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PREMIER SERMON
POUR
LA FÊTE DE LA CIRCONCISION (a).

 

Vocabis nomen ejus Jesum; ipsa enim salvum faciet populum.

 

Vous appellerez son nom Jésus; car c'est lui qui sauvera le peuple Matth., I, 21.

 

Aujourd'hui le Dieu d'Israël, qui est venu visiter son peuple, revêtu d'une chair humaine, fait sa première entrée en son temple ;

 

(a) Prêché à Metz en 1654.

Vingt indices révèlent dans ce sermon la jeunesse de l'auteur ou l'époque de Metz : la mauvaise écriture du manuscrit, la longueur de l'œuvre et particulièrement de l'exorde, le début de netteté dans la division, les réflexions dirigées contre les Juifs, enfin plusieurs expressions qui vieillissaient, telles que celles-ci : « Rendre les louanges, rendre honneur, rendre obéissance, rendre adoration à... ; les Juifs donnent à leur Messie une Cour leste et polie...,  une grosse Cour ; la

 

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aujourd'hui le grand prêtre du Nouveau Testament, le souverain sacrificateur selon l'ordre de Melchisédech, se met entre les mains des pontifes successeurs d'Aaron, qui portait la figure de son sacerdoce ; aujourd'hui le Dieu de Moïse se soumet volontairement à toute la loi de Moïse; aujourd'hui l'Ineffable, dont le nom est incompréhensible, daigne recevoir un nom humain qui lui est donné par la bouche des hommes, mais par l'instigation de l'Esprit de Dieu. Que dirai-je? où me tournerai-je, environné de tant de mystères? Parlerai-je delà circoncision du Sauveur, ou bien de l'imposition du nom de Jésus; de cet aimable nom, les délices du ciel et de la terre, notre unique consolation durant le pèlerinage de. cette vie ? Et la solennité de cette église, et je ne sais quel mouvement de mon cœur m'incite à parler du nom de Jésus et à vous en faire voir L'excellence, autant qu'il plaira à Dieu de me l'inspirer par sa grâce.

Jésus, c'est-à-dire Sauveur, ô nom de douceur et de charité ! « Mon âme, bénissez le Seigneur, et que tout ce qui est en moi-même rende les louanges à son saint nom : » Benedic, anima mea, Domino (1). Parlons du nom de Jésus, découvrons-en le mystère , faisons voir l'excellence de la qualité de Sauveur, et combien il est glorieux à notre grand Dieu et Rédempteur Jésus-Christ d'avoir exercé sur nous une si grande miséricorde et de nous avoir sauvés par son sang. Que tout ce temple retentisse du nom et des louanges du Sauveur Jésus. Ah ! si nous avions les yeux assez purs, nous verrions toute cette église remplie d'anges de toutes parts pour y honorer la présence du Fils de Dieu ; nous les verrions s'abaisser profondément au nom de Jésus, toutes les fois que nous le prononcerons dans la suite de ce discours. Abaissons-nous

 

1 Psal. CII, 1.

 

pauvre chair écorchée (du Sauveur) fait presque soulever le cœur; mon roi, c'est un capitaine sauveur, le prince du salut; ce qu'il doit régner sur nous, c'est clémence, es siècles des siècles, » etc.

Vers la fin du sermon, Bossuet, s'adressant directement aux habitants de Metz, les loue de leur fidélité : « Quand on parlait ces jours passés, leur dit-il, de ces lâches qui avaient rendu aux ennemis de l'Etal les places que le roi leur a confiées, on vous a vus frémir d'une juste indignation. » Vers la fin de 1653, pendant la Fronde, le comte de Harcourt avait vendu par traité formel a l'empereur d'Allemagne la ville de  Brisach et celle de Philisbourg ; un officier du roi sauva Brisach, mais Philisbourg ne fut repris que par la force des armes.

 

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aussi en esprit; et adorant en nos cœurs notre aimable Sauveur Jésus, prions aussi la sainte Vierge sa Mère de nous le rendre propice par ses pieuses intercessions. Ave, etc.

 

Comme nous avons quelques inclinations qui nous sont communes avec les animaux et qui ressentent tout à fait la bassesse de cette demeure terrestre dans laquelle nous sommes captifs, aussi certes en avons-nous d'autres d'une nature plus relevée, par lesquelles nous touchons de bien près aux intelligences célestes qui sont devant le trône de Dieu, chantant nuit et jour ses louanges. Les bienheureux esprits ont deux merveilleux mouvements. Car ils n'ont pas plutôt jeté les premiers regards sur eux-mêmes, que reconnaissant aussitôt que leurs lumières sont découlées d'une autre lumière infinie, ils retournent à leur principe d'une promptitude incroyable, et cherchent leur perfection où ils trouvent leur origine. C'est le premier de leurs mouvements. Puis chaque ange considérant que Dieu lui donne des compagnons, qui dans une même vie et dans une même immortalité conspirent au même dessein de louer leur commun Seigneur, il se sent pressé d'un certain désir d'entrer en société avec eux. Tous sont touchés les uns pour les autres d'une puissante inclination ; et c'est cette inclination qui met l'ordre dans leurs hiérarchies et établit entre leurs légions une sainte et éternelle alliance.

Or encore qu'il soit vrai que notre âme éloignée de son air natal, contrainte et presque accablée par la pesanteur de ce corps mortel, ne fasse paraître qu'à demi cette noble et immortelle vigueur dont elle devrait être toujours agitée, si est-ce néanmoins que nous sommes d'une race divine, ainsi que l'apôtre saint Paul l'a prêché avec une merveilleuse énergie en plein conseil de l'Aréopage : Ipsius enim et genus sumus (1). Il a plu à notre grand Dieu, qui nous a formés à sa ressemblance, de laisser tomber sur nos âmes une étincelle de ce feu céleste qui brille dans les esprits angéliques; et si peu que nous puissions faire de réflexion sur nous-mêmes, nous y remarquerons aisément ces deux belles inclinations que nous admirions tout à l'heure dans la nature des anges.

 

1 Act., XVII, 28.

 

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En effet ne voyons-nous pas que sitôt que nous sommes parvenus à l'usage de la raison, je ne sais quelle inspiration, dont nous ne connaissons pas l'origine, nous apprend à réclamer Dieu dans toutes les nécessités de la vie? Dans toutes nos afflictions, dans tous nos besoins, un secret instinct élève nos yeux au ciel, comme si nous sentions en nous-mêmes que c'est là que réside l'arbitre des choses humaines. Et ce sentiment se remarque dans tous les peuples du monde dans lesquels il est resté quelques traces d'humanité, à cause qu'il n'est pas tant étudié qu'il est naturel, et qu'il naît en nos âmes non tant par doctrine que par instinct. C'est une adoration que les païens mêmes rendent, sans y penser, au vrai Dieu; c'est le christianisme de la nature, ou comme l'appelle Tertullien, « le témoignage de l’âme naturellement chrétienne : » Testimonium animœ naturaliter christianœ (1). Voilà déjà le premier mouvement que notre nature a commun avec la nature angélique.

D'ailleurs il paraît manifestement que le plaisir de l'homme, c'est l'homme. De là cette douceur sensible que nous trouvons dans une honnête conversation. De là cette familière communication des esprits par le commerce de la parole. De là la correspondance des lettres ; de là, pour passer plus avant, les Etats et les républiques. Telles sont les premières inclinations de tout ce qui est capable d'entendre et de raisonner. L'une nous élève à Dieu, l'autre nous lie d'amitié avec nos semblables. De l'une est née la religion, et de l'autre la société. Mais d'autant que les choses humaines vont naturellement au désordre, si elles ne sont retenues par la discipline, il a été nécessaire d'établir une forme de gouvernement dans les choses saintes et dans les profanes ; sans quoi la religion tomberait bientôt en ruine, et la société dégénérerait en confusion. Et c'est ce qui a introduit dans le monde les deux seules autorités légitimes, celle des princes et des magistrats, celle des prêtres et des pontifes. De là la puissance royale , de là l'ordre sacerdotal.

Ce n'est pas ici le lieu de vous expliquer ni laquelle de ces deux puissances a l'avantage sur l'autre, ni comme elles se prêtent entre elles une mutuelle assistance. Seulement je vous prie de

 

1 Apol. N. 17

 

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considérer qu'étant dérivées l'une et l'autre des deux inclinations qui ont pris dans le cœur de l'homme de plus profondes racines, elles ont acquis justement une grande vénération parmi tous les peuples, elles sont toutes deux sacrées et inviolables. C'est pourquoi les empereurs romains, les maîtres de la terre et des mers, ont cru qu'ils apporteraient un grand accroissement à leur dignité, s'ils ajoutaient la qualité de souverain pontife à ces noms magnifiques d'Auguste, de César, de triomphateur; ne doutant pas que les peuples ne se soumissent plus volontiers à leurs ordonnances, quand ils considéreraient les princes comme ministres des choses sacrées. Sur quoi, quand je regarde ce titre de religion attaché à ces noms odieux de Néron, de Caligula, ces monstres du genre humain, l'horreur et l'exécration de tous les siècles, je ne puis m'empêcher de faire cette réflexion, que les dieux de pierre et de bronze, les dieux adultères et parricides que l'aveugle antiquité adorait, étaient dignes certainement d'être servis par de tels pontifes.

