ACTES XXI

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HOMÉLIE XXI. ÉTANT VENU A JÉRUSALEM, PAUL CHERCHAIT A SE JOINDRE AUX DISCIPLES; MAIS TOUS LE CRAIGNAIENT, NE CROYANT PAS QU'IL FUT LUI-MÊME DISCIPLE. ALORS BARNABÉ L'AYANT PRIS AVEC LUI, L'AMENA AUX APOTRES, ET LEUR RACONTA COMMENT LE SEIGNEUR LUI ÉTAIT APPARU DANS LE CHEMIN. (CHAP. IX, 26, 27, JUSQU'A LA FIN DU CHAPITRE.)

 

ANALYSE. 1-3. Paul à Jérusalem. — Discussion sur les premiers voyages de Paul. — Démonstration de la principauté de Pierre. — Résurrection de Thabite.

4 et 5. Magnifique mouvement d'éloquence : la mort du pécheur, le vrai deuil, les vrais sujets de larmes; les aumônes utile aux morts ; les offrandes pour les défunts.

 

1. Nous aurons raison ici de nous demander comment il a pu écrire, dans sa lettre aux Galates : « Je ne suis point retourné à Jérusalem, mais je m'en suis allé en Arabie et à Damas; et ainsi, trois ans s'étant écoulés, je retournai à Jérusalem pour voir Pierre, et je n'ai vu aucun des apôtres ». (Gal. I, 17-19.) D'où vient qu'ici, au contraire, le texte dit que Barnabé l'amena aux apôtres? Ou l'apôtre veut dire : Je ne suis pas allé pour demeurer (car il dit immédiatement avant : « Je n'ai pas pris conseil de la chair et du sang » (Ibid. 16 ;) je ne suis pas allé à Jérusalem trouver les apôtres qui me précédaient) ; ou voici encore l'explication que l'on peut donner : les piéges qui lui furent tendus à Damas, furent postérieurs au voyage en Arabie; ensuite il retourna de Damas à Jérusalem. Donc lui-même n'alla pas voir les apôtres, mais il cherchait à se joindre aux disciples, comme n'étant pas encore docteur, mais simplement disciple lui-même. Il n'alla donc pas pour voir les apôtres qui le précédaient; et en effet, ils ne lui ont rien appris. Ou il ne parle pas de ce voyage, (95) il le passe sous silence, et voici ce qui est arrivé: Il s'en est allé en Arabie, ensuite à Damas, ensuite à Jérusalem, de là en Syrie; ou bien, s'il n'en est pas ainsi, voici ce qu'il faut croire : Il alla à Jérusalem, de là il fut envoyé à Damas ; il alla ensuite en Syrie, ensuite une seconde fois à Damas, ensuite à Césarée ; et alors, après quatorze ans sans doute, Barnabé l'amena aux frères. Si cette explication n'est pas vraie, il s'agit alors d'une autre époque, car l'historien abrège considérablement le récit, entassant les époques. Voyez quel détachement de la gloire ! Il ne raconte pas cette fameuse vision, il passe outre, et ensuite il commence de cette manière : « Etant venu à Jérusalem, il cherchait à se joindre aux disciples, mais tous le craignaient ». Et voici ce qui montre encore la chaleur de Paul : Ce n'est pas l'histoire d'Ananie, ce n'est pas l'admiration qu'il excitait à Damas, mais ce sont les faits qui se sont passés à Jérusalem. Il est certain qu'on attendait de lui quelque chose de supérieur à l'homme; et remarquez : Paul ne va pas trouver les apôtres; la modestie le retient; il va voir les disciples, parce qu'il est lui-même disciple; on ne le regardait pas encore comme un fidèle.

