LE XXVIII AOUT. SAINT AUGUSTIN, ÉVÊQUE
ET DOCTEUR DE L'ÉGLISE.
Le plus grand des Docteurs et le
plus humble, Augustin se lève, acclamé par les cieux dont nulle conversion de
pécheur n'excita comme la sienne l'ineffable joie (1), célébré par l'Eglise où
ses travaux laissent pour les siècles en pleine lumière la puissance, le prix,
la gratuité de la divine grâce.
Depuis l'entretien extatique qui
fit d'Ostie un jour le vestibule du ciel (2), Dieu a complété ses triomphes
dans le fils des larmes de Monique et de la sainteté d'Ambroise. Loin des
villes fameuses où l'abusèrent tant de séductions, le rhéteur d'autrefois
n'aspire qu'à nourrir son âme de la simplicité des Ecritures sacrées dans le
silence de la solitude. Mais la grâce, qui a brisé la double chaîne enserrant
son esprit et son cœur, garde sur lui des droits souverains ; c'est dans la
consécration des pontifes vouant Augustin à l'oubli de soi-même, que la Sagesse
consomme avec lui son alliance : la Sagesse qu'il déclare « aimer seule pour
elle seule, n'aimant qu'à cause d'elle le repos et la vie (3). » A ce sommet où
l'a porté la miséricorde divine, entendons-le épancher son cœur :
« Je vous ai aimée tard, beauté
si ancienne et si
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nouvelle ! je
vous ai aimée tard ! Et vous étiez en moi ; et moi, hors de moi-même, vous
cherchais en tous lieux (1)... J'interrogeais la terre, et elle me disait : «
Je ne suis pas ce que tu cherches »; et tous les êtres que porte la terre me
faisaient même aveu. J'interrogeais la mer et ses abîmes, et ce qui a vie dans
leurs profondeurs ; et la réponse était : « Nous ne sommes pas ton Dieu,
cherche au-dessus de nous. » J'interrogeais les vents et la brise; et l'air
disait avec ses habitants : « Anaximènes se trompe;
je ne suis pas Dieu. » J'interrogeais le ciel, le soleil, la lune, les étoiles
: « Nous non plus, nous ne sommes pas le Dieu que tu cherches. » O vous tous
qui vous pressez aux portes de mes sens, objets qui m'avez dit n'être pas mon
Dieu, dites-moi de lui quelque chose; et dans leur beauté qui avait attiré mes
recherches avec mon désir, ils ont crié d'une seule voix : « C'est lui qui nous
a faits (2). » — Silence à l'air, aux eaux, à la terre ! silence
aux cieux ! silence en l'homme à l'âme elle-même ! qu'elle passe au delà de sa propre pensée : par delà tout
langage, qu'il soit de la chair ou de l'ange, s'entend lui-même Celui dont
parlent les créatures; là où cessent le signe et l'image, et toute vision
figurée, se révèle la Sagesse éternelle (3)... Mes oreilles sourdes ont entendu
votre voix puissante ; votre lumière éblouissante a forcé l'entrée de mes yeux
aveugles; votre parfum a éveillé mon souffle, et c'est à vous que j'aspire,
j'ai faim et soif, car je vous ai goûté ; j'ai tressailli à votre contact, je
brûle d'entrer dans votre repos : quand je vous serai uni de tout moi-même, la
douleur et le travail auront pris fin pour moi (4). »
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Un autre travail que le labeur de
la correspondance intime aux prévenances de son Dieu ne devait finir pour
Augustin qu'avec la vie : celui de ses luttes pour la vérité qui avait délivré
son âme (1), sur tous les champs de bataille choisis dans ces temps par le père
du mensonge. Combats terminés par autant de victoires, où l'on ne sait
qu'admirer le plus, comme d'autres l'ont dit : la science des Livres saints, la
puissance de la dialectique ou l'art de bien dire; mais dans lesquels l'emporte
sur tout la plénitude de la charité. Nulle part ailleurs n'apparaît mieux
l'unité de cette divine charité communiquée par l'Esprit à l'Eglise, et qui, du
même cœur où elle puise son inflexibilité à maintenir jusqu'au moindre iota les
droits du Seigneur Dieu, déborde d'ineffable mansuétude pour tant de malheureux
qui les méconnaissent encore :
« Qu'ils vous soient durs, ceux
qui ne savent pas quel labeur c'est d'arriver au vrai, d'éviter l'erreur.
