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IV DÉCEMBRE. SAINT PIERRE CHRYSOLOGUE, ÉVÊQUE ET DOCTEUR DE l'ÉGLISE.La même Providence divine qui n'a pas permis que l'Eglise, au saint temps de l'Avent, fût privée de la consolation de fêter quelques-uns des Apôtres qui ont annoncé la venue du Verbe aux Gentils, a voulu aussi qu'à la même époque, les saints Docteurs qui ont défendu la vraie Foi contre les hérétiques, fussent pareillement représentés dans cette importante fraction du Cycle catholique. Deux d'entre eux, saint Ambroise et saint Pierre Chrysologue, resplendissent au ciel de la sainte Eglise, en cette saison, comme deux astres éclatants. Il est digne de remarque que tous deux ont été les vengeurs du Fils de Dieu que nous attendons. Le premier a vaillamment combattu les Ariens, dont le dogme impie voudrait faire du Christ, objet de nos espérances, une créature et non un Dieu ; le second s'est opposé à Eutychés, dont le système sacrilège détruit toute la gloire de l'Incarnation du Fils de Dieu, osant enseigner que, dans ce mystère, la nature humaine a été absorbée par la divinité. C'est ce second Docteur, le pieux Pontife de Ravenne, que nous honorons aujourd'hui. Son éloquence pastorale lui acquit une haute réputation, et il nous est resté un grand nombre de ses 348 Sermons. On y recueille une foule de traits de la plus exquise beauté, bien qu'on y sente quelquefois la décadence de la littérature au V° siècle. Le mystère de l'Incarnation y est souvent traité, et toujours avec une précision et un enthousiasme qui révèlent la science et la piété du saint évêque. Son admiration et son amour envers Marie Mère de Dieu qui avait, en ce siècle, triomphé de ses ennemis par le décret du concile d'Éphèse, lui inspirent les plus beaux mouvements et les plus heureuses pensées. Nous citerons quelques lignes sur l'Annonciation : « A la Vierge Dieu envoie un messager ailé. C'est lui qui sera le porteur de la grâce ; il présentera les arrhes et en recevra le retour. C'est a lui qui rapportera la foi donnée, et qui, après avoir conféré la récompense à une si haute vertu, remontera en hâte porteur de la promesse virginale. L'ardent messager s'élance d'un vol rapide vers la Vierge ; il vient suspendre les droits de l'union humaine ; sans enlever la Vierge à Joseph, il la restitue au Christ à qui elle fut fiancée dès l'instant même où elle était créée '. C'est donc son épouse que le Christ reprend, et non celle d'un autre ; ce n'est pas une séparation qu'il opère, c'est lui qui se donne à sa créature en s'incarnant en elle. « Mais écoutons ce que le récit nous raconte de l'Ange. Etant entré près d'elle, il lui dit : Salut, ô pleine de grâce ! le Seigneur est avec vous. De telles paroles annoncent déjà le don 1. On voit que saint Pierre Chrysologue proclame ici le mystère de la Conception immaculée. Si Marie était engagée au Fils de Dieu dès le moment même de sa création, comment le péché originel eût-il eu action sur elle ? 349 céleste ; elles n'expriment pas un salut ordinaire. Salut ! c'est-à-dire : recevez la grâce, ne tremblez pas, ne songez pas à la nature. Pleine de grâce, c'est-à-dire : en d'autres réside la grâce, mais en vous résidera la plénitude de la grâce. Le Seigneur est avec vous : qu'est-ce à dire ? sinon que le Seigneur n'entend pas seulement vous visiter, mais qu'il descend en vous, pour naître de vous par un mystère tout nouveau. L'Ange ajoute : Vous êtes bénie entre toutes les femmes : pourquoi ? parce que celles dont Eve la maudite déchirait les entrailles, ont maintenant Marie la bénie qui se réjouit