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TROISIÈME  SERMON POUR
LE JOUR DE NOËL (a).

 

Celui-ci, cet enfant qui vient de naître, dont les anges célèbrent la naissance, que les bergers viennent adorer dans sa crèche, que les Mages viendront bientôt rechercher des extrémités de l'Orient, que vous verrez dans quarante jours présenté au temple et mis entre les mains du saint vieillard Siméon : « Cet enfant, dis-je, est établi pour la ruine et pour la résurrection de plusieurs dans

 

(1) Prêché dans la cathédrale de Meaux, le jour de Noël 1691.

Un de ces rares sermons que Bossuet désignait par ces mots : « Ecrit après avoir dit, » c'est-à-dire tracé sur le papier après avoir été prêché.

Le manuscrit n'offre qu'un abrégé du discours : «Cette copie faite de ma main, dit l’abbé Ledieu, est l'original même du sermon dont l'auteur n'avait rien écrit, et qu’il me dicta depuis à Versailles en deux ou trois soirées, pour Jouarre, où il l’avait promis. Il l'y envoya en effet à Mme de Lusancy Sainte-Hélène, religieuse, avec la lettre qu'il lui écrivit de Versailles le 8 janvier 1692, la chargeant de renvoyer cet original luit pour elle, quand elle en aurait pris copie. »

 

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Israël (1), » non-seulement parmi les gentils, mais encore dans le peuple de Dieu et dans l'Eglise qui est le vrai Israël, « et pour être en butte aux contradictions; et votre âme sera percée d'une épée, » et tout cela se fera, « afin que les pensées que plusieurs tiennent cachées dans leurs cœurs soient découvertes. »

La religion est un sentiment composé de crainte et de joie : elle inspire de la terreur à l'homme , parce qu'il est pécheur ; elle lui inspire de la joie, parce qu'il espère la rémission de ses péchés ; elle lui inspire de la terreur, parce que Dieu est juste; et de la joie, parce qu'il est bon. Il faut que l'homme tremble et qu'il soit saisi de frayeur lorsqu'il sent en lui-même tant de mauvaises inclinations; mais il faut qu'il se réjouisse et qu'il se console quand il voit venir un Sauveur et un médecin pour le guérir. C'est pourquoi le Psalmiste chantait : « Réjouissez-vous devant Dieu avec tremblement (2) : » réjouissez-vous par rapport à lui, mais tremblez par rapport à vous, parce qu'encore que par lui-même il ne vous apporte que du bien, vos crimes et votre malice pourront peut-être l'obliger avons faire du mal. C'est donc pour cette raison que Jésus-Christ est établi non-seulement pour la résurrection, mais encore pour la ruine de plusieurs en Israël. Et vous ne trouverez pas mauvais que j'anticipe ce discours prophétique du saint vieillard Siméon, pour vous donner une idée parfaite du mystère de Jésus-Christ qui naît aujourd'hui.

C'était un des caractères du Messie promis à nos pères d'être tout ensemble et un sujet de consolation et un sujet de contradiction , une pierre fondamentale sur laquelle on doit s'appuyer, et une pierre d'achoppement et de scandale contre laquelle on se heurte et on se brise. Les deux princes des apôtres nous ont appris unanimement cette vérité. Saint Paul, dans l’Epître aux Romains : « Cette pierre sera pour vous une pierre de scandale, et quiconque croit en lui ne sera point confondu (3). » Le voilà donc tout ensemble et le fondement de l'espérance et le sujet des contradictions du genre humain. Mais il faut encore écouter le prince des apôtres : « C'est ici, dit-il (4), la pierre de l'angle, la pierre qui soutient et qui unit tout l'édifice ; et quiconque croit en celui qui es

 

1 Luc., II, 34, 35. — 2 Psal. II, 11. — 3 Rom., IX, 33. — 4 Petr., II, 6, 7.

 

