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PREMIER SERMON
POUR LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS.

 

(première rédaction) (a).

 

Omnia vestra sunt, vos autem Christi.

 

Tout est à vous, et vous êtes à Jésus-Christ, dit le grand Apôtre, parlant aux justes. I Cor., III, 22 et 23.

 

Si nous employions à penser aux intérêts qui nous sont préparés dans le ciel la moitié du temps que nous perdons à songer aux vains intérêts de ce monde, nous ne vivrions pas comme nous bisons dans un mépris si extravagant des affaires de notre salut. Mais c'est une des punitions de notre péché : ce tyran ne s'est pas contenté de nous faire perdre le royaume dans l'espérance duquel

 

(a) Bossuet a écrit deux fois ce sermon.

La première rédaction a été faite vers 1653 : plusieurs marques indiquent cette date. Accumulant les textes sacrés, l'auteur parle autant latin que français : défaut qu'il trouva régnant à son début dans la carrière apostolique, et qu'il devait détruire lui-même; il se sert aussi d'expressions qui allaient vieillissant depuis le commencement du XVIIe siècle, et qu'il a bannies plus tard. Il dit, pax exemple : « Souffrirez-vous pas bien? pensons-nous pas quel Cependant que, prenez garde de vous le pas représenter, » pour, de vous le représenter; « quasi pas, quasi plus, quasi rien, quasi toujours; châteaux enchantés de qui les poètes disent; considérer en gros; il (Dieu) n'y trouve rien à raccommoder (à la création), il régalera les élus dans te banquet de la gloire; il faudra que l'abondance divine se débonde; les grands hommes qui ont planté l'Eglise par leur sang. »

Bossuet écrivit de nouveau le sermon sur les bienheureux vers 1657. Dans l'œuvre retouchée, les textes bibliques occupent moins de place et les expressions surannées se produisent plus rarement. L'écriture du manuscrit révèle elle-même une époque plus récente; à peine reconnaissables dans la première rédaction, les caractères commencent à prendre dans la dernière de» formes plus nettes el pins distinctes.

Les premiers éditeurs ont mêlé el juxtaposé les deux rédactions pour n'en  former qu'une seule œuvre oratoire. Après avoir mélangé les deux exordes, ils ont fait un premier point avec le premier sermon, puis un deuxième et un troisième point avec le dernier. Dans cette disposition, les deux derniers points ne sont que la répétition du premier. D'ailleurs le sujet ne comporte que deux points : les élus, 1° le dernier accomplissement de l'œuvre de Dieu, 2° la dernière fin de l’oeuvre de Jésus-Christ.

 

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nous avions été élevés, il nous a tellement ravalé le courage que nous n'osons plus prétendre à sa conquête, quelque secours qu'on nous offre pour y rentrer. A peine nous en a-t-il laissé un léger souvenir; ou, s'il nous en demeure encore quelque vieille idée qui ait échappé à cette commune ruine, cette idée. Messieurs, n'a pas assez de force pour nous émouvoir, elle nous touche moins que les imaginations de nos songes. Ce qui est plus cruel, c'est qu'il ne nous donne pas seulement le loisir de penser à nous. Il nous entretient toujours par de vaines flatteries (a) ; et comme il n'a rien qui nous puisse entièrement arrêter, toute sa malice se tourne à nous jeter dans une perpétuelle inconstance, tantôt d'un côté, tantôt d'un autre, et nous faire passer Cette misérable vie dans un enchaînement infini de désirs incertains (b) et de prétentions mal fondées. Cela fait que nous ne concevons qu'à demi ce qui regarde l'autre vie; ces vérités ne tiennent quasi pas à notre âme déjà préoccupée des erreurs des sens. En quoi nous sommes semblables à ces insensés desquels parle le Sage, qui sans considérer les grands desseins de Dieu sur les saints, s’imaginaient qu'ils fussent enveloppés dans le même destin que les impies, parce qu'ils les voyaient sujets à la même nécessité de la mort : Videbunt finem sapientis, et non intelligent quid cogitaverit de eo Dominus (1). Souffrirez-vous pas bien, Messieurs, pour nous délivrer de ce blâme, que nous donnions un peu de temps à admirer la providence de Dieu sur les saints? Certes nous ne pouvons rien dire qui contribue plus à leur gloire ni à notre édification. Connue c'est l'endroit par où (c) il estime plus leur félicité, aussi doit-ce être ce qui nous excite davantage.

Voyons donc dans ce discours les grandes choses que Dieu s'est proposé de faire en ses saints, quid cogitaverit de illis Dominus; comme il les a regardés dans toutes ses entreprises : Quae sit magnitudo virtutis ejus in nos qui credimus (2); comme il les a inséparablement attachés à la personne de son Fils, afin d'être obligés de le traiter comme lui : Vos autem Christi. Après avoir établi ces vérités, il ne me sera pas beaucoup difficile de vous

 

1 Sap., IV, 17. — 2 Ephes., I, 19.

 

(a) Var.: Prétentions.— (b) Vagues. — (c)  Par lequel.

 

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persuader des merveilles qu'il opérera dans l'exécution de ce grand dessein. Ce que je tâcherai de faire fort brièvement en concluant ce discours. Je vous prie d'implorer avec moi l'assistance du Saint-Esprit, par l'intercession de la sainte Vierge.

 

PREMIER POINT.

