Jour des Morts
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SERMONS POUR LE JOUR DES MORTS.

 

 

 SERMON POUR LE JOUR DES MORTS.  SUR LA RÉSURRECTION DERNIÈRE (a).

PREMIER POINT.

SECOND  POINT.

TROISIÈME POINT.

SECOND EXORDE POUR LE SERMON  SUR LA RÉSURRECTION DERNIÈRE (b).

FRAGMENT  D'UN SERMON POUR LE JOUR DES MORTS.

 

 

SERMON POUR LE JOUR DES MORTS.
SUR LA RÉSURRECTION DERNIÈRE (a).

 

Novissima inimica destruetur mors.

Eschatos ektros katargeitai o thanatos.

 

Le dernier ennemi qui sera détruit sera la mort. I Cor., XV, 26.

 

Quand l'ordre des siècles sera révolu, les mystères de Dieu consommés, ses promesses accomplies, son Evangile annoncé par toute la terre; quand le nombre de nos frères sera rempli, c'est-à-dire quand la sainte société des élus sera complète, le corps mystique du Fils de Dieu composé de tous ses membres et les célestes légions où la désertion des anges rebelles a fait vaquer tant de places entièrement rétablies par cette nouvelle recrue : alors il sera temps, chrétiens, de détruire tout à fait la mort, et de la reléguer pour toujours aux enfers d'où elle est sortie : Et infernus et mors missi sunt in stagnum ignis (1), comme il est écrit dans l'Apocalypse. Il est écrit que « Dieu n'a pas fait la mort (2), mais qu'elle est entrée dans le monde par l'envie du diable (3) » et par le péché de l'homme. Car l'homme en consentant au péché, s'est assujetti à la mort; ainsi contre l'intention du Créateur, l'homme qui était sorti immortel de ses saintes et divines mains est devenu mortel et caduc par la malice du diable.

Mais le Sauveur étant venu sur la terre pour dissoudre l'œuvre

 

1 apoc., XX, 14. — 2 Sap., I, 13. — 3 Ibid., II, 24.

 

(a) L’histoire ni la critique ne nous apprennent rien sur ce sermon; mais le style et le manuscrit en montrent la date vers 1663, et l'apostrophe qui termine le premier point lui donne Paris pour lieu d'origine. Notre discours appartient donc à la grande époque de l'orateur: voilà tout ce qu'il nous importe de savoir.

 

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du diable, il détruira premièrement le péché; et après par une suite nécessaire d'une victoire si illustre et si glorieuse, il abolira aussi la puissance et l'empire de la mort. Ainsi (a) l'Apôtre s'écrie : «  O mort, où est ta victoire? » Ubi est, mors, victoria tua (1)? Mais il faut ici remarquer que tant qu'il restera sur la terre quelque vestige du péché, la mort ne cessera de tout ravager et exercera toujours sur le genre humain sa dure et tyrannique puissance (b). Mais à la consommation des siècles, après que le règne du péché sera détruit sur la terre, que toute la pompe (c) du monde sera dissipée, et enfin que tout ce qui s'élève contre la gloire (d) de Dieu sera renversé, alors Jésus-Christ attaquera sa dernière ennemie qui est la mort; et tirant tous ses enfants d'entre ses mains, il les délivrera pour jamais de cette cruelle, dure et insupportable tyrannie (e) : Novissima inimica destruetur.

Encore que ce triomphe de Jésus-Christ sur la mort ne s'accomplira qu'à la fin des siècles, il se commence dès la vie présente ; et au milieu de ce siècle de corruption, l'œuvre de notre immortalité se prépare. Que devons-nous faire pour concourir à l'opération de la grâce qui nous ressuscite ? L'Ecriture nous propose trois principes de résurrection : la parole de Jésus-Christ, le corps de Jésus-Christ, l'esprit de Jésus-Christ. La parole de Jésus-Christ : Venit hora in quâ omnes qui sunt in monumentis audient vocem Filii Dei (2). Le corps de Jésus-Christ : Qui manducat meam carnem habet vitam œternam, et ego resuscitabo eum in novissimo die (3). L'esprit de Jésus-Christ : Quod si Spiritus ejus qui suscitavit Jesum à mortuis habitat in vobis, qui suscitavit Jesum à mortuis rivificabit et mortalia corpora vestra propter inhabitantem Spiritum ejus in vobis (4). Ce que nous demande cette parole; ce que nous devons à ce corps; ce qu'exige de nous cet Esprit.

 

PREMIER POINT.

 

Nous voyons dans l'Evangile deux paroles du Fils de Dieu qui sont adressées aux morts, l'une à la fin des siècles, l'autre durant

 

1. I Cor., XV, 55. — 2 Joan., V, 28. — 3 Ibid., VI, 55. — 4 Rom., VIII, 11.

 

(a) Var. : C'est pourquoi.— (b) Son insupportable tyrannie.— (c) Gloire. — (d) Science. — (e) Il les délivrera pour jamais de sa tyrannie.

 

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le cours du siècle présent. Ecoutez comme il parle au chapitre V de saint Jean : Amen, amen dico vobis, quia venit (a) hora, et nunc est, quando mortui audient vocem Filii Dei, et qui audierint, vivent (1). « L'heure vient, et elle est déjà. » Remarquez : donc cette parole ne regarde pas la consommation des siècles. Les morts entendront la voix du Fils de Dieu, c'est ce qu'il a dit auparavant : « Celui qui écoute ma parole et qui croit à celui qui m'a envoyé, » transiet de morte ad vitam (b). Mais voici encore une autre parole : « L'heure vient ; » il ne dit plus : « Elle est déjà ; que tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront sa voix, et ceux qui auront bien fait sortiront pour ressuscitera la vie, et ceux qui auront mal fait sortiront pour ressusciter à leur condamnation (c) (2). » Voilà donc deux paroles adressées aux morts, parce qu'il y a deux sortes de morts, ou plutôt il y a deux parties en l'homme, et toutes deux ont leur mort. « L’âme, dit saint Augustin (3), est la vie du corps, et Dieu est la vie de l'âme. » Ainsi comme le corps meurt quand il perd son âme, l'esprit meurt quand il perd son Dieu. Cette mort ne nous touche pas, parce qu'elle n'est pas sensible ; et toutefois , chrétiens, si nous savions pénétrer les choses, cette mort de nos corps qui nous paraît si cruelle, suffirait pour nous faire entendre combien le péché est plus redoutable. Car si c'est un grand malheur que le corps ait perdu son âme, combien plus que l’âme ait perdu son Dieu? Et si nos sens sont saisis d'horreur en voyant ce corps froid et insensible, abattu par terre, sans force et sans mouvement, combien est-il plus horrible de contempler l’âme raisonnable, cadavre spirituel et tombeau vivant d'elle-même, qui étant séparée de Dieu par le péché, n'a plus de vie ni de sentiment que pour rendre sa mort éternelle? C'est donc à ces morts spirituels, c'est aux âmes pécheresses que Jésus-Christ adresse sa voix pour les appeler à la pénitence : Venit hora, et nunc est.

