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HOMÉLIE XVI. TOUTEFOIS DIEU LUI PARLA ET LUI DIT QUE SA POSTÉRITÉ HABITERAIT EN UNE TETRE ÉTRANGÈRE OU ELLE SERAIT RÉDUITE EN SERVITUDE ET MALTRAITÉE PENDANT QUATRE CENTS ANS. MAIS LA NATION QUI L'AURA TENUE EN ESCLAVAGE : C'EST MOI QUI LA JUGERAI, DIT LE SEIGNEUR, ET APRÈS CELA ELLE SORTIRA ET ME SERVIRA EN CE LIEU-CI. (CHAP. 6, 7, JUSQU'AU VERS. 34.)

 

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ANALYSE. 1 et 2. Suite du discours de saint Etienne. — La résurrection figurée dans l'ancienne Loi. — Providence de Dieu.

3 et 4. Avantages des afflictions. — Preuve par des exemples. — La joie dans le Seigneur, la seule solide, naît des tribulations.Comparaison de l'homme orgueilleux et de l'humble. — Comparaison de l'homme luxurieux et de l'homme sobre et tempérant. — Portrait repoussant du premier. — Le travail seul peut nous donner la santé. — Exhortation à la sobriété.

 

1. Vous voyez l'ancienneté et le mode de la promesse; et il n'y a nulle part de sacrifice ni de circoncision. Ici il fait voir que Dieu a permis l'affliction des Juifs, mais qu'elle ne restera pas impunie. « Mais la nation qui l'aura « tenue en esclavage, c'est moi qui la, jugerai, « dit le Seigneur». Vous le voyez, celui qui a promis et donné la terre, a d'abord permis l'affliction; ainsi maintenant il promet le royaume, mais il permet auparavant l'épreuve des tentations. Si alors la liberté est venue après quatre cents ans, quoi d'étonnant à ce qu'il en soit de même pour le royaume des cieux? C'est cependant ce que Dieu a fait, et le temps n'a point démenti sa parole, bien que l'oppression des Juifs ait été grande. Mais il ne s'est pas contenté de punir les oppresseurs : il a aussi promis des biens aux opprimés. Etienne me semble ici rappeler aux Juifs les bienfaits qu'ils ont reçus. « Et il lui donna l'alliance de la circoncision; et ainsi il engendra Isaac ». Ici il baisse un peu le ton. « Et il le circoncit le huitième jour; et Isaac, Jacob; et Jacob, les douze patriarches. Et les patriarches jaloux vendirent Joseph pour « l'Egypte ». C'est aussi ce qui est arrivé pour le Christ, dont Joseph était la figure; c'est ce qu'il insinue et dont il forme tout le tissu de son histoire. Car ils l'ont maltraité sans avoir

rien à lui reprocher, et quand il venait leur apporter de la nourriture ils l'ont mal accueilli. Voyez encore ici la longue attente de l'exécution de la promesse, laquelle cependant a un terme. « Et Dieu était avec lui » , et cela à cause d'eux. « Et il l'a délivré de toutes ses « tribulations ». Ici il fait voir qu'ils ont contribué sans le savoir à l'accomplissement de la prophétie, qu'ils étaient eux-mêmes les auteurs du mal, que le mal est retombé sur leur tête. « Et il lui donna grâce et sagesse devant Pharaon, roi d'Egypte ». Il donna grâce devant un roi barbare, à un esclave, à un captif, que ses frères avaient vendu et que ce prince honora. « Or il vint une famine, dans toute la terre d'Egypte et en Chanaan, et une grande tribulation, et nos pères ne trouvaient pas de nourriture. Mais Jacob ayant appris qu'il  y avait du blé en Egypte, il y envoya nos pères une première fois. Et la seconde fois, Joseph fut reconnu de ses frères ». Ils descendirent pour acheter, et ils eurent besoin de lui. Et lui, que fit-il? Il ne se contenta pas de montrer sa bonté, mais il instruisit Pharaon de leur présence et les lui présenta. « Et l'origine de Joseph fut connue de Pharaon. Or Joseph envoya chercher Jacob son père, et toute sa parenté, au nombre de soixante-quinze personnes. Et Jacob descendit en (65) Egypte et il y mourut, lui et nos pères. Et ils furent transportés à Sichem et déposés dans le sépulcre qu'Abraham avait acheté à prix d'argent du fils d'Hémor, fils de Sichem. Mais comme approchait le temps de la promesse que Dieu avait jurée à Abraham, le peuple crût et se multiplia en Egypte, jusqu'à ce qu'il s'éleva un autre roi qui ne connaissait pas Joseph ». Nouveaux motifs de désespoir : d'abord la famine; ensuite ils sont tombés aux mains de leur frère ; en troisième lieu, le roi prononce contre eux un arrêt de mort ; et pourtant ils ont été sauvés de tous ces dangers. Ensuite, pour montrer la sagesse de Dieu, il dit : « En ce temps-là naquit Moïse qui fut agréable au Seigneur». S'il est étonnant que Joseph ait été vendu par ses frères, il l'est.bien plus qu'un roi, destiné à périr, ait élevé celui même qui devait le renverser du trône.

