ACTES XXXIV

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HOMÉLIE XXXIV. PAUL ET BARNABÉ RESTÈRENT A ANTIOCHE, OU ILS ANNONÇAIENT AVEC PLUSIEURS AUTRES LA PAROLE DU SEIGNEUR. — QUELQUES JOURS APRÈS PAUL DIT A BARNABÉ : « RETOURNONS VISITER NOS FRÈRES PAR TOUTES LES VILLES OU NOUS AVONS ANNONCÉ LA PAROLE DU SEIGNEUR , POUR VOIR EN QUEL ÉTAT ILS SONT ». (CHAP. XV, VERS. 35, 36,. JUSQU'AU VERS. 13 DU CHAP. XVI.)

 

ANALYSE. 1- 4. Séparation de Paul et de Barnabé; qu'elle a servi à la propagation de l’ Evangile. — Paul circoncit Timothée pour mieux abolir la circoncision. — Paul est invité en songe à se rendre en Macédoine. — Deux sortes de songes et visions.

5. Exhortation à orner son âme.

 

1. Remarquez une fois de plus, avec quelle complaisance ils prodiguent leur parole. Quant aux autres apôtres, saint Luc nous a déjà fait connaître leur caractère, et nous a fait voir que les uns étaient plus doux et plus indulgents, les autres plus fermes et plus sévères. En effet, les dons des hommes sont différents, et il est clair que cette différence est elle-même un don. Un caractère sympathise avec certaines moeurs, et un autre caractère avec certaines autres; changez tout cela, vous gâterez tout. Vous croyez voir parfois s'élever une discussion, mais tout est providentiel et rien n'arrive que pour mettre chacun à la place qui lui convient. Du reste, il. ne fallait pas que tous fussent au même rang; il fallait au contraire que l'un commandât et que l'autre obéit; c'est encore un effet de la Providence. Les Cypriotes ne ressemblaient pas à ceux d'Antioche ni aux autres fidèles; il fallait les traiter avec plus de douceur. « Barnabé voulait prendre avec lui Jean, surnommé Marc (37). Mais Paul le priait de ne pas emmener celui qui les avait abandonnés en Pamphylie, et n'avait pas pris part à leur oeuvre (38). Il y eut donc entre eux une contestation à la suite de laquelle ils se séparèrent; et Barnabé ayant pris Marc, fit voile pour Chypre (39). Paul ayant choisi Silas, partit avec lui, après avoir été a abandonné à la grâce de Dieu par les frères (40) ».

De même chez les prophètes, nous trouvons diverses habitudes et différents caractères : par exempte, Elie était sévère et Moïse était doux. Ici Paul fut inflexible; cependant il montre encore de la condescendance : « il priait Barnabé de ne pas emmener celui qui les avait abandonnés en Pamphylie ». Un général (168) ne voudrait pas garder constamment un serviteur indigne de lui: Il en est de même pour un apôtre. C'est ce que Paul fait voir à tout le monde, et à son collègue en particulier. Quoi ! direz-vous, Barnabé était-il un méchant homme? Nullement, et il serait même absurde de le penser. Quelle absurdité, en effet, d'appeler quelqu'un méchant pour une chose aussi peu importante ! Mais remarquez d'abord qu'il n'y avait aucun mal à ce qu'ils se séparassent, si par ce moyen ils pouvaient évangéliser tous les gentils; c'était même un grand bien. Remarquez ensuite que , sans cette occasion , ils eussent eu de la peine à se séparer. Peut-être vous étonnerez-vous que saint Luc n'ait point passé cela sous silence? Mais, ajouterez-vous, s'ils devaient se séparer, il fallait le faire sans discussion. C'est ici que la nature humaine se montre. Si les intérêts du Christ l'exigeaient, rien ne valait mieux que cette occasion. Du reste , une discussion n'est point blâmable quand elle a lieu sur de pareils sujets, et que chacun défend une idée juste. On ferait bien de la condamner si chacun des adversaires ne soutenait que son avantage particulier; mais quand tous deux cherchent à enseigner et à convertir, si chacun prend une route différente, quel mal y a-t-il à cela? Ils se dirigeaient souvent par la raison humaine, car ils n'étaient faits ni de pierre ni de bois. Vous voyez que Paul reprend le choix de Barnabé et donne ses raisons. Barnabé, qui avait été son compagnon et son associé dans tant de circonstances , avait sans doute beaucoup de respect pour lui, mais ce respect n'allait pas jusqu'à négliger son devoir. Lequel , des deux avait raison, ce n'est pas à nous d'en juger; mais ce fut tin événement providentiel, car sans cela, tandis que certains peuples auraient été visités deux fois, d'autres ne l'auraient pas été une seule. Ce n'était pas sans raison qu'ils étaient restés à Antioche, c'était pour enseigner, Qui enseignaient-ils? à qui prêchaient-ils l'Évangile? Tantôt aux fidèles, tantôt à ceux qui ne l'étaient pas encore. Comme il y avait une foule de scandales, leur présence était nécessaire: il faut voir non pas en quoi ils ont différé, mais en quoi ils ont été d'accord. Ainsi leur séparation produisit un grand bien et la prédication en prit un nouvel essor. Quoi donc ! se séparèrent-ils ennemis? Non certes, car vous voyez ensuite Paul combler Barnabé de louanges dans ses épîtres. « Il y eut entre eux une contestation » , mais ce n'était pas une hostilité ni une querelle. Cette contestation fit qu'ils se séparèrent, et avec raison; car ce que chacun d'eux pensait être utile, il n'aurait pu le faire plus tard, à cause de son compagnon.