Que si vous me demandez d'où vient qu'il adresse encore à la fin des siècles une seconde parole aux morts qui sont gisants et ensevelis dans les tombeaux, je vous le dirai en un mot, parce que la chose est assez connue. L’âme a péché par le ministère et même

 

1 Joan., V, 25. — 2 Ibid., V, 24, 28, 29. — 3 Serm. CCLXXIII, n. 1.

 

(a) Note marg.: Erketai. —(b) Le grec . Transivit.—(c) Var.: Au jugement.

 

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en quelque façon par l'instigation du corps, et c'est pourquoi il est juste qu'elle soit punie avec son complice. L’âme s'est aussi servie dans les bonnes œuvres du ministère du corps qu'elle a pris soin de dompter, afin, comme dit l'Apôtre (1), que la justice de Dieu s'assujettit à elle-même nos membres et leur fit porter le joug honorable de Jésus-Christ et de l'Evangile. Ainsi ce corps qui a eu sa part aux travaux, doit être aussi appelé comme un compagnon fidèle à la société de la gloire.

Ou si vous vouliez que je vous apporte une raison plus sublime et plus cligne encore de la majesté du Sauveur, il était juste que le Fils de Dieu ayant pris un corps aussi bien qu'une âme, et ayant uni l'homme tout entier à sa divine personne, il fit sentir sa puis-sauce au corps et à l’âme, et qu'il soumit l'homme tout entier à l'autorité de son tribunal. C'est pourquoi après avoir parlé aux morts spirituels pour ressusciter leurs âmes, il parle à la fin des siècles aux morts gisants dans les sépulcres, pour les en faire sortir et leur rendre la vie (a) : Et qui audierint, vivent.

Quand donc cette heure dernière sera arrivée, à laquelle Dieu a résolu de réveiller les élus de leur sommeil, une voix sortira du trône et de la propre bouche du Fils de Dieu, qui ordonnera aux morts de revivre. «Os arides, os desséchés, écoutez la parole du Seigneur : » Ossa arida, audite verbum Domini (2). Au son de cette voix toute-puissante qui se fera entendre en un moment de l'orient jusqu'à l'occident, et du septentrion jusqu'au midi, les corps gisants, les os desséchés, la cendre et la poussière froide et insensible seront émus dans le creux de leurs tombeaux ; toute la nature commencera à se remuer ; et la mer, et la terre et les abîmes se prépareront à rendre leurs morts qu'on croyait qu'ils eussent engloutis comme leur proie, mais qu'ils avaient seulement reçus comme un dépôt pour le remettre fidèlement au premier ordre. Car, mes frères, «ce Jésus qui aime les siens, et les aime jusqu'à la fin (3), » prendra soin de ramasser de toutes les parties du monde leurs restes toujours précieux devant lui. Ne vous étonnez pas d'un si grand effet ; c'est de lui qu'il est écrit qu'il « porte tout

 

1 Rom., VI, 19.— 2 Ezech., XXXVII, 4.— 3 Joan., XIII, 1.

(a) Var. : Pour ressusciter leurs corps.

 

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l'univers par sa parole très-efficace (1). » Toute la vaste étendue de la terre, et les profondeurs des mers et toute l'immensité du monde, n'est qu'un point devant ses yeux. Il soutient de son doigt les fondements de la terre, l'univers entier est sous sa main. Et lui, qui a bien su trouver nos corps dans le néant même d'où il les a tirés par sa parole, ne les laissera pas échapper à sa puissance au milieu de ses créatures. Car cette matière de nos corps n'est pas moins à lui pour avoir changé de nom et de forme ; ainsi il saura bien ramasser les restes dispersés de nos corps, qui lui sont toujours chers parce qu'il les a une fois unis à une âme qui est son image, qu'il remplit de sa grâce et qui sont toujours gardés sous sa main puissante, en quelque coin de l'univers que la loi des changements ait jeté ces restes précieux. Et quand la violence de la mort les aurait poussés jusqu'au néant. Dieu ne les aurait pas perdus pour cela. Car « il appelle ce qui n'est pas avec la même facilité que ce qui est : » Vocans ea quae non sunt tanquam ea quœ sunt (2). Et Tertullien a raison de dire que « le néant est à lui aussi bien que tout : » ejus est nihilum ipsum, cujus et totum (3).

Ayant donc ainsi rétabli les corps de ses bien-aimés dans une intégrité parfaite, il les réunira à leurs aines saintes, et ils deviendront vivants; il bénira cette union, afin qu'elle ne puisse plus être rompue, et il les rendra immortels. Il fera que cette union sera tellement intime, que les corps participeront aux honneurs des âmes; et par là nous les verrons glorieux. Tels sont les magnifiques présents que Jésus-Christ fera en ce jour à ses élus par la puissance de sa parole. Il les fera sortir de leurs tombeaux pour leur donner la vie, l'immortalité et la gloire ; la mort ne sera plus, et toutes les marques de corruption seront abolies : Novissima inimica destruetur mors. O puissance de Jésus-Christ! ô mort glorieusement vaincue ! ô ruines du genre humain divinement réparées !

Mais, mes frères, avant que la mort soit anéantie, il faut que le péché soit détruit, parce que c'est par le péché que la mort a régné sur la terre. Souvenez-vous donc, mes frères, de ce que nous avons dit au commencement, que Dieu n'a pas fait la mort;

 

1 Hebr., I, 3. — 2 Rom., IV, 17. — 3 Apolog., n. 48.

 

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au contraire comme il a créé l’âme raisonnable pour habiter dans le corps  humain, il avait voulu au commencement que leur union fût indissoluble; et c'est peut-être un des sens qu'il faut donner à cette par fié du Psalmiste : Corpus autem aptasti mihi (1) : « Vous m'avez approprié un corps. » De même que s'il eût dit comme en son nom au Créateur : O Seigneur, vous avez fait mon âme d'une nature bien différente du corps. Car après avoir formé ce corps avec de la boue, c'est-à-dire avec une terre détrempée, ce n'est plus ni de la terre, ni de l'eau, ni du mélange du sec et de l'humide, ni enfin d'aucune partie de la matière que vous avez tiré l’âme que vous avez mêlée dans cette masse pour la vivifier. C'est de vous-même, c'est de votre bouche que vous l'avez fait sortir; vous avez soufflé un souffle de vie, et l'homme a été animé, non par l'arrangement des organes, non par la température des qualités, non par la distribution des esprits vitaux, mais par un autre principe de vitalité que Dieu a tiré de son propre sein par une nouvelle création (a), toute différente de celle qui a tiré du néant et qui a formé la matière (b) .

