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SECOND SERMON
LA FÊTE DE LA CIRCONCISION (a).

 

Deus autem rex noster ante saecula, operatus est salutem in medio terrae

Dieu, qui est notre roi avant tous les siècles, a opéré notre salut au milieu de la terre. Psal. LXXIII, 12.

 

Quoique nous apprenions par les saintes Lettres que Dieu se considère dans tous ses ouvrages, et que ne voyant rien dans le

 

(a) On verra dans ce sermon quelques traductions triviales et quelques notes; mais on n’y trouvera ni division ni parties distinctes, pour ainsi dire ni commencement ni fin. C'est que ma main de dom Déforis a passé par là : « Nous avons, dit-il dans une première note, supprimé de ce sermon plusieurs morceaux tirés mot à mot du précédent, qui pouvaient être retranchés sans interrompre l'ordre et la suite du discours. » Pardon, tout cela est interrompu; mais on n'a pu dans cette édition rétablir le plan de l'auteur, parce qu'on a vainement cherché le manuscrit original.

Cependant on peut dire avec la plus grande probabilité que notre sermon a été prêché à Metz vers 1656. Malgré les suppressions du premier éditeur, il renferme encore plusieurs passages qui se trouvent littéralement dans le sermon précédent, et Bossuet n'aurait pas fait dans la grande époque de sa mission apostolique des emprunts pareils à ses compositions de Metz. On y remarqua aussi certaines expressions qu'il a bannies plus tard, par exemple : « Le prince Jésus, rien ne se dérobe de son empire, il lui plaît établir; ce qu'il daigne régner sur nous, c'est miséricorde, » etc.

 

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monde qui ne soit infiniment au-dessous de lui, il ne voit aussi que lui-même qui mérite d'être la fin de ses actions ; toutefois il est assuré qu'il n'augmente pas pour cela ses propres richesses, parce (qu'elles sont infinies. Quelques beaux ouvrages que produise sa toute-puissance, il n'en retire aucun bien que celui d'en faire aux autres, il n'y peut rien acquérir que le titre de bienfaiteur ; et l'intérêt de ses créatures se trouve si heureusement conjoint avec le sien, que comme il ne leur donne que pour l'avancement, de sa gloire, aussi ne peut-il avoir de plus grande gloire que de leur donner. C'est pourquoi l'Eglise inspirée de Dieu nous apprend, dans le sacrifice, à lui rendre grâces pour sa grande gloire : Gratias agimus tibi propter magnum gloriam tuam, afin que nous comprenions par cette prière que la grande gloire de Dieu c'est d'être libéral à sa créature. C'est pour cette raison que le Fils de Dieu prend aujourd'hui le nom de Jésus et la qualité de Sauveur. Ce n'est pas assez que l'on nous enseigne que ce petit enfant est né pour les hommes, il faut que son nom nous le fasse entendre ; et il en revient à notre nature ce grand et glorieux avantage, qu'on ne peut honorer le nom de Jésus sans célébrer aussi notre délivrance, et ainsi que le salut des mortels est devenu si considérable qu'il fait non-seulement le bonheur des hommes et le sujet des hymnes des anges, mais encore le triomphe du Fils de Dieu même.

        Sainte Mère de mon Sauveur, dont le Saint-Esprit s'est servi pour lui donner un nom si aimable, obtenez-nous de Dieu cette grâce, que nous en sentions les douceurs que l'ange commença de vous expliquer, après qu'il vous eut ainsi saluée : Ave, Maria.

 

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Encore que le mystère de cette journée cachant à nos yeux la divinité, nous représente le Fils de Dieu, non-seulement dans l'infirmité de la chair, mais encore dans la bassesse de la servitude, et que les cris, les gémissements et le sang de cet enfant circoncis semblent plutôt exciter en nous les tendresses de la pitié que les soumissions du respect : néanmoins la foi pénétrante, qui ne peut être surprise par les apparences, nous découvre dans ses faiblesses des marques illustres de sa grandeur et des témoignages certains de sa royauté. C'est, fidèles, cette vérité chrétienne que je me propose de vous faire entendre avec le secours de la grâce. J'espère que vous verrez aujourd'hui dans le nom que l'on impose au Sauveur des âmes et dans les prémices du sang précieux qu'il commence à verser pour l'amour des hommes, une expression évidente de la souveraineté très-auguste que son Père céleste lui a destinée. Et vous reconnaîtrez que cette doctrine nous est infiniment fructueuse, puisqu'en établissant la gloire du maître et les droits de sa royauté, elle nous apprend tout ensemble les devoirs de l'obéissance.

