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HOMÉLIE
XXXVIII. PENDANT QUE PAUL LES ATTENDAIT A ATHÈNES,SON ESPRIT
ÉTAIT IRRITÉ VOYANT L'ATTACHEMENT DE CETTE VILLE A L'IDOLATRIE. IL PARLAIT DONC
DANS LA SYNAGOGUE AVEC LES JUIFS ET CEUX QUI CRAIGNAIENT DIEU, ET AUSSI DANS LA PLACE AVEC
CEUX QUI S'Y RENCONTRAIENT. (CHAP. XVII, VERS, 16, 17, JUSQU'AU VERS. 31.)
ANALYSE. 1-3.
Saint Paul devant l'Aréopage. Les Juifs plus acharnés que les païens à
persécuter les chrétiens. Exorde habile don saint Paul se sert dans son discours
aux Athéniens. Misère de la philosophie, si on la compare à la doctrine
révélée. 4 et 5. Faites
pénitence car vous serez jugés. Ces paroles de saint Paul s'adressent aussi bien
à nous qu'aux Athéniens. Pour aimer Dieu représentez-vous souvent ses bienfaits.
Saint Chrysostome raconte que dans sa jeunesse il échappa, ainsi qu'un de ses
amis, à un péril imminent. 1. Observez que Paul a plus d'épreuves à supporter de la
part des Juifs que de celle des gentils. A Athènes, il n'a rien de grave à supporter et
tout se borne à des railleries: les Juifs, au contraire, sont tellement irrités qu'ils
commettent beaucoup de violences. Aussi (187) est-il dit: « Pendant que Paul les
attendait à Athènes, son esprit était irrité en voyant l'attachement de cette ville à
l'idolâtrie ». Son irritation était juste, car nulle part on ne voyait tant d'idoles.
« Il parlait donc dans la synagogue avec les Juifs et ceux qui craignaient Dieu, et aussi
dans la place avec ceux qui s'y rencontraient ». Vous le voyez, il discute encore avec
les Juifs pour fermer complètement la bouche à ceux qui le représentaient comme se
vouant aux gentils à l'exclusion des Juifs. Quant aux philosophes, il est étrange qu'en
l'entendant parler ainsi ils n'aient pas commencé par le mépriser et repousser ses
prédications en disant : Cela ne ressemble pas à la philosophie. S'ils ne l'ont pas
fait, c'est que lui-même ne montrait aucun orgueil; car, du reste, ils ne pouvaient rien
comprendre ni rien sentir de tout ce qu'il leur disait. Comment l'eussent-ils compris,
puisque les uns faisaient Dieu matériel, et que les autres faisaient consister le
souverain bien dans le plaisir : « Il y eut aussi quelques philosophes épicuriens et
stoïciens qui conférèrent avec lui, et les uns disaient: Qu'est-ce que veut dire ce
discoureur? et les autres : « Il semble qu'il prêche de
nouveaux dieux; à cause qu'il leur annonçait Jésus et la résurrection (18) »; car ils
pensaient que la résurrection était une certaine divinité, puisqu'ils adoraient aussi
des déesses. « Enfin, ils le prirent et le menèrent à l'Aréopage, en lui disant:
Pourrions-nous savoir de vous quelle est cette nouvelle doctrine que vous nous publiez
(19) ? Car vous nous dites de certaines choses dont nous n'avons pas encore ouï parler.