Que si cette théologie ne vous ennuie pas, j'ajouterai, chrétiens, que Dieu avait fait cette âme d'une nature immortelle. Car pour laisser à part les autres raisons qui nous montrent cette vérité, il suffit de considérer celle que nous apporte l'Ecriture sainte ; c'est que Dieu l'a faite à son image, qu'elle est participante de la vie de Dieu; elle vit en quelque façon comme lui, parce qu'elle vit de raison et d'intelligence, et que Dieu l'a rendue capable de l'aimer et. de le connaître, comme lui-même s'aime et se connaît. C'est pourquoi étant faite à son image et étant liée par son fond à son immortelle vérité, elle ne tient point son être de la matière et n'est point assujettie à ses lois ; de sorte qu'elle ne périt point, quelque changement qui arrive au-dessous d'elle, et ne peut plus retomber dans le néant, si ce n'est que celui qui l'en a tirée et qui l'ayant faite à son image, l'attache à lui-même comme à son principe,

 

1 Psal. XXXIX, 7; Hebr., X, 5.

 

(a) Var. : Opération. — (b) Note marg. : C'est pourquoi, quand il veut former l'homme, il recommence un nouvel ordre de choses, une nouvelle création : Faciamus hominem (Gen., I, 26). C'est un autre ouvrage, une autre manière différente de tout ce qui précède; rien encore qui lui soit semblable.

 

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lâche la main tout à coup et la laisse aller dans cet abîme.

Toutefois, comme elle est dans le dernier ordre des substances intelligentes, c'est en elle que se fera l'union entre les esprits et les corps. Dieu a fait des substances séparées des corps : Dieu les peut faire en divers degrés, c'est-à-dire plus ou moins parfaites; et en descendant toujours on pourra enfin venir à quelqu'une qui sera si imparfaite, qu'elle se trouvera en quelque sorte aux confins des corps et sera de nature à y être unie. Là en descendant toujours par degrés du parfait à l'imparfait, on arrive nécessairement aux extrémités et comme aux confins où le supérieur et l'inférieur se joignent et se touchent. Car je crois qu'on peut entendre facilement que tout est disposé dans la nature comme par degrés, et que le premier principe donne l'être et se répand lui-même par cet ordre et comme de proche en proche. Ainsi l’âme raisonnable se trouvera naturellement unie à un corps : Corpus autem aptasti mihi.

Mais ce mot d'approprier un corps a une plus particulière signification. Car il faut nous persuader que l’âme raisonnable parle et dit à son Créateur : Comme vous m'avez faite immortelle en me créant à votre image, vous m'avez aussi approprié un corps si bien assorti avec moi, que notre paix et notre union serait éternelle et inviolable, si le péché venant entre deux n'eût troublé cette céleste harmonie. Comment est-ce que le péché a désuni deux choses si bien assorties? Il est aisé de l'entendre par cette excellente doctrine de saint Augustin. Car, dit-il, c'est une loi immuable de la justice divine, que le mal que nous choisissons soit puni par un mal que nous haïssons. De sorte que c'a été un ordre très-juste qu'étant allés au péché par notre choix, la mort nous ait suivis contre notre gré, et que « notre âme fût contrainte de quitter son corps par une juste punition de ce qu'elle a abandonné Dieu par une dépravation volontaire : » Spiritus, quia volens deseruit Deum, deserit corpus invitus (1).

C’est, mes frères, en cette sorte que « le péché étant entré dans le monde, la mort, comme dit l'Apôtre, y est entrée par même moyen (2). » C'est pourquoi le Fils de Dieu ne détruit la mort

 

1 S. August., De Trinit., lib. IV, n. 16. —  2 Rom., V, 12.

 

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qu'après avoir détruit le péché; et avant que d'adresser aux morts à la fin des temps la parole qui les ressuscite, il adresse dans le cours des siècles à tous les pécheurs sa parole, qui les convertit et qui les appelle à la pénitence. C'est cette parole que nous vous portons. (a) O morts, c'est donc à vous que je parle, non à ces morts qui gisent dans ce tombeau, et reposent en paix et en espérance sous cette terre bénite; mais à ces morts parlants et écoutants, « qui ont le nom de vivants et qui sont morts en effet : » Nomen habes quòd vivas, et mortuus es (1); qui portent leur mort dans leur âme, parce qu'ils y portent leur péché. Ecoutez, ô morts spirituels; c'est Jésus-Christ qui vous appelle pour ressusciter avec lui : « Pourquoi voulez-vous mourir, maison d'Israël? (2) » Sortez de vos tombeaux, sortez de vos mauvaises habitudes. Ah! que je vous relève aujourd'hui ; mais avant de vous relever, que je vous abatte!

Adhuc quadraginta dies, et Ninive subvertetur (3). Dieu les menace de les renverser, et ils se renversent eux-mêmes en détruisant jusqu'à la racine leurs inclinations corrompues : Subvertitur planè, dùm calcatis deterioribus studiis ad meliora convertitur; subvertitur planè, dùm purpura in cilicium, affluentia in jejunium, laetitia mutatur in fletum (4). De quoi vous plaignez-vous, ô Seigneur? Vous avez dit que Ninive serait renversée; en effet elle est renversée en tournant en bien ses mauvais désirs. « Ninive est véritablement renversée, puisque le luxe de ses habits est changé en un sac et un cilice, la superfluité de ses banquets en un jeune austère, la joie dissolue de ses débauches aux saints gémissements de la pénitence. » O ville utilement renversée! Paris, dont on ne peut abaisser l'orgueil, dont la Vanité se soutient toujours malgré tant de choses qui la devraient déprimer, quand te verrai-je renversée? Quand est-ce que j'entendrai cette bienheureuse nouvelle : Le règne du péché est renversé de fond en comble; ses femmes ne s'arment plus contre la pudeur, ses enfants ne soupirent

 

1 Apoc., III, 1. — 2 Ezech., XXXIII, II. —3 Jon., III, 4. — 4 S. Eucher., homil. de Pœnit. Ninivit., tom. VI Biblioth. Patr., col. 646.