 

Pour nous représenter quelle sera la félicité des enfants de Dieu en l'autre vie. il tant considérer premièrement en gros combien elle doit être grande et inconcevable, afin de nous en imprimer l'estime; et après il faut voir en quoi elle consiste, pour avoir quelque connaissance de ce que nous désirons.

Pour ce qui regarde la première considération, nous la pouvons prendre de la grandeur de Dieu et de l'affection avec laquelle il a entrepris de donner la gloire à ses enfants. C'est une chose prodigieuse de voir l'exécution des desseins de Dieu. Il renverse en moins de rien les plus hautes entreprises; tous les éléments changent de nature pour lui servir; enfin il fait paraître dans toutes ses actions qu'il est le seul Dieu et le créateur du ciel et de la terre. Or il s'agit ici de l'accomplissement du plus grand dessein de Dieu et qui est la consommation de tous ses ouvrages.

        Toute cause intelligente se propose une fin de son ouvrage. Or la fin de Dieu ne peut être que lui-même. Et comme il est souverainement abondant, il ne peut retirer aucun profit de l'action qu'il exerce, autre que la gloire qu'il a de faire du bien aux autres et de manifester l'excellence de sa nature; et cela parce qu'il est bien digne de sa grandeur de faire largesse de ses trésors, et que d'autres se ressentent de son abondance. Que s'il est vrai qu'il soit de la grandeur de Dieu de se répandre, sans doute son plus grand plaisir ne doit pas être de se communiquer aux natures insensibles. Elles ne sont pas capables de reconnaître ses faveurs, ni de regarder la main de qui elles tirent leur perfection. Elles reçoivent, mais elles ne savent pas remercier. C'est pourquoi quand il leur donne, ce n'est pas tant à elles qu'il veut donner qu'aux natures intelligentes, à qui il les destine. Il n'y a que celles-ci à qui il ait donné l'adresse d'en savoir user. Elles seules en connaissent le prix; il n'y a qu'elles qui en puissent bénir l'auteur. Puis donc

 

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que Dieu n'a donné qu'aux natures intelligentes la puissance de s'en servir, sans doute ce n'est que pour elles qu'il les a faites. Aussi l'homme est établi de Dieu comme leur arbitre; et si le péché n'eût point ruiné cette disposition admirable du Créateur dès son commencement, nous verrions encore durer cette belle république. Dieu donc a fait pour les créatures raisonnables les natures inférieures. Et quant aux créatures intelligentes, il les a destinées à la souveraine béatitude, qui regarde la possession du souverain bien; il les a faites immédiatement pour soi-même. Voilà donc l'ordre de la Providence divine, de faire les choses insensibles et privées de connaissance pour les intelligentes et raisonnables, et les raisonnables pour la possession de sa propre essence. Donc ce qui regarde la souveraine béatitude, est le dernier accomplisse ment des ouvrages de Dieu. C'est pourquoi dans le dernier jugement Dieu dit à ses élus : « Venez, les bien-aimés de mon Père, au royaume qui vous est préparé dès la constitution du monde (1). » Il dit bien aux malheureux : « Allez au feu qui vous est préparé (2), » mais il ne dit pas qu'il fût préparé dès le commencement du monde. Cela ne veut dire autre chose, sinon que la création de ce monde n'était qu'un préparatif de l'ouvrage de Dieu, et que la gloire de ses élus en serait le dernier accomplissement. Comme s'il disait : Venez, les bien-aimés de mon Père; c'est vous qu'il regardait quand il faisait le monde, et il ne faisait alors que vous préparer un royaume.

Que si nous venons à considérer la qualité de la Providence, nous le jugerons encore plus infailliblement. La parfaite prudence ne se doit proposer qu'une même fin, d'autant que son objet est de mettre l'ordre partout; et l'ordre ne se trouve que dans la disposition des moyens et dans leur liaison avec la fin. Ainsi elle doit tout ramasser pour paraître universelle, tout digérer par ordre pour paraître sage, tout lier pour paraître uniforme; et c'est pourquoi il y doit avoir une dépendance de tous les moyens, afin que le corps du dessein soit plus ferme et que toutes les parties s'entretiennent. L'imparfait se doit rapporter au parfait, la nature à la grâce, la grâce à la gloire. C'est pourquoi si les cieux se meuvent

 

1 Matth., XXV, 34. — 2 Ibid., 41.

 

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de ces mouvements éternels, si les choses inférieures se maintiennent par ces agitations si réglées, si la nature fait voir dans les différentes saisons ses propriétés diverses, ce n'est que pour les élus de Dieu que tous les ressorts se remuent. Les peuples ne durent que tant qu'il y a des élus à tirer de leur multitude : Constituit terminos populorum juxta numerum filiorum Israël (1). Les éléments et les causes créées ne persistent que parce que Dieu a enveloppé ses élus dans leur ordre, et qu'il les veut faire sortir de leurs actions. « Aussi elles sont comme dans les douleurs de l'enfantement : » Omnis creatura ingemiscit et parturit usque adhuc (2). « Elles attendent «avec impatience que Dieu fasse la découverte de ses enfants : » Revelationem filiorum Dei expectat (3). L'auteur de leur nature, qui leur a donné leurs inclinations, leur a imprimé un amour comme naturel de ceux à qui il les a destinées. Elles ne font point encore de discernement; c'est à Dieu de commencer, c'est à lui à faire voir ceux qu'il reconnaît pour ses enfants légitimes. Et quand il les aura marqués, qu'il aura débrouillé cette confusion qui les mêle, elles tourneront toute leur fureur contre ses ennemis : Pugnabit cum eo orbis terrarum contra insensatos (4). Elles se soumettront volontiers à ses enfants : Omnis creatura ingemiscit et parturit usque adhuc....., revelationem expectans filiorum Dei.