2. Je crois que cette séparation a été décidée avec réflexion et qu'ils se sont dit l'un à l'autre : Puisque je ne veux pas ce que tu veux, ne disputons pas, allons chacun de notre côté. Ils montrèrent donc beaucoup de condescendance mutuelle. Barnabé voulait respecter l'oeuvre de Paul, et c'est pour cela même qu'il le quittait: de même Paul ne voulait pas nuire aux travaux de Barnabé: aussi agit-il de même en le laissant aller. Plût au ciel que chez nous aussi les séparations n'eussent pas d'autre cause que le zèle de la, prédication ! « Paul ayant choisi Silas partit avec lui, après avoir été abandonné à la grâce de Dieu par les frères ». Voilà un homme admirable et véritablement grand ! Cette discussion fut bien profitable pour Marc: la sévérité de Paul le convertit et l'indulgence de Barnabé empêcha qu'il ne fût laissé de côté: tel est l'avantage auquel aboutit en résumé cette lutte. Se voyant repoussé par Paul, il s'effraya beaucoup et se condamna lui-même; mais se voyant protégé par Barnabé , il s'attacha à lui, et le disciple fut corrigé par la contestation élevée entre les apôtres, tant il fut loin d'en être scandalisé ! Il l'eût été sans doute si les apôtres n'avaient agi que par vanité, mais puisqu'ils semblaient ne rien faire que pour son propre salut et que cette discussion prouvait qu'on faisait bien de l'estimer, de quoi pouvait-il s'étonner?

3. Remarquez la sagesse de Paul. Il n'entre point dans d'autres villes avant de visiter celles qui avaient déjà reçu la parole. « Il traversa la Syrie et là Cilicie, confirmant les Eglises (41) ». « Il arriva à Derbe et à Lystre (XVI,1) ». En effet, il n'aurait pas été raisonnable de courir au hasard. Agissons de même, et que les premiers instruits soient aussi les premiers perfectionnés, pour qu'ils ne fassent pas obstacle à ceux qui les suivent. « Visitons nos frères », dit-il, « pour voir en quel état ils sont ». Il était naturel qu'il l'ignorât; aussi voulait-il les revoir. Voyez comme il est toujours vigilant, inquiet, incapable de repos et s'exposant à mille dangers. Observez que ce n'est point par crainte qu'il est venu à Antioche. Il ressemble à un médecin qui va voir ses (169) malades, et il montre la nécessité de visiter encore les villes « où ils ont annoncé la parole du Seigneur ». Barnabé s'est éloigné et ne l'accompagne plus. « Paul choisit Silas et fut abandonné à la grâce de Dieu ». Que signifie cela? C'est que les frères prièrent et invoquèrent Dieu pour lui. Vous voyez partout combien la prière des frères est puissante. Il fit la route à pied, afin de pouvoir être utile à tous ceux qui le voyaient, et cela se comprend quand les apôtres devaient se hâter, ils voyageaient par mer; mais ici il en était autrement : « Il rencontra un disciple, nommé Timothée, fils d'une femme juive fidèle et d'un père gentil. Les frères qui étaient à Lystre et à Icone, rendaient un témoignage avantageux de, ce disciple (2). Paul voulut donc qu'il vînt avec lui ; et l'ayant pris, il le circoncit, à cause des Juifs qui étaient en ces lieux-là; car tous savaient que son père était gentil (3) ».