 

(a) Note marg.: Que plût à Dieu que nous pussions détacher de notre parole tout ce qui flatte l'oreille, tout ce qui délecte l'esprit, tout ce qui surprend l'imagination, pour n'y laisser que la vérité toute simple, la seule force et l'efficace toute pure du Saint-Esprit, nulle pensée que pour convertir!

 

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plus après les plaisirs mortels et ne livrent plus en proie leur âme à leurs yeux; cette impétuosité, ces emportements, ce hennissement des cœurs lascifs est supprimé; ceux qui ont attenté sur la couche de leur prochain, etc.; le bien d'autrui.....et adhuc in arcà tuà ignis, thesauri iniquitatis qui devorant te (1). Tu crois te les être appropriés par l'usage de tant d'années : tout renversé. Mais relevez-vous, sortez de ces tribunaux, salutaires tombeaux des pénitents; venez à la table des enfants, venez à la vie, venez au pain véritable que Moïse n'a pu donnera nos pères (a) (2); venez au corps de Jésus, qui est le second principe de résurrection et de vie.

 

SECOND  POINT.

 

Le corps de Jésus-Christ est premièrement le modèle de notre résurrection. Un architecte qui bâtit un édifice, se propose un plan et un modèle; Jésus-Christ se propose son propre corps : Reformabit corpus humilitatis nostrœ configuratum corpori claritatis suœ (3). Il en est secondement le gage : Si mortui non resurgunt, neque Christus resurrexit (4) « Les prémices de la résurrection : » Primitiae dormientium (5). Le grain de froment : Sed generis humani una in fine sœculi messis assurget; tentatum est experimentum in principali grano (6). Il est en troisième lieu le principe d'incorruption (7). La corruption par le sang, de même l'immortalité : saint Grégoire de Nysse et saint Cyrille d'Alexandrie. D'où vient donc qu'il faut mourir et être assujetti à la corruption? (b) Chair de péché : de là chargée d'infirmités et de maladies. Allez dans les hôpitaux durant ces saints jours pour y contempler le spectacle de l'infirmité humaine; là vous verrez en Combien de sortes la maladie se joue de nos corps. Là elle étend, là elle retire; là elle relâche, là elle engourdit; là elle cloue un corps perclus et immobile, là elle le secoue tout entier par le tremblement. Pitoyable variété! diversité surprenante! Chrétiens, c’est la maladie qui se joue comme il lui plaît de nos corps, que le

 

1 Mich., VI, 10. — 2 Joan., VI, 32. — 3 Philip., III, 21. — 4 I Cor., XV, 13. — 5 Ibid., 20. — 6 S. August., Serm. CCCLXI, n. 10. — 7 S. Cyrill. Alex., lib. IV in Joan., cap; II.

 

(a) Var. : Aux Israélites.— (b) Note marg. : Voy. Serm. du Lazare.

 

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péché a abandonnés à ses cruelles bizarreries. O homme, considère le peu que tu es; regarde le peu que tu vaux; viens apprendre la liste funeste des maux dont ta faiblesse est menacée. Et la fortune pour être également outrageuse, ne se rend pas moins féconde en événements fâcheux. Le secours qu'on leur donne, image du grand secours que leur donnera un jour Jésus-Christ en les affranchissant tout à fait. Mais en attendant il faut qu'ils tombent pour être renouvelés; ils ne laisseront à la terre que leur mortalité et leur corruption. Il faut que ce corps soit détruit jusqu'à la poussière; la chair changera de nature, le corps prendra un autre nom ; même celui de cadavre ne lui demeurera pas longtemps. La chair deviendra un je ne sais quoi qui n'a plus de nom dans aucune langue; tant il est vrai que tout meurt en eux jusqu'à ces termes funèbres par lesquels on exprimait ces malheureux restes : Post totum ignobilitatis elogium, caducœ in originem terram, et cadaveris nomen; et de isto quoque nomine periturœ in nullum inde jam nomen, in omnis jam vocabuli mortem (1).

Mais ayant participé au corps du Sauveur, principe de vie.....

Nous recevons par le baptême un droit réel sur le corps de Jésus-Christ; donc sur sa vie, sur sa grâce, sur son immortalité. Ne renonçons point à ce droit, ne le perdons pas. (a) Nous demeurons toujours dans la communion du mystère, non-seulement dans l'actuelle participation, mais dans le droit de communier.

Corpus non fornicationi, sed Domino, et Dominus corpori (2) (b) . Il fait notre corps semblable au sien, un temple : Solvite templum hoc (3). Nous devons l'orner comme un temple avec bienséance, je le veux bien, mais toujours avec dignité. Rien de vain, rien de profane. Donc, ô sainte chasteté, fleur de la vertu, ornement immortel des corps mortels, marque assurée d'une âme bien faite et véritablement généreuse, protectrice de la sainteté et de la foi mutuelle dans les mariages, fidèle dépositaire de la pureté du sang et qui seule en sait conserver la trace ; viens consacrer ces corps corruptibles, viens leur être un baume éternel contre la corruption ;

 

1 Tertull., De Resurrect. carnis, n. 4. — 2 I Cor., VI, 13. — 3 Joan., II, 19.

 

(a) Note marg. : Le plus beau droit de l'Eglise comme une épouse. Deux espèces de communion : le droit et l'actuelle participation. — (b) Voy. second discours de la Pureté.

 

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viens les disposer à une sainte union avec le corps de Jésus-Christ; et fais qu'en prenant ce corps, nous en tirions aussi tout l'esprit.

 

TROISIÈME POINT.

 

Je l'ai déjà dit, mes frères, mais il faut le dire encore une fois, que durant ce temps de corruption Dieu commence déjà dans nos corps l'ouvrage de leur bienheureuse immortalité. Oui, pendant que ce corps mortel est accablé de langueurs et d'infirmités, Dieu y jette intérieurement les principes d'une consistance immuable ; pendant qu'il vieillit, Dieu le renouvelle ; pendant qu'il est tous les jours exposé en proie aux maladies les plus dangereuses et à une mort très-certaine, Dieu travaille par son Esprit saint à sa résurrection glorieuse. De quelle sorte s'accomplit un si grand mystère? Saint Augustin qui l'a appris du divin Apôtre, vous l'aura bientôt expliqué par une excellente doctrine.

