III Toussaint
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TROISIÈME SERMON POUR 
LA FÊTE DE TOUS LES SAINTS (a).

 

Ut sit Deus omnia in omnibus.

Dieu sera tout en tous. I Cor., XV. 28.

 

Le Roi-Prophète fait une demande dans le psaume XXXIIIe, à laquelle vous jugerez avec moi qu'il est aisé de répondre : « Qui est l'homme qui désire la vie et souhaite de voir des jours heureux? » Quis  est homo qui vult vitam, diligit dies videre bonos (1)? A cela toute la nature, si elle était animée, répondrait d'une même voix que toutes les créatures voudraient être heureuses. Mais surtout les natures intelligentes n'ont de volonté ni de désir que pour leur félicité ; et si je vous demande aujourd'hui si vous voulez être heureux, quoique vos bouches se taisent, j'entendrai le cri secret de vos cœurs, qui me diront d'un commun accord que sans doute vous le désirez, et ne désirez autre chose. Il est vrai que les hommes se représentent la félicité sous des formes différentes : les uns la recherchent et la poursuivent sous le nom de plaisir, d'autres sous celui d'abondance et de richesses, d'autres sous celui de repos, ou de liberté, ou de gloire, d'autres sous celui de vertu. Mais enfin tous la recherchent, et le Barbare et le Grec, et les nations sauvages et les nations polies et civilisées, et celui qui se repose dans sa maison, et celui qui travaille à la campagne, et celui qui traverse les mers, et celui qui demeure sur la terre. Nous voulons

 

1 Psal. XXXIII, 13.

(a) Prêché le 1er novembre 1662, à la célèbre abbaye de Jouarre, qui vit se retirer dans son enceinte Madeleine d'Orléans, Jeanne de Bourbon, Charlotte de Bourbon, Louise de Bourbon, Marguerite de la Trémouille, Jeanne de Lorraine, etc. Un demi-siècle plus tard on parlait encore avec enthousiasme, dans l'illustra monastère, de l'Amen alléluia de Bossuet, deux mots de l'Apocalypse qu'il avait commentés d'après saint Augustin. Nous n'avons pas ce commentaire; celui qu'on a publié jusqu'à ce jour est de Déforis.

Le sermon n'a pas été rédigé complètement ; des pages qui le composent, les unes reproduisent des pensées du discours précédent, d'autres renferment les textes latins, plusieurs sont seulement esquissées. Au reste, de sublimes considérations.

 

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tous être heureux, et il n'y a rien en nous ni de plus intime ni de plus fort, ni de plus naturel (a) que ce désir.

Ajoutons-y, s'il vous plaît, Messieurs, qu'il n'y a rien aussi de plus raisonnable. Car qu'y a-t-il de meilleur que de souhaiter le bien, c'est-à-dire la félicité? Vous donc, ô mortels qui la recherchez, vous recherchez une bonne chose; prenez garde seulement que vous ne la recherchiez où elle n'est pas. Vous la cherchez sur la terre, et ce n'est pas là qu'elle est établie, ni que l'on trouve ces jours heureux dont nous a parlé le divin Psalmiste. En effet ces beaux jours, ces jours heureux, ou les hommes toujours inquiets les imaginent du temps de leurs pères, ou ils les espèrent pour leurs descendant; jamais ils ne pensent les avoir trouvés ou les goûter pour eux-mêmes. Vanité, erreur et inquiétude de l'esprit humain! Mais peut-être que uns neveux regretteront la félicité de nos jours avec la même erreur qui nous fait regretter le temps de nos devanciers : et je veux dire en un mot. Messieurs, que nous pouvons ou imaginer des jours heureux, ou les espérer. ou les feindre, mais que nous ne pouvons jamais les posséder sur la terre.

Songez, ô enfants d'Adam, au paradis de délices d'où vous avez été bannis par votre désobéissance; là se passaient les jours heureux. Mais songez, ô enfants de Jésus-Christ, à ce nouveau paradis dont son sang nous a ouvert le passage; c'est là que vous verrez les beaux jours (b). Ce sont ici les jours de misères, les jours de sueurs et de travaux, les jours de gémissements et de pénitence, auxquels nous pouvons appliquer ces paroles du prophète Isaïe : « Mon peuple, ceux qui te disent heureux, t'abusent (c) et renversent toute ta conduit (1). » Et encore : « Ceux qui font croire à ce peuple qu'il est heureux, sont des trompeurs; et ceux dont on vous vante la félicité sont précipités dans l'erreur (d) : » Et erunt qui beatificant populum istum seducentes, et qui beatificantur prœcipitati (2).