Nous voudrions donc bien savoir ce que c'est (20) ». Ils le menèrent à l'Aréopage, non
pour s'instruire, mais pour le punir, car c'était là que se jugeaient les affaires
capitales. Remarquez comme, sous prétexte de s'instruire, ils accusent la nouvelle
doctrine afin de la détruire. Du reste, c'était la ville des bavards. « Or tous les Athéniens, et les étrangers qui
demeuraient à Athènes , ne passaient leur temps qu'à dire et à entendre quelque chose de
nouveau (21). Paul, étant donc au milieu de l'Aréopage, leur dit : Athéniens
, il me semble qu'en toutes choses vous êtes religieux jusqu'à l'excès (22);
car, ayant regardé en passant les statues de vos dieux, j'ai trouvé aussi un autel, sur
lequel il est écrit : «Au Dieu inconnu. C'est donc ce Dieu que vous adorez sans le
connaître, que je vous annonce (23) ». Il semble ne rien leur dire de désagréable et
même faire leur éloge. « Je vois que vous êtes religieux jusqu'à l'excès»,
c'est-à-dire, extrêmement pieux. Mais cet autel où était écrit : « Au Dieu inconnu
», qu'était-ce donc ? Les Athéniens, à plusieurs époques, avaient admis beaucoup de
dieux et même ceux de l'étranger. Ils avaient le temple de Minerve, celui de Pan, et
d'autres divinités qui leur étaient venues de tous côtés; mais ils craignaient qu'il
n'y en eût quelqu'une qui leur fût inconnue et qui fût adorée quelque part; aussi,
pour plus de sûreté, ils lui avaient élevé un autel; mais comme ils ne savaient quel
était ce Dieu, ils avaient mis cette inscription : « Au Dieu inconnu ». Paul dit
que c'est Jésus-Christ, ou plutôt le Dieu de l'univers. « Celui que vous adorez sans le
connaître, c'est celui que je vous annonce ». Voyez comme il leur montre qu'ils l'ont
déjà accepté : Je ne vous apporte, dit-il, rien d'étranger, rien de nouveau. Car les
autres lui disaient sur tous les tons . « Quelle est cette
nouvelle doctrine que vous nous publiez, car vous nous dites de certaines choses dont nous
n'avons pas encore ouï parler ». Il détruit aussitôt leur soupçon, puis il ajoute :
« Dieu qui a fait le monde et tout ce qui est dans ce monde, étant le Seigneur du ciel
et de la terre (24) ». Ensuite, pour qu'on ne s'imagine pas que ce Dieu soit la première
divinité venue, il complète en disant : « Il n'habite point dans des temples bâtis par
les hommes; il n'est point honoré par les ouvrages des mains de « l'homme, comme s'il
avait besoin de quelqu'un ». Voyez comme il arrive peu à peu à discuter la philosophie
et à railler les erreurs des gentils. II donne à tous la vie, la respiration et toutes
choses. « Il a fait naître d'un sang unique toute la race des hommes, et leur a donné
pour demeure toute l'étendue de la terre (26) ». Tels sont les attributs de Dieu; mais
voyez s'ils ne conviennent pas aussi à son Fils : « Le Seigneur », dit-il, « du ciel
et de la terre », que les païens regardaient comme des dieux. Il parle de la création
et des hommes. « Il a marqué des époques précises et des limites à chaque peuple,
afin qu'ils cherchassent Dieu et qu'ils tâchassent de le trouver comme sous leur main et
à tâtons, quoiqu'il ne soit pas loin (188) de chacun de nous (27). Car c'est en lui que
nous avons la vie, le mouvement et l'être; et comme quelques-uns de vos poètes l'ont dit
: Nous sommes même la race de Dieu (28) ». C'est ce que dit le poète Aratus. Voyez quelle démonstration il leur donne d'après ce qu'ils
avaient fait et dit eux-mêmes. « Puisque nous sommes la race de Dieu
, nous ne devons donc pas croire que la divinité soit semblable à de l'or, à de
l'argent ou à de la pierre, dont l'art et l'industrie des hommes ont fait des figures
(29) ». Mais pourrait-on dire : C'est précisément pour cela que nous devons le croire
semblable à une statue d'or ou d'argent. Point du tout; car nous n'y ressemblons point
nous-mêmes, et surtout nos âmes. Pourquoi n'a-t-il pas aussitôt employé 1e langage
philosophique, et n'a-t-il pas dit Dieu est de nature incorporelle, invisible et sans
figure ? Parce qu'il semblait. inutile de parler ainsi à des
hommes qui ne savaient pas encore que Dieu était unique. Aussi, laissant cette question,
il insiste sur ce qu'il a déjà examiné, et dit : « Dieu, méprisant ces temps
d'ignorance, fait maintenant annoncer à tous les hommes, et en tous lieux, qu'ils se
convertissent (30), parce qu'il a arrêté un jour auquel il doit juger le monde, selon la
justice, par celui qu'il a destiné à être juge; ce dont il a donné à tous les hommes
une preuve certaine en le ressuscitant d'entre les morts ». Vous voyez qu'il avait
ébranlé leurs âmes par ce mot : « Il a arrêté un jour » ; ce qui les avait
terrifiés; puis il trouve l'occasion d'ajouter : « En le ressuscitant d'entre les morts
». Mais revenons à ce qui précède. « Pendant que Paul les
attendait à Athènes, son esprit était irrité ». Cette irritation ne signifie pas de
la colère ou de l'indignation, mais de la vigilance et du zèle; de même que dans le
passage où il est dit : « Il y eut entre eux une contestation » .