Si nous allons encore plus avant dans le dessein de Dieu, nous trouverons quatre communications de sa nature. La première dans la création, la seconde se fait par la grâce, la troisième de sa gloire, la quatrième de sa personne. Et si le moins parfait est pour le plus excellent, donc la création regardait la justification, et la justification était pour la communication de la gloire, et la communication de la gloire pour la personnelle. C'est la gradation de saint Paul : Omnia vestra sunt, vos autem Christi, Christus autem Dei (5). Mais il ne faut pas séparer Jésus-Christ d'avec ses élus, d'autant que c'est le même esprit de Jésus-Christ qui se répand sur eux, tanquam unguentum in capite (6). Ce sont ses membres, et la glorification n'est que la consommation du corps de Jésus-Christ :

 

1 Deut., XXXII, 8. — 2 Rom., VIII, 22. — 3 Ibid., 19 . — 4 Sap., V.   22.— 5 I Cor., III, 22, 23. — 6 Psal. CXXXII, 2.

 

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Donec occurramus ei in virum perfection, secundùm mensuram plenitudinis Christi (1). Et nous sommes tous bénis en Jésus-Christ, tanquam in uno (2). Donc les prédestinés sont ceux qui ont tontes les pensées de Dieu dès l'éternité, ce sont ceux à qui aboutissent tous ses desseins. C'est pourquoi, omnia propter electos (3), c'est pourquoi encore, diligentibus Deum omnia cooperantur in bonum (4) : omnia; d'autant que tout étant fait pour leur gloire, il n'y a rien à qui le Créateur n'ait donné une puissance et même une secrète inclination de les y servir. Et il y a ici deux choses à remarquer : l'une, que c'est à eux que se terminent tous les desseins de Dieu; la seconde, qu'ils se terminent à eux conjointement avec Jésus-Christ.

Quel doit être cet ouvrage à qui la création de cet univers n'a servi que de préparation, que Dieu a regardé dans toutes ses actions, qui était le but de tous ses désirs, enfin après l'exécution duquel il se veut reposer toute l'éternité? Il y aura assez de quoi contenter cette nature infinie. Lui qui a trouvé que la création du monde n'était pas une entreprise digne de lui, se contentera après avoir consommé le nombre de ses élus. Toute l'éternité il ne fera que leur dire : Voilà ce que j'ai fait; voyez, n'ai-je pas bien réussi dans mes desseins? Pouvais-je me proposer une fin plus excellente ?

Et qui peut douter que ce dessein ne soit tout extraordinaire, puisque Dieu y agit avec passion? Il s'est contenté de dire un mot pour créer le ciel et la terre. Nous ne voyons pas là une émotion véhémente. Mais pour ce qui regarde la gloire de ses élus, vous diriez qu'il s'y applique de toutes ses forces; au moins y a-t-il employé le plus grand de tous les miracles, l'incarnation de son Fils. « Ne s'est-il pas lié et comme collé d'affection avec son peuple? » Conglutinatus est Dominus patribus nostris (5). Tantôt il se compare à une aigle qui excite ses petits à voler, tantôt à une poule qui ramasse ses petits poussins sous ses ailes. Il condescend à toutes leurs faiblesses; son amour le porte à l'excès et lui fait faire des actions qui paraissent extravagantes. Ecoutez comme il crie au milieu du temple : Si quis sitit, veniat ad me, et bibat (6). Il n'en faut pas

 

1 Ephes., IV, 13. — 2 Galat., III. 16. — 3 II Cor., IV, 15. — 4 Rom., VIII, 28. — 5 Deut., X, 15. — 6 Joan., VII, 37.

 

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douter, il v a ici une inclination véhémente. Jamais Dieu n'a rien voulu avec tant de passion. Or vouloir, à Dieu, c'est faire. Donc ce qu'il fera pour ses élus sera si grand, que tout l'univers ne paraîtra rien à comparaison de cet ouvrage. Sa passion est si grande, qu'elle passe à tous ses amis, et fait remuer à ses ennemis tous leurs artifices pour s'opposer à l'exécution de ce grand dessein. C'est le propre des grands desseins de s'étendre à beaucoup de personnes. Et nous ne jugeons jamais un dessein si grand, que lorsque nous voyons que tous les amis y prennent part et que tous les ennemis s'en remuent. Comme ils ne s'excitent qu'à cause de nous, et que nous donnons le branle à leurs mouvements, il faut que notre émotion soit bien grande pour porter son coup si loin.

Elle paraît bien, son affection envers ses élus, par les soins qu'il a de les rechercher. N'est-ce pas lui qui les a assemblés de tous les coins de la terre, qui leur a donné le sang de son Fils? Et celui qui leur adonné son Fils, que leur peut-il refuser? Il a pris plaisir lui-même de les faire aimables, afin de leur donner sans réserve son affection : Dedit semetipsum pro nohis, ut mandaret sibi populum acceptabilem, sectatorem bonorum operum (1). Quoi! en ce monde, qui est un lieu d'épreuve et de larmes, où il ne leur promet que des misères, où il veut les séparer de tontes choses : Veni separare...; non veni pacem mittere, sed gladium (2)! Cependant il les comble de bénédictions. Ils sont inébranlables, voient tout le monde sous leurs pieds; ils se réjouissent dans leurs peines : Gaudentes quia digni habili sunt pro nomine Jesu contumeliam pati (3). Au reste ils sont dans un repos, une fermeté et une égalité merveilleuse. Leurs chaînes délivrent les infirmes de leurs maladies; il donne de la gloire jusqu'à leurs ombres. Vous diriez que quelque résolution qu'il ait prise, il ne saurait s'empêcher de leur faire du bien et de leur laisser tomber un petit avant-goût de leur béatitude. Et cependant cela n'est rien, il leur en prépare bien davantage. Il n'estime pas que cela rompe la résolution de les affliger, tant il estime peu ces biens à comparaison de cens qu'il leur garde. Ce monde même quoiqu'il ait été fait pour les élus.