« Alors Barnabé l'ayant pris, l'amena aux apôtres, et leur raconta comment le Seigneur  lui était apparu dans le chemin ». Ce Barnabé était un homme doux et bon, son nom signifie « fils de la consolation » ; d'où il suit qu'il fut l'ami de Paul. Quant à sa bonté, à son affabilité, la preuve c'est sa conduite présente, et sa conduite avec Jean ; c'est ce qui explique l'assurance de Paul, qui lui raconte comment le Seigneur lui est apparu dans le chemin, et que Dieu lui a parlé, et qu'à Damas il s'est montré librement un serviteur du Seigneur Jésus. Il est vraisemblable qu'à Damas, Barnabé avait entendu parler de Paul. Telle fut la préparation de son apostolat dans lequel les oeuvres confirmèrent les paroles. « Et il était avec eux, entrant et sortant dans Jérusalem, et parlant avec force et liberté au nom du Seigneur Jésus. Il parlait aussi et il discutait «avec les Juifs grecs (28, 29) ». Les disciples le craignant, les apôtres n'ayant pas encore confiance en lui, Paul s'arrange de manière à dissiper leurs craintes. Il parlait, dit le texte, et il discutait avec les Juifs grecs. Les Juifs grecs étaient ceux qui parlaient grec, et l'Ecriture a tout à fait raison; car les autres ne voulaient même pas le voir : « Et ceux-ci cherchaient à le tuer» ; ce qui prouve à la fois, et la violence des vaincus et l'éclat de la victoire et le chagrin qu'elle causait : « Ce que les frères ayant reconnu, ils le menèrent à Césarée.(30) ». Cette conduite s'explique par la crainte; ils craignaient pour lui ce qui était arrivé à Etienne ; ils le mènent à Césarée : « Et ils l'envoyèrent à Tarse ». Quelle que soit leur crainte, ils l'envoient toutefois, et pour qu'il prêche, et pour qu'il soit en sûreté, Tarse étant sa patrie. Eh bien ici, voyez comme il est vrai de dire que la grâce n'agit pas toujours seule, que Dieu permet aussi aux hommes de faire beaucoup de choses par la sagesse qui leur est propre, par la prudence humaine. Ce qui est vrai de Paul, l'est bien plus des autres hommes. Il lui permet donc d'enlever tout prétexte à ces malheureux : « Cependant l'Eglise était en paix par toute la Judée et la Samarie, et elle s'établissait marchant dans la crainte du Seigneur, et elle était remplie de la consolation du Saint-Esprit (31) ». L'historien va parler de Pierre visitant les fidèles; il ne veut pas que cette démarche paraisse un effet de la crainte; il expose donc d'abord l'état de l'Eglise, montrant qu'au temps de la persécution Pierre était resté à Jérusalem. Mais l'Eglise étant partout en paix, Pierre laisse Jérusalem, telle est la ferveur qui l'emporte ! En effet, la paix n'était pas une raison pour que l'on n'eût pas besoin ailleurs de sa présence. Et pourquoi, dira-t-on, ce voyage, en pleine paix, après le départ de Paul? C'est que les peuples vénéraient surtout ceux qu'ils voyaient souvent, et qui excitaient l'admiration de la foule. Quant à Paul, on le méprisait, et les haines étaient allumées contre lui.

2. Avez-vous bien compris comment la paix succède à la guerre, ou plutôt avez-vous bien compris le résultat de cette guerre? Elle a dispersé les auteurs de la paix. Dans la Samarie, Simon fut couvert de honte; dans la Judée, arriva l'histoire de Sapphire; donc, quoique la paix régnât, il n'y avait pas lieu à se relâcher, c'était une paix qui avait besoin de consolation. « Or, Pierre, visitant de ville en ville tous les disciples, vint aussi voir les saints qui habitaient à Lydde (32) ». C'était comme un général qui passe la revue pour voir ce qui est bien aligné, ce qui est dans l'ordre, en quel lieu sa présence est nécessaire. Voyez-le courant de tous les côtés, et se trouvant partout (96) le premier. S'agit-il de choisir un apôtre? il est le premier; s'agit-il de.répondre aux Juifs accusant les apôtres d'être ivres, de guérir un boiteux, de haranguer les peuples? on le voit avant tous les autres. Faut-il, parler aux magistrats? c'est lui qui se montre. Quand il faut punir Ananie, opérer des guérisons par son ombre, c'est toujours lui. On le trouve partout où il y a du danger, et partout où il y a quelque chose à administrer. Quand les choses vont d'elles-mêmes, tous agissent en commun; Pierre ne recherche pas de prérogatives d'honneur. Mais maintenant, quand il faut opérer un miracle, c'est lui qui s'élance; et ici, c'est lui encore qui se, charge d'un travail, et qui fait un voyage. « Il y trouva un homme, u nommé Enée, qui, depuis huit ans, était couché sur un lit, étant paralytique, et Pierre lui dit : Enée, le Seigneur Jésus-Christ vous guérit; levez-vous, et faites vous-même votre lit; et aussitôt il se leva (33, 34) ».

