SERMON CLXII
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SERMON CLXII. PÉCHER DANS SON CORPS (1).

 

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ANALYSE. — Ce sermon, que plusieurs éditions disent n'être qu'un fragment, est la solution, à un double point de vue, de ces paroles de saint Paul : « Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps, mais celui qui commet la fornication , pèche dans son propre corps (2) ». Si on entend ici la fornication dans son sens propre, les paroles de l'Apôtre peuvent signifier qu'en commettant l'impureté l'homme est tellement absorbé dans les sens et submergé dans les délectations charnelles, qu'il ne voit rien en dehors; il est alors entièrement dans son corps, tandis qu'il n'y est pas de la même manière quand il commet d'autres péchés. Si le mot de fornication est pris ici dans un sens figuré et pour exprimer l'attachement du pécheur à tout ce qui n'est pas Dieu; ce péché se trouve opposé aux péchés d'oubli et de fragilité qui se commettent sans attachement pervers. Le corps désignerait donc ici la concupiscence à laquelle l'Apôtre rapporte tous les péchés proprement dits; et on pécherait en dehors du corps, quand on pêcherait sans passion et par pure faiblesse. Saint Augustin avertit toutefois qu'il ne se flatte pas d'être entré entièrement dans la pensée de l'Apôtre.

 

1. La question que nous suggèrent ces paroles du bienheureux Apôtre Paul, dans son Epitre aux Corinthiens: « Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps ; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps », pourra-t-elle être parfaitement résolue? Je l'ignore, tant elle est profonde ! On peut néanmoins, avec l'aide de Dieu, lui donner un sens probable.

L'Apôtre venait de dire, dans la même épître: « Ne vous abusez point: ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les abominables, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les rapaces, ne posséderont le royaume de Dieu » ; et un peu plus loin : « Se savez-vous pas que        vos corps sont les membres du Christ? Quoi ! j'enlèverai au a Christ ses membres pour en faire les membres d'une prostituée? Dieu m'en garde ! » Ignorez-vous que s'unir à une prostituée, « c'est devenir un même corps avec elle, car, est-il dit, ils seront deux en une seule chair; a tandis que s'unir au Seigneur, c'est être a un seul esprit avec lui? Fuyez la fornication ». Puis il ajoute : « Tout autre péché commis par un homme est hors du corps; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps. Ne savez-vous pas que votre corps est le temple de l'Esprit-Saint, qui est en vous, que vous avez reçu, et qu'ainsi vous n'êtes plus à vous-mêmes ?

 

1. I Cor. VI, 9-20. — 2. I Cor. VI, 18.

 

Car vous avez été achetés à haut prix. Glorifiez et portez Dieu dans votre corps ».

On le voit, l'Apôtre vient de signaler d'abord un grand nombre de péchés horribles qui excluent du royaume de Dieu, et que l'homme ne saurait commettre que par l'intermédiaire de son corps; de ce corps qu'il appelle, dans les fidèles, le temple du Saint-Esprit que Dieu nous a donné; de ces membres qu'il assure être les membres du Christ, et desquels il dit d'un ton de blâme et d'interrogation: « Quoi ! je prendrai au Christ ses membres afin d'en faire les membres d'une prostituée ? » pour répondre : « A Dieu ne plaise ! » et pour ajouter aussitôt : « Ignorez-vous que s'unir à une prostituée, c'est devenir un même corps avec elle, puisqu'il est dit; Ils seront deux en une seule chair, tandis que, s'unir à Dieu, c'est être un seul esprit avec lui ? » Il conclut de là: « Fuyez la fornication » ; et c'est alors qu'il ajoute : « Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps ». Eh quoi ! n'a-t-il pas dit: « Ne vous abusez point. ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères ni les efféminés, ni les abominables, ni les voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les rapaces, ne posséderont le royaume de Dieu? » Et tous ces crimes, toutes ces infamies peuvent-ils se commettre autrement que par le corps? Quel homme à idées saines oserait dire le contraire ? Car l'Apôtre dans tout ce passage n'avait en vue que le corps, (60) acheté si cher, au prix même du sang adorable du Christ, et devenu le temple de l'Esprit-Saint : il voulait qu'au lieu de le souiller par ces abominations, on le conservât dans une pureté inviolable comme l'habitation de Dieu même. Pourquoi donc avoir ajouté, pour soulever une question si difficile : « Tout autre péché, commis par l'homme, est hors du corps; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps? »