Ici l'on doit être frappé de la sagesse de Paul. Lui qui avait soutenu tant de luttes contre la circoncision, qui n'avait eu ni trêve ni repos avant d'avoir tout réglé et fait triompher son opinion, le voilà qui circoncit un disciple ! Non-seulement il ne s'oppose point à cet usage, mais il le pratique lui-même. Rien n'égalait la prudence de Paul ; il agissait toujours pour le bien et non d'après un parti pris. « Il voulut qu'il vînt avec lui ». Admirez cette précaution de l'emmener, « à cause des Juifs qui étaient en ces lieux-là ». Voilà pourquoi il l'a circoncis, car les Juifs n'auraient jamais accepté la parole de Dieu de la bouche d'un incirconcis. Et qu'en résulta-t-il? Voyez quel avantage ! Cette circoncision tendait à détruire la circoncision, puisque le nouveau fidèle devait prêcher les dogmes des apôtres. —Voyez une contradiction, et une contradiction qui produit l'édification. Ce n'est plus avec d'autres qu'ils sont en lutte : ils se contredisent eux-mêmes , et c'est pour édifier l'Eglise. Ainsi, voulant supprimer la circoncision, Paul la pratique pour mieux la supprimer. « Les Eglises croissaient en nombre de jour en jour (5) ». Voilà à quoi servait la circoncision. Il ne s'arrête pas là, puisqu'il venait seulement pour visiter; mais que fait-il? Il va plus loin. « Allant de ville en ville, ils donnaient pour règle aux fidèles de garder les ordonnances qui avaient été établies par les apôtres et par les prêtres de Jérusalem (4).

« Aussi les Eglises étaient confirmées dans la foi, et croissaient en nombre de jour en jour (5). Lorsqu'ils eurent traversé la Phrygie et la Galatie, le Saint-Esprit leur défendit d'annoncer la parole de Dieu en Asie (6). Etant venus en Mysie, ils se disposaient à passer en Bithynie , mais l'Esprit ne le permit pas (7) ». L'auteur ne dit pas pourquoi ces défenses leur furent imposées, il se contente de les rapporter, ce qui nous apprend qu'il faut obéir sans en rechercher la raison, et nous montre aussi que souvent ils agissent d'après la sagesse humaine. « Ils passèrent ensuite la Mysie, et descendirent à Troade (8). Paul eut une vision pendant la nuit : un Macédonien lui apparut et lui fit cette prière : Passez en Macédoine et secourez-nous (9) ». Pourquoi cette vision, et pourquoi le Saint-Esprit ne commanda-t-il pas lui-même? C'est qu'il voulait aussi exercer son influence de cette manière. Souvent les saints sont visités par des songes, et saint Paul lui-même, au commencement de sa conversion , vit apparaître un homme qui lui imposait les mains. Actuellement, le Saint-Esprit l'entraîne, parce moyen, à étendre davantage sa prédication. C'est pour cela que, d'après l'ordre du Christ lui-même, Paul ne doit pas s'arrêter dans d'autres villes.

