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TROISIÈME PARTIE

INTRODUCTION DE LA TROISIÈME PARTIE DE L’HISTOIRE DIVINE, ET DE LA TRÈS-SAINTE VIE DE L’AUGUSTE MARIE, MÈRE DE DIEU.

LIVRE SEPTIÈME. OU L'ON RAPPORTE LES DONS TRÈS-SUBLIMES QUE LA DIVINE DROITE FIT A LA REINE DU CIEL, AFIN QU'ELLE TRAVAILLAT DANS LA SAINTE ÉGLISE. — LA VENUE DU SAINT-ESPRIT. — LE FRUIT ABONDANT DE LA RÉDEMPTION, ET DE LA PRÉDICATION DES APOTRES. — LA PREMIÈRE PERSÉCUTION DE L'ÉGLISE. — LA CONVERSION DE SAINT PAUL ET L'ARRIVÉE DE SAINT JACQUES EN ESPAGNE. — L'APPARITION QUE CET APOTRE EUT DE LA MÈRE DE DIEU A SARAGOSSE, ET DE LA FONDATION DE LA CHAPELLE DE NOTRE-DAME-DU-PILIER.

CHAPITRE I. Après que notre Sauveur Jésus-Christ se fut assis à la droite du Père éternel, la bienheureuse Marie descendit du ciel sur la terre pour y affermir la nouvelle Église par son assistance et par son enseignement.

Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.

CHAPITRE II. Où l'on voit que l'évangéliste saint Jean, dans le chapitre vingt et unième de l'Apocalypse, parle expressément de la vision qu’il eut quand il vit descendre du ciel la bienheureuse Marie.

CHAPITRE III. Où l'on poursuit l'explication du reste du chapitre vingt et unième de l'Apocalypse.

Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.

CHAPITRE IV. La bienheureuse Marie se fait voir trois jours après sa descente du ciel. — Elle parle aux apôtres. — Notre Seigneur Jésus-Christ la visite. — Et quelques autres mystères jusqu'à la venue du Saint-Esprit.

Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.

CHAPITRE V. La venue du Saint-Esprit sur les astres et sur les autres adèles. — La bienheureuse Marie le vit intuitivement. — Autres faits mystérieux qui arrivèrent alors.

Instruction que m'a donnée notre Dame la grande Reine du ciel.

CHAPITRE VI. Les apôtres sortirent du Cénacle pour prêcher à la multitude du peuple qui y était accouru. — Ils lui parlèrent en diverses langues. — Il y eut ce jour-là environ trois mille personnes qui se convertirent. — Ce que fit la bienheureuse Vierge dans cette occasion.

Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.

 

 TROISIÈME PARTIE

 

 

INTRODUCTION DE LA TROISIÈME PARTIE DE L’HISTOIRE DIVINE, ET DE LA TRÈS-SAINTE VIE DE L’AUGUSTE MARIE, MÈRE DE DIEU.

 

1. Plus le navigateur s'avance à travers les abîmes redoutables de la haute mer, plus il craint les tempêtes et la rencontre de corsaires ennemis qui pourraient l'attaquer (1). Son ignorance et sa faiblesse augmentent ses inquiétudes. Eu effet, il ne sait ni quand ni d'où lui viendra le danger, et il ne peut le plus souvent ni le détourner, ni le surmonter quand il se présente. C'est justement l'état où je me trouve, me voyant lancée sur l'immense océan des excellences et des grandeurs de la bienheureuse Marie, quoique ce soit une mer fort douce et fort tranquille, comme je le reconnais et l'avoue. Que si je me trouve si avant dans cet océan de la grâce, ayant déjà écrit la première et la seconde partie de la très-sainte vie de cette grande Reine, cela n'est pas suffisant pour dissiper mes craintes: car c'est dans cette vie comme dans un miroir sans tache, que j'ai connu

 

(1) Eccles., XLIII, 26.

 

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plus clairement mon incapacité et ma bassesse, et ces nouvelles lumières ne servent qu'à me faire paraître l'objet de cette histoire divine toujours plus impénétrable et plus incompréhensible. En outre, les princes des ténèbres redoublent d'efforts, et cherchent, comme des corsaires sans pitié, m'affliger et à me décourager par des illusions et des tentations dont l'odieuse malice dépasse tout ce que j'en saurais dire. Ceux qui naviguent dans une mer orageuse n'ont d'autre ressource que de tourner leurs regards vers l'étoile polaire, astre fixe, fidèle étoile des mers qui les guide à travers les flots. Je tâche de faire la même chose dans la tourmente des tentations et des craintes qui m'environnent. Et me tournant vers le pôle de la volonté divine et vers la bienheureuse Marie, mon étoile à la clarté de laquelle l'obéissance me la fait découvrir, affligée, troublée et craintive, je crie maintes fois du fond de mon coeur, et je dis : Seigneur Dieu tout-puissant, que ferai-je dans les doutes où je suis? Poursuivrai-je, ou cesserai-je d'écrire cette histoire? Et vous, Mère de la grâce et mon auguste Maîtresse, déclarez-moi votre volonté et celle de votre très-saint Fils.

2. J'avoue avec vérité, et comme je le dois à la divine bonté, que le Seigneur a toujours répondu à mes clameurs, et que, me déclarant sa volonté de diverses manières, il ne m'a jamais refusé sa clémence paternelle. Cela se manifeste assez par l'assistance que j'ai reçue de la divine lumière , pour écrire la première et la seconde partie ; mais, outre cette faveur, le Très-Haut a très-souvent calmé mes inquiétudes, et m'a rassurée par lui-même , par sa très-sainte Mère et par ses anges, réitérant ses promesses et confirmant ses témoignages

 

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pour vaincre mes craintes et mes lâchetés. Bien plus, les anges visibles qui sont les supérieurs et les ministres du Seigneur dans sa sainte Église, m'ont déclaré que c'était sa volonté que je continuasse cette divine histoire sans aucune timidité, et m'ont enjoint de m'y soumettre. J'ai également reçu l'intelligence de la lumière ou de la science infuse, qui avec une douce force appelle, enseigne et découvre ce qu'il y a de plus élevé dans la perfection, de plus pur dans la sainteté, de plus sublime dans la vertu, c'est-à-dire ce que la volonté doit le plus aimer; et c'est pourquoi je comprends que tout cela m'est représenté comme renfermé dans cette arche mystique la bienheureuse Marie, comme une manne cachée (1), afin que tous soient conviés à la goûter et à la posséder.

            3. Nonobstant tout cela, lorsque je me suis déterminée à commencer cette troisième partie, j'ai eu de nouvelles et violentes contradictions, qui n'ont pas été moins difficiles à surmonter que les autres qui m'arr8taient dans les deux premières,parties. Je puis affirmer sans hésiter que je n'ai pas écrit une phrase, que je ne me décide pas à écrire une ligne sans essuyer plus de tentations que je ne trace de lettres. Et quoique je me suffise bien à moi-même pour me laisser embarrasses par mes craintes, puisque sachant ce que je suis je ne puis manquer de tomber dans la pusillanimité et dans une défiance de moi-même égale à l'expérience de ma faiblesse, ce n'était ni en cela ai dans la grandeur de mon sujet que je trouvais des empêchements, dont j'ignorai quelque temps la nature. Je présentai au Seigneur

 

(1) Hebr., IX, 4.

 

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la seconde partie, que j'avais écrite, comme je lui avais présenté la première. Mes supérieurs m'ordonnaient rigoureusement d'entreprendre cette troisième partie, et par la force que la vertu d'obéissance communique à ceux qui s'y soumettent, je m'animais dans ma lâcheté, et je tâchais de dissiper les craintes qui m'empêchaient d'exécuter ce que l'on me prescrivait. Mais je balançai quelques jours entre les désirs qui me pressaient de commencer et les difficultés que j'y trouvais, j'étais comme un navire ballotté par des vents contraires et violents.

4. D'un côté le Seigneur me répondait de continuer ce que j'avais commencé, que c'était sa volonté et son bon plaisir, et c'est ce que je découvrais toujours dans mes prières continuelles. Je ne communiquais pourtant pas aussitôt ces ordres du Très-Haut à mon confesseur, non que j'eusse intention de les lui cacher, mais pour une plus grande sûreté, et pour n'avoir pas lieu de croire qu'il s'en rapportât à mes seules informations. Alors le Seigneur, qui est si uniforme en ses œuvres, lui inspirait de nouveau et à mes autres supérieurs de me prescrire d'achever cette histoire, et c'est ce qu'ils ont toujours fait. D'un autre côté l'ancien serpent, dans sa maligne jalousie, calomniait tout ce que je ressentais, décriait ce que l'on me disait, et excitait contre moi une furieuse tempête de tentations; tantôt il prétendait m'élever à la hauteur de son orgueil, tantôt il tâchait de me précipiter dans l'abîme du désespoir, et de m'envelopper dans la nuit des craintes désordonnées, se servant de diverses autres tentations intérieures et extérieures, qu'il augmentait à mesure que je poursuivais cette histoire , surtout quand j'étais prête à

 

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l'achever. Cet ennemi se servit aussi du sentiment de quelques personnes pour lesquelles je devais avoir naturellement des égards, et qui ne me conseillaient point de continuer ce que j'avais commencé. En même temps il troublait les religieuses qui sont sous ma conduite. Il me semblait d'ailleurs que je n'aurais pas assez de temps pour achever mon travail, attendu que je ne devais pas me dispenser de suivre la communauté, si je voulais m'acquitter de la principale obligation d'une supérieure. Dans toutes ces perplexités il ne m'était pas possible de calmer mon esprit et de jouir de cette paix intérieure qui était nécessaire pour recevoir la lumière et l'intelligence actuelle des mystères que j'écris; car cette lumière ne se transmet pas, cette intelligence ne se communique pas tout entière à travers les tourbillons que les tentations soulèvent dans l'âme (1) : cette lumière ne vient que dans un air doux et frais, qui rassérène les puissances intérieures (2).

5. Affligée et troublée par tant de tentations, je continuais mes clameurs. Un jour entre autres je dis au Seigneur: Mon adorable Maître, votre sagesse infinie découvre mes gémissements et les désirs que j'ai de vous plaire et de ne me point éloigner de votre service (3). Je me plains amoureusement en votre divine présence; permettez-moi, Seigneur, de vous demander pourquoi vous m'ordonnez ce que je ne puis accomplir, ou pourquoi vous permettez à vos ennemis et aux miens de paralyser mes efforts par leur malice ? Sa divine Majesté répondit à cette plainte, et me dit avec une certaine sévérité : « O âme ! sachez que vous ne pouvez

 

(1) III Reg., XIX, 11. — (2) Ibid., 12. — (3) Ps. XXXVII, 10.

 

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continuer ce que vous avez commencé, et achever d'écrire la vie de ma Mère, si vous n'êtes en tout très-parfaite et très-agréable à mes yeux; car je veux cueillir en vous le fruit abondant de ce bienfait, et afin que vous l'acquériez comme je le veux, il faut détruire entièrement en vous tout ce que vous avez de terrestre et de fille d'Adam, les effets du péché, ses inclinations et les mauvaises habitudes. » Cette réponse du Seigneur excita en moi un nouveau zèle et de plus ardents désirs d'exécuter tout ce qu'elle me faisait connaître; car elle n'exigeait pas seulement une mortification commune des inclinations et des passions, mais une mort absolue de toute la vie animale et terrestre, un renouvellement et une transformation en un autre être, et une nouvelle vie céleste et angélique.

