». Mais ce riche cherchait-il à s'emparer du bien d'autrui ? Il voulait faire ses récoltes et songeait au moyen de les rentrer; il ne pensait ni à s'emparer des champs de ses voisins, ni à déplacer les bornes, ni à dépouiller le pauvre, ni à tromper le simple, mais uniquement à loger, ce qui était à lui. Or, parce qu'il tenait à ce qui lui appartenait, apprenez ce qui lui fut dit, et comprenez par là ce qu'ont à attendre les ravisseurs du bien d'autrui.

Au moment donc où il croyait si sage l'idée qui lui était venue de renverser ses vieux greniers trop étroits et d'en construire de plus amples pour y rentrer et y serrer toutes ses récoltes, sans songer à convoiter ni à ravir le bien d'autrui, Dieu lui dit : « Insensé ! » car en te croyant sage tu n'es qu'un insensé; « Insensé » donc, « cette nuit même on te redemande ton âme ; et ces biens amassés, à qui seront-ils (2)? » Pour les avoir conservés ils ne seront plus à toi; ils t'appartiendraient

 

1. Ps. XC, 2, 3. — 2. Luc, XII, 16-20.

 

toujours, si tu les avais donnés. A quoi bon enfermer ce que tu vas quitter ? — Ainsi fut réprimandé ce misérable qui rentrait son bien par avarice. Mais si pour cette raison Dieu le traite d'insensé, quel nom, dites-moi, faut-il donner à celui qui dérobe? Si le premier semble couvert de boue, le second n'est-il pas tout rempli d'ulcères? Que celui-ci pourtant est loin de ressembler à ce pauvre qui gisait à la porte du riche et dont les chiens léchaient les plaies ! L'un n'avait des ulcères que dans son corps, le voleur en a dans le coeur.

3. Quelqu'un objectera peut-être : Etait-ce donc pour cet avare un si terrible châtiment que d'entendre Dieu lui dire: « Insensé ! » Ah ! c'est que dans la bouche de Dieu ce mot a un tout autre effet que dans la bouche d'un homme. Dans la bouche de Dieu, c'est une sentence. Le Seigneur, en effet, donnera-t-il à des insensés le royaume des cieux? Et que reste-t-il, sinon les peines de l'enfer, à ceux qui n'auront pas ce royaume? Vous croyez que nous parlons ici par simple conjecture voyons la vérité dans tout son éclat.

Pour revenir à ce riche qui voyait étendu à sa porte le pauvre couvert d'ulcères, il n'est pas dit de lui qu'il se fût approprié le bien d'autrui. « Il y avait, est-il écrit, un riche qui se couvrait de pourpre et de fin lin, et qui chaque jour faisait grande chère ». Il était riche, dit le Sauveur; il n'est pas dit qu'il fût ni calomniateur, ni oppresseur des pauvres, ni ravisseur, voleur ou receleur du bien d'autrui, ni spoliateur des orphelins, ni persécuteur des veuves; rien de tout cela: seulement «il était riche ». Est-ce un crime? Il était riche, mais de son propre bien. Qu'avait-il dérobé ? Ah ! s'il avait dérobé, le Seigneur ne le dirait-il pas? Cacherait-il ses fautes pour faire acception de sa personne, quoiqu'il nous défende de faire dans nos jugements acception de qui que ce soit? Veux-tu donc savoir en quoi , consiste la culpabilité de ce riche? ne cherche pas à connaître plus que ne te dit la Vérité même. « Il était riche, dit-elle, vêtu de pourpre et de fin lin, et faisant grande chère chaque jour ». Quel est enfin son crime ? Son crime, c'est ce pauvre couvert d'ulcères qu'il ne soulage pas, et ce fait prouve manifestement qu'il est sans entrailles. Car, mes bien-aimés, si ce malheureux qui gisait à sa porte, avait reçu de lui le pain nécessaire, serait-il écrit qu' « il désirait se rassasier des (124) miettes qui tombaient de la table du riche? » Ce crime seul, cette inhumanité avec laquelle il dédaignait le pauvre étendu devant sa porte sans lui donner les aliments convenables, lui mérita la mort ; une fois enseveli et plongé dans les tourments de l'enfer, il leva les yeux et vit le pauvre dans le sein d'Abraham. Mais pourquoi plus de détails? Là il soupirait après une goutte d'eau, lui qui n'avait pas donné une miette de pain: une avarice cruelle lui avait fait refuser; un arrêt plein de justice le condamna à ne pas obtenir (1). Or, si de tels châtiments sont réservés aux avares, à quoi ne doivent pas s'attendre les ravisseurs ?