En effet, les habitants de ces contrées devaient sans doute être instruits encore longtemps par Jean, et n'avaient peut-être pas besoin d'autres secours : aussi Paul n'avait-il pas besoin d'y rester. Il partit donc pour continuer son voyage. « Aussitôt qu'il eut eu cette vision, nous nous disposâmes à passer en Macédoine, ne doutant point que Dieu ne nous appelât, pour y prêcher l'Evangile (10). Nous étant donc embarqués à Troade, nous vînmes droit à Samothrace et le lendemain à Néapolis (11). De là à Philippes, qui est la première colonie romaine qu'on rencontre de ce côté-là, en Macédoine, où nous demeurâmes quelques jours (12) ». C'est ainsi que plus tard le Christ lui apparaît et lui dit : « Il faut que tu te présentes devant César». (Act. XXVII, 24.) Ensuite il rapporte les lieux où il passe, il détaille son récit, et indique où il s'est arrêté : il a séjourné dans les villes importantes et a seulement traversé les autres la colonie établie dans une ville en montrait l'importance.

Mais revenons à ce qui précède. Paul montre à Barnabé leur départ comme indispensable, (170) en lui disant : « Visitons les villes où nous avons annoncé la parole de Dieu ». Cependant, devait-il prier celui qu'il devait bientôt réprimander?

4. C'est ce qui se passe encore entre Dieu et Moïse. L'un supplie et l'autre s'irrite, comme quand il dit à Moïse : « Si son père lui avait craché à la figure » (Nomb. XII,14); et aussi : « Laisse-moi faire et dans ma colère je détruirai ce peuple ». (Exod. XXXII, 10.) C'est ce que l'on voit aussi lorsque Samuel pleure Saül. (I Rois, XV, 35.) Dans ces circonstances d'où résultent tant d'avantages, l'un est irrité, l'autre ne l'est point; c'est ce que nous voyons ici. Du reste, cette contestation a sa raison d'être pour qu'elle soit profitable et n'ait pas l'air d'une fiction. Barnabé aurait fini par, céder dans cette occasion, lui qui cédait d'ordinaire, lui qui aimait Paul au point qu'il l'avait cherché à Tarse et présenté aux apôtres, qu'il avait confondu leurs aumônes et soutenu ses dogmes. Il ne se serait point fâché dans cette circonstance, mais tous deux se séparent pour commencer ou achever l'instruction de ceux qui avaient besoin de leurs leçons; c'est ce que Paul dit encore plus loin : « Ne vous fatiguez jamais de faire le bien ». (II Thess. III, 13.) Dans ce passage il y a des gens qu'il blâme, et en même temps il recommande de faire du bien à tout le monde. C'est aussi ce que nous avons l'habitude de vous dire. Ici encore il me semble que certaines personnes en voulaient à Paul ; du reste, en les mettant à part, il fait tout, il avertit, il exhorte. Il y a une grande puissance dans la concorde, dans la charité; ce que vous demandez est très-important, et vous ne l'êtes guère; n'importe, on écoutera toujours votre demande ; ne craignez rien. « En passant dans les villes, il rencontra un disciple, nommé Timothée, dont les frères, qui étaient à Lystre et à Icone, rendaient bon témoignage ». La foi de Timothée était grande, puisque tout le monde en rendait un pareil témoignage. Paul trouva en lui un autre associé pour remplacer Barnabé. Aussi lui dit-il: « Je me souviens de tes larmes et de ta foi sincère qu'ont eue d'abord ton aïeule Loïde et ta mère Eunice ». (II Tim. IV, 5.) Lorsqu'il le prit et le circoncit », il en dit la raison : c'était « à cause des Juifs qui étaient dans ces lieux-là ». Voilà pourquoi il le circoncit, ou bien encore à cause de son père qui ne s'était pas séparé des gentils, et qui, par conséquent, n'était pas circoncit;. Voilà déjà, comme vous le voyez, une dérogation à la loi. Quelques personnes pensent que Timothée était né après la prédication de l'Évangile, mais cela n'est pas certain. « De« puis l'enfance », lui dit Paul, « tu con« nais les saintes Ecritures ». Ces mots signifient peut-être encore qu'il voulait l'instituer évêque, et qu'il ne pouvait rester incirconcis. En effet, cette obligation n'existait plus pour les gentils qui se convertissaient : c'était là un grand pas de fait que d'avoir écarté un sujet de scandale aussi ancien. On commençait à abroger cette coutume en décidant que les gentils pouvaient s'en abstenir sans qu'on les blâmât, et sans qu'il leur manquât rien pour la religion ; le reste devait venir tout seul, Cependant comme Timothée devait exercer la prédication, Paul le circoncit, quoiqu'il fût gentil par son père et fidèle par sa mère. Du reste, Paul ne s'inquiéta pas de cette circonstance, parce que l'oeuvre immense qu'il accomplissait regardait les gentils; mais il pratiqua cette circoncision, parce que Timothée devait répandre la parole du Seigneur. Observez ici tout le bien qu'il accomplit quand il semble se contredire. « Les églises se multipliaient». Vous voyez que cette circoncision, non-seulement n'a fait aucun mal, mais, a procuré même de grands avantages.