Qu'ils vous soient durs, ceux qui ne savent pas combien il est rare, combien il
en coûte, de parvenir à surmonter dans la sérénité d'une âme pieuse les
fantômes des sens. Qu'ils vous soient durs, ceux qui ne savent pas avec quelle
peine se guérit l'œil de l'homme intérieur, pour fixer son soleil, le soleil de
justice ; ceux qui ne savent pas par quels soupirs, quels gémissements, on
arrive, en quelque chose, à comprendre Dieu. Qu'ils vous soient durs enfin,
ceux qui n'ont jamais connu séduction pareille à celle qui vous trompe... Pour
moi qui, ballotté par les vaines imaginations dont mon esprit était en quête,
ai partagé votre misère et si longtemps pleuré, je ne saurais aucunement être
dur avec vous (2). »
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C'est aux disciples de Manès,
traqués partout en vertu des lois mêmes des empereurs païens, qu'Augustin
adressait ces paroles émues : nouveau Paul, se souvenant du passé (1) ! Combien
effrayante n'est donc pas la misère de notre race
déchue, que les nuages s'élevant des bas fonds y prévalent à ce point sur les
plus hautes intelligences ! avant d'être le plus
redoutable adversaire de l'hérésie, Augustin, neuf années durant, s'était
montré le sectateur convaincu, l'apôtre ardent du manichéisme : variante
incohérente de ce roman dualiste et gnostique dans lequel, pour expliquer
l'existence du mal, on n'imaginait rien de mieux que de faire un dieu du mal
même, et qui trouva dans la complaisance qu'y prenait l'orgueil du prince des
ténèbres le secret de son influence étrange à travers les siècles.
Plus locale, mais autrement
prolongée, devait être la lutte d'Augustin contre la secte Donatiste, appuyée
d'un principe aussi faux que le fait dont elle se disait née. Le fait, démontré
juridiquement inexact à la suite des requêtes présentées par Douai et ses
partisans, était que Cécilien, primat d'Afrique en
311, aurait reçu la consécration épiscopale d'un évêque traditeur des Livres
saints pendant la persécution. Comme principe et conséquence tirée par eux
dudit principe, les Donatistes affirmaient que nul ne pouvait communiquer avec
un pécheur sans cesser de faire partie du troupeau du Christ; que dès lors, les
évêques du reste du monde n'en ayant pas moins continué de communiquer avec Cécilien et ses successeurs, eux seuls Donatistes étaient
maintenant l'Eglise. Schisme sans fondement, s'il en fut, mais qui s'était
imposé
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pourtant au plus grand nombre des habitants de l'Afrique
romaine, avec ses quatre cent dix évèques et ses
troupes de Circoncellions, fanatiques toujours prêts aux violences et aux
meurtres contre les catholiques surpris sur les routes ou dans les maisons
isolées. Le rappel de ces brebis égarées prit à notre Saint le meilleur de son
temps.