4. Pour moi, me dit quelqu'un de ces ravisseurs, je ne ressemble pas à ce riche. Je donne des repas de charité, j'envoie du pain aux prisonniers, des vêtements à ceux qui n'en ont point et j'abrite les étrangers. —Ainsi tu crois donner ? Oui, si tu ne ravissais pas. Celui à qui tu donnes est dans la joie ; celui que tu dépouilles, dans les larmes : lequel des deux exaucera le Seigneur ? Tu dis à l'un : Remercie-moi de t'avoir donné; mais l'autre te dit de son côté : Je souffre de ce que tu m'as pris. De plus, ce que tu as pris à l'un, tu le conserves presque tout entier ; et ce que tu donnes à l'autre, est fort peu de chose ; et pourtant, eusses-tu donné absolument tout, Dieu n'aimerait pas encore cette conduite. Insensé, te dit-il, je t'ai commandé de donner, mais non pas du bien d'autrui. Si tu as quelque chose, donne de ce qui est à toi; si tu n'as rien à donner, mieux vaut ne donner rien que de dépouiller les autres.

Lorsque le Christ Notre Seigneur siégera sur son tribunal, et qu'il aura placé les uns à sa droite et les autres à sa gauche, il dira à ceux qui auront fait de bonnes oeuvres : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume » ; tandis qu'aux hommes stériles qui n'auront pas fait de bien aux pauvres, il parlera ainsi: « Allez au feu éternel ». Aux bons, que dira-t-il encore ? « Car j'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger », et le reste. « Seigneur, reprendront ceux-ci, quand vous avons-nous vu endurer la faim ? — Ce que vous avez fait, répondra-t-il, à l'un des derniers d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait ». Insensé, qui veux faire l'aumône avec le bien usurpé, comprendras-tu enfin que si

 

1. Luc, XVI, 19-26.

 

tu nourris le christ en nourrissant un chrétien, dépouiller un chrétien c'est aussi dépouiller le Christ ? Remarque ce qu'il dira à ceux de la gauche: « Allez au feu éternels, Pourquoi ? Parce que j'ai eu faim et que vous ne m'avez pas donné à manger; j'ai été nu et vous ne m'avez pas donné de vêtement (1) ». — « Allez ». Où ? « Au feu éternel ». Oui allez-y. Pourquoi ? « Parce que j'ai été nu et que vous ne m'avez pas donné de vêtement ». Mais s'il doit aller au feu éternel, celui à qui le Christ dira : J'ai été nu, et tu ne m'as point donné de vêtement, quelle place occupera dans ces flammes celui à qui il pourra dire : J'avais des vêtements et tu m'en as dépouillé ?

5. Pour échapper à cette sentence et n'entendre pas le Christ t'adresser ces mots : J'avais des vêtements et tu m'en as dépouillé, voudrais-tu, contre la coutume établie, dépouiller le païen pour vêtir le chrétien? Ici encore le Christ te répondrait; oui il te répond ici même par l'organe d'un de ses ministres, si peu de chose que soit celui-ci : Ah ! prends garde de me faire tort ; car si un chrétien dépouille un païen, il l'empêchera de devenir chrétien. Insisterais-tu et dirais-tu : Mais ce n'est point par haine, c'est par amour de l'ordre que je lui inflige ce châtiment; je prétends, au moyen de cette sévère et salutaire correction, faire de lui un chrétien? Je t'écouterais et je te croirais, si tu donnais au chrétien toute la dépouille de ce païen.