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figuré par cette pierre, ne sera point confondu. » Mais c'est aussi une pierre d'achoppement et de scandale, qui fait tomber ou qui met en pièces tout ce qui se heurte contre elle. Mais il faut que les disciples se taisent quand le Maître parle lui-même. C'est Jésus-Christ qui répond aux disciples de saint Jean-Baptiste : « Bienheureux sont ceux, dit-il, à qui je ne suis pas une occasion de scandale (1) ! » Quoique je fasse tant de miracles, qui font voir au genre humain que je suis le fondement de son espérance, on est cependant trop heureux quand on ne trouve point en moi une occasion de se scandaliser ; tant le genre humain est corrompu, tant les yeux sont faibles pour soutenir la lumière, tant les cœurs sont rebelles à la vérité. Et pour porter cette vérité jusqu'au premier principe, c'est Dieu même qui est primitivement en ruine et en résurrection au genre humain ; car s'il est le sujet des plus grandes louanges, il est aussi en butte aux plus grands blasphèmes. Et cela c'est un effet comme naturel de sa grandeur, parce qu'il faut nécessairement que la lumière qui éclaire les yeux sains éblouisse et confonde les yeux malades. Et Dieu permet que le genre humain se partage sur son sujet, afin que ceux qui le servent, en voyant ceux qui le blasphèment, reconnaissent la grâce qui les discerne et lui aient l'obligation de leur soumission. C'était donc en Jésus-Christ un caractère de divinité d'être en butte aux contradictions des hommes, d'être en ruine aux  uns et en résurrection aux autres. Et pour entrer plus profondément dans un si grand mystère, je trouve que Jésus-Christ est une occasion de contradiction et de scandale dans les trois principaux endroits par lesquels il s'est déclaré notre Sauveur : dans l'état de sa personne, dans la prédication de sa doctrine, dans l'institution de ses sacrements. Qu'est-ce qui choque dans l'état de sa personne ? Sa profonde humiliation. Qu'est-ce qui choque dans sa prédication et dans sa doctrine? Sa sévère et inexorable vérité. Qu'est-ce qui choque dans l'institution de ses sacrements ? Je le dirai pour notre confusion, c'est sa bonté et sa miséricorde même. »

 

1 Matth., XI, 6.

 

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PREMIER POINT.

 

« Au commencement le Verbe était ; et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Toutes choses ont été faites par lui (1). » Ce n'est pas là ce qui scandalise les sages du monde : ils se persuadent facilement que Dieu fait tout par son Verbe, par sa parole, par sa raison. Les philosophes platoniciens, dit saint Augustin, admiraient cette parole et ils y trouvaient de la grandeur, que le Verbe fût la lumière qui éclairait tous les hommes qui venaient au monde ; que la vie fût en lui comme dans sa source, d'où elle se répandait sur tout l'univers, et principalement sur toutes les créatures raisonnables. Ils étaient prêts à écrire en caractères d'or ces beaux commencements de l'Evangile de saint Jean, (a) Si le christianisme n'eût eu à prêcher que ces grandes et augustes vérités, quelque inaccessible qu'en fût la hauteur, ces esprits qui se piquaient d'être sublimes se seraient fait un honneur de les croire et de les établir ; mais ce qui les a scandalisés, c'est la suite de cet Evangile : « Le Verbe a été fait homme ; » et, ce qui paraît encore plus faible : « Le Verbe a été fait chair (2) ; » ils n'ont pu souffrir que ce Verbe, dont on leur donnait une si grande idée, fût descendu si bas. La parole de la croix leur a été une folie encore plus grande. Le Verbe né d'une femme, le Verbe né dans une crèche, pour en venir enfin à la dernière humiliation du Verbe expirant sur une croix : c'est ce qui a révolté ces esprits superbes. Car ils ne voulaient point comprendre que la première vérité qu'il y eût à apprendre à l'homme, que son orgueil avait perdu, était de s'humilier. Il fallait donc qu'un Dieu qui venait pour être le docteur du genre humain, nous apprit à nous abaisser, et que le premier pas qu'il fallait faire pour être chrétien, c'était d'être humble. Mais

 

1 Joan., I, 1. — 2 Ibid., 14.

 

(a) Note marg. : Quod initium sancti Evangelii, cui nomen est secundùm Joannem, quidam Platonicus, sicut à sancto sene Simpliciano, qui postea Mediolanensi ecclesiœ prœsedit episcopus, solebamus audire, aureis litteris conscribendum et per onmes ecclesias in locis eminentissimis proponendum esse dicebat. Sed ideo viluit superbis Deus ille magister, quia Verbum caro factum est, et habitavit in nobis : ut parum si miseris quôd œgrotant, nisi se in ipsâ etiam aegritudine extollant, et de medicina quà sanari poterant erubescant. Non enim hoc faciunt ut erigantur, sed ut cadendo graviùs affligantur. S. August., De Civit. Dei, lib. X, cap. XXIX.