Qu'on ne se le représente pas
méditant à loisir, écrivant dans la paix d'une humble ville épiscopale, choisie
comme à dessein par la Providence, ces ouvrages précieux dont le monde devait
jusqu'à nous recueillir les fruits. Il n'est point sur la terre de fécondité
sans souffrance, souffrances publiques, angoisses privées, épreuves connues des
hommes ou de Dieu; lorsque, à la lecture des écrits des Saints, germent en nous
les pieuses pensées, les résolutions généreuses, nous ne devons pas nous
borner, comme pour les livres profanes, à solder un tribut quelconque
d'admiration au génie de leurs auteurs, mais plus encore songer au prix dont
sans nul doute ils ont payé le bien surnaturel produit par eux dans chacune de
nos âmes. Avant l'arrivée d'Augustin dans Hippone, les Donatistes s'y
trouvaient en telle majorité, rappelle-t-il lui-même, qu'ils en abusaient
jusqu'à interdire de cuire le pain pour les catholiques (1). Quand le Saint
mourut, l'état des choses était bien changé; mais il avait fallu que le
pasteur, faisant passer avant tous autres devoirs celui de sauver, fût-ce
malgré elles, les âmes qui lui étaient confiées, donnât ses jours et ses nuits
à cette œuvre première, et courût plus d'une fois le risque heureux du martyre
(2). Les chefs des schismatiques,
redoutant la force
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de ses raisons plus encore que son
éloquence, se refusaient à toute rencontre avec lui; mais ils avaient déclaré
que mettre à mort Augustin serait œuvre louable, méritant la rémission de tout
péché à qui aurait pu l'accomplir (1).
« Priez pour nous, disait-il en
ces débuts de son ministère, priez pour nous qui vivons d'une façon si précaire
entre les dents de loups furieux : brebis égarées, brebis obstinées qui
s'offensent de ce que nous courons après elles, comme si leur égarement faisait
qu'elles ne soient pas nôtres. — Pourquoi nous appeler ? disent-elles;
pourquoi nous poursuivre ? — Mais la cause de nos cris, de nos angoisses, c'est
justement qu'elles vont à leur perte. — Si je suis perdue, si je n'ai plus la
vie, qu'avez-vous affaire de moi ? que me voulez-vous
? — Ce que je veux, c'est te rappeler de ton égarement; ce que je veux, c'est
t'arracher à la mort. — Et si je veux m'égarer ? si je
veux me perdre ? —Tu veux t'égarer ? tu veux te
perdre ? Combien mieux, moi, je ne le
veux pas ! Oui; j'ose le dire : je suis importun ; car j'entends l'Apôtre :
Prêche la parole, presse à temps, à contre-temps (2). A temps, sans doute, ceux qui le
veulent bien; à contre-temps, ceux qui ne le veulent
pas. Oui, donc; je suis importun : tu veux périr; je ne le veux pas. Il ne le
veut pas, lui non plus, Celui
qui dit, plein de menaces, aux pasteurs : Vous n'avez pas rappelé ce
qui s'égarait, vous n'avez pas cherché ce qui était perdu (3). Dois-je plus
te redouter que lui-même ? Je ne te crains pas : ce tribunal du Christ, devant
lequel nous devons tous paraître (4), tu ne le remplaceras pas par celui de
Donat. Que tu le veuilles ou
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non, je rappellerai la brebis qui
s'égare, je chercherai la brebis perdue. Que les ronces me déchirent : il n'y
aura pas de brèche assez étroite pour arrêter ma poursuite ; il n'y aura pas de
haie que je ne secoue, tant que le Seigneur me donnera des forces, pour
pénétrer où que ce soit que tu prétendes périr (1). »
Forcés dans leurs derniers
retranchements par l'intransigeance d'une telle charité, les Donatistes
répondaient-ils en massacrant, à défaut d'Augustin, fidèles et clercs; l'évêque
suppliait les juges impériaux qu'on
épargnât aux coupables la mutilation et la mort, de crainte que le triomphe des
martyrs ne fût comme souillé par ces représailles sanglantes (2). Mansuétude
bien digne, à coup sûr, de l'Eglise dont il était Pontife, mais que tenteraient vainement de
retourner contre cette même Eglise, en l'opposant à certains faits de son
histoire, les tenants d'un libéralisme qui reconnaît tout droit à l'erreur et
lui réserve toute prévenance. L'évêque d'Hippone l'avoue : sa pensée fut
d'abord qu'il ne fallait point user de contrainte pour amener personne à l'unité du Christ; il crut que la parole, la libre discussion,
devait être dans la conversion des hérétiques le seul élément de victoire (3);
mais, à la lumière de ce qui se passait sous ses yeux, la logique même de cette charité
qui dominait son âme l'amenait bientôt à se ranger au sentiment tout autre
de ses collègues plus anciens
dans l'épiscopat (4).