6. Or, souhaitant employer toutes mes forces pour accomplir ce qui m'était proposé, j'examinais mea inclinations, mes appétits et les plus secrets replis de mon âme, et je sentais un véhément désir de mourir à tout ce qui est visible et terrestre. Je passai quelques jours dans ces exercices, en proie à une grande désolation; car, à mesure que mes désirs croissaient, les dangers et les distractions que les créatures me causaient augmentaient aussi, et suffisaient pour m'empêcher; et plus je voulais m'éloigner de tous ces obstacles, plus je me trouvais embarrassée et accablée par les choses mêmes que j'avais en horreur. L'ennemi se servait de tout pour me décourager, et me représentait comme impossible la perfection de vie à laquelle j'aspirais. Dans cette affliction où j'étais, il m'en survint tout à coup une autre fort extraordinaire. Ce fut que je commençai à sentir en ma personne une nouvelle disposition,

 

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qui me rendait si sensible, que les moindres peines me paraissaient plus insupportables que les plus grandes que j'eusse souffertes jusqu'alors. Les mortifications, que je regardais auparavant comme très-légères, me devenaient terribles, et je me trouvais si faible à l'encontre de tout ce qui pouvait me causer quelque douleur, qu'il me semblait y recevoir des blessures mortelles. La vue d'une discipline me faisait trembler, et chaque coup me déchirait le coeur; et je puis dire sans exagération que de me mettre seulement une main sur l'autre, cela me faisait verser des larmes. Une pareille faiblesse me remplissait de confusion, et je m'affligeais. extrêmement de me voir dans un état si déplorable. J'expérimentai même que voulant me forcer à travailler, nonobstant le mal que j'avais, le sang me sortait des ongles.

7. J'ignorais la cause de ce phénomène, et, réfléchissant à ma propre misère, je disais dans la profonde tristesse où j'étais : Hélas! quel état lamentable est le mien? Quel changement est celui que j'éprouve? Le Seigneur me prescrit de me mortifier et de mourir à tout, et je me trouve maintenant plus vive et moins mortifiée que jamais. Livrée à mes réflexions, je ressentis durant plusieurs jours de grandes amertumes et de grandes angoisses. Mais le Très-Haut, voulant les adoucir et me consoler, me dit : « Ma fille et mon épouse, ne vous affligez point de cette épreuve et de cette situation nouvelle, où vous êtes si sensible aux moindres peines. J'ai voulu par ce moyen éteindre en vous les effets du péché, vous faire renaître à une u nouvelle vie, et vous disposer à des opérations plus hautes et plus conformes à mon bon plaisir. Jusqu'à

 

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ce que vous soyez arrivée à ce nouvel état, vous ne pourrez commencer ce qu'il vous reste à écrire de la vie de ma Mère et de votre Maîtresse. » Par cette nouvelle réponse du Seigneur je recouvrai quelque force; car ses paroles sont toujours des paroles de vie qui vivifient l'âme (1). Et quoique mes peines et mes tentations ne diminuassent point, je me disposais néanmoins à travailler et à combattre; rouis c'était en me défiant toujours de ma faiblesse, et sans espérance d'y remédier. Je cherchais le remède en la Mère de la vie, et je résolus de la prier avec instance de me favoriser, comme l’unique et dernier refuge des affligés, comme la protectrice de laquelle et par laquelle j'avais toujours reçu de grands bienfaits, quoique je fusse la plus inutile de toutes les créatures.

8. Je me prosternai aux pieds de cette grande Reine du ciel et de la terre, et répandant mon coeur en sa présence, je la priai de me faire miséricorde et de me procurer le remède nécessaire à mes imperfections et à mes défauts. Je lui représentai les désirs que j'avais de faire toujours ce qui lui serait le plus agréable, à elle et à son très-saint Fils ; et je m'offris de pratiquer tout ce qui pourrait contribuer à sa plus grande gloire, fallût-il passer par le feu, subir tous les supplices et répandre mon sang. La compatissante Mère répondit à cette prière, et me dit : « Ma fille, vous n'ignorez pas que les désirs que le Très-Haut excite de nouveau dans votre coeur ne soient des gages et des effets de l'amour avec lequel il vous appelle pour vous faire a participer aux communications familières du commerce

 

(1) Joan., VI, 69.

 

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le plus intime. Sa volonté très-sainte, comme la mienne, est que vous accomplissiez de votre côté ces désirs, afin que vous n'apportiez aucun obstacle à votre vocation, et que vous n'ajourniez point davantage ce qui lui est agréable et qu'il vous ordonne. Pendant tout le temps que vous avez employé à écrire ma vie, je vous ai fait connaître l'obligation que vous  impose un bienfait si grand et si extraordinaire, et je vous si instruite, afin que vous exprimiez en vous la doctrine que je vous donne et l'exemplaire de ma vie, selon l'étendue de la grâce que vous recevrez. Vous allez écrire la troisième et dernière partie de mon histoire; or, il est temps de vous élever à ma parfaite imitation, de vous revêtir d'une nouvelle force, et de  porter votre main à des choses fortes (1). C'est en a entrant dans cette vie nouvelle et dans ces opérations que vous entamerez ce qu'il vous reste à écrire, car ce doit être en pratiquant le bien que vous connaissez. Vous ne le sauriez écrire sans cette disposition; attendu que la volonté du Seigneur est que ma vie, soit plus écrite dans votre coeur que sur le papier, et que vous sentiez en vous ce que vous écrivez, afin d'écrire ce quo vous sentez.

9.  « C'est pourquoi je veux que votre intérieur soit dépouillé de tontes les images et de toutes les affections terrestres (2), afin qu'ayant oublié tout ce qui est visible, votre continuelle conversation soit avec le Seigneur, avec moi et avec ses anges (3) ; tout le reste doit être pour vous quelque chose d'étranger. Grâce à ce détachement et à la pureté que j'exige de

 

Prov., XXXI, 17 et 19. — (2) Ps. XLIV, 13. — (3) Philip., III, 20.

 

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vous, vous briserez la tête de l'ancien serpent, et vous surmonterez les obstacles qu'il vous suscite pour vous empêcher d'écrire et de faire le bien. Et puisque vous vous êtes laissée aller aux vaines craintes qu'il vous a suggérées, et que vous avez tardé à répondre au Seigneur, à entrer dans la voie par laquelle il veut bien vous conduire, et à ajouter foi à ses bienfaits, je veux vous dire maintenant que c'est pour cette raison que sa divine Providence a permis à ce dragon, en qualité de ministre de la justice, de châtier votre incrédulité, et de vous porter à ne point vous soumettre à sa parfaite volonté. Ce même ennemi a réussi, par ses ruses, à vous faire tomber dans diverses fautes, se servant du prétexte de la bonne intention et d'une fin vertueuse; il a tâché aussi de vous persuader faussement que vous n'étiez point destinée à d'aussi grandes faveurs, parce que vous n'en méritez aucune; et par là il vous a rendue bien froide, bien lente à témoigner votre gratitude: comme si ces oeuvres du Très-Haut étaient non purement a gratuites, mais dues en justice. Il vous a singulière ment embarrassée par ces illusions, et vous a empêchée de pratiquer les grandes choses que vous pouviez faire avec la grâce, et de répondre à celle que vous recevez sacs l'avoir méritée. Il est temps, ma très-chère fille, de vous tranquilliser et de croire au Seigneur, et à moi, qui vous enseigne ce qui est le Y plus sûr et le plus haut de la perfection, qui consiste à m'imiter parfaitement; il est temps de vaincre l'orgueil et la cruauté du Dragon, et de lui briser la tête par la vertu divine. Rien ne vous autorise à paralyser l'effet de cette vertu; il faut au contraire que vous

 

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oubliiez tout ce qui est terrestre, pour vous abandonner amoureusement à la volonté de mon très-saint Fils et à la mienne, puisque nous n'exigeons de vous que ce qui est le plus saint, le plus louable, et le plus agréable à nos yeux et à notre bon plaisir. »

10. Cette leçon de mon auguste Mère et Maîtresse remplit mon âme d'une nouvelle lumière, et redoubla mon désir de lui obéir en tout. Je renouvelai mes bons propos; je résolus de m'élever au-dessus de moi-même avec la grâce du Très-Haut, et je fia tous nies efforts pour me préparer à accomplir sans résistance sa divine volonté. Je me servis de ce que la mortification a de plus rude et de plus douloureux, en dépit de la sensibilité excessive dont je me suis plainte précédemment; mais les attaques du démon ne cessaient point. Je reconnaissais que mon entreprise était fort difficile, et que l'état auquel le Seigneur m'appelait était un lieu de refuge bien haut pour que la faiblesse humaine pût y atteindre avec ses inclinations terrestres. Je ferai assez comprendre cette vérité et les retarda qui provenaient de ma fragilité et de ma bassesse, en confessant que le Seigneur, dans le cours de ma vie entière, a daigné travailler à me tirer de la poussière et de mon extrême abjection, en multipliant en ma faveur ses bienfaits à un point que je ne puis concevoir. Sa puissante droite les a tous dirigés à cette fin, et il n'est maintenant ni convenable et même possible de les raconter; je ne crois pourtant pas qu'il soit juste de les passer tous sous silence: il me semble que j'en dois découvrir quelques-uns, afin que l'on connaisse en quel malheureux état le péché nous a précipités, quelle distance il a mise entre la créature raisonnable et le terme des vertus et

 

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de la perfection auquel cette même créature peut parvenir, et combien il en coûte pour la remettre dans le chemin qui y conduit.

11. Quelques années avant de commencer à écrire cette troisième partie, je reçus à différentes reprises un grand bienfait de la divine Droite. Ce fut une espèce de mort, comme civile, pour ce qui concerne les opérations de la vie animale et terrestre, et cette mort me faisait entrer dans un nouvel état de lumière et d'opérations. Mais comme l'âme se trouve toujours revêtue de la mortelle et terrestre corruption, elle sent toujours un poids qui l'accable et l'abat (1), si le Seigneur ne réitère ses merveilles et ne la favorise du secours de la grâce. Il renouvela en moi dans cette occasion, par l'intermédiaire de la Mère de piété, la grâce dont je viens de faire mention; et cette très-douce Reine, me parlant dans une vision, me dit : « Sachez, ma fille, que vous ne devez plus vivre de votre vie ordinaire, mais de celle de votre époux Jésus-Christ en vous (2); il doit être la vie de votre âme et l'âme de votre vie. C'est pour cela qu'il a veut renouveler en vous, par ma main, la mort de votre a ancienne vie, qu'il a opérée auparavant à votre égard, et renouveler la vie que nous exigeons de vous. Qu’il soit donc dès aujourd'hui manifeste au ciel et à la terre que la soeur Marie de Jésus, ma fille et ma servante, a est morte au monde, et que c'est là l'oeuvre du bras du Tout-Puissant, qui veut que cette âme vive en a réalité des seules choses que la foi enseigné. On quitte tout par la mort naturelle, et Marie de Jésus, en s’arrachant à tout ce qui est visible, a laissé, en pleine

 

(1) Sap., IX, 15. — (2) Galat., II, 20.

 

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connaissance, par sa dernière volonté et par son testament, son âme à son Créateur et Rédempteur, son corps à la terre et aux souffrances, qu'elle accepte sans résistance. Vous nous chargeons , mon très-saint  Fils et moi, de cette âme , pour accomplir sa dernière  volonté, si par cette même volonté elle nous obéit avec promptitude. Et nous célébrons ses funérailles avec les habitants de notre cour, pour lui donner la  sépulture dans le sein de l'humanité sacrée du Verbe éternel, qui est le sépulcre de ceux qui meurent au monde pendant leur vie passagère. Désormais elle ne doit plus vivre en elle ni pour elle par les opérations propres à une tille d'Adam : car elle doit manifester en elle, par toutes ses opérations, la vie de Jésus-Christ, qui est sa propre vie. Je conjure mon Fils de regarder cette défunte avec son immense bonté, de recevoir son âme pour lui seul, et de la reconnaître pour étrangère sur, la terre, et pour habitante des  régions les plus sublimes et les plus divines. J'ordonne aux anges de la reconnaître pour leur compagne, et de traiter avec elle comme si elle était dégagée de la chair mortelle.

12 Je prescris aux démons de laisser cette défunte  comme ils laissent les morts qui ne sont point de leur juridiction, et sur qui ils n'ont aucun droit, puisque dies aujourd'hui elle doit être plus morte à tout ce qui est visible que ceux mêmes qui sont morts d'une mort naturelle. Je supplie les hommes de la perdre de  vue et de l'oublier comme ils oublient les morts, afin qu'ils la laissent reposer et ne la troublent point dans sa paix. Et pour vous, ô aime ! je vous commande et vous exhorte de vous assimiler à ceux qui ont réellement

 

(19 Philip., III, 20.