 

1 Tit. II, n. 14. — 2 Matth., X, 34, 35. — 3 Act., V, 41.

 

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il semble que Dieu n'estime pas ce présent, ou s'il l'estime, c'est à peu près comme un père estimerait cette partie du bien de ses enfants de laquelle ils auraient l'usage commun avec les valets. Ce soleil, tout beau qu'il est, luit également sur les bons et sur les impies. Et quelles seront donc les choses qu'il réserve pour ses enfants! Avec combien de magnificence les régalera-t-il dans ce banquet de la gloire, où il n'y aura que des personnes choisies, electi, et où il ne craindra plus de profaner ses bienfaits! Avec quelle abondance cette nature souverainement bonne se laissera-t-elle répandre ! Abondance d'autant plus grande, qu'elle se sera rétrécie si longtemps durant le cours de ce temps misérable, et qu'il faudra alors qu'elle se débonde. Vivez, heureux favoris du Dieu des armées; il a tout fait pour vous; il vous a préservés parmi tous Les périls de ce monde; il vous a gardés, quasi pupillam oculi sui (1). Il ne s'est pas contenté de vous faire du bien par miséricorde, il a voulu vous être redevable, afin de vous donner plus abondamment. Il a voulu vous donner le contentement de mériter votre bonheur, et a mieux aimé partager avec vous la gloire de votre salut et de son dessein dernier, que de diminuer la satisfaction de votre aine. Vous êtes les successeurs de son héritage; c'est vous que regardent les promesses qu'il a faites à Abraham et à Isaac; mais c'est vous que regarde l'héritage promis à Jésus-Christ.

 

SECOND POINT.

 

Il faut donc savoir que tous les biens que Dieu promet aux prédestinés , c'est conjointement avec Jésus-Christ ; il ne faut point séparer leurs intérêts. Dieu promet à Abraham de bénir toutes les nations : In semine tuo (2) « dans ton fils ; » où l'apôtre saint Paul remarque : Non in seminibus, sed tanquam in uno (3). Cette bénédiction, c'est ce qui fait cette nouvelle vie que Dieu nous donne. Donc cette vie nouvelle réside dans Jésus-Christ comme dans le chef, et de là elle se répand sur les membres ; mais ce n'est que la même vie : Vivo ego, jam non ego; vivit verò in me Christus (4).

 

1 Deut.,  XXXII, 10. — 2 Gen., XXII. 18. — 3 Galat., III, 16. — 4 Ibid., II, 20.

 

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        L'héritage ne nous regarde qu'à cause que nous sommes les enfants de Dieu. Nous ne sommes les enfants de Dieu que parce que nous sommes un avec son Fils naturel, d'autant que nous ne pouvions participer à la qualité d'enfant de Dieu que par dépendance de celui à qui elle appartient par préciput. C'est pourquoi, misit Deus in corda nostra Spiritum Filii sui clamantem : Abba, Pater (1). Cet Esprit est un : unus et idem Spiritus (2) Donc, et notre qualité de fils, et la prétention à l'héritage, et la nouvelle vie que nous avons par la régénération spirituelle, nous ne l'avons que par société avec Jésus-Christ, tanquam in uno (3). C'est pourquoi Dieu lui adonné l'abondance : Complacuit in ipso habitare omnem plenitudinem (4), afin que nous fussions abondants par ses richesses : De plenitudine ejus nos omnes accepimus (5).

La vie donc que nous avons, nous est commune avec Jésus-Christ. Or la vie de la grâce et celle de la gloire est la même, d'autant qu'il n'y a autre différence entre l'une et l'autre, que celle qui se rencontre entre l'adolescence et la force de l'âge. Là elle est consommée ; mais ici elle est en état de se perfectionner, mais c'est la même vie. Il n'y a que cette diversité, qu'en celle-là cette vie a ses opérations plus libres à cause de la juste disposition de tous les organes; ici elles ne sont pas encore parfaites, d'autant que le corps n'a pas encore pris tout son accroissement. C'est ce qu'explique l'apôtre saint Paul : Vita nostra abscondita est cum Christo in Deo (6). Maintenant, dans cette vie mortelle, la plupart de ses opérations sont cachées; la force de ce cœur nouveau ne paraît pas ; Cùm autem Christus apparueri, vita vestra, tunc et vos apparebitis (7); ah ! ce sera lorsque votre vie paraîtra dans toute son étendue, que les facultés entièrement dénouées feront voir toutes leurs forces, et que Jésus-Christ paraîtra en nous dans toute sa gloire. C'est la raison pour laquelle l'Apôtre, parlant de la gloire, se sert quasi toujours du mot de révélation : ad futuram gloriam quœ revelabitur in nobis (8); d'autant que la gloire n'est autre chose qu'une certaine découverte qui se l'ait de notre vie cachée en ce monde, mais qui se fera paraître tout entière en l'autre. Et le même