(Act. XV, 39.) 2. Observez que c'est la Providence qui a permis qu'il
fût, malgré lui, obligé d'attendre ses compagnons. Le mot « d'agitation » montre
seulement sa sollicitude, mais, je le répète, sa vigilance était loin de ressembler à
la colère et à l'indignation. Il ne pouvait supporter ce qu'il voyait, mais il en
souffrait. « Il discutait donc dans la synagogue avec les Juifs et ceux qui craignaient
Dieu ». Vous le voyez discutant encore contre les Juifs; quant à ceux qui craignaient
Dieu, il entend par là les prosélytes. Car les Juifs étaient dispersés de tous côtés
depuis la venue du Christ; ainsi la loi tombait, et en même temps leur présence
exhortait les hommes à la piété. Quant à eux, ils n'y gagnaient rien, sinon de
multiplier les témoignages de leurs malheurs. « Quelques philosophes épicuriens et
stoïciens discutaient avec lui ». Les Athéniens ne jouissaient plus de leurs lois,
puisqu'ils étaient soumis aux Romains. Alors, de quoi et pourquoi voulaient discuter ces
philosophes? Parce qu'ils en voyaient d'autres qui discutaient avec Paul et qui avaient de
la considération pour lui. Mais observez qu'ils commencent par parler d'une manière
offensante : « L'homme animal ne comprend pas ce qui vient de l'Esprit ». (I Cor. II,
14.) « Il semble », disent-ils, « annoncer de nouveaux démons ». Ils donnaient à
leurs divinités le nom de démons, car leurs villes étaient pleines d'idoles. Ils le
prirent et le conduisirent devant l'Aréopage ». Pourquoi devant l'Aréopage? Pour
l'effrayer, car c'était là qu'on jugeait les affaires capitales. « Pourrions-nous
savoir quelle est cette nouvelle doctrine que vous publiez, car vous nous dites des choses
que nous n'avons jamais entendues. Or, tous les Athéniens et les étrangers qui
demeuraient à Athènes, ne passaient leur temps qu'à dire ou à entendre quelque chose
de nouveau ». Cela montre que tout ce peuple, qui n'était occupé qu'à parler et à
écouter, regardait cependant cette doctrine comme nouvelle, parce qu'il ne l'avait jamais
entendu expliquer. « Paul étant donc au milieu de l'Aréopage; leur dit: Athéniens, il me
semble qu'en toutes choses vous êtes religieux jusqu'à l'excès. En passant j'ai vu vos
statues ». Il ne dit pas encore: vos démons, mais il s'y prépare ; quand il dit qu'ils
sont « religieux à l'excès », c'est pour parler de cet autel. « C'est Dieu »,
dit-il, « qui a fait le monde et tout ce qu'il contient ». D'un seul mot il renverse
tous les dogmes des philosophes. En effet, les épicuriens disaient que l'univers s'était
formé de lui-même par une réunion d'atômes; les stoïciens
prétendaient que tout était matériel et périrait par une conflagration. Mais Paul leur
dit : le monde, avec tout ce qu'il contient, est l'oeuvre de Dieu. Voyez quelle brièveté
et, en même temps, quelle clarté ! Remarquez aussi que c'était pour eux une chose
étrange que l'idée du (189) monde créé par Dieu. Ce que le premier venu sait
maintenant était ignoré des Athéniens et des savants parmi les Athéniens. S'il a tout
fait, il est, clair qu'il est aussi le maître de tout. Vous voyez que Paul réunit ainsi
les qualités de Dieu et de Créateur; elles s'appliquent aussi au Fils. Les prophètes
disent partout que l'attribut principal de Dieu est, en effet, la création; mais les
païens séparaient les idées de Créateur et de Seigneur, parce qu'ils croyaient la
matière incréée. Enfin Paul n'expose et n'établit ses idées que d'une manière
voilée, mais il corrige celle des païens. « Dieu n'habite pas », dit-il, « des
temples bâtis par les hommes ». Il habite en effet des temples, mais bien différents,
qui sont les âmes des hommes; aussi a-t-il supprimé le culte matériel. Eh quoi ? N'habitait-il pas le temple de Jérusalem? Non,
sans doute, mais il s'y manifestait. Pourquoi donc était-il honoré par les mains de
l'homme chez les Juifs? Ce n'était pas par leurs mains, mais par leurs esprits; car il ne
recherchait pas le culte matériel comme s'il en avait eu besoin. « Est-ce que je
mangerai », dit-il, « la chair des taureaux, ou que je boirai le sang des boucs? » (Ps.
