SERMON CLII
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SERMON CLII. LE SALUT PAR LE CHRIST (1) .

 

ANALYSE. — Après avoir invité ses auditeurs à élever leurs désirs vers Dieu pour obtenir sa lumière, saint Augustin aborde l'examen du texte indiqué. Il rappelle d'abord que les mouvements de concupiscence auxquels on ne consent pas , ne sont pas des péchés pour ceux qui sont régénérés en Jésus-Christ. Il constate encore que des trois lois dont parle saint Paul dans le même texte, savoir : la loi du péché, la loi des oeuvres et la loi de l'Esprit de vie, cette dernière seule donne la force d'éviter ce qu'elle défend et de faire ce qu'elle ordonne. Mais d'où vient cette efficacité soit au baptême, soit à la loi de l'Esprit de vie ou de la grâce? De ce que Dieu a envoyé son Fils parmi nous et nous a rendu sa faveur en considération du sacrifice de Jésus-Christ.

 

1. Votre charité doit se souvenir que j'ai examiné une question fort épineuse tirée de ce passage d'une épître de saint Paul. « Je ne fais pas ce que je veux, et je fais ce que je hais (1) ». Vous qui étiez ici, vous vous rappelez

 

1. Rom. VIII, 1-4. — 2. Voir Disc. précéd.; Rom. VII, 15.

 

cela. Maintenant donc soyez attentifs et continuons.

Voici par où a commencé la leçon d'aujourd'hui : « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à celle du péché, et dans cette chair il a condamné le péché par le péché même; afin que la justification de la loi s'accomplît (6) en nous, qui ne marchons point selon la chair, mais selon l'esprit». Et voici d'un autre côté ce qui a -été lu dernièrement et n'a pas été expliqué: « Ainsi, j'obéis moi-même par l'esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché (1). Il n'y a donc pas de condamnation pour ceux qui sont maintenant en Jésus-Christ, qui ne marchent pas selon la chair; parce que la loi de l'Esprit de vie qui est dans le Christ Jésus, t'a affranchi de la loi du péché et de la mort. Car ce qui était impossible à la loi, parce qu'elle était affaiblie par la chair » ; et immédiatement ce qui vient d'être lu: « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair du péché ».

Les passages obscurs ne présentent point de difficulté quand on est soutenu par l'Esprit-Saint. Que vos prières obtiennent donc qu'il nous éclaire, car votre désir de comprendre est réellement une prière adressée à Dieu; et c'est de lui que vous devez attendre le secours nécessaire. Pour nous, en effet, semblables aux hommes de la campagne, nous ne travaillons qu'extérieurement. S'il n'y avait personne pour agir à l'intérieur, ni la semence ne prendrait racine en terré, ni le germe ne s'élèverait, aucune tige ne se fortifierait non plus jusqu'à devenir un tronc d'arbre; il n'y aurait enfin ni rameaux, ni fruits ni feuillages. Aussi l'Apôtre, pour discerner ce que fait l'ouvrier de ce que fait le Créateur, a-t-il dit: « J'ai planté , Apollo a arrosé, mais c'est Dieu qui a fait croître ». Puis il ajoute: « Ni celui qui plante n'est quelque chose, ni celui qui arrose, mais Dieu qui donne l'accroissement (2)». Aujourd'hui donc si Dieu ne produit l'accroissement intérieur, c'est en vain que le bruit de mes paroles retentit à vos oreilles; au lieu que si Dieu le produit, il y 'a pour nous utilité à planter et à arroser, et notre peine n'est pas stérile.

2. Je vous l'ai déjà dit: le sens qu'il faut donner à ces paroles de l'Apôtre : « J'obéis par l'esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché (3) », c'est qu'on ne doit laisser aux organes corporels que les impressions qu'on ne saurait détruire. Consentez-vous, sans y résister, à ces désirs mauvais ? Vous êtes vaincus et vous gémirez; encore est-il à souhaiter que vous gémissiez et que vous n'alliez pas jusqu'à perdre le sentiment de votre malheur.