Et pourquoi n'attendit-il pas que l'homme lui montrât sa foi? pourquoi ne lui demanda-t-il pas s'il voulait être guéri ? Assurément c'est parce qu'il fallait produire un grand effet sur la foule, que ce miracle s'opéra. Aussi combien l'utilité en fut grande ! Ecoutez ce que le texte ajoute : « Tous ceux qui demeuraient à Lydde , et à Sarone , virent cet homme guéri, et ils se convertirent au Seigneur (33) ». Pierre a donc eu raison de parler ainsi. C'était un homme connu de tout le monde, et, pour prouver la vérité du miracle, l'apôtre lui ordonne d'emporter son grabat. En effet, les apôtres ne se bornaient pas à guérir; mais, avec la santé, ils rendaient aussi la force. D'ailleurs, ils n'avaient pas encore donné de preuves de leur puissance; il n'est pas étonnant que le paralytique ne fût pas tenu de croire, puisque le boiteux n'avait pas dû manifester sa foi. De même que le Christ, lorsqu'il commença d'opérer des miracles, n'exigeait pas la foi, de même firent les apôtres. A Jérusalem, on exigeait la foi; de là vient qu'à cause de leur foi tous les malades étaient exposés dans les rues, afin que l'ombre de Pierre, venant à passer, s'étendît au moins sur quelqu'un d'entre eux. A Jérusalem, en effet, il y avait eu beaucoup de miracles; mais c'était pour la première fois qu'on en voyait à Lydde. Parmi les miracles, les uns avaient pour but d'attirer les infidèles, les autres de consoler ceux qui partageaient la foi. « Il y avait aussi à Joppé, entre les disciples, une femme nommée Thabite, ou. en grec, Dorcas; elle était remplie de bonnes oeuvres et des aumônes qu'elle faisait. Or, il  arriva en ce temps-là, qu'étant tombée malade, elle mourut; et, après qu'on l'eut lavée, on la mit dans une chambre haute ; et comme Lydde était près de Joppé, les disciples, ayant appris que Pierre y était, envoyèrent vers lui deux hommes pour le prier de venir auprès d'eux (36, 37, 38) ».