Mortels, apprenez votre gloire; terre et cendre, écoutez attentivement les divines opérations qui se commencent en vous. Il faut donc savoir avant toutes choses que le Saint-Esprit habite en nos âmes, et qu'il y préside par la charité qu'il y répand. Comment cette divine opération s'étend-elle sur le corps ? Ecoutez un mot de saint Augustin, et vous l'entendrez : « Celui-là, dit ce saint évoque, possède le tout, qui tient la partie dominante : » Totum possidet, qui principale tenet (1). « Or en nous, poursuit ce grand homme, il est aisé de connaître que c'est l’âme qui tient la première place, et que c'est à elle qu'appartient l'empire. » De ces deux principes si clairs, si indubitables, saint Augustin tire aussitôt cette conséquence facile : «Dieu tenant cette partie principale, c'est-à-dire l’âme et l'esprit, par le moyen du meilleur il se met en possession de la nature inférieure; » par le moyen du prince, il s'acquiert aussi le sujet; et dominant sur l’âme qui est la maîtresse, il étend sa main sur le corps et l'assujettit à son domaine (a). C'est ainsi que notre corps est renouvelé par la grâce du christianisme. Il change de maître heureusement et passe en de meilleures mains ;

 

1 S. August., Serm. CLXI, n. 6.

(a) Var. : Et s’en met en possession.

 

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par la nature il était à rame, par la corruption il servait au vice, par la grâce et la religion il est à Dieu.

Il se fait comme un sacré mariage entre notre esprit et l'esprit de Dieu ; ce qui fait que « celui qui s'attache au divin Esprit, devient un même esprit avec Dieu : » Qui adhaeret Domino unus spiritus est (1). Et comme on voit, dit Tertullien, dans les mariages que la femme rend son époux maître de ses biens et lui en cède l’usage : ainsi l’âme en s'unissant à l'esprit de Dieu et se soumettant à lui comme à son époux, lui transporte aussi tout son bien comme étant le chef et le maître de cette communauté bienheureuse. « La chair la suit, dit Tertullien, comme une partie de sa dot ; et au lieu qu'elle était seulement servante de l’âme, elle devient servante de l'esprit de Dieu : » Sequitur animam nubentem spiritui caro, ut dotale mancipium; et jam non animae famula, sed spiritûs (2). En effet ne voyez-vous pas que le corps du chrétien change de nature, et qu'au lieu d'être simplement l'organe de l’âme, il devient l'instrument fidèle de toutes les saintes volontés que Dieu nous inspire ? Qu'est-ce qui donne l'aumône, si ce n'est la main ? Qu'est-ce qui confesse ses péchés, si ce n'est la bouche ? Qu'est-ce qui les pleure, si ce n'est les yeux ? Qu'est-ce qui brûle du zèle de Dieu, si ce n'est le cœur? En un mot, dit le saint Apôtre, « tous nos membres sont consacrés à Dieu et doivent être ses hosties vivantes (3). » Qui ne voit donc que le Saint-Esprit se met en possession de nos corps, puisqu'ils sont les instruments de sa grâce, les temples où il se repose en sa majesté, et enfin les hosties vivantes de sa souveraine grandeur?

Mais poussons encore plus loin ce raisonnement, et tirons la conséquence de ces beaux principes. Si Dieu remplissant nos âmes s'est mis en possession de nos corps, donc la mort, ni aucune violence, ni l'effort de la corruption ne peut plus les lui enlever. Tôt ou tard Dieu rentrera dans son bien et retirera son domaine. Le Fils de Dieu a prononcé que « nul ne peut rien ravir des mains de son Père : Mon Père, dit-il, est plus grand que toute la nature : » Nemo potest rapere de manu Patris mei (4). Et en effet ses mains étant si puissantes, nulle force ne les peut vaincre ni leur faire

 

1 I Cor., VI, 17.— 2 Tertull., De Animâ, n. 41. — 3 Rom. XII, 1. — 4 Joan., X   29.

 

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lâcher leur prise. Ainsi Dieu ayant mis sur nos corps sa main souveraine, s'en étant saisi par son Esprit saint, que l'Ecriture appelle son doigt, et en étant déjà en possession, ô chair, j'ai eu raison de le dire qu'en quelque endroit de l'univers que la corruption te jette et te cache, tu demeures toujours sous la main de Dieu. Et toi, terre, mère tout ensemble et sépulcre commun de tous les mortels, en quelques sombres retraites que tu aies englouti, dispersé, recelé nos corps, tu les rendras tout entiers ; et plutôt le ciel et la terre seront renversés qu'un seul de nos cheveux périsse, paire que Dieu en étant le maître, nulle force ne peut l'empêcher d'achever en eux son ouvrage.

Ne doutez pas; chrétiens, « que si l'Esprit immortel qui a ressuscité le Seigneur Jésus habite en vous, cet Esprit qui a ressuscité Jésus-Christ vivifiera aussi vos corps mortels à cause de son esprit qui habite en vous (1). » Car cet Esprit tout-puissant, infiniment délecté de ce qu'il a fait en Jésus-Christ, agit toujours en conformité de ses divines opérations; et pourvu qu'on le laisse agir, il achèvera son ouvrage. Nulle puissance du monde ne peut empêcher son action, et nous seuls pouvons lui être un obstacle, parce que les dons de Dieu demandent ou une fidèle coopération, ou du moins une acceptation volontaire. Laissons-nous donc gouverner à l'Esprit de Dieu, laissons-lui dompter nos corps mortels. Si nous voulons qu'il déploie sur eux toute sa vertu, laissons-lui les assujettir à sa divine opération. Détachons-nous de nos corps pour nous attacher fortement à l'Esprit de Dieu. Car que faisons-nous, chrétiens, lorsque nous flattons notre corps, que faisons-nous autre chose que d'accroître la proie de la mort, lui enrichir son butin, lui engraisser sa victime? Pourquoi m'es-tu donné, ô corps mortel (a), et quel traitement te ferai-je? Si je t'affaiblis, je m'épuise; si je te traite doucement, je ne puis éviter ta force qui me porte à terre (b) ou qui m'y retient. Que ferai-je donc avec toi et de quel nom t’appellerai-je, fardeau accablant, soutien nécessaire, ennemi flatteur, ami dangereux, avec lequel je ne puis avoir ni guerre, ni

 

1 Rom., VIII, 11.

(a) Var. : : Pourquoi te suis-je uni, ô corps mortel...? — (b)  Si je t'affaiblis, j’épuise mes forces; si je te traite doucement, je ne puis éviter les tiennes qui me portent.....