6. Nous venons de parler contre ce vice qui jette partout le désordre au milieu de l'humanité; et personne ne nous contredit. Eh ! qui oserait s'élever par ses paroles contre une vérité si manifeste? Ainsi nous ne faisons point actuellement ce que prescrit l'Apôtre, puisque nous ne réfutons point de contradicteurs ; loin de réfuter des contradicteurs, nous parlons à des fidèles soumis, nous instruisons des hommes qui nous applaudissent. Hélas ! ce n'est point par des paroles , n'est-ce point par des actes qu'on nous contredit? Je rappelle à l'ordre et on dérobe; j'enseigne, on dérobe encore; je commande, on dérobe aussi; je reprends, on dérobe toujours; n'est. ce pas contredire ? Je dirai donc encore sur ce sujet ce que je crois nécessaire. Abstenez-vous, mes frères, abstenez-vous,

 

1. Matt. XXV, 34, etc.

 

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mes enfants, abstenez-vous de l'habitude du vol; et vous qui gémissez sous la main des ravisseurs, abstenez-vous du désir de ravir. Un tel est puissant et il enlève le bien d'autrui; toi au contraire tu gémis sous sa main rapace; mais si tu ne fais pas comme lui, c'est que tu n'en as pas le pouvoir. Montre-moi ce pouvoir et je confesserai avec bonheur que la passion est domptée en toi.

7. L'Ecriture proclame heureux « celui qui n'a point couru après l'or, qui a pu transgresser et qui n'a point transgressé, faire le mal et ne l'a pas fait (1) ». Pour toi, tu n'as, dis-tu, refusé jamais de rendre le bien d'autrui. N'est-ce point parce que personne jamais ne te l'a confié, ou qu'on ne te l'a confié qu'en présence de plusieurs témoins ? Mais, dis-moi, l'as-tu rendu également quand toi et celui qui te le remettait, vous n'aviez pour témoin que le regard de Dieu ? Si tu l'as rendu alors, si après la mort du dépositaire tu as remis au fils ce que t'avait confié le père à son insu, je te louerai de n'avoir pas couru après l'or, d'avoir pu transgresser et de n'avoir pas transgressé, faire le mal et de ne l'avoir pas fait. Je te louerai également si tu as rendu sans délai le sac de monnaie que tu as pu trouver sur ton chemin et quand il n'y avait personne pour te voir.

Allons, mes frères, rentrez en vous-mêmes, examinez-vous, interrogez-vous, rendez-vous compte sans déguisement et jugez-vous, non pas en faisant acception de la personne, mais selon la justice rigoureuse. Tu es chrétien, tu fréquentes l'Eglise, tu écoutes la parole de Dieu et tu l'entends lire avec la plus sensible joie. Or, pendant que tu applaudis celui qui l'explique, je demande qu'on la pratique; oui, pendant que tu loues celui qui la prêche, je demande qu'on l'observe. Tu es donc chrétien, tu fréquentes l'Eglise, tu aimes la divine parole et tu l'écoutes avec plaisir. Eh bien ! voici une parole divine que je te présente, sache à sa lumière t'examiner et te peser, monter sur le tribunal de ta conscience pour comparaître toi-même devant toi-même, te juger et te corriger si tu te trouves en défaut. La voici donc. Dieu dit dans sa loi qu'il faut rendre ce qu'on a trouvé (2). Dans cette loi donnée par lui au premier peuple, pour qui le Christ n'était pas encore mort, il dit donc

 

1. Eccli. XXXI, 8, 10. — 2. Deut. XXII, 3.

 

qu'il faut rendre, comme étant le bien d'autrui, ce qu'on a trouvé. Ainsi, par exemple, si tu avais rencontré sur la route la bourse d'un autre, tu serais obligé de la lui rendre. Mais tu ne sais à qui elle appartient ? Vaine excuse d'ignorance que nul ne prétexte, s'il n'est esclave de l'avarice.