Pourquoi les disciples attendirent-ils qu'elle mourût? Pourquoi ne se pressèrent-ils pas d'importuner Pierre? C'est que, dans leur sagesse, ils regardaient comme inconvenant d'importuner les apôtres pour de telles choses, et de les arracher à la prédication. Et si le texte dit que Joppé était près de Lydde, c'est pour montrer que, vu la proximité, les disciples demandaient ce qui pouvait se faire sans dérangement (cette femme faisait partie des disciples); et qu'ils n'y attachaient pas une extrême importance. « Pierre partit aussitôt, et s'en alla avec eux. Lorsqu'il fut arrivé, ils le menèrent à la chambre haute (39) ». Ils ne lui demandent rien, ils s'en rapportent à lui, pour la rendre à la vie, si c'est sa volonté; et ainsi se trouve accomplie cette parole : « L'aumône délivre de la mort (Tob. XII, 9). « Et toutes les veuves l'entourèrent, en pleurant, et lui montrant les tuniques et les robes que Dorcas leur faisait ». C'est dans la chambre où cette morte était exposée qu'ils conduisent Pierre, avec la pensée peut-être que ce spectacle serait pour lui une occasion de manifester la sagesse chrétienne. Voyez-vous tout ce que cette conduite dénote de progrès dans la sagesse? Et le nom de cette femme n'est pas rappelé au hasard, il montre la conformité de son nom et de sa vie : une femme vigilante, alerte, comme une chèvre, Dorcas; car il y a beaucoup de noms qui portent en eux-mêmes leur raison; nous vous l'avons souvent dit. « Elle était remplie », dit le texte, « de bonnes oeuvres, et des aumônes qu'elle faisait ». Grand éloge pour cette femme, d'avoir fait ses bonnes couvres et ses aumônes, de manière à en être remplie. Or, il est manifeste qu'elle s'appliquait d'abord aux bonnes couvres, ensuite aux aumônes, « qu'elle faisait », dit le texte. Grande humilité. Ce n'est pas ce qu'on voit chez nous; tous alors attachaient une grande importance à (97) l'aumône. Alors Pierre, ayant fait sortir tout le monde, se mit à genoux, et en prières, et, se tournant vers le corps, il dit : « Thabite, levez-vous; elle ouvrit les yeux et, ayant vu « Pierre, elle se mit sur son séant (40) ». Pourquoi faire sortir tout le monde? pour éviter l'émotion , le trouble causé par les larmes. « Se mit à genoux, et en prières »; c'était la marque d'une grande application pour prier. « Il lui donna la main », dit le texte (41). Ici, le texte montre successivement la vie, ensuite la force communiquée, l'une par la parole, l'autre par la main. « Il lui donna la main; et la leva, et ayant appelé les saints et les veuves, il la leur rendit vivante ». C'était, pour les uns, une consolation; ils revoyaient leur soeur; ils contemplaient un miracle; pour les veuves, c'était une protection qu'elles retrouvaient. « Ce miracle fut su de toute la ville de Joppé, et plusieurs crurent au Seigneur; et Pierre demeura plusieurs jours, dans Joppé , chez un corroyeur nommé Simon ».

3. Voyez la modestie et la douceur de Pierre : il ne reste pas auprès de cette femme, auprès de quelqu'autre personnage marquant, mais chez un corroyeur; par tous les moyens, il enseigne l'humilité. Il ne veut pas que les humbles rougissent, que les grands s'élèvent. S'il fit son voyage, c'est qu'il pensait que les fidèles avaient besoin de sa doctrine. Mais reprenons les paroles de notre texte : « Il  cherchait », dit le texte, « à se joindre aux disciples ». Paul ne les aborde pas effrontément , mais avec humilité. L'Ecriture ici donne le nom de disciple même à ceux qui ne faisaient pas partie des douze; c'est que tous méritaient alors ce nom de disciples, par l'excellence de leurs vertus. Leur vie était conforme à un modèle illustre. « Mais tous le  craignaient », dit le texte. Voyez comme ils redoutaient les périls, comme la crainte était puissante encore. « Alors Barnabé, l'ayant pris avec lui, l'amena aux apôtres et leur raconta ». Ce Barnabé, je crois, était depuis quelque temps l'ami de Paul; de là vient qu'il raconte tout ce qui le concerne. Quant à Paul, il n'en dit rien lui-même, et je pense que plus tard il n'en parle pas davantage, excepté dans quelque nécessité. « Et il était avec eux dans Jérusalem, parlant avec force et liberté au a nom du Seigneur Jésus ». Ce qui donnait aux autres de la confiance. Voyez-vous, ici encore, ce que vous avez vu ailleurs, des fidèles qui veillent prudemment sur lui, et qui le font partir, et comment la main de Dieu ne se montre pas encore pour le défendre? Et c'est par là qu'éclate son énergie propre. Dès ce moment, je ne crois pas qu'il voyage par terre; il dut s'embarquer; ce qu'il fit par le conseil de celui qui voulait faire servir son voyage à la prédication. Et les piéges qu'on lui tendait, et le voyage à Jérusalem, tout cela était disposé, non sans dessein, mais afin qu'il ne demeurât pas plus longtemps suspect. « Et il disputait avec les Juifs grecs. Cependant « l'Eglise », dit le texte, « était en paix, et elle s'établissait, marchant dans la crainte du Seigneur, et elle était remplie de la consolation du Saint-Esprit », c'est-à-dire, elle croissait, elle portait la paix dans son sein, la véritable paix; et il était bon qu'il en fût ainsi, car la guerre extérieure lui avait fait beaucoup de mal. « Et elle était remplie de la consolation du Saint-Esprit ». L'Esprit-Saint les consolait, et par les prodiges, et par les oeuvres. En outre, il résidait dans chacun des apôtres en particulier. « Or Pierre, visitant de ville en ville tous les disciples, vint aussi voir les saints qui habitaient à Lydde. Il y trouva un homme nommé Enée, qui était couché et il lui dit : Enée, le Seigneur Jésus-Christ vous guérit ». Parole, non d'ostentation, mais de confiance. Quant à moi, je suis tout à fait porté à croire que le malade a ajouté foi à la parole, et que c'est là ce qui l'a guéri. Que le miracle ait été fait sans ostentation, c'est ce qui résulte de ce qui suit. En effet, Pierre ne dit pas : Au nom de Jésus-Christ, mais il semble annoncer un miracle plutôt que l'opérer. « Tous ceux qui demeuraient à Lydde en furent témoins, et ils se convertirent au Seigneur ». J'ai donc eu raison de dire que les miracles avaient pour but la persuasion et la consolation.