 

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cessé de vivre dans le siècle, et qui se trouvent pour une éternelle vie en la présence du Très-Haut. Je veux que vous les imitiez en l'état de la foi, puisque l'assurance de l'objet et la vérité sont les mêmes en vous qu'en eux. Votre conversation doit être dans le ciel (1), vos rapports avec le Seigneur de tout ce qui est créé et votre époux, vos entretiens avec les anges et les saints, toute votre attention doit se fixer sur moi, qui suis votre Mère et votre Maîtresse. Pour tout le reste qui est visible et périssable, il faut que vous n'ayez pas plus de vie, de mouvement, et que vous n'agissiez et n'opériez pas plus qu'un corps mort, qui ne donne aucune marque de vie et de sensibilité, quoi qu'il lui arrive et quoi qu'on lui fasse. Les injures ne doivent donc point vous inquiéter, ni les applaudissements vous émouvoir; vous ne devez ni sentir les outrages, ni vous plaire dans les honneurs, ni vous élever par la présomption, ni vous laisser abattre par le désespoir; il faut que vous veilliez constamment à réprimer en vous tous les mouvements, soit de colère, soit de concupiscence; car dans ces passions votre règle doit être celle d'un corps mort, qui en est entièrement libre. N'attendez pas non plus du monde plus de correspondance qu'il en a pour un corps mort; vous savez qu'il oublie bientôt ceux qu'il louait pendant leur vie, et celui-là même qui lui était le plus intimement cher, fût-ce un père, fût-ce un frère, il se bâte de l'éloigner de ses yeux dès que la mort l'a frappé; quant au défunt, il se laisse emporter partout sans se plaindre, sans

 

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ressentir les injures qu'on peut lui faire, et sans se soucier des vivants ni de tout ce qu'il laisse parmi eux.

13. « Quand vous serez ainsi morte, il ne vous tes. fera plus qu'à vous considérer comme la nourriture des vers, comme un objet d'abjection digne de toute sorte de rebuts et de mépris, afin que vous soyez comme dans la terre, si bien ensevelie dans la cou. naissance de votre misère et de votre corruption, que vos sens et vos passions n'exhalent aucune mauvaise odeur devant le Seigneur et parmi les vivants, faute d'une sépulture suffisante, ainsi qu'il, arrive à un cadavre peu profondément enterré. Si vous mon. triez que vous êtes encore vivante su monde et immortifiée en vos passions, vous causeriez (et vous êtes à même de le comprendre) une plus grande horreur à Dieu et aux saints que celle qu'auraient les a hommes de voir des cadavres hors de terre. User de vos puissances et de vos sens pour vous procurer la moindre délectation, doit vous paraître un fait aussi étrange, aussi choquant, que de voir remuer un mort. Mais cette mort salutaire que je vous demande vous disposera, vous préparera à être l'épouse favorite de mon très-saint Fils, ma véritable disciple et ma fille bien-aimée. Tel est l'état où je veux que vous soyez, et telle est la sagesse que je dois vous enseigner, afin que vous marchiez sur mes pas et que vous imitiez ma vie, retraçant en vous mes vertus dans le degré qu'il vous sera accordé. C'est le fruit que vous devez tirer du récit de mes excellences et des très-sublimes mystères: de ma sainteté que le Seigneur vous découvre. Je ne veux pas que ces mystères, déposés

 

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dans votre coeur, en sortent sans accomplir en vous la volonté de mon Fils et la mienne; cet accomplisse. meut sera pour vous la perfection souveraine. Car puisque vous buvez les eaux de la sagesse à leur propre source, qui est le Seigneur, il ne serait pas juste que vous fussiez dépourvue et altérée de ce que vous distribuez aux autres, et que vous achevassiez a d'écrire cette histoire sans profiter d'une si favorable occasion et d'un si grand bienfait que vous recevez. Préparez votre coeur par cette mort dans laquelle je veux que vous soyez, et vous obtiendrez la réalisation de vos désirs et des miens. »

14. Ainsi me parla la grande Reine du ciel dans cette circonstance, et dans plusieurs autres rencontres elle m'a renouvelé cette doctrine de vie éternelle que j'ai déjà résumée dans les instructions qu'elle m'a données sur les chapitres de la première et de la seconde partie, et je l'exposerai plus longuement dans cette troisième. On connaîtra assez par tout ce que j'ai écrit et que j'écrirai , combien j'ai été négligente à répondre à tant de bienfaits, puisque je me trouve toujours si peu avancée en la vertu, toujours fille d'Adam si vivace, quoique cette auguste Reine et son puissant Fils m'aient promis tant de fois que si je meurs à tout ce qui est terrestre et à moi-même, ils m'élèveront à un autre état fort sublime, et c'est ce que le Seigneur me promet,derechef par sa divine grâce. Cet état est une solitude profonde où, tout en étant au milieu des créatures, je n'aurais plus aucun commerce avec elles, où je jouirais seulement de la vue du Très-Haut, de sa très-sainte Mère et des saints anges, et ne participerais qu'il leurs communications, laissant le Seigneur diriger toutes mes

 

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opérations et tous mes mouvements par la force de sa divine volonté, pour les fins qui regardent sa plus grande gloire.

15. Le Très-Haut m'a exercée pendant tout le cours de ma vie, dès mon enfance, par diverses épreuves de continuelles infirmités, des douleurs et d'autres afflictions venant des créatures. Mais nies souffrances se sont augmentées avec mes années par une autre épreuve nouvelle qui m'a fait aisément oublier toutes les autres; car ce fut comme un glaive à double tranchant qui m'a percée jusqu'au coeur, et qui, suivant l'expression de l'Apôtre, a pénétré jusqu'à la division de l'âme et de l'esprit (1). Ç'a été la crainte dont j'ai fait souvent mention, et pour laquelle j'ai été reprise dans cette histoire. J'en ai été fort affligée dès mon enfance; mais elle est devenue excessive depuis mon entrée en religion, et depuis que je me suis entièrement appliquée à la vie spirituelle et (lue le Seigneur a commencé à se manifester davantage à mon âme. Dès lors le Seigneur m'étendit sur cette, croix, il mit mon coeur sous le pressoir, et je me demandais en tremblant si je marchais par le bon chemin, si je ne me laissais pas tromper par de vaines illusions, si je ne perdrais pas, la grâce et l'amitié de Dieu. Cette peine devint beaucoup plus grande par suite des indiscrétions imprudentes que quelques personnes commirent à cette époque, et qui me jetèrent dans une extrême désolation, et encore par suite des terreurs que d'autres personnes m'inspirèrent en me représentant que, j'étais dans le danger. De sorte que cette vive crainte s'enracina tellement dans mon coeur, qu'elle n'a jamais

 

(1) Hebr., IV, 12.

 

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cessé, et qu'il ne m'a pas été possible de la surmonter entièrement, ni parles assurances que mes confesseurs et mes supérieurs me donnaient, ni par les leçons qu'ils me faisaient, ni par les exhortations qu'ils m'adressaient, ni parles autres moyens dont ils se servaient pour cela. Il y a plus : les anges, la Reine du ciel et le Seigneur lui-même, me rassuraient continuellement, et en leur présence je me sentais libre et tranquille. Mais à peine étais-je sortie de la sphère de cette lumière divine, qu'incontinent j'étais combattue de nouveau avec tant de violence, qu'il fallait bien reconnaître que ces coups partaient du Dragon infernal et de sa cruauté et alors j'étais troublée, affligée, consternée, redoudant de la part de la vérité les mêmes dangers que si elle avait cessé de l'être. Cet ennemi redoublait surtout ses efforts pour m'empêcher de communiquer mes peines à mes confesseurs, et spécialement su supérieur qui me dirigeait; car ce prince des ténèbres ne craint rien tant que la lumière et le pouvoir qu'ont les ministres du Seigneur.

16. Entre l'amertume de cette douleur et le désir très-ardent de la grâce et de ne point perdre Dieu, j'ai vécu plusieurs années, pendant lesquelles se sont succédé en moi tant de divers événements, qu'il me serait impossible de les raconter. Je crois que la racine principale de cette crainte était sainte, mais il en sortait plusieurs branches infructueuses, quoique la Sagesse divine se servît de toutes pour ses fins; et c'est pour cela que le Seigneur permettait à l'ennemi de me tourmenter et de se prévaloir du remède même que sa divine Majesté daignait me ménager; car la crainte désordonnée et qui empêche le bien, quoiqu'elle ait du rapport avec la

 

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crainte juste et salutaire, est toujours mauvaise, vient toujours du démon. Mes afflictions ont été parfois si extrêmes, qu'il me semble que ç'a été un nouveau bienfait de n'avoir pas été privée de la vie passagère, et surtout de celle de l'âme. Mais le Seigneur, à qui les mers et les vents obéissent (1), à qui toutes choses servent, et qui donne à toutes les créatures leur nourriture su moment le plus opportun (2), a bien voulu par sa divine bonté rétablir le calme dans mon esprit et diminuer mes peines, afin que j'écrivisse avec tranquillité ce qui reste de cette histoire. Il y a déjà plusieurs années que le Très-Haut me consola, me promettant lui-même de me faire jouir du repos et de la paix intérieure avant, ma mort; et il me fit connaître que le Dragon était si furieux contre moi (2) parce qu'il prévoyait qu'il n'aurait plus guère de temps pour me persécuter.

17. Lorsque je me disposais à écrire cette troisième partie, sa divine Majesté m'adressa avec une bonté singulière ces paroles: « Mon épouse et ma bien-aimée, je veux adoucir vos peines et modérer vos afflictions ; tranquillisez-vous, ma colombe, et reposez dans la douce assurance de mon amour et dans la foi à ma puissante et royale parole, par laquelle je vous certifie que c'est moi qui vous parle et qui choisis vos voies pour accomplir mon bon Plaisir. C'est moi qui vous conduis par ces voies, et qui suis à la droite de mon Père éternel et dans le sacrement de l’Eucharistie sous les espèces du pain. Je vous donne cette certitude de ma vérité afin que vous vous rassuriez; car je ne veux point, ma bien-aimée, vous regarder comme

 

(1) Matth., VIII, 27. — (2) Ps. CXLIV, 15. — (2) Apoc., XII, 19.

 

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mon esclave, mais comme ma fille et mon épouse, et comme l'objet de mes complaisances et de mes délices. Il est temps que vos. frayeurs et vos amertumes cessent, il est temps que le calme et la sérénité renaissent dans votre coeur affligé. Certaines personnes croiront que ces caresses et ces assurances si fréquentes du Seigneur n'humilient point, et qu'il n'y a qu'à en jouir; pourtant est-il qu'elles plongent pour ainsi dire mon coeur dans la poussière, et m'accablent de mille inquiétude causées par les dangers qui m'environnent. Que si quelqu'un s'imagine le contraire, c'est qu'il n'a point expérimenté ces opérations, et qu'il ne comprend point ces secrets du Très-Haut. Il est vrai que j'ai remarqué un grand changement dans mon intérieur, et que j'ai reçu un soulagement sensible dans les peinés et les tentations qui provenaient de ces craintes désordonnées; mais le Seigneur est si sage et si puissant, que si d'un côté il rassure l'âme, de l'autre il l'excite à se tenir sur ses gardes, la met dans de nouvelles appréhensions de sa chute et des périls de la vie mortelle, et ne permet pas qu'elle échappe à la connaissance de sa misère et de sa bassesse.