8. Voici pour votre charité, car les dons viennent de Dieu, et il en est parmi son peuple qui n'écoutent pas en vain sa parole; voici donc ce que fit un homme très-pauvre, pendant que nous étions établis à Milan. Cet homme était réduit à servir de valet à un grammairien; mais il était excellent chrétien, quoique son maître fût païen et méritât plutôt d'être debout à la porte qu'assis dans la chaire (1). Ce pauvre trouva une bourse qui contenait, si je ne me trompe, environ deux cents pièces d'argent. Pour observer la loi, il fit placer une affiche en public. S'il connaissait l'obligation de rendre la bourse, il ne savait à qui la remettre. Voici quel était le sens de cette affiche : Celui qui a perdu de l'argent n'a qu'à venir en tel endroit et demander un tel. Le malheureux qui avait perdu sa bourse et qui portait ses plaintes de tous côtés, ayant rencontré et lu cette affiche, s'empressa de suivre la direction indiquée. Pour n'être pas dupe d'un voleur, celui qui avait trouvé la bourse lui demanda comment elle était, quels en étaient le sceau et le contenu. Les réponses l'ayant satisfait, il la rendit. Au comble de la joie et désireux de témoigner sa reconnaissance, le premier lui offrit comme fa dîme, vingt pièces d'argent : il les refusa. Il le pria d'en accepter au moins dix: nouveau refus. Cinq au moins: refus encore. De mauvaise humeur, il jeta sa bourse : Je n'ai rien perdu, dit-il; non, je n'ai rien perdu si tu ne veux rien accepter. Quel combat ! mes frères, quelle lutte ! quel démêlé ! quel conflit ! Le monde en était le théâtre et Dieu le seul spectateur. Le pauvre pourtant se laissa vaincre; il accepta ce qu'on lui offrait, mais ce fut pour aller aussitôt le distribuer aux pauvres sans en garder chez lui la moindre parcelle.

9. Eh bien ! si j'ai fait quelque impression

 

1° Le texte porte Proscholus et désigne l'homme de peine destiné surtout à faire la police dans la classe. En disant que le maître méritait plutôt d'être à la porte, où se tenait le domestique, ante velum, qu'assis dans la chaire, l'humilité de saint Augustin laisse entendre que le maître dont il s'agit n'était autre que lui-même. Le trait est donc fort authentique. (Voir Conf. liv. i, ch. 13.)

 

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sur vos coeurs, si la parole de Dieu y a trouvé place, si elle y est à l'aise, suivez ses inspirations, mes frères; ne croyez pas perdre; au contraire, vous gagnerez beaucoup à faire ce que je vous dis. — Mais j'ai perdu vingt, j'ai perdu deux cents, cinq cents sous. — Qu'as-tu perdu? Cet argent est sorti de chez toi; mais c'est un autre et non pas toi qui l'a perdu d'abord. La terre n'est-elle pas comme une grande maison, comme une hôtellerie où vous êtes entrés tous deux, parce que vous êtes tous deux voyageurs en cette vie? L'un de vous y a donc déposé sa bourse, il l'a oubliée ; c'est-à-dire qu'elle est tombée pendant qu'il partait, et toi tu l'as trouvée ensuite. Or, qui es-tu? Un chrétien. Qui es-tu ? Un homme qui connais la loi, oui, un chrétien qui l'as entendue. Qui es-tu encore? Un cœur généreux qui as beaucoup applaudi en entendant cette loi. Eh bien ! si tes applaudissements étaient sincères, rends donc ce que tu as trouvé; autrement ces applaudissements seraient contre toi comme des témoins à charge. Soyez fidèles à rendre ce que vous avez trouvé; vous aurez le droit alors de crier contre l'iniquité des ravisseurs. N'es-tu pas ravisseur, lorsque tu ne rends pas ce que tu as trouvé ? C'est ravir autant que tu en es capable; et si tu ne ravis pas davantage, c'est que tu n'en as pas le pouvoir. Refuser de rendre le bien d'autrui, c'est prouver qu'on le dérobera dans l'occasion. La crainte seule t'empêche alors de le prendre : ce n'est pas faire le bien, c'est redouter le mal.