« Il y avait aussi à Joppé, entre les disciples, une femme nommée Thabite. Or, il arriva en ce temps-là, qu'étant tombée malade, elle mourut ». Voyez vous les signes miraculeux qui se montrent partout? Il n'est pas dit simplement que Thabite mourut, mais, après être tombée malade; mais l'on n'appela pas Pierre avant qu'elle fût morte. « Et les disciples, ayant appris que Pierre y était, envoyèrent vers lui pour le prier de venir auprès d'eux»: Voyez, ils ont recours à d'autres pour le faire venir, (98) et ils l'appellent, et Pierre consent, il vient, il ne se formalise pas de ce qu'on le fait venir; c'est un grand bien que la tribulation, qui rapproche ainsi nos âmes. Et maintenant, pas de larmes, pas de sanglots. « Après qu'on l'eut lavée, on la mit dans une chambre haute », c'est-à-dire, on lui fit tout ce qui convient aux morts. «Pierre partit aussitôt et s'en alla avec eux. Lorsqu'il fut arrivé dans la chambre haute, il se mit à genoux et en prières, et, se tournant vers le corps, il dit : Thabite, levez-vous ». Dieu ne permet pas tous les signes avec la même facilité ; celui-ci était dans l'intérêt des disciples. Dieu ne s'inquiétait pas seulement de sauver les autres hommes, il voulait aussi le salut de ses serviteurs. Donc celui dont l'ombre seule guérissait tant de malades, s'applique maintenant et fait tout pour ressusciter cette femme. Il faut dire aussi que la foi des assistants coopérait à cette oeuvre. Donc, il ressuscite cette morte d'abord en l'appelant par son nom. Cette femme, comme si elle se réveillait, ouvrit d'abord les yeux; à la vue de Pierre, elle se mit aussitôt sur son séant, et enfin, sentant sa main, la voilà raffermie. Quant à vous, considérez ici le fruit qu'il vous faut recueillir, l'utilité du miracle, et non le spectacle. Si Pierre fait sortir tout le monde, c'est pour imiter son Maître. En effet, là où se versent les pleurs, un si grand mystère n'est pas à sa place; disons mieux, là où s'opèrent les miracles, il ne faut pas de larmes. Ecoutez, je vous en conjure, quoique nos yeux ne voient plus rien de pareil, il n'en est pas moins vrai que, maintenant encore, au milieu des morts, s'accomplit un grand mystère. Voyons, répondez-moi, si, pendant que nous sommes ici , l'empereur appelait quelqu'un de nous à sa cour, faudrait-il donc pleurer et gémir? Des anges se présentent, envoyés du ciel, c'est du ciel qu'ils viennent, de la part du souverain Seigneur, pour appeler leur compagnon d'esclavage, et vous pleurez, et vous ne comprenez pas le mystère qui s'accomplit? Combien redoutable est ce mystère, comme il est fait pour exciter l'épouvante, et, en même temps, combien il mérite et nos chants d'allégresse et notre joie !