18. Je puis bien avouer que par ces faveurs continuelles et plusieurs autres que j'ai reçues, le Seigneur a modéré mes craintes plutôt qu'il ne me les a ôtée, car je vis toujours dans l'appréhension de lui déplaire ou de le perdre, ne sachant comment je pourrai lui être agréable et répondre à sa fidélité, comment je pourrai aimer avec plénitude Celui qui est par lui-même le souverain bien, et qui est si digne de l'amour que je puis lui rendre et au delà. En proie à ces soucis, et considérant mon extrême misère, ma faiblesse et la multitude

 

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de mes péchés, je dis au Très-Haut. «Mon très-doux amour, Dieu de mon âme, quoique vous me donniez de si grandes assurances pour apaiser les troubles de mon cœur, comment, Seigneur, puis-je vivre sans. mes craintes parmi les dangers d'une vie si pénible, si pleine de tentations et d'embûches, et portant plus qu'aucune autre créature mort trésor dans un vase fragile (1) ? » Sa divine Majesté me répondit en ces termes avec une tendresse paternelle : « Mon épouse et ma bien-aimée, je ne veux pas que vous vous délassiez de la juste crainte que vous avez de m'offenser; mais ma volonté est que vous ne vous affligiez point à l'excès, et que de vains troubles ne vous empêchent pas d'arriver su a degré le plus parfait et le plus élevé de mon amour. Vous avez ma Mère pour règle et pour Maîtresse; c'est elle qui vous enseigne : tâchez de l'imiter. Je vous assiste par ma grâce, et je vous conduis par ma direction. Or, dites-moi, que me demandez-vous, ou  que voulez-vous pour votre sûreté et pour votre repos ? »

19. Je repartis au Seigneur avec toute la soumission possible, et lui dis : « Très-haut Seigneur et mon adorable Père, vous me demandez beaucoup quoique. je, doive toutes choses à votre bonté et à votre amour immense; mais je connais ma faiblesse et mon inconstance : il n'est rien qui puisse me contenter, sinon de ne point vous offenser par la moindre pensée ni par le plus petit dérèglement de mes puissances, et de parvenir à conformer tontes mes actions à votre bon plaisir.» Sa divine Majesté me répondit : « Mes secours continuels

 

(1) II Cor., IV, 7.

 

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ne vous manqueront pas, non plus que mes a faveurs, si vous y correspondez. Et afin que cette  correspondance vous soit plus facile, je veux faire à a votre égard une chose digne de l'amour avec lequel je vous aime. J'établirai entre mon Etre immuable et a votre petitesse une chaîne de ma providence spéciale, a à laquelle vous serez attachée de telle sorte, que si a, voua faites par fragilité ou délibérément quelque chose qui me déplaise, vous sentirez une force par a laquelle je vous arrêterai et vous attirerai à moi. Vous vous apercevrez dès maintenant de l'effet de cette faveur, et vous le sentirez en vous-même comme l'esclave qui est enchaînée afin qu'elle ne s'enfuie. »

20. Le Tout-Puissant a accompli. cette promesse à la grande joie et au grand avantage de mon âme; car, entre tant, de bienfaits que j'ai reçus de sa main libérale, et que je ne dois pas raconter ici, puisqu'ils sont cri dehors de mon sujet, il n'en est aucun qui ait été pour moi aussi précieux que celui-ci. Je le reconnais non-seulement dans les grands, mais dans les plus petits dangers; de sorte que si par négligence j'omets une pieuse pratique quelconque, comme d'incliner la tête ou de baiser la terre pour adorer le Seigneur lorsque j'entre dans le choeur (selon notre usage en religion); je sens aussitôt une douce force qui m'avertit de ma faute, et qui ne me laisse point (autant qu’il dépend d'elle) commettre la moindre imperfection. Et si quelquefois j'y tombe par suite de ma faiblesse, cette force divine vient incontinent à mon secours, et me cause nue si grande peine, que j'en si le coeur brisé. Cette douleur sert alors de frein pour réprimer en moi le moindre mouvement désordonné, et d'aiguillon pour m'exciter à

 

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chercher aussitôt le remède de la faute ou. de l'imperfection commise. Et comme le Seigneur ne se repent point de ses dons (1), il ne s'est pas contenté de m'accorder, celui que je reçois par cette chaîne mystérieuse; mais un jour, qui fut celui de son saint Nom et de sa Circoncision, je connus que dans sa divine bonté il triplait cette chaîne, afin de la rendre plus solide, et de me gouverner avec une plus grande force : car un triple lien, comme dit le Sage, se rompt difficilement (2). Telle est, ma faiblesse; qu'elle a besoin de toutes ces précautions pour n'être pas vaincue par tant de ruses et de tentations opiniâtres que l'ancien serpent emploie pour m'abattre.

21. Elles redoublèrent à cette époque à un tel point, que, nonobstant les bienfaits et les ordres du Seigneur que j'ai mentionnés, les prescriptions de mes supérieurs et plusieurs autres raisons que je passe sous silence, je faisais encore difficulté de commencer à écrire la dernière partie de cette histoire, parce que je subissais de nouveau l'influence des esprits de ténèbres qui, cherchaient à m'envelopper. C'est ce que je compris, et je me servirai des expressions de saint Jean qui dit au chapitre douzième de l'Apocalypse (3) : Que le grand Dragon roux lança de sa gueule un fleuve d'eau contre cette divine femme qu'il persécutait depuis qu'il se fut révolté dans le ciel ; et comme il ne put point l'engloutir, ni même l'atteindre, il se tourna fort irrité contre ceux qui restaient de la postérité de cette grande Dame, et qui se signalaient en rendant témoignage à Jésus-Christ dans son Église (4). Au temps dont je viens de parler, l'antique

 

(1) Rom., XI, 29. — (2) Eccles., IV, 12. — (3) Apoc., XII, 15. — (4) Ibid., 17.

 

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serpent montra sa rage contre moi , en me troublant et en me poussant, autant qu'il le pouvait, à commettre certaines fautes qui retardaient mes progrès dans la pureté et la perfection de vie que l'on demandait de moi , et m'empêchaient d'écrire ce que l'on m'ordonnait: Tandis que ce combat se passait dans mon intérieur, vint le jour auquel nous célébrons la fête du saint Ange gardien, c'est-à-dire le premier mars (1) ; me trouvant au choeur pour y dire matines, j'entendis tout à coup un très-grand bruit qui me pénétra d'une crainte respectueuse, et me porta à m'humilier profondément. Bientôt je. vis une nombreuse multitude d'anges qui remplissaient tout le choeur, et parmi lesquels il y en avait un plus brillant et plus beau qui était assis comme sur un tribunal de justice. Je sus à l'instant que c'était l'archange saint Michel. Et aussitôt ils me déclarèrent que le Très-Haut les envoyait avec une autorité spéciale pour juger mes négligences et mes péchés.

22. Je souhaitais me prosterner et redonna lire mes fautes avec beaucoup de larmes et d'humilité devant ces juges suprêmes : mais comme j'étais avec les religieuses, je n'osai faire aucune action extraordinaire, pour ne pas les distraire; je fis pourtant intérieurement tout mon possible pour pleurer mes péchés avec amertume et avec contrition. Dans cet état, je connus que les saints anges, conférant ensemble, disaient : Cette créature est inutile, négligente et peu zélée à faire ce que le Très-Haut, et notre Reine lui commandent; elle hésite à ajouter créance à leurs bienfaits, et aux continuelles illustrations dont nous l'avons favorisée. Privons-la

 

(1) C'était le jour auquel on solennisait alors cette tête.

 

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de tous ces bienfaits, puisqu'elle n'en profite point, et qu'elle ne veut pas embrasser cette pureté et cette perfection de vie que le Seigneur lui enseigne, ni achever d'écrire la vie de sa très-sainte Mère; malgré les ordres réitérés qu'elle en a reçus : or, si elle ne se corrige, il n'est pas juste qu'elle obtienne d'aussi grandes faveurs, et qu'une doctrine aussi saints lui soit enseignée. » Ces paroles m'affligèrent extrêmement et augmentèrent mes larmes. Accablée de confusion et de douleur, je m'adressai aux saints anges dans l'amertume de mon âme, et leur promis de me corriger de mes fautes, fallût-il mourir pour obéir su Seigneur et à sa très-pure Mère.

23. Après cette humiliation et ces promesses , les esprits angéliques tempérèrent quelque peu la sévérité qu'ils me témoignaient. Ils me répondirent avec plus de douceur que si j'exécutais promptement ce que je leur promettais, ils m'assuraient qu'ils me favoriseraient toujours de leur protection, et qu'ils m'admettraient en leur compagnie, pour communiquer avec moi comme ils communiquent entre eux. Je leur rendis des actions de grâces pour, ce bienfait, et je les priai de remercier pour moi le Très-Haut. Ils disparurent après m'avoir avertie qu'en retour du privilège qu'ils m'offraient, je devais les imiter en leur pureté , sans commettre délibérément aucune imperfection, et c'était la condition de leur promesse.

24. Tous ces événements et plusieurs autres qu'il ne convient pas que je rapporte, contribuèrent à m'humilier davantage, parce qu'ils me forçaient à me reconnaître plus répréhensible, plus ingrate et plus indigne de tant de bienfaits, de tant de saintes exhortations et

 

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de tant de commandements salutaires. Toute confuse et toute désolée; je réfléchis en moi-même que je n'avais aucune excuse pour résister davantage à la volonté divine en tout ce que je connaissais et qui m'était si important. Et prenant une résolution efficace de l’accomplir, ou de mourir à la tâche, je cherchai quelque moyen sensible, capable de m'exciter dans mes négligences, et de me porter, s'il était possible; à me purifier des. moindres imperfections et à faire toujours ce qui serait le plus saint et le plus agréable aux yeux du Seigneur. Or j'allai trouver mon confesseur, et je le priai avec toute la soumission et la sincérité possibles de nie reprendre sévèrement, et de m'obliger à devenir parfaite et diligente en tout ce qui était le plus conforme à la volonté divine, et à exécuter ce que le Très-Haut demandait de moi. Mais quoiqu'il fût très-vigilant et plein de sollicitude, comme tenant la place de Dieu, et connaissant sa très-sainte volonté et les voies par lesquelles il devait me conduire, il ne pouvait pas toujours m'assister, à cause des absences auxquelles les forçaient les charges qu'il avait en la religion. Je me décidai à m'adresser à une religieuse qui me faisait part de ses conseils, pour la prier de me les continuer et de lié faire pas difficulté de me reprendre dans toute sorte d'occasions. Je prenais tous ces moyens et plusieurs autres , par l'ardent désir. que j'avais de plaire au Seigneur, à sa très-sainte Mère et ma maîtresse, et aux saints anges, qui souhaitaient aussi mon avancement et ma plus grande perfection.

25. Lorsque j'étais dans ces empressements, il arriva une nuit que mon. saint ange gardien, m'apparut avec une douceur singulière, et me dit: « Le Très-Haut veut

 

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condescendre à vos désirs, et ordonne que je rem plisse près de vous l'office dont vous désirez si vivement que quelqu'un se charge. Je serai votre ami et votre compagnon fidèle qui vous avertirai et exciterai votre attention ; et à cet effet vous me trouverez présent, comme je le suis maintenant, dans toutes les rencontres auxquelles vous voue adresserez A moi avec le désir sincère de vous rendre plus agréable à votre Seigneur et votre Époux , et de lui garder une entière fidélité. Je vous enseignerai à le louer continuellement, et nous dirons ensemble ses louanges; je  vous découvrirai de nouveaux mystères de sa grandeur, et je vous donnerai des connaissances particulières de son Être immuable, de ses trésors et de ses perfections divines. Si, étant occupée par l'obéissance ou par la charité, vous vous laissez aller à une certaine négligence et attirer aux choses extérieures et terrestres, je vous appellerai et vous avertirai d'être attentive au Seigneur : pour cela je me servirai de quelques paroles, qui seront souvent celles-ci : Qui est semblable à Dieu, qui habite les lieux les plus élevés et dans les humbles de coeur (1) ? Quelquefois je  vous ferai souvenir des bienfaits que vous avez reçus de la droite du Très-Haut, et de ce que vous devez à son amour. D'autres fois je vous avertirai de le regarder et d'élever votre coeur à lui. Mais vous devez être ponctuelle, attentive et obéissante à mes avis.

26. Le Très-Haut ne veut pas non plus vous cacher davantage une faveur que vous avez ignorée jusqu'à

 

(1) Ps. CXI, 5, etc.