XLIX , 13.) Paul avait dit : « Il n'est point honoré par les
ouvrages de la main des hommes comme s'il avait besoin de rien » ; mais ce n'était pas
assez ; c'est là un attribut de la divinité, mais il fallait en indiquer d'autres. Aussi
il ajoute : « C'est lui qui donne à tous la vie, la respiration et toutes choses ». Il
expose ainsi deux caractères de la divinité ; n'avoir besoin de personne et donner à
tous. Comparez à cela la philosophie de Platon ou celle d'Epicure, et vous verrez combien
elles sont frivoles. « Il a donné la vie et la respiration ». Vous voyez qu'il n'a pas
engendré, mais créé notre âme. Remarquez encore comment il tranche la question dé la
matière: « Il a fait d'un sang unique toute la race humaine, et lui a donné pour
demeure toute létendue de la terre ». Voilà une théorie bien supérieure à
celle des atômes et de la matière éternelle. Elle montre
que ni le corps ni l'âme de l'homme ne sont dus à une agrégation fortuite; c'était là
ce que disaient les païens en prétendant qu'il n'y avait pas de création. Lorsque Paul
dit que Dieu ne veut pas être honoré par les mains des hommes, il sous-entend qu'il veut
l'être par leur esprit et leurs pensées. « C'est », dit-il, « le maître du ciel et
de la terre ». Il n'y a donc pas de divinités spéciales. « Dieu a fait le monde et
tout e qu'il contient ». Après avoir montré comment le monde a été fait, il déclare
que Dieu n'habite pas des temples faits de la main des hommes; c'est comme s'il disait :
Si c'est Dieu, il est clair qu'il a tout créé; s'il n'a point créé, il n'est pas Dieu.
Les dieux, dit-il, qui n'ont pas fait le ciel et la terre, doivent périr. Il expose des
dogmes bien supérieurs à tout ce que l'on connaissait (quoiqu'il ne révèle pas toutes
les grandes vérités, car le temps n'était pas encore venu, et il parlait comme à des
enfants); du moins il explique le Dieu créateur, souverain et indépendant. 3. En disant qu'il avait fait venir le genre humain d'un
sang unique, il fait voir qu'il est l'auteur de tous les biens. Est-il rien d'aussi
sublime? Que Dieu ait fait tous les hommes avec un seul, cela est admirable; mais qu'il
les contienne tous en lui-même, cela est bien plus admirable encore. « Il donne à tous
le souffle et la vie ». Mais que veulent dire ces mots : « Il a marqué des époques
précises et des limites d'habitation à chaque peuple, afin qu'ils cherchent Dieu et
qu'ils tâchent de le trouver, comme avec la main et à tâtons ». Tout le monde, veut-il
dire, n'est pas dans la nécessité de chercher Dieu ; il est vrai que Dieu a ordonné de
le chercher; mais ce n'est pas en tout temps, c'est seulement 'à des époques prescrites.
