LE XVI SEPTEMBRE. SAINT CORNEILLE, PAPE ET MARTYR, ET SAINT CYPRIEN, ÉVÊQUE
ET MARTYR.
Rencontre à laquelle sourient les
Anges ! L'enfer voulut un jour, dans une querelle fameuse (1), opposer Cyprien
au Siège suprême ; or voici que, représailles dignes d'elle, la Sagesse
présente en une même fête au commun hommage de la terre et des cieux l'évêque
de Carthage et l'un des plus nobles successeurs de Pierre.
Noble entre tous, Corneille le fut par la naissance, comme
en témoigne son tombeau, retrouvé naguère dans la crypte de famille où les plus
beaux noms de l'ancien patriciat lui formaient un cortège d'honneur.
L'élévation au pontificat souverain d'un héritier des Scipions
reliait dans Rome les grandeurs du passé à celles de l'avenir. C'était le temps
où Dèce, redoutant plus d'apprendre l'élection d'un Pape que de voir se
lever un compétiteur à l'empire (2), avait lancé l'édit de la septième
persécution générale. Mais le césar qu'un bourg de Pannonie vient de donner à
la capitale du monde n'arrêtera pas les destinées de la Ville éternelle. En
face du sanguinaire empereur et de ses pareils passés
ou futurs, dont la cité reine ne connut les pères qu'à titre d'esclaves ou d'ennemis
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vaincus, le Romain
authentique, le descendant des Cornelii, se révèle à la simplicité native qu'on
nous décrit en lui, au calme accompagnant sa force d'âme, à
l'intrépide fermeté de sa race qui le
fait triompher le premier de l'usurpateur que la flèche des Goths attend sur
les bords des marais Danubiens (1). O saint Pontife, plus grand pourtant étes-vous encore par l'humilité qu'admirait en vous
Cyprien, votre illustre ami, par cette pureté de votre âme virginale qui
selon lui vous rendit l'élu de Dieu et
de son Christ (2).
Près de vous, quelle n'est pas la
grandeur de Cyprien lui-même ! Quel sillon de lumière a tracé dans le ciel de l'Eglise le converti du
prêtre Cœcilius ! Dans la générosité de son âme
conquise au Christ, il abandonne et les richesses et les honneurs, héritage de
famille, et la gloire acquise dans les joutes de l'éloquence. A l'admiration de
tous on dirait que, selon le mot de son historien, la moisson des vertus précède
en lui les semailles (3). Par une exception justifiée, néophyte encore il est
déjà pontife. Il lésera dix ans, durant
lesquels Carthage, l'Afrique, le monde,
auront les yeux fixés sur lui ; les païens, criant: Cyprien au lion ! les
chrétiens, attendant son mot d'ordre. Dix années qui représenteront une des périodes les plus troublées de l'histoire : dans l'empire,
anarchie au sommet, invasions sur toutes les frontières, peste promenant partout l'épouvante ; dans
l'Eglise, après une longue paix qui avait endormi les âmes, les persécutions de
Dèce, de Gallus, de Valérien, dont la première, éclatant comme la foudre,
multipliera les défaillances de
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la première heure et causera les
schismes du lendemain, par la trop hâtive indulgence de plusieurs ou
l'excessive rigueur de quelques autres envers les tombés.
Or, qui donc (1) enseignera à
ceux-ci la pénitence (2), aux hérétiques la vérité, aux schismatiques l'unité (3),
aux fils de Dieu la prière et la paix (4)? Qui ramènera les vierges aux
règles de leur vie sainte (5) ? Qui
retournera contre les gentils leurs sophismes blasphématoires (6) ? Sous la
mort séparant et frappant, qui rappellera les biens futurs et consolera
les âmes (7) ? De qui apprendront-elles et la miséricorde (8), et la patience (9),
et le secret de changer en douceur de salut les poisons provenant des morsures
de l'envie (10) ? Qui enfin élèvera les martyrs à la hauteur de l'appel de Dieu
? qui soutiendra les confesseurs sous la torture, au
fond des cachots, dans l'exil ? qui préservera des embûches de la liberté
retrouvée les survivants du
Martyre (11) ?
Dans son calme incomparable,
Cyprien, toujours prêt, semble défier les puissances de l'enfer, de la terre et
des cieux. Jamais troupeau n'aura eu main plus sûre pour le rallier sous
l'irruption soudaine et déconcerter le sanglier de la forêt. Et quelle fierté
inspire au pasteur la dignité de cette famille chrétienne dont Dieu l'a fait le
guide et le rempart! L'amour de l'Eglise, si l'on peut ainsi parler, est la
note toute spéciale de l'évêque de Carthage ; en d'immortels épanchements avec
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ses très forts et très
heureux frères, confesseurs du Christ, honneur de la Mère commune, il
s'écrie : « O bienheureuse notre Eglise, qu'illumine des plus purs rayons la
divine condescendance, qu'illustre en nos temps le glorieux sang des martyrs !