 

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les hommes enflés de leur vaine science, n'étaient pas capables de faire un pas si nécessaire. « Autant qu'ils s'approchaient de Dieu par leur intelligence, autant s'en éloignaient-ils par leur orgueil : » Quantùm propinquaverunt intelligentià, tantùm superbià recesserunt, dit excellemment saint Augustin (1).

Mais, direz-vous, on leur prêchait la résurrection de Jésus-Christ et son ascension triomphante dans les cieux : ils devaient donc entendre que ce Verbe, que cette Parole, que cette Sagesse incarnée était quelque chose de grand. Il est vrai ; mais tout le fond de ces grands mystères était toujours un Dieu fait homme, c'était un homme qu'on élevait si haut, c'était une chair humaine et un corps humain qu'on plaçait au plus haut des cieux. C'est ce qui leur paraissait indigne de Dieu ; et quelque haut qu'il montât après s'être si fort abaissé, ils ne trouvaient pas que ce fût un remède à la dégradation qu'ils s'imaginaient dans la personne du Verbe fait chair. C'est par là que cette personne adorable leur devint méprisable et odieuse : méprisable, parce qu'elle s'était abaissée ; odieuse, parce qu'elle les obligeait de s'abaisser à son exemple. C'est ainsi qu'il a été établi pour la ruine de plusieurs : Positus in ruinam. Mais en même temps il est aussi la résurrection de plusieurs, parce que pourvu qu'on veuille imiter ses humiliations, on apprendra de lui à s'élever de la poussière. Humiliez-vous donc, âmes chrétiennes, si vous voulez vous relever avec Jésus-Christ.

Mais, ô malheur ! les chrétiens ont autant de peine à. apprendre cette humble leçon qu'en ont eu les sages et les grands du monde. Loin d'imiter Jésus-Christ, dont la naissance a été si humble, chacun oublie la bassesse de la sienne. Cet homme qui s'est élevé par son industrie, et peut-être par ses crimes, ne veut pas se souvenir dans quelle pauvreté il était né. Mais ceux qui sont nés quelque chose dans l'ordre du monde, songent-ils bien quel est le fond de leur naissance, combien elle a été faible, combien impuissante et destituée par elle-même de tout secours ? Se souviennent-ils de ce que disait, en la personne d'un roi, le divin auteur du livre de la Sagesse ? « Je suis venu au monde en gémissant comme les autres (2). » De quoi donc se peut vanter l'homme qui vient au

 

1 Contra Julian., lib. IV, cap. III. — 2 Sap., VII, 3.

 

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monde, puisqu'il y vient en pleurant, et que la nature ne lui inspire point d'autres pressentiments dans cet état que celui qu'il a de ses misères ? Entrons donc dans de profonds sentiments de notre bassesse, et descendons avec Jésus-Christ, si nous voulons monter avec lui. « Il est monté, dit saint Paul (1), au plus haut des deux, parce qu'il est auparavant descendu au plus profond des abîmes. » Ne descendons pas seulement avec lui dans une humble reconnaissance des infirmités et des bassesses de notre nature ; descendons jusqu'aux enfers, en confessant que c'est de là qu'il nous a tirés : et non-seulement des enfers où étaient les âmes pieuses avant sa venue, ou des prisons souterraines où étaient les âmes imparfaites qui avaient autrefois été incrédules ; mais du fond même des enfers où les impies, où Caïn, où le mauvais riche étaient tourmentés avec les démons. C'est jusque-là qu'il nous faut descendre, jusque dans ces brasiers ardents, jusque dans ce chaos horrible et dans ces ténèbres éternelles, puisque c'est là que nous serions sans sa grâce. Anéantissons à son exemple tout ce que nous sommes. Car considérons, mes bien-aimés, qu'est-ce qu'il a anéanti en lui-même. «Comme il était, dit saint Paul (2), dans la forme et la nature de Dieu, il n'a pas cru que ce fût à lui un attentat de se porter pour égal à Dieu ; mais il s'est anéanti lui-même en prenant la forme d'esclave, ayant été fait semblable aux hommes. » Ce n'est donc pas seulement la forme d'esclave qu'il a comme anéantie en lui-même ; mais il a anéanti autant qu'il a pu jusqu'à la forme de Dieu, en la cachant sous la forme d'esclave et suspendant pour ainsi parler son action toute-puissante et l'effusion de sa gloire ; poussant l'obéissance jusqu'à la mort, et jusqu'à la mort de la croix (3); la poussant jusqu'au tombeau, et ne commençant à se relever que lorsqu'il fut parvenu à la dernière extrémité de la bassesse. Ne songeons donc à nous relever non plus que lui, que lorsque nous aurons goûté son ignominie dans toute son étendue, et que nous aurons bu tout le calice de ses humiliations. Alors il ne nous sera pas en ruine, mais en résurrection, en consolation et en joie.