Ne croyez pas que j'entreprenne, etc. Car écoutez l'apôtre saint

 

1 Isa., III, 12. — 2 Ibid., IX, 16.

 

(a) Var. : Constant. — (b) Que vous goûterez la félicité véritable. — (c) Te trompent.— (d) Dans l'abîme.

 

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Jean : « Mes bien-aimés, nous sommes enfants de Dieu, et ce que nous devons être un jour ne paraît pas encore (1). » Ainsi ce n'est pas le temps d'en discourir. « Tout ce que nous savons, c'est que. quand notre gloire paraîtra, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est. » Comme un nuage que le soleil perce de ses rayons devient tout éclatant (a) ; vous y voyez un or, un brillant : ainsi notre âme exposée à Dieu, à mesure qu'elle le pénètre, elle en est aussi pénétrée, et nous devenons dieux en regardant attentivement la Divinité. Deus diis unitus, dit saint Grégoire de Nazianze (2). Videbitur Deus deorum in Sion (3). Dieu, mais Dieu des dieux, parce qu'il les fera des dieux par la claire vue de sa face. La plénitude; rien ne manque; le comble y est, la dernière main.

Qui ne désire pas, qui ne gémit pas, qui ne soupire pas dans cette vie? Toute la nature est dans l'indigence. Gloire, puissance, richesses, abondance, noms superbes et magnifiques, choses vaines et stériles ! Les biens que le monde donne accroissent certains désirs et en poussent d'autres : semblables à ces viandes creuses et légères, qui pour n'avoir que du vent et non du suc ni de la substance, enflent et ne nourrissent pas, et amusent la faim plutôt qu'elles ne la contentent. Les grandes fortunes ont des besoins que les médiocres ne connaissent pas. Cette avidité de nouveaux plaisirs, de nouvelles inventions, marque de la pauvreté intérieure de l'âme. L'ambition compte pour rien tout ce qu'elle tient. Ne vous laissez pas éblouir à ces apparences, ce qui est richement couvert par le dehors n'est pas toujours rempli au dedans, et souvent ce qui semble regorger est vide.

Voulez-vous entendre la plénitude de la joie des saints : Alleluia, Amen, « louange à Dieu ! » Ils ne prient plus, ils ne gémissent plus, la créature ne soupire plus et n'est plus dans les douleurs de l'enfantement. Elle ne dit plus : « Malheureux homme que je suis! » etc. Elle loue, elle triomphe, elle rend grâces. Amen, hoc est verum; tota actio nostra, Amen et Alleluia erit. Tœdium, l'ennui; fastidium, le dégoût. Non sonis transeuntibus dicemus :

 

1 I Joan., III, 2.— 2 Orat. XXI, tom. I , p. 374 ; Epist., LXIII, ibid., p. 820. — 3 Psal. LXXXIII, 8.

 

(a) Var. : Tout lumineux.

 

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Amen, Alleluia, sed affectu animi. Deus Veritas perpetua et incommutabiliter manens.....Amen utique dicemus, sed insatiabili

satietate. Quia non deerit aliquid, ideo satietas; quia semper delectabit, ideo quœdam, si dici potest, insatiabilis satietas erit. Quàm ergo insatiabiliter satiaberis veritate, tam insatiabili veritate dices : Amen, hoc est verum.....Vacate et videte.....Sabbatum perpetuum.....Et hœc erit vita sanctorum, hœc actio quietorum (1).....Stabilitas ibi magna erit, et ipso immortalitas corporis nostri jam suspendetur in contemplatione Dei..... Noli timere ne non possis semper laudare quem semper poteris amare (2).

Les esprits impies n'entendent point cette joie : Hœc dicit Dominus populo huic, qui dilexit movere pedes suos, et non quievit, et Domino non placuit (3). Vacate et videte, gustate et videte (4). Quando dicitur quod cœtera subtrahuntur et solus Deus erit quo delectemur, quasi angustatur anima quœ consuevit multis delectari, et dicit sibi anima carnalis, carni addicta, visco malarum cupiditatum involutas pennas habens ne volet ad Deum, dicit sibi : Quid mihi erit ubt non manducabo, ubi non bibam, ubi eum uxore non dormiam? Qualc gaudium mihi tunc erit? Hoc gaudium tuum de œgritudine est, non de sanitate.....Sunt quœdam aegrotantium desideria : ardent desiderio aut alicujus fontis, aut alicujus pomi; et sic ardent ut existiment quia... fruidebeant desideriis suis. Venit sanitas, et perit cupiditas : quod desiderabat, fastidit, quia hoc in illo febris quaerebat..... Cùm multa sint œgrotantium desideria quœ ista sanitas tollit...... sic omnia tollit immortalitas, quia sanitas nostra immortalitas est (5).