Elevez-vous donc, ô roi du vrai peuple, ô pontife du vrai Dieu. La royauté de ces empereurs n'était autre chose qu'une tyrannie, et leur sacerdoce profane un continuel sacrilège. Venez exercer votre royauté par la profusion de vos grâces, et votre sacerdoce par l'expiation de nos crimes. Je pense que vous entendez bien que c'est du Sauveur que je parle. C'est lui, c'est lui seul, chrétiens, c'est lui qui étant le vrai Christ, c'est-à-dire l'oint du Seigneur, unctus, assemble en sa personne la royauté et le sacerdoce par l'excellence de son onction, qui enferme l'une et l'autre puissance. Et c'est pour cette raison que l'admirable Melchisédech est tout ensemble et roi et pontife; mais « roi de justice et de paix, » rex justitiœ, rex pacis (1), comme l'interprète l'Apôtre dans la divine Epître aux Hébreux; mais le « pontife du Dieu très-haut, » sacerdos Dei excelsi (2), comme porte le texte de la Genèse. Et d'où vient cela, chrétiens? N'était-ce pas pour représenter celui qui, dans la plénitude des temps, devait être le vrai roi de paix et le grand sacrificateur du Dieu tout-puissant, c'est-à-dire le Sauveur Jésus, dont Melchisédech était la figure?

 

1 Hebr., VII, 2. — 2 Genes., XIV, 18.

 

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C'est de ce glorieux assemblage de la royauté et du sacerdoce en la personne du Fils de Dieu, que j'espère vous entretenir aujourd'hui. Car ayant considéré attentivement la signification du nom de Jésus que l'on donne en ce jour à mon Maître, je trouve dans ce nom auguste sa royauté et son sacerdoce; Jésus, c'est-à-dire Sauveur; et je dis que le Fils de Dieu est roi, parce qu'il est Sauveur; je dis qu'il est pontife, parce qu'il est Sauveur. Je vois déjà, ce me semble, que ces deux vérités excellentes m'ouvrent une belle carrière. Mais je médite quelque chose de plus. Il est le roi Sauveur, il est le pontife Sauveur. Comment est-il Sauveur? Par son sang. C'est pourquoi en cette bienheureuse journée où il reçoit le nom de Jésus et la qualité de Sauveur, il commence à répandre son sang par sa mystérieuse circoncision, pour témoigner que c'est par son sang qu'il est le Sauveur de nos âmes. O belles et adorables vérités ! pourrai-je bien aujourd'hui vous faire entendre à ce peuple ?

Vous qui vous êtes scandalisés autrefois de voir couler le sang de mon Maître, vous qui avez cru que sa mort violente était une marque de son impuissance, ah! que vous entendez peu ses mystères! La croix de mon roi, c'est son trône; la croix de mon pontife, c'est son autel. Cette chair déchirée, c'est la force et la vertu de mon roi ; cette même chair déchirée, c'est la victime de mon pontife. Le sang de mon roi, c'est sa pourpre; le sang de mon pontife, c'est sa consécration. Mon roi est installé, mon pontife est consacré par son sang; et c'est par ce moyen qu'il est le véritable Jésus, l'unique Sauveur des hommes. O Roi, et Sauveur, et souverain Pasteur de nos âmes, versez une goutte de ce sang précieux sur mon cœur, afin de l'embraser de vos flammes; une goutte sur mes lèvres, afin qu'elles soient pures et saintes, ces lèvres qui doivent aujourd'hui prononcer si souvent votre nom adorable : ainsi soit-il, mes frères. Je commence à parler de la royauté de mon maître : disons avec courage, écoutons avec attention. Il s'agit de glorifier Jésus, qui est lui-même toute notre gloire; ô Dieu, soyez avec nous.

 

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PREMIER  POINT.

 

Je dis donc avant toutes choses que, selon les prophéties anciennes, le Messie attendu par les Juifs, reconnu et adoré par les chrétiens, devait venir au monde avec une puissance royale. C'est pourquoi l'ange annonçant sa venue à la sainte Vierge sa Mère, parle de lui en ces termes : « Dieu lui donnera, dit-il, le trône de David son père, et il régnera éternellement dans la maison de Jacob. » Et c'est la même chose qu'avait prédite l'évangéliste de la loi, je veux dire le prophète Isaïe, lorsqu'il dit de Notre-Seigneur « qu'il s'assoira sur le trône de David, afin de l'affermir en justice et en vérité jusqu'aux siècles des siècles : » Super solium David et super regnum ejus sedebit, ut confirmet illud et corroboret injudicio et justitià, amodo et usque in sempiternum (1). Ce que je suis bien aise de vous faire considérer, afin que vous voyiez en ces deux passages la conformité de l'ancienne et de la nouvelle alliance. Car il serait impossible de vous rapporter en ce lieu tous les textes des Ecritures qui promettent la royauté au Sauveur.

Et c'est en quoi les Juifs se sont malheureusement abusés, parce qu'étant possédés en leur âme d'une aveugle admiration de la royauté et des prospérités temporelles, ils donnaient à leur Messie de belles et triomphantes armées, de grands et de superbes palais, une Cour plus leste et plus polie, une maison plus riche et mieux ordonnée que celle de leur Salomon, et enfin tout ce pompeux appareil dont la majesté royale est environnée. Aussi quand ils virent le Sauveur Jésus, qui dans une si basse fortune prenait la qualité de Messie, je ne saurais vous dire combien ils en furent surpris. Cent fois il leur avait dit qu'il était le Christ, cent fois il l'avait attesté par des miracles irréprochables; et ils ne cessent de l'importuner : — Mais enfin, « dites-nous donc qui vous êtes; jusqu'à quand nous laisserez-vous en suspens? Si vous êtes le Christ, dites-le-nous franchement » et nous en donnez quelque signe : Quousque animam nostram tollis? Si tu es Christus, die nobis palam (2). Ils eussent bien voulu qu'il leur eût dit autre chose. Ils lui eussent volontiers accordé tout l'honneur qui était dû aux

 

1 Isa., IX, 7. — 2 Joan., X, 24.

 

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plus grands prophètes; mais ils eussent été bien aises de lui persuader, ou bien de se faire roi, ou bien de se déporter volontairement de la qualité de Messie. Et nous lisons en saint Jean qu'après cette miraculeuse multiplication des cinq pains, quelques peuples étant convaincus qu'un miracle si extraordinaire ne pouvait être fait que parle Messie, s'assemblèrent entre eux et conspirèrent de le faire roi (1). Et ils eussent exécuté leur dessein, s'il ne se fût échappé de leur vue.

Etrange illusion des hommes, parmi lesquels ordinairement toutes sortes d'opinions sont reçues, excepté la bonne et la véritable! Les uns disaient que Jésus était un séducteur; les autres ne pouvant nier qu'il n'y eût en sa personne quelque chose de surnaturel, se partageaient entre eux en mille sentiments ridicules. «Quelques-uns assuraient que c'était Elie; d'autres aimaient mieux croire que c'était Jean-Baptiste ou bien quelqu'un des prophètes ressuscites : » Alii Eliam, alii Joannem Baptistam aut unum ex prophetis (2). Et à quelles extravagances ne se lais-soient-ils point emporter, plutôt que d'avouer qu'il fût le Messie ? D'où vient cette obstination, chrétiens? C'est qu'ils avaient l'imagination remplie de cette magnificence royale et de cette majesté composée, de laquelle ils avaient fait leur idole. Et cette fausse créance avait telle vogue parmi les Juifs, que ce vieux et infortuné politique, qui avait toujours son âme troublée d'un furieux désir de régner, qui ne craignait pas moins, qui n’épargnait pas plus ses enfants que ses ennemis, c'est Hérode dont je veux parler, conçut de la jalousie de cette royauté prétendue. De là ce cruel massacre des Innocents, duquel nous célébrions la mémoire ces jours passés.