 

1. Rom. VII, 25. — 2. I Cor. III, 6, 7. — 3. Rom. VII, 25.

 

Il est bien vrai, tous nos voeux, tous nos désirs, toutes nos aspirations, quand nous répétons : « Ne nous induisez pas en tentation, mais délivrez-nous du mal (1) », c'est de souhaiter de ne ressentir plus aucun désir pervers dans notre chair; mais durant la vie présente nous n'y saurions parvenir: de là ces mots. « Je ne trouve pas à accomplir le bien ». Je trouve à faire, quoi? à ne consentir pas aux impressions mauvaises. Mais « je ne trouve pas à accomplir le bien », à n'avoir pas de mauvais penchants. Ce qu'il faut donc faire dans ce combat, c'est de ne pas consentir dans l'âme aux impressions coupables et d'obéir ainsi à la loi de Dieu, pendant qu'on obéit à la loi du péché en éprouvant sans y consentir la convoitise charnelle. La chair produit ses désirs? produis aussi les tiens. Tu ne saurais étouffer, éteindre les siens ; qu'elle n'éteigne pas les tiens non plus: lutte ainsi avec courage et tu ne seras ni vaincu ni chargé de chaînes.

3. L'Apôtre continue ainsi: « Il n'y a donc pas maintenant de condamnation pour ceux a qui sont en Jésus-Christ ». Si tu ressens, sans y consentir, des désirs charnels, s'il y a dans tes organes une loi qui s'élève contre la loi de ton esprit et qui cherche à mettre ton âme sous le joug; comme la grâce du baptême et du bain régénérateur a effacé soit la tache que tu as apportée en naissant, soit les péchés que tu as commis en consentant aux désirs mauvais, crimes ou impuretés, pensées ou paroles coupables; oui, comme tout est purifié dans ces fonts sacrés où tu es entré en esclave pour en sortir affranchi, « il n'y a plus maintenant de condamnation pour ceux qui sont en Jésus-Christ». Il n'y en a plus, mais il y en a eu, car d'un seul est venue la condamnation de tous (2). Cette condamnation est l'œuvre de la génération, et la justification est due à la régénération. « Car la loi de l'Esprit de vie qui est dans le Christ Jésus nous a affranchis de la loi du péché et de la mort». Cette loi reste dans les membres, mais sans te rendre coupable; tu en es affranchi. Combats en homme libre, mais prends garde d'être vaincu et de tomber de nouveau dans les fers. S'il y a fatigue à combattre, quelle joie à triompher !

4. A propos de la lutte sans laquelle nous ne pouvons exister, je vous ai fait une remarque dont vous devez surtout vous souvenir,

 

1. Matt. VI, 13. — 2. Rom. V, 16.

 

7

 

Le juste même, ai-je dit, ou plutôt le juste principalement, a les armes à la main, car celui qui ne vit pas dans la justice ne combat pas non plus et se laisse entraîner; mais ne croyez pas pour ce motif qu'il y ait en nous comme deux natures issues de principes différents; c'est le rêve insensé des Manichéens qui ne veulent pas que la chair soit formée par Dieu. Quelle erreur ! Nos deux substances viennent également de Dieu, et si notre nature est le théâtre de tant d'hostilités, c'est la juste punition du crime. La guerre en nous n'est qu'une maladie; guérissons, et nous aurons la paix. Cette lutte qui divise actuellement la chair et l'esprit a pour but d'établir la paix; l'esprit travaille à faire entrer la chair dans ses vues. Si dans une même demeure l'homme et la femme se font la guerre , l'homme doit faire effort pour dompter sa femme. La femme une fois domptée se soumettra à son époux, et la paix, par là, sera rétablie.

5. Ces paroles: « La loi de l'Esprit de vie qui est dans le Christ Jésus, t'a affranchi de la loi de la mort et du péché », nous invitent à étudier la nature de ces lois. Regardez et distinguez bien; vous avez besoin de bien discerner. « La loi de l'Esprit de vie » ; voilà une première loi: « t'a affranchi de la loi du péché et de la mort » ; c'en est une seconde. Ce qui suit: « Car ce qui était impossible à la loi, parce qu'elle était affaiblie parla chair», indique une troisième loi. Cette dernière  un résumé des deux premières? Examinons et tâchons de comprendre avec l'aide de Dieu.