Entrons donc en cette matière sous la conduite des Lettres sacrées, et disons avant toutes choses que le nom de Jésus est un nom de roi, et qu'il signifie une royauté qui n'est pas moins légitime qu'elle est absolue. Pour mettre cette vérité dans son jour, je suppose premièrement que la royauté est le véritable apanage de la nature divine, à laquelle seule appartient la souveraineté et l'indépendance. Or, entre tous les divins attributs, il y en a trois principaux qui établissent le règne de Dieu sur ses créatures, la puissance, la justice, la miséricorde. Que Dieu règne par sa puissance, c'est une vérité si constante, qu'elle entre par elle-même dans tous les esprits sans qu'il soit besoin d'alléguer des preuves. En effet c'est par sa puissance qu'il dispose des créatures, ainsi qu'il lui plaît, sans que rien puisse résister à ses volontés ; et par conséquent il en est le roi avec une autorité qui n'a point de bornes. C'est pourquoi l'apôtre saint Paul en parlant de Dieu: C'est, dit-il, «le bienheureux et le seul puissant; » et il ajoute aussitôt après: « Le Roi des rois et le Seigneur des seigneurs (1) ; » comme ayant

 

1 I Timoth., VI, 15.

 

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dessein de nous faire entendre que l'empire de Dieu doit être infini, parce que sa puissance est incomparable.

Mais je remarque ici, chrétiens, que ce règne est universel et enferme indifféremment tous les êtres qui relèvent également de la toute-puissance divine. Si bien que les hommes et les anges étant capables d'un gouvernement spécial, parce qu'ils peuvent être conduits par raison, il paraît manifestement qu'outre ce règne de toute-puissance, qui comprend généralement toutes les créatures, il faut encore reconnaître en Dieu quelque domination plus particulière pour les natures intelligentes. C'est aussi ce que nous voyons éclater dans sa bonté et par sa justice. Car comme entre les anges et les hommes, les uns sont rebelles à leur Créateur et les autres sont obéissants, les uns suivent ses volontés et les autres les contredisent, et que d'ailleurs il est impossible que rien échappe de ses mains souveraines ni se dérobe de son empire, qui ne voit qu'il est nécessaire qu'il établisse deux gouvernements différents : l'un de justice, l'autre de bonté ; l'un pour la vengeance des crimes, l'autre pour le couronnement des vertus; l'un pour ranger les esprits rebelles par la rigueur d'un juste supplice, l'autre pour enrichir les respectueux par la profusion des bienfaits?

De là ces deux règnes divers dont il est parlé dans les saintes Lettres. L'un de rigueur et de dureté, que le Psalmiste nous représente en ces mots : « Vous les régirez, dit-il, avec un sceptre de fer, et vous les briserez tous ainsi qu'un vaisseau de terre (1). » L'autre de douceur et de joie, que le même Psalmiste décrit: « Avancez, dit-il, ô mon Prince, combattez heureusement, et régnez par votre beauté et par votre bonne grâce (2). » Par où le Saint-Esprit nous veut faire entendre qu'il y a un règne de fer, et c'est le règne de la justice rigoureuse qui assujettit par force les esprits rebelles, en les contraignant de porter le poids d'une impitoyable vengeance; et qu'il y a un règne de paix, et c'est le règne de la bonté qui possède les cœurs souverainement par les grâces de ses attraits infinis : de sorte que nous avons prouvé par les Ecritures le règne de la puissance, et de la justice, et de la miséricorde divine.

 

1 Psal. II, 9. — 2 Psal. XLIV, 5.

 

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Ces vérités étant supposées, venons maintenant à l'enfant Jésus ; el puisque tant de prophéties, tant d'oracles, tant de figures du Vieux Testament lui promettent qu'il sera roi, ne craignons pas de lui demander de quelle nature est la royauté qu'il est venu chercher sur la terre. Il est certain, aimable Jésus, que ce nouveau règne ne s'établit pas sur votre pouvoir, puisque vous vous revêtez de notre faiblesse; ni sur la rigueur de votre justice, puisque vous déclarez dans votre Evangile que « vous n'êtes pas venu pour juger le monde (1).» Que nous reste-t-il donc maintenant à dire, sinon que le règne que vous commencez est un règne de miséricorde? Aussi ne prenez-vous pas aujourd'hui le titre pompeux de Dieu des armées pour nous étonner par votre puissance, ni la qualité terrible de juste Juge pour nous effrayer par votre rigueur, mais l'aimable nom de Jésus pour nous inviter par votre clémence. Vous venez pour régner; il vous plaît de régner sur nous en qualité de Sauveur des âmes; et ainsi vous accomplissez cette fameuse prophétie d'un de vos ancêtres : «Dieu, qui est notre roi devant tous les siècles, a opéré le salut au milieu du monde. »