Ces paroles signifient seulement que ceux même qui l'avaient jusque-là cherché parmi
eux ne l'avaient pas trouvé, quoique sa, présence fût aussi manifeste que si l'on
pouvait le toucher. Car, en réalité, on ne peut pas dire que le ciel soit d'un côté et
qu'il ne soit pas de l'autre, qu'il soit visible à une époque et non à une autre. Il
est facile à trouver à toute époque et dans tout pays; Dieu a voulu qu'on pût le chercher sans être arrêté par les obstacles de temps et
de lieux. Mais cette doctrine, que le royaume des cieux existait partout et en tout temps,
n'aurait été profitable pour ces gens-là que s'ils avaient voulu l'appliquer. Aussi
Paul ajoute : « Quoiqu'il ne soit pas loin de chacun de nous », mais qu'il soit près de
tout le monde. C'est comme s'il disait : Non-seulement Dieu
nous a donné la respiration, la vie, et tout en un mot; mais, ce qui est le comble de,
ses bienfaits, il s'est fait connaître à nous, il nous a accordé de pouvoir (190) le
trouver et le posséder. Mais nous n'avons pas voulu le chercher, quoiqu'il fût à notre
portée: « Il n'est pas loin de chacun de nous ». O ciel ! l'apôtre
dit que Dieu est à côté de chacun des habitants de la terre. Est-il rien de plus grand
que cette parole ? Voyez comme elle confond la pluralité des dieux. Pourquoi dire
seulement qu'il n'est pas loin? » Il est si près qu'on ne peut vivre sans lui, car c'est
en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être ». Paul semble dire, comme en
prenant une comparaison matérielle : on ne peut ignorer que l'air est répandu partout,
qu'il est près de nous et même en nous; il en est de même pour le créateur de toutes
choses. Ainsi tout, dit-il, vient de lui ; c'est de la Providence qu'il veut parler, et de
la conservation du monde, lorsqu'il dît que nous avons en lui
l'être, le mouvement, la vie. Il ne dit pas Par lui, mais : « En lui », ce qui annonce
une union plus intime. Le poète qu'il cite n'avait pas la même idée quand il disait :
« Nous sommes sa race ». Ces mots que le poète applique à Jupiter, Paul les applique
à Dieu; non pas qu'il confonde l'un et l'autre, loin de là ! Mais il les adresse à qui
de droit. Il rend aussi au vrai Dieu l'autel qu'on n'avait pas dressé pour lui. En effet,
chez les gentils, beaucoup de paroles et d'actions religieuses s'adressaient, à leur
insu, au Dieu véritable, mais ils croyaient qu'elles s'appliquaient à un autre. Dites-moi, en effet, à qui cette inscription «Au Dieu
inconnu », pouvait-elle convenir le mieux, au Créateur, ou au démon? Assurément
c'était au Créateur, que l'on savait exister; sans le connaître. De même cette
faculté de tout produire ne s'applique véritablement qu'à Dieu et non à Jupiter qui
n'était qu'un homme et un détestable imposteur. Ce n'est pas à propos d'un être pareil
que Paul a pu dire : « Nous sommes sa race » ; loin de là ! Son idée est toute
différente. Il dit que nous sommes fils de Dieu ,
c'est-à-dire sa famille, ses proches, ou bien encore ses alliés et ses voisins. Pour
qu'on ne lui fasse plus ce reproche : « Vous nous dites des choses étrangères à nos
oreilles », (en effet rien n'est plus désagréable aux hommes en général), il cite un
de leurs poètes. Il ne leur dit point : Vous ne devez pas croire que Dieu ressemble à un
objet d'or ou d'argent, c'est là une pensée perverse et détestable ; il leur parle plus
doucement : « Nous ne devons pas croire » à cette ressemblance, mais nous devons voir
plus haut. Qu'est-ce qui est plus haut? Dieu, mais nous n'en parlons pas encore, car c'est
le nom de la toute-puissance; jusqu'ici nous ne disons que ceci : Le divin ne ressemble
pas à ces objets; en effet, qui pourrait le soutenir? Voyez comme il arrive peu à peu à
l'idée de l'immatériel : car une divinité, quand même on la concevrait matérielle,
