SERMON CLXVIII
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SERMON  CLXVIII. LA FOI DUE A LA GRACE (1).

 

ANALYSE. — Le but de l'orateur est de prouver ici, contre les Pélagiens, que la grâce est nécessaire afin même de nous donner la foi. Il le prouve d'abord directement par le texte de son discours et par le témoignage formel de l'apôtre saint Paul parlant de sa conversion. Il le prouve ensuite en réfutant les Pélagiens qui s'attribuaient le commencement de la foi. Ils ont tort ; car ils ont reçu de Dieu avant de pouvoir lui rien donner ; car l'Eglise a prié pour obtenir la foi à saint Paul ; car l'Apôtre prétend n'avoir rien que par grâce; car enfin les fidèles, en priant pour la conversion de leurs parents infidèles, demandent pour eux la foi.

 

1. Que par de pieuses lectures, de saints cantiques, l'audition de sa divine parole et surtout par sa grâce, le Seigneur nourrisse votre piété ; ainsi ce ne sera pas pour votre condamnation, mais pour votre récompense que vous entendrez la vérité. Dieu le fera, nous en avons pour garantie sa promesse et sa toute-puissance. C'est ainsi qu'Abraham crut, à la gloire de Dieu, et crut avec une entière certitude que le Seigneur peut faire ce qu'il a promis (2). Quel sujet de joie pour nous ! car c'est nous que Dieu avait promis au patriarche et c'est nous qui sommes les enfants de cette promesse (3); puisque c'est de nous qu'il était question dans ces paroles : « En ta descendance les nations seront bénies (4) ». Si donc nous sommes devenus par la foi les descendants d'Abraham, c'est l'oeuvre de Celui qui peut accomplir ce qu'il a promis.

Que nul donc ne dise: C'est mon oeuvre. Dieu promettrait, et tu accomplirais? On pourrait dire que Dieu accomplit ce que tu promets; car tu es faible et non pas tout-puissant, et quelques promesses que tu fasses, si Dieu n'agit, ces promesses sont vaines ; tandis que les promesses de Dieu dépendent de lui et non de toi. — Pourtant, reprends-tu, c'est moi qui crois. — Je l'accorde, tu as raison, c'est toi qui crois; mais ce n'est pas toi qui t'es donné la foi. Et comment croire sans la foi ? La foi est un don de Dieu.

2. Ecoute le docteur même de la foi, le grand défenseur de la grâce; écoute l'Apôtre; c'est lui qui dit: « Paix à nos frères, et charité avec la foi ». Voilà trois grandes choses: la

 

1. Ephés. VI, 23. — 2. Rom. IV, 20, 21. — 3. Gal. IV, 28. — 4. Gen. XXII, 18.

 

paix, la charité, la foi. L'Apôtre commence par la fin et finit par le commencement; puisqu'on commence par la foi pour finir par la paix, la foi étant la croyance même. Or, cette foi doit être une foi de chrétiens et non une foi de démons. « Les démons en effet, dit l'apôtre saint Jacques, croient et tremblent (1) », N'ont-ils pas dit au Christ: « C'est vous le Fils de Dieu ? » Ainsi proclamaient-ils ce que ne croyaient pas encore bien des hommes; ces démons tremblaient, tandis que des hommes osèrent donner la mort. Mais de ce que ces démons s'écrièrent: « C'est vous le Fils de Dieu, nous savons qui vous êtes (2) » ; s'ensuit-il qu'ils devaient régner avec lui ? Nullement. Il faut donc distinguer la foi des démons de la foi des saints; il faut insister avec soin sur cette distinction importante. Pierre aussi ne fit-il pas la même confession? Le Seigneur demandait: « Qui dites-vous que je suis? — Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant », répondit Pierre. — Simon, fils de Jona, reprit le Seigneur, tu es bienheureux (3) ». — O Seigneur, puisque les démons ont dit la même chose, pourquoi ne sont-ils pas bienheureux aussi ? Pourquoi ? — C'est que les démons ont parlé par crainte, et Pierre par amour. Ainsi on commence par la foi; quelle foi ? Celle dont l'Apôtre a dit: « Ni la circoncision ni l'incirconcision ne servent de rien, mais la foi » . Quelle foi? « La foi qui agit par amour (4) ». Or, cette foi qui agit par, amour, les démons ne l'ont pas, mais uniquement les serviteurs de Dieu, ses saints, les enfants spirituels d'Abraham, les fils de la