Mais, fidèles, s'il est véritable que le nom de Jésus soit un nom royal, un nom de grandeur et de majesté, qui promet à l'enfant que nous adorons un empire si magnifique, pourquoi voyons-nous du sang répandu, et ne recherchons-nous point dans les Ecritures le secret de cette mystérieuse cérémonie ? J'entends votre dessein, ô mon roi Sauveur. Ce n'est pas assez que vous soyez roi, il faut que vous soyez un roi conquérant. Comme roi, vous sauvez vos peuples ; comme conquérant, vous donnez du sang et vous achetez à ce prix les peuples que vous soumettez à votre pouvoir. Et c'est, fidèles, pour cette raison que dans cette même journée où il reçoit le titre de roi dans la qualité de Sauveur, il veut que son sang commence à couler, afin de nous faire voir son règne établi sur le salut de tous ses sujets et sur l'effusion de son sang. Considérons ces deux vérités qui comprennent tout le mystère de cette journée. Prouvons par des raisons invincibles qu'il n'est point d'empire mieux affermi ni de conquête plus glorieuse ;

 

1 Joan., XII, 47.

 

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et tâchons de profiter tellement de cette doctrine tout apostolique, que nous méritions enfin d'être la conquête de notre monarque Sauveur, qui n'a conquis et ne s'assujettit ses peuples qu'en les délivrant.

Pour comprendre solidement combien grande, combien illustre, combien magnifique est la souveraineté du Sauveur des âmes, il faut premièrement former en nous-mêmes la véritable idée de la royauté, où je vous demande, fidèles, que vous ne vous laissiez pas éblouir les yeux par cet éclat et par cette pompe qui remplit d'étonnement le vulgaire. Comprenons dans la royauté des rois quelque chose de plus relevé que ce que l'ignorance y admire. Certes je ne craindrai pas de le publier : ce ne sont ni les trônes, ni les palais, ni la pourpre, ni les richesses, ni les gardes qui environnent le prince, ni cette longue suite de grands seigneurs, ni la foule des courtisans qui s'empressent autour de sa personne ; et pour dire quelque chose de plus redoutable, ce ne sont ni les forteresses, ni les armées qui me montrent la véritable grandeur de la dignité royale. Je porte mes yeux jusque sur Dieu même, et de cette Majesté infinie je vois tomber sur les rois un rayon de gloire que j'appelle la royauté. Et pour dire plus clairement ma pensée, je soutiens que la royauté, à la bien entendre, qu'est-ce, fidèles, et que dirons-nous? C'est une puissance universelle de faire du bien aux peuples soumis ; tellement que le nom de roi, c'est un nom de père commun et de bienfaiteur général, et c'est là ce rayon de divinité qui éclate dans les souverains.

Expliquons toutes les parties de cette définition importante, qui sera le fondement de tout mon discours. Je dis donc que la royauté est une puissance. Je ne m'arrête point à prouver une vérité si constante ; mais passant plus outre je raisonne ainsi. Je dis que si la royauté est une puissance, il s'ensuit manifestement que c'est une puissance de faire du bien, et j'appuie cette conséquence sur ce beau principe : Tout ce qui mérite le nom de puissance naturellement tend au bien. Jugez si j'établirai cette vérité par des raisons assez convaincantes.

La puissance qui s'emploie à faire du mal aux autres, le fait ou justement ou injustement. Si elle le fait avec injustice, il est

 

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certain que c'est impuissance. Car nul ne peut opprimer les autres par violence et par injustice, qu'il ne se mette le premier dans la servitude. C'est pourquoi il est écrit dans l'Apocalypse que « celui qui mène les autres en captivité, va lui-même en captivité : » Qui in captivitatem duxerit, in captivitatem vadet (1). Sans doute afin que nous concevions que celui qui opprime, celui qui tourmente, est le premier esclave de son injustice, selon l'expression de l'Apôtre : Servi injustitiœ (2). Etant dans un si honteux esclavage, il ne peut pas être appelé puissant ; et par conséquent la puissance d'affliger les autres avec injustice, n'est pas une véritable puissance : Nihil possumus contra veritatem, sed pro veritate (3): «Nous ne pouvons rien contre la vérité, mais nous pouvons tout pour elle ; » puissance qui se détruit elle-même.

