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HOMÉLIE XV. MAIS ÉTIENNE, PLEIN DE GRACE ET DE FORCE, FAISAIT DES PRODIGES ET DES MIRACLES ÉCLATANTS PARMI LE PEUPLE (VERS. 8, JUSQU'AU VERS. 5 DU CHAP. VII.)

 

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ANALYSE. 1. Saint Etienne devant le conseil.

2 et 3. Les premiers mots du discours de saint Etienne sapent le judaïsme par sa base.

4 et 5. —,La vie présente est une lutte, un temps d'épreuve. — Agissons toujours de sorte que le Seigneur soit de notre côté. — Avantages de la tribulation. — Qu'il faut réprimer la colère.

 

1. Voyez comme il y en a un parmi les sept qui se distingue et tient le premier rang. Bien que tous aient reçu l'ordination, il a néanmoins attiré sur lui une plus grande grâce. Il ne faisait pas de miracles avant sa manifestation ; afin que nous apprenions que pour faire descendre le Saint-Esprit, la grâce ne suffit pas, mais qu'il faut encore l'ordination. Que si auparavant ils étaient remplis de l'Esprit, c'était de celui du baptême. « Quelques-uns de la synagogue se levèrent ».  Il emploie encore cette expression « se levèrent», pour marquer leur exaspération et leur colère. Voyez ici leur grand nombre et aussi une nouvelle accusation. Car Gamaliel ayant écarté leur premier sujet d'accusation , ils en produisent Uni autre. « Alors se levèrent quelques-uns de la synagogue dite des Affranchis, de celle des Cyrénéens et des Alexandrins, et de ceux qui étaient de Cilicie et d'Asie, pour disputer avec Etienne; et ils ne pouvaient résister à sa sagesse et à l'Esprit qui parlait. Alors ils subornèrent des hommes pour dire qu'ils l'avaient entendu proférer des paroles de blasphème contre Dieu et contre Moïse ». Pour établir l'accusation, ils disent : Il parle contre Dieu et contre Moïse. Voilà pourquoi ils disputaient avec lui, afin de le forcer à dire quelque chose. Mais lui s'énonçait avec clarté, et peut-être parlait-il de l'expiration de la loi ; ou , s'il n'en parlait pas ouvertement, tout au moins l'insinuait-il : car, s'il en eût parlé explicitement, il n'y aurait pas eu besoin de suborner de faux témoins.

Les synagogues des Affranchis et des Cyrénéens étaient différentes. Les habitants de Cyrène, ville au delà d'Alexandrie, avaient des synagogues là et parmi les nations, et peut-être demeuraient-ils là pour ne pas être obligés de voyager continuellement. On appelait « libertini » , les esclaves affranchis par le s Romains. Comme beaucoup d'étrangers habitaient à Jérusalem, ils y avaient des synagogues où l'on devait lire la loi et prier. Examinez un peu avec moi comment Etienne est forcé ici d'enseigner, et comment ses adversaires, à la vue des miracles, ne sont pas seulement excités à la jalousie , mais subornent de faux témoins, parce qu'il les confond par ses discours et qu'ils ne peuvent.plus le supporter. Ils ne voulaient point le tuer sans motif, mais après condamnation, afin de compromettre la réputation des apôtres ; puis , laissant les apôtres, ils viennent aux diacres, toujours pour épouvanter les premiers. Ils ne disent pas : Il parle ; mais : « il ne cesse de parler », aggravant ainsi la calomnie. « Ils soulevèrent les anciens et les scribes, et, accourant ensemble , l'entraînèrent et l'amenèrent au conseil; et ils produisirent de faux témoins qui dirent : Cet homme ne cesse de parler contre ce lieu saint et contre la loi. Il ne cesse », disent-ils, comme pour montrer le but de ses efforts. « Nous l'avons entendu dire : (59) que Jésus de Nazareth détruira ce lieu et changera les traditions que Moïse nous a données ». Ils accusaient déjà ainsi le Christ, quand ils disaient : « Toi, qui détruis le temple de Dieu ».