 

1. Jacq. II, 19. — 2. Marc, III, 12; I, 24. — 3. Matt. XVI, 15-17. — 4. Gal. V, 6.

 

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charité, les fils de la promesse; aussi le texte ajoute-t-il: «Et la charité ». L'Apôtre ici nomme trois choses: « Paix aux frères et charité avec la foi ». — « Paix aux frères » d'où vient cette paix? « Et charité» : d'où vient cette charité? D'« avec la foi ». Car on n'aime pas sans croire; et voilà pourquoi l'Apôtre a dit, en allant de la fin au commencement: « Paix, charité, avec la foi ». Disons, nous: Foi, charité, paix; crois, aime, règne. Si tu crois sans aimer, tu ne distingues pas encore ta foi de la foi qui tremblait et qui criait: « Nous savons qui vous êtes, le Fils de Dieu ». Ainsi donc, aime; et la charité jointe à la foi te conduira à la paix. A quelle paix? A la paix véritable, à la paix complète, à la paix solide, à l'inaltérable paix, à la paix qui ne redoute ni malaise ni ennemi, à la paix où aboutissent tous les bons désirs. « La charité avec la foi », dit saint Paul; quoiqu'on puisse dire aussi : La foi avec la charité.

3. Ce sont donc de grands biens, des biens précieux, que rappellent ces mots de l'Apôtre «Paix à nos frères et charité avec la foi ». Mais d'où viennent ces biens ? De nous ou de Dieu ? Dire que c'est de nous, c'est se glorifier en soi et non pas en Dieu. Mais si on connaît ces autres paroles du même Apôtre: « Celui a qui se glorifie, doit se glorifier dans le Seigneur (1) » ; on avouera que la paix et la charité avec la foi ne nous viennent que de Dieu.

Je t'entends me répondre: C'est là ton assertion, mais prouve-la. — Je la prouverai, et ce sera par le témoignage du même Apôtre. Vous connaissez déjà ces paroles .de lui : « Paix à nos frères et charité avec la foi ». — Mais que prouvent-elles? — Continue à lire : « Paix à nos frères et charité avec la foi, par Dieu le Père et Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Qu'as-tu donc que tu ne l'aies reçu? Et si tu l'as reçu, pourquoi te glorifier comme si tu ne l'avais pas reçu ? Si Abraham a été honoré, il l'a été à cause de sa foi. Or, quelle est la foi pleine et parfaite? Celle qui croit que tous les biens, et la foi même, nous viennent de Dieu. Aussi l'Apôtre dit-il encore : « J'ai obtenu «miséricorde ». Témoignage admirable ! Il ne dit pas : « J'ai obtenu miséricorde » parce que j'étais fidèle; mais bien: « J'ai obtenu miséricorde pour devenir fidèle (2) ».

4. Considérons ses commencements ; considérons

 

1. I Cor. I, 31. — 2. Ib. VII, 25.

 

ce Saul plein de cruauté et de fureur, respirant la haine et altéré de sang. Considérons-le, mes frères ; ce spectacle est admirable. Etienne vient de mourir, le sang de ce martyr généreux a coulé sous des masses de pierres, pendant que pour le lapider en quelque sorte par les mains de tous, Saul gardait les vêtements des bourreaux. Alors se dispersèrent les frères qui habitaient Jérusalem ; et poussé par la fureur, non content d'avoir vu couler et d'avoir versé le sang d'Etienne, Saul obtint, des princes des prêtres, des lettres pour aller jusqu'à Damas et pour ramener chargés de chaînes tous les chrétiens qu'il pourrait découvrir. Il s'en allait. Aussi le Christ n'était pas encore sa voie, et lui-même était Saul encore et non pas Paul. Il s'en allait. Qu'avait-il dans le coeur ? Quoi, sinon le mal ? Qu'on me montre ses mérites. Ce qu'il a mérité, c'est sa condamnation et non sa délivrance. Ainsi s'en allait-il exercer sa fureur sur les membres du Christ, et répandre leur sang; mais c'était un loup qui allait devenir un vrai pasteur. Il marchait donc dans des dispositions funestes ; et pouvait-il en avoir d'autres quand il allait remplir une telle mission? Or, pendant qu'il marche occupé de ces pensées et respirant le carnage ; pendant que la colère précipite ses pas, que la haine donne de l'agilité à ses membres; pendant qu'il court, pendant qu'il vole pour obéir à la cruauté, voici une voix du ciel: «Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu?» Ce sont ces mots qui lui ont fait dire : «J'ai obtenu miséricorde, pour devenir fidèle ». Il était vraiment infidèle : c'est peu; à l'infidélité il joignait la cruauté; mais il obtint miséricorde pour devenir fidèle (1). Eh! que répondre quand Dieu dit : Je le veux ? Quoi ! Seigneur, cet homme qui a fait tant de mal et qui cherchait à en faire encore tant à vos saints, est jugé par vous digne d'une aussi grande miséricorde? — Je le veux. « Ton oeil est-il mauvais parce que je suis bon (2)? »