 

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cette heure parmi tant d'autres que sa bonté très-libérale vous a faites, afin que dès maintenant vous lui en témoigniez votre reconnaissance: c'est que je suis un des mille anges qui servaient à la garde de notre grande Reine pendant qu'elle était voyageuse sur la terre, et de ceux qui. étaient distingués par la devise de son admirable nom. Regardez-moi, et vous le verrez écrit sur ma poitrine. » Je regardai aussitôt, et je vis que ce saint nom y brillait gravé d'une manière merveilleuse; ce qui me causa une extrême consolation. Le saint ange, poursuivant son discours, me dit : « Le Seigneur m'ordonne aussi de vous faire savoir  que de ces mille anges il y en a eu fort peu et fort rarement qui aient été destinés à garder d'autres âmes; mais celles que nous avons gardées jusqu'à présent ont toutes été du nombre des saints, et il ne s'en est trouvé aucune qui ait été du nombre des  réprouvés. Or, considérez, ô âme, l'obligation que  vous avez de ne point renverser cet ordre: car si vous   vous perdiez après un si rare bienfait, votre châtiment  serait un des plus rigoureux que puissent subir les  habitants de l'enfer; et vous seriez regardée comme  la plus malheureuse et la plus ingrate des filles d'Adam. Que si j'ai été destiné à vous garder, après  avoir eu le bonheur d'être employé à la garde de notre  grande Reine l'auguste Marie, et Mère de notre Créateur, ç'a été par un ordre spécial de la très-haute  providence du Seigneur, qui vous avait choisie parmi  les mortels dans son entendement divin, pour écrire  la vie de sa très-sainte Mère, et en même temps pour  vous donner lieu de l'imiter, et qui a voulu aussi que  je vous assiste et que je vous enseigne en tout comme

 

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témoin immédiat de ses actions, de ses excellences et de ses vertus admirables.

« 27. Et quoique notre divine Maîtresse remplisse surtout cet office par elle-même, c'est moi qui vous fournis ensuite les termes et les images nécessaires pour exprimer ce qu'elle vous a enseigné; et je vous donne d'autres notions que le Très-Haut indique, afin que vous écriviez avec plus de facilité les mystères qu'elle vous a découverts. Vous avez l'expérience de tout cela, bien que vous n'ayez pas toujours connu l'ordre et le mystère caché de cette Providence; et que le Seigneur, vous accordant un singulier privilège, m'eût chargé de vous porter avec une douce force à imiter sa très-pure Mère et notre Reine, à lui obéir et à suivre sa doctrine. J'exécuterai dès à présent ce mandat avec plus de zèle et d'efficace. Déterminez donc d'être très-fidèle et très-reconnaissante à de si rares bienfaits, et de vous élever à ce que la perfection a de plus sublime; car c'est ce que l'on vous enseigne, et ce que l'on exige de vous. Et sachez que si vous acquériez celle des plus hauts séraphins, vous seriez encore fort redevable à une miséricorde  si abondante et si libérale. Ce nouveau genre de vie que le Seigneur demande de vous se trouve renfermé et tracé dans les instructions que vous recevez de notre grande Reine, et dans ce que vous apprendrez et écrirez encore dans cette troisième partie. Écoutez-le avec soumission, reconnaissez-le avec humilité, et exécutez-le avec diligence; car ce faisant vous serez bienheureuse. »

28. Le saint ange me déclara plusieurs autres choses dont le détail n'est pas nécessaire à mon sujet. Mais j'ai

 

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dans cette introduction dit ce qui précède, tant afin de découvrir en partie l'ordre que le Très-Haut a tenu à mon égard pour m'obliger à écrire cette histoire, que pour indiquer aussi quelque peu les fins que sa divine sagesse a eues en me l'ordonnant; et ces fins ne sent pas pour moi seule, mais pour tous ceux qui souhaiteront profiter du fruit de ce bienfait, comme d'un puissant moyen par lequel chacun peut rendre efficace en lui-même celui de notre rédemption. On se convaincra également que la perfection chrétienne ne s'acquiert point sans de grands combats contre le démon, et sans des efforts continuels pour vaincre les passions et surmonter les mauvaises inclinations de notre nature dépravée. Outre ce que je viens de rapporter, au moment où j'allais commencer cette troisième partie, la divine Mère et mon auguste Maîtresse me dit en souriant : « Que ma bénédiction éternelle et celle de mon très-saint Fils viennent sur vous, afin que vous écriviez le reste de ma vie, et qu'en même temps vous l'imitiez avec toute la perfection que nous désirons. Ainsi soit-il.

 

LIVRE SEPTIÈME. OU L'ON RAPPORTE LES DONS TRÈS-SUBLIMES QUE LA DIVINE DROITE FIT A LA REINE DU CIEL, AFIN QU'ELLE TRAVAILLAT DANS LA SAINTE ÉGLISE. — LA VENUE DU SAINT-ESPRIT. — LE FRUIT ABONDANT DE LA RÉDEMPTION, ET DE LA PRÉDICATION DES APOTRES. — LA PREMIÈRE PERSÉCUTION DE L'ÉGLISE. — LA CONVERSION DE SAINT PAUL ET L'ARRIVÉE DE SAINT JACQUES EN ESPAGNE. — L'APPARITION QUE CET APOTRE EUT DE LA MÈRE DE DIEU A SARAGOSSE, ET DE LA FONDATION DE LA CHAPELLE DE NOTRE-DAME-DU-PILIER.

 

CHAPITRE I. Après que notre Sauveur Jésus-Christ se fut assis à la droite du Père éternel, la bienheureuse Marie descendit du ciel sur la terre pour y affermir la nouvelle Église par son assistance et par son enseignement.

 

1. J'ai achevé heureusement la seconde partie de cette histoire, laissant notre grande Reine l'auguste Marie visible dans le Cénacle et assise dans l'empyrée à la droite de son Fils et Dieu éternel (1), également

 

(1) Ps. XLIV, 10.

 

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présente dans ces deux endroits de la manière miraculeuse que j'ai dite; car le Fils de Dieu et le sien, voulant rendre sa glorieuse ascension plus admirable, l'emmena avec lui pour la mettre en possession des récompenses ineffables qu'elle avait méritées jusqu'alors, et lui assigner la place qu'en vue de ses mérites passés et des autres qu'elle devait acquérir, il lui avait préparée de toute éternité. J'ai dit aussi que la très-sainte Trinité laissa au choix de cette divine Mère, de s'en retourner au monde pour la consolation des premiers enfants de l'Église évangélique et pour l'établissement de cette même Église, ou bien de demeurer éternellement dans le bienheureux état de la gloire, sans sortir de la possession qu'elle en avait reçue. Car les trois personnes divines penchaient, pour ainsi dire, à cause de l'amour qu'elles avaient pour cette créature incomparable, mais sous cette condition de lui laisser la liberté de son choir, à ne point la tirer de l'état sublime où elle se trouvait, et à ne point la renvoyer dans le monde parmi les exilés enfants d'Adam. D'un côté il semblait que la justice le demandât, puisque la passion et la mort de son Fils avaient déjà opéré la rédemption du monde, à laquelle elle avait coopéré avec toute la plénitude et toute la perfection possible. La mort, d'ailleurs, n'avait aucun droit sur elle, non-seulement à cause des douleurs inexprimables qu'elle souffrit lors du crucifiement de notre Sauveur Jésus-Christ (comme je l'ai rapporté en son lieu), mais encore parce que cette grande Reine ne fut jamais tributaire de la mort, du démon, ni

 

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du péché, et qu'ainsi la loi commune des enfants d'Adam (1) ne lui était point applicable. C'est pourquoi on pourrait dire que le Seigneur souhaitait en quelque sorte que, sans mourir comme eux, elle passât par une autre voie de l'état de voyageur à celui de compréhenseur, et de la mortalité à l'immortalité, sans que la mort atteignit sur la terre Celle qui n'y avait commis aucun péché peur la mériter; et le Très-Haut pouvait assurément la faire passer, dam le ciel même, d'un état à l'autre.

2. D'un autre coté, 1a charité et l'humilité de cette admirable et tendre Mère la pressaient de s'en retourner; car l'amour l'excitait à secourir ses enfants, à faire connaître et glorifier le nom du Très-Haut dans la nouvelle Église. Elle désirait aussi attirer un grand nombre de personnes à la profession de la foi par ses soins et par son intercession, et imiter ses enfants et ses frères du genre humain en mourant comme eux sur la terre, quoiqu'elle ne dût point payer ce tribut, puisqu'elle n'avait point péché (2). En outre elle considérait, dans sa merveilleuse sagesse, qu'il était bien plus avantageux de mériter l'accroissement de la récompense dans la gloire, que de la posséder pour quelque peu de temps, et même pour l'éternité, sans espérance de pouvoir augmenter cette récompense par ses mérites. Cette humble sagesse de la bienheureuse Vierge lui procura aussitôt une nouvelle gloire; car le Père éternel fit savoir à tous les courtisans

 

(1) Hebr., IX, 27. — (2) Rom., VI, 23.

 

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lestes ce que sa divine Majesté souhaitait et ce que la très-pure Marie choisissait pour le bien de l'Église Militante et pour le secours des fidèles. De sorte que tous les bienheureux connurent alors dans le ciel ce qu'il est juste que nous connaissions maintenant sur la terre : c'est que, comme le Père éternel, pour emprunter le langage de saint Jean (1), a tant aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique pour le racheter, de même il a donné une autre fois sa Fille l'auguste Marie., l'envoyant de l'empyrée sur la terre pour affermir l'Église que Jésus-Christ avait fondée; aussi, pour le même sujet, le Fils a donné sa très-chère Mère, et le Saint-Esprit sa très-douce Épouse. Ce bienfait eut lien dans des circonstances qui le relevbrent beaucoup, car il suivit de bien près les injures que notre Rédempteur Jésus-Christ avait reçues en sa passion et en sa mort ignominieuse, et qui avaient rendu le monde encore plus indigne de cette faveur. O amour infini ! ô charité immense ! comme vous nous prouvez que les grandes eaux de nos iniquités ne sauraient vous éteindre (2) !

3. Après que la bienheureuse Marie eut demeuré trois jours entiers dans le ciel, jouissant de la gloire en corps et en âme, à la droite de son Fils et Dieu véritable, et la volonté qu'elle avait de retourner sur là terre ayant été exaucée, elle partit des hauteurs de l'empyrée pour revenir au monde avec l'a bénédiction de la très-sainte Trinité. Sa divine Majesté ordonna à

 

(1) Joan., III, 16. — (2) Cant., VIII, 7.

 

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une multitude innombrable d'anges de l'accompagner, en choisissant pour former ce cortége dans tous les choeurs,'et la plupart parmi les séraphins sublimes qui se tiennent le plus près du trône de la Divinité. Elle entra dans une nuée éclatante qui lui servait comme d'un char lumineux conduit par les séraphins eux-mêmes. L'intelligence humaine ne saurait se représenter combien la beauté et la splendeur de cette auguste Reine brillaient au dehors; et il est certain que naturellement aucune créature vivante n'eût pu la regarder sans mourir. C'est pourquoi, quand elle fut dans le Cénacle, il fallut que le Très-Haut voilât ses splendeurs aux yeux de ceux qui la regardaient, jusqu'à ce que tes rayons qui rejaillissaient de sa personne eussent été tempérés. Il ne fut donné qu'à l'évangéliste saint Jean, par un privilège spécial, de la voir dans toute la force et dans tout l'éclat de la lumière dont l'avait revêtue la gloire dont elle avait joui. Comment douter de la beauté ravissante que cette magnifique Reine du ciel devait avoir en descendant du trône de la très-sainte Trinité, puisque le visage de Moïse jetait de si vifs rayons de lumière après son entretien avec Dieu sur la montagne de Sinaï, où il reçut la loi, que les Israélites ne pouvaient en supporter la splendeur (1) ? Et nous ne savons pas si ce prophète vit clairement la Divinité; d'ailleurs, quand il l'aurait vue, il est bien certain que cette vision aurait été infiniment au-dessous de celle qu'eut la Mère de Dieu lui-même.