Que dit l'Apôtre de la loi bonne? « La loi de l'Esprit de vie t'a affranchi de la loi du péché et de la mort ». Cette loi n'est pas sans efficacité: « elle t'a affranchi, cette loi de l'Esprit de vie, de la loi du péché et de la mort ». Ainsi la loi bonne t'a délivré de la mauvaise loi. Quelle est cette mauvaise loi? Je vois dans mes membres une autre loi qui résiste à la loi de mon esprit et qui m'assujettit à la loi du péché, laquelle est dans mes membres ». Pourquoi donner à celle-ci le nom de loi ? C'est qu'il était fort juste que la chair refusât d'obéir à l'homme, puisque lui-même avait refusé d'obéir à son Seigneur. Au-dessus de toi est ton Seigneur, et ta chair au dessous. Obéis à ton chef, pour être obéi de ton sujet. Mais tu as dédaigné ce chef, tu es puni par ton sujet. Telle est la loi du péché; on l'appelle aussi la loi de la mort, car le péché a introduit la mort. « Le jour où vous en mangerez, vous mourrez de mort (1) ». C'est cette loi du péché qui tente l'esprit et qui essaie de le  mettre sous le joug. « Mais je me complais dan la loi de Dieu selon l'homme intérieur». Ainsi s'engage la lutte pendant laquelle on s'écrie : « J'obéis par l'esprit à la loi de Dieu, et par la chair à la loi du péché ».

« La loi de l'Esprit de vie t'a affranchi de la loi du péché et de la mort». Comment t'a-t-elle affranchi ? D'abord en te donnant le pardon de tous tes péchés; car c'est de cette loi que parle un psaume quand il y est dit à Dieu: « Et par votre loi soyez-moi propice (2)». C'est donc la loi de la miséricorde, la loi de la foi et non pas la loi des oeuvres. Quelle est maintenant la loi des oeuvres? Dans ces mots : « La loi de l'Esprit de vie t'a affranchi de la loi du péché et de la mort », vous avez vu l'excellente loi de la foi; vous y avez vu aussi la loi du péché et de la mort. Maintenant: « Ce qui était impossible à la loi, parce qu'elle était

affaiblie par la chair », voilà une troisième loi à laquelle il manque un je ne sais quoi qui a été comblé par la loi de l'Esprit de vie, puisque celle-ci t'a affranchi de la loi du péché et de 1e. mort. La loi mentionnée en troisième lieu est donc la loi qui a été donnée au peuple sur le mont Sinaï, par le ministère de Moïse, et qu'on appelle la loi des oeuvres. Elle sait menacer mais non pas secourir; commander et non pas aider. Elle a dit: « Tu ne convoiteras pas » ; de là cet aveu de l'Apôtre: « Je ne connaîtrais pas la concupiscence si la loi n'eût dit: Tu ne convoiteras pas ». A quoi m'a servi que cette loi ait dit: « Tu ne convoiteras pas? C'est que prenant occasion du commandement, le péché m'a séduit et m'a tué ». On me défendait de convoiter, je n'ai pas obéi, et j'ai été vaincu. Ainsi j'étais pécheur avant la loi, et après l'avoir reçue, prévaricateur. « Car, prenant occasion du commandement, le péché m'a séduit et m'a tué (3) ».

6. « Ainsi la loi est sainte », poursuit l'Apôtre. Elle est donc bonne aussi, cette loi, quoique les Manichéens la condamnent comme ils condamnent la chair. Oui, dit saint Paul, « la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon. Ce qui est bon est donc devenu

 

1. Gen. II, 17. — 2. Ps. CXVIII, 29. — 3. Rom. VII, 7, 11.

 

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pour moi la mort? Loin de là; mais le péché, « pour apparaître péché, a, par une chose bonne, opéré pour moi la mort (1) ». Ainsi s'exprime l'Apôtre, et pesez avec soin tous ses termes.