 

1 Galat., IV, 6. — 2 I Cor., XII, 11. — 3 Galat., III, 16. — 4 Coloss., I. 19. — 5 Joan., I, 16. — 6 Coloss., III, 3. — 7 Ibid., 4. — 8 Rom., VIII, 13

 

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Apôtre décrivant et notre adolescence en cette vie, et notre perfection en l'autre, dit que « nous croissons et que nous nous consommons en Jésus-Christ : » Occurramus ei in virum perfectum, secundùm mensuram plenitudinis Christi (1). Voilà pour l'état de la force de l'âge. Et en attendant, interim crescamus in eo per omnia, qui est caput Christus (2). Donc l'apôtre saint Paul met la vie de la gloire en Jésus-Christ, comme celle de la grâce, et cela bien raisonnablement. Car la même chose en laquelle nous croissons, doit être celle en laquelle nous nous consommons. « Or nous croissons en Jésus-Christ, » crescamus, etc. Donc nous devons nous consommer en Jésus-Christ, in virum perfection secundùm mensuram plenitudinis Christi. Et cela est d'autant plus véritable, que si le commencement fait une unité, la consommation en doit faire une bien plus étroite. Donc nous sommes appelés à la gloire conjointement avec Jésus-Christ, et par conséquent nous posséderons le même royaume. Et pour signifier encore plus cette unité, l'Ecriture nous apprend que nous serons dans le même trône : Qui vicerit, dabo ei ut sedeat in throno meo (3).

Or pour concevoir la grandeur de cette récompense, il ne faut que penser ce que le Père éternel doit avoir fait pour son Fils. C'est son Fils unique, unigenitus qui est in sinu Patris (4). C'est celui qu'il a oint de cette huile d'allégresse, c'est-à-dire de la divinité : Unxit te Deus, Deus tuus, oleo laetitiae (5). C'est celui qui a toutes ses affections : Hic est Fiiius meus dilectus in quo mihi bene complacui (6). C'est son Fils unique ; et si nous sommes ses enfants, ce n'est que par un écoulement de l'esprit et de la vie de son Fils, qui a passé jusqu'à nous. Et c'est pourquoi seul il est l'objet de ses affections. Mais comme nous sommes ses enfants par la participation de l'esprit de son Fils, in quo clamamus : Abba, Pater (7), aussi sommes-nous ses bien-aimés par une extension de son amour. Il doit à ses élus la même affection qu'il a pour son Fils, et il leur doit par conséquent le même royaume. Et puisque nous sommes ses enfants, nous sommes ses bien-aimés. Par la société de la filiation

 

1 Ephes., IV, 13. — 2 Ibid., 15. — 3 Apoc., III, 21. — 4 Joan., I, 18. — 5   Psal. XLIV, 8. — 6 Matth., III, 17. — 7 Rom., VIII, 15.

 

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et de l'amour de son Fils, nous devons aussi avoir le même héritage. C'est ce que dit l'apôtre saint Paul : Qui eripuit nos de potestate tenebrarum, transtulit in regnum Filii dilectionis suœ (1).

Voilà ce qu'était Jésus-Christ à son Père à raison de sa filiation. et cela faisait sans doute une obligation bien étroite de lui préparer un royaume magnifique; mais lui-même l'exagère encore dans l'Apocalypse : Qui vicerit, dabo ei ut sedeat in throno meo, sicut et egovici et sedi ad dexteram Patris (2). Comme s'il disait : Je devais attendre de mon Père de grandes choses, à raison de la qualité que j'ai de son Fils unique et bien-aimé ; mais quand je n'eusse dû rien attendre d'une affection si légitime, il ne me peut rien refuser après mes victoires. C'est moi qui ai renversé tous ses ennemis, c'est moi qui ai établi son royaume ; par moi il est béni dans les siècles des siècles, par moi sa miséricorde et sa justice éclatent; je lui ai conquis un peuple nouveau et un nouveau royaume, c'est moi qui ai établi la paix dans ses Etats. Y eut-il jamais un plus puissant exécuteur de ses ordres? J'ai renversé tous ses ennemis et ai fait redouter sa puissance à la terre et aux enfers. Y eut-il un fils plus obéissant que moi, après m'être soumis à la mort et à la mort de la croix? Jamais prêtre lui offrit-il une hostie plus agréable el plus sainte? Jamais y eut-il lévite qui lui ait immolé avec plus de pureté que moi, puisque je me suis immolé moi-même comme une hostie sainte et immaculée, non pas pour mes péchés, mais pour les péchés des autres? Ah ! il n'y a rien que je ne doive non-seulement attendre, mais encore justement exiger de mon Père. Aussi n'ai-je pas sujet de me plaindre de lui. Il a ouvert sur moi tous ses trésors; il m'a mis à sa dextre, et je ne pouvais pas attendre de plus grand honneur.