10. Quel mérite y a-t-il à redouter le mal? Le mérite, c'est de ne pas faire le mal; le mérite, c'est d'aimer le bien. Le larron aussi ne craint-il pas le mal? S'il ne le fait pas par impuissance, il n'en est pas moins larron; car c'est le cœur et non la main que Dieu a en vue. Un loup court à un troupeau de brebis, il cherche à y pénétrer, à égorger, à dévorer; mais les bergers veillent, les chiens aboient et le loup rendu impuissant n'enlève ni n'égorge rien : ne s'en retourne-t-il pas aussi loup qu'il est venu? Pour n'emporter pas de brebis, est-il devenu brebis, de loup qu'il était? Il venait avec fureur, il retourne avec frayeur n'est-ce pas toujours la fureur et la frayeur d'un loup? Toi donc qui veux juger, examine-toi : si tu reconnais que tu ne fais pas le mal quand tu pourrais le faire sans encourir la vengeance des hommes, vraiment tu crains Dieu. Personne n'est là, personne, si ce n'est toi, celui que tu maltraites et Dieu qui vous voit tous deux. Vois-le toi-même et crains; ce n'est pas assez: vois-le et non-seulement crains le mal, mais encore aime le bien. Il ne suffit pas en effet, pour être parfait, de ne pas faire le mal dans la crainte de l'enfer; je l'ose dire, s'il n'y a en toi que cette crainte, tu as bien la foi puisque tu crois au jugement à venir da Dieu, je suis heureux de voir en toi cette croyance, mais je tremble encore pour ton penchant au mal. Que veux-je dire? Qu'éviter le mal par crainte de l'enfer, ce n'est pas faire le bien par amour de la justice.

11. Il est donc bien différent de craindre la peine ou d'aimer la justice. Cet amour doit être pur dans ton coeur, c'est-à-dire qu'il doit te porter à désirer de voir, non pas le ciel et la terre, non pas les plaines transparentes de la mer, non pas les vains spectacles ni l'éclat et la splendeur des pierreries, mais ton Dieu lui-même. Désire donc de le voir, désire de l'aimer, puisqu'il est écrit : « Mes bien-aimés nous sommes les enfants de Dieu, et ce qui nous serons ne paraît pas encore; mais nous savons que lorsqu'il apparaîtra, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est (1) ». Voilà, voilà pour quelle contemplation je t'engage à faire le bien et de plus à éviter le mal.

Supposons que tu désires jouir de la vue ton Dieu et que cet amour ne cesse de soupirer en toi durant ce pèlerinage. Le Seigneur toi Dieu veut t'éprouver, il te dit : Eh bien ! fais ce qu'il te plaît, contente tes passions, donne un libre cours à la débauche, multiplie tes actes de luxure et crois permis tout ce qui t'est agréable. Pour rien de tout cela je ne te punirai ne te jetterai dans les enfers, je te refuse seulement ma présence. Si tu trembles à ces mots, c'est que tu aimes Dieu; oui, si à ces paroles : Ton Dieu ne se laissera point voir à toi, ton cœur est ému de crainte, si tu regardes comme un grand malheur pour toi la privation de la vue de ton Dieu, c'est que toi amour est pur. Ah ! si ma parole rencontre el vous quelque étincelle de ce pur amour de Dieu, entretenez-la ; et pour l'accroître toutes vos forces, recourez à la prière, l'humilité, à la douleur de la pénitence, à l'amour de la justice, aux bonnes oeuvres, aux saints gémissements, à l'édification de la vie,

 

1. I Jean, III, 2.

 

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à la fidélité dans vos rapports avec vos frères. Soufflez, développez en vous cette étincelle précieuse du divin amour. Lorsqu'elle aura grandi, lorsque ses pures flammes auront produit comme un; immense embrasement, elle consumera en un clin d'oeil la paille des passions charnelles.

 

 

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