N'est-il pas vrai que la fornication et tous les autres péchés de la chair qui ressemblent à la fornication, ne peuvent se commettre et se pratiquer que par le corps? Pour ne parler pas des autres péchés, qui pourrait, sans le concours des organes corporels, être voleur, ivrogne, médisant ou rapace? L'idolâtrie même et l'avarice ne sauraient, sans le ministère du corps, produire leurs actes et leurs effets. Pourquoi alors ces paroles : « Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps? »

On peut constater d'abord que toutes les convoitises déréglées auxquelles s'abandonne l'homme d'une manière même purement intérieure, ne sont pas en dehors du corps, puisque sûrement elles sont produites par la sensualité et par la prudence charnelle, tant que l'homme est encore revêtu de son corps. Le crime même signalé dans ces paroles d'un psaume : « L'impie a dit en son coeur : Il n'y a point de Dieu (1)», le bienheureux Apôtre saint Paul n'a pu le considérer indépendamment du corps, puisqu'il a dit quelque part: «Nous comparaîtrons tous devant le tribunal du Christ, afin que chacun reçoive conformément à ce qu'il a fait, soit bien, soit mal, par son corps (2) ». Il fallait en effet que l'impie fût encore dans sa chair pour pouvoir dire: « Il n'y a point de Dieu ». Je ne dirai rien de ce que le même docteur des gent-ils écrit dans une autre épître, où on lit: « On connaît aisément les oeuvres de la chair, qui sont: la fornication, l'impureté, la luxure, les empoisonnements, les inimitiés, les contestations, les jalousies, les colères, les dissensions, les sectes, les envies, les ivrogneries et autres semblables, desquelles je vous déclare, comme je l'ai déclaré, que ceux qui s'y livrent n'obtiendront pas le

 

1. Ps. XIII, 1. — 2. II Cor. V, 10.

 

royaume de Dieu (1) ». Ne semble-t-il pas que, dans cette énumération, îles jalousies, les colères, les dissensions, les envies et les sectes, n'appartiennent pas au corps? Et cependant elles sont représentées comme des oeuvres de la chair par ce même docteur qui a initié les gent-ils à la foi et à la vérité. Que signifient donc ces mots: « Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps? » et pourquoi ne dire que d'un seul péché: « Mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps? »

2. Si inculte et si peu ouvert qu'on puisse être, on voit combien est difficile cette question. Si néanmoins, acquiesçant à nos pieux désirs, le Seigneur daigne nous éclairer et nous seconder un peu, il nous sera possible d'y assigner un sens vraisemblable.

Ici donc le bienheureux Apôtre, en qui parlait le Christ, semble avoir voulu élever la gravité du péché de fornication au-dessus de la gravité de tous les autres péchés qui se commettent par l'intermédiaire du corps, mais qui néanmoins ne rendent pas l'âme humaine esclave et dépendante du corps, comme elle le devient dans le seul acte de la fornication, où la fougue impétueuse de la passion la confond avec le corps, l'y unit, l'y colle en quelque sorte et l'y enchaîne étroitement, si étroitement, qu'au moment où il se livre frénétiquement à cet acte brutal, il lui est impossible de voir ou de vouloir autre chose que ce qui peut y porter son âme; et comme submergée et engloutie dans cette fange honteuse, l'âme n'est plus qu'une esclave. Si donc l'Apôtre a dit : « Mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps », c'est qu'alors et surtout au moment de l'acte infâme, le coeur devient véritablement et absolument l'esclave du corps ; et ce serait pour détourner plus efficacement de pareilles horreurs qu'il aurait dit encore : « Quoi ! je prendrai au Christ set membres et j'en ferai les membres d'une prostituée?» et qu'il aurait répondu avec exécration et frémissement : « Dieu m'en garde ! Ne savez-vous pas que s'unir à une prostituée, c'est devenir un même corps avec elle, car il est dit : Ils seront deux en une seule chair ? »