Mais que dirons-nous maintenant de cette puissance qui punit les crimes et qui donne des armes à la justice contre les entreprises des méchants ? C'est ici qu'il faut que je vous propose une belle théologie de Tertullien ; elle donnera un grand jour à la vérité que j'ai avancée, que tout ce qui mérite le nom de puissance est naturellement bienfaisant. Ce grand homme comparant la bonté de Dieu par laquelle il fait du bien à ses créatures avec la sévérité rigoureuse par laquelle il les châtie selon leurs mérites, dit que la première lui est naturelle, c'est-à-dire la munificence ; et que l'autre est comme empruntée, c'est-à-dire la sévérité : Illa ingenita, hœc accidents; illa edita, hœc adhibita; illa propria, hœc accommodata (4). Et il en rend cette excellente raison : Car, dit-il, la toute-puissance divine jamais n'afflige ses créatures que lorsqu'elle y est forcée par les crimes. Si donc jamais elle ne se résout à leur faire sentir du mal que par une espèce de force, il paraît qu'elle leur fait du bien par nature, et par là ma proposition demeure invinciblement établie. Car ce n'est pas une véritable puissance d'affliger les hommes avec injustice, parce qu'ainsi que nous avons dit, l'injustice est une faiblesse et un esclavage ; de sorte que la véritable puissance ne faisant jamais de mal à personne que lorsqu'elle y est contrainte et forcée, il s'ensuit que par elle-même

 

1 Apoc., XIII,  10. — 2 Rom., VI,   17. — 3 II Cor.,  XIII,  8. — 4 Lib.  II Advers. Marcion., n. 11.

 

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et de sa nature elle est éternellement bienfaisante. Et c'est pour cette raison, chrétiens, que je dis que la royauté est une puissance de faire du bien, parce que telle est la nature de toutes les puissances légitimes, et que la puissance des rois est un rayon de la puissance divine si naturellement libérale.

Mais j'ajoute que cette puissance est universelle ; et c'est, fidèles, cette différence qui distingue le souverain d'avec les sujets. Les libéralités particulières sont nécessairement limitées, c'est le privilège du prince de pouvoir étendre ses bienfaits par tout son empire ; il montre l'éminence de sa dignité par l'étendue de son influence. Ainsi Dieu a mis le soleil dans une place si élevée au-dessus de nous, pour réjouir par sa vertu toute la nature. L'action du prince occupé à faire du bien à ses peuples, me montre sa grandeur et son abondance ; c'est le caractère de la royauté, c'est ce qui fait la majesté des monarques, et par là vous pouvez comprendre quelle est la royauté du Sauveur Jésus.

S'il est vrai que la royauté c'est une puissance de faire du bien ; si le salut qui mène avec lui la paix, l'abondance, la félicité, est un bien si considérable qu'il est capable de rassasier jusqu'aux désirs les plus vastes, qui ne voit qu'il n'est rien plus digne d'un roi que de s'établir en sauvant son peuple ? Et nous en lisons un très-bel exemple dans les Ecritures sacrées. Lorsque Saül entendant les glorieux éloges que tout le monde donnait à David : a Saül en a défait mille, et David dix mille (1) ; » il a frappé le Philistin et a ôté l'opprobre d'Israël, aussitôt il s'écria tout troublé : « Après cet éloge, dit-il, il ne lui manque plus rien que le nom de roi (2). » Comme s'il eût dit : On me dépouille de ma royauté, puisqu'on m'ôte la gloire de garder mes peuples ; on transfère l'honneur royal à David, en reconnaissant que c'est lui qui sauve, et il ne lui en manque plus que le titre. Tant il est véritable, ô fidèles, que c'est le propre des rois de sauver. C'est pourquoi le prince Jésus, en venant au monde, considérant que les prophéties lui promettent l'empire de tout l'univers, il ne demande point à son Père une maison riche et magnifique, ni des armées grandes et victorieuses, ni enfin tout ce pompeux appareil dont la majesté

 

1 I Reg., XVIII, 7. — 2 Ibid., 8.

 

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royale est environnée. Ce n'est pas ce que je demande, ô mon Père. Je demande la qualité de Sauveur et l'honneur de délivrer mes sujets de la misère, de la servitude, de la damnation éternelle. Que je sauve seulement, et je serai roi. O aimable royauté du Sauveur des âmes!