« Qui peut, remarque-t-il, nous
aimer plus que ne fait Dieu? Dieu néanmoins emploie la crainte pour
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nous sauver, tout en nous instruisant
avec douceur. Et le Père de famille, voulant des convives à son festin,
n'envoie-t-il pas par les chemins, le long des haies, ses serviteurs, avec
ordre de forcer à venir tous ceux qu'ils rencontreront (1) ? Ce festin,
c'est l'unité du corps du Christ. Si donc la divine munificence a fait qu'au
temps voulu la foi des rois devenus chrétiens reconnût ce pouvoir à l'Eglise,
c'est aux hérétiques .ramenés de tous les carrefours, aux schismatiques forcés
dans leurs buissons, de considérer, non la contrainte qu'ils subissent, mais le
banquet du Seigneur où sans elle ils n'arriveraient pas. Le berger n'use-t-il
pas de la menace, de la verge au besoin, pour faire rentrer au bercail du
maître les brebis que la séduction en avait fait sortir ? La sévérité provenant
de l'amour est préférable à la douceur qui trompe. Celui qui lie l'homme en
délire et réveille le dormeur de sa léthargie, les moleste tous deux, mais pour
leur bien. Si dans une maison menaçant ruine se trouvaient des gens que nos
cris ne persuaderaient pas d'en sortir, est-ce que ne point user de violence à
leur endroit pour les sauver malgré eux ne serait pas cruauté ? et cela, lors même que nous ne pourrions en arracher qu'un
seul à la mort, et que l'obstination de plusieurs en prendrait occasion de
précipiter leur perte : comme font ceux du parti de Donat qui, dans leur furie,
demandent au suicide la couronne du martyre. Nul ne saurait devenir bon malgré
lui; mais ce sont des villes entières, non quelques hommes
seule-. ment, que la rigueur des lois dont ils
se plaignent amène chaque jour à délivrance, en les dégageant des liens du
mensonge, en leur faisant voir la vérité
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que la violence ou les tromperies
schismatiques dérobaient à leurs yeux. Loin qu'elles se plaignent, leur
reconnaissance aujourd'hui est sans bornes, leur joie entière ; leurs fêtes et
leurs chants ne cessent plus (1). »
Cependant, par delà les flots
séparant Hippone des rivages d'Italie, la justice du ciel passait sur la reine
des nations. Rome, qui depuis le
triomphe de la Croix n'avait point su répondre au délai que lui laissait la
miséricorde, expiait sous les coups d'Alaric le sang des Saints versé jadis pour ses faux dieux. Sortez
d'elle, mon peuple (2). A ce signal que le prophète de Pathmos avait entendu d'avance, la ville aux sept
collines s'était dépeuplée. Loin des routes remplies de Barbares, heureux le
fugitif pouvant confier à la haute mer,
au plus fragile esquif, l'honneur des siens, les débris de sa fortune ! Comme
un phare puissant dont les feux dominent l'orage, Augustin, par sa seule
renommée, attirait vers la côte d'Afrique les meilleurs de ces naufragés de la vie. Sa correspondance si variée nous fait
connaître les liens nouveaux créés par Dieu alors entre l'évêque d'Hippone et
tant de nobles exilés. Naguère, c'était
jusqu'à Nole, en l'heureuse Campanie, que des
messages pleins de charmes, où se mêlaient les doctes questions, les réponses
lumineuses, allaient saluer « ses très chers seigneurs et vénérables frères,
Paulin et Thérasia, condisciples d'Augustin en
l'école du Seigneur Jésus (3). » Maintenant c'est à
Carthage, ou plus près encore, que les lettres du Saint vont consoler,
instruire, fortifier Albina, Mélanie, Pinianus, Proba surtout et
Juliana, aïeule et mère illustres
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d'une plus illustre fille, la
vierge Démétriade, première du monde romain par la
noblesse et l'opulence (1), conquête très chère d'Augustin pour l'Epoux.