« Aussitôt qu'il eut eu cette vision, nous nous disposâmes à passer en Macédoine, ne donnant point que Dieu nous y appelât ». Cette apparition n'était pas celle d'un ange, comme à propos de Philippe et de Corneille : qu'était-ce donc? Cette vision rentre dans l'ordre naturel et non dans l'ordre surnaturel. Les manifestations naturelles ont lieu pour des ordres faciles à suivre : celles qui sont surnaturelles interviennent pour des devoirs plus pénibles. Un songe suffisait pour le retirer d'une ville où il voulait prêcher ; mais , quand ce désir était devenu une passion, il n'en pouvait être détourné que par une révélation du Saint-Esprit. C'est ainsi que, Pierre entendit ces mots : «Lève-toi, et descends ». (Act. X, 20.) Ainsi le Saint-Esprit ne se manifeste pas lui-même quand il s'agît de choses faciles: il suffit d'un songe. Joseph; qui était facile à persuader ne voit rien qu'en songe; d'autres ont une véritable vision. C'est ce qui était arrivé à Corneille et à Paul lui-même. Mais ici, « il lui apparaît un Macédonien, qui le priait ainsi ».

 

171

 

Il ne dit pas: qui ordonnait, mais «qui priait»; c'est-à-dire, qui lui demandait ce dont il avait besoin. Pourquoi ces mots: ne «doutant point»? c'est-à-dire, conjecturant. En effet, ils devaient le conclure de cette vision, apparue seulement à Paul, des défenses que le Saint-Esprit leur avait faites et de la proximité où ils étaient de la Macédoine. Ils en étaient encore avertis par la direction de leur navigation, car il n'y avait pas longtemps qu'ils avaient approché de cette frontière de la Macédoine. On reconnaît ici l'avantage providentiel de cette contestation. Sans cela, l'oeuvre du Saint-Esprit aurait été incomplète, et la Macédoine n'aurait pas reçu la parole divine. Un pareil progrès montre que ce n'était pas seulement l'action des hommes. Aussi Barnabé ne s'en fâcha point; seulement « il y eut une contestation entre eux». Ils n'en furent pas plus irrités l'un que l'autre.

