SERMON CLXV
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SERMON CLXV. LE MYSTÈRE DE LA GRACE (1).

 

PRONONCÉ DANS LA BASILIQUE DES ANCIENS.

 

ANALYSE. — Le passage qu'il s'agit d'expliquer prouve la nécessité de la grâce, et les Pélagiens n'opposent à cette nécessité que des arguments dérisoires. I. L'Apôtre enseigne la nécessité de la grâce, puisqu'il demande pour les Ephésiens la grâce de faire ce qu'il leur recommande, et puisqu'en demandant aussi qu'ils comprennent la largeur, la longueur et la hauteur mystérieuses de la croix, il prie pour qu'ils en comprennent également la profondeur, pour qu'ils sachent au moins que la distribution de la grâce est un mystère inexplicable. II. Pour expliquer ce mystère, il est des hérétiques qui ont prétendu que nous avions bien ou mal agi dans une vie antérieure, et que la grâce était donnée ou refusée dans ce monde, selon ce qu'on avait mérité avant d'y naître. D'autres prétendent que la mort étant un châtiment des péchés personnels, les enfants mêmes qui meurent avant l'âge de raison ou dans le sein de leurs mères ne sont pas exempts de péchés actuels. Ces deux sentiments sont aussi opposés à l'enseignement formel de l'Ecriture que déraisonnables, et la distribution de la grâce par la volonté de Dieu est réellement un mystère impénétrable.

 

1. Nous venons d'entendre l'Apôtre, d'entendre les psaumes, d'entendre l'Evangile; tous ces divins écrits proclament unanimement que nous devons placer notre confiance non pas en nous, mais en Dieu. « Je vous demande, dit saint Paul, de ne vous point laisser abattre à cause de mes tribulations pour vous, car c'est votre gloire ». C'est-à-dire, je vous demande de ne vous point laisser décourager lorsque vous apprenez que j'endure pour vous des afflictions, parce que ces afflictions sont votre gloire. Or, s'il demande qu'ils ne se laissent pas abattre, n'est-ce pas pour exciter en eux la volonté ? Sans quoi on pourrait lui répondre : Pourquoi exiger de nous ce qui n'est pas en notre pouvoir? Si d'ailleurs l'Apôtre ne savait que leur volonté consent quand ils font quelque chose, il ne dirait pas : « Je vous demande » ; et c'est en vain qu'il dirait : J'ordonne, s'il ne les croyait capables d'appliquer leur volonté à ses ordres.

Il savait d'autre part combien la volonté humaine est impuissante sans le secours de Dieu; aussi, après avoir dit: « Je vous demande », pour détourner d'eux l'idée qu'ils n'étaient pas libres, il veut les empêcher de dire: Notre liberté nous suffit. Qu'ajoute-t-il donc? A cause de cela », en d'autres termes, à cause de la demande que je vous ai faite, « de ne pas vous laisser abattre par mes tribulations pour vous, car c'est votre gloire » ; et

 

1. Ephés. III, 13-18.

 

j'ai fait cette demande parce que vous avez le libre arbitre : mais comme ce libre arbitre ne vous suffit pas pour accomplir ce que je demande de vous, « pour ce motif je fléchis les genoux devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, de qui toute paternité prend son nom au ciel et sur la terre, afin qu'il vous accorde ». Afin qu'il vous accorde, quoi? Afin qu'il vous accorde ce que je vous demande à vous-mêmes. Je vous demande donc, parce que vous avez la liberté; et je le prie de vous donner, parce que vous avez besoin du secours de sa Majesté.

2. Mais nous devançons les expressions de l'Apôtre ;et vous qui ne connaissez pas son texte, vous désirez voir sans doute s'il est bien vrai qu'en fléchissant les genoux devant le Père céleste, il voulait obtenir pour eux ce qu'il leur demandait à eux-mêmes. Rappelez-vous donc ce qu'il leur a demandé : « Je vous demande de ne vous laisser pas abattre à cause de mes afflictions pour vous » : voilà ce qu'il leur demande; et voici ce qu'il demande pour eux: «Je fléchis les genoux devant le Père de Notre-Seigneur Jésus-Christ, afin qu'il vous accorde, selon les richesses de sa gloire, d'être puissamment fortifiés ». N'est- y ce pas la même chose que de ne pas vous laisser abattre ? « D'être puissamment fortifiés par son Esprit ». C'est l'Esprit de grâce. Voilà ce qu'il demande pour eux. Ainsi il demande à Dieu ce qu'il exige d'eux. Afin, effectivement, que Dieu veuille donner, tu dois de ton côté (75) disposer ta volonté à, accepter. Comment espérerais-tu recevoir la grâce de la bonté divine, si tu ne lui ouvrais en quelque sorte le sein de ta propre volonté ?