différerait encore de ces représentations : « Puisque nous sommes la race de Dieu, nous
ne devons pas croire que le divin soit semblable à de l'or, à de l'argent ou à de la
pierre dont l'art et lindustrie des hommes ont fait des figures ». Mais, dira-t-on
: Puisque nous ne le pensons pas, à quoi bon ce langage ? C'est que le discours de Paul
s'adressait à la multitude, aussi avait-il raison' de parler ainsi; car si nous-mêmes,
au point de vue de notre âme, nous ne ressemblons pas à ces objets, Dieu y ressemble
encore bien moins : il commence donc par les détourner de cette idée. Non-seulement Dieu ne ressemble point à un produit de l'art du
sculpteur, mais aucune conception humaine ne peut le représenter, ni l'art ni la pensée
ne peuvent se le figurer. Aussi dit-il : Si Dieu peut être le produit de l'art et de la
pensée humaine, si la substance de Dieu est donc aussi dans une pierre, comment, nous qui
vivons en lui , ne le trouvons-nous pas? Il reproche ainsi deux
choses à ses auditeurs: D'abord de ne pas trouver Dieu, ensuite de se le figurer comme
ils le font. Par elle-même, la pensée humaine n'est pas digne de foi. Mais après avoir
ainsi ému leurs esprits et leur avoir montré qu'ils étaient inexcusables, voyez ce qu'il ajoute : «Dieu ; méprisant ces temps
d'ignorance, fait maintenant annoncer à tous les hommes et en tous lieux qu'ils se
convertissent ». Quoi! personne ne sera puni? Personne de ceux
qui voudront se repentir. Il ne parle pas de ceux qui sont morts, mais de ceux auxquels
s'adresse sa parole. Dieu, dit-il, ne vous demande pas de comptes. Il ne dit pas: Dieu
vous a dédaignés, vous a pardonnés; il dit: vous ignoriez. Le dédain supposerait qu'il
n'inflige pas de punition à ceux qui en méritent, mais ce n'était qu'une erreur. Il ne
dit point : Vous vous êtes égarés volontairement, mais il
l'a fait comprendre plus haut, en disant : « Il faut se repentir en tous lieux ».
Par, là, il faut comprendre toute la terre. 191 4. Voyez comme il les détourne de la pluralité des
dieux: « Parce qu'il a arrêté un jour dans lequel il doit juger le monde selon la
justice », il parle encore du monde pour indiquer les hommes, « par celui qu'il a
marqué en le ressuscitant des morts ». Observez qu'il atteste la passion, par cela même
qu'il rappelle la résurrection. La vérité du jugement est prouvée par la résurrection
dont elle est la conséquence nécessaire, et la vérité de toutes ces paroles était
démontrée, puisqu'il s'était relevé du tombeau. En effet, tout le monde étant
convaincu qu'il était ressuscité des morts, on devait aussi croire tout le reste. Voilà
ce que l'on disait aux Athéniens et ce qu'il faudrait aussi nous dire ; savoir : que nous
devrions tous faire pénitence, parce que Dieu a marqué un jour où il jugera le monde.
Voyez quel juge il nous donne, rempli de providence, de bonté, de miséricorde, de
puissance, de sagesse, enfin réunissant toutes les qualités du Créateur. Ses paroles
ont prouvé qu'il était ressuscité des morts. Faisons donc pénitence, puisque le
jugement est inévitable. Si le Christ n'est pas ressuscité, nous ne serons pas jugés;
s'il est ressuscité, nous serons certainement jugés. « Il est mort pour commander aux
vivants et aux morts. (Rom. XIV, 9.) » « Nous serons tous présents devant le
tribunal du Christ, pour que chacun soit rémunéré a d'après ses actions ». (Ibid. 10,
et II Cor. V, 10.) Ne pensez pas que ce soient là des paroles en l'air: il s'agit de la
résurrection universelle, car c'est ainsi que se fera le jugement. Ces mots: « En le
ressuscitant des morts» , s'appliquent au corps; c'est lui qui
était mort, qui avait succombé. Chez les païens, on rejette également la création et
le jugement ; on les regarde comme des contes d'enfants ou comme les folies de l'ivresse.