Ils professaient un grand respect pour le temple, parce qu'ils voulaient s'y établir, et aussi pour le nom de Moïse. Vous voyez que l'accusation est double : « Il détruira ce lieu et changera les coutumes ». Elle n'est pas seulement double, mais amère et grosse de périls. « Et tous ceux qui étaient assis au conseil, jetant les yeux sur lui, virent que son visage était comme le visage d'un ange ». Ainsi peuvent briller même ceux qui sont dans un degré inférieur. Mais de grâce, qu'avait-il de moins que les apôtres? N'avait-il pas fait des miracles ? N'avait-il pas parlé avec une grande liberté ? ce : Ils virent que son visage était comme le visage d'un ange ». C'était la grâce, c'était la gloire de Moïse. Il me semble que Dieu l'avait revêtu de cet éclat , peut-être parce qu'il avait quelque chose à dire, et pour les frapper d'épouvante par son seul aspect. Car il est possible, très-possible, que des figures remplies de la grâce céleste soient aimables aux yeux des amis et respectables et terribles aux yeux des ennemis. Ou peut-être veut-on donner la raison pour laquelle on l'a laissé parler. Mais que dit le prince des prêtres? « Les choses sont-elles ainsi ? » Voyez-vous comme la question est. pleine de douceur et n'a rien de désagréable Aussi Etienne commence-t-il son discours de la façon la plus bienveillante: « Hommes, mes frères et mes pères , écoutez : le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham quand il était en Mésopotamie,, avant qu'il habitât à Charan ». Dès le début il détruit leur opinion et prononce, sans qu'on s'en doute, que le temple n'est rien, non plus que la coutume, qu'ils n'empêcheront pas la prédication , et que toujours Dieu part de l'impossible pour préparer et exécuter ses desseins. C'est là le tissu de son discours par lequel il leur démontre qu'ayant toujours été l'objet de la bonté de Dieu, ils n'ont payé ses bienfaits que d'ingratitude et qu'ils tentent l'impossible. « Le Dieu de gloire apparut à notre père Abraham et lui dit : Sors de ton pays et viens dans la terre que je te montrerai ».

2. Il n'y avait pas de temple encore, pas de sacrifices, et pourtant Abraham était honoré de la vue de Dieu, lui dont les ancêtres étaient de l'Orient et qui habitait une terre étrangère. Et pourquoi tout d'abord appelaient-ils Dieu le Dieu de gloire? Parce que Dieu a glorifié ceux qui étaient méprisés; et pour nous montrer que, s'il a glorifié ceux-là , à plus forte raison , glorifiera-t-il ceux-ci. Voyez-vous comme il les entraîne loin des choses matérielles, et d'abord loin du lieu, puisqu'il s'agissait de lieu ? « Le Dieu de gloire ». Si Dieu est le Dieu de gloire, il est évident qu'il n'a pas besoin de la nôtre, ni de celle du temple, puisqu'il est lui-même la source de la gloire. Ne pensez donc pas que vous le glorifierez par là. Et pourquoi, direz-vous, l'Ecriture ne rapporte-t-elle ici que ce seul trait de la vie d'Abraham? Parce qu'elle omet ce qui n'est pas absolument nécessaire. Elle ne nous a appris que ce qu'il nous était utile de connaître ; à savoir qu'ayant vu le Fils, il a émigré vers lui (1). Elle a passé le reste sous silence, parce qu'Abraham est mort peu de temps après s'être établi à Charan.