Ainsi la loi est sainte ». Qu'y a-t-il de plus saint que de dire : « Tu ne convoiteras pas ? » Y aurait-il du mal à enfreindre la loi, si la loi n'était bonne? Non, il n'y aurait aucun mal, puisqu'il n'est pas mal de rejeter le mal; et si c'est un mal de l'enfreindre, c'est qu'elle est bonne. Qu'y a-t-il aussi de meilleur que de dire: « Tu ne convoiteras point? » Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon ». Comme l'Apôtre insiste ! comme il veut faire pénétrer sa pensée ! On dirait qu'il crie contre nos ennemis: Que dis-tu donc, Manichéen? Que la loi donnée par Moïse est mauvaise? — Elle est mauvaise, répètent-ils. Quel front ! Quelle audace ! Tu la qualifies d'un seul mot, mauvaise. Et l'Apôtre ? La loi, « dit-il, est sainte, et le commandement saint, juste et bon ». Te tairas-tu, enfin? — « Ce qui est bon, reprend-il, est donc devenu pour moi la mort? — Loin de là; mais le péché, « pour se montrer péché, a, par une chose bonne, opéré pour moi la mort ». Remarquez : « par une chose bonne », c'est accuser le pécheur sans manquer à faire l'éloge de la loi. « Le péché, par une chose bonne, produit pour moi la mort ». Quelle est cette chose bonne? Le commandement. Et encore? La loi. Comment s'est produite la mort? Par le péché, « pour apparaître péché, pour pécher au-delà de toute mesure, puisque c'est pécher par le commandement même (2) ». Avant le commandement, le péché était moindre; depuis le commandement, il dépasse toute mesure. Quand on ne rencontre pas de défense, en s'imagine bien faire; en rencontre-t-on? on veut d'abord ne pas enfreindre, puis on est vaincu, entraîné, mis sous le joug, et n'ayant pu observer la loi on ne doit plus songer qu'à demander grâce.

7. Il est donc bien vrai que la loi dont parle l'Apôtre en ces termes: « La loi de l'Esprit de vie t'a affranchi de la loi du péché et de la mort », est la loi de la foi, la loi de l'Esprit, la loi de la grâce, la loi de la miséricorde; tandis que cette autre loi du péché et de la mort, n'est pas la loi de Dieu, mais réellement

 

1. Rom. VII, 12, 13. — 2. Rom. VII, 12.

 

la loi du péché et de la mort. Pour cette autre encore dont l'Apôtre dit: « La loi est sainte, « et le commandement saint, juste et bon », elle est bien la loi de Dieu, mais la loi des œuvres, la loi des observances; loi des oeuvres qui commande sans aider, qui montre le péché sans le détruire. Une loi donc le fait connaître, et une autre l'efface.

Il y a deux alliances, l'ancienne et la nouvelle. Ecoute l'Apôtre: « Dites-moi, vous qui voulez être sous la loi, n'avez-vous pas lu la loi ? Car il est écrit: Abraham eut deux fils, l'un de la servante et l'autre de la femme libre. Or, celui de la servante naquit selon la chair, et celui de la femme libre, en vertu de la promesse. Ce qui a été dit par allégorie. Ce sont en effet les deux alliances: l'une sur le mont Sina, engendrant pour la servitude, est Agar », la servante de Sara, que Sara donna à Abraham et qui devint mère d'Ismaël. Ainsi l'ancienne alliance est figurée par Agar « engendrant pour la servitude; tandis que la Jérusalem d'en haut est libre; c'est elle qui est notre mère (1) ». De là il suit que les fils de la grâce sont les fils de la femme libre, et les fils de la lettre, les fils de la servante. Veux-tu connaître les fils de la servante? La lettre tue ». Les fils de la femme libre? L'esprit vivifie (2) ». — La loi de l'Esprit de vie, qui est dans le Christ Jésus, t'a affranchi de la loi du péché et de la mort», dont n'a pu t'affranchir la loi de la lettre. « Car c'était chose impossible à la loi, parce qu'elle était affaiblie par la chair ». Cette chair en effet se révoltait contre toi, elle te rendait son esclave ; elle entendait la loi et n'excitait que plus vivement la concupiscence. C'est ainsi que par la chair s'affaiblissait la loi de la lettre, et qu'il était impossible à cette loi de l’affranchir de la loi du péché et de la mort.

8. « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair de péché » ; non pas dans une chair de péché. Oui, dans une chair, mais non dans celle de péché. La chair des autres hommes est donc une chair de péché; lui seul fait exception, car sa Mère l'a conçu non pas avec concupiscence, mais par la grâce. Sa chair toutefois ressemble à la chair de péché, et c'est ce qui lui a permis de manger, d'avoir faim et soif, de dormir, de se fatiguer et de

 

1. Gal. IV, 21-26. —  2. II Cor. III, 6.

 

9

 

mourir. « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair de péché ».

9. « Et dans sa chair il a condamné le péché par le péché même ». Quel péché? Par quel péché? « Il a dans sa chair condamné le péché par le péché même, afin que la justification de la loi s'accomplît en nous». Oui, qu'elle s'accomplisse en nous, qu'elle s'accomplisse en nous par le secours de l'Esprit, cette justice qui nous est prescrite; en d'autres termes, que la loi de la lettre s'accomplisse, par l'Esprit de vie, en nous qui ne marchons pas selon la chair, mais selon l'Esprit ». Quel est donc ce péché et par quel péché le Seigneur l'a-t-il condamné ?

Je vois, je vois clairement quel est le péché condamné. « Voici l'Agneau de Dieu , voici Celui qui enlève le péché du monde (1) ». Quel péché? Tout ce qui est péché, tous les péchés commis par nous.

Maintenant, par quel péché? Il était, lui, sans péché. « Il n'a point commis de péché, est-il dit de lui, et on n'a point découvert de tromperie dans sa bouche (2)». Non, il n'en a aucun, ni péché originel, ni péché actuel; aucun, ni péché transmis, ni péché commis par lui. La Vierge nous fait connaître quelle fut son origine, et sa vie sainte nous montre suffisamment qu'il ne fit jamais rien qui lui méritât la mort. Aussi disait-il : « Voici venir le prince de ce monde », le diable, « et il ne découvrira rien en moi ». Ce prince de la mort ne trouvera pas un motif de me faire mourir. Ah ! pourquoi donc mourez-vous? Afin que tous sachent que je fais la volonté de mon Père, sortons d'ici (3) ». Il s'en alla alors pour souffrir la mort, une mort volontaire, une mort choisie librement et non une mort imposée. « J'ai le pouvoir de déposer la vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre. Personne ne me l'a ravie, c'est moi qui la dépose et la reprends (4) ». Tu t'étonnes de ce pouvoir, rappelle-toi sa majesté. C'est le Christ qui parle, il parle en Dieu.

10. Par quel péché donc a-t-il condamné le péché? Quelques-uns ont donné à ces mots un sens qui n'est pas mauvais; mais je crois qu'ils n'ont pas compris la pensée même de l'Apôtre. Encore une fois cependant leur sens n'est pas hétérodoxe, je le rapporterai d'abord, j'exposerai ensuite le mien et je montrerai par les

 

1. Jean, I, 29. — 2. I Pierre, II, 22. — 3. Jean, XIV, 30, 31. — 4. Ib. X, 17, 18.

 

divines Ecritures combien il est incontestable. Ils se demandaient donc avec effroi par quel péché Dieu a condamné le péché: Dieu est-il coupable? Et ils se sont répondu : S'il « a condamné le péché par le péché », ce n'est pas assurément par le sien. Cependant « il a condamné » réellement le péché par le péché». Or ce n'est pas par le sien. Par lequel donc? C'est par le péché de Juda, par le péché des Juifs. Comment, en effet, a-t-il répandu son sang pour la rémission des péchés? Parce qu'il a été crucifié par les Juifs. Qui le leur a livré? Juda. Ainsi les Juifs l'ont attaché à la croix et Juda l'a trahi. Ont-ils fait bien ou mal? Ils ont péché. C'est par ce péché que Dieu condamne le péché.