Je ne sais si je me trompe, fidèles, mais il me semble que ces observations sur l'histoire de Notre-Seigneur ne doivent pas vous déplaire. Ainsi je ne craindrai pas d'en ajouter encore une qui vous fera voir manifestement combien cette opinion de la royauté du Sauveur était enracinée dans l'esprit des peuples. C'est que les apôtres mêmes, eux que le Fils de Dieu honorait de sa plus intime confidence, bien qu'en particulier et en public il ne leur promît

 

1 Joan., VI, 15. — 2 Matth., XVI, 14.

 

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que tourments et ignominie en ce monde, ils n'avaient pu encore se déprendre de ce premier sentiment dont on avait préoccupé leur enfance. « Eh! Maître, lui disaient-ils, quand est-ce qu'arrivera votre règne? sera-ce bientôt que vous rétablirez le royaume abattu d'Israël (1)? » Ils ne pouvaient goûter ce qu'il leur prédisait de sa mort. Comme ils voyaient son crédit s'augmenter, ils croyaient qu'à la fin il viendrait à bout de l'envie et qu'il attirerait tout à lui par sa vertu et par ses miracles. Ils se flattaient l'esprit de mille espérances grossières. Déjà ils commençaient à se débattre entre eux de l'honneur de la préséance. Et ne fut-ce pas une belle proposition que les deux frères inconsidérés firent taire à Notre-Seigneur par leur mère trop crédule et trop simple? Ils s'imaginaient déjà le Sauveur dans un trône éclatant de pierreries, au milieu d'une grosse Cour. Et, Seigneur, lui disent-ils, quand vous commencerez votre règne, nous serions bien aises que « l'un de nous fût assis à votre droite et l'autre à la gauche (2). » Tant ils abusaient de la patience et de la faveur de leur Maître, repaissant leur âme d'une vaine et puérile ostentation. Si bien que Notre-Seigneur ayant pitié de leur ignorance, commence à les désabuser par ces mémorables paroles : O disciples trop grossiers, qui vous imaginez dans ma royauté un faste et une pompe mondaine, « vous ne savez ce que vous me demandez; » la chose n'ira pas de la sorte : Nescitis quid petatis (3). « Pourrez-vous bien boire le calice que je boirai? » Ce calice c'est sa passion, dont il leur a parlé tant de fois sans qu'ils aient voulu le comprendre. Puis après quelques avis excellents, voici comme il conclut son discours : « Sachez, dit-il, que le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais afin de servir lui-même et afin de donner sa vie pour la rédemption de plusieurs (4). »

Ah! disciples encore ignorants, et vous mère mal avisée, ce n'est pas là ce que vous prétendiez : vous demandiez de vaines grandeurs, on ne vous parle que de bassesse. Mais mon Sauveur l'a fait de la sorte, afin de nous insinuer doucement par le souvenir de sa passion que notre roi était un roi pauvre; qu'il descendait sur la terre, non pour se revêtir des grandeurs humaines,

 

1 Act., I, 6. — 2 Matth., XX, 21. — 3 Ibid., 22. — 4 Ibid., 28.

 

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mais pour nous apprendre par son exemple à les mépriser ; (a) et que comme c'était par sa passion qu'il devait monter sur son trône, aussi est-ce par les souffrances que nous pouvons aspirer aux honneurs de son royaume céleste. C'est ici, c'est ici, chrétiens, où après vous avoir exposé les divers sentiments des hommes touchant la royauté de Jésus, j'aurais à demander à Dieu la langue d'un séraphin pour vous exprimer dignement les sentiments de Jésus lui-même.

Certes je ne puis voir sans étonnement dans les Ecritures divines que le débonnaire Jésus, qui durant tout le cours de sa vie mortelle faisait pour ainsi dire parade de sa bassesse, quand il sent approcher son heure dernière, ne parle plus que de gloire, n'entretienne plus ses disciples que de ses grandeurs. Il était à la veille de son infâme supplice. Déjà il avait célébré cette pâque mystérieuse qui devait être le lendemain achevée par l'effusion de son sang. Son traître disciple venait de sortir de sa chambre pour aller exécuter le détestable traité qu'il avait fait avec les pontifes. Sitôt qu'il se fut retiré de sa compagnie , mon Maître qui n'ignorait pas son perfide et exécrable dessein, comme s'il eût été saisi tout à coup d'une ardeur divine, parle de cette sorte aux apôtres : « Maintenant, maintenant, dit-il, le Fils de l'homme va être glorifié : » Nunc clarificatus est Filius hominis (1). Eh! mes frères, que va-t-il faire ? Que veut dire ce Maintenant, demande fort à propos en ce lieu l'admirable saint Augustin (2) ? Ya-t-il point peut-être s'élever dessus mie nuée pour foudroyer tous ses ennemis? Ou bien est-ce qu'il fera descendre des légions d'anges pour se faire adorer

 

1 Joan., XIII, 31. — 2 Tract. LXIII in Joan., n. 2.

 

(a) Note marg. : Je ne m'étonne plus, chrétiens, si le Fils de Dieu s'écarte bien loin, lorsque les peuples le cherchent pour le faire roi : Cùm cognovisset, quia venturi essent ut raperent eum, et facerent eum regem, fugit iterùm in montem ipse solus (Joan., VI, 15). La royauté qu'on lui veut donner n'est pas a sa mode. Ce peuple ébloui des grandeurs du monde, a honte de voir dans l'abjection celui qu'il reconnaît pour son Messie; et le veut placer dans un trône avec une magnificence royale. Une telle royauté n'est pas à son goût; et c'est pourquoi Tertullien a raison de dire : Regem denique fieri, conscius sui regni refugit ( De Idolatr., n. 18). Un roi pauvre, un roi de douleurs, qui s’est lui-même  destiné un trône où il ne peut s’établir une  royauté que par le mépris, n'a garde d'accepter une royauté qui tire son éclat des pompes mondaines. Donnez-lui plutôt une étable, une croix ; donnez-lui un roseau  fragile, donnez-lui une couronne d’épines.

 

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par tous les peuples du monde? Non, non, ne le croyez pas. Il va à la mort, au supplice, au plus cruel de tous les tournions, à la dernière des infamies; et c'est ce qu'il appelle sa gloire, c'est son règne, c'est son triomphe.

Regardez, je vous prie, mon Sauveur dans cette triomphante journée en laquelle il fait son entrée dans la ville de Jérusalem, peu de jours devant qu'il mourût. Il était monté sur un âne ; ah ! fidèles, n'en rougissons pas. Je sais bien que les grands de la terre se moqueraient d'un si triste et si malheureux équipage ; mais Jésus n'est pas venu pour leur plaire ; et quoi que puisse penser la folle arrogance des hommes, cet équipage d'humilité est certes bien digne d'un roi qui est venu au monde pour fouler aux pieds ses grandeurs. Ce n'est pas là toutefois ce que je vous veux faire considérer.

Jetez, jetez les yeux sur ce concours de peuple de toutes les conditions et de tous les âges, qui accourent au-devant de lui, des palmes et des rameaux à la main en signe de réjouissance, et qui pour faire paraître leur zèle à ce nouveau prince, dans une si sainte cérémonie, font retentir l'air de leurs cris de joie : « Béni soit, disaient-ils, le Fils de David ; vive le roi d'Israël ! » Hosanna Filio David ; benedictus qui venit in nomine Domini rex Israël (1) ! Et parmi ces bienheureuses acclamations il entre dans Jérusalem. Quel est ce nouveau procédé, si éloigné de sa conduite ordinaire ? Et depuis quand, je vous prie, aime-t-il les applaudissements, lui qui étant cherché autrefois par une grande multitude de gens qui s'étaient ramassés des villes et des bourgades voisines en résolution de le faire roi, comme je vous le rapportais tout à l'heure, s'était retiré tout seul au sommet d'une haute montagne pour éviter leur rencontre ? Il entend aujourd'hui tout ce peuple qui l'appelle hautement son roi ; les pharisiens jaloux l'avertissent d'imposer silence à cette populace échauffée : « Non, non, répond mon Sauveur ; les pierres le crieront, si ceux-ci ne le disent pas assez haut : » Si hi tacuerint, lapides clamabunt  (2). Que dirons-nous, je vous prie, d'un changement si inopiné ? Il approuve ce qu'il rejetait; il accepte aujourd'hui une royauté qu'il avait autrefois refusée. Ah ! n'en

 

1 Matth., XXI, 9; Joan. XII, 13. —  2 Luc., XIX, 40.

 

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cherchez point d'autre cause ; c'est qu'à cette dernière fois qu'il entre dans Jérusalem, il y entre pour y mourir; et mourir à mon Sauveur, c'est régner. En effet quand est-ce qu'on Ta vu paraître avec une contenance plus ferme et avec un maintien plus auguste que dans le temps de sa passion? Que je me plais de le voir devant le tribunal de Pilate, bravant pour ainsi dire la majesté des faisceaux romains par la générosité de son silence ! Que Pilate rentre tant qu'il lui plaira au prétoire pour interroger le Sauveur, il ne satisfera qu'à une seule de ses questions. Et quelle est cette question, mes frères? Admirez les secrets de Dieu. Le président romain lui demande s'il est véritable qu'il soit roi ; et le Fils de Dieu aussitôt, ayant ouï parler de sa royauté, lui qui n'avait pas encore daigné satisfaire à aucune des questions qui lui étaient faites par ce juge trop complaisant, ni même l'honorer d'un seul mot : « Oui certes, je suis roi, » lui dit-il d'un ton grave et majestueux : Tu dicis, quia rex sum ego (1) ; parole qui jusqu'alors ne lui était pas encore sortie de la bouche.