« Sors de ta parenté». Ici il leur fait voir qu'ils ne sont pas fils d'Abraham. Comment cela ? Parce qu'Abraham a obéi et qu'ils n'obéissent point. De plus apprenons, par ce qu'Abraham a fait sur l'ordre de Dieu, que c'est lui qui a eu la peine et que ce sont eux qui recueillent les fruits, et que tous leurs pères ont été dans les tribulations. « Et sortant de la terre des Chaldéens, il habita à Charan ; et après la mort de son père Dieu le transporta dans la terre où vous habitez maintenant, mais il ne lui donna là ni héritage, ni seulement où poser le pied ». Voyez comme il les détache de la terre ! Il ne dit pas : Il donnera, mais: « il n'a pas donné » ; pour faire voir que tout vient de lui, et que rien ne vient d'eux. Abraham sortit, en laissant sa parenté et sa patrie. Pourquoi Dieu ne lui a-t-il pas donné cette terre? Parce que c'était la figure d'une autre terre et qu'il avait promis de la lui donner. Vous voyez que ce n'est pas sans raison qu'il reprend son discours : « Il ne l'a pas donnée », dit-il. « Et il promit de la donner à sa race après lui, quoiqu'il n'eût point de fils ». Par là il montre la puissance de Dieu, qui fait des choses qui semblent impossibles. Dieu, en effet, promet de rendre maître de la Palestine

 

1 Allusion à ce passage de l'Evangile : Abrabam a désiré voir mon jour, il l'a vu, il s'en est réjoui.

 

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un homme qui en est à une si grande distance, puisqu'il habite en Perse.

Mais reprenons ce quia été dit plus haut « Fixant les yeux sur lui, ils virent que son visage était comme celui d'un ange ». D'où venait cette grâce qui brillait dans Etienne? N'était-ce pas de la foi? Evidemment : car on lui a rendu plus haut le témoignage qu'il était plein de foi. Il y a donc une grâce qui n'est pas celle des guérisons; c'est pourquoi l'apôtre dit : « A l'un est donné la grâce des guérisons, à l'autre le langage de la sagesse ». Ici, il me semble qu'on insinue qu'il était plein de grâce quand on dit : « Ils virent que son visage était comme celui d'un ange » : ce qui a été dit aussi de Barnabé. Nous apprenons par là que les hommes simples et innocents sont surtout admirés, et que la grâce brille particulièrement en eux : « Alors ils subornèrent des hommes pour dire : nous l'avons entendu proférer des paroles de blasphème ». Ils accusaient les apôtres de prêcher la résurrection et d'attirer à eux une grande foule; ici ils accusent parce que des guérisons s'opèrent. O stupidité! ils blâment ce qui devrait exciter leur reconnaissance; comme autrefois avec le Christ, ils espèrent vaincre en paroles ceux qui triomphent par les oeuvres, et ils se jettent dans des discours sans fin. Ils n'osaient les enlever sans motif, n'ayant aucun sujet d'accusation. Et voyez comme les juges eux-mêmes ne rendent aucun témoignage ! car ils auraient été réfutés mais ils en subornent d'autres, afin de ne pas avoir l'air de commettre une injustice. Il en avait été de même avec le Christ. Voyez-vous la force de la prédication ? Comment elle subsiste chez ceux qui ont été flagellés et même lapidés, traînés devant les tribunaux et même repoussés de tous côtés ? Aussi, nonobstant les faux témoignages, non-seulement ils n'ont pu vaincre les apôtres, mais ils n'ont pas même pu leur résister, malgré leur extrême impudence. Ainsi Etienne les a vaincus par force, quoiqu'ils se conduisissent indignement (comme ils l'avaient fait avec le Christ), eux qui ne négligeaient rien pour le faire mourir: afin qu'il fût évident pour tous que ce n'était pas un homme, mais Dieu qui combattait contre les hommes.

Et voyez ce que disent les faux témoins subornés par ceux qui l'avaient entraîné au conseil dans une intention homicide : « Nous l'avons entendu proférer des paroles de blasphème contre Moïse et contre Dieu ». O impudents ! vous faites des choses blasphématoires contre Dieu et vous n'en avez souci, et vous avez l'air de vous inquiéter de Moïse ! Moïse n'est là que parce qu'ils ne s'inquiètent guère du service de Dieu; c'est toujours Moïse qu'ils mettent en avant: «Moïse », disent-ils, « qui nous a sauvés », afin d'irriter un peuple prompt à s'enflammer. Et pourtant comment un blasphémateur remporterait-il de tels triomphes? comment un blasphémateur aurait-il fait de tels prodiges au milieu du peuple? Mais voilà ce que c'est que la jalousie: elle égare tellement ceux qu'elle saisit, qu'ils n'ont pas même la conscience de ce qu'ils disent. « Nous l'avons entendu proférer des paroles de blasphème contre Moïse et contre Dieu » ; Et encore : « Cet homme ne cesse de parler contre le lieu saint et la loi » ; et ils ajoutent : « Que nous a donné Moïse»; il n'est plus question de Dieu.