Spes lactat nos, nutrit nos, confirmat nos.

Vacate et videte : ils ne connaissent point d'action sans agitation et ne croient pas s'exercer s’ils ne se tourmentent. Vacate et videte : action paisible et tranquille. Voulez-vous, mes frères, que je vous en donne quelque idée? Soutirez que je vous lasse réfléchir encore une fois sur l'action qui vous occupe dans cette église. Vous m'écoutez, ou plutôt vous écoutez Dieu qui vous parle par ma bouche. Car je ne puis parler qu'aux oreilles, et

 

1 S. August. Serm. CCCLXII, n. 28, 29. — 2 In Psal. LXXXIII, n. 8.— 3 Jerem., XIV, 10. — Psal., XXXIII, 9 ; XLV, 11. — 5 S. August., Serm. CCLV, n. 7.

 

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c'est dans le cœur que vous êtes attentifs, où ma parole n'est pas capable de pénétrer. Je ne sais si cette parole a eu la grâce de réveiller au dedans de vous cette attention secrète à la vérité qui vous parle au cœur; je l'espère, je le conjecture. J'ai vu, ce me semble, vos yeux et vos regards attentifs ; je vous ai vus arrêtés et suspendus, avides de la vérité et de la parole de vie (a). Vous a-t-elle délectés? Vous a-t-elle fait oublier pour un temps les embarras des affaires, les soins empressés de votre maison, la recherche trop ardente des vains divertissements (b)? Il me le semble, mes frères; vous étiez doucement occupés de la suavité de la parole. Qu'avez-vous vu? qu'avez-vous goûté? quel plaisir secret a touché vos cœurs? Ce n'est point le son de ma voix qui a été capable de vous délecter. Faible instrument de l'esprit de Dieu, discours fade et insipide, éloquence sans force et sans agrément, c'est ce qu'on peut par soi-même (c). Ce qui vous a nourris, ce qui vous a plu, ce qui vous a délectés, c'est la vue de la vérité.

Ainsi Marie, sœur de Marthe, était attentive aux pieds de Jésus et écoutait sa parole. Ne vous étonnez pas de cette comparaison. Car encore que nous ne soyons que des hommes mortels et pécheurs, c'est cette même parole que nous vous prêchons. Ainsi elle s'occupait du seul nécessaire, et prenait pour soi la meilleure part qui ne pouvait lui être ôtée. Qu'est-ce à dire qui ne peut lui être ôtée? Les troubles passent, les affaires passent, les plaisirs passent; la vérité demeure toujours et n'est jamais ôtée à l’âme qui s'y attache; elle la croit en cette vie, elle la voit en l'autre; en cette vie et en l'autre elle la goûte (d), elle en fait son plaisir et sa vie. Mais si cette vérité nous délecte quand elle nous est exprimée par des sons qui passent, combien nous ravira-t-elle quand elle nous parlera de sa propre voix éternellement permanente (e)? Ombres, énigmes, imperfection. Quelle sera notre vie lorsque nous la verrons à découvert ! Ici nous proférons plusieurs paroles, et nous ne pouvons égaler même la simplicité de nos idées; nous parlons beaucoup, et disons peu. Combien donc sommes-nous éloignés de la grandeur de l'objet que nos idées représentent d'une

 

 

(a) Var.: Divine.— (b) Plaisirs.— (c) C'est ce que je puis par moi-même.— (d) Elle la savoure. — (e) Quand elle nous parlera par elle-même.

 

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manière si basse et si ravalée? Là une seule parole découvrira tout : Semel locutus est Deus (1) : « Dieu a parlé une fois, » et il a tout dit. Il a parlé une fois, et en parlant il a engendré son Verbe (a), sa Parole, son Fils en un mot. C'est en ce Verbe que nous verrons tout. C'est en cette Parole que toute vérité sera ramassée. Et nous ne concevons pas une telle joie? Vacate et videte; sortez de l'empressement et du trouble, quittez les soins turbulents. Ecoutez la vérité et la parole : Gustate et videte : sortez et voyez combien le Seigneur est doux; et vous concevrez ce ravissement, ce triomphe, cette joie infinie, intime, de la Jérusalem céleste.