«
Oh ! qui donc, s'écrie-t-il à la
nouvelle de la consécration de cette
fiancée du Seigneur, qui expliquera dignement combien glorieuse se révèle
aujourd'hui la fécondité des Anicii, donnant des
vierges au Christ après avoir pour le siècle ennobli tant d'années du nom des
consuls leurs fils ! Que Démétriade soit imitée : quiconque
ambitionne la gloire de l'illustre famille, prenne pour soi sa sainteté (2) ! »
Vœu du cœur d'Augustin, qui devait se réaliser magnifiquement, lorsque la gens Anicia, moins d'un siècle plus tard, donna au monde
Scholastique et Benoît pour conduire tant d'âmes avides de la vraie noblesse
dans le secret de la face de Dieu.
La chute de Rome eut dans les
provinces et par delà un retentissement immense. L'évêque d'Hippone nous dit
ses propres gémissements quand il l'eut apprise, ses larmes à lui, descendant
des anciens Numides, sa douleur presque inconsolable (3) : tant, même en sa
décadence, par l'action secrète de Celui qui lui réservait de
nouvelles, de plus hautes destinées,
la cité reine avait gardé de place en la pensée universelle et d'empire sur les
âmes. En attendant, la terrible crise devenait pour Augustin l'occasion de ses
œuvres les plus importantes. Sur les ruines du monde qui semblait s'écrouler
pour toujours, il édifiait son grand ouvrage de la Cité de Dieu : réponse aux
partisans de l'idolâtrie, nombreux encore,
qui attribuaient à la
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suppression du culte des dieux les
malheurs de L'empire. Il y oppose à la théologie et, en même temps, à la
philosophie du paganisme romain et grec la réfutation la plus magistrale, la
plus complète qu'on en ait jamais vue; pour de là établir l'origine,
l'histoire, la fin des deux cités, l'une de la terre, l'autre du ciel, qui se
divisent le monde, et que « firent deux amours divers : l'amour de soi jusqu'au
mépris de Dieu, l'amour de Dieu jusqu'au mépris de soi-même (1). »
Mais le principal triomphe
d'Augustin fut celui qui joignit à son nom le titre de Docteur de la grâce. La
prière aimée de l'évêque d'Hippone: Da quod jubes,
et jube quod vis (2), froissait l'orgueil d'un
moine breton que les événements de l'année 410 avaient amené lui aussi sur la
terre africaine (3): d'après Pelage, la nature, toute-puissante pour le bien,
se suffisait pleinement dans l'ordre du salut, n'ayant été lésée d'aucune sorte
d'ailleurs par le péché d'Adam qui n'avait affecté que lui-même. On comprend la
répulsion toute spéciale d'Augustin, si redevable à la miséricorde céleste,
pour un système dont les auteurs « semblaient dire à Dieu : Tu nous as faits
hommes, mais c'est nous qui nous faisons justes (4) ».