Or, pourrait-on en dire autant des autres crimes; quels qu'ils soient, que commettent

 

1. Galat. V, 19-21.

 

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les hommes? Au moment ou on se livre à l'un d'eux, l'esprit conserve la liberté d'y penser et de s'appliquer à autre chose, tandis qu'au moment où il s'abandonne à la fornication, il ne peut s'occuper de rien autre absolument. L'homme est alors tellement absorbé dans ce qu'il fait, qu'on ne peut dire que sa pensée soit à lui; on pourrait dire au contraire qu'il n'est plus que chair, un souffle qui passe et ne revient point (1). D'où il suit que par ces paroles : « Tout autre péché commis par un homme est hors du corps; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps », l'Apôtre semble avoir voulu nous dire, pour nous inspirer une vive horreur de la fornication, que comparés à elle les autres péchés sont hors du corps, tandis que ce mal affreux retient l'âme dans le corps, attendu que la violence de cette passion, qui n'a pas son égale, fait de cette âme une esclave et une captive de la volupté charnelle.

3. Ceci doit être entendu de la fornication proprement dite. Cependant les livres saints donnant à ce vice un sens plus étendu, efforçons-nous, avec l'aide de Dieu, d'appliquer à ce sens nos réflexions.

Il faut prendre évidemment la fornication dans un sens général, lorsqu'on lit ces paroles d'un psaume : « Ceux qui s'éloignent de vous périront; vous anéantirez quiconque se prostitue loin de vous » ; et lorsqu'on remarque ensuite, dans ces mots qui viennent après, le moyen d'éviter cette espèce de fornication générale : « Pour moi, mon bonheur est de m'attacher à Dieu (2) ». Il est facile de voir en effet qu'il y a fornication pour l'âme humaine, quand au lieu de s'unir à Dieu elle s'unit au monde. De là ces mots du bienheureux apôtre Jean: « Si quelqu'un aime le monde, l'amour du Père n'est pas en lui (3) » : et ces autres de saint Jacques : « Adultères, ignorez-vous que l'amitié de ce monde est ennemie de Dieu (4) ? » Ce qui constate en peu de mots que l'amour de Dieu est incompatible avec l'amour du monde, et qu'en voulant aimer le monde on est ennemi de Dieu. C'est ce que signifient encore ces paroles du Seigneur dans l'Evangile : « Nul ne peut servir deux maîtres; car il haïra l'un et aimera l'autre; ou bien il supportera l'un et méprisera l'autre » ; et cette conclusion

 

1. Ps. LXXVII, 39. — 2. Ps. LXXII, 27, 28. — 3. I Jean , II, 15. — 4. Jacq. IV, 4.

 

qui en ressort : « Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent (5) ».

Ainsi donc, comme nous l'avons dit, l'a fornication, entendue dans un sens général et embrassant absolument tout, consiste à s'attacher au monde et non pas à Dieu, et c'est dans cette acception de prostitution générale que nous devons prendre ces mots de l'Apôtre : « Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps ; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps ». En effet, si l'âme humaine est exempte du péché de fornication quand elle s'attache intimement à Dieu et nullement au monde, quels que soient les péchés qu'elle commette d'ailleurs, soit par ignorance, soit par négligence, soit par oubli, soit par défaut d'intelligence, dès que ces péchés ne viennent pas de la concupiscence de la chair, mais uniquement de la fragilité humaine, on peut les voir dans ces mots : « Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps » ; ces péchés n'étant effectivement empreints d'aucune concupiscence, on a raison de les considérer comme étant hors du corps. Si au contraire l'âme mondaine s'attache au monde en s'éloignant de Dieu, dès qu'elle se prostitue ainsi en se séparant de Dieu, elle pèche dans son propre corps : car la concupiscence charnelle la jette sur tout ce qui est charnel et éphémère; la sensualité et la prudence de la chair se l'arrachent en quelque sorte et la mettent au service de la créature, plutôt qu'à celui du Créateur, béni dans les siècles des siècles.