C'est là ce qui regarde Jésus-Christ : voilà ce qui nous regarde. Sa gloire est grande, il est vrai; mais le bien qui le regarde nous regarda aussi, ses prétentions sont les nôtres. S'il a vaincu, ce grand capitaine, il a vaincu pour nous aussi bien que pour lui, et j'ose dire plus pour nous que pour lui. Car il n'avait rien quasi à gagner, étant dans l'abondance; ou, s'il avait quelque chose à gagner,

 

1 Coloss., I, 13. — 2 Apoc., III, 21.

 

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c'étaient les élus. S'il a été obéissant à son Père, c'a été pour nous. Le sacrifice même de ce grand prêtre est pour nous consommer avec lui dans son Père : Sanctifico pro eis meipsum (1). Et cela pourquoi? Ut omnes unum sint, sicut tu in me et ego in te; ut et ipsi in nobis unum sint (2). Nous mourons en sa mort ; nous ressuscitons en sa résurrection; nous sommes immoles dans son sacrifice; tout nous est commun avec lui. Et si nos souffrances ne sont qu'une continuation des siennes, adimpleo quœ desunt passionum Christi (3); notre gloire ne doit être qu'une extension de la sienne : Quod si, comme dit l'Apôtre, cùm essemus inimici, reconciliati sumus in sanguine ipsius, multù magie reconciliati salvi erimus in vitâ ipsius (4). Si lors même que nous étions séparés de lui, ce qui se passait en lui venait jusqu'à nous, si nous sommes morts au péché dans sa mort, à plus forte raison les propriétés de sa vie doivent nous être communiquées après que nous avons été réunis par la réconciliation avec son Père, et qu'il nous a lui-même donné sa vie.

La grâce et la vie nouvelle réside en lui ; mais elle n'y réside que comme dans la principale partie. Et tout de même que la vie du cœur ne serait pas parfaite, si elle ne se répandait sur les membres, quoiqu'elle réside principalement dans le cœur : ainsi il manquerait quelque chose à la vie nouvelle de Jésus-Christ, si elle ne se répandait sur les élus qui sont ses membres, quoiqu'elle réside principalement en lui comme dans le chef. Sa clarté ne paraît pas dans sa grandeur, si elle ne se communique ; d'autant que ce n'est pas comme ces lumières découlées du soleil, qui ne se répandent pas plus loin; mais c'est une lumière et une splendeur première et originelle, telle que celle qui réside dans le soleil. Vous gâtez une source, quand elle ne s'étend pas dans tout le lit du ruisseau. C'est pourquoi le Fils de Dieu dit à son Père : Ego in eis, et tu in me, ut sint consummati in unum (5). « Vous êtes un, mon Père, et vous voulez tout réduire à l'unité : Ut sint unum, sicut et nos unum sumus (6). C'est pourquoi  vous êtes dans moi et moi en eux, « afin de les consommer dans l'unité : » ut sint consummati

 

1 Joan., XVII, 19. — 2 Ibid., 21. — 3 Coloss., I, 24.— 4 Rom., V, 10. — 5  Joan., XVII, 23. — 6 Ibid., 22.

 

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in unum. C'est pourquoi « je leur ai donné la clarté que vous m'avez donnée : » dedi eis claritatem quam dedisti mihi, ut sint unum sicut et nos (1), parce que cette clarté m'est donnée pour la leur communiquer. Et « c'est par là qu'il faut que le monde sache que vous m'avez envoyé : » ut sciat mundus quia tu me misisti (2). Voilà pourquoi je suis venu ; voilà votre dessein quand vous m'avez envoyé, de consommer tout en un. C'est pourquoi, Pater, quos dedisti mihi (3), « Père, ceux que vous m'avez donnés, » non-seulement comme mes compagnons et comme mes frères, mais comme mes membres; volo; ah ! ce sont mes membres; si vous me laissez la disposition de moi-même, vous me devez laisser celle de mes membres : volo ut ubi sum ego et illi sint (4). Si je suis dans la gloire, il faut qu'ils y soient : mecum, mecum, « avec moi, par unité avec moi, » afin qu'ils commissent la clarté que vous m'avez donnée, qu'ils la connaissent en eux-mêmes et qu'ils voient sa grandeur par son étendue et par sa communication : quam dedisti mihi, « c'est de vous que je la tiens, mon Père. » C'est pourquoi, « parce que vous m'aimiez avant la création du monde, » quia tu me dilexisti à constitutione mundi, vous me l'avez donnée tout entière, capable de se communiquer et de se répandre, ut ubi ego sum et illi sint mecum, ut videant claritatem meam quam dedisti mihi (5). « Je me sacrifie pour eux » et pour leurs péchés : Ego pro eis sanctifico meipsum (6). C'étaient des victimes dues à votre colère : je me mets en leur place, pro eis, « pour eux. » afin qu'ils soient saints et consacrés à votre majesté à même temps que je me dévoue et me sacrifie moi-même.

Quand les bras ou les autres membres ont failli, c'est assez de punir le chef. Quand on couronne le chef, il faut que les membres soient couronnés; s'ils ne participent à la gloire du chef, il faut que la gloire du chef soit petite. Il manquerait quelque chose à la perfection de mon offrande, s'ils n'étaient offerts en moi : Sanctifico meipsum pro eis, ut sint et ipsi sanctificati; à ma mort (a),

 

1 Joan., XVII, 22 — 2 Ibid. 23 — 3 Ibid., 24. — 4 Ibid. — 5 Ibid. — 6 Ibid., 19.

(a) Sous-entendu le commencement de la phrase exprimé plus haut : « Il manquerait quelque chose. »

 

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s'ils ne mouraient par ma mort : Adimpleo quae desunt passionum Christi pro corpore ejus quod est Ecclesia (1) ; à ma vie, à ma résurrection et à ma gloire, s'ils ne ressuscitaient par ma résurrection, et ne vivotent par ma vie, et ne fussent glorieux par ma gloire (a). Mon Père, je suis en eux; il faut donc que « l'amour que vous avez pour moi soit en eux : » Dilectio quà dilexisti me in ipsis sit, et ego in eis (2). Et il faut aussi que la joie et la gloire que vous me donnerez soit en eux, « afin que ma joie soit pleine en eux, » ut habeant gloriam meam impletam in semetipsis (3). Mea omnia tua sunt, et tua mea sunt, et ego clarificatus sum in eis (4).