Mais nous qui en sommes profondément convaincus , profitons-en
, et efforçons-nous d'être les serviteurs du Christ. Jusques à quand serons-nous ses
ennemis? Jusques à quand le repousserons-nous? Vous vous
écriez : Nous en sommes loin ; pourquoi ce langage? Je me garderais bien de le dire si
vous ne le faisiez pas, mais à quoi servirait de me taire quand les faits parlent aussi
clairement? Comment parviendrons-nous à l'aimer? Je lai dit mille fois, mais je
vais le répéter encore : il me semble avoir trouvé pour cela une méthode puissante et
infaillible. Après avoir réfléchi aux bienfaits que nous avons reçus de Dieu en commun
avec tous les hommes, et qui sont trop importants et trop nombreux pour que nous puissions
les compter; après en avoir rendu grâces à Dieu, songeons à tous les bienfaits que
chacun de nous a reçus, et rappelons-les tous les jours à notre mémoire. Comme ils font
sur nous plus d'effet que les autres, chacun de nous doit les méditer et examiner avec
soin s'il n'a pas évité quelque danger, échappé à ses ennemis, enfin s'il n'a pas
quelques bienfaits inscrits à son compte sui le livre de Dieu :.par exemple, s'il n'a pas
été soustrait à quelque péril en sortant avant le jour, s'il n'a pas triomphé de
l'attaque de quelques malfaiteurs, s'il n'a pas été guéri d'une maladie dont tout le
monde désespérait; toutes ces pensées ont une grande influence pour nous rendre Dieu
propice. Si Mardochée, du moment que le roi se rappela le service qu'il lui avait rendu,
fut récompensé par ce souverain au point de partager sa grandeur, nous serons
récompensés à plus forte raison si nous examinons avec soin en quoi Dieu a reçu nos
offenses et en quoi nous avons reçu ses bienfaits; nous montrerons ainsi notre
reconnaissance et notre repentir. Mais personne ne fait cette méditation. Quand nous
parlons de nos péchés, nous disons seulement que nous avons péché sans récapituler
nos fautes; de même, quand nous parlons des bienfaits de Dieu, nous disons en général
que nous en avons reçu , mais nous ne les examinons pas en
particulier, nous ne disons point où, quand , ni comment ils nous ont été accordés.
Mettons-y dorénavant tout notre soin. Si même on peut retrouver les plus anciens, qu'on
les rappelle au souvenir, comme si l'on avait découvert un grand trésor. Cela nous est
encore utile pour ne pas désespérer. Car lorsque nous aurons vu que Dieu nous a souvent
protégés, nous ne désespérerons plus et nous ne croirons plus qu'il nous ait
abandonnés : nous posséderons ainsi une grande preuve de sa providence à notre égard,
puisque nous songerons que, malgré nos péchés, il ne nous a pas punis et que même il
nous a protégés. 5. Voici une anecdote que j'ai entendu raconter. Un enfant
qui n'avait pas encore quinze ans se trouvait aux champs avec sa mère. Des miasmes ayant
infecté l'air , tous deux furent pris de la fièvre; c'était
en automne. La mère se hâta d'aller à la ville. L'enfant, auquel les (192) médecins ne
permirent pas ce déplacement, étant dévoré par la fièvre, eut l'idée de se
gargariser, croyant qu'il apaiserait la fièvre par ce moyen et en ne prenant aucun
aliment. C'était une idée d'enfant , aussi cette obstination
mal placée ne lui fit-elle aucun bien. Lorsqu'enfin
il se trouva à la -ville, sa langue était paralysée et il resta longtemps sans parler,
au point de ne rien pouvoir articuler; cependant il lisait et prit des leçons pendant
longtemps, mais cela ne l'avançait à rien. Il avait perdu toute espérance et sa mère
était désolée. Les médecins faisaient des consultations de toutes espèces, sans aucun
résultat; enfin le bon Dieu rompit le lien de sa langue et il parla avec autant de
facilité qu'autrefois. Sa mère racontait aussi que, lorsqu'il était petit, il avait eu
dans le nez ce qu'on appelle un polype; les médecins en avaient aussi désespéré; sa
mère était réduite à désirer sa mort, et son père (qui existait encore); le croyait
également perdu; en un mot, c'était une anxiété générale. Mais le mouvement violent
d'un accès de toux chassa cette excroissance maladive, et tous les accidents cessèrent.