« Afin qu'il vous accorde », dit l'Apôtre ; car vous ne l'avez pas s'il ne vous l'accorde. « Afin qu'il vous accorde d'être puissamment a fortifiés par son Esprit ». Vous accorder d'être puissamment fortifiés, c'est vous accorder par là même de. ne pas vous laisser abattre. a Qu'intérieurement le Christ habite par la foi dans vos coeurs ». Que Dieu vous accorde tout cela. « Afin qu'enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre, avec tous les saints ». Quoi ? « Que Dieu vous accorde par son Esprit d'être puissamment fortifiés, et d'avoir intérieurement le Christ dans vos coeurs parla foi, afin qu'étant ainsi a enracinés et fondés dans la charité, vous puissiez comprendre avec tous les saints » quoi? « Quelle est la,largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur ». Dans la langue latine le mot altitudo, hauteur, désigne aussi la profondeur, ce qui descend, comme ce qui monte. Mais le traducteur a eu raison d'appeler spécialement hauteur ce qui s'élève, et profondeur ce qui descend.

3. Que signifie ce langage ? Je vais vous D'expliquer, mes frères. On le ferait plus facilement, sans doute, si l'on avait ce qu'il exprime. Pourtant, si je suis moins apte que d'autres à révéler le sens de cette largeur, de cette longueur, de cette hauteur.et de cette profondeur, de ces quatre choses mystérieuses dont parle l'Apôtre, s'ensuit-il que je dois passer sans l'entreprendre ; ou bien ne dois-je pas prier et être soutenu par vos prières afin de vous présenter un enseignement utile?

Pourquoi, chrétien, laisser ton imagination courir à travers la largeur de la terre, dans la longueur des temps, la hauteur du ciel et la profondeur de l'abîme? Peux-tu comprendre tout cela dans ta pensée ou dans tes bras? Peux-tu fixer avec exactitude sur toutes ces dimensions ton esprit ou ton regard ? Ecoute plutôt l'Apôtre te dire encore : « A Dieu ne plaise que je ma glorifié d'autre chose que de la croix de Notre-Seigneur Jésus-Christ (1) ! » Nous aussi, glorifions-nous de cette croix, ne fût-ce que parce que nous nous y appuyons;

 

1. Gal. VI, 14.

 

peut-être y trouverons-nous la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur que nous cherchons, et qui nous révèlent en quelque sorte cette croix même. Dans la croix en effet on distingue : la largeur, où les mains sont fixées; la longueur, c'est-à-dire le bois qui s'étend de la largeur jusqu'à terre; la hauteur, c'est-à-dire ce qui s'élève un peu au-dessus de la partie transversale où sont fixées les mains, la partie où repose la tête du crucifié; on y distingue enfin la profondeur, ce qui pénètre dans la terre et se dérobe à la vue. Contemple ici un grand mystère : c'est de cette profondeur qui échappe à ta vue que s'élève tout ce qui frappe tes regards.

4. Maintenant, où encore y a-t-il largeur ? Songe à la vie et à la conduite de ces saints qui disent : « A Dieu ne plaise que je me glorifie, sinon de la croix de Jésus-Christ Notre-Seigneur ! » Nous trouvons dans leur conduite la largeur de la charité; aussi l'Apôtre leur dit-il  « Dilatez-vous, pour ne traîner pas le joug avec les infidèles ». Mais en les portant à se dilater ainsi, n'avait-il pas lui-même cette largeur mystérieuse de la charité, puisqu'il écrivait : « Pour vous, ô Corinthiens, notre bouche s'est ouverte, notre coeur s'est dilaté (1) ? » La largeur désigne donc la charité, et la charité seule fait le bien ; car elle est cause de l'amour que Dieu porte à qui donne avec joie (2). Si en effet on avait le cœur étroit, on donnerait avec tristesse; et si l'on donnait avec tristesse, on perdrait tout mérite. Pour ne perdre pas le bien que l'on fait, il faut donc avoir le cœur dilaté par la charité.