 

1 Ephes., IV, 9, 10. — 2 Philip., II, 6, 7. — 3 Ibid., 8.

 

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SECOND POINT.

 

Mais pour nous jeter dans ces profondeurs, laissons-nous confondre par la vérité de sa doctrine. C'est la seconde source des contradictions qu'il a eu à essuyer sur la terre. Il n'a eu à y trouver que des pécheurs, et il semblait que des pécheurs ne devaient non plus s'opposer à un Sauveur que des malades à un médecin. Mais c'est qu'ils étaient pécheurs, et cependant qu'ils n'étaient pas humbles. Toutefois qu'y avait-il de plus convenable à un pécheur que l'humilité et l'humble aveu de ses fautes ? C'est ce que Jésus-Christ n'a pu trouver parmi les hommes. Il a trouvé des pharisiens pleins de rapines, d'impuretés et de corruption ; il a trouvé des docteurs de la loi, qui sous prétexte d'observer les plus petits commandements avec une exactitude surprenante, violaient les plus grands. Et ce qui les a soulevés contre le Fils de Dieu, c'est ce qu'il a dit lui-même en un mot : « Je suis venu au monde comme la lumière ; et les hommes ont mieux aimé les ténèbres que la lumière, parce que leurs œuvres étaient mauvaises (1). »

C'est pourquoi Jésus a été plus que Moïse, plus que Jérémie, plus que tous les autres prophètes, un objet de contradiction, de murmure et de scandale à tout le peuple. « C'est un prophète, ce n'en est pas un : c'est le Christ ; le Christ peut-il venir de Nazareth ? peut-il venir quelque chose de bon de Galilée (2) ? Quand le Christ viendra, on ne saura d'où il vient (3) ; mais nous savons d'où vient celui-ci (4). C'est un blasphémateur et un impie qui se fait égal à Dieu (5), qui enseigne à violer le jour du sabbat (6). C'est un Samaritain et un schismatique (7) ; c'est un rebelle et un séditieux, qui empêche de payer le tribut à César (8) ; c'est un homme de plaisir et de bonne chère, qui aime les grands repas des publicains et des pécheurs (9) ; il est possédé du malin esprit, et c'est en son nom qu'il délivre les possédés (10). » En un mot, c'est un trompeur, c'est un imposteur ; ce qui enfermait le comble de tous les

 

1 Joan., III, 19.— 2 Ibid., VII, 40, 41. — 3 Ibid., 27. — 4 Ibid., IX, 29. — 5 Ibid., X, 33. — 6 Ibid., IX, 16. — 7 Ibid., VIII, 48. — 8 Luc., XXIII, 2. — 9 Matth., XI, 19. — 10 Ibid., XII. 24.