Considérez, s'il vous plaît, son dessein. Ce qu'il n'a jamais avoué parmi les applaudissements des peuples qui étaient étonnés et du grand nombre de ses miracles, et de la sainteté de sa vie , et de sa doctrine céleste, il commence à le publier hautement, lorsque le peuple demande sa mort par des acclamations furieuses. Il ne s'en est jamais découvert que par figures et paraboles aux apôtres, qui recevaient ses discours comme paroles de vie éternelle : il le confesse nûment au juge corrompu qui par une injuste sentence le va attacher à la croix. Il n'a jamais dit qu'il fût roi, quand il faisait des actions d'une puissance divine ; et il lui plaît de le déclarer, quand il est prêt de succomber volontairement à la dernière des infirmités humaines. N'est-ce pas faire les choses fort à contre-temps? Et néanmoins c'est la sagesse éternelle qui a disposé tous les temps. Mais, ô merveilleux contretemps! ô secret admirable de la Providence ! je vous entends, ô mon roi Sauveur ! C'est que vous mettez votre gloire à souffrir pour l’amour de vos peuples, et vous ne voulez pas que l'on vous parle de royauté que dans le même moment auquel par une mort

 

1 Joan., XVIII, 37.

 

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glorieuse vous allez délivrer vos misérables sujets d'une servitude éternelle. C'est alors, c'est alors que vous confessez que vous êtes roi. Bonté incroyable de notre roi ! Que le ciel et la terre chantent à jamais ses miséricordes. Et vous, ô fidèles de Jésus-Christ, bienheureux sujets de mon roi Sauveur, ô peuple de conquête que mon prince victorieux a acquis au prix de son sang, par quel amour et par quels respects pourrez-vous dignement reconnaître les libéralités infinies d'un roi si clément et si généreux?

Certes je ne craindrai pas de le dire, ce ne sont ni les trônes, ni les palais, ni la pourpre, ni les richesses, ni les gardes qui environnent le prince, ni cette longue suite de grands seigneurs, ni la foule des courtisans qui s'empressent autour de sa personne; non, non, ce ne sont pas ces choses que j'admire le plus dans les rois. Mais quand je considère cette infinie multitude de peuples qui attend de leur protection son salut et sa liberté; quand je vois que dans un Etat policé , si la terre est bien cultivée , si les mers sont libres, si le commerce est riche et fidèle, si chacun vit dans sa maison doucement et en assurance : c'est un effet des conseils et de la vigilance du prince ; quand je vois que comme un soleil sa munificence porte sa vertu jusque dans les provinces les plus reculées , que ses sujets lui doivent les uns leurs honneurs et leurs charges, les autres leur fortune ou leur vie, tous la sûreté publique et la paix, de sorte qu'il n'y en a pas un seul qui ne doive le chérir comme son père : c'est ce qui me ravit, chrétiens, c'est en quoi la majesté des rois me semble entièrement admirable; c'est en cela que je les reconnais pour les vivantes images de Dieu, qui se plaît de remplir le ciel et la terre des marques de sa bonté, ne laissant aucun endroit de ce monde vide de ses bienfaits et de ses largesses.

Eh ! dites-moi, je vous prie, dans quel siècle , dans quelles histoires, dans quelle bienheureuse contrée a-t-on jamais vu un monarque, je ne dis pas si puissant et si redoutable , mais si bon et si bienfaisant que le nôtre ? Le règne de notre prince, c'est notre bonheur et notre salut. « Ce qu'il daigne régner sur nous, c'est clémence, c'est miséricorde ; ce ne lui est pas un accroissement de puissance, mais c'est un témoignage de sa bonté : » Dignatio est,

 

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non promotio ; miserationis indicium , non potestatis augmentum dit l'admirable saint Augustin (1) Regardez cette vaste étendue de l’univers ; tout ce qu'il y a de lumières célestes, toutes les saintes inspirations, toutes les vertus et les grâces, c'est le sang du prince Sauveur qui les a attirées sur la terre. Autant que nous sommes de chrétiens, ne publions-nous pas tous les jours que nous n'avons rien que par lui ?

Ce peuple merveilleux que Dieu en sa bonté a répandu parmi tous les autres, peuple qui habite en ce monde et qui est étranger en ce monde, qui trafique en la terre afin d'amasser dans le ciel ; fidèles, vous m'entendez, c'est du peuple des élus que je parle, de la nation des justes et des gens de bien : que ne doivent-ils pas au Sauveur? Tous les particuliers de ce peuple, depuis l'origine du monde jusqu'à la consommation des siècles (voyez quelle grande étendue !), ne crient-ils pas jour et nuit et de toutes leurs forces à notre brave Libérateur : C'est vous qui avez brisé nos fers, c'est vous qui avez ouvert nos prisons ; votre mort nous a délivrés et de l'oppression et de la tyrannie ; votre sang nous a rachetés de la damnation éternelle. Par vous nous vivons, par vous nous respirons, par vous nous espérons, par vous nous régnons. Car la munificence de notre prince passe à un tel excès de bonté, qu'il fait des monarques de tous ses sujets ; il ne veut voir en sa Cour que des têtes couronnées.

Ecoutez, écoutez le bel hymne des vingt-quatre vieillards de l’ Apocalypse, qui représentent, à mon avis, toute l'universalité des fidèles de l'Ancien et du Nouveau Testament; douze pour les douze premiers patriarches, les pères de la synagogue ; et douze pour les douze apôtres, princes et fondateurs de l'Eglise. Ils sont rois, ils sont couronnés, et chantent avec une joie incroyable les louanges de l'Agneau sans tache immolé pour l'amour de nous. « O Agneau immolé, disent-ils, vous nous avez rachetés en votre sang ; vous nous avez faits rois et sacrificateurs à notre Dieu, et nous régnerons sur la terre ! » Et regnabimus super terram (2). O Dieu éternel ! chrétiens, quelle est la merveille de cette Cour ? Toutes les grandeurs humaines oseraient-elles paraître devant une

 

1 Tract. LI in Joan., n. 4. — 2 Apoc., V, 10.

 

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telle magnificence? Cet ancien admirateur de la vieille Rome (a) s'étonnait d'avoir vu dans cette ville maîtresse autant de rois, disait-il, que de sénateurs. Mes frères, notre Dieu tout-puissant nous appelle à un bien autre spectacle, dont nous ferons nous-mêmes partie. Dans cette Cour vraiment royale, dans cette nation élue, dans cette cité triomphante que Jésus a érigée par sa mort, je veux dire dans la sainte Eglise, je ne dis pas que nous y voyions lutant de rois que de sénateurs, mais je dis que nous y devons être autant de rois que de citoyens. Qui a jamais ouï parler d'une toile chose ? C'est tout un peuple de rois que Jésus a ramassés par son sang, que Jésus sauve, que Jésus couronne, qu'il fait régner en régnant sur eux, parce que «servir notre Dieu, c'est régner : » Servire Deo, regnare est (1). O royauté auguste du roi Sauveur, qui partage sa couronne avec les peuples qu'il a rachetés! ô mort vraiment glorieuse! ô sang utilement répandu! ô noble et magnifique conquête !

Quelques louanges que nous donnions aux victorieux, il ne laisse pas d'être véritable que les guerres et les conquêtes produisent toujours beaucoup plus de larmes qu'elles ne font naître de lauriers. Considérez, je vous prie, fidèles, les Césars et les Alexandres, et tous ces autres ravageurs de provinces que nous appelons conquérons : Dieu ne les envoie sur la terre que dans sa fureur. Ces braves, ces triomphateurs, avec tous leurs magnifiques éloges, ils ne sont ici-bas que pour troubler la paix du monde par leur ambition démesurée. Ont-ils jamais fait une guerre si juste, où ils n'aient opprimé une infinité d'innocents? Leurs victoires sont le deuil et le désespoir des veuves et des orphelins. Ils triomphent de la ruine des nations et de la désolation publique. Ah ! qu'il n'est pas ainsi de mon prince ! C'est un capitaine Sauveur, qui sauve les peuples parce qu'il les dompte, et il les dompte en mourant pour eux. Il n'emploie ni le fer ni le feu pour les subjuguer : il combat par amour; il combat par bienfaits, par des attraits tout-puissants, par des charmes invincibles.

 

1 S. Léo, Epist. ad Demetr., cap. IV.

 

(a) Cynéas, ambassadeur de Pyrrhus. Voy. Plutarch., Vit. Parall. in Pyrrh., et Flor., Rerum Roman., lib. I, cap. XVIII (Edit. de Déforis).