4. Comprendrez-vous enfin qu'il n'y a pas là un sujet de larmes? Ce mystère est la plus grande marque de la sagesse de Dieu. Comme on abandonne une maison, ainsi fait l'âme, pressée de se réunir à son Seigneur. Et vous êtes dans le deuil? Il fallait donc pleurer à la naissance de l'enfant, car la dernière naissance est bien plus heureuse. L'âme s'en va vers une autre lumière; elle s'échappe comme d'une prison; elle retourne comme on revient, d'un combat. Sans doute, m'objectera-t-on; mais vous parlez des justes; et que t'importe, ô homme? auprès des justes éprouves-tu ce que je dis ? Eh bien, dites-moi, que peut-on reprocher à l'enfant, au petit enfant? Pourquoi votre deuil pour le nouveau baptisé, car, pour celui-ci encore, la condition est la même? Pourquoi donc votre deuil? Ne voyez-vous pas que c'est comme un pur soleil qui s'élève? que l'âme pure, quittant son corps , est une lumière brillante ? L'empereur, faisant son entrée dans la ville, ne mérite pas le silence de l'admiration autant que l'âme rejetant son corps pour s'en aller avec les anges. Réfléchissons donc sur l'âme, sur le saisissement, sur l'admiration , sur la volupté qu'elle éprouve. Pourquoi votre deuil, encore une fois? Ne pleurez-vous donc que sur les pécheurs ? Plût au ciel qu'il en fût ainsi! Je ne l'empêcherai pas ce deuil-là; plût. à Dieu que telle en fût la cause ! De là les larmes apostoliques; de là les larmes du Seigneur. Jésus aussi, Jésus pleura sur Jérusalem. Je voudrais que ce fût à ce caractère qu'on reconnût le deuil ; mais lorsqu'aux exhortations qu'on vous adresse, vous n'opposez que des mots, l'habitude, les liaisons rompues, la protection qui vous est enlevée, vous ne parlez pas du vrai deuil, je ne vois là que des prétextes. Faites le deuil du pécheur, versez sur lui des larmes; et moi aussi, j'en verserai avec vous, j'en verserai plus que vous, d'autant qu'il est plus exposé aux châtiments, le pécheur ; et moi aussi, je me lamenterai, et de mes lamentations je vous dis la cause, et ce n'est pas vous seulement qui devez pleurer le pécheur, mais la cité tout entière et tous ceux que vous rencontrez, comme vous pleurez sur les malheureux que l'on mène à la mort, car c'est la réalité, c'est une mort sinistre que celle des pécheurs. Mais toutes les idées sont confondues. Voilà le deuil que commande la sagesse, qui est un grand enseignement, l'autre n'est que faiblesse, pusillanimité. Si nous sentions tous le vrai deuil, nous corrigerions les vivants. Si l'on vous donnait des remèdes contre la mort qui frappe les corps, vous ne manqueriez pas d'y (99) recourir; si vous saviez pleurer la mort du pécheur, vous l'empêcheriez, vous l'écarteriez, et de vous, et de lui.