3. Voyez-vous comme ils l'accusent d'avoir renversé le gouvernement et d'être impie? Il était évident pour tous qu'il était incapable d'un langage si audacieux, tant il y avait de douceur dans ses traits ! L'Ecriture ne dit pas cela de lui, quand on ne le calomniait pas; maintenant que tout est calomnie, Dieu a raison de la confondre par le seul aspect de son visage: On ne calomniait pas les apôtres, mais on les empêchait d'agir; Etienne était calomnié, voilà pourquoi l'aspect de sa figure doit d'abord le justifier. Peut-être le prêtre en rougit-il. En disant: « Il promit », Etienne fait voir que la promesse a été faite avant que le lieu en fût fixé, avant la circoncision, avant le sacrifice, avant le temple; qu'ils n'ont point reçu la circoncision ni la loi à raison de leurs mérites, mais que la terre seule a été la récompensé de l'obéissance. Avant même que la circoncision soit donnée, la promesse est remplie. Il insinue que, quitter par l'ordre de Dieu, sa patrie et sa parenté (la patrie est là où Dieu conduit) et n'y avoir point d'héritage, ce sont des figures ; et encore que les Juifs sont chaldéens, si on y regarde de près; ensuite qu'il faut obéir à la parole de Dieu, même sans miracles et quelque inconvénient qu'il en doive résulter; puisque le patriarche abandonna tout, même le tombeau de son père, pour obéir à Dieu; que si son père ne l'accompagna pas en Palestine , parce qu'il ne croyait pas, à (61) bien plus forte raison les fils seront-ils exclus, quoique bien avancés dans le chemin, puisqu'ils n'ont pas imité la foi de leur père. « Mais il promit de la lui donner et à sa postérité après lui».

On voit ici la bonté de. Dieu et la foi d'Abraham. Car obéir « lorsqu'il n'avait point encore de fils », montre sa docilité et sa foi, surtout quand les faits semblaient démentir la promesse; par exemple de n'avoir pas même où poser le pied quand il serait arrivé, de n'avoir pas de fils : ce qui n'était pas propre à affermir sa foi. Réfléchissons-y, nous aussi, et croyons aux promesses divines, même quand les événements semblent les contredire; bien que chez nous, loin de les contredire, ils leur soient parfaitement conformes. Car là où il y a des promesses dans le monde, si les faits leur sont opposés, ils le sont réellement ; mais chez nous il en est tout autrement: Dieu a dit ici l'affliction, là le repos. Pourquoi confondre les temps? Pourquoi tout renverser sens dessus dessous ? Vous vous affligez parce que vous vivez dans la pauvreté? Et cela vous trouble? Que cela ne vous trouble pas. Vous auriez raison de vous troubler, si vous deviez être affligé là-bas, mais la tribulation en ce monde est une source de repos. « Cette maladie», lisons-nous, « ne va pas à là mort ». Cette tribulation est une punition; elle est une leçon et un amendement. Le présent est un temps de combat; il faut donc lutter; car c'est la guerre, c'est la lutte. Dans le combat, personne ne cherche le repos, personne ne cherche le plaisir, ni ne s'inquiète de ses biens, ni n'est en souci pour sa femme : on n'a qu'une chose en vue , vaincre l'ennemi. Faisons-en autant; et si nous triomphons , si nous revenons avec les palmes, Dieu nous donnera tout. N'ayons qu'un seul souci : vaincre le démon ; ou plutôt ce n'est point là le résultat de nos efforts, mais uniquement l'effet de.la grâce de Dieu. Que notre seule occupation soit donc de nous attirer la grâce, de nous procurer ce secours. « Si Dieu est pour nous, qui sera contre nous?» N'ayons qu'un souci , c'est qu'il ne soit point notre ennemi, qu'il ne se détourne pas de nous.