 

(1) Exod., XXXIV, 29.

 

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4. Notre grande Darne arriva au Cénacle comme substituée à son très-saint Fils dans l'Église nouvelle. Elle y vint si enrichie des dons de la grâce pour ce ministère, que leur abondance fut un nouveau sujet d'admiration pour les anges, et d'une espèce d'étonnement pour les saints; car elle était une vivante image de Jésus-Christ, notre Rédempteur et nôtre Maître. Elle descendit de la nuée lumineuse dans laquelle elle venait, et , sans être aperçue de ceux gui se trouvaient dans le Cénacle, elle rentra dans son état naturel, en tant qu'elle ne se trouvait plus que dans ce seul lieu. Aussitôt la Maîtresse de la sainte humilité se prosterna, et, s'humiliant profondément, elle dit : « Mon adorable Seigneur, voici ce chétif vermisseau de terre dont je reconnais que j’ai été  formée (1), passant du néant à l'être que je dois à  votre clémence très-libérale. Je reconnais aussi, ô  Père éternel, que votre bonté ineffable m'a tirée  de la poussière, sans que je l'eusse mérité, pour  m'élever à la dignité de Mère de votre Fils unique. Je loue et glorifie de tout mon coeur votre miséricorde infinie pour une si grande faveur. Et en reconnaissance de tant de bienfaits je m'offre à vivre   et à travailler de nouveau dans cette vie mortelle  tout le temps qu'il plaira à votre sainte volonté. Je  me dévoue à être votre fidèle servante et celle des  enfants de la sainte Église; je les présente tous

devant votre immense charité, et je vous supplie,

 

(1) Gen., II, 7.

 

Seigneur, du fond de mou coeur, de les regarder en Dieu et en Père plein de clémence. Je vous offre  pour eux le sacrifice que je fais en me privant de votre gloire et du repos pour les servir, et en choisissant volontairement de souffrir et de cesser de  jouir de votre claire vue, pour m'employer à ce qui vous est si agréable. »

5. Les saints anges qui étaient venus du ciel avec l'auguste Marie, prirent congé d'elle pour s'en retourner, félicitant de nouveau la terre de ce qu'ils y laissaient leur grande Reine. Et je fais remarquer en écrivant ceci que les princes célestes me demandèrent pourquoi, dans cette histoire, je ne donnais pas plus souvent à la bienheureuse Marie le titre de Reine des anges, et me dirent de prendre garde d'y manquer dans la suite, à cause de la grande satisfaction qu'ils recevaient quand on le lui donnait. Ainsi, pour leur obéir et leur plaire, désormais je l'appellerai souvent de ce nom. Et reprenant mon récit , je dois dire que pendant les trois premiers jours que la divine Mère passa dans le Cénacle après être descendue du ciel, elle resta fort élevée au-dessus de tout ce qui est terrestre, jouissant de la consolation et des admirables effets do la gloire dont elle avait été comblée dans le ciel les trois antres jours précédents. Parmi tous les mortels l'évangéliste saint Jean eut alors seul connaissance de ce mystère caché, car il lui fut manifesté dans une vision comment la grande Reine du ciel y était montée avec son très-saint Fils, et il la vit descendre avec la gloire et les grâces avec lesquelles elle

 

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revenait au monde pour enrichir l'Église. Dans l'admiration qu'excitait en saint Jean un mystère si nouveau, il fut durant deux jours comme ravi hors de lui-même. Et sachant que sa très-sainte Mère était déjà descendue des hauteurs de l'empyrée, il brûlait de lui parler, mais il n'osait se le permettre.

6. L'apôtre bien-aimé balança presque tout un jour entre les empressements d'un amour respectueux et les craintes de son humilité. Cédant enfin à l'affection filiale, il résolut d'aller trouver sa divine Mère dans le Cénacle; mais, au moment où il s'y rendait, il s'arrêta et se dit en lui-même : « Comment oserai-je satisfaire mes désirs sans d'abord savoir la volonté

du Très-Haut et celle de mon auguste Dame? Mais  mon Rédempteur et mon adorable Maître me l'a  donnée pour Mère, et m'a favorisé du titre de fils; or, mon devoir est de la servir et de l'assister; elle  n'ignore point mes désirs, et je ne crois pas qu'elle  les rejette; elle est une Mère très-douce et très compatissante : elle me pardonnera; je veux me  prosterner à ses pieds. » Saint Jean s'enhardit par ces pensées, et pénétra dans le lieu où la divine Reine était en prière avec les autres fidèles. Et aussitôt qu'il l'eut regardée, il tomba le visage contre terre, sentant à peu près les mêmes effets que lui et les deux autres apôtres sentirent sur le Thabor quand le Seigneur se transfigura à leurs yeux (1); car la splendeur que saint Jean découvrit sur le visage de la bienheureuse

 

(1) Matth., XVII, 2.

 

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Vierge était fort semblable à celle de notre Sauveur Jésus-Christ. Et comme il conservait encore le souvenir de la vision dans laquelle il l'avait vue descendre du ciel, sa faiblesse naturelle fut accablée par une plus grande force, et c'est pour cela qu'il tomba. Dans l'admiration et la joie où il était, il resta près d'une heure ainsi prosterné, sans pouvoir se relever, rendant à la Mère de son Créateur le culte de sa profonde vénération. Les autres apôtres et les disciples qui étaient dans le Cénacle ne furent pas surpris de le voir si longtemps en cette humble posture, parce qu'à l'exemple de leur divin Maître et de la très-pure Marie, les fidèles en attendant le Saint-Esprit se prosternaient souvent en forme de croix, et ils y demeuraient des heures entières en prière.

7. Le saint apôtre étant ainsi prosterné, la compatissante Mère s'en approcha et le releva de terre; et se manifestant à lui d'une manière plus naturelle, elle-même se mit à genoux et lui dit : « Mon seigneur  et mon fils, vous savez que je ne dois agir que par  vos ordres, et que c'est vous qui devez me diriger  dans toutes mes actions, attendu que vous êtes en  la place de mon très-saint Fils et mon divin Maître  afin de me prescrire tout ce que je dois faire; et je  veux vous prier de nouveau d'être ponctuel en cela  pour me procurer la consolation que j'ai à obéir. » L'humble apôtre fut tout confus en entendant ces paroles; et, plus frappé encore de ce qu'il avait vu et connu en notre auguste Princesse, il se prosterna de nouveau en sa présence, s'offrant à être son esclave

 

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et la suppliant de le commander et gouverner en toutes choses. Saint Jean persista encore quelque temps dans ces instances, jusqu'à ce que, vaincu par l'humilité de notre Reine, il se soumit à sa volonté et se résigna, pour mieux lui obéir, à la diriger comme elle le désirait : c'était pour lui le parti le plus sage, comme pour nous un rare et puissant exemple bien propre à confondre notre orgueil et à nous apprendre à le dompter. Et si nous nous prétendons les enfants et les dévots de cette divine Mère et Maîtresse de l'humilité, il est juste que nous l'imitions. Les puissances intérieures du saint évangéliste furent si pénétrées des impressions que lui fit l'état dans lequel il avait vu la grande Reine des anges, que l'image en resta gravée dans son âme pendant toute sa vie. En cette occasion, lorsqu'il la vit descendre du ciel, il fut saisi d'une admiration extraordinaire, et il exprima ensuite dans l'Apocalypse les idées qu'il lui fut donné de concevoir, surtout dans le chapitre vingt et unième, comme je le dirai dans le chapitre suivant.

 

Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.

 

8. Ma fille, je vous ai déjà répété bien souvent de vous débarrasser de tout ce qui est visible et terrestre, et de mourir à vous-même et à ce que vous avez de la

 

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fille d'Adam. C'est la doctrine que je n'ai cessé de vous inculquer, et ce sont les leçons que vous avez écrites dans la première et dans la seconde partie de ma vie; maintenant je vous appelle avec un redoublement de tendresse maternelle, et je vous convie au nom de mon Très-saint Fils, au mien, et de la part de ses anges (qui vous affectionnent beaucoup aussi), d'oublier toutes les autres choses créées et de vous élever à une autre vie, vie nouvelle, plus sublime et plus céleste, qui se rapproche de la félicité éternelle. Je veux que vous vous éloigniez entièrement de la Babylone, de vos ennemis, des illusions et des vanités par lesquelles ils vous persécutent, que vous vous approchiez de la sainte cité de la Jérusalem céleste, que vous demeuriez dans ses parvis pour .y travailler de toutes vos forces à m'imiter aussi parfaitement que possible, et qu'ainsi vous arriviez, avec le secours de la divine grâce, à l'union la plus intime avec mon Seigneur, votre divin et très-fidèle Époux. Écoutez donc ma voix, ma très-chère fille, avec les dispositions d'une dévotion généreuse. Suivez-moi avec ferveur, et renouvelez votre vie sur le modèle que vous tracez de la mienne, en observant ce que je fia après que j'eus quitté la droite de mon très-saint Fils pour m'en retourner an monde. Considérez et. pénétrez avec attention mes œuvres, afin que, selon la grâce que vous recevrez, vous reproduisiez dans votre âme ce que vous en connaîtrez et écrirez. Le secours divin ne vous manquera point, si vous ne vous en rendez indigne par votre négligence; car le Très-Haut ne le refuse

 

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jamais à ceux qui font de leur côté tout leur possible pour accomplir son bon plaisir. Préparez votre coeur, agrandissez sa capacité, animez votre volonté, purifiez votre entendement, et débarrassez vos puissances de toutes les images des créatures visibles, afin qu'aucune ne vous gène et ne vous fasse commettre la moindre imperfection, que le Très-Haut puisse vous confier les secrets de sa sagesse, et que par elle vous soyez prête à faire promptement ce que nous vous enseignerons être le plus agréable à nos yeux

9. Votre vie doit être dès aujourd'hui semblable à celle de ceux qui renaissent par la résurrection, après avoir perdu celle qu'ils avaient auparavant. Et de même que ceux qui reçoivent ce bienfait reviennent ordinairement à la vie tout renouvelés, et se regardent comme étrangers au milieu de tout ce qu'ils aimaient naguère, changeant les désirs, réformant les inclinations qu'ils avaient, et agissant en tout d'une manière différente, de même, ma fille, et à un plus haut degré encore, je veux due vous soyez renouvelée; car vous devez vivre comme si vous commenciez à participer aux dons de la gloire, dans la mesure que vous rendra possible la puissance divine qui opérera en vous. Mais pour éprouver ces effets si divins, il. faut que vous vous aidiez, que vous prépariez tout votre coeur, et due vous deveniez libre et comme une table bien polie sur laquelle le Très-Haut puisse de son doigt divin écrire et dessiner, ou encore comme une cire molle et sans résistance sut laquelle il puisse imprimer le sceau de mes vertus. Sa Majesté

 

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veut que vous soyez en sa main puissante un instrument propre à opérer sa volonté sainte et parfaite or, l'instrument ou l'outil ne résiste point à la main de l'artisan, et s'il a une volonté, il ne s'en sert que pour se laisser mouvoir. Courage donc, ma très-chère fille; venez, venez où jb vous appelle, et sachez que si c'est le propre du souverain bien de se communiquer et de favoriser ses créatures en tout temps , ce très-doux Père des miséricordes veut encore dans le siècle présent manifester davantage sa clémence libérale envers les mortels; car leur temps approche de sa fin , et il y en a peu qui veuillent se disposer à recevoir les dons de sa puissante droite. Ne perdez point, ma fille, une occasion si favorable; suivez-moi et courez sur mes traces, et n'attristez pas le Saint-Esprit en vous arrêtant, lorsque je vous convie avec un amour maternel à un si grand bonheur et à une doctrine si sublime et si parfaits.

 

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CHAPITRE II. Où l'on voit que l'évangéliste saint Jean, dans le chapitre vingt et unième de l'Apocalypse, parle expressément de la vision qu’il eut quand il vit descendre du ciel la bienheureuse Marie.