5. Ayez la foi; mais pour l'avoir priez avec foi. Pourriez-vous néanmoins prier avec foi si déjà vous n'aviez la foi? Il n'y a vraiment que la foi qui permette de prier. « Comment' le prieront-ils, s'ils ne croient pas en lui ? Et comment y croiront-ils, s'ils n'en ont ouï parler? Comment en ouïront-ils parler, si nul ne le prêche? Comment enfin le

 

1. Act. VII-IX. — 2. Matt. XX, 15.

 

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prêchera-t-on, si l'on n'est pas envoyé (1)? » Aussi, c'est parce que nous sommes envoyés que nous parlons. Ecoutez-nous donc, écoutez en nous Celui qui nous envoie.

C'est pour cela même, disent quelques-uns, que nous demandons à Dieu de nous faire persévérer dans la pratique des vertus que nous avons déjà et d'y ajouter celles qui nous manquent. Aussi avons-nous d'abord la foi qui prie. Tout, sans aucun doute, vient de Dieu; car je lui ai tout demandé. Mais pour le prier j'ai commencé par croire. Ainsi je me suis donné la foi ; et c'est Dieu qui m'a donné ensuite ce que je lui ai demandé avec foi.

Résolvons cette objection, attendu qu'elle ne manque pas d'importance. — Ne sembles-tu pas dire que tu as commencé par donner toi-même à Dieu, afin d'obtenir de lui ensuite? car tu lui as présenté d'abord ta foi et ta prière. Mais oublies-tu ces paroles apostoliques : « Qui a connu la pensée du Seigneur ? Qui lui a donné des conseils? Qui lui a donné d'abord pour être ensuite rétribué (2)? » Tu prétends que c'est toi. Ainsi tu as donné le premier à Dieu et tu lui as donné ce que tu n'a pas reçu de lui? Où as-tu trouvé, pauvre mendiant, de quoi lui donner ? Mais qu'avais-tu à lui donner? Qu'as-tu effectivement que tu ne l'aies reçu? Non, tu ne donnes à Dieu que ce que tu as reçu de lui; il ne reçoit de toi que ce qu'il t'a donné; et si le premier il ne t'avait donné, tu serais toujours, pauvre mendiant, dans le dénuement le plus complet.

6. En voici une preuve encore plus frappante. Admettons que vous avez reçu parce que vous aviez la foi. Mais ceux qui, comme Saut, ne croyaient pas encore? Saul obtint d'abord de croire au Christ, et lorsqu'il crut en lui, il commença à l’invoquer. La grâce du Christ lui accorda donc de croire, puis en croyant de le prier et en priant d'obtenir le reste. Qu'en pensez-vous, mes frères? Quand Saut n'avait pas encore la foi, ceux qui l'avaient priaient-ils ou ne priaient-ils pas pour lui ? Mais si l'on ne priait pas pour lui, que signifient ces paroles d'Etienne : « Seigneur, ne leur imputez pas ce péché (3) ? » Ainsi pour lui et pour les autres incroyants on demandait la foi. Ils ne l'avaient pas encore, et ils l'obtenaient grâce aux prières des fidèles; et ils n'avaient rien encore à offrir à Dieu, avant

 