Voyez-vous presque partout la figure de la résurrection? Que quelque chose se fasse par la volonté de Dieu ou par celle de l'homme, c'est bien différent. Mais rien, de ceci n'était l'effet de la volonté humaine. « Et il était puissant en paroles et en oeuvres ». Il dit cela pour montrer que Moïse fut un sauveur, et que l'on se montra ingrat envers lui. De même que Joseph, Moïse sauva ceux qui l'avaient maltraité. Sans doute on ne le fit pas réellement mourir, mais, comme Joseph, il fut tué en parole. Joseph fut vendu pour passer de sa patrie dans une terre étrangère; Moïse fut chassé d'une terre étrangère à une terre étrangère. L'un procura de la nourriture, l'autre donna des conseils pour apprendre à être avec Dieu. De tout cela, ressort la vérité proclamée par Gamaliel : « Si cette oeuvre est de Dieu, vous ne pourrez la détruire ». Mais vous, qui voyez comment ceux dont on a cherché la perte deviennent les sauveurs de ceux qui voulaient les perdre, admirez la sagesse et les ressources de Dieu ! car, si ceux-ci n'eussent pas formé leurs coupables projets, ils n'eussent pas été sauvés. Il vint une famine, et elle ne les fit pas mourir. Bien plus : ils furent sauvés par celui qu'ils croyaient perdu. Le roi donne un ordre, et il ne les détruit pas; au contraire, le peuple croissait quand celui qui les connaissait mourut. Ils voulaient faire périr leur sauveur, et ils n'en purent venir à bout.

2. Vous voyez comment Dieu fait tourner à l'accomplissement de sa promesse les efforts mêmes que le démon fait pour la détruire. Ils étaient donc autorisés à dire : Dieu est fécond en ressources et il peut nous tirer d'ici. Car, c'était là une preuve de la sagesse de Dieu que le peuple se multipliât au sein de l'adversité, au milieu de la servitude, des mauvais traitements, des meurtres. Telle était la grandeur de la promesse. Qu'ils se fussent multipliés dans leur propre pays, t'eût été moins étonnant. Et ils ne sont pas restés peu de temps sur la terre étrangère, mais quatre cents ans. Cela nous apprend qu'ils ont montré une grande sagesse : car on ne se conduisait point envers eux comme des maîtres à l'égard de leurs serviteurs, mais comme des ennemis et des tyrans. Voilà pourquoi Dieu prédit qu'ils seront un jour dans une grande liberté : car c'est le sens de ces paroles : « Ils me serviront et reviendront ici », non sans être vengés. Et voyez comme il semble attribuer ici quelque chose à la circoncision, bien qu'il ne lui accorde réellement rien : car la promesse avait précédé la circoncision qui n'est venue qu'après. « Et les patriarches jaloux ». Ici, il ne les blesse pas; il cherche à leur faire plaisir. Il appelle leurs ancêtres patriarches, parce qu'ils en étaient fiers. D'autre part, il fait voir que les saints n'ont pas été exempts de tribulations; mais que c'est au sein même des tribulations qu'ils ont été secourus. Et non-seulement ils ne s'en dégageaient pas, mais quand ils auraient dû y mettre un terme, ils aidaient à leurs oppresseurs. Comme les frères de Joseph , en le vendant, l'avaient rendu plus illustre, ainsi fit le roi pour Moïse, en ordonnant de tuer les enfants : car, sans cet ordre, rien ne serait arrivé.