Cependant le Seigneur ayant dit : « Dès que l'iniquité se sera multipliée, la charité d'un grand nombre se refroidira », il me faut longueur aussi. Longueur, pourquoi ? « Quiconque persévérera jusqu'à la fin, celui-là sera sauvé (3) ». Voilà ce que signifie la longueur de la croix, cette partie où s'étend tout le corps, où il est comme debout et continue à rester comme debout.

Toi qui te glorifies de la croix, tu voudrais en avoir la largeur? Applique-toi à faire le bien avec courage. Tu voudrais en avoir la longueur? Persévère avec constance. Aspires-tu encore à en imiter la hauteur? Songe à ce que signifient ces mots . Elevez vos coeurs, et au lieu où on te les. adresse. Elevez vos coeurs

 

1. II Cor. VI, 11-14. — 2. Ib. IX, 7. — 3. Matt. XXIV, 12, 13.

 

76

 

qu'est-ce à dire? Que c'est en haut qu'il faut espérer, en haut qu'il faut aimer, là qu'il faut demander la vertu et attendre la récompense. En faisant le bien et en donnant avec joie, tu sembleras avoir la charité dans sa largeur; tu sembleras l'avoir dans sa longueur, en persévérant jusqu'à la fin dans tes bonnes oeuvres ; mais si tu ne fais pas tout cela en vue de la récompense céleste, tu n'en auras pas la hauteur; plus dès lors de largeur ni de longueur. Qu'est-ce en effet qu'être à la hauteur de la charité, sinon penser à Dieu, aimer Dieu, et l'aimer sans intérêt, lui qui pourtant nous soutient, veille sur nous, nous couronne et nous récompense; sinon enfin le considérer comme récompense et n'attendre de lui que lui-même ? Si donc tu aimes, aime sans intérêt; si tu aimes réellement, prends comme récompense l'objet de ton amour. Aimerais-tu tout pour dédaigner Celui qui a tout fait?

5. C'est afin de nous rendre capables d'aimer ainsi, c'est afin de nous en obtenir la grâce que l'Apôtre fléchit pour nous les genoux. L'Evangile, hélas ! ne vient-il pas lui-même nous glacer d'effroi? Pour vous, dit-il, il vous a été donné de connaître le mystère du royaume; mais pour eux, il ne leur a pas été donné; car à celui qui a, il sera donné encore ».Mais quel est celui qui a et à qui on donnera encore, sinon celui qui a reçu déjà? « Quant à celui qui n'a pas, même ce qu'il a lui sera ôté (1) ». Or, quel est celui qui n'a pas, sinon celui qui n'a pas reçu? Pourquoi maintenant avoir donné à l'un et pas à l'autre? Je n'hésite pas de le dire : c'est la profondeur de la croix. De cette profondeur mystérieuse des desseins de Dieu, que nous ne saurions ni sonder ni contempler, vient tout ce que nous sommes capables de faire. Oui, de cette profondeur mystérieuse des conseils divins, que nous ne pouvons contempler parce que nous ne pouvons la sonder, procède tout ce dont nous sommes capables. Je vois bien ce que je puis, je ne vois pas pourquoi je le puis; je sais seulement que toute ma puissance vient de- Dieu. Mais pourquoi Dieu donne-t-il cette puissance à celui-ci et pas à celui-là? Voilà ce qui me surpasse; c'est un abîme, c'est la profondeur de la croix, c'est ce qui excite en moi des cris d'étonnement, c'est sur quoi je ne puis raisonner juste.

 

1. Matt. XIII, 11-12

 

Et que puis-je dire en face d'une telle profondeur? « Que vos oeuvres sont admirables, Seigneur ! » Les gent-ils sont éclairés, les Juifs tombent dans les ténèbres; des enfants sont purifiés dans les eaux du baptême, d'autres enfants sont laissés dans l'état de mort du premier homme. « Que vos couvres sont admirables, Seigneur ! Vos desseins sont d'une profondeur inaccessible ». Le Prophète ajoute : « L'imprudent n'en a point l'idée, et l'insensé ne les comprend pas (1) ». Que ne comprennent ni l'imprudent ni l'insensé? Qu'il y a ici une grande profondeur. Elle n'y serait pas, si le sage et non l'insensé comprenait. Ce que le sage comprend ici, c'est qu'il y à une profondeur impénétrable, et c'est aussi ce que ne comprend pas l'insensé.