Mais, ce que nous voyons c'est une énigme; nous pourrions empêcher cette mort, nous ne l'empêchons pas; et, quand elle arrive, nous nous livrons au deuil. O hommes, vraiment dignes d'être pleurés ! quand ils se présenteront au tribunal du Christ, quelle parole entendront-ils, quel traitement leur faudra-t-il subir? C'est en vain qu'ils ont vécu, ou plutôt non, ce n'est pas en vain, mais c'est pour leur malheur. Il convient de dire, en parlant d'eux : « C'eût été un bien pour eux de ne pas être nés ». (Marc, XIV, 21.) Car quelle utilité pour eux, répondez-moi, d'employer tara de temps pour assurer le malheur de leurs têtes? S'ils n'avaient fait que le perdre, la perte ne serait pas si grande. Répondez-moi : qu'un mercenaire dissipe vingt ans de sa vie en labeurs inutiles, ne le verrez-vous pas se lamenter et {;émir? Ne paraîtra-t-il pas le plus misérable de tous les hommes ? Eh bien, voici un pécheur qui a dissipé, sans profit, sa vie entière; il n'a pas vécu un seul jour pour lui ; il a tout livré aux plaisirs, à la luxure, à la cupidité, au péché, au démon ; ne devons-nous pas le pleurer? répondez-moi. N'essaierons-nous pas de l'arracher à ses dangers? Car nous pouvons, oui, nous pouvons, nous n'avons qu'à le vouloir, alléger son châtiment. Prions pour lui sans cesse, faisons l'aumône. Quand ce pécheur serait indigne, Dieu nous exaucera. Si en faveur de Paul, il a sauvé des pécheurs; si en faveur des uns il fait grâce aux autres, pourquoi, par égard pour nous, ne le ferait-il pas? Faites-vous des richesses de votre prochain, de vos propres richesses. des ressources de qui vous voudrez, un moyen de secours; versez l'huile goutte à goutte, ou plutôt épanchez l'eau en abondance. Un tel n'a pas les moyens de faire l'aumône? qu'il puisse au moins avoir pour lui les aumônes de ses parents; il ne peut pas se prévaloir des aumônes qu'il a faites? qu'il montre au moins les aumônes faites pour lui. C'est ainsi que l'épouse priera avec confiance dans l'intérêt de l'époux, présentant pour lui le prix qui le rachètera; et plus il a été pécheur, plus il a besoin de l'aumône. Et ce n'est pas là la seule raison c'est qu'il n'a plus maintenant la même force qu'autrefois, ou plutôt il a bien moins de pouvoir. Ce n'est pas la même chose pour le salut de travailler pour soi ou de laisser travailler les autres. Ce dernier moyen étant par lui-même moins efficace, compensons du moins ce désavantage à force de zèle.

Ce n'est pas auprès des monuments, ce n'est pas auprès des sépulcres qu'il nous faut nous fatiguer; protégez les veuves, voilà le plus grand des devoirs à rendre aux morts. Prononcez un nom, et dites à toutes les veuves qui entendent ce nom, d'adresser à Dieu leurs prières, leurs supplications, voilà qui apaisera le Seigneur. Si Dieu ne regarde pas celui qui n'est plus, il regardera celui qui fait l'aumône dans l'intention du mort; preuve touchante de la bonté de Dieu. Les veuves qui vous entourent, en versant des larmes, peuvent vous affranchir, non pas de la mort présente, mais de la mort à venir. Un grand nombre d'hommes ont été fortifiés par les aumônes des autres à leur intention. Supposez qu'ils n'aient pas été entièrement délivrés, ils ont du moins reçu quelque consolation; s'il n'en était pas ainsi, expliquez le salut des petits enfants. Certes, d'eux-mêmes, ils ne méritent rien, leurs parents seuls font tous les frais ; souvent des femmes ont reçu et conservé, comme présents du Seigneur, des enfants qui n'avaient rien fait pour être sauvés. Le Seigneur nous a donné, pour le salut, des ressources nombreuses, c'est à nous de ne pas les négliger.

5. L'aumône? répondra-t-on. Mais si l'on est pauvre ? A mon tour je réponds : La valeur de l'aumône, ce n'est pas le don, mais l'intention. Donnez dans la mesure de vos ressources, et vous avez payé votre dette. Mais, m'objectera-t-on, un étranger qui est seul, qui ne connaît personne? Et pourquoi ne connaît-il personne? dites-moi. Cela même est un châtiment de n'avoir pas un ami, de ne pas connaître un honnête homme. Si nous ne sommes pas, par nous-mêmes, en possession de la vertu, sachons au moins nous faire des amis vertueux, nous ménager une épouse, un fils qui ait la vertu en partage, afin que nous puissions, par eux, en recueillir quelque fruit, un fruit si mince qu'il soit, mais enfin que nous puissions recueillir. Procurez-vous, non pas une épouse riche, mais une épouse vertueuse; ce sera votre consolation ; appliquez-vous à donner à votre fils, non la fortune, mais la piété; à votre fille, la chasteté ; ce sera, pour vous encore, une consolation. Si c'est à de tels biens que vous attachez votre coeur, et vous aussi, (100) vous serez vertueux; c'est une partie de la vertu de savoir se ménager de tels amis, une telle épouse, de tels enfants.