Elle était blanche autrefois des oeuvres de nos frères ; la voilà maintenant
empourprée du suc sorti des veines de ses héros. Ni les lis, ni les roses ne
manquent à ses fleurs (1). »
Etrange infirmité des plus fermes esprits d'ici-bas ! Ce fut
cet amour même, ce fut, bien légitime, mais faussement appliqué, son
exclusivisme jaloux pour la très noble Epouse du Sauveur, qui fit dévier
Cyprien dans la grave question de la validité du baptême conféré par les sectes
dissidentes. « Seule l’unique, disait-il, a les clefs, la puissance de l'Epoux
; c'est son honneur que nous défendons, en repoussant l'eau adultère de
l'hérésie (2). » C'était oublier que si, grâce à la miséricordieuse libéralité
du Sauveur, le plus indispensable des Sacrements ne perd pas sa vertu, quel
qu'en soit le ministre, étranger à l'Eglise ou son ennemi, il n'a de fécondité
pourtant même alors que pour et par l'Epouse, ne valant qu'en union de ce
qu'elle fait elle-même. Mais il est donc bien vrai : sainteté ou science ne
donnent pas à l'homme l'infaillibilité, que la divine promesse assure au seul
successeur de Pierre.
Pareille démonstration pouvait
avoir son prix ; et sans doute ce fut la raison pour laquelle Dieu permit dans
la haute intelligence du primat de l'Afrique romaine une éclipse passagère. Le
péril ne pouvait être grave, ni définitive l'erreur, en celui dont la pensée
maîtresse est toute dans ces
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mots que rappellent moins
volontiers les adversaires de nos dogmes : « Celui qui ne garde pas l'unité de
l'Eglise, croit-il qu'il garde la foi ? Celui qui abandonne la Chaire de Pierre
sur laquelle est fondée l'Eglise, peut-il se flatter d'être encore dans
l'Eglise (1)? »
Grande avait été la vie de
Cyprien ; plus grande fut sa mort. Valérien venait d'ordonner l'extermination
des chefs des Eglises. A Rome, Sixte II, suivi de Laurent trois jours plus
tard, reprenait le premier le chemin du martyre. Galérius
Maximus, proconsul d'Afrique, tenait dans ces jours-là
ses assises à Utique ; il ordonna d'y amener Thascius
Cyprien. Mais l'évêque refusa de laisser « mutiler l'honneur de son Eglise »,
en consentant à mourir sur un territoire autre que celui de sa ville (2). Il
attendit que le proconsul rentrât dans Carthage pour se livrer, en y rentrant
publiquement lui-même.
Dans la maison qui lui servit de
prison quelques heures, Cyprien, toujours égal et l'âme tranquille, réunit une
dernière fois à sa table ses familiers ordinaires. Au dehors, les chrétiens
accourus ne voulurent pas de toute la nuit s'éloigner du maître et du père ;
c'était, lui vivant, la première veille de la fête qui chaque année devait
célébrer son triomphe. Conduit au matin chez le proconsul, il se trouva qu'on
lui donna pour siège un fauteuil paré comme les chaires épiscopales. C'était
bien, en effet, une fonction épiscopale qui commençait, l'office pontifical par
excellence de donner sa vie pour l'Eglise en union du Pontife éternel.
L'interrogatoire fut court, on n'espérait pas ébranler Cyprien. Le juge rendit
sa sentence :
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elle portait que Thascius Cyprien serait
frappé du glaive. On gagna le lieu où elle devait s'accomplir. Les soldats
semblaient former à l'évêque un cortège d'honneur ; lui s'avançait paisible,
entouré de ses clercs comme aux jours des solennités. Une émotion profonde
régnait dans la foule immense d'amis et d'ennemis venus pour assister au
sacrifice. L'heure était arrivée. Le pontife pria, prosterné en terre. Puis, se
relevant, il fit donner vingt-cinq pièces d'or à l'exécuteur, et enleva sa tunique qu'il remit aux diacres
; lui-même se banda les yeux ; un prêtre
aidé d'un sous-diacre lui lia les mains, tandis que le peuple étendait autour de lui des linges
pour recueillir son sang. Ce fut seulement
à la demande de l'évêque, et comme sur son ordre, que le
bourreau tremblant abattit son glaive. Le soir, les fidèles vinrent avec des
flambeaux et des hymnes ensevelir Cyprien. On était au 14 septembre de l'année
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Lisons d'abord les lignes
consacrées parla sainte Liturgie à l'évêque de l'Eglise mère.
Corneille, romain d'origine,
fut souverain pontife au temps des empereurs Gallus et Volusien.