 

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outrages, et ce qui fait aussi qu'on lui préfère un voleur de grand chemin et un assassin. Lequel des prophètes a été en butte à de plus étranges contradictions ? Il le fallait ainsi, puisque portant aux hommes plus près que n'avait fait aucun des prophètes, et avec un éclat plus vif, la vérité qui les condamnait. il fallait qu'il soulevât contre lui tous les esprits jusqu'aux derniers excès : c'est pourquoi la rébellion n'a jamais été portée plus loin. Il fait des miracles que jamais personne n'avait faits, et il ne laissait aucune excuse à l'infidélité des hommes. Mais plus la conviction était manifeste, plus le soulèvement devait être brutal et insensé. Car voyez jusqu'où ils portent leur fureur  : il avait ressuscité un mort de quatre jours en présence de tout le peuple ; et non-seulement c'est ce qui les détermine à le faire mourir, mais ils veulent faire mourir avec lui celui qu'il avait ressuscité, afin d'ensevelir dans un même oubli et le miracle et celui qui en était l'auteur et celui qui en était le sujet, parce qu'encore qu'ils sussent bien que Dieu, qui avait fait un si grand miracle, pouvait bien le réitérer quand il voudrait, ils osaient bien espérer qu'il ne le voudrait pas faire, ni renverser si souvent les lois de la nature. Voilà jusqu'où ils poussent leurs complots ; et jamais la vérité n'avait été plus en butte aux contradictions, parce que jamais elle n'avait été plus claire ni plus convaincante, ni pour ainsi parler plus souveraine. C'est donc alors que les pensées que plusieurs tenaient cachées dans leurs cœurs furent découvertes. Et quelle fut la noire pensée qui fut alors découverte ? Que l'homme ne peut souffrir la vérité ; qu'il aime mieux ne pas voir son péché pour avoir occasion d'y demeurer, que de le voir et le reconnaître pour être guéri ; et en un mot que le plus grand ennemi qu'ait l'homme, c'est l'homme même. Voilà cette secrète et profonde pensée du genre humain, qui devait être révélée à la présence de Jésus-Christ et à sa lumière : Ut revelentur ex multis cordibus cogitationes.

Prenez donc garde, mes frères, de ne pas imiter ces furieux. Tu t'enfonces dans le crime, malheureux pécheur; et à mesure que tu t'y enfonces les lumières de ta conscience s'éteignent ; et cette parole de Jésus-Christ s'accomplit encore : « Vous voulez me

 

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faire mourir, parce que ma parole ne prend point en vous (1). » Les lumières de ta conscience et cette Décrète persécution qu'elle te fait dans ton cœur, ne t'émeuvent pas : pour cela tu les veux éteindre : tes vérités de L'Evangile te sont un scandale ; tu commences à les combattre, HOU point par raison, car tu n'en as point, et « les témoignages de Dieu sont trop croyables (2), » mais par paresse, par aveuglement, par fureur. Il n'y a plus devant tes yeux et dans le fond de ton cœur qu'une petite lumière ; et sa faiblesse fait Voir qu'elle n'est plus en toi que pour un peu de temps : Adhuc modicum lumen in vobis est (3) : « La lumière est encore en vous pour un peu de temps. » Au reste, mon cher frère, c'est Jésus-Christ qui te luit encore, qui te parle encore par ce faible sentiment : marche donc à la faveur de cette lumière, de peur que les ténèbres ne t'enveloppent ; et celui qui marche dans les ténèbres ne sait où il va (4) ; il choppe à chaque pas, à chaque pas il se heurte contre la pierre, et tous les chemins sont pour lui des précipices.

 

TROISIÈME   POINT.

 

Mais ce qu'il y a ici de plus étrange, c'est que le dernier sujet du scandale qui a soulevé le monde contre Jésus-Christ, c'est sa bonté. Si dans le temps de sa passion et dans tout le cours de sa vie, on a poussé les outrages jusqu'à la dernière extrémité, c'est à cause « qu'il se livrait à l'injustice, » comme dit l'apôtre saint Pierre (5) ; qu'il se laissait frapper impunément comme un agneau innocent se laisse tondre, et se laisse même mener à l'autel pour y être égorgé comme une victime ; c'est que s'il fait des miracles, c'est pour faire du bien à ses ennemis, et non pas pour empêcher le mal qu'ils lui voulaient faire. C'est de là qu'est venu le grand scandale que le monde a vu arriver dans Israël, à l'occasion de Jésus-Christ. Mais voici, dans le vrai Israël et dans l'Eglise de Dieu, le grand scandale. Parce que dans l'institution de ses sacrements Jésus-Christ n'a point voulu donner de bornes à ses bontés, les chrétiens n'en donnent point à leurs crimes. On a reproche au Sauveur l'efficace toute-puissante de son baptême, ou tous les crimes étaient également expiés; et Julien l'Apostat