 

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paix parce qu'à chaque moment il faut s'accorder, et à chaque moment il faut rompre ? O inconcevable union et aliénation non moins étonnante ! Puis-je me détacher de ce corps ? Puis-je aussi m'y attacher avec tant de force et contracter avec ce mortel une amitié immortelle ? « Malheureux homme que je suis ! hélas ! qui me délivrera de ce corps de mort (1)? »

C'est le commun sujet du gémissement de tous les véritables enfants de Dieu. Tous déplorent leur servitude, tous ressentent avec douleur que « ce fardeau du corps opprime l'esprit, » corpus quod corrumpitur aggravat animam (2), lui ôte sa liberté véritable. C'est pourquoi le grand saint Ambroise nous enseigne (a) gravement que notre esprit n'étant dans le corps qu'en passant, nous ne devons pas lui permettre de s'attacher à cette nature dissemblable ; mais que nous devons tous les jours rompre nos liens, afin que l'esprit se renfermant en lui-même conserve sa noblesse et sa pureté. Deux liens, ceux de la nature et ceux de l'affection. Pour le premier, c'est à Dieu à rompre ; pour l'autre, c'est à nous à prévenir : Quotidie morior (3). Par la première union l'âme est en prison et en servitude, le corps la domine et s'en rend le maître. Secouons ce joug, tirons-nous de cette indigne dépendance : il se fera une autre union par laquelle l’âme dominera. Sit quotidianus usus in nobis affectusque moriendi, ut per illam, quam diximus, segregationem à corporeis cupiditatibus, anima nostra se discat extrahere, et quasi in sublimi locata, quò terrenœ adireé libidines et eam sibi glutinare non possint, suscipiat mortis imaginent, ne pœnam mortis incurrat (4). C'est pourquoi dans la fonction qui est donnée à notre âme d'animer et de mouvoir les organes corporels, le même saint Ambroise avertit de ne se plonger pas tout à fait dedans et de ne se mêler pas avec eux : Non credamus nos huic corpori, nec misceamus cum illo animam nostram (5); mais plutôt que nous les touchions d'une main légère comme un instrument de musique : Summis, ut ita dicam, digitis sicut nervorum sonos ita pulsat carnis passiones (6).

 

1 Rom., VII, 24. — 2 Sap., IX, 15. — 3 I Cor., XV, 31. — 4 S. Ambros., De Fide resurrect., lib. II, n. 40.— 5 De Bon., mort., cap. IX, n. 40.— 6 Ibid., cap. VII, n. 27.

 

(a) Var. : Nous avertit.

 

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Ce soin extrême du corps est indigne du chrétien, (a) Vous voudriez vous rendre immortels; la moindre douleur, la moindre faiblesse vous  accable et vous décourage, vous abandonnez tous les exercices de piété. Vous craignez d'échauffer ce sang, cette tête déjà trop émue, ce tempérament si faible et si délicat. Que ne vous servez-vous plutôt de cette occasion favorable pour rompre ces liens trop doux et trop décevants, pendant que la nature vous aide, qu'elle tire les liens, si elle ne les brise pas tout à fait encore ? Apprenez à regarder ce corps dont la faiblesse vous appesantit, non plus comme une demeure agréable mais comme une prison importune, non plus comme votre organe mais comme votre empêchement et votre fardeau (b). La faiblesse et la douleur qui agitent tout le corps forcent l’âme à s'en détacher, et la renfermant dans ses propres biens, lui font corriger une secrète délicatesse et un certain repos dans les sens, qui gagne les hommes trop facilement dans une grande santé.

Que si l'attache à la saute même et à ta vie est si vicieuse et si contraire à la dignité du christianisme, que dirai-je de la curiosité, de la vanité, de cette vivacité qu'on affecte tant sur le teint et sur le visage? faible et misérable créature, et vainement appelée a une beauté et à une gloire éternelle, vous ne sauriez sans règle voir tomber cette fleur d'un jour, ni passer cette couleur vive, ni cet air dé jeunesse s'évanouir. Hélas! vous en avez honte comme si c'était un défaut. Vous voulez cacher vos années, et non-seulement les cacher, mais résister à leur cours qui emporte tout, vous soutenir contre leur effort et tromper leurs mains si subtiles qui ne cessent de vous enlever par mille artifices toujours quelque chose. Est-ce là cette gloire du corps de Jésus (c)?Hé! laissez-vous dépouiller de ce fragile ornement qui ne fait que nourrir votre vanité, vous exposer à la tentation, vous environner de scandales. Quittez l'amour de ce corps trop chéri et trop soigné. Car si vous

 

(a) Note marg. : On se pique de délicatesse comme on se pique d'esprit ou de grandeur. Une tendre éducation..... une personne si chère..... — (b) Je suis captif de ce corps, et captif trop assujetti; je m'affranchirai en souffrant, afin de ressusciter tout à fait libre. L’âme sera démêlée de ce corps de mort qu'elle laisse au-dessous d'elle, et retirée dans sa propre enceinte. — (c) Une autre santé, une autre beauté, une autre vie.

 

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persistez à tant chérir, oh ! que la mort vous sera cruelle ! oh ! que vainement vous soupirerez, disant avec ce roi des Amalécites : Siccine separat amara mors (1) ? « Est-ce ainsi que la mort amère sépare de tout ? » Quel coup ! quel effort! quelle violence !

Au contraire un homme de bien n'a rien à perdre en ce jour. La mortification lui rend la mort familière. Le détachement dû plaisir le désaccoutume du corps. Il a depuis fort longtemps, ou dénoué, ou rompu les liens les plus délicats qui nous y attachent. Il ne s'afflige donc pas de quitter son corps; il sait qu'il ne le perd pas. Il a appris de l'Apôtre que nous avons à faire un double voyage, (a) Car tant que nous sommes dans le corps, nous voyageons loin de Dieu; et quand nous sommes avec Dieu, nous voyageons loin du corps. L'un et l'autre n'est qu'un voyage, et non une entière séparation, parce que nous passons dans le corps pour aller à Dieu, et que nous allons à Dieu dans l'espérance de retourner à nos corps. Ainsi lorsque nous vivons dans cette chair, nous ne devons pas nous y attacher comme si nous y devions demeurer toujours; et lorsqu'il en faut sortir, nous ne devons pas nous affliger comme si nous n'y devions jamais retourner. Par là étant délivrés des soins inquiets de la vie et des appréhensions de là mort, lorsque notre dernière heure approche, nous nous endormons en paix et en espérance. Car que crains-tu, âme chrétienne, dans les approches de la mort? Crains-tu de perdre ton corps? Mais que ta foi ne chancelé pas; pourvu que tu le soumettes à l'Esprit de Dieu, cet Esprit tout-puissant te le rendra meilleur (b). Peut-être qu'en voyant tomber ta maison, tu appréhendes d'être sans retraite; mais écoute le divin Apôtre : « Nous savons, dit-il aux Corinthiens, nous ne sommes pas induits à le croire par des conjectures douteuses; mais nous le savons très-assurément et avec une entière certitude, que si cette maison de terre et de boue dans laquelle nous habitons est détruite, nous avons une autre maison qui n'est pas bâtie de main d'homme, laquelle nous est préparée