Dans cette campagne nouvelle, les
injures ne furent pas épargnées au converti de jadis ; mais elles étaient la
joie et l'espérance (5) de celui qui, rencontrant ce même genre d'arguments
dans la bouche d'autres adversaires, avait dit déjà : « Catholiques, mes frères
très aimés, unique troupeau
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de l'unique Pasteur, je n'ai cure
des insultes de l'ennemi au chien de garde du bercail ; ce n'est pas pour ma
défense, c'est pour la vôtre que je dois aboyer. Faut-il lui dire pourtant, à
cet ennemi, qu'en ce qui touche mes égarements, mes erreurs d'autrefois, je les
condamne avec tout le monde, et n'y vois que la gloire de Celui qui par sa
grâce m'a délivré de moi-même. Lorsque j'entends rappeler cette vie qui fut la
mienne, à quelque intention qu'on le fasse, je ne suis pas si ingrat que de
m'en affliger ; car autant l'on fait ressortir ma misère, autant moi je loue
mon médecin (1). »
La renommée de celui qui faisait
si bon marché de lui-même remplissait néanmoins la terre, en compagnie de la
grâce par lui victorieuse. « Honneur à vous, écrit de Bethléhem
Jérôme chargé d'années ; honneur à l'homme que n'ont point abattu les vents
déchaînés!... Ayez bon courage toujours. L'univers entier célèbre vos louanges;
les catholiques vous vénèrent et vous admirent comme le restaurateur de
l'ancienne foi. Signe d'une gloire encore plus grande: tous les hérétiques vous
détestent. Moi aussi, ils m'honorent de leur haine; ne pouvant nous frapper du
glaive, ils nous tuent en désir (2). »
On reconnaît dans ces lignes
l'intrépide lutteur que nous retrouverons en septembre, et qui laissait bientôt
après sa dépouille mortelle à la grotte sacrée près de laquelle il avait abrité
sa vie. Augustin devait poursuivre le bon combat quelques années, compléter
l'exposé de la doctrine catholique à l'encontre même de saints personnages,
auxquels il eût semblé que du moins le
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commencement du salut, le désir de
la foi, ne requérait pas un secours
spécial du Dieu rédempteur et sauveur. C'était le semi-pélagianisme. Cent ans plus tard (1), le second concile d'Orange, approuvé par
Rome, acclamé par l'Eglise, terminait la lutte en s'inspirant dans ses
définitions des écrits de l'évêque
d'Hippone. Lui cependant concluait ainsi le dernier ouvrage achevé par ses mains : « Que ceux qui lisent ces choses rendent grâces à Dieu,
s'ils les comprennent; sinon, qu'ils
s'adressent dans la prière au
docteur de nos âmes, à Celui dont
le rayonnement produit la science et l'intelligence. Me croient-ils dans l’erreur? qu'ils y réfléchissent encore et encore, de peur que peut-être ce ne soient
eux qui se trompent. Pour moi, quand il advient
que les lecteurs de mes travaux m'instruisent et me corrigent, j'y vois
la honte de Dieu; et c'est ce que je demande comme faveur, aux doctes
surtout qui sont dans l'Eglise, s'il arrive que ce livre parvienne en
leurs mains et qu'ils daignent prendre connaissance de ce que j'écris (2).
»
Revenons au milieu de ce peuple
d'Hippone, si privilégié, conquis par le
dévouement d'Augustin plus encore que
par ses admirables discours. Sa
porte, ouverte à tout venant, accueillait toute demande, toute
douleur, tout litige de ses fils. Parfois, devant l'insistance des
autres églises, des conciles même, réclamant d'Augustin la poursuite plus active de travaux d'intérêt
général, un accord intervenait entre le troupeau et le pasteur, et l'on déterminait que, tels et tels jours de la semaine, le repos laborieux de celui-ci
serait respecté par tous (3) ; mais la
convention durait peu ;
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quiconque le voulait (1) triomphait
de cet homme si aimant et si humble, près de qui, mieux que tous, les petits
savaient bien qu'ils ne seraient jamais éconduits: témoin l'heureuse enfant
qui, désireuse d'entrer en relation épistolaire avec l'évêque, mais craignant
de prendre l'initiative, reçut de lui la missive touchante qu'on peut lire en
ses Œuvres (2). Resterait à montrer dans notre Saint l'initiateur de la vie
monastique en Afrique romaine, par les monastères qu'il fonda et habita
lui-même avant d'être évêque ; le législateur dont une simple lettre aux
vierges d'Hippone (3) devenait la Règle où tant de serviteurs et de servantes
de Dieu puiseraient jusqu'aux derniers temps la forme de leur vie religieuse;
enfin, avec les clercs de son église vivant ainsi que lui de la vie commune
dans la désappropriation absolue (4), l'exemplaire et la souche de la grande
famille des Chanoines réguliers. Mais il nous faut abréger ces pages déjà
longues, que complétera le récit de la sainte Liturgie.