Voyez la providence de Dieu ! Le roi met Moïse en fuite, et Dieu ne s'y oppose pas, parce qu'il ménage l'avenir et veut le rendre digne de la vision céleste sur la terre étrangère. Ainsi, celui qui a été vendu comme esclave, il le fait roi là même où on le croit esclave. Et comme Joseph règne là où on l'a vendu, ainsi le Christ déploie sa puissance dans la mort. Ce n'était pas seulement une question d'honneur, mais aussi confiance en sa propre vertu. Mais reprenons ce qui a été dit plus haut. « Et il l'établit intendant sur l'Egypte et sur toute sa maison ». Voyez quels événements Dieu prépare par la famine. « Jacob descendit en Egypte avec soixante-quinze personnes. Et il y mourut, lui et nos pères. (66) « Et ils furent transportés à Sichem et déposés dans le sépulcre qu'Abraham avait acheté à prix d'argent du fils d'Hémor, fils de Sichem ». Preuve qu'ils n'avaient pas même la propriété d'un tombeau. « Mais comme approchait le temps de la promesse que Dieu avait jurée à Abraham, le peuple crût et se multiplia en Egypte, jusqu'à ce qu'il s'éleva un autre roi qui ne connaissait pas Joseph ». Vous voyez que Dieu ne les avait pas multipliés pendant tant d'années, mais seulement quand la fin approcha; et pourtant ils avaient passé plus de quatre cents ans en Egypte. Voilà le prodige. « Celui-ci, circonvenant notre nation, affligea nos pères, jusqu'à leur faire exposer leurs enfants pour en empêcher la propagation ». — «Circonvenant »; par ce mot il indique le meurtre secret: car Pharaon ne voulait pas les tuer publiquement; et pour cela il ajoute : « Jusqu'à leur faire exposer leurs enfants. En ce même temps naquit Moïse qui fut agréable à Dieu ». L'étonnant est que le futur chef ne naît ni avant ni après, mais au milieu même de ces mesures de fureur.

« Et il fut nourri trois mois dans la maison de son père ». C'est quand tout est humainement désespéré, quand ses parents l'ont rejeté, que l'action de la Providence se montre avec éclat. « Exposé ensuite, la fille de Pharaon le prit et le nourrit comme son fils ». Quand de si grands événements se passaient, il n'y avait encore ni temple, ni sacrifice. Et il fut nourri dans une maison étrangère. « Et Moïse fut instruit dans toute la sagesse des Egyptiens, et il était puissant en paroles et en oeuvres ». Je m'étonne qu'il eût vécu là quarante ans et que la circoncision ne l'ait.pas trahi; et encore plus que lui et Joseph, au sein d'une vie tranquille, aient ainsi négligé leurs propres intérêts pour sauver les autres. « Mais lorsque s'accomplissait sa quarantième année, il lui vint dans l'esprit de visiter ses frères, les enfants d'Israël. Et ayant vu l'un d'eux injustement traité, il défendit et vengea celui qui souffrait l'injure, en frappant  l'Egyptien. Or, il pensait que ses frères comprendraient, que Dieu les sauverait par sa main; mais ils ne le comprirent pas ».