Ces vérités étant supposées, venez maintenant adorer, mes frères, l'auguste monarchie du Sauveur des âmes ; et parce que mes sentiments sont trop bas pour vous exprimer une telle gloire, écoutez de la bouche de saint Augustin ce qu'il en a appris dans les Ecritures : « Ne nous imaginons pas, dit ce grand docteur, que ce soit un avantage pour le Roi des anges d'être fait aussi le prince des hommes. Le règne qu'il lui plaît établir sur nous, c'est la paix, c'est la liberté, c'est la vie et le salut de ses peuples. Il n'est pas roi, poursuit-il encore, ni pour exiger des tributs, ni pour lever de grandes armées; mais il est roi, dit ce saint évêque, parce qu'il gouverne les âmes, parce qu'il nous procure les biens éternels, parce qu'il fait régner avec lui ceux que la charité soumet à ses ordres.» Et enfin il conclut ainsi : «Le règne de notre prince, c'est notre bonheur; ce qu'il daigne régner sur nous, c'est clémence , c'est miséricorde ; ce ne lui est pas un accroissement de puissance, mais un témoignage de sa bonté : » Dignatio est, non promotio; miserationis indicium, non potestatis augmentum (1). »

Mais, fidèles, d'où savons-nous que tels sont les sentiments de notre monarque? Ecoutons l'Ecriture sainte ; écoutons, et que nos cœurs s'attendrissent en contemplant la miséricorde infinie de Jésus notre souverain très-aimable. Je remarque dans son Evangile une chose très-considérable. C'est que jamais il n'a confessé qu'il fût roi que devant le tribunal de Pilate, et il le fait dans des circonstances qui sont dignes d'être observées... (a).

Qui ne vous louerait, ô mon prince ? qui n'admirerait vos bontés? Que le ciel et la terre chantent à jamais vos miséricordes ! Que vos fidèles célèbrent éternellement la magnificence de votre règne ! Quel empire est mieux acquis que le vôtre, puisqu'on ne voit parmi vos sujets que des  captifs que vous avez délivrés, des

 

1 Tract. LI in Joan., n. 4

(a) Voy. le sermon précédent (Edit. de Déforis).

 

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pauvres que vous avez enrichis, des misérables que vous rendez bienheureux, des esclaves que votre bonté a changés en rois ?

Mais, fidèles, ce n'est pas assez de contempler la gloire de notre Prince : elle est si grande et si éclatante, qu'elle n'a pas besoin d'être relevée par nos paroles, mais elle veut être honorée par nos actions. Faisons donc cette réflexion chrétienne sur les vérités que j'ai annoncées. Chaque monarchie a ses droits, selon la qualité des monarques : ainsi nous devons régler nos devoirs sur le titre de notre prince. Or je vous demande , mes frères, que ne doivent pas des peuples sauvés à un roi Sauveur? Considère, ô peuple sauvé, que si l'on t'a sauvé, tu étais perdu ; et si l'on t'a sauvé tout entier, tu étais perdu tout entier ; et si tu étais perdu tout entier, tu te dois aussi tout entier à celui par qui tu subsistes. Et cependant tu oublies Jésus; ou les affaires, ou les débauches, ou les vains empressements de la terre t'enlèvent entièrement à Jésus. Du moins ne sens-tu pas en ta conscience que tu crois faire beaucoup de te partager ? Jésus aura ce quart d'heure, etc. ; mais le cœur n'est à lui qu'à demi ; et n'y étant qu'à demi, il n'y est point du tout.

S'il y a quelque chose en nous dont Jésus ne soit pas Sauveur, je veux qu'il nous soit permis de le réserver. Mais si nous voulons avoir la consolation de croire qu'il a sauvé tout ce que nous sommes, pourquoi ne voulons-nous pas avoir la justice de lui donner aussi tout ce que nous sommes ? Eh ! ne voyons-nous pas qu'étant le Sauveur et ne voulant régner que comme Sauveur, nous ne lui donnons rien qu'afin qu'il le sauve ? Quelle est notre ingratitude et notre folie , si nous nous soulevons tous les jours contre ce roi de miséricorde, dont le règne est notre salut ; si au lieu de nous joindre aux pieux enfants qui présentent des palmes à notre Sauveur : « Vive, disaient-ils, le Fils de David; béni soit le roi d'Israël (1) ! » nous embrassons le parti rebelle des séditieux de la parabole, en nous écriant avec eux : « Nous ne voulons point qu'il règne sur nous (2) ! » Car oserions-nous dire qu'il règne sur nous, puisque nous foulons aux pieds tant de fois les saintes maximes de son Evangile ? Quelle illusion ! quelle moquerie! Nous

 

1 Matth., XXI, 9. — 2 Luc., XIX, 14.

 

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disons qu'il est notre roi, et nous méprisons ses commandements ! Nous nourrissons des inimitiés implacables, et nous nous disons les sujets du Roi pacifique! Nous brûlons de convoitises brutales, et nous voulons être à l'Epoux des vierges ! Notre âme est enivrée des plaisirs du monde, et nous servons un roi couronné d'épines !