La gloire du chef tombe sur les membres, et la gloire des membres revient au chef. Je suis glorifié en eux; il faut qu'ils soient glorifiés eu moi. Père saint, Père juste, je vous les recommande; puisqu'ils sont à moi, ils sont à vous; et si vous m'aimez, vous en devez avoir soin comme de moi. Enfin il ne veut dire autre chose par tout ce discours, sinon que nous sommes tous à lui, comme étant un avec lui et comme devant être aimés du Père éternel par la même affection qu'il a pour lui, non pas qu'elle ne soit plus grande pour lui que pour sous, mais cela ne fait pas qu'elle soit différente. C'est le même amour qui va droit à lui et rejaillit sur nous : à peu près comme une flèche qui, par un même coup et un même mouvement, perce la première chose qu'elle rencontre et ne fait à ce qu'elle attrape après qu'une légère entamure: ou comme un bon père qui regarde ses enfants et les autres par un même amour, qui ne laisse pas d'être plus grand dans ses enfants sur lesquels se porte sa première impétuosité ; ou plutôt comme nous aimons d'une même affection tout notre corps, quoique nous ayons plus de soin de conserver et honorer les plus nobles parties.

Et après cela nous nous étonnons si Dieu agit avec passion? El s'il agit avec passion, comment ne produira-t-il point des effets extraordinaires et qui surpasseront toutes nos pensées? La passion

 

1 Coloss., I, 24. — 2 Joan., XVII, 26. — 3 Ibid., 13. — 4 Ibid., 10.

 

(a) Note marginale : Ipsum dedit caput supra omnem Ecclesiam, quae est corpus ipsius et plenitude ejus, qui omnia in omnibus adimpletur (Ephes., I, 22, 23).

 

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fait faire des choses étranges aux personnes les plus faibles : et que fera-t-elle à Dieu? Elle fait surpasser aux hommes leur propre puissance : eh! le moins qu'elle puisse faire à Dieu, c'est de lui faire passer les bornes de sa puissance ordinaire. Non, ce n'est pas assez, pour rendre les élus heureux, d'employer cette puissance par laquelle il a fait le monde; il faut qu'il étende son bras : In manu potenti et brachio extento (1). Il ne s'attachera plus aux natures des choses; il ne prendra plus loi que de sa puissance et de son amour. Il ira chercher dans le fond de l'âme l'endroit où elle sera plus capable de félicité. La joie y entrera avec trop d'abondance, pour y passer par les canaux ordinaires ; il faudra ouvrir les entrées et lui donner une capacité extraordinaire. Il ne regardera plus ce qu'il en a fait, mais ce qu'il en peut faire. Ce sera là où il donnera comme le coup du maître ; il nous est inconcevable, misérables apprentis que nous sommes. Il tournera notre esprit de tous côtés pour le façonner entièrement à sa mode, et n'aura égard à notre disposition naturelle qu'autant qu'il faudra pour ne nous point faire de violence. Aussi lorsqu'il décrit les douceurs du paradis, ce n'est que par des mystères, pour nous en témoigner l'incompréhensibilité. Ecoutons ses promesses dans l'Apocalypse : Qui vicerit, dabo ei manna absconditum (2), des douceurs cachées : Dabo ei edere de ligno vitœ (3). — Quoi ! est-ce quelque chose de semblable à nos fruits ordinaires? — N'attendez pas que vous en trouviez en ce monde. Une croit que dans le jardin de mon Père, et il faut que le terroir en soit cultivé par sa propre main : quod est in paradiso Dei mei (4). Dabo ei nomen novum (5). Dieu ne donne point un nom sans signification. C'est pourquoi quand il change le nom à Abraham et à Jacob, il en atteste incontinent la raison; et la preuve en est évidente au nom de son Fils. La raison est qu'à Dieu, dire et faire, c'est la même chose : Dixit, et facta sunt (6). Et ici : Dabo ei nomen novum; et non-seulement il sera nouveau, mais encore est-il inconnu; et il faut en avoir en soi la signification pour l'entendre : Quod nemo scit, nui qui accipit (7).

L'apôtre saint Paul avait vu quelque chose de cette gloire;

 

1 Deut., V, 15. — 2 Apoc., II, 17. — 3 Ibid. 7. — 4 Ibid. — 5 Ibid., 17. — 6 Psal., XXXII, 9.— 7 Apoc., II, 17.

 