Voyez comme Etienne ne paraît point encore importun, quand il rappelle de si grands événements, et comment on supporte de l'entendre : tant la beauté de son visage les charmait ! « Il pensait que ses frères comprendraient ». Et pourtant il prouvait sa mission par ses oeuvres, et il n'y avait pas besoin d'un effort d'intelligence; néanmoins, ils ne comprirent pas. Voyez avec quelle modération il parle, et comment, après avoir montré Moïse irrité dans cette circonstance, il nous le présente plein de douceur dans une autre. « Le jour suivant il en vit qui se querellaient, et il s'efforçait de les remettre en paix, en disant : « Hommes, vous êtes frères; pourquoi vous faites-vous tort l'un à l'autre? Mais celui qui faisait injure à l'autre le repoussa en disant : Qui t'a établi chef et juge sur nous? Veux-tu me tuer comme tu as tué hier l'Egyptien? » C'était dans les mêmes sentiments, paraît-il, et dans le même langage qu'ils disaient au Christ : « Nous n'avons pas d'autre roi que César ». Ainsi les Juifs avaient-ils coutume de traiter leurs bienfaiteurs. Voyez-vous la folie? Ils accusent celui qui doit les sauver, en disant: « Comme tu as tué hier l'Egyptien. Sur cette parole, Moïse s'enfuit, et il demeura comme étranger sur la terre de Madian, où  il engendra deux fils ». Il fuit, mais la fuite, pas plus que là mort, ne détruisit l'oeuvre providentielle. « Et après quarante ans, l'ange du Seigneur lui apparut dans le désert du mont Sina , au milieu d'un buisson enflammé ».

3. Voyez-vous comme le temps ne saurait nuire aux vues de la Providence? C'est quand il est en fuite, quand il est proscrit, quand il a passé un long temps sur la terre étrangère et qu'il y a eu deux fils, quand il n'y a plus d'espoir de retour, c'est alors que l'ange lui apparaît. Il donne le nom d'ange au Fils de Dieu, comme à un homme. Et où a lieu l'apparition? Dans le désert, non dans le temple. Vous le voyez : combien de prodiges ! Et il n'y a point de temple, point de sacrifice. Et ce n'est pas seulement dans le désert, mais dans un buisson. « Ce que Moïse apercevant, il admira la vision, et comme il s'approchait pour examiner, la voix du Seigneur se fit entendre ». Voilà que Dieu lui fait l'honneur de lui parler. « Je suis le Dieu de vos pères, le Dieu d'Abraham, et le Dieu d'Isaac et le Dieu de Jacob ». Ici, on voit non-seulement que l'ange qui lui apparaît est l'ange du grand conseil, mais encore on découvre la bonté que Dieu montre dans cette vision. « Mais Moïse, devenu tout tremblant, n'osait plus (67) regarder. Et le Seigneur lui dit: Ote la chaussure de tes pieds; car le lieu où tu es est une terre sainte ». Il n'y a pas de temple, et le lieu est devenu saint par l'apparition et l'opération du Christ. C'est bien plus merveilleux que le Saint des saints , où Dieu n'a jamais apparu de cette manière, où jamais Moïse n'a ainsi tremblé. Vous avez vu la bonté de Dieu, voyez aussi sa sollicitude. « J'ai vu parfaitement l'affliction de mon peuple qui est en Egypte, j'ai entendu son gémissement, et je suis descendu pour le délivrer. Maintenant, viens, je t'enverrai en Egypte ». Ici, il fait voir que Dieu les conduisait par des bienfaits, par les châtiments et par les prodiges; mais eux restaient les mêmes. Ceci nous apprend aussi que Dieu est partout. Convaincus de cette vérité, recourons à lui dans les afflictions. « J'ai entendu son gémissement ». — Il ne dit pas simplement : « J'ai entendu »; mais : à cause des malheurs. Et si quelqu'un demande Pourquoi a-t-il permis qu'ils fussent ainsi affligés? qu'il apprenne que les afflictions sont pour tous les justes des sources de récompenses; ou encore il a permis qu'ils- fussent affligés pour faire éclater sa puissance et leur apprendre à être sages en tout. Et voyez que dans le désert non-seulement « ils s'engraissèrent, ils s'épaissirent, ils s'élargirent », mais encore ils abandonnèrent Dieu. Car partout, mon cher auditeur, le relâchement de l'âme est un mal. Voilà pourquoi Dieu dit à Adam dès le commencement: « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front ». Il a permis qu'ils fussent affligés, de peur que, passant à un repos parfait du sein d'une grande tribulation, ils n'en conçussent de l'arrogance

car l'affliction est un grand bien.