Retournons, retournons, fidèles, à l'empire du roi Sauveur. Refuser un prince qui sauve, c'est renoncer ouvertement au salut. Imprimons bien avant en notre pensée que nous sommes un peuple sauvé, afin qu'ayant toujours en notre mémoire les misères dont Jésus-Christ nous a délivrés, nous apprenions que nous n'avons rien que par la miséricorde du libérateur. Et puisque le prince qui nous a sauvés , non-seulement nous tire de la servitude, mais encore nous rend participants de sa royauté, rougissons de retomber dans les fers, nous que Jésus-Christ a faits rois. Ne jetons pas aux pieds de Satan la couronne que Jésus a mise sur nos têtes. Puisque la bonté du Sauveur nous a non-seulement affranchissais encore en quelque façon déjà couronnés, concevons qu'il est indigne de nous de servir ce divin Monarque dans la servilité de la crainte. Servons-le donc, fidèles, dans la liberté de la sainte dilection (a) ; servons-le d'une affection libérale, puisqu'il ne demande que notre amour pour le prix de ses travaux et de ses conquêtes. Mais afin que vous compreniez ma pensée qui ne tend qu'à l'édification de vos âmes, il faut que je déduise par ordre quelques propositions importantes.

La première proposition, c'est que le Fils de Dieu surmontant le monde devait principalement surmonter les cœurs. C'est ce qui nous est prophétisé manifestement dans le psaume où David parle de lui en ces termes : Sagittœ Potentis acutœ (1) : « Les flèches du Puissant sont perçantes ; les peuples tomberont à ses pieds ; ses coupa donnent tout droit au cœur des ennemis de mon roi. » Par où vous voyez, chrétiens, que le roi dont parle cette prophétie , c'est-à-dire sans difficulté le Sauveur des âmes, devait principalement

 

1 Psal. XLIV, 6, et CXIX, 4.

 

(a) On trouve sur l’enveloppe du manuscrit original ces paroles écrites de la main de Bossuet, qui ont rapport à ce qu'il dit ici : « Agir en amis, en rois, non en esclaves, par la charité. C'est elle qui nous fait agir royalement : ». Regium mandatum, regalem legem. Jacob. II, 8 (Edit. de Déforis).

 

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subjuguer les cœurs. Et la raison en est évidente. Car le Fils de Dieu est venu au monde pour dompter les peuples rebelles qui s'étaient révoltés contre Dieu son Père. Et quand je cherche la rébellion par laquelle nous nous soulevons contre Dieu, je trouve infailliblement qu'elle est dans le cœur. Ce ne sont pas nos bras ni nos mains qui s'élèvent insolemment contre Dieu; c'est le cœur qui s'enfle au dedans, c'est lui qui murmure, c'est lui qui résiste : Dixit insipiens in corde suo : Non est Deus (1) : « L'insensé a dit en son cœur : Il n'y a point de Dieu. » L'insensé combat contre Dieu ; et voyant bien qu'il ne le peut détruire en effet, il tache de le détruire du moins en son cœur. La rébellion est donc dans le cœur. Et c'est pourquoi le même prophète qui a remarqué que c'est là que se nourrit la rébellion, nous apprend aussi que c'est là que portent les coups du victorieux : In corda inimicorum regis. C'est ce qui fait dire à saint Augustin que les peuples que Jésus surmonte tombent dans le cœur. Qu'est-ce à dire, tomber dans le cœur? « C'est dans le cœur qu'ils s'élevaient contre lui, c'est dans le cœur qu'il les abaisse et les fait tomber : » Ibi se erigebant adversùs Christum, ibi cadunt ante Christum (2).

D'où passant plus outre, je dis en second lieu avec le même saint Augustin que pour abattre ses ennemis dans le cœur, il fallait qu'il les remplit de son saint amour. C'est alors que les cœurs tombent devant lui, saintement abaissés par la charité : Populi sub te cadent, nous dit le Psalmiste. De là vient que notre prophète arme les mains de son conquérant de flèches aiguës, qui signifient les traits perça ns par lesquels la charité pénètre les cœurs : Sagittœ Potentis acutœ. Et c'est ici, chrétien, que tu dois apprendre que si Jésus ne te touche au cœur, si tu ne brûles pour lui par un saint amour, tu ne pourras jamais être sa conquête. Car tu ne peux être sa conquête, jusqu'à ce que tu sois blessé par ses armes. Puis donc que les armes de notre Prince sont des flèches qui percent les cœurs, tant que tu le sers seulement par crainte, tant que le cœur n'est point blessé par le saint amour, tu n'es point la conquête du Sauveur des âmes. Or pour blesser les cœurs par amour, pour les gagner, pour les conquérir, il fallait que mon

 

1 Psal. LII, 1. — 2 Enarr. in Psal. XLIV, n. 10.

 

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Prince répandit du sang. Et c'est ce qui achève mon raisonnement et nous découvre le secret de la prophétie ; c'est là que je découvre les charmes par lesquels Jésus subjugue les cœurs.