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disons mieux, il en avait ouï quelque chose dans la proximité du lieu où il lui ravi. N'attendons pas qu'il nous en dise des particularités; il en parle comme un homme qui a vu quelque chose d'extraordinaire, qui ne nous en fait la description qu'en méprisant tout ce que vous lui pouvez apporter au prix de ce qu'il a vu, ou bien en avouant qu'il ne saurait l'expliquer. Il en marque quelques conditions générales, qui nous laissent dans la même ignorance où il nous a trouvés : Ut sciatis cum omnibus sanctis quœ sit longitudo, et latitudo, et sublimitas, et profundum (1). Ne vous semble-t-il pas entendre un homme qui aurait vu quelque magnifique palais semblable à ces châteaux enchantés de qui nous entretiennent les poètes, et qui ne parlerait d'autres choses sinon de la hauteur des édifices, de la largeur des fossés, de la profondeur des fondements, de la longueur prodigieuse de la campagne qu'on découvre ; au reste ne peut pas donner une seule marque pour le reconnaître, ni en faire une description qui ne soit grossière, tant il est ravi en admiration de ce beau spectacle. Voilà à peu près ce que fait le grand Apôtre. Il ne nous exprime la grandeur des choses qu'il a vues que par l'empressement où il est de les décrire et par la peur qu'il a d'en venir à bout. Demandez-lui en des particularités, il vous dira que cela est inconcevable; tout ce que vous pouvez lui dire n'est rien à comparaison. Parlez-lui des grandeurs de ce monde et de toute la beauté de l'univers, pour savoir du moins ce que c'est que ce royaume par comparaison et par ressemblance, il n'a rien à vous dire sinon : Existimavi sicut stercora (2), « comme du fumier et de l'ordure. » Ne lui alléguez point le témoignage de vos yeux ni de vos oreilles : Dieu agit ici par des moyens inconnus.

Il donne un tour tout nouveau à la créature; et puisque, comme j'ai dit, en cette action il ne prend point de loi que de sa puissance et qu'il ne s'attache pas à la nature des choses, nous ne pouvons pas plus concevoir cet effet que sa vertu. Les choses prendront tout une autre face, d'autant que Dieu agira « par cette opération par laquelle il se peut tout assujettir, » c'est-à-dire

 

1 Ephes., III, 18.— 2 Philip., III, 8.

 

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changer tout l'ordre de la nature et faire servir toute sorte d'êtres à sa volonté, secundùm opérationem quâ possit subjicere sibi omnia (1): C'est pourquoi l'œil qui voit tout ce qu'il y a de beau dans le monde, n'a rien vu de pareil ; l'oreille, par laquelle notre âme pénètre les choses les plus éloignées, n'a rien entendu qui approche de la grandeur de ces choses ; l'esprit, à qui Dieu n'a point donné de bornes dans ses pensées, toujours abondant à se former des idées nouvelles, ne pourrait se figurer rien de semblable : Neque oculus vidit, neque auris audivit, neque in cor hominis ascendit quœ prœparavit Deus diligentibus se (2). Le Sauveur du monde, le plus juste estimateur des choses qui put être, voyant d'un côté la gloire que son Père lui présentait, d'autre côté l'infamie, la cruauté, l'ignominie de son supplice avec lequel il fallait acheter la félicité, dans cet échange fit si peu d'état de son supplice, qu'à peine le considéra-t-il; et sans délibération aucune, proposito sibi gaudiu, sustinuit crucem, confusions contemptâ (3). Et il est à remarquer qu'il ne s'agissait que d'une parue accidentelle desa béatitude, étant en possession de la béatitude essentielle dès sa conception. Et que sera-ce donc de nous qui avons à combattre pour le total, et qui avons à souffrir si peu de chose? Qu'il est bien vrai ce que dit l'Apôtre : Non sunt condignœ passiones hujus sœculi ad futuram gloriam (4). Mais nous ne le concevons pas. Prions donc Dieu qu'il nous fasse la grâce de connaître cette gloire qui doit être le dernier accomplissement des desseins de Dieu, et quelle doit être la magnificence de ce royaume qui nous est préparé conjointement avec Jésus-Christ, et quel doit être cet effet merveilleux que Dieu opérera dans nos âmes par cette opération surnaturelle et toute-puissante : Det nobis spiritum sapientiœ, dans la connaissance de ses desseins ; et revelationis in agnitione ejus (5), dans la connaissance de son amour; illuminatos oculos cordis vestri (6), de ce cœur et de cette âme nouvelle qu'il nous a donnée pour porter notre esprit à des choses tout autres que celles que nous voyons en ce monde, et nous remettre en l'esprit la puissance de Dieu, ut sciatis quœ sit spes vocationis

 

1 Philip., III, 21.— 2 I Cor., II, 9. — 3 Hebr., XII, 2. — 4 Rom., VIII, 18. — 5 Ephes., I, 17. — 6 Ibid., 18.

 

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ejus; « ce que nous devons espérer d'une vocation si haute, » étant appelés de lui au dernier accomplissement de ses ouvrages; et quœ divitiœ gloriœ hœreditatis ejus in sanctis (1) « quelle est la richesse et l'abondance de ce royaume; » et quœ sit supereminens magnitudo virtutis ejus in nos qui credimus (2), « et combien grand sera l'effort de sa puissance par l'extension qu'il fera sur nous des miracles et des grandeurs qu'il a opérés en Jésus-Christ, » secundùm operationem potentiœ ejus quam operatus est in Christo (3). Puissions-nous concevoir l'affection que Dieu a pour nous, par laquelle cùm essemus mortui peccatis, conresuscitatit nos Christo et convivificavit (4), voilà l'unité dans la vie; et consedere fecit in Christo (5), voilà l'unité de la gloire ; ut ostenderet in sœculis supervenientibus, « afin de faire paraître dans l'éternité la magnificence de sa grâce en Jésus-Christ dans les membres par l'écoulement de la gloire de Jésus-Christ sur nous, » ut ostenderet in sœculis supervenientibus abundantes divitias gratiœ suœ, in bonitate super nos in Christo (6).

 

1 Ephes. I, 18.— 2 Ibid., 19.— 3 Ibid., 20.— 4 Eph., II, 5.— 5 Ibid., 6.— Ibid., 7.

 

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