Lisons ce récit autorisé.
Indépendamment delà fête présente, l'Eglise fait au cinq mai mémoire spéciale
de la Conversion d'Augustin dans son Martyrologe.
Augustin, né à Thagaste (Souk-Arhas, en Algérie,
à vingt-cinq lieues au sud de Bône,
l'ancienne Hippone) en Afrique, était de bonne famille. Enfant, la docilité
sans égale de son esprit le rendit bientôt supérieur pour la science à tous
ceux de son âge. A Carthage, où se passa une partie de sa jeunesse, il tomba
dans l'hérésie des Manichéens. Rome le vit ensuite, puis Milan, où on l'envoya
professer la rhétorique. Auditeur assidu de l'évêque Ambroise, il sentit naître
en son âme un ardent désir de la foi catholique, et fut, à l'âge de
trente-trois ans, baptisé par le saint. De retour en Afrique, la pureté de vie
qui relevait son zèle religieux amena Valère, évêque d'Hippone et renommé pour
sa sainteté, à l'ordonner prêtre. Il établit alors une famille de religieux
dont il partageait la manière de se nourrir
et vêtir, et qu'il formait avec grand soin à la doctrine et à la vie
apostoliques. L'hérésie des Manichéens
qui prenait vigueur attira ses attaques victorieuses, et il confondit Fortunat,
l'un de leurs chefs.
Touché de cette piété
d'Augustin,Valère en fit son coadjuteur dans la charge
épiscopale. Nul ne le surpassait en retenue, en humilité ; lit et vêtement
modestes, table frugale, repas toujours assaisonnés de lectures saintes ou de
pieux entretiens. Telle était sa bonté pour les pauvres, que, s'il ne lui
restait rien autre, il rompait les vases sacrés pour subvenir à leur indigence.
Il évitait la conversation des femmes, la société même de sa sœur et de sa
nièce, disant que si les proches parentes n'éveillaient pas de soupçons, celles
qui viendraient les visiter le pouvaient faire. Il ne
cessa point, à moins de maladie grave, de prêcher la parole de Dieu. Combattant
sans relâche les hérétiques dans des conférences publiques ou par ses écrits,
ne souffrant pas qu'ils prissent pied nulle part, il délivra presque
entièrement l'Afrique des Manichéens, des Donatistes, des Pélagiens et autres
sectaires.
Le nombre, la piété, la
profondeur et l'éloquence de ses ouvrages ont grandement illustré la doctrine
chrétienne; aussi fut-il un des premiers guides de ceux qui dans la suite
travaillèrent à une exposition méthodique et raisonnée de la science
théologique. Cependant les Vandales ravageaient l'Afrique, et il y avait déjà
trois mois qu'ils assiégeaient Hippone, lorsque Augustin fut pris de la fièvre.
Comprenant que la mort approchait, il fit placer devant lui les Psaumes de
David qui expriment la pénitence, et il les lisait avec grande abondance de larmes; nul en effet, avait-il coutume de
dire, ne doit être assez présomptueux pour quitter la vie sans pénitence,
n'eût-on conscience d'aucun péché. En présence donc des frères, qu'il avait
exhortés à la charité, à la piété, à toutes les vertus, il passa au ciel, ayant
gardé sa connaissance et continué de prier jusqu'à la fin, après soixante-seize
ans de vie, et environ trente-six d'épiscopat. Son corps, porté d'abord en
Sardaigne, fut ensuite racheté à grand prix par Luitprand,
roi des Lombards, et transféré à Pavie,où on
l'ensevelit avec honneur.