 

1 I Reg., XV, .32.

(a) Note marg. : Scientes quoniam dùm sumus in corpore, pereginantur à Domino... Bonam voluntatem habemus magis peregrinan à corpore, et praesentes esse ad Dominum (II Cor., V, 6-8). — (b) Var. : Saura bien te le conserver pour l'éternité) ou : lui rendra la vie.

 

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au Ciel (1). » O conduite miséricordieuse de celui qui pourvoit à tous nos besoins! « Il a dessein, dit excellemment saint Jean Chrysostome (2), de réparer la maison qu'il nous a donnée s pendant qu'il la détruit et qu'il la renverse pour la rebâtir toute neuve, il est nécessaire que nous délogions. » Car que ferions-nous dans ce tumulte et dans cette poudre? Et lui-même nous offre son palais, il nous y donne un appartement pour nous faire attendre en repos rentière réparation de notre ancien édifice. Ne craignons donc rien, mes livres; songeons seulement à bien vivre, car tout est en sûreté pour le chrétien (a)»..

 

 

SECOND EXORDE POUR LE SERMON
SUR LA RÉSURRECTION DERNIÈRE (b).

 

Venit hora in quâ omnes qui sunt in monumentis audient vocem Filii Dei, et procedent qui bona fecerunt in resurrectionem vitae.

 

Viendra l'heure eu laquelle tous ceux qui sont dans les tombeaux entendront la voix du Fils de Dieu, et ceux qui ont bien fait ressusciteront pour la vie. Joan., V, 28, 29.

 

Quand l'ordre des siècles sera révolu, tous les mystères de Dieu consommés, toutes ses promesses accomplies, toutes les nations de la terre évangélisées ; quand le nombre de nos frères sera rempli. c'est-à-dire la société des élus complète, le corps mystique du Fils de Dieu composé de tous ses membres, et les célestes légions où la détection des anges rebelles a fait vaquer tant de places entièrement rétablies : alors il sera temps, chrétiens de détruire tout à fait la mort et de la reléguer pour toujours aux enfers d’où elle est sortie. Maintenant tout semble être sourd à la voix de Dieu. puisque les hommes même y sont insensibles, auxquels toutefois il a donné et des oreilles pour écouter sa parole, et un cœur pour s'y soumettre; et alors toute la nature sera animée pour

 

1 II Cor., V, 1. — 2 Homil. in Dict. Apost., De Dormientibus, etc.

(a) Note marg., : Tu n'oses pas, chrétien, tu te défiée de tes œuvres; songe donc à cette assurance.....

(b) Ce morceau a pour but de rattacher le discoure au temps du Carême.

 

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l'entendre. Une voix sortira du trône par la bouche du Fils de Dieu, qui ordonnera aux morts de revivre : les corps gisants, les os desséchés, là cendre et la poussière froide et insensible en seront émues dans le fond (a) de leurs tombeaux, tous les éléments commenceront à se remuer, et la mer et la terre et les abîmes se prépareront à rendre leurs morts; et au lieu qu'il nous paraissait qu'ils les «voient engloutis comme leur proie, nous verrons alors par expérience qu'ils ne les avaient reçus en effet que comme un dépôt pour les remettre fidèlement au premier ordre (b) : tellement que Dieu qui aime les siens, et les aime jusqu'à la tin, ayant soigneusement ramassé de toutes les parties du monde leurs restes toujours précieux devant lui et toujours aussi gardés sous sa main puissante en quelque coin de l'univers que la loi des changements les ait pu jeter, et ayant par ce moyen rétabli leurs corps dans une parfaite intégrité, il les unira à leurs saintes âmes, et ils deviendront animés; il bénira cette union, et ils seront immortels; et il la rendra tellement intime que les corps participeront aux honneurs de l’âme, et il les fera glorieux. Et voilà les trois présents magnifiques que Dieu nous donnera en ce jour pour gage de son amour éternel, la vie, l'immortalité et la gloire.

Si j'annonçais à des infidèles cet Evangile de vie et de résurrection éternelle, je m'efforcerais, chrétiens, de détruire les raisonnements qu'oppose ici la sagesse humaine à la puissance de Dieu et à la gloire de notre nature si puissamment réparée (c). Mais puisque je parle à des chrétiens à qui cette doctrine céleste n'est pas moins familière ni moins naturelle que le lait qu'ils ont sucé dès leur enfance, je n'ai pas dessein de m'étendre à vous prouver par un long discours la réalité de ces trois présents, mais seulement de vous préparer à les recevoir en ce dernier jour de la justice de Dieu et de sa main libérale.

J'ai déjà dit, chrétiens, que c'est l’âme qu'il faut préparer comme la partie principale pour recevoir en nos corps ces dons précieux. J'ai dit et j'ai promis de vous faire voir que ces saintes préparations

 

(a) Var. : Commenceront à s'émouvoir dans le creux de leurs tombeaux. — (b) .....à rendre leurs morts, lesquels, à ce qu'on croyait, étaient leur proie et n'avaient reçu en effet que   comme un  dépôt pour le rendre fidèlement. — (c) A l'honneur de notre nature si miséricordieusement réparée.