 

10. Notre Sauveur Jésus-Christ ayant donné du haut de la croix, à l'apôtre saint Jean, la dignité et le titre si excellent de Fils de l'auguste Marie (1), comme choisi pour tare l'objet de sort divin autour, il fallait que ce disciple bien-aimé fût aussi le secrétaire des mystères ineffables de cette grande peine, qui étaient plus cachés aux autres. C'est pour cela qu'il lui en fut révélé plusieurs qui s'étaient précédemment passés est elle, et qu'on le fit comme témoin oculaire du prodige mystérieux qui arriva le jour de 1'Asccusion du Seigneur, puisqu'il fut donné à cet aigle sacré de voir monter le Soleil de justice notre Seigneur Jésus-Christ avec une lumière sept fois plus éclatante, suivant la parole d'Isaïe (2), et la Lune, avec une lumière semblable à celle du Soleil, à cause de la ressemblance qu'elle avait avec lui. Le bienheureux évangéliste la vit monter et se placer à la droite de sou Fils; il la vit aussi descendre (comme je l’ai rapporté)

 

(1) Joan., XIX, 26. — Isa., XXX, 26.

 

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avec une nouvelle admiration ; car il vit et connut la transformation qu'avant de descendre sur la terre elle avait subie, en passant par la gloire ineffable qu'elle avait reçue dans le ciel avec tant de nouvelles influences de la Divinité et une si large participation à ses attributs. Notre Sauveur Jésus-Christ avait déjà promis aux apôtres qu'avant de monter au ciel il conviendrait avec sa Hère qu'elle demeurât avec eux dans l'Église pour leur consolation et pour leur instruction, comme je l'ai dit à la fin de la seconde partie. Mais l'apôtre saisit Jean, dans la joie et l'admiration qu'il avait de voir cette auguste Reine à la droite de notre Sauveur Jésus-Christ, oublia pour quelque temps cette promesse; et, absorbé dans la contemplation d'une merveille si inouïe, il en vint à craindre que la divine Mère ne quittât plus la gloire dont elle jouissait. Dans ce doute, le saint évangéliste souffrit parmi les douceurs qu'il goûtait, des peines amoureuses qui l’affligèrent beaucoup, jusqu'à ce qu'il se fût ressouvenu des promesses de son divin Maître, et qu'il eût vu redescendre sa très-sainte Mère sur la terre.

11. Les mystères de cette vision furent si bien gravés dans la mémoire de saint Jean, qu'il ne les oublia jamais, non plus que les autres qui lui furent révélés sur la grande Reine des anges. L'écrivain sacré désirait ardemment laisser à cet égard quelques détails il la sainte Église. Mais la très-prudente humilité de l'auguste Marie l'empêcha de les découvrir pendant qu'elle vivait, et il lui persuada de les tenir cachés

 

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dans son coeur jusqu'à ce que le Très-Haut en ordonnât autrement, parce qu'il n'était pas convenable de les manifester au monde avant le moment fixé. Le saint apôtre obéit à la divine Mère. Et lorsque la Sagesse éternelle jugea à propos que l'évangéliste, avant de mourir, enrichit l'Église du trésor de ces mystères cachés, ce fut par un ordre spécial du Saint-Esprit qu'il les enveloppa de métaphores et d'énigmes aussi difficiles à entendre que l'Église le reconnaît. Aussi était-il convenable qu'ils ne fument point découverts à tous, mais enfermés comme les perles dans leurs coquilles et comme l'or dans les mines, afin que la sainte Église les tirât à l'aide de nouvelles lumières et de nouveaux efforts quand elle en attrait besoin, et qu'en attendant ils fussent comme en dépôt dans l'obscurité des livres sacrés, obscurité que les saints docteurs avouent trouver surtout dans le livre de l'Apocalypse.

12. J'ai dit quelque chose dans le cours de cette divine histoire des soins que la Providence du Très-Haut prit à cacher la grandeur de sa très-sainte Mère dans la primitive Église; mais je ne laisserai pas que de les faire remarquer de nouveau pour prévenir la surprise des personnes qui pourraient maintenant s'étonner des nouveaux détails qu'elles connaîtront. Or, pour dissiper les doutes que l'on peut se former là-dessus, il suffît de considérer ce que divers saints docteurs remarquent, savoir que Dieu cacha aux Juifs le corps et la sépulture de Moïs (1), pour

 

(1) Deut., XXXIV, 6.

 

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empêcher que ce peuple, si porté à l'idolâtrie, n'adorât les restes du prophète, qu'il avait tant estimé, ou qu'il ne l'honorât d'un culte vain et superstitieux. Ils disent que ce fut pour la même raison que, lorsque Moïse décrivit la création du monde et de toutes les créatures qu'il renferme , il ne parla point expressément de la création des anges, quoiqu'ils fessent les plus nobles des êtres; mais à la comprit dans ces paroles qu'il dit : Dieu créa la lumière (1), nous f4isaut par là entendre la lumière matérielle qui éclaire ce monde visible , et nous signifiant en mémé temps sous une métaphore obscure ces lumières substantielles et spirituelles, qui sont les saints anges, dont il n'était pas convenable de donner alors une notion plus claire.

13. Si la contagion de l'idolâtrie a causé tant de rayages parmi le peuple Hébreu par suite du voisinage et du commerce des Gentils, assez aveugles pour attribuer la divinité à toutes les créatures qui leur semblaient grandes, puissantes et douées d'une supériorité quelconque, les mêmes Gentils eussent été bien plus exposés à tomber dans l'erreur, si, dans le temps que l'on commençait à leur prêcher l'Évangile et la foi de notre Sauveur Jésus-Christ, on leur eût proposé simultanément l'excellence de la bienheureuse Mère. Le témoignage de saint Denis l'Aréopagite nous est une preuve assez convaincante de cette vérité; c'était un philosophe si sage, qu’il connut

 

(1) Gen., I, 3.

 

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le Dieu de la nature; et pourtant, lorsque, déjà catholique, il put voir et entretenir l'auguste Marie, il dit que, si la foi ne lui eût enseigné qu'elle était une simple créature, il l'aurait prise pour une divinité, et adorée comme telle. Les Gentils plus ignorants seraient tombés facilement dans cette erreur ; ils auraient confondu la divinité du Rédempteur,qu'ils devaient admettre, avec la grandeur de sa bienheureuse Mère, si on la leur eût proposée en même temps ; et ils se seraient imaginé qu'elle était Dieu comme son Fils, puisqu'ils étaient si semblables en sainteté. Mais ce danger n'est plus à craindre maintenant que la loi et la foi de l'Évangile sont si enracinées dans l'Église, qui est si éclairée par la doctrine des saints docteurs, et par tant de merveilles que Dieu a opérées pour la manifestation du Rédempteur. Car nous savons d'une manière très-certaine que lui seul est Dieu et homme véritable , plein de grâce et de vérité (1), et que sa Mère est une simple créature, qui, sans avoir la divinité, fut pleine de grâce, immédiatement au-dessous de Dieu , et au-dessus de toutes les autres créatures. Or, dans ce siècle si éclairé par les vérités divines, le Seigneur sait quand et entourent, il convient d'augmenter la gloire de sa très-sainte Mère, en découvrant les énigmes et les secrets des saintes Écritures, où il la tient renfermée.

14. L’évangéliste a écrit dans un style métaphorique le mystère dont je traite ici , et beaucoup

 

(1) Joan., I, 14.

 

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d'autres qui concernent notre grande Reine, au chapitre vingt et unième de l'Apocalypse, notamment quand il appelle l'auguste Marie la sainte Cité de Jérusalem , et qu'il la décrit avec les détails qui remplissent le reste de ce chapitre. Et quoique je l'aie expliqué plus amplement dans la première partie, le divisant en trois chapitres, et l'appliquant (selon les lumières que j'avais reçues) au mystère de l'immaculée conception de la Reine des anges, il faut maintenant l'expliquer par rapport au mystère de la descente qu'elle fit du ciel sur la terre après l'ascension de son très-saint Fils. On ne doit pas en conclure que ces explications soient le moins du monde contradictoires ou inconciliables : elles se trouvent toutes deux dans la lettre du texte sacré; et assurément la sagesse divine peut renfermer plusieurs mystères dans un même discours; nous pouvons entendre dans une de ses paroles deux choses sans équivoque et sans répugnance, comme David dit, les avoir entendues (1). C'est à une des causes qui rendent difficile l'intelligence de l'Écriture sainte, et cela était nécessaire, afin que ses obscurités la rendissent en mime temps plus féconde et plus estimable, et que les fidèles apprissent à l'étudier avec plus d'humilité, d’attention et de respect. Que si elle est pleine de tant de mystères et de métaphores, c'est parce que dans ce style où il peut mieux exprimer beaucoup de mystères sans se faire violence pour chercher des termes plus propres.

 

(1) Ps. LXI, 11.

 

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15. On comprendra mieux cela à propos du mystère dont nous parlons, puisque saint Jean dit qu'il vit descendre du ciel la sainte Cité de la Jérusalem nouvelle, ornée, etc. (1). Il est certain que la métaphore de cité convient véritablement à l'auguste Marie; et qu'elle descendit du ciel après y être montée avec son très-saint Fils, ainsi que lors, de la conception immaculée, en laquelle elle descendit de l'entendement divin, où elle avait été formée comme une terre, nouvelle et un ciel nouveau , selon qu'il a été marqué, dans la première partie. L'évangéliste entendit ces deux mystères lorsqu'il la vit cette fois descendre corporellement, et il les renferma dans un seul chapitre. Ainsi il faut maintenant l'expliquer selon ce sens; et quoique je répète la lettre du texte sacré, ce sera d'une manière plus succincte, à cause de ce que j'ai déjà dit dans la première explication. Et en celle-ci je parlerai au nom de l'évangéliste, pour mieux m'astreindre à la lettre.

16. Je vis, dit saint Jean , un nouveau ciel et une nouvelle terre ; car le premier ciel et la première terre avaient disparu, et il n'y avait plus de tuer (2). Il appela la très-sainte humanité du Verbe incarné , et celle de sa divine Mère nouveau ciel et nouvelle terre : ciel par l'habitation, et nouveau par le renouvellement. La Divinité habite en notre Sauveur Jésus-Christ en unité de personne , par une union substantielle et indissoluble (3); et en Marie, par

 

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une effusion particulière de la grâce après Jésus-Christ. Ces cieux sont nouveaux; car il vit l'humanité passible, qui, après avoir subi tous les supplices et jusqu'à la mort, avait été déposée dans le sépulcre, élevée, placée à la droite du Père éternel, et couronnée de la gloire et des dons qu'elle mérita par sa vie et par sa mort. Il vit aussi la Mère, qui lui avait donné cet être passible, et qui avait coopéré à la rédemption du genre humain, assise à la droite de son Fils (1), et plongée dans l'océan de la lumière divine et inaccessible , participant à la gloire de son Fils comme Mère, et comme s'y étant acquis un droit par ses oeuvres pleines d'une charité ineffable. Il appela aussi nouveau ciel et nouvelle terre la patrie des vivants, éclairée, parla lampe de l'Agneau (2), ornée des trophées de ses triomphes, et embellie par la présence de sa Mère, le royaume éternel dont ils avaient pris possession en qualité de Roi et Reine légitimes et véritables. Ils le renouvelèrent par leur vue et par la nouvelle joie qu'ils communiquèrent à ses anciens habitants, et par l'introduction des nouveaux enfants d'Adam, qu'ils y menèrent pour le peupler comme citoyens qui n'en devaient jamais sortir. Par cette transformation le premier ciel et la première terre disparurent ; non-seulement parce que le ciel de la très-sainte humanité de Jésus-Christ, et celui de Marie (où il avait vécu comme dans le premier ciel) passèrent dans les demeures éternelles, en y entraînant

 

(1) Apoc., XXI, 2. — (2) Ibid., 1. — (3) Col., II, 9.