 

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Et c'est ce qu'explique divinement un excellent passage du psaume XLIVe, que je tâcherai de vous exposer. Renouvelez, s'il vous plaît, vos attentions. Le prophète en ce lieu considère Notre-Seigneur comme un prince victorieux ; et voyant en esprit qu'il devait assujettir sous ses lois un si grand nombre de peuples rebelles, il l'invite à prendre ses armes. « Mettez votre épée, lui dit-il, ô mon brave et valeureux capitaine : » Accingere gladio tuo super femur tuum (1). Et incontinent, comme s'il eût voulu corriger son premier discours par une seconde réflexion (ce sont les mouvements ordinaires de l'expression prophétique) : «Non, non, ce n'est pas ainsi, ô mon prince, ce n'est pas par les armes qu'il vous faut établir votre empire. » Comment donc ? « Allez , lui dit-il, allez, ô le plus beau des hommes, avec cette admirable beauté , avec cette bonne grâce qui vous est si naturelle, specie tuâ et pulchritudine tuâ (2) ; avancez, combattez et régnez ; » intende, prosperè procede et regna (3). Puis il continue ainsi son discours : « Que les flèches du Puissant sont perçantes ! tous les peuples tomberont à ses pieds. Ses coups portent tout droit au cœur des ennemis de mon roi : » Sagittœ Potentis acutœ (4). Après quoi il élève les yeux à la majesté de son trône et à la vaste étendue de son empire : Sedes tua, Deus, in sœculum sœculi (5) : « Votre trône , ô grand Dieu, est établi es siècles des siècles, » et le reste. Et que veut dire ce règne? Quelle est cette victorieuse beauté? Que signifient ces coups, et ces flèches, et ces peuples blessés au cœur? C'est ce qu'il nous faut expliquer avec l'assistance divine par une doctrine toute chrétienne, toute prise des Livres sacrés et des Ecritures apostoliques.

Mais, fidèles, je vous avertis que vos esprits ne soient point occupés d'une vaine idée de beauté corporelle, qui certes ne méritait pas d'entretenir si longtemps la méditation du prophète. Suivez, suivez plutôt ce tendre et affectueux mouvement de l'admirable saint Augustin: « Pour moi, dit ce grand personnage, quelque part où je voie mon Sauveur, sa beauté me semble charmante. Il est beau dans le ciel, aussi est-il beau dans la terre, beau dans le sein de son Père, beau entre les bras de sa mère. Il est beau dans

 

1 Psal. XLIV, 4. — 2 Ibid. 5. — 3 Ibid. — 4 Psal. CXIX, 4. — 5 Psal. XLIV, 7.

 

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les miracles, il ne l'est pas moins parmi les fouets. Il a une grâce nonpareille, soit qu'il nous invite à la vie, soit que lui-même il méprise la mort. Il est beau jusque sur la croix, il est beau même dans le sépulcre : » Pulcher in cœlo, pulcher in terra... ; pulcher in miraculis, pulcher in flagellis ; pulcher invitans ad vitam, pulcher non curans mortem...; pulcher in ligno, pulcher in sepulcro. « Que les autres, dit-il, en pensent ce qu'il leur plaira ; mais pour nous autres croyants, partout où il se présente à nos yeux, il est toujours beau en perfection : » Nobis credentibus ubique sponsus pulcher occurrat (1).

Surtout il le faut avouer, chrétiens, quoi que le monde croie de sa passion, quoique ces membres cruellement déchirés, et cette pauvre chair écorchée fasse presque soulever le cœur de ceux qui approchent de lui, quoique le prophète Isaïe ait prédit que dans cet état « il ne serait pas reconnaissable, qu'il n'aurait plus ni grâce ni même aucune apparence humaine : » Non est species ei, neque décor ; vidimus eum, et non erat aspectus (2) ; toutefois c'est dans ces linéaments effacés, c'est dans ces yeux meurtris, c'est dans ce visage qui fait horreur, que je découvre des traits d'une incomparable beauté. Sa douleur a non-seulement de la dignité, elle a de la grâce et de l'agrément.

Mais peut-être vous me direz : Quelle étrange imagination de chercher sa beauté parmi ses souffrances, qui ne lui laissent pas même la figure d'homme ! Que ne la regardez-vous bien plutôt dans sa merveilleuse transfiguration ou dans sa résurrection glorieuse? Ecoutez et comprenez ma pensée, et vous verrez que celte beauté est incomparable pour nous. Un soldat est couvert de grandes blessures qui semblent lui déshonorer le visage. Les délicats peut-être détourneront la vue de dessus ces plaies ; mais le prince les trouvera belles, parce que c'est pour son service qu'il les a reçues : ce sont de belles marques ; ce sont des cicatrices honorables, que la fidélité pour son roi et l'amour de la patrie embellit.

Donc, ô fidèles de Jésus-Christ, que les ennemis de mon Maître trouvent de la difformité dans ses plaies, certes je ne le puis

 

1 S. Auguste In Psal. XLIV, n. 3. — 2 Isa, LIII, 2.

 

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empêcher. Mais, « pour nous autres croyants, » nobis credentibus, comme disait tout à l'heure saint Augustin; pour moi, qui suis assuré que c'esl pour l'amour de moi qu'il est ainsi couvert de blessures, je ne puis être de leur sentiment. La véritable beauté de mon Maître ne lui peut être ravie ; non, non, ces cruelles meurtrissures n'ont pas défiguré ce visage, elles l'ont embelli à mes yeux. Si les blessures des sujets sont si belles aux yeux du prince, dites-moi, les blessures du prince quelles doivent-elles être aux yeux des sujets? Celles-ci sont mes délices; je les baise, je les arrose de larmes. L'amour que mon roi Sauveur a pour moi, qui a ouvert toutes ses plaies, y a répandu une certaine grâce qu'aucun autre objet ne peut égaler, un certain éclat de beauté qui transporte les âmes fidèles. Ne voyez-vous pas avec combien de douces complaisances elles y demeurent toujours attachées? Ce leur est un supplice que de les arracher de cet aimable objet. De là sortent ces flèches aiguës que David chante dans notre psaume ; de là ces traits de flamme invisible « qui percent les cœurs jusqu'au vif, » in corda inimicorum regis : « tellement qu'ils ne respirent plus autre chose que Jésus crucifié, » à l'imitation de l'Apôtre : Non judicari me scire aliquid inter vos nisi Jesum Christum, et hunc crucifixum (1). C'est ainsi que le roi Jésus se plaît de régner dans les cœurs.

C'est pourquoi je ne m'étonne pas si je ne vois dans sa passion que des marques de sa royauté. Oui, malgré la rage de ses bourreaux, ces épines font un diadème qui couronne sa patience; ce roseau fragile devient un sceptre en ses mains ; cette pourpre ridicule dont ils le couvrent, se changera en pourpre royale sitôt qu'elle sera teinte du sang de mon Maître. Lorsque j'entends le peuple crier que le Sauveur mérite la mort à cause qu'il s'est fait roi : Certes, dis-je incontinent en moi-même , ces furieux disent mieux qu'ils ne pensent ; car mon prince doit régner par sa mort. Quand il porte lui-même sa croix sur ses épaules innocentes, tout autre qu'un chrétien serait étonné de son impuissance ; mais le fidèle se doit souvenir de ce qu'a dit de lui Isaïe, « que sa domination, sa principauté est mise sur son épaule , » principatus super

 

1 I Cor., II, 2.

 

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humerum ejus (1). Qu'est-ce à dire, cet empire et cette principauté sur ses épaules? Ah ! ne l'entendez-vous pas? C'est sa croix. C'est ainsi que l'explique Tertullien dans le livre Contre les Juifs (2). Sa croix, c'est son sceptre ; sa croix, c'est son bâton d'ordonnance ; c'est elle qui rangera tous les peuples sous l'obéissance de Notre-Seigneur.

Et n'avez-vous jamais pris la peine de considérer ce beau titre que les ennemis de mon Maître attachèrent au-dessus de sa croix : JÉSUS DE NAZARETH , roi des Juifs , écrit en gros caractères et en trois sortes de langues, afin que la chose fût plus connue ? Il est vrai que les Juifs s'y opposent, mais Pilate l'écrit malgré eux. Qu'est-ce à dire ceci, chrétiens? Ce juge corrompu avait envie de sauver mon Maître , et il ne l'a condamné que pour plaire aux Juifs : les mêmes Juifs le pressent de changer ce titre ; il le refuse, il tient ferme, il n'a plus de complaisance pour eux. Quoi ! cet homme si complaisant, qui livre un innocent à la mort de crainte de choquer les Juifs, commence à devenir résolu pour soutenir trois ou quatre mots qu'il avait écrits sans dessein et qui parois-soient de si peu d'importance ! Remarquez tout ceci, s'il vous plaît : il est lâche et ferme, il est mol et résolu dans la même affaire, à l'égard des mêmes personnes. Grand Dieu , je reconnais vos secrets : il fallait que Jésus mourût en la croix, il fallait que sa royauté fût écrite au haut de la croix. Pilate exécute le premier par sa complaisance, et l'autre par sa fermeté. « O vertu ineffable de l'opération divine même dans le cœur des ignorants , s'écrie en cet endroit l'admirable saint Augustin (3) ! Ils ne savent tous ce qu'ils disent, et ils disent tous ce que veut mon Sauveur. » Une secrète vertu s'empare invinciblement de leur âme, et malgré leurs méchantes intentions exécute de très-sages et très-salutaires conseils. Caïphe en plein conseil de pharisiens, parlant de Notre-Seigneur, dit « qu'il est expédient qu'il meure, afin que toute la nation ne périsse pas. » Sa mort empêchera donc toute la nation de périr; il est donc le Sauveur de toute la nation, remarque très-à propos l'évangéliste saint Jean (4). Merveilleux jugement de Dieu!