en elles, qui les honore , qui devient leur type. Eve, par la nature, n'était plus que la mère des mourants ; Marie devient, par la grâce, la mère des vivants (1). » Dans le discours suivant, le saint Docteur nous enseigne avec quelle profonde vénération nous devons contempler Marie en ces jours où Dieu réside encore en elle. Quand il s'agit, dit-il, de l'appartement intime du roi, de quel mystère, de quelle révérence, de quels profonds égards ce lieu n'est-il pas entouré? L'accès en est interdit à tout étranger, à tout immonde, à tout infidèle. Les usages des cours disent assez combien doivent être dignes et fidèles les services que l'on y rend ; l'homme vil, l'homme » indigne seraient-ils soufferts à se rencontrer seulement aux portes du palais ? Lors donc qu'il s'agit du sanctuaire secret de l'Epoux divin, qui pourrait être admis, s'il n'est intime, si sa conscience n'est pure, si sa renommée n'est honorable, si sa vie n'est vertueuse ? Dans cet 1. Sermon CXI. 350 asile sacré, où un Dieu possède la
Vierge, la virginité sans tache a seule le droit de pénétrer. Vois donc, ô
homme, ce que tu as, ce que tu peux valoir, et demande-toi si tu pourrais
sonder le mystère de l'Incarnation du Seigneur, si tu as mérité d'approcher de
l'auguste asile où repose encore en
ce moment la majesté tout entière du Roi suprême, de la Divinité en
personne. » Mais il nous faut étudier l'éloquent Docteur dans le récit que la sainte Eglise nous fait de ses oeuvres saintes. Pierre, surnommé Chrysologue,
pour l'or de son éloquence, naquit à Forum Cornelii, dans
l'Emilie, de parents honnêtes. Dès l'enfance, tournant son esprit vers la
religion,il s'attacha à l'Evêque de cette ville,Cornelius, romain, qui le forma rapidement à la science et
à la sainteté de la vie, et l'ordonna Diacre. Peu après, l'Archevêque de Ravenne étant mort, comme les habitants de cette ville
envoyèrent, selon l'usage, à Rome, le successeur qu'ils avaient élu solliciter du saint Pape Sixte III la confirmation de cette
élection, Cornélius se joignit aux députés de Ravenne, et emmena avec lui son
diacre. Cependant l'Apôtre saint Pierre
et le Martyr saint Apollinaire apparurent en songe au Pontife romain,
ayant au milieu d'eux un jeune lévite, et lui ordonnant de ne pas placer un
autre que lui sur le siège archiépiscopal de Ravenne. Le Pontife n'eut pas plus
tôt vu Pierre, qu'il reconnut en lui l'élu du Seigneur. Rejetant donc celui
qu'on lui présentait, il promut, l'an de Jésus-Christ 433, le jeune lévite au
gouvernement de cette Eglise métropolitaine. Les députés de Ravenne, offensés
d'abord, ayant appris la vision, se soumirent sans peine à la volonté divine et
acceptèrent avec le plus grand respect le nouvel Archevêque. Ainsi consacré Archevêque
contre son gré, Pierre fut conduit à Ravenne. où
l'empereur Valentinien, Galla Placidia sa mère, et
tout le peuple, l'accueillirent avec les plus grandes réjouissances. Pour lui,
il déclara qu'ayant consenti à porter un si lourd fardeau pour leur salut, il
n'exigeait d'eux, en compensation, qu'une seule chose, qui était de les voir
obéir à ses avis avec zèle, et ne pas résister aux préceptes du Seigneur. Il
ensevelit, après les avoir embaumés des parfums les plus excellents, les corps
de deux saints morts en cette ville, le prêtre Barbatien,
et aussi Germain, évêque d'Auxerre, dont il retint comme héritage la cuculle et
le cilice. Il ordonna Evoques Projectus et Marcellin.
Il fit creuser à Classe une fontaine d'une merveilleuse grandeur, et il bâtit
quelques églises magnifiques au bienheureux Apôtre André et à d'autres saints.