Mais, mes frères, pour parvenir à ce repos, il ne nous faut donner aucun repos (6). Nul travail quand nous serons au lieu de repos; nul repos tant que nous serons au lieu de travail. Pour être chrétien, il faut sentir qu'on est voyageur ; et celui-là ne le connaît pas, qui ne court point sans relâché à sa bienheureuse patrie. Ecoutez un beau mot de saint Augustin : Qui non gemit peregrinus, non gaudebit civis (2) : « Celui qui ne gémit pas comme voyageur, ne se réjouira pas comme citoyen. » Il ne sera jamais habitant du ciel, parce qu'il séjourne trop volontiers sur la terre; et s'arrêtant où il faut marcher, il n'arrivera pas où il faut parvenir.

Mes frères, nous ne sommes pas encore parvenus, comme dit le saint Apôtre (3); notre consolation, c'est que nous sommes sur la voie. Jésus-Christ est « la voie, la vérité et la vie (4) » C'est à lui qu'il faut tendre, et c'est par lui qu'il faut avancer. Mais, mes frères, dit saint Augustin, « cette voie veut des hommes qui marchent, » via ista ambulantes quœrit; c'est-à-dire des hommes qui ne se reposent jamais, qui ne cessent jamais d'avancer, en un mot des hommes généreux et infatigables : Via ista ambulantes quœrit; tria sunt genera hominum quœ odit : remanentem, retrò redeuntem, aberrantem (5); écoutez : «Elle ne peut souffrir trois sortes d'hommes : ceux qui s'égarent, ceux qui retournent, ceux qui s arrêtent; » ceux qui se détournent, ceux qui s'égarent, ceux

 

1 Psal. LXI, 12. — 2 In Psal. CXLVIII, n. 4. — 3 Philip., III, 12. — 4 Joan., XIV, 6. — 5 Serm. De Cantic. Nov., n.4.

 

(a) Var., : Il a parlé une fois ; et toutefois cette expression telle quelle de la vérité a engendré son Verbe… —  (b)   Pour: il ne faut nous donner aucun repos.

 

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qui sortent entièrement de ta voie, ceux qui suivent leurs passions insensées et qui se précipitent aux péchés damnables.

Je n'entreprends pas de vous dire tous les égarements et tous les détours; mais je vous veux donner une marque pour reconnaître la voie, la marque de l'Evangile, celle que le Sauveur nous a enseignée. Marchez-vous dans une voie large, dans une voie spacieuse; y marche-t-on à son aise, y marche-t-on avec la troupe et la multitude, avec le grand monde, etc. ? ce n'est pas la voie de votre patrie. Vous n'êtes pas sur la voie; c'est la voie de perdition; le chemin de votre patrie est un sentier étroit et serré. Le train et l'équipage embarrasse dans cette voie; je veux dire l'abondance, la commodité. Les vastes désirs du monde ne trouvent pas de quoi s'y étendre. Les épines qui l'environnent se prennent à nos habits et nous arrêtent. Tous les jours il nous en coûte quelque chose, tantôt un désir et tantôt un autre, comme dans un chemin difficile le train diminue toujours; et tous les jours dans un sentier si serré, il faut laisser quelque partie de notre suite, c'est-à-dire quelqu'un de nos vices, quelqu'une de nos passions; tant qu'enfin nous demeurions seuls, nus et dépouillés, non-seulement de nos biens, mais de nous-mêmes. C'est Jésus-Christ, c'est L'Evangile! Qui de nous est tous les jours plus à l'étroit?

Ceux qui retournent en arrière, ils sont sur la voie, mais ils reculent plutôt que d'avancer. Entendons et pénétrons. Vous avez embrassé la perfection, vous avez choisi la retraite, vous vous êtes consacré à Dieu d'une façon particulière, vous avez banni les pompes du monde, vous avez appréhendé de plaire trop. Voua avez recherché les véritables ornements d'une femme chrétienne, c'est-à-dire la retenue et la modestie, retranchant les vanités et le superflu. La prière, la prédication, les saintes lectures ont fait votre exercice le plus ordinaire. Vous vous lassez dans cette vie : vous ne sortez pas de la voie, vous ne vous précipitez pas aux péchés damnables; mais vous faites néanmoins un pas en arrière. Vous prêtez de nouveau l'oreille aux dangereuses flatteries du monde ; vous rentrez dans ses joies, dans ses jeux et dans son commerce; vous prodiguez le temps que vous ménagiez; vous ôtez à la piété ses meilleures heures. Si vous ne quittez pas votre

 