Ce n'est pas en vain que l'on fait des offrandes pour ceux qui ne sont plus; ce n'est pas en vain qu'on fait pour eux des prières; ce n'est pas en vain qu'on distribue pour eux des aumônes. L'Esprit-Saint a disposé toutes ces pratiques, afin que nous puissions nous aider les uns les autres ; car, voyez ce qui arrive vous portez secours à celui-là, et celui que vous avez aidé vous aide à son tour; vous avez, d'un instinct généreux, méprisé les richesses, et celui que vous avez sauvé vous enrichit des grâces de l'aumône. Ne mettez pas en doute le fruit qu'il vous sera donné de recueillir. Ce n'est pas en vain que le diacre vous crie : Pour ceux qui sont morts dans le Christ et pour ceux qui gardent leur souvenir; ce n'est pas le diacre qui fait entendre cette parole, c'est l'Esprit-Saint lui-même ; et je vous annonce le don de l'Esprit. Que dites-vous? Dans les mains du prêtre est l'hostie sainte, et tout est prêt; arrivent les anges, les archanges, arrive le Fils de Dieu; une sainte horreur s'empare de tous ; et, dans le silence universel, les diacres élèvent seuls la voix; et vous pensez que tout cela se fait en vain ? Et ,out le reste aussi se fait donc en vain, et les offrandes au nom de l'Eglise, et les offrandes au nom des prêtres, et les offrandes pour obtenir la plénitude. Loin de nous cette pensée! mais tout s'accomplit avec foi. Que signifient les offrandes au nom des martyrs, invoqués à cette heure solennelle ? Quelle que soit la gloire des martyrs, même pour ces glorieux martyrs, c'est une grande gloire que leur nom soit prononcé en la présence du Seigneur, au moment où s'accomplit cette mort, ce sacrifice plein de tremblement, cet ineffable mystère. Lorsque l'empereur est présent, assis sur son trône, tout ce que l'on veut de lui on peut l'obtenir; une fois qu'il s'est levé, toutes les paroles sont inutiles ; de même ici, au moment où s'accomplissent les mystères, c'est pour tous un honneur insigne d'obtenir un souvenir. Voyez, en effet, méditez; on annonce le mystère terrible, Dieu q ni s'est livré lui-même pour le monde; au moment où s'accomplit ce miracle, c'est avec un grand sentiment de l'àpropos que le prêtre évoque le souvenir de ceux qui ont péché. Quand les rois sont conduits en triomphe, alors on célèbre aussi tous ceux qui ont pris leur part de la victoire; en même temps on relâche les prisonniers, parce que c'est un jour de fête; la fête une fois passée, celui qui n'a rien obtenu, n'en recueille aucun fruit : il en est de même ici, dans ce triomphe du Seigneur. Car, dit l'apôtre, « toutes les fois que vous mangez ce pain, vous annoncez la mort du Seigneur ». (I Cor. XI, 26.) C'est pourquoi ne nous approchons pas à la légère, et ne disons pas que ces choses se font au hasard. D'ailleurs si nous rappelons le souvenir des martyrs, c'est parce que nous croyons que le Seigneur n'est pas mort; et c'est un témoignage que la mort est morte, de voir que le Seigneur a passé par la mort. Pénétrés de cette vérité, considérons quelle magnifique consolation nous pouvons apporter à ceux qui ne sont plus; au lieu de nos larmes, au lieu de nos lamentations, au lieu de nos monuments, donnons-leur nos aumônes, nos prières, nos pieuses offrandes, afin de leur obtenir, d'obtenir pour nous-mêmes, les biens qui nous ont été promis, par la grâce et par la bonté du Fils unique de Dieu, à qui appartient, comme au Père, comme au Saint-Esprit, la gloire, la puissance, l'honneur, et maintenant, et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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