Ecoutez là-dessus le roi David : « C'est pour mon bien que vous m'avez humilié ! » L'affliction est une grande chose pour les grands hommes, objets de notre admiration, à plus forte raison pour nous. Si vous voulez, examinons-la en elle-même. Supposons un homme nageant dans la joie, livré au plaisir et à la volupté : quoi de plus honteux? quoi de plus insensé? Supposons au contraire quelqu'un accablé de douleur et de chagrin, quoi de plus sage? Aussi le Sage nous dit-il : « Il vaut mieux entrer dans une maison de deuil que dans une maison de joie ». (Eccli. VII, 3.) Peut-être vous moquez-vous de ce que je dis? Eh bien! voyons ce qu'Adam fut dans le paradis et ce qu'il fut après; ce que Caïn fut d'abord et ce qu'il fut ensuite. L'âme ne reste point fixe en elle-même; mais, comme le souffle du vent, le plaisir l'emporte, elle devient légère, elle n'a plus rien de solide. En effet, elle est prompte à promettre, prompte à engager sa parole, et ballottée par une multitude de raisonnements. De là des rires déplacés, de la gaîté sans raison, un flux de paroles niaises et inutiles. Mais pourquoi parler de la foule? Prenons quelque saint, par exemple, et voyons ce qu'il a été dans la joie et ce qu'il a été dans la tristesse. Voulez-vous que nous choisissions David ? Quand il était dans le plaisir et dans le bonheur à raison de ses nombreux trophées, de ses victoires, de ses couronnes, de ses délices, de sa sécurité, voyez ce qu'il a dit et ce qu'il a fait : « Pour moi j'ai dit au sein de mon abondance : Je ne serai plus jamais ébranlé ». (Ps. XXIX.) Mais écoutez ce qu'il disait quand il était dans l'affliction : « Et s'il me dit : Je ne veux plus de toi ; me voici : qu'il fasse ce qui sera agréable à  ses yeux». (II Rois, XV, 26.) Quoi de plus sage que ces paroles : que tout ce qui plaît à Dieu s'accomplisse? Et encore ce qu'il disait à.Saül: « Si le Seigneur vous excite contre moi , que votre sacrifice soit de bonne odeur ». (I Rois, XXIV, 19.) Quand il était dans l'affliction , il épargnait même ses ennemis; mais dans la suite il n'épargna ni ses amis, ni ceux qui ne lui avaient fait aucun mal. Jacob disait aussi dans sa tristesse : « Si Dieu me donne du pain à manger et un vêtement pour me couvrir ». (Gen. XXVII, 30.) Jusque-là le fils de Noé n'avait rien fait de coupable; mais dès qu'il fut assuré d'être sauvé , vous savez comme il devint insolent. Et quand Ezéchias était dans       l'affliction , voyez ce qu'il a fait pour son salut : il revêtit un sac et s'assit à terre ; mais quand il était dans la joie, il tomba par enflure de coeur. Aussi Moïse donne-t-il cet avis : « Quand tu auras mangé et bu et que tu seras rassasié, souviens-toi de ton Dieu ». (Deut. VI, 12.) Un lieu de délices est dangereux et produit l'oubli de Dieu. Quand les Israélites étaient dans l'affliction , ils étaient beaucoup plus nombreux; dans les temps prospères ils périssaient tous. Mais pourquoi chercher des exemples chez les anciens? Voyons, si vous le voulez, ce qui se passe chez nous. La plupart s'enflent quand ils sont dans la prospérité; (68) ils sont odieux à tout le monde, ils sont colères tant qu'ils jouissent du pouvoir : quand ils l'ont perdu, ils deviennent humbles, doux, et sont ramenés à l'étude, de leur propre nature. C'est ce que David nous enseigne, quand il dit : « L'orgueil les a dominés jusqu'à la fin; leur iniquité est comme le résultat de leur embonpoint ». J'ai dit tout cela afin que nous ne cherchions pas la joie à tout prix. Mais, demandez-vous, pourquoi Paul dit-il : « Réjouissez-vous toujours? » Il n'a pas dit simplement : « Réjouissez-vous »; mais il a ajouté : « Dans le Seigneur ».