Quelle mort fut la vôtre,
Augustin, sur l'humble couche où n'arrivaient à vous que nouvelles de désastres
et de ruines! Livrée aux Barbares en punition de ces crimes innommés du vieux
monde dont la nourricière de Rome avait eu sa si large part, l'Afrique, votre
patrie, ne devait pas vous survivre. Avec Genséric, Arius triomphait sur cette
terre qui pourtant, grâce à vous, parla vigueur de foi qu'elle avait retrouvée,
allait encore, un siècle durant, donner d'admirables martyrs au Verbe
consubstantiel. Rendue au monde romain par Bélisaire, Dieu sembla vouloir à
cause d'eux lui ménager l'occasion de retrouver ses beaux jours ; mais
l'impéritie byzantine, absorbée dans ses querelles théologiques et ses intrigues
de palais, ne sut ni la relever, ni la garder contre une invasion plus funeste
que n'avait été la première. Les flots débordants de l'infidélité musulmane
eurent bientôt fait de tout stériliser, dessécher et flétrir.
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Enfin, après douze siècles, la
Croix reparaît dans ces lieux où de tant d'Eglises florissantes le nom même a
péri. Puisse la liberté qui lui est rendue devenir bientôt le triomphe ! Puisse
la nation dont relève aujourd'hui votre sol natal se montrer fière de cet
honneur nouveau, comprendre les obligations qui en résultent pour elle en face
d'elle-même et du monde !
Durant cette longue nuit pesant
sur la terre d'où vous étiez monté aux cieux, votre action cependant ne s'était
pas ralentie. Par l'univers entier, vos ouvrages immortels éclairaient les
intelligences, excitaient l'amour. Dans les basiliques desservies par vos
imitateurs et fils, la splendeur du culte divin, la pompe des cérémonies, la
perfection des mélodies saintes, maintenaient au cœur des peuples
l'enthousiasme surnaturel qui s'était emparé du vôtre à l'instant heureux où,
pour la première fois dans notre Occident, résonna sous la direction d'Ambroise
le chant alternatif des Psaumes et des Hymnes sacrées (1). Dans tous les âges,
aux eaux, sorties de vos fontaines (2), la vie parfaite se complut à renouveler
sa jeunesse sous les mille formes que le double aspect delà charité, qui
regarde Dieu et le prochain, lui demande de revêtir.
Illuminez toujours l'Eglise de
vos incomparables rayons. Bénissez les multiples familles religieuses qui se
réclament de votre illustre patronage. Aidez-nous tous, en obtenant pour nous
l'esprit d'amour et de pénitence, de confiance et d'humilité qui sied si bien à
l'âme rachetée; enseignez-nous l'infirmité de la nature et son indignité depuis
la chute, mais aussi la bonté sans limites de notre
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Dieu, la surabondance de sa rédemption, la toute-puissance
de sa grâce. Que tous avec vous nous sachions non seulement reconnaître la
vérité, mais loyalement et pratiquement dire à Dieu: « Vous nous avez faits
pour vous, et notre cœur est inquiet jusqu'à ce qu'il se repose en vous (1). »
Saluons un saint personnage
signalé par les plus anciens monuments de l'Eglise romaine (2) comme déjà en
possession à ce jour d'un culte qui a traversé les siècles. Hermès, magistrat
romain, rendit au Christ sous Trajan le témoignage du martyre. La crypte
construite, moins d'un demi-siècle après la mort des Apôtres, pour recevoir ses
restes précieux, est célèbre par la majesté de ses proportions et leur ampleur
inusitée dans les cimetières souterrains. Ce fut sa sœur Théodora qui
recueillit des mains de Balbina, fille du tribun
Quirinus, les vénérables Chaînes du bienheureux Pierre.
ORAISON.
Dieu qui avez fortifié de la vertu de constance en sa
passion le bienheureux Hermès, votre Martyr : accordez-nous qu'à son exemple,
pour votre amour, nous méprisions les félicités du monde et ne redoutions
aucune de ses disgrâces. Par Jésus-Christ.