4. Ce n'est point l'affliction , mais le péché qui est un mal. Le péché , voilà la véritable affliction, quand même nous vivrions dans le plaisir; je ne parle pas seulement de l'avenir, mais du présent. Quels ne sont pas les remords de notre conscience ? Et est-il un tourment pire que celui-là? Je voudrais interroger ceux qui vivent dans les vices, leur demander si le souvenir de leurs péchés ne leur revient jamais? s'ils ne tremblent pas? s'ils ne craignent pas ? s'ils ne souffrent pas ? s'ils n'appellent pas heureux ceux qui vivent au sein des montagnes, dans la pratique du jeûne et de la sagesse? Voulez-vous goûter un jour le repos? souffrez ici-bas pour le Christ, rien n'égale cette satisfaction. Les apôtres se réjouissaient d'avoir été flagellés. Paul nous y exhorte quand il dit : « Réjouissez-vous dans le Seigneur ». Et comment, direz-vous, se réjouir dans les fers, dans les tourments , devant les tribunaux? On peut y goûter une très-grande volupté. Apprenez comment cela se fait : celui à qui sa conscience ne reproche rien, sera dans l'abondance de la joie; en sorte que plus son affliction sera grande, plus son bonheur augmentera. Dites-moi, je vous prie : Un soldat, couvert de blessures, n'est-il pas très-heureux de revenir et de pouvoir montrer ces signes de courage, d'illustration et de gloire? Et vous, si vous pouviez vous écrier comme Paul : « Je porte les stigmates de Jésus », vous pourriez aussi être grand, illustre et glorieux. Mais , dites-vous, il n'y à plus de persécution? Alors combattez contre la vaine gloire; et si quelqu'un dit du mal de vous, supportez-le pour l'amour du Christ. Combattez coutre la tyrannie de l'orgueil, contre la colère, contre les tentations de la concupiscence. Voilà des stigmates, voilà des épreuves. Dites-moi : qu'y a-t-il de plus terrible que des épreuves? L'âme ne souffre-t-elle pas? ne brûle-t-elle pas? Là le corps seul est déchiré ; ici , l'âme souffre seule. Seule elle souffre quand elle se fâche, quand elle est envieuse, quand elle fait quelque chose de ce genre, ou pour mieux dire quand elle le souffre. Car ce n'est pas agir, mais souffrir, que de se mettre en colère, d'être jaloux; aussi cela s'appelle maladies, blessures, plaies de l'âme. En effet, c'est maladie et pire que maladie.

Vous, qui vous livrez à la colère, songez que vous vous rendez malades. Donc, celui qui ne se fâche pas, ne souffre pas. Vous voyez que ce n'est pas celui qui reçoit l'injure qui souffre, mais celui qui la fait, comme je le disais plus haut. Il est évident qu'il souffre, puisque cela s'appelle passion. Et il souffre même dans le corps; car la perte de la vue, la (62) stupidité et beaucoup d'autres maux sont les effets de la colère. Mais, direz-vous, il n'injurie que son fils ou son serviteur. Ne pensez pas que ce soit faiblesse, si vous n'en faites pas autant. Dites-moi, est-ce bien faire? Je ne pense pas que vous le disiez. Ne faites donc pas ce qu'il n'est pas bon de faire. Je sais à quelles colères de tels hommes sont sujets. Que sera-ce, direz-vous, s'il se contente de mépriser? de répéter ce qu'il a dit? Reprenez alors, menacez, suppliez : la douceur brise la colère; approchez-vous et reprenez. Cela ne doit pas se faire quand il s'agit de nous; mais cela est nécessaire quand il s'agit des autres. Ne regardez point comme fait à vous-même l'outrage fait à votre fils; si vous en souffrez, que ce ne soit pas comme d'une injure personnelle : car si votre fils est maltraité, ce n'est point sur vous , mais sur l'auteur, que retombe l'injure. Emoussez la pointe du glaive; qu'il rentre dans le fourreau. S'il en est tiré, souvent, dans un mouvement de colère, on peut s'en servir mal à propos; s'il y reste, même quand on a l'occasion de s'en servir, la colère s'éteindra. Le Christ ne veut pas que nous nous fâchions pour lui; écoutez en effet ce qu'il dit à Pierre : « Remettez votre épée au fourreau ». Et vous vous fâcheriez pour votre fils ! Apprenez à votre fils à être sage. Racontez-lui les souffrances du Maître : imitez le Maître vous-même. Quand ses apôtres devaient être livrés aux outrages, il ne leur a pas dit : Je vous vengerai: Que leur a-t-il dit? « S'ils m'ont persécuté , ils vous persécuteront aussi ». Souffrez donc avec courage : vous n'êtes pas meilleurs que moi. Dites cela à votre fils, à votre serviteur : Tu n'es pas meilleur que ton maître.