4. Et voilà la plus grande joie, celle que goûtaient les apôtres, la joie profitable, qui a son principe, sa racine, sa matière dans les prisons, dans la flagellation , dans les persécutions, ce qui lui donne un résultat avantageux. Toute autre est la joie du monde : elle commence par le plaisir, elle finit par la tristesse. Je ne défends pas de se réjouir dans le Seigneur; j'y exhorte beaucoup au contraire. Les apôtres étaient flagellés, et ils se réjouissaient; ils étaient chargés de chaînes, et ils rendaient grâces; ils étaient lapidés, et ils prêchaient. Voilà la joie que je veux; celle qui ne procède point de la chair, mais de l'esprit. On ne peut se réjouir à la fois selon le monde et selon Dieu; car quiconque se réjouit selon le monde se réjouit de la richesse, de la volupté, de la gloire, de la puissance, du faste; mais celui qui se réjouit selon Dieu, se réjouit d'être méprisé pour lui , de la pauvreté, du délaissement, du jeûne, de l'humilité. Ce sont, vous le voyez, des motifs tout opposés. Ici tous ceux qui sont sans joie sont sans chagrin, et ceux qui sont sans chagrin sont sans joie. Et en réalité voilà ce qui fait le véritable bonheur; car, du côté du monde, il n'y en a que le nom de bonheur, puisque tout est dans la tristesse. Quelle n'est pas la tristesse de l'orgueilleux ? Combien son arrogance ne lui coûte-t-elle pas ! Il s'attire mille injures, une grande haine, beaucoup d'inimitié, de jalousie, d'envie. S'il est injurié par de plus puissants que lui, il s'en afflige ; s'il ne tient pas tête à tout le monde, il est déchiré. Mais l'homme humble, au contraire, jouit d'une grande félicité; il n'attend d'honneurs d'aucun côté; s'il en reçoit, il s'en réjouit; s'il n'en reçoit point, il ne s'attriste pas, il se félicite plutôt. Ainsi il y a une grande volupté à recevoir des honneurs sans les rechercher. L'homme du monde, au contraire, cherche à être honoré et ne l'est pas. Mais l'honneur ne procure pas le même plaisir à celui qui le recherche et à celui qui ne le recherche pas. Le premier ne croit jamais en avoir assez, tant qu'il en puisse avoir; si peu que le second en reçoive, il est aussi content que s'il avait tout. De plus l'homme qui vit dans les délices a mille affaires, bien que ses revenus arrivent facilement et coulent comme de source; il craint les maux qui naissent de la volupté, et les incertitudes de l'avenir; l'autre est toujours tranquille, toujours joyeux, parce qu'il est habitué au régime de la médiocrité. Il ne se croit pas malheureux parce qu'il n'a pas une table splendide, mais il jouit de n'avoir point à redouter un avenir incertain. Quant aux maux qui naissent d'une vie de délices, chacun les connaît, mais il est nécessaire d'en dire un mot. Il y a deux guerres, celle du corps et celle de l'âme; il y a deux tempêtes, deux maladies, et de plus, ces maladies sont incurables et entraînent de grandes calamités. Il n'en est pas de même de la frugalité; elle procure une double santé, des avantages doubles. « Un sommeil sain », dit le Sage, « est le partage de l'estomac sobre ». (Eccli. XXXI, 24.) En toute chose la médiocrité est désirable, et le défaut de modération a des inconvénients. Et voyez jetez sur un petit charbon une grande quantité de bois, vous n'aurez pas une flamme brillante, mais une fumée extrêmement désagréable.

Chargez un homme grand et fort d'un fardeau qui dépasse ses forces, vous le verrez tomber à terre avec sa charge. Mettez sur un navire une cargaison trop lourde, vous ferez un misérable naufrage. Il en est ainsi d'une vie de délices; car de même que dans les vaisseaux surchargés il y a un grand tumulte, quand les matelots, le pilote, le timonier, les passagers, jettent à la mer ce qui est sur le pont et ce qui est, à fond de cale ; ainsi.le voluptueux rejette tout, se corrompt lui-même et périt (1). Et ce qu'il y a de plus honteux, c'est que le rôle des organes est interverti, que la bouche est assimilée aux parties les moins nobles et se trouve plus, déshonorée qu'elles; que si la bouche est ainsi dégradée, que sera-ce de l'âme? Là tout est obscurité, tempête,