 

1 Isa., IX, 6. — 2 Advers. Judœos; n. 10.— 3 Tract, CXVII in Joan., n. 5.— 4 Joan., XI, 50, 52.

 

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il pensait prononcer l'arrêt de sa mort, et il faisait une prophétie de sa gloire. Le même arriva à Pilate : il condamne le Fils de Dieu à la croix ; et voulant écrire selon la coutume la cause de son supplice, il dresse un monument à sa royauté. Tant il est vrai que Dieu a des ressorts infaillibles pour tourner où il lui plaît les cœurs de  ses ennemis et les faire concourir malgré qu'ils en aient à l'exécution de ses volontés! Parce que le règne du Sauveur devait commencer à la croix, il plaisait à notre grand Dieu que sa royauté y fût attestée par une écriture publique et de l'autorité du gouverneur de la province, qui servira sans y penser à la Providence

divine.

Ecrivez donc, ô Pilate, les paroles que Dieu vous dicte et dont vous n'entendez pas le mystère. Quoi que l'on vous puisse alléguer, gardez-vous de changer ce qui est déjà écrit dans le ciel ; que vos ordres soient irrévocables, parce qu'ils sont faits en exécution d'un arrêt immuable du Tout-Puissant. Que la royauté de Jésus soit écrite en langue hébraïque (1), qui est la langue du peuple de Dieu ; et en la langue grecque, qui est la langue des doctes et des philosophes ; et en la langue romaine, qui est celle de l'empire et du monde. Et vous, ô Grecs, inventeurs des arts; vous, ô Juifs, héritiers des promesses; vous, Romains, maîtres de la terre, venez lire cet admirable écriteau ; fléchissez le genou devant votre roi. Bientôt, bientôt vous verrez cet homme abandonné de ses propres disciples, ramasser tous les peuples sous l'invocation de son nom. Bientôt arrivera ce qu'il a prédit autrefois , qu'étant élevé hors de terre il attirera tout à soi et changera l'instrument du plus infâme supplice en une machine céleste pour enlever tous les cœurs : Et ego, cùm exaltatus fuero à terra, omnia traham ad meipsum (2). Bientôt les nations incrédules, èsquelles il étend ses bras, viendront recevoir parmi ses embrassements paternels cet aimable baiser de paix, qui selon les prophéties anciennes les doit réconcilier au vrai Dieu qu'elles ne connaissaient pas. Bientôt ce crucifié sera « couronné d'honneur et de gloire, à cause que par la grâce de Dieu il a goûté la mort pour tous, » comme dit la divine Epitre aux Hébreux (3) ; il verra

 

1 Joan., XIX, 20. — 2 Joan., XII, 32. — 3 Hebr., II, 9.

 

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naître de son sépulcre une belle postérité ; et sera glorieusement accompli ce fameux oracle du prophète Isaïe : « S'il donne son âme pour le péché, il verra une longue suite d'enfants : » Si posuerit pro peccato animam suam, videbit semen longœvum (1). « Cette pierre, rejetée de la structure du bâtiment, sera faite la pierre angulaire et fondamentale qui soutiendra tout le nouvel édifice (2) ; » et ce mystérieux grain de froment, qui représente notre Sauveur, étant tombé en terre (3), se multipliera par sa propre corruption; c'est-à-dire que le Fils de Dieu tombera de la croix dans le sépulcre, et par un merveilleux contre-coup « tous les peuples tomberont à ses pieds : » Populi sub te cadent, disait notre psaume (4).

Que je triomphe d'aise quand je vois dans Tertullien que déjà de son temps le nom de Jésus, si près de la mort de notre Sauveur et du commencement de l'Eglise, déjà le nom de Jésus était adoré par toute la terre, et que dans toutes les provinces du monde qui pour lors étaient découvertes, le Sauveur y avait un nombre infini de sujets ! « Nous sommes, dit hautement ce grand personnage, presque la plus grande partie de toutes les villes, » pars penè major civitatis cujusque (5). Les Parthes invincibles aux Romains, les Thraces antinomes, comme les appelaient les anciens, c'est-à-dire gens impatiens de toute sorte de lois , ont subi volontairement le joug de Jésus. Les Mèdes, les Arméniens, et-les Perses, et les Indiens les plus reculés ; les Maures et les Arabes, et ces vastes provinces de l'Orient ; l'Egypte et l'Ethiopie, et l'Afrique la plus sauvage; les Scythes toujours errants, les Sarmates, les Gétuliens, et la Barbarie la plus inhumaine a été apprivoisée par la doctrine modeste du Sauveur Jésus. L'Angleterre, ah! la perfide Angleterre , que le rempart de ses mers rendait inaccessible aux Romains, la foi du Sauveur y est abordée : Britannorum inaccessa Romanis loca, Christo vero subdita (6). Que dirai-je des peuples des Espagnes, et de la belliqueuse nation des Gaulois, l'effroi et la terreur des Romains, et des fiers Allemands, qui se vantaient de ne craindre autre chose sinon que le ciel tombât sur leurs têtes?

 

1 Isa., LIII, 10.— 2 Psal. CXVII, 22. — 3 Joan., XII, 24. — 4 Psal. XLIV, 6. — 5 Ad Scapul., n. 2. — 6 Tertull., Advers. Judaes, n. 7.

 

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Ils sont venus à Jésus, doux et simples comme des agneaux, demander pardon humblement, poussés d'une crainte respectueuse. Rome même, cette ville superbe qui s'était si longtemps enivrée du sang «les martyrs de Jésus, Rome la maîtresse a baissé la tête et a porté plus d'honneur au tombeau d'un pauvre pêcheur, qu'aux temples de son Romulus : Ostendatur mihi Romœ tanto in honore templum Romuli, in quanto ibi ostendo Memoriam Petri (1).

Il n'y a point d'empire si vaste qui n'ait été resserré dans quelques limites. Jésus règne partout, dit le grave Tertullien; c'est dans le livre Contre les Juifs, duquel j'ai tiré presque tout ce que je viens de vous dire de l'étendue du royaume de Dieu. «Jésus règne partout, dit-il, Jésus est adoré partout. Devant lui la condition des rois n'est pas meilleure que celle des moindres esclaves. Scythes ou Romains, Grecs ou Barbares, tout lui est égal, il est égal à tous, il est roi de tous, il est le Seigneur et le Dieu de tous : » Christi regnum et nomen ubique porrigitur; ubique regnat, ubique adoratur ; non regis apud illum major gratia, non barbari alicujus inferior lœtitia; omnibus œqualis, omnibus rex, omnibus Deus et Dominus est (2). Et ce qui est de plus admirable, c'est que ce ne sont point les nobles et les empereurs qui lui ont amené les simples et les roturiers ; au contraire il a amené les empereurs par l'autorité des pêcheurs. Il a permis que les empereurs avec toute la puissance du monde résistassent à sa pauvre Eglise par toute sorte de cruautés, afin de faire voir qu'il ne tenait pas son royaume de l'appui ni de la complaisance des grands. Mais quand il lui a plu d'abaisser à ses pieds la majesté de l'empire : Venez, venez à moi, ô Césars ; assez et trop longtemps vous avez persécuté mon Eglise ; entrez vous-mêmes dans mon royaume, où vous ne serez pas plus considérables que les moindres de vos sujets. A même temps Constantin, ce triomphant empereur, obéissant à la Providence, éleva l'étendard de la croix au-dessus des aigles romaines, et par toute l'étendue de l'empire la paix fut rendue aux Eglises.