Néanmoins, après qu'il fut guéri , il lui tomba sur les yeux une fluxion d'une humeur
âcre et visqueuse qui produisait une chassie tellement épaisse , que les yeux en
étaient fermés: le plus grave était la crainte qu'il ne restât aveugle, comme tout le
monde le prévoyait. Cependant, par la grâce de Dieu, il fut encore délivré promptement
de cette maladie. Voilà ce que j'ai entendu dire; je vais maintenant vous
raconter ce que je sais par moi-même. A l'époque où j'étais très-jeune,
les tyrans qui gouvernaient notre ville conçurent des soupçons : l'extérieur des
remparts était garni de soldats pour tâcher de saisir des livres de sorcellerie et de
magie. Celui qui avait écrit cet ouvrage et qui l'avait jeté, à peine terminé, dans la
rivière, fut arrêté: on lui demanda son livre qu'il ne put
donner, et on le fit passer dans la ville tout couvert de chaînes. Après avoir recueilli
des preuves de sa culpabilité, on le punit; pendant ce temps, comme j'allais à l'église
des martyrs, je passais près des jardins sur la rivière ,
avec un camarade. Celui-ci, voyant un livre qui flottait, le prit d'abord pour un linge;
il s'approcha, reconnut que c'était un livre et descendit pour le prendre. Moi , je taquinais mon camarade, et, en plaisantant, je réclamais ma
part de lépave. Mais, dit-il, voyons ce que c'est; et, en tournant un coin
de la page, il vit des figures de magie. Au même instant un soldat vint à passer. Mon
ami cacha le livre, il tremblait de peur. Qui aurait cru que nous l'avions retiré du
fleuve, tandis que l'on arrêtait une foule de gens , même
sans qu'ils fussent suspectés? Nous n'osions le jeter, de peur d'être aperçus, et nous
redoutions également de le déchirer. Enfin, avec l'aide de Dieu, nous réussîmes à le
jeter, et nous fûmes sauvés du danger le plus terrible. Je pourrais, si je le voulais ,
vous citer une foule d'exemples, mais je vous ai dit ces faits afin que vous en profitiez
et pour que, si l'un de vous est exposé à des accidents, non pas identiques, mais
analogues, il ne les oublie jamais. Par exemple, si une pierre lancée droit contre vous
ne vous atteint pas, gardez-en toujours un souvenir, qui sera très-agréable
à Dieu. Quand nous nous rappelons les hommes qui ont pu nous sauver la vie, nous sommes
affligés d'être incapables de rien faire pour eux : nous devrions, à plus forte raison,
avoir le même sentiment à propos de Dieu. Il en résulte encore un autre avantage : Si
nous sommes portés au désespoir, disons-nous : « puisque nous recevons le bien de la
part du Seigneur, ne devons-nous pas aussi en accepter le mal ? » (Job
, II, 10.) Jacob avait la même pensée quand il disait: « L'ange qui m'a arraché
au mal depuis ma jeunesse (1)». (Gen. XLVIII, 16.)
Réfléchissons, non-seulement que nous avons été arrachés
au mal, mais rappelons-nous comment et dans quelles circonstances. Voyez comme Jacob se
rappelle chaque bienfait en particulier: « J'ai passé le Jourdain avec mon bâton ». (Gen. XXXII, 10.) LesJuifs gardaient
constamment le souvenir- de ce qui était arrivé à leurs ancêtres ,
et parlaient sans cesse de leurs aventures d'Egypte. Et nous aussi, à plus forte raison,
rappelons-nous ce a qui nous est arrivé quand nous sommes tombés dans l'inquiétude et
le malheur, et reconnaissons que si Dieu ne nous avait tendu la main, nous aurions péri
depuis longtemps. Songeons-y tous et pensons-y chaque jour, rendons à Dieu de
continuelles actions de grâces, rapportons tout à sa gloire et ne cessons de le
célébrer, afin d'être récompensés de notre reconnaissance, par la grâce et la mi 1. La
Vulgate porte : A regelus qui erint
me de cunctis malis. 193 miséricorde de son Fils unique, auquel , ainsi qu'au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais,
et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il. |