6. Aussi plusieurs, pour rendre compte de ,ce profond mystère, se sont égarés dans des fables ridicules. Selon les uns, les âmes pèchent dans le ciel, puis elles sont envoyées dans des corps, et y sont en quelque sorte emprisonnées, conformément à leurs mérites. Quelles vaines imaginations ! Ces hommes sont tombés dans l'abîme en voulant discuter sur les profondeurs divines. En face d'eux se présente l'Apôtre ; il prêche la grâce, et citant les deux enfants que Rébecca portait dans son sein : « Ils n'étaient pas encore nés, dit-il, et n'avaient fait ni bien ni mal (2) ». Vois comment l'Apôtre fait évanouir le vain fantôme d'une vie antérieure au corps, et passée dans le ciel. Si en effet les âmes y ont vécu, elles y ont fait du bien ou du mal, et c'est conformément à leurs mérites qu'elles ont été liées à des corps de terre. Oserions-nous contredire ces mots de l'Apôtre : «Ils n'étaient pas encore nés, et n'avaient fait ni bien ni mal? » Ces expressions sont troll claires, et la foi catholique rejette l'idée que les âmes vivent d'abord dans le ciel et y méritent, par leur conduite, les corps auxquels elles seront unies; aussi nos petits novateurs n'osent soutenir ce sentiment.

7. Que disent-ils donc? Voici, nous a-t-on appris , comment raisonnent quelques-uns d'entre eux. Si les hommes meurent, disent-ils, c'est sûrement parce qu'ils l'ont mérité par leurs péchés, puisque sans le péché on ne mourrait pas. Rien de mieux; il est bien sûr que sans le péché on ne mourrait pas. Mais je n'applaudis à cette pensée qu'en considérant

 

1. Ps. XCI, 6, 7. — 2. Rom. IX, 11.

 

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la mort première et le péché du premier homme. « De même que nous mourrons tous par Adam, dit l'Apôtre, ainsi tous recevront la vie par Jésus-Christ (1). Par un seul homme le péché est entré dans le monde et par le péché la mort ; ainsi la mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché (2) ». Tous effectivement étaient dans un seul.

. Est-ce dans ce sens que selon toi la mort de l'homme vient du péché? — Non. — Comment l'entends-tu ? — Aujourd'hui encore Dieu crée chaque homme immortel. — Etrange nouveauté 1 Reprends. — Oui, Dieu crée chacun de nous immortel. — Pourquoi, dans ce cas, les petits enfants meurent-ils? Si je te demandais : Pourquoi les grandes personnes meurent-elles? tu me répondrais: C'est qu'elles ont péché. Je laisse donc là les grandes personnes et j'invoque contre toi le témoignage des petits enfants. Saris parler, ils te confondront; sans rien dire, ils prouvent en ma faveur. Les voilà, Ces petits enfants ; innocents dans leurs actions, ils n'ont de mal que celui qui leur a été légué par le premier homme ; s'ils ont besoin, pour recevoir la vie chrétienne, de la grâce du Christ, c'est qu'Adam leur a donné la mort; souillés dans leur naissance, ils ont besoin, pour être purifiés, de passer.par la régénération. Voilà les témoins que je vais produire. Réponds maintenant. S'il est vrai que tous les hommes naissent immortels et qu'ils ne meurent que parce qu'ils pèchent, pourquoi -ces enfants meurent-ils? Que pensez-vous qu'ils aient pu répondre, mes frères? Ah ! quelles oreilles pourraient l'écouter ? Ces petits enfants eux-mêmes, disent-ils,ont péché. — Où ont-ils péché? dis-le moi; quand ont-ils péché ? comment ont-ils péché? Ils ne distinguent ni le bien ni le mal, et incapables de saisir un ordre, ils pèchent ? Prouve-moi que les petits enfants sont des pécheurs. Vraiment tu as oublié ce que tu étais à leur âge; mais prouve ton assertion, montre-moi en quoi pèchent ces petits. Est-ce en pleurant qu'ils pèchent? Leurs péchés consistent-ils à repousser la peine et à accepter le plaisir par des mouvements qui ressemblent à ceux des animaux sans parole? Si ces mouvements sont des péchés, le baptême ne fait que rendre davantage ces enfants pécheurs, puisqu'au

 

1. I Cor. XV, 22. — 2. Rom. V, 12.

 

moment où on les baptise, ils résistent avec tant de violence. Pourquoi néanmoins ne considère-t-on pas ces résistances comme des péchés? N'est-ce pas parce que la volonté de ces enfants n'est pas encore maîtresse d'elle-même?