Sans doute il est juste, il est vrai de dire que c'est par le péché des Juifs que le Christ a condamné tout ce qui est péché, car c'est leur fureur qui lui a fait répandre le sang expiatoire de tous les péchés. Remarque toutefois comment s'exprime ailleurs le même Apôtre. «Nous faisons, dit-il, les. fonctions d'ambassadeurs pour le Christ, Dieu exhortant par notre bouche. Nous vous en conjurons par le Christ», supposez que le Christ vous en conjure lui-même, car c'est en son nom que nous vous parlons, «réconciliez-vous à Dieu ». Puis il ajoute : « Il ne connaissait point le péché » ; en d'autres termes, ce Dieu à qui nous vous conjurons de vous réconcilier, voyant Celui qui ne connaissait pas le péché, voyant innocent son Christ, Dieu comme lui, «l'a rendu péché pour l'amour de nous, afin qu'en lui nous devinssions justice de Dieu (1) ». Comment voir ici le péché de Juda, le péché des Juifs, le péché de tout autre mortel? Nous lisons en propres termes: « Celui qui ne connaissait point le péché, il l'a rendu péché pour l'amour de nous ».Qui a rendu? Qui a été rendu? C'est Dieu qui a rendu son Christ péché pour l'amour de nous. L'Apôtre ne dit pas qu'il fa fait pécheur, mais qu'il l'a fait péché». Ce serait un blasphème de dire que le Christ a péché : comment souffrir qu'on l'accuse d'être le péché même? Et pourtant nous ne saurions donner le démenti à l'Apôtre. Nous ne pouvons pas lui dire : Que prétends-tu là? Parler ainsi à l'Apôtre ce serait nous élever contre le Christ, puisque l'Apôtre dit encore ailleurs. « Voulez-

 

1. II Cor. V, 20, 21.

 

10

vous éprouver Celui qui parle en moi, le Christ (1) » ?

11. Quel est donc le vrai sens? Que votre charité, contemple ici un grand et profond mystère : heureux si vous l'aimez en le contemplant et si vous parvenez à le posséder en l'aimant. Oui, c'est le Christ notre Seigneur, c'est Jésus notre Sauveur, notre Rédempteur, qui est devenu péché afin qu'en lui nous devinssions justice de Dieu. Comment? Ecoutez la loi. Ceux qui la connaissent savent ce que je dis; quant à ceux qui ne la connaissent pas, qu'ils la lisent ou qu'ils l'entendent. Dans la loi donc on donnait le nom de péchés aux sacrifices offerts pour l'expiation des péchés. Preuve : quand on amenait la victime à immoler pour le péché, la loi disait : « Que les prêtres mettent leurs mains sur le péché (2)», c'est-à-dire sur la victime du péché. Or le

 

1. II Cor. XIII, 3. — 2. Lévit. IV.

 

Christ est-il autre chose que la victime du péché? «Le Christ, dit saint Paul, nous a aimés et s'est livré lui-même pour nous comme un sacrifice à Dieu et une hostie de suave odeur (1). » Voilà par quel péché le Seigneur a condamné le péché; il l'a condamné par le sacrifice de lui-même pour l'expiation de nos péchés. Telle est « la loi de l'Esprit de vie qui t'affranchi de la loi du péché et de la mort». Toute bonne qu'elle fût en effet, tout saints, tout justes et tout bons que fussent ses commandements, cette autre loi, la loi de la lettre, la loi des ordonnances, « était affaiblie par la chair », et nous ne pouvions accomplir ses prescriptions. Une loi donc, comme je l'ai déjà dit, te montrera le péché, une autre loi t'en délivrera; à la loi de la lettre de te le montrer, à la loi de la grâce de t'en délivrer.

 

1. Ephés. V, 2.

 

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