 

1 Joan., VIII, 37. — 2 Psal., XCII, 5. — 3 Joan., XII, 35. — 4 Ibid.— 5 I Petr., II, 23.

 

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a bien osé dire que c'était inviter le monde à faire mal (1). Mais la clémence du Sauveur ne s'en tient pas là. Novatien et ses sectateurs en ont eu honte : ils ont tâché de renfermer la miséricorde du Sauveur dans le baptême, ôtant tout remède à ceux qui n'avaient pas profité de celui-là. L'Eglise les a condamnés, et la miséricorde qu'elle prêche est si grande, qu'elle ouvre encore une entrée pour le salut à ceux qui ont violé la sainteté du baptême et souillé le temple de Dieu en eux-mêmes. Restreignons-nous donc du moins, et ne donnons qu'une seule fois la pénitence, comme on faisait dans les premiers temps. Non, mes frères, la miséricorde de Jésus-Christ va encore plus loin : il n'a point mis de bornes à la rémission des péchés. Il a dit sans restriction : « Tout ce que vous remettrez, tout ce que vous délierez (2). » Il a dit à tous ses ministres en la personne de saint Pierre : « Vous pardonnerez non-seulement sept fois, mais jusqu'à sept fois septante fois (3). » C'est que le prix de son sang est infini : c'est que l'efficace de sa mort n'a point de bornes : et c'est là aussi le grand scandale qui paraît tous les jours dans Israël; on dit : Je pécherai encore, parce que j'espère faire pénitence. Que ce discours est insensé ! Sans doute faire pénitence, ce n'est autre chose que se repentir. Quand on croit qu'on se repentira de quelque action, c'est une raison pour ne la pas faire. Si vous faites cela, dit-on tous les jours, vous vous en repentirez. Mais à l'égard de Dieu le repentir devient l'objet de notre espérance ; et on ne craint point de pécher, parce qu'on espère de se repentir un jour. Il fallait donc encore que cette absurde pensée fût révélée à la venue de Jésus-Christ : Ut revelentur cogitationes. Mais, chrétien, tu n'y penses pas quand tu dis que tu feras pénitence et que tu te repentiras, et que tu fais servir ce repentir futur à ta licence : tu renverses la nature, tu introduis un prodige dans le monde. C'est en effet que ton repentir ne sera pas un repentir véritable, mais une erreur dont tu te flatteras dans ton crime.

Tremblez donc, tremblez, mes frères, et craignez qu'en abusant de l'esprit de la pénitence pour vous autoriser dans vos

 

1 Apud S. Cyrill. Alex., lib. VII Contra Julian.— 2 Matth., XVIII, 18; Joan. XX, 23.— 3 Matth., XVIII, 22.

 

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péchés, vous ne commettiez à la fin ce péché contre le Saint-Esprit, qui ne se remet ni en ce monde ni en l'autre. Car enfin s'il est véritable qu'il n'y a point de péché que le sang de Jésus-Christ ne puisse effacer et que sa miséricorde ne puisse remettre, il n'est pas moins véritable qu'il y en aura un qui ne sera jamais remis ; et comme vous ne savez pas si ce ne sera point le premier que vous commettrez, et qu'il y a au contraire grand sujet de craindre que Dieu se lassera de vous pardonner, puisque toujours vous abusez de son pardon, craignez tout ce que fera une bonté rebutée, qui changera en supplices toutes les grâces qu'elle vous a faites. Venez contempler tous les mystères du Sauveur : regardez l'endroit par où ils vous peuvent tourner à ruine, et celui par où ils vous peuvent être en consolation et en joie : et au lieu de regarder sa bonté comme un titre pour l'offenser plus facilement, regardez-la comme un motif le plus pressant pour enflammer votre amour, afin que passant vos jours dans les consolations qui accompagnent la rémission des péchés, vous arriviez au bienheureux séjour d'où le péché et les larmes seront éternellement bannies. C'est la grâce que je vous souhaite avec la bénédiction du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Ainsi soit-il.

 

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