8. Voici autre chose : Ces enfants, qui sont nés, ont déjà péché, dis-tu; puisque, d'après toi, s'ils n'avaient péché ils ne mourraient pas. Mais n'en est-il pas qui meurent dans le sein maternel? Quel embarras ! — Ceux-là aussi ont péché, répond-on; c'est pour cela qu'ils meurent. — Veux-tu nous duper, où es-tu dupe toi-même? Contre toi s'élève l'Apôtre : « Ils n'étaient pas encore nés, dit-il, et n'avaient fait ni bien ni mal ». J'aime mieux écouter l'Apôtre que toi, je le crois plutôt que je ne te crois. « Ils n'étaient pas encore nés et n'avaient fait ni bien ni mal ». Ne veux-tu pas de ce témoignage? Retombe alors dans ces vaines imaginations et soutiens que ces enfants ont péché au ciel et qu'on les en a jetés dans leurs corps. — Je ne dis pas cela. —Pourquoi pas? —  Parce que, d'après l'Apôtre, quand on n'est pas né, on ne fait ni bien ni mal. — Ainsi tu ne leur attribues pas de crime dans le ciel, et tu leur en attribues dans le sein de leur mère ? Or l'Apôtre réfute les deux opinions, et celle qui place le péché dans le ciel, et celle qui le place dans le sein maternel. Toutes deux en effet tombent devant cette assertion : qu'avant leur naissance ils n'avaient fait ni bien ni mal. Pourquoi enfin meurent-ils? Te croirai-je plutôt que le Maître des gent-ils ?

9. Dites-moi, Apôtre saint Paul, pourquoi meurent ces enfants? « Par un seul homme le péché est entré dans le monde, et par le péché la mort; ainsi la mort a passé dans tous les hommes par celui en qui tous ont péché». C'est donc le premier homme qui a fait condamner tout le genre humain. Venez, venez, Notre-Seigneur; venez, ô second Adam, venez, venez; mais venez par un autre chemin, venez par une Mère vierge; vivant, venez, vers des morts, et mourez pour aider les mourants, pour rendre la vie aux morts, pour les racheter de la mort, pour conserver la vie dans la mort et pour tuer la mort par la mort même. Voilà la seule grâce qui convienne aux petits comme aux grands, la seule qui sauve les grands et les petits.

Pourquoi maintenant choisit-il celui-ci et (78) celui-là? Pourquoi choisit-il l'un et non pas l'autre? Qu'on ne m'adresse pas cette question. Je suis homme; je constate la profondeur de la croix, je ne la pénètre pas; elle m'épouvante, je ne la sonde pas. Ses jugements sont incompréhensibles et ses voies impénétrables (1). Je suis homme et tu es homme; il était homme aussi, celui qui disait : « O homme, qui es-tu pour contester avec Dieu (2)? » et homme il s'adressait à l'homme. Que l'homme écoute donc pour ne pas périr, lui pour qui Dieu s'est fait homme.

Ainsi, en face de cette profondeur mystérieuse de la croix, en face de telles obscurités,

 

1. Rom. XI, 33. — 2. Ib. IX, 20.

 

attachons-nous à ce que nous avons chanté; ne présumons point de notre propre vertu, n'attribuons rien dans ce mystère à la faible capacité de notre petit esprit; répétons le psaume et disons avec lui : « Ayez pitié de moi, mon Dieu, ayez pitié de moi». Pourquoi? Est-ce parce que je puis vous mériter? Non. Pourquoi alors? Est-ce parce que ma volonté peut mériter votre grâce avant de l'obtenir? Non encore. Pourquoi donc? Parce que c'est en vous que se confie mon âme (1) ». Ah ! quelle science que cette confiance ! Tournons-nous avec un coeur pur, etc.

 

1. Ps. LVI, 2.

 

 

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