5. Nous voyons par là qu'il ne faut pas écouter ces paroles sans attention, mais les étudier et nous en pénétrer : car tout cela n'est pas écrit en vain. C'est un grand malheur de ne pas connaître l'Ecriture : ce qui devrait être notre salut, peut devenir notre perte. C'est ainsi que l'on voit souvent des remèdes souverains, ne servir qu'à la destruction et à la mort de ceux qui les emploient sans en connaître l'usage, et des armes tuer quelquefois les imprudents qui voulaient les utiliser pour leur défense. La raison en est que nous songeons à toute autre chose qu'à l'avantage de notre âme, et que nous sommes préoccupés de tout, excepté de ce qui nous importe le plus. Nous veillons toujours à la solidité de notre maison, et nous craignons pour elle les ravages des années et des orages ; mais notre âme ne nous inquiète pas : nous avons beau la voir menacée de fond en comble, peu nous importe. Si nous avons des animaux, nous veillons sur eux , nous les faisons soigner, guérir; en un mot, nous n'épargnons rien. Nous tenons à ce qu'ils soient bien abrités, et nous recommandons à ceux qui en sont chargés de ne pas les fatiguer par des exercices ou des fardeaux excessifs, de ne pas les faire sortir de nuit quand le temps n'est pas favorable, de ne pas trafiquer sur leur nourriture; enfin nous faisons une foule de prescriptions pour nos animaux, tout cela sans songer à notre âme. Mais pourquoi m'arrêter sur ceux des animaux qui nous sont utiles? Bien des gens ont des oiseaux qui ne servent qu'à les amuser ; cependant ils font là-dessus une foule de recommandations, ils n'oublient et ne négligent rien : enfin nous sommes préoccupés de tout, excepté de nous-mêmes. Sommes-nous donc inférieurs à toutes ces créatures? Nous sommes fâchés, si l'on nous injurie en nous appelant : chien; mais quand nous nous injurions ainsi nous-mêmes , non par nos paroles, mais par nos actions, en prenant moins de soin de notre âme que de nos chiens, cela ne nous choque point. En vérité, c'est à n'y rien comprendre. Combien voit-on de gens qui font en sorte que leurs chiens ne mangent pas plus qu'il ne faut, afin que leur appétit non satisfait, les rende plus légers et plus ardents à la chasse, tandis qu'ils ne s'imposent à eux-mêmes aucune règle contre les excès du plaisir; ils semblent ainsi apprendre la sagesse aux animaux dont ils empruntent la brutalité.

Voilà une chose étrange. Qu'est-ce donc que la sagesse des animaux, direz-vous ? Ne trouvez-vous pas une grande sagesse chez le chien affamé qui saisit une pièce de gibier, et qui, sachant s'abstenir de cette nourriture mise à sa portée, fait taire son appétit pour attendre son maître? Rougissez donc, et vous-même exercez-vous à une pareille sagesse. Vous n'avez aucune excuse. Puisque cet être qui, par sa nature, n'a ni parole ni raison, peut acquérir une pareille sagesse, vous en êtes bien plus capable. En effet, cela ne vient pas de leur nature, mais des soins de l'homme; car autrement tous les chiens seraient de même. Tâchez donc de ressembler à des chiens comme ceux-là. Vous me forcez à de pareilles comparaisons. Je voudrais vous comparer aux anges, mais vous diriez qu'ils sont trop au-dessus de nous; aussi je ne parle pas des anges : à Paul ? vous, diriez que c'était un apôtre ; aussi je ne parle point de Paul: à un homme? vous diriez que, s'il a été sage, c'est qu'il a pu l'être; aussi, je ne parle point d'un homme, mais d'un animal dont la sagesse ne provient ni de sa nature, ni de sa volonté : Chose étrange ! elle ne vient pas de lui-même, mais de vos soins à vous-même. Il ne songe pas qu'il est fatigué, épuisé par sa course, qu'il s'est donné la peine de prendre cette proie ; ou plutôt, il laisse tout cela de côté pour obéir à son maître et vaincre son appétit. Oui, direz-vous, mais il attend des éloges, il attend une meilleure nourriture, Eh bien ! dites vous à (172) vous-même que le chien méprise les avantages présents à côté de ceux de l'avenir, tandis que l'espérance du bonheur futur ne peut vous détourner des jouissances actuelles. Le chien sait encore que, s'il déchire le gibier destiné à son maître, non-seulement il en sera privé, mais qu'il n'aura même pas sa pâture habituelle et qu'il aura des coups au lieu de nourriture. Vous, au contraire, vous ne pouvez même pas voir cela, et la raison ne fait pas pour vous ce que l'habitude fait pour le chien. Cherchons donc à imiter les chiens. Les faucons et les aigles nous donnent des leçons semblables . au lieu de chasser les lièvres et les chevreuils, ils poursuivent les oiseaux, et c'est encore l'homme qui les instruit. Voilà ce qui peut nous condamner ou nous servir d'exemple.