 

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sont toutes heureusement renfermées dans celles de la pénitence. Que vous demande-t-on dans la pénitence, sinon que vous vous retiriez de tous vos péchés, que vous preniez des précautions pour ne tomber plus, que vous vengiez sur vous-mêmes par une satisfaction convenable la honte de votre chute. Ainsi la volonté de vivre à la grâce, acquerra à vos corps une vie nouvelle ; les sages précautions pour n'y plus mourir, assureront à vos corps l'immortalité; le zèle de satisfaire un Dieu irrité par les saintes humiliations de la pénitence, méritera d'être revêtu d'une gloire toute divine. Deux paroles du Fils de Dieu adressées aux morts : Venit hora et nunc est, in quâ .....Deux sortes de morts; deux parties en l'homme, toutes deux ont leur mort. Jésus les a fait revivre par sa parole : la première aux pécheurs pour les appeler à la pénitence , la seconde aux morts ensevelis pour les rappeler à la vie ; la première, disposition à rendre la seconde salutaire. Il faut commencer par l’âme pour préparer le corps à la vie. Pour joindre ces deux choses, et la pénitence dont voici le temps, et la résurrection des morts, qui par l'ancienne institution de cette paraisse, doit être prêchée aujourd'hui dans cette chaire : O morts, c'est donc à vous que je parle, non point à ces morts qui gisent dans les tombeaux et reposent dans cette terre bénite, mais à ces morts parlons et écoutants. Je veux faire retentir à leurs oreilles la parole du Fils de Dieu, afin qu'ils l'entendent et qu'ils vivent. O Jésus, vous vous êtes réservé à vous-même de prononcer la parole qui appellera les morts à la résurrection générale ; mais vous voulez que les autres morts, que vous voulez vivifier par leur conversion, soient appelés à cette vie par vos ministres. Donnez-moi donc votre parole par la grâce de votre Esprit saint et l'intercession.....

 

 

FRAGMENT
D'UN SERMON POUR LE JOUR DES MORTS.

 

Puisque l'Eglise unit de si près la solennité des bienheureux qui jouissent de Dieu dans le ciel, et la mémoire des fidèles qui étant

 

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morts en Notre-Seigneur sans avoir encore obtenu la parfaite rémission de leurs fautes, en achèvent le paiement dans le purgatoire, je ne les séparerai pas par ce discours, et je vous représenterai en peu de paroles quel est l'état où ils se trouvent je l'ai déjà dit en deux mots, lorsque je vous ai prêché que leur sainteté était confirmée, quoique non consommée encore. Mais encore que ces deux paroles vous décrivent parfaitement l'état des âmes dans le purgatoire, peut-être ne le comprendriez-vous pas assez, si je ne irons en proposais une plus ample explication.

        Disons donc, Messieurs, avant toutes choses ce que veut dire cette sainteté que nous appelons confirmée; et afin de l'entendre sans peine, posez pour fondement cette vérité, qu'il y a une différence notable entre la mort considérée selon la nature et la mort considérée et envisagée selon les connaissances que la foi nous donne. La mort considérée selon la nature, c'est la destruction totale et dernière de tout ce qui s'est passé dans la vie : In illà die peribunt omnes cogitationes eorum (1); il regardait la mort selon la nature. Mais si nous la considérons d'une autre manière, c'est-à-dire selon les lumières dont la foi éclaire nos entendements, nous trouverons, chrétiens, que la mort, au lieu d'être la destruction de ce qui s'est passé dans la vie, en est plutôt la confirmation et la ratification dernière. C'est pourquoi le Sauveur (a) a dit : Ubi cecident arbor, ibi erit (2) : « Où l'arbre sera tombé, il y demeurera pour toujours. » C'est-à-dire, tant que l'homme est en cette vie, la malice la plus obstinée peut être changée par la pénitence, la sainteté la plus pure peut être abattue par la convoitise. Gémissez, fidèles serviteurs de Dieu, de vous voir en ce lieu de tentations, où votre persévérance est toujours douteuse, à cause des combats continuels où elle est exposée à tous moments.

Mais quand est-ce que vous serez fermes et éternellement immuables dans le bien que vous aurez choisi? Ce sera lorsque la mort sera venue confirmer et ratifier pour jamais le choix que vous avez fait sur la terre de cette meilleure part qui ne vous sera plus ôtée : grand privilège de la mort qui nous affermit dans le

 

1 Psal. CXLV, 4. — 2 Eccle., XI, 3.

 

(a) C'est l’Ecclésiaste qui dit ce que Bossuet attribue au Sauveur. ( Edit. de Déforis)

 

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bien et qui nous y rend immuables. Que si vous voulez savoir, chrétiens, d'où lui vient cette belle prérogative, je vous le dirai en un mot par une excellente doctrine de la divine Epitre aux Hébreux. Saint Paul nous y enseigne, mes frères, que la nouvelle alliance que Jésus-Christ a contractée avec nous, n'a été confirmée et ratifiée que par sa mort à la croix (1). Et cela pour quelle raison? C'est à cause, dit ce grand Apôtre, que cette mort est un testament, novum testamentum (2). Or nous savons par expérience que le testament n'a de force qu'après la mort du testateur; mais quand il a rendu l'esprit, aussi le testament est invariable; on n'y peut ni ôter ni diminuer, nemo detrahit aut superordinat (3). Et c'est pour cela, chrétiens, que notre Sauveur nous apprend lui-même qu'il scelle son testament par son sang : Novum testamentum in meo sanguine (4). Jésus-Christ fait son testament; il nous laisse le ciel pour héritage, il nous laisse la grâce et la rémission des péchés, bien plus il se donne lui-même. Voilà un présent merveilleux. Mais il meurt sans le révoquer; au contraire il le confirme encore en mourant. Cette donation est invariable et éternellement ratifiée par la mort de ce divin testateur. Reconnaissez donc, chrétiens, que la mort de Notre-Seigneur est une bienheureuse ratification de ce qu'il lui a plu de faire pour nous ; mais il veut aussi en échange que notre mort ratifie et confirme ce que nous avons fait pour lui. Il a confirmé par sa mort le testament par lequel il se donne à nous, il ne s'y peut plus rien changer; et il demande aussi, chrétiens, que nous confirmions par la nôtre le testament par lequel nous nous sommes donnés à lui. Ce qui se pouvait changer avant notre mort, devient éternel et irrévocable aussitôt que nous avons expiré dans les sentiments de la foi et de la charité chrétienne. C'est pourquoi, ô morts bienheureux, qui êtes morts en Notre-Seigneur dans la participation de ses sacrements, dans sa grâce, dans sa paix et dans son amour, j'ai dit que votre sainteté était confirmée. Votre mort a tout confirmé; et en vous tirant du lieu de tentations, elle vous a affermis en Dieu pour l'éternité tout entière.

 

1 Hebr., IX, 15, 16, 17.— 2 I Cor., XI, 25.— 3 Galat., III, 15. — 4 Luc., XXII, 20.

 

 

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