Où êtes-vous, ô persécuteurs? Que sont devenus ces lions

 

1 S. August., In Psal. XLIV, 23. — 2 Tertull., Advers. Judaeos, n. 7.

 

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rugissants qui voulaient dévorer le troupeau du Sauveur? Mes frères, ils ne sont plus; Jésus les a défaits ; «ils sont tombés à ses pieds : » Popidi sub te cadent. Il en est arrivé comme de saint Paul. « Jésus fit mourir son persécuteur, et mit en sa place un disciple : » Occisus est inimicus Christi, vivit discipulus Christi, dit saint Augustin (1). Ainsi ces peuples farouches qui frémissoient comme des lions contre les innocents agneaux de Notre-Seigneur, ils ne sont plus, ils sont morts; «Jésus les a frappés au cœur, » in corda inimicorum. «C'était dans le cœur qu'ils s'élevaient contre lui, c'est dans le cœur qu'il les a abaissés : » Càdunt in corde ; ibi se erigebant adversùs Christum, ibi cadunt ante Christum. « Les flèches de mon Maître ont percé le cœur de ses ennemis : » Sagittœ Potentis acutœ in corda inimicorum regis. Il les a blessés de son saint amour. « Les ennemis sont défaits, mon Sauveur en a fait des amis : » Ceciderunt; ex inimicis amici facti sunt; inimici mortui sunt, amici vivunt (2). Et comment cela? « Par la croix : » Domuit orbem, non ferro, sed ligno (3). « Le royaume qui n'était pas de ce monde a dompté le monde superbe, non par la fierté d'un combat, mais par l'humilité de la patience : » Regnum quod de hoc mundo non erat, superbum mundum non atrocitate pugnandi, sed patiendi humilitate vincebat (4).

C'est pourquoi dans ce même temps, faites avec moi cette dernière remarque ; dans ce même temps, dis-je, dans lequel la paix étant donnée à l'Eglise tout ne respirait que Jésus, on lui élevait des temples de tous côtés, on renversait les idoles par toute la terre ; dans ce même temps où les vénérables évêques, qui sont les princes de son empire, s'assemblèrent de toutes parts à Nicée pour y tenir les premiers états généraux de tout le royaume de Jésus-Christ, dans lesquels toutes les provinces du monde confessèrent sa divinité; dans ce même temps la croix précieuse à laquelle avait été pendu le Sauveur, croix qui jusqu'alors avait été cachée, et peut-être que la Providence divine jugeait que la croix de Notre-Seigneur paraissait assez en ses membres durant la persécution des fidèles : la croix donc jusqu'alors cachée, pesez

 

1 S. August., In Psal. XLIV, n. 16. — 2 Ibid. — 3 In Psal. XCV, n. 2. — 4  S. August., Tract, in Joan., CXVI, n. 1.

 

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toutes ces circonstances, fut découverte en ce temps par de grands et extraordinaires miracles ; elle fut reconnue, elle fut adorée. Et ce n'est point ici une histoire douteuse ; elle doit être approuvée par tous ceux qui aiment les antiquités chrétiennes, dans lesquelles nous la voyons très-évidemment attestée. Eh ! penseriez-vous bien, chrétiens, qu'une chose si mémorable, si célèbre parmi les Pères, soit arrivée en ce temps sans quelque profond conseil de la sagesse éternelle? Cela est hors de toute apparence. Que dirons-nous donc en cette rencontre ? C'est que tout le monde est dompté, tout a fléchi sous les lois du Sauveur.

Paraissez, paraissez, il est temps, ô croix qui avez fait cet ouvrage ; c'est vous qui avez brisé les idoles, c'est vous qui avez subjugué les peuples, c'est vous qui avez donné la victoire aux valeureux soldats de Jésus qui ont tout surmonté par la patience. Vous serez gravée sur le front des rois, vous serez le principal ornement de la couronne des empereurs, ô croix qui êtes la joie et l'espérance de tous les fidèles. Concluons donc de tout ce discours que la croix est un trône magnifique, que le nom de Jésus est un nom bien digne d'un roi, et qu'un Dieu descendant sur la terre pour vivre parmi les hommes, n'y pouvait rien faire de plus grand, rien de plus royal, rien de plus divin que de sauver tout le genre humain par une mort généreuse.

 

SECOND  POINT.

 

Et plût à Dieu, chrétiens, que pour achever de vous faire voir la gloire de cette mort, il me restât assez de loisir pour vous entretenir quelque temps de la qualité de pontife que Notre-Seigneur a si bien méritée ! C'est là que suivant la doctrine toute céleste de l'incomparable Epître aux Hébreux, par la comparaison du sacerdoce de la loi mosaïque, je tâcherais de vous faire connaître la dignité infinie de la prêtrise de Jésus-Christ. Vous verriez Aaron portant à un autel corruptible des génisses et des taureaux, et Jésus pontife et victime présentant devant le trône de Dieu sa chair formée par le Saint-Esprit, oblation sainte et vivante pour l'expiation de nos crimes. Vous verriez Aaron dans un tabernacle mortel effaçant quelques immondices légales et

 

 

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certaines irrégularités de la loi par le sang des animaux égorgés, et Jésus à la droite de la majesté faisant par la vertu de son sang la vraie purification de nos âmes. Vous verriez Aaron consacré par un sang étranger, comme il est écrit dans le Lévitique (1), et « par ce même sang étranger, » in sanguine alieno, dit l'Apôtre (2), entrer dans le sanctuaire bâti de main d'homme ; et Jésus consacré par son propre sang, entrer aussi par son propre sang dans le sanctuaire éternel, dont il ouvre la porte à ses serviteurs. Vous verriez, ô l'admirable  spectacle pour des âmes vraiment chrétiennes! vous verriez d'une part tous les hommes révoltés ouvertement contre Dieu ; et d'autre part la justice divine prête à les précipiter dans l'abîme en la compagnie des démons, desquels ils avaient suivi les conseils et imité la présomption, lorsque tout à coup ce saint, ce charitable pontife, ce pontife fidèle et compatissant à nos maux, paraît entre Dieu et les hommes. Il se présente pour porter les coups qui allaient tomber sur nos têtes, il répand son sang sur les hommes, il lève à Dieu ses mains innocentes ; et pacifiant ainsi le ciel et la terre, il arrête le cours de la vengeance divine et change une fureur implacable en une éternelle miséricorde. Vous verriez comme tous les fidèles deviennent prêtres et sacrificateurs par le sang précieux de Jésus, par lequel ils sont consacrés. Je vous les représenterais, ces nouveaux sacrificateurs, revêtus d'une étole céleste, blanchis dans les eaux du baptême et dans le sang de l'Agneau, officiant tous ensemble non sur un autel de matière terrestre, mais sur cet autel céleste qui représente le Fils de Dieu (3); et là charger cet autel de victimes spirituelles, c'est-à-dire de prières ferventes, de cantiques de louange et de pieuses actions de grâces, qui de toutes les parties de la terre montent de dessus ce mystérieux autel devant la face de Dieu, ainsi qu'un parfum agréable et un sacrifice de bonne odeur, au nom de notre Seigneur Jésus-Christ, grand prêtre et sacrificateur éternel selon l'ordre de Melchisédech.

Et que ne dirions-nous pas de cet incomparable pontife, de ce médiateur du Nouveau Testament, par qui seul toutes les oraisons sont bien reçues, par qui les péchés sont remis, par qui toutes les

 

1 Levit., VIII. — 2 Hebr., IX, 25. — 3 Apoc., VIII, 3.

 

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grâces sont entérinées, qui par une nouvelle alliance a rompu le damnable traité que nous avions fait avec l'enfer et la mort, selon ce que dit Isaïe : Delebitur fœdus vestrum cum morte, et pactum vestrum cum inferno non stabit (1). C'est ce que nous dirions, chrétiens. Puis joignant cette doctrine tout apostolique à ce que nous venons de prêcher de la royauté du Sauveur, nous conclurions hautement dans l'épanchement de nos cœurs que le nom de Jésus, qui enferme toutes ces merveilles, est un nom au-dessus de tout nom, comme l'Apôtre l'enseigne aux Philippiens (2) ; et « qu'il était bien convenable, selon le même Apôtre aux Hébreux (3), que Dieu dédiât et consacrât par sa passion le prince de notre salut. » Mais puisqu'il a plu à celui qui nous inspire dans cette chaire de vérité, de nous fournir assez de pensées pour remplir tout cet entretien de la royauté de Jésus, fidèles, demeurons-en là, en attendant que la Providence divine nous fasse tomber sur la même matière, et tirons-en quelques instructions pour l'édification de nos âmes.

Donc, ô peuples de Jésus-Christ, si le Fils de Dieu est votre vrai roi, songez à lui rendre vos obéissances. Rappellerai-je ici de bien loin la mémoire des siècles passés, pour vous faire voir comme les bons princes ont été les délices de leurs sujets ? Que n'ont pas fait les peuples pour les rois qui ont sauvé leurs pays, les vrais pères de la patrie ? Ah I il y a dans nos cœurs je ne sais quelle inclination naturelle pour les princes que Dieu nous donne, que ni les disgrâces ni aucun mauvais traitement ne peut arracher aux âmes bien nées. Qu'il est aisé aux rois de la terre de gagner l'affection de leurs peuples ! Un souris, un regard favorable, un visage ouvert et riant satisfait quelquefois les plus difficiles. In hilaritate vultùs regis vita, disait autrefois le Sage (4) : « La vie est dans les regards du prince, quand on les a sereins et tranquilles. » Peuples, c'est une chose certaine, vous le savez; un gouvernement doux et équitable, une puissance accompagnée de bonté et d'une humeur bienfaisante, charme les âmes les plus sauvages. C'est un sentiment commun parmi les hommes d'honneur, que pour de tels princes la vie même est bien employée.