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modestie, vous voulez du moins qu'elle plaise, et vous ajoutez quelque chose à cette simplicité qui vous paraît trop sauvage. Ah! cette voix intérieure du Saint-Esprit qui vous poussait dans le désert avec Jésus-Christ, c'est-à-dire à la solitude et à la vie retirée, vous la laissez étourdir par le bruit du monde, par son tumulte, par ses embarras : vous n'êtes pas propre au royaume de Dieu. « Celui-là n'y est pas propre, dit le Fils de Dieu, qui ayant mis la main à la charrue regarde derrière (1). » Il ne dit pas qui retourne, mais qui regarde en arrière. Ce ne sont pas seulement les pas, mais les regards mêmes qu'il veut retenir; tant il demande d'attention, d'exactitude, de persévérance. Songez à la femme de Lot et au châtiment terrible que Dieu exerça sur elle (2), pour avoir seulement retourné les yeux du côté de la corruption qu'elle avait quittée. Vous faites injure au Saint-Esprit et à la vocation divine, à cet esprit généreux qui ne sait point se relâcher ni se ralentir; vous ramollissez sa force, vous retardez sa divine et impétueuse ardeur; et par une juste punition il vous abandonnera à votre faiblesse. Vous aviez si bien commencé! Vous vous repentez d'avoir bien fait, vous faites pénitence de vos bonnes œuvres; pénitence qui réjouit non l'Eglise mais le monde, non les anges mais les démons.

Mais il y en a encore d'autres, ceux qui disent (a) : J'en ai assez fait, je n'ai qu'à m/entretenir dans ma manière de vie; je ne veux pas aspirer à une plus haute perfection, je la laisse aux religieux; pour moi, je me contente de ce qui est absolument nécessaire pour le salut éternel. Nouvelle espèce de fuite et de retraite. Car pour arriver à cette montagne, à cette sainte Sion dont le chemin est si roide et si droit, si l'on ne s'efforce pour monter toujours, la pente nous emporte, et notre propre poids nous précipite. Tellement que dans la voie du salut, si l'on ne court, on retombe ; si on languit, on meurt bientôt ; si on ne fait tout, on ne fait rien ; enfin marcher lentement, c'est rendre la chute infaillible.

Ne menez pas une vie moitié sainte et moitié profane, moitié chrétienne et moitié mondaine, ou plutôt toute mondaine et toute

 

(1) Luc., IX, 62. — 2 Gen., XIX, 26.

 

(a) Var.: Mais elle ne souffre pas même ceux qui s'arrêtent, ceux qui disent.....

 

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profane, parce qu'elle n'est qu'à demi chrétienne et à demi sainte. Que je vois dans ce monde de ces vies mêlées ! On fait profession de piété, et on aime encore les pompes du monde. On est des œuvres de charité, et on abandonne son cœur à l'ambition. « La loi est déchirée, et le jugement ne vient pas à sa perfection : » Lacerata est lex, et non pervenit ad finem judicium (1). La loi esi déchirée ; l'Evangile, le christianisme n'est en nos mœurs qu'à demi, et nous cousons à cette pourpre royale un vieux lambeau de mondanité.  Nous réformons quelque chose dans notre vie, nous condamnons le monde dans une partie de sa cause ; et il devait la perdre en tout point, parce qu'il n'y en a jamais eu de plus déplorée. Ce peu que nous lui laissons marque la pente du cœur.

Ecoutez donc l'Evangile : Contendite (2) : « Efforcez-vous. » En quelque état..., contendite. Si pour avancer à la perfection, combien plus pour sortir du crime? Marchez par la voie des saints : ils ne sont pas tous au même degré, mais tous ont pratiqué le même Evangile. « Il y a plusieurs demeures dans la maison de mon Père (3), » mais il n'y a qu'une même voie pour y parvenir, qui est la voie de ta croix, c'est-à-dire la voie de la pénitence. Si cependant Dieu vous frappe, etc., ne vous laissez pas abattre. Il vous corrige, il vous châtie. Ce n'est pas là ce qu'il faut craindre. Ne craignez pas que votre Père ne vous châtie, craignez qu'il ne vous déshérite. En perdant votre héritage, vous perdrez tout; car vous le perdrez lui-même. Et ne vous plaignez pas qu'il vous refuse tant de biens qu'il accorde aux autres; si vous voulez qu'il vous exauce toujours, ne lui demandez rien de médiocre, rien moins que lui-même, à magno parva (4), son trône, sa gloire, sa vérité, etc.

 

1 Habac., I, 4. — 2 Luc, XIII, 21.— 3 Joan., XIV, 2. — 4 S. Greg. Nazianz., Epist. CVI.

 

 

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