Mais ces paroles de la sagesse ont l'air de contes de vieille. Hélas ! pourquoi ne peut-on exprimer en paroles ce que l'expérience démontre si bien? Pour vous convaincre, supposez que vous êtes au milieu de deux partis en lutte, du côté des innocents et non des coupables; ne remporterez-vous pas vous-même la victoire? ne cueillerez-vous pas des palmes magnifiques? Voyez comme Dieu est injurié, et avec quelle douceur et quel calme il parle : « Où est ton frère Abel? » Et que répond Caïn ? « Est-ce que je suis le gardien de mon frère? » Quoi de plus arrogant? Qui aurait supporté cela, même de la part d'un fils? Et même de la part d'un frère, n'eût-on pas pris cela pour un affront? Mais Dieu reprend avec la même douceur : « La voix du sang de ton frère crie vers moi ». Mais, direz-vous, Dieu est au-dessus des atteintes de la colère. C'est pour cela que. le Fils de Dieu est descendu, pour vous faire dieu autant qu'un homme peut l'être. Je ne puis être Dieu, direz-vous, puisque je suis un homme. Eh bien ! amenons ici des hommes. Et n'allez pas croire que je parlerai de Paul et de Pierre; non, j'en prendrai qui leur sont bien inférieurs. Le serviteur d'Elie injurie Anne, en disant : « Allez cuver votre vin ». (I Rois, III, 14.) Que peut-on dire de plus injurieux? Mais que répond-elle ? « Je suis une femme qui ai l'amertume au coeur ». En vérité, rien n'égale l'affliction : elle est la mère de la sagesse. Et cette même Anne ayant une rivale , ne l'injurie pas; que fait-elle donc? Elle recourt à Dieu, elle prie, elle oublie sa rivale, et ne dit pas Elle m'a accablée d'ignominie, vengez-moi; tant cette femme avait l'habitude de la sagesse! Hommes, rougissons; car vous savez que rien n'est comparable à la jalousie.

5. Le publicain, injurié par le pharisien, ne rend pas injure pour injure, bien qu'il l'eût pu s'il l'eût voulu ; mais il supporte tout avec sagesse, et dit : « Ayez pitié de moi qui suis un pécheur! » Memphibaal (1) accusé, calomnié par un serviteur, ne dit rien, ne fait rien contre lui, pas même auprès du roi. Voulez-vous connaître la sagesse même d'une femme publique? Entendez le Christ dire, quand elle lui essuyait les pieds de ses cheveux: « Les publicains et les femmes de mauvaise vie vous précéderont dans le royaume ». (Matth. XXI, 31.) La voyez-vous debout, versant des larmes et expiant des péchés ? Le pharisien l'accable d'outrages, elle ne s'en fâche point. S'il savait, disait-il, que cette femme est une pécheresse, il ne la laisserait point approcher. Elle ne lui répond pas : Quoi ! êtes-vous donc exempt de péché? Mais elle souffre davantage, elle gémit davantage et verse des larmes plus brûlantes. Que.si les femmes, les publicains, les prostituées pratiquent la sagesse, même avant la grâce, quel pardon pouvons-nous espérer, nous qui, après une si grande grâce, sommes plus querelleurs, plus mordants, plus récalcitrants que les bêtes sauvages?