 

1 Isa., XXVIII, 18. — 2 Philip., II, 9. — 3 Hebr., II, 10. — 4 Prov., XVI, 15.

 

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Il n'y a que le roi Jésus à qui la douceur et les largesses ne servent de rien. Il a beau nous ouvrir ses bras pour nous embrasser ; il a beau nous obliger, non par de vaines caresses, mais par des bienfaits effectifs ; nous sommes de glace pour lui, nous aimons mieux nous repaître des frivoles apparences du monde que de l'amitié solide qu'il nous promet. Ah ! pourrai-je bien vous dire avec combien de soin il a recherché notre amour ? Il est notre roi par naissance, il l'est de droit naturel ; il a voulu l'être par amour et par bienfaits. Il faut, dit-il, que je les délivre, ces misérables captifs. Je pourrais bien le faire autrement ; mais je veux les sauver en mourant pour eux, afin de les obliger à m'aimer. J'irai au péril de ma vie, j'irai avec la perte de tout mon sang les arracher de la mort éternelle. N'importe, je le ferai volontiers ; pourvu seulement qu'ils m'aiment, je ne leur demande point d'autre récompense. Je les ferai régner avec moi.

Eh ! mes frères, dites-moi, je vous prie, que nous a fait Jésus, le meilleur des princes, qu'avec une telle bonté il ne peut gagner nos affections, il ne peut amollir la dureté de nos cœurs ? Certes, peuple de Metz, je vous donnerai cet éloge, que vous êtes fidèle à nos rois. On ne vous a jamais vu entrer, non pas même d'affection, dans les divers partis qui se sont formés contre leur service. Votre obéissance n'est pas douteuse, ni votre fidélité chancelante. Quand on parlait ces jours passés de ces lâches qui avaient vendu aux ennemis de l'Etat les places que le roi leur a confiées, on vous a vu frémir d'une juste indignation. Vous les nommiez des traîtres, indignes de voir le jour, pour avoir ainsi lâchement trompé la confiance du prince et manqué de foi à leur roi. Fidèles aux rois de la terre, pourquoi ne sommes-nous traîtres qu'au Roi des rois ? Pourquoi est-ce qu'il n'y a qu'envers lui que le nom de perfides ne nous déplaît pas, qui serait le plus sensible reproche que l'on nous put faire en toute autre rencontre ?

Mes frères, le roi Jésus nous a confié à tous une place qui lui est de telle importance, qu'il l'a voulu acheter par son sang ; cette place, c'est notre âme, qu'il a commise à notre fidélité. Nous sommes obligés de la lui garder par un serment inviolable que nous lui avons prêté au baptême. Il l'a munie de tout ce qui est

 

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nécessaire, au dedans par ses grâces et son Saint-Esprit, au dehors par la protection angélique. Rien n'y manque, elle est imprenable , elle ne peut être prise que par trahison. Traîtres et perfides que nous sommes, nous la livrons à Satan, nous vendons à Satan le prix du sang de Jésus ; à Satan son ennemi capital, qui a voulu envahir son trône, qui n'ayant pas pu réussir au ciel dans son audacieuse entreprise, est venu sur la terre lui disputer son royaume et se faire adorer en sa place. O perfidie ! ô indignité ! c'est pour servir Satan que nous trahissons notre prince crucifié pour nous, notre unique libérateur.

Figurez-vous, chrétiens, qu'aujourd'hui au milieu de cette assemblée paraît tout à coup un ange de Dieu qui fait retentir à nos oreilles ce que disait autrefois Elie aux Samaritains : « Peuples, jusqu'à quand chancellerez-vous entre deux partis?» Quousque claudicatis in duos partes (1) ? Si le Dieu d'Israël est le vrai Dieu, il faut l'adorer ; si Baal est Dieu, il faut l'adorer. Chers frères, les prédicateurs sont les anges du Dieu des armées. Je vous dis donc aujourd'hui à tous, et Dieu veuille que je me le dise à moi-même comme il faut : Quousque claudicatis ? « Jusqu'à quand serez-vous chancelants ?» Si Jésus est votre roi, rendez-lui vos obéissances; si Satan est votre roi, rangez-vous du côté de Satan. Il faut prendre parti aujourd'hui. Ah ! mes frères, vous frémissez à cette horrible proposition. A Jésus, à Jésus! dites-vous; il n'y a pas ici lieu de délibérer. Et moi, nonobstant ce que vous me dites, je réitère encore la même demande : Quousque claudicatis in duas partes ? Eh ! serez-vous à jamais chancelants, sans prendre parti comme il faut? « Si je suis votre maître, dit le Seigneur par la bouche de son prophète, où est l'honneur que vous me devez (2) ? » « Et pourquoi m'appelez-vous Seigneur, et ne faites pas ce que je vous dis, » dit Notre-Seigneur en son Evangile (3)? Que voulez-vous que l'on croie, ou nos paroles, ou nos actions ?

Le Fils de Dieu nous ordonne que nous approchions de son Père en toute pureté et en tempérance. Et pourquoi donc tant d'infâmes désirs? Pourquoi tant d'excessives débauches? Il nous ordonne d'être charitables; et, fidèles, la charité pourra-t-elle jamais

 

1 III Reg., XVIII, 21. — 2 Malach., I, 6. — 3 Matth. VII, 21.

 

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s'accorder avec nos secrètes envies, avec nos médisances continuelles, avec nos inimitiés irréconciliables? Le Fils de Dieu nous ordonne de soulager les pauvres autant que nous le pourrons ; et nous ne craignons pas de consumer la substance du pauvre ou par de cruelles rapines, ou par des usures plus que judaïques : Quousque claudicatis ? Mes frères, il ne faut plus chanceler; il faut être tout un ou tout autre. Si Jésus est notre roi, donnons-lui nos œuvres comme nous lui donnons nos paroles. Si Satan est notre roi, ô chose abominable ! mais la dureté de nos cœurs nous contraint de parler de la sorte; si Satan est notre roi, ne lui refusons pas nos paroles après lui avoir donné nos actions. Mais à Dieu ne plaise, mes frères, que jamais nous fassions un tel choix ! Et comment pourrions-nous supporter les regards de cet Agneau sans tache, meurtri pour l'amour de nous? Dans cette terrible journée, où ce roi descendra en sa majesté juger les vivants et les morts, comment soutiendrions-nous l'aspect de ses plaies qui nous reprocheraient notre ingratitude ? Où trouverions-nous des antres assez obscurs et des abîmes assez profonds, pour cacher une si noire perfidie? Et comment souffririons - nous les reproches de cette tendre amitié si indignement méprisée, et la voix effroyable du sang de l'Agneau qui a crié pour nous sur la croix pardon et miséricorde, et dans ce jour de colère criera vengeance contre notre foi mal gardée et contre nos serments infidèles?

O Dieu éternel! combien dur, combien insupportable sera ce règne que Jésus commencera en ces jours d'exercer sur ses ennemis! Car enfin, fidèles, il est nécessaire qu'il règne sur nous. L'empire des nations lui est promis par les prophéties. S'il ne règne sur nos âmes par miséricorde, il y régnera par justice; s'il n'y règne par amour et par grâce, il y régnera par la sévérité de ses jugements et par la rigueur de ses ordonnances. Et que diront les méchants, quand ils sentiront, malgré qu'ils en aient, leur roi en eux-mêmes appesantir sur eux son bras tout-puissant ; lorsque Dieu frappant d'une main, soutenant de l'autre, les brisera éternellement de ses coups sans les consumer? Et ainsi toujours vivants et toujours mourants, immortels pour leur peine, trop forts pour mourir, trop faibles pour supporter, ils gémiront à jamais sur des lits de

 

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flammes, outrés de furieuses et irrémédiables douleurs; et poussant parmi des blasphèmes exécrables mille plaintes désespérées, ils confesseront par une pénitence tardive qu'il n'y avait rien de si raisonnable que de laisser régner Jésus sur leurs âmes. Dignes certes des plus horribles supplices, pour avoir préféré la tyrannie de l'usurpateur à la douce et légitime domination du prince naturel. O Dieu et Père de miséricorde, détournez ces malheurs de dessus nos têtes.

Mes frères, ne voulez-vous pas bien que je renouvelle aujourd'hui le serment de fidélité que nous devons tous à notre grand roi ? O roi Jésus, à qui nous appartenons à si juste titre, qui nous avez rachetés par un prix d'amour et de charité infinie, je vous reconnais pour mon souverain. C'est à vous seul que je me dévoue. Votre amour sera ma vie, votre loi sera la loi de mon cœur. Je chanterai vos louanges, jamais je ne cesserai de publier vos miséricordes. Je veux vous être fidèle, je veux être à vous sans réserve, je veux vous consacrer tous mes soins, je veux vivre et mourir à votre service. Amen.

 

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