Je vous parlerai encore des chevaux sauvages et indomptés, qui ruent et qui mordent: en peu de temps les écuyers habiles les for. ment si bien que le cavalier se plaît à leur faire prendre toute espèce d'allure; tandis que personne ne dirige l'allure déréglée de notre âme, elle bondit, elle rue, elle se traîne par terre comme un enfant, elle fait mille extravagances, personne ne lui met ni frein ni entraves, et elle ne peut supporter son habile écuyer; je veux dire le Christ: aussi tout va de travers. Nous corrigeons la gourmandise des chiens, nous domptons la férocité des lions et l'indocilité des chevaux, enfin nous faisons parler les oiseaux : n'est-il pas absurde d'exercer les animaux à des actions raisonnables, et de laisser prendre des instincts sauvages à des créatures raisonnables ?

Rien, assurément, rien ne peut nous excuser. Tous ceux qui se conduisent bien, fidèles ou infidèles, n'hésiteront pas à nous accuser; car il y a des infidèles qui se conduisent bien nous avons même vu qu'on trouvait de bons exemples chez les animaux, chez les chiens ; l'homme seul en donne de mauvais. Nous-mêmes, nous devons nous condamner puisque nous faisons le bien quand nous voulons, et que notre faiblesse seule nous fait tomber en faute. Car on a vu des gens bien pervers se corriger par l'effet de leur volonté. Tout le mal, comme je le disais, vient de ce que les biens que nous cherchons nous sont étrangers. Si vous faites élever une maison splendide, vous cherchez ce qui convient à la maison plutôt qu'à vous : si vous portez de beaux habits, c'est avantageux pour votre corps et non pour vous-même : un beau cheval, c'est la même chose. Personne ne s'inquiète si son âme est belle : cependant, si elle est belle, on n'a besoin de rien autre chose ; si elle ne l'est pas, aucune autre chose ne peut servir. C'est comme pour une mariée : Supposez un lit nuptial orné de tissus dorés, des choeurs de belles femmes, des couronnes de roses, un beau fiancé, les servantes et les amies plus belles les unes que les autres; si la mariée est laide, tout cela ne l'embellira pas. Mais si elle est belle, pensez-vous qu'elle aura besoin de ces splendeurs? Sien au contraire. Car celle qui est laide le paraît encore plus avec tout cet éclat, mais celle qui est belle semble l'être encore plus dans sa simplicité. Il en est de même pour l'âme; lorsqu'elle est belle, toutes les richesses ne lui ajoutent aucun prix et voilent au contraire sa beauté ; car le sage ne brille pas dans l'opulence, mais plutôt dans la pauvreté. S'il est riche, on dit que sa vertu tient à ce qu'il ne manque de rien : au contraire, s'il mérite l'admiration générale, parce que sa pauvreté ne le contraint à rien dont il puisse rougir , personne ne pourra plus lui disputer la couronne de la sagesse.

Si donc nous prétendons aux richesses véritables, embellissons notre âme. De quoi vous servirait-il d'avoir des mulets blancs, bien soignés et bien nourris, si vous, qui les montez, êtes maigre, galeux et difforme : de même, que vous servirait-il d'avoir de beaux lits moelleux , aussi bien ornés que bien travaillés, si votre âme n'avait que des baillons, si elle était nue et sale? Qu'importe- qu'un cheval s'avance en mesure et semble danser plutôt que marcher, qu'importe qu'il soit accompagné d'un cortége de fête, si celui qui le monte boite plus qu'un boiteux- et remué ses mains et ses pieds d'une manière plus bizarre qu'un ivrogne ou un fou ? Dites-moi , celui qui vous donnerait un beau cheval , mais vous disloquerait le corps, vous ferait-il du bien? Maintenant c'est votre âme qui est disloquée et vous ne vous en inquiétez point. Je vous en conjure, pensons enfin à nous-mêmes : ne nous mettons pas au-dessous de toutes les créatures Si l'on nous injurie, cela nous pique et nous afflige : mais quand nous nous faisons injure à nous-mêmes par nos actions , nous n'y prenons pas garde. Repentons-nous, si tard que ce soit, veillons sur notre âme et cultivons la (173) vertu, afin que nous puissions obtenir les biens éternels, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire , puissance, honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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