Rien de plus honteux que la colère, rien de

 

1 Mëmphiboseth dans la Vulgate.

 

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plus vil, rien de plus terrible, rien de plus désagréable, rien de plus nuisible. Et je dis cela, non-seulement pour vous engager à être doux envers les hommes, mais aussi pour vous exhorter à supporter votre femme, si elle est babillarde; qu'elle soit pour vous une matière de lutte et d'exercice. Quoi de plus absurde que d'établir des gymnases où nous n'avons rien à gagner, où nous affligeons notre corps ; et de ne pas nous créer des gymnases domestiques, où nous puissions gagner des couronnes, même avant le combat ! Votre femme vous injurie? Ne devenez pas femme vous-même; car dire des injures est le propre de la femme; c'est une maladie de l'âme; c'est un défaut. N'estimez pas qu'il soit indigne de vous d'être injurié par une femme; ce qui serait indigne de vous, ce serait de dire des injures, quand une femme est sage. C'est alors que vous vous déshonorez, que vous vous faites tort à vous-même; mais si vous supportez l'injure, vous donnez une grande preuve de force. Je ne dis pas ceci pour engager les femmes à dire des injures, tant s'en faut; mais pour vous encourager à être plus patients, quand cela arrive par l'instigation de Satan. C'est le propre des hommes forts de supporter les faiblesses. Si votre serviteur vous contredit, soyez sage; ne le traitez point comme il le mérite, mais ne dites et ne faites que ce qu'il convient. Ne faites jamais d'injure à une jeune fille, en proférant un mot déshonnête ; ne traitez jamais un serviteur de scélérat: ce n'est pas lui qui recevrait l'injure, mais vous. Il n'est pas possible que l'homme en colère reste en lui-même, pas plus qu'une mer en fureur; et la source ne peut rester pure, si elle reçoit de la boue; alors tout se mêle ; disons plus, tout est sens dessus dessous. Quand vous frapperiez votre serviteur; quand vous déchireriez sa tunique , c'est encore vous qui souffririez le plus : il ne souffre que dans son corps ou dans son vêtement, et vous, vous souffrez dans votre âme. C'est elle que vous avez déchirée, que vous avez blessée ; vous avez renversé le cocher, et l'avez fait fouler et traîner par les chevaux; absolument comme si un cocher se fâchait contre un autre et se laissait traîner. Que vous grondiez, que vous avertissiez, que vous fassiez toute autre chose, faites-le sans emportement et sans colère. Car si celui qui reprend est le médecin du coupable, comment le guérira-t-il s'il se nuit à lui-même et ne se guérit pas? Si par exemple un médecin venait pour guérir quelqu'un, et commençait par se blesser la main ou par se rendre aveugle, dites-moi, guérirait-il son malade? Non, répondez-vous. Donc , soit. que vous grondiez , soit que vous avertissiez, gardez vos yeux purs. Ne remuez pas la vase de votre âme, autrement comment la guérison serait-elle possible? L'homme calme et l'homme irrité ne sauraient jouir de la même tranquillité. Pourquoi renverser le maître de son siège et lui parler quand il est à terre ? Ne voyez-vous pas que les juges, quand ils doivent exercer leur fonction , s'asseyent sur leurs sièges et dans un vêtement convenable ? Faites de même : revêtez votre âme de la toge (qui n'est autre que la modération) et asseyez-vous sur le trône, en qualité de juge. Mais le coupable ne craindra pas, dites-vous. Il craindra bien davantage. Quand vous êtes irrité, dissiez-vous les choses les plus justes, votre serviteur les attribue à la colère; mais si vous lui parlez avec modération, il se condamnera lui-même. Mais, ce qui est le point principal : Dieu vous accueillera, et vous pourrez obtenir ainsi les biens éternels, par la grâce, la compassion et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, en union avec le Père et le Saint-Esprit, la gloire, la force, l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

 

 

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