On célébrait, aux calendes de janvier, des jeux, accompagna de représentations
théâtrales et de danses; il les abolit par la force de ses exhortations. Il dit alors entre autres choses remarquables: «
Qui veut rire avec le diable, ne se réjouira pas avec le Christ. » Par l'ordre
de saint Léon le Grand, il écrivit au Concile de Chalcédoine contre l'hérésie
d'Eutychès, et adressa à l'hérésiarque lui-même une autre lettre qu'on a jointe
aux Actes du Concile dans les dernières éditions, et qui est consignée dans les
Annales Ecclésiastiques. Dans ses homélies à son
peuple, son éloquence était si véhémente, que parfois la parole lui manquait
dans l'ardeur de sa prédication, comme il arriva à son sermon sur l'Hémorrhoïsse ; et il y eut dans l'assemblée émue tant de
larmes, d'acclamations et de ferventes prières, que, depuis, le Saint rendait
grâces à Dieu de ce que l'interruption de son discours eût tourné au profit de
la charité. Il gouvernait très saintement cette Eglise, depuis environ dix-huit
ans, lorsqu'ayant connu, par une lumière divine, que
la fin de ses travaux approchait, il passa dans sa ville natale, se rendit à
l'église de Saint-Cassien, et déposa sur le grand
autel, en offrande, un grand diadème d'or enrichi de pierres précieuses, une
coupe également d'or, et une patène d'argent qui donne à l'eau qu'on y répand,
comme on l'a souvent éprouvé, la vertu de guérir les morsures de la rage et de
calmer la fièvre. Cependant il renvoya à Ravenne ceux qui l'avaient suivi, en
leur recommandant de veiller attentivement au choix d'un excellent pasteur.
Puis, adressant d'humbles prières à Dieu, priant saint Cassien,
son protecteur, de recevoir avec bonté son âme, il trépassa doucement, vers
l'an 45o, le trois des nones de décembre. Son corps, qui fut enseveli avec
pompe, au milieu des larmes et des prières de toute la ville, auprès de celui
du même saint Cassien, y est encore de nos jours
religieusement vénéré. L'un de ses bras, enchâssé dans l'or et les pierreries,
a été transporté à Ravenne, où on l'honore dans la basilique Ursicane. 354 Saint Pontife, dont la bouche
d'or s'est ouverte dans l'assemblée des fidèles, pour faire connaître
Jésus-Christ, daignez considérer d'un œil paternel le peuple chrétien qui
veille dans l'attente de cet Homme-Dieu dont vous
avez si hautement confessé la double nature. Obtenez-nous la grâce de le
recevoir avec le souverain respect dû à un Dieu qui descend vers sa créature,
et avec la tendre confiance que l'on doit à un frère qui vient s'offrir en
sacrifice pour ses frères indignes. Fortifiez notre foi,ô
très saint Docteur ! car l'amour qu'il nous faut
procède de la foi. Détruisez les hérésies qui dévastent le champ du Père de
famille ; confondez surtout l'odieux Panthéisme, dont l'erreur d'Eutychès est
une des plus funestes semences. Eteignez-le enfin dans ces nombreuses
chrétientés d'Orient qui ne connaissent l'ineffable mystère de l'Incarnation
que pour le blasphémer, et poursuivez aussi parmi nous ce système monstrueux
qui, sous une forme plus repoussante encore, menace de tout dévorer. Inspirez
aux fidèles enfants de l'Eglise cette parfaite obéissance aux jugements du
Siège Apostolique, dont vous donniez à l'hérésiarque Eutychès, dans votre
immortelle Epître, une si belle et si utile leçon, quand vous lui disiez : «
Sur toutes choses, nous vous exhortons, honorable frère, de recevoir avec
obéissance les choses qui ont été écrites par le bienheureux Pape de la ville
de Rome ; car saint Pierre, qui vit et préside toujours sur son propre Siège, y
manifeste la vérité de la foi à tous ceux qui la lui demandent. » |