De concert avec une très sainte matrone du nom de Lucine,
il transporta des catacombes en un lieu plus convenable les corps des Apôtres
Pierre et Paul. Celui de Paul lut placé par Lucine
dans un terrain qu'elle possédait sur la voie d'Ostie, près du lieu où il avait
été frappé du glaive ; Corneille déposa celui du Prince des Apôtres non loin
également de l'endroit où on l'avait crucifié. Ce fait, comme celui de la
conversion d'un grand nombre de personnes au Christ par ses soins, étant
dénoncé aux empereurs, on l'envoya en exil à Centumcelles,
où vinrent le consoler les lettres de saint Cyprien, évêque de Carthage.
Le commerce de charité
chrétienne qui s'établit entre eux de cette manière ayant par sa fréquence
irrité les empereurs, Corneille fut rappelé à Rome. On le frappa comme criminel
de lèse-majesté avec des fouets armés de plomb, et on l'entraîna pour sacrifier
à l'idole de Mars. Sur son refus de se prêter à une impiété aussi détestable,
il fut décapité le dix-huit des calendes d'octobre. La bienheureuse Lucine, aidée des clercs, ensevelit son corps dans un
arénaire qui lui appartenait près du cimetière de Calliste. Son pontificat fut
environ de deux années.
L'Eglise emprunte à saint Jérôme
l'éloge qu'elle fait aujourd'hui de saint Cyprien.
Du livre de saint Jérôme, Prêtre,
sur les Ecrivains ecclésiastiques.
Cyprien enseigna d'abord la
rhétorique avec gloire dans l'Afrique, sa patrie. Le prêtre Caecilius,
dont il prit son surnom, l'ayant ensuite persuadé de se faire chrétien, il
distribua tous ses biens aux pauvres. Bientôt appelé au presbytérat, il fut
aussi fait évêque de Carthage. Il serait superflu de relever son génie ou d'en
énumérer les fruits, ses œuvres étant plus éclatantes que le soleil. Il
souffrit sous les empereurs Valérien et Gallien, dans la huitième persécution,
le même jour que Corneille à Rome, non cependant la même année.
Saints Pontifes, unis dans la
gloire comme vous le fûtes par l'amitié et le martyre, gardez en nous le fruit
de vos exemples et de votre enseignement. Votre vie nous montre à mépriser pour
le Christ la fortune et les honneurs, à réserver pour son Eglise un dévouement
dont le monde n'est pas digne. Puissent-ils le
comprendre, ces descendants de tant de races illustres qu'écarte comme en vos
temps la défiance d'une société dévoyée ; puissent-ils comme vous déjouer la
conjuration qui s'est promis de les éteindre dans l'ignominieux oubli d'une
oisiveté inféconde. Si bien méritants de l'humanité qu'aient été leurs pères,
des mérites nouveaux s'offrent à eux dans une sphère plus haute où la déchéance
est inconnue, où le bien produit dure toujours.
Aux plus petits comme aux premiers de la cité sainte,
rappelez que la paix et la guerre ont
également leurs fleurs, dont se forme le diadème glorieux du soldat du Christ :
la blanche couronne des œuvres s'offre à quiconque ne saurait espérer la
couronne empourprée du martyre (1).
Veillez, o Cyprien, sur votre
Eglise de Cartilage renaissant après tant d'années. Rendez à Rome, ô Corneille,
son glorieux passé ; chassez d'elle l'étranger qui se dit son maître :
souveraine du monde, elle n'est point faite pour obéir à d'autres qu'au Roi des
rois dans son Vicaire sur terre. Puisse la délivrance être prochaine, et
devenir pour les peuples le signal d'un relèvement qui ne saurait plus tarder,
si l'univers n'a pas achevé ses destinées.
Entre les vierges, Euphémie de Chalcédoine eut l'honneur de voir assembler le
quatrième concile œcuménique dans l'église dédiée à son nom ; c'est sur sa
tombe que fut promulguée la condamnation de l'impie Eutychès, et vengée
l'intégralité de la double nature de l'Epoux, homme et Dieu. La grande
martyre sembla conserver d'un si auguste souvenir une prédilection poulies
hautes études concernant la doctrine sacrée ; à Paris, la faculté de théologie
l'honorait comme patronne spéciale, et Euphémie avait
comme élu domicile dans l'antique Sorbonne, où l'on gardait en singulière
vénération une part importante de ses reliques saintes. Recommandons-nous de
son puissant crédit auprès du Seigneur, sans oublier la sainte veuve Lucie, ni
le noble personnage du nom de Géminien que Rome
honore avec elle en ce jour.
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ORAISON.
Seigneur, donnez pour notre
joie efficacité à nos prières ; nous rendons le tribut annuel de notre dévotion
au jour où souffrirent vos saints Martyrs Euphémie,
Lucie et Géminien : puissions-nous en plus imiter la
constance de leur foi. Par Jésus-Christ.