 

1 Il serait difficile de rendre littéralement cette phrase et la suivante, sans blesser la délicatesse de notre langue.

 

69

 

ténèbres, confusion de pensées pressées, étreintes, l'âme elle-même proclamant sa détresse. Aussi ceux qui sont les esclaves de leur ventre s'accusent les uns les autres, ne se supportent pas mutuellement et rejettent avec empressement toute l'ordure de leur coeur. Et quand elle est rejetée, ils n'ont pas le calme pour autant; mais il leur reste les maladies et les fièvres. Oui, dira-t-on, ils sont malades, et leur conduite est honteuse; il est inutile de nous raconter tout cela, de nous énumérer leurs maladies ; mais moi, qui n'ai pas de quoi manger, je suis malade aussi, je suis déchiré , je me conduis honteusement ; et ceux qui vivent dans les délices on les voit en bon état, gras, joyeux, montés sur des chevaux. Hélas ! quel langage déplorable ! Et ceux qui souffrent de la goutte, qui ne vont qu'en voiture, qui sont liés et bandés dans tous les membres , dites-moi un peu d'où viennent-ils ? Je les nommerais par leurs noms, si je ne craignais qu'ils ne s'en offensassent comme d'une injure. Mais, dirait-on, il y en a qui se portent bien, sans doute, mais parce qu'ils s'adonnent au travail et non pas seulement au plaisir. Mais montrez-moi un homme toujours s'engraissant, toujours oisif et inerte, inoccupé et malgré cela bien portant, vous ne le pouvez pas. Quand tous les médecins seraient là, ils ne pourraient guérir de ses maladies l'homme toujours adonné à son ventre : la nature des choses ne le permet pas. Je vais vous donner l'opinion même des médecins :

Tout ce qu'on introduit dans l'estomac ne devient pas aliment; car la nourriture elle-même ne contient pas uniquement des éléments nutritifs; il est des parties destinées aux sécrétions, d'autres à l'alimentation. Si donc vous usez de modération, tout se passe en règle, chaque chose prend sa place propre ce qui est sain et utile va où il doit aller, l'inutile et le superflu se sépare et est rejeté. Mais si vous ne gardez pas de mesure, même ce qui est nutritif devient nuisible. Un exemple rendra ceci plus sensible: Dans le blé il y a la fleur de farine, là farine et le son. Si la meule rencontre la quantité qu'elle peut moudre, elle sépare elle-même les parties; si on lui en jette trop à la fois, tout est confondu. Il en est de même du vin: si on le traite d'une manière convenable et dans le temps voulu, il se fait d'abord un mélange, puis une partie descend et forme la lie, l'autre monte en écume, et le reste est à l'usage de ceux qui veulent en user : c'est la partie utile qui ne subit pas volontiers de changements; mais jusque-là ce n'est ni du vin ni de la lie, car tout est mêlé. Ainsi en est-il encore de la mer dans une grande tempête. De même donc que nous voyons alors surnager les poissons morts qui n'ont pu descendre au fond à raison du froid ; ainsi quand la voracité fond sur nous comme un torrent, elle met tout en mouvement et fait surnager comme mortes nos pensées jusque-là saines et tranquilles. Eh bien ! puisque tant d'exemples nous font voir de si grands inconvénients, cessons d'appeler heureux ceux qu'il faudrait appeler malheureux, et de plaindre ceux qu'il faudrait appeler heureux, et aimons la sobriété. N'entendez-vous pas les médecins dire que la pauvreté est la mère de la santé ? Et moi je dis qu'elle n'est pas seulement la mère de la santé du corps, mais aussi de celle de l'âme. C'est ce que Paul, ce vrai médecin, nous crie : « Ayant la nourriture et le vêtement, contentons-nous-en ». Suivons son avis, afin d'être sains et de faire ce qu'il faut faire dans Jésus-Christ Notre-Seigneur, en qui appartiennent, au Père, en union avec le Saint-Esprit, la gloire , l'empire , l'honneur, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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