1. Rom. X, 14, 15. — 2. Rom. XI, 34, 35. — 3. Act. VII, 59.

 

d'avoir obtenu miséricorde pour être fidèles. Aussi, lorsque Saut fut converti; lorsque la même parole l'eut renversé et relevé, renversé comme persécuteur et relevé comme prédicateur; lorsqu'il eut commencé à annoncer la foi qu'il avait poursuivie, que disait-il de lui-même? J'étais inconnu de visage aux églises de Judée qui étaient unies au Christ; seulement elles entendaient dire : Celui qui nous persécutait il y a quelque temps, annonce maintenant la foi qu'il s'efforçait alors de détruire; et elles bénissaient Dieu à mon sujet (1) ». Dit-il: Et elles me bénissaient à mon sujet ? Il dit : Et comme je prêchais la foi que j'avais cherché à anéantir, ce n'est pas moi qu'elles glorifiaient, c'est Dieu. Si donc Saut a quitté cette vieille, tunique que le péché avait mise en lambeaux, qui était toute dégouttante de sang, pour prendre une robe d'humilité et devenir Paul, de Saut qu'il était, c'est à Dieu qu'il en est redevable.

7. Que signifie Paul? Tout petit. « Je suis, « dit-il, le plus petit d'entre les Apôtres ». Voilà ce que signifie Paul. Paul en latin est synonyme de peu, de petit; c'est ainsi que nous disons: Dans peu je te verrai, je ferai cela sous peu : post paulum, paulo post. Pourquoi Paul a-t-il donc pris ce nom? Pour signifier qu'il était petit, le plus petit. « Je suis, dit-il, le plus petit d'entre les Apôtres, car je ne suis pas digne de porter le nom d'Apôtre, ayant persécuté l’Eglise de Dieu ». C'est la vérité, Dieu devait te condamner, et il t'a donné de quoi mériter la couronne. De qui, de qui as-tu reçu de quoi mériter la couronne? Voulez-vous le savoir? Ecoutez, non pas moi, mais lui: « Je ne suis pas digne du nom d'Apôtre, dit-il, ayant persécuté l’Eglise de Dieu : par la grâce de Dieu néanmoins je suis ce que je suis ». Si c'est par la grâce de Dieu que tu es ce que tu es; c'est donc par ta faute que tu étais ce que tu étais. « Et sa grâce, ajoute-t-il, n'a pas été stérile en moi ». Le voilà qui préconise la foi qu'il voulait autrefois anéantir ; et la grâce n'est pas nulle en lui, puisqu'il dit. « Elle n'a pas été stérile en moi, mais j'ai travaillé plus qu'eux tous ». Prends garde, tu commences à t'élever. Que fais-tu, Paul? Tu étais si petit naguère. « J'ai travaillé plus qu'eux tous ». Par quel moyen? Dis-le, puisque tu n'as rien

 

1. Gal. I, 22-24.

 

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que tu ne l'aies reçu? Il s'arrête à l'instant même, et après avoir déclaré qu'il a travaillé plus qu'eux tous, il a peur en quelque sorte de ce qu'il a dit, et se montrant de nouveau dans son humilité : « Mais ce n'est pas moi, poursuit-il, c'est la grâce de Dieu avec moi (1) ».

8. Ainsi donc, mes frères, pour mieux connaître encore que la foi même nous vient du Seigneur notre Dieu, priez pour ceux qui ne l'ont pas encore. Quelqu'un d'entre vous a-t-il un ami qui n'ait pas la foi? Je l'engage à prier

 

1. I Cor. XV, 9, 10.

 

pour lui. Mais est-il besoin que je l'y engage? Le mari est chrétien, l'épouse ne l'est pas : et il ne prierait pas pour obtenir la foi à son épouse? C'est l'épouse qui est chrétienne et le mari qui ne l'est pas: et cette femme pieuse ne prierait pas pour obtenir la foi à son mari? Or, quand on prie pour cela, que fait-on ? Ne conjure-t-on pas Dieu de donner la foi? La foi est ainsi un don de Dieu. Que nul donc ne s'élève, que nul ne se vante de s'être donné quoi que ce soit. « Celui qui se glorifie, doit se glorifier dans le Seigneur (1) ».

 

1. I Cor. I, 31.

 

 

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