De là vient que nous lisons dans son Evangile que pendant le cours de sa vie il a toujours eu peu de sectateurs, jusque-là que ses amis rougissaient souvent de se voir rangés sous sa discipline. Mais après qu'il a répandu son sang, tous les peuples peu à peu tombent à ses pieds, jusqu'aux terres les plus inconnues, jusqu'aux nations les plus inhumaines, que sa doctrine a civilisées. Rome, après s'être longtemps enivrée du sang de ses généreux combattants, Rome la maîtresse a baissé la tête et a rendu plus d'honneur au tombeau d'un pauvre pêcheur qu'aux temples de son Romulus. Les empereurs même les plus triomphants sont venus au temps marqué par la Providence rendre aussi leurs devoirs ; ils ont élevé l'étendard de Jésus au-dessus des aigles romaines ; ils ont donné la paix à l'Eglise par toute l'étendue de l'empire.

Où êtes-vous maintenant, ô persécuteurs ? Que sont devenus ces peuples farouches qui rugissaient comme des lions contre l'innocent troupeau de Jésus? « Ils ne sont plus, dit saint Augustin ; Jésus les a frappés dans le cœur; Jésus a défait ses ennemis et il en a fait des amis; les ennemis sont morts, ce sont des amis qui sont en leur place : » Ceciderunt ; ex inimicis amici facti sunt; inimici mortui sunt, amici vivunt (1). Le sang répandu par amour a changé la haine en amour. O victoire vraiment glorieuse, qui se rend les cœurs tributaires ! ô noble et magnifique conquête ! ô sang utilement répandu !

Mais finissons enfin ce discours par une dernière considération, par laquelle l'Apôtre nous fera comprendre combien nous sommes acquis au Sauveur des âmes par le sang qu'il a versé pour l'amour nous. Nous ne sommes pas seulement au prince Jésus comme un peuple qu'il a gagné par amour, mais comme un peuple qu'il a acheté d'un prix infini. Et remarquez « qu'il ne nous a pas achetés, comme dit saint Pierre (2), ni par or, ni par argent, ni par des richesses mortelles. » Car étant maître de l'univers, tout cela ne lui coûtait rien ; mais  parce qu'il nous voulait beaucoup

 

1 S. August., ubi suprà. — 2 I Petr., I, 18.

 

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acheter, il a voulu qu'il fui en coûtât. Et afin que nous entendions jusqu'à quel point nous lui sommes chers, il a donné son sang d'un prix infini. Entrons profondément en cette pensée.

Tout achat consiste en échange. Vous me donnez, je vous donne, c'est un échange; et dans cet échange, fidèles, ce que je reçois remplit la place de ce que je donne. L'achat n'est point une perte. Je me dessaisis , mais je ne perds pas, parce que ce que je reçois me tient.lieu de ce que je donne. Cela est dans le commerce ordinaire. Qu'a donné Jésus pour nous acheter? Il a donné sa vie, sa chair et son sang. Donc nous lui tenons lieu de sa vie ; nous ne sommes pas moins à lui que son propre corps et que le sang qu'il a donné pour nous acheter ; et c'est pourquoi nous sommes ses membres. Belle et admirable manière d'acquérir les hommes ! Ah ! mes frères, élevons nos cœurs ; travaillons à nous rendre dignes de l'honneur que nous avons d'être à lui par une sorte d'union si intime. N'ôtons pas à Jésus le prix de son sang. Songeons à ce que dit l'apôtre saint Paul : « Vous n'êtes pas à vous, nous dit-il ; car vous avez été payés d'un grand prix (1). » Consacrons toute notre vie au Sauveur, puisqu'il l'a si bien achetée ; et comme il ne nous achète que pour nous sauver, parce qu'il ne nous possède que comme Sauveur, ne rompons pas un marché qui nous est si avantageux.