4. Voilà donc,. à mon avis, le sens soit général, soit spécial qu'on peut assigner, sans blesser la foi, au passage fameux où nous lisons ces paroles du grand et incomparable Docteur : « Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps ; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps ». L'Apôtre a voulu nous inspirer une vive horreur pour la fornication proprement dite ; et si d'après lui elle se commet dans le corps, c'est que jamais l'homme en péchant n'est lié ni cloué au plaisir charnel d'une manière aussi complète et aussi invincible; de sorte que comparé au désordre de ce péché abominable, les autres péchés, même commis par l'intermédiaire du corps, semblent être hors du corps.

 

1. Matt. VI, 24.

 

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Pour asservir l'âme au corps et en faire son vil esclave, il y a dans la fornication, surtout au montent où se consomme cette impure iniquité, une force impétueuse et irrésistible qui ne se rencontre nulle part ailleurs, et l'âme ne peut réellement alors connaître ou rechercher ce qui se passe brutalement dans ses organes.

On peut admettre aussi que l'Apôtre a voulu parler de la fornication dans le sens le plus général, lorsqu'il a dit : « Tout autre péché commis par l'homme est hors du corps; mais quand on commet la fornication, on pèche dans son propre corps ». Il faudrait alors entendre qu'en s'attachant au monde et non à Dieu, par l'amour et le désir des biens temporels, chacun pèche dans son propre corps, en ce sens que livré et assujetti à toutes les convoitises charnelles, il est tout entier l'esclave de la créature, et qu'il a rompu avec le Créateur par cet orgueil qui est le principe de tout péché et qui se révèle d'abord en rompant avec Dieu (1). A quelque péché d'ailleurs qu'on fût entraîné par la corruption et la mortalité qui pèsent sur chacun, dès qu'on serait exempt de ce vice de fornication prise dans le sens général, on pécherait hors du corps; car, nous l'avons dit plusieurs fois, ce serait être en quelque sorte hors du corps, que d'être étranger

 

1. Eccli. X, 15, 14.

 

à cette convoitise vicieuse et charnelle. C'est seulement cette convoitise générale qui éloigne l'âme de Dieu et qui la prostitue dans tous les péchés qu'elle commet, la liant en quelque sorte et l'enchaînant à tous les désirs et à foutes les séductions du corps et du temps. Elle pèche ainsi dans son propre corps, puisque c'est pour obéir aux convoitises du corps qu'elle s'assujettit au monde et s'éloigne de Dieu ; ce qui est, répétons-le, le commencement de l'orgueil.

Aussi pour nous détourner de ce vice général de fornication, le bienheureux Jean s'écrie : « N'aimez ni le monde, ni ce qui est dans le monde; car tout ce qui est dans le monde est convoitise de la chair, convoitise des yeux et ambition du siècle : or, cette convoitise ne vient pas du Père, mais du monde. Or le monde passe et sa concupiscence aussi ; au lieu que celui qui fait la volonté de Dieu demeure éternellement, comme Dieu même (2) ». Cet amour du monde qui en renferme toutes les convoitises, est donc bien la fornication générale qui se commet dans le corps; attendu que l'âme ne travaille alors qu'à satisfaire les désirs et les impressions qu'excitent les choses visibles, matérielles et passagères, pendant qu'elle est délaissée et abandonnée misérablement par le Créateur universel.

 

1. I Jean, II, 15-17.

 

 

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