Considère, ô peuple fidèle, que nous appartenons au Seigneur Jésus par le droit de notre naissance. Etant donc à lui à si juste titre, puisqu'il nous paie encore, puisqu'il nous achète, comprenons que c'est notre amour qu'il veut acheter, parce que notre rébellion le lui a fait perdre. Qui ne vous aimerait, ô Jésus? qui ne vous donnerait un amour que vous exigez avec tant de force, que vous attirez avec tant de grâce, et enfin que vous couronnez avec une telle libéralité? Aimons donc Jésus de toute notre âme aimons fortement, aimons constamment ; et ayons toujours en notre pensée que l'amour que nous lui rendons est un amour gagné par le sang. C'est pourquoi résolvons-nous, chrétiens, à aimer Jésus-Christ parmi les souffrances. C'est aimer trop faiblement Jésus-Christ, que de ne souffrir rien pour l'amour de lui.

 

1 I Cor., VI, 19, 20.

 

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Son amour paraît par son sang; il ne reconnaît point d'amour qui ne soit marqué de sang tout comme le sien.

Mais auquel sang lui donnerons-nous ? Irons-nous chercher bien loin des persécuteurs qui répandent notre sang pour l'amour de lui? Non, fidèles, ce n'est pas là ma pensée. Il n’est pas nécessaire de passer les mers, ni de visiter les peuples barbares. Si nous aimons assez Jésus-Christ, la foi inventive et industrieuse nous fera trouver un martyre au milieu de la paix du christianisme. Quand il nous exerce par les souffrances, si nous l'endurons chrétiennement, notre patience tient lieu de martyre. S'il met la main dans notre sang et dans nos familles en nous ôtant des parents et des proches que nous chérissons, et que bien loin de murmurer de ses ordres nous sachions lui en rendre grâces, c'est notre sang que nous lui donnons. Si nous lui offrons avec patience un cœur blessé et ensanglanté par la perte qu'il a faite de ce qu'il aimait justement, c'est notre sang que nous lui donnons. Et puisque nous voyons dans les saintes Lettres que l'amour que nous avons des biens corruptibles est appelé tant de fois la chair et le sang, lorsque nous retranchons cet amour, qui ne peut être arraché que de vive force, de sorte que l’âme se sent comme déchirée par la violence qu'elle souffre, c'est du sang que nous donnons au Sauveur.

Quelques philosophes enseignent que c'est la même matière du sang qui fait les sueurs et les larmes. Je ne recherche pas curieusement si cette opinion est la véritable ; mais je sais que devant le Seigneur Jésus et les larmes et les sueurs tiennent lieu de sang. J'entends par les sueurs, chrétiens, les travaux que nous subissons pour l'amour de lui, non avec une nonchalance molle et paresseuse, mais avec un courage ferme et une noble contention. Travaillons donc pour l'amour de Dieu. Faut-il faire quelque établissement pour le bien des pauvres ; se présente-t-il quelqu'occasion d'avancer la gloire de Dieu, d'employer des soins charitables au salut des âmes; faut-il résister généreusement aux entreprises de l'hérésie, afin qu'étant plus soumise elle devienne par conséquent plus docile, afin qu'étant plus humble elle devienne plus disposée à pendre les armes à la vérité : montrons de

 

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la vigueur et du zèle. Travaillons constamment pour l'amour de Dieu, et tenons pour chose assurée que les sueurs que répandra un si beau travail, c'est du sang que nous donnons au Sauveur.

Mais quel sang est plus agréable à Jésus que celui de la pénitence ; ce sang que le regret de nos crimes tire si amoureusement du cœur par les yeux, c'est-à-dire le sang des larmes amères, qui est nommé par saint Augustin (1) le sang de notre âme ; ce sang que nous versons devant Dieu, lorsque repassant nos ans écoulés dans l'amertume de notre cœur, nous pleurons sincèrement nos ingratitudes? C'est ce sang que nous devons au Sauveur. Présentons-le-lui devant ses autels, mêlons-le dans le sang de son sacrifice ; portons-le à ces tribunaux de miséricorde que l'infinie bonté du Sauveur érige dans les églises pour purger nos fautes. Mais, fidèle, si c'est un sang que tu aies consacré au Seigneur Jésus, prends garde de ne l'ôter point de ses mains. Tu lui ôtes les larmes que tu lui as données, lorsque tu retournes au péché que tu as déjà pleuré plusieurs fois ; car alors tu improuves tes premières larmes, tu condamnes tes déplaisirs, tu te repens de ta pénitence. Ah ! Jésus n'improuve pas ce qu'il a fait une fois pour toi ; au contraire il le perpétue tous les jours en quelque façon sur ses saints autels.... Serment de fidélité au roi Jésus prêté au baptême : renouvelons-le devant Dieu (a).

 

1 Serm. CCCLI, n. 7.

 

(a) Voy. le sermon précédent (Edit. de Déforis).

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