 

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la terre de l'être humain; mais aussi parce que dans ce premier ciel et dans cette première terre les hommes passèrent de l’être passible à l'état de l'impassibilité. Les rigueurs de la justice disparurent, et le repos leur succéda. L'hiver des afflictions cessa, et le doux printemps des joies et des délices éternelles arriva (1). Le premier ciel et la première terre de tous les mortels disparurent aussi : car notre Seigneur Jésus-Christ entrant avec sa bienheureuse Mère dans la céleste Jérusalem , brisa les serrures qui la fermaient depuis cinq mille deux cent trente-trois ans, afin que personne n'y pénétrât et que tons les hommes restassent sur la terre, jusqu'à ce que la justice divine eût obtenu satisfaction de l'offense qu'elle avait reçue par leurs péchés.

17. La très-pure Marie devint d'une manière spéciale un nouveau ciel et une nouvelle terre, en montant avec son Fils, notre Sauveur Jésus-Christ, et en prenant possession de sa droite eu la gloire de l'âme et du corps, sans avoir passé par la commune mort de tous les enfants des hommes. Et quoiqu'elle fût auparavant ciel en la terre de sa condition humaine, où la Divinité résidait sous une forme tout à fait particulière , ce premier ciel et cette première terre disparurent en cette grande Dame, et se transformèrent, par une opération merveilleuse, en un nouveau ciel et en une nouvelle terre, où Dieu habitait avec une gloire souveraine entre toutes les créatures.

 

(1) Cant., II, 11.

 

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Grâce à ce prodige, en cette nouvelle terre, en laquelle Dieu habitait, il n'y eut plus de mer; car les amertumes et les tempêtes des tribulations eussent cessé d'exister pour elle , si elle eût voulu dès lors demeurer dans ce bienheureux état. Et pour ce qui regarde les autres, qui demeurèrent en âme et en corps, ou seulement en âme dans la gloire, il n'y eut aussi plus de mer orageuse, comme en la première terre de la mortalité.

18. Et moi Jean, poursuit l'évangéliste, je vis la sainte Cité de Jérusalem qui descendait du ciel et venait de Dieu, préparée comme une épouse qui s'est ornée pour soit époux (1). C'est à moi, indigne apôtre de Jésus-Christ, qu'un mystère si caché a été découvert, afin que je le fisse connaître au monde : je vis la Mère du Verbe incarné , véritable Cité mystique de Jérusalem, Vision de paix, qui descendait du trône de bien sur la terre, comme revêtue de la Divinité même, et ornée d'une nouvelle participation de ses attributs, de sa sagesse, de sa puissance, de sa sainteté, de son immutabilité, de sa charité, et d'une admirable ressemblance avec son Fils en ses manières et en ses actions. Elle venait comme l'instrument de la droite du Tout-Puissant, élevé par cette nouvelle participation à la dignité de Vice-Dieu. Mais quoique venant sur la terre pour y travailler en faveur des fidèles, elle se fût volontairement privée clans cette intention de la félicité que lui procurait la vision

 

(1) Apoc., XXI, 2.

 

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béatifique; le Très-Haut résolut néanmoins de l'envoyer armée de la toute-puissance de son bras, et de la dédommager de l'état auquel elle renonçait pour un temps, par une autre participation et vision de sa Divinité incompréhensible, participation et vision compatibles avec la condition de voyageur, niais au reste si divines et si sublimes, qu'elles devaient surpasser tout ce que les hommes et que les anges mêmes en sauraient concevoir. A cet effet, il l’orna de sa main des dons qu'il pouvait lui communiquer, et la prépara comme une Épouse pour son Époux le Verbe incarné, de sorte qu'il ne pat désirer trouver en elle aucune grâce, aucune excellence qui lui manquât, et que l'Époux ne cessât jamais de se reposer en elle et avec elle, comme en son ciel, et sur un trône digne de lui, quoiqu'elle eût quitté sa droite. Et comme l'éponge est imbibée dans tous ses interstices du liquide qu'elle absorbe, de même , selon notre manière de parler, cette gaude Dame était toute pénétrée de l'influence et de la communication de la Divinité.

19. Le texte poursuit : En même temps j'entendis sortir du trône une voix forte, qui disait : C'est ici le Tabernacle où Dieu demeurera avec les hommes. Ils seront, son peuple, et Dieu même sera leur Dieu (1). Cette voix qui sortit du trône attira toute mon attention par de divins effets d'une incomparable suavité. Je compris que notre grande Dame entrait, avant de

 

(1) Apoc., XXI, 3.

 

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mourir, en possession de la récompense méritée, par une faveur singulière et par une prérogative qui n'était due qu'à elle entre tous les mortels. Effectivement, aucun de ceux qui obtiennent la possession de la gloire qui leur est destinée, n’a la faculté et la liberté de revenir à la vie; mais cette grâce fut néanmoins accordée à cette unique Épouse pour augmenter sa gloire, puisque, la possédant et ayant déjà été reconnue des courtisans du ciel pour leur légitime Reine, elle descendit volontairement sur la terre, pour être la servante de ses propres sujets, et pour les soigner et les gouverner comme ses enfants. Par cette charité sans bornes elle mérita encore une fois que tous les mortels fussent son peuple, et d'être mise de nouveau en possession de l'Église militante , où elle revenait pour y résider et pour la gouverner; elle mérita aussi que Dieu demeurât avec les hommes, et qu'il se montrât propice et miséricordieux à leur égard; car il resta sous les espèces sacramentales dans le sein de la bienheureuse Marie, comme dans son sanctuaire, tout le temps qu'elle vécut dans l'Église après qu'elle fut descendue du ciel. Et indépendamment de toute autre raison, il eût suffi qu'elle s'y trouvât, pour que son adorable Fils fût resté sur la terre dans l'Eucharistie : et c'était à cause de ses mérites et de ses prières qu'il habitait au milieu des hommes par sa grâce et par de nouveaux bienfaits; c'est pourquoi le texte ajoute :

20. Dieu essuiera toutes les larmes de leurs yeux, et il n'y aura plus de mort , ni de gémissements, ni de

 

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cris (1). Car cette grande Dame vient pour être la Mère de la grâce, de la miséricorde, de la consolation et de la vie. C'est elle qui remplit le monde de joie, et qui essuie les larmes, dont la source a été ouverte par le péché qu'a introduit notre mère Ève, C'est elle qui a changé le deuil en allégresse, les pleurs en une nouvelle jubilation, les cris en chants de louange et de gloire, et la mort du péché en, vie, pour ceux qui la chercheront en elle. Désormais la mort du péché, les cris des réprouvés et leurs affreuses douleurs doivent cesser ; car si les pécheurs se réfugient à temps dans ce sanctuaire, ils y trouveront le pardon, la miséricorde et la consolation. Les premiers siècles, où Marie, Reine des anges, ne se trouvait point, sont passés; et ils su sont écoulés dans la douleur, au bruit des cris de ceux qui l'appelèrent, et qui ne la possédèrent point, comme le monde la possède à présent pour son remède, pour son secours, pour arrêter la justice divine et pour obtenir miséricorde aux pécheurs.

21. Alors Celui, qui était assis sur le trône dit : Voici que je fais toutes choses nouvelles (2). Ce fut la voix du Père éternel, qui me lit connaître qu'il faisait tout nouveau : Église nouvelle , loi nouvelle, sacrements nouveaux; et qu'ayant fait des faveurs si nouvelles aux hommes, entre autres celle de leur donner son Fils unique (2), il leur en accordait une autre très-singulière, en leur envoyant la divine

 

(1) Apoc., XXI, 4. — (2) Ibid., 5. — (3) Joan., III, 16.

 

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Mère si enrichie de tant de dons admirables, si transformée et munie du pouvoir de distribuer les trésors de la rédemption que son Fils avait mis entre ses mains afin qu'elle les répandit sur les hommes suivant sa très-prudente volonté. C'est pour ce sujet qu'il l'envoya de son divin trône à l'Église , renouvelée à l'image de son Fils unique, marquée des attributs de la Divinité, comme une copie vivante de cet adorable original , autant qu'il pouvait être reproduit par une simple créature, afin qu'elle servît de modèle de sainteté à la nouvelle Église évangélique.

22. Et il me dit: Ecrivez : Ces paroles sont très-fidèles et très-véritables. Puis il ajouta : Tout est accompli; je suis le commencement et la fin, je donnerai gratuitement à boire de la fontaine d'eau vive à celui qui a soif. Celui qui aura vaincu possédera ces choses : je serai son Dieu, et il sera mon fils (1). Le même Seigneur m'ordonna du haut de son trône d'écrire ce mystère, afin que je rendisse témoignage de la fidélité et de la vérité de ses paroles, et des couvres admirables qu'il avait opérées envers la bienheureuse Marie, pour la grandeur et la gloire de laquelle il avait déployé sa toute-puissance. Et comme ces mystères étaient si profonds et si sublimes, je les ai exprimés en termes qui resteront énigmatiques jusqu'au temps que le même Seigneur a fixé pour les manifester au monde et pour faire connaître que tout ce qui pouvait être utile au salut des mortels, avait déjà été fait. En

 

(1) Apoc., XXI, 5, 6 et 7.

 

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disant, tout est accompli, il leur rappelait qu'il avait envoyé son Fils unique pour les racheter par sa Passion et par sa mort, pour les instruire par sa vie et par sa doctrine; puis sa Mère, enrichie de tant de dons, pour secourir et protéger l'Église; puis le Saint-Esprit, pour la consoler, l'éclairer, la confirmer et la fortifier par ses grâces, suivant les promesses qui lui avaient été faites. Et comme le Père éternel n'avait plus rien à nous donner, il dit : Tout est accompli; comme s'il eût dit : Tout ce qui a été possible à ma toute-puissance, et conforme à mon équité et à ma bonté, à moi qui suis lé commencement et la fin de tout ce qui a l’être. Comme commencement, je le donne à toutes choses par la toute-puissance de ma volonté; et comme fin, je reçois toutes choses, établissant par ma sagesse les moyens propres à les conduire à cette fin. Les moyens se réduisent à mon très-saint Fils, et à sa Mère, ma bien-aimée et unique entre les enfants d'Adam. En eux se trouvent les eaux pures et vives de la grâce (1), afin que tous les mortels qui les chercheront, souhaitant avec ardeur leur salut éternel, en boivent comme à leur source première. A ceux-là elles seront distribuées gratuitement, car ils ne sauraient les mériter; c'est mon Fils incarné qui les leur a méritées par sa vie, c'est sa bienheureuse Mère qui les obtient et les mérité en faveur de ceux qui recourent à elle. Et à celui qui se vaincra lui-même et qui triomphera du monde et du

 

(1) Joan., VII, 37.

 

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démon, lesquels tâchent de le détourner de ces eaux de la vie éternelle. Je serai son Dieu libéral, miséricordieux et tout-puissant, et il possédera tous mes biens et ce que je lui si préparé par le moyen de mon Fils et de sa Mère, car je l'adopterai pour fils et pour héritier de ma gloire éternelle.

23. Mais pour les lâches, les incrédules, les abominables, les homicides, les fornicateurs, les malfaiteurs, les idolâtres, et tous les menteurs, leur partage sera dans l'étang brûlant de feu et de soufre, qui est la seconde mort (1). J'ai donné à tous les enfants d'Adam mon Fils unique pour Maître, Rédempteur et Frère, et sa Mère pour refuge, médiatrice et puissante avocate auprès de moi; et comme telle je la rends au monde, afin que tous sachent. que je veux qu'on se prévaille de sa protection. Mais ceux qui ne surmonteront point les répugnances de leur chair dans les souffrances, ou qui ne croiront point mes témoignages et les merveilles que j'ai opérées en leur faveur, et qui sont marquées dans mes Écritures; ceux qui y ayant ajouté foi s'abandonneront aux honteux plaisirs; les sorciers, les idolâtres qui méconnaissent mon pouvoir et ma divinité et suivent le démon; tous ceux qui font profession de mentir et de commettre l'iniquité ne doivent attendre d'autre héritage que celui qu'ils ont eux-mêmes choisi. C'est l'horrible feu de l'enfer qui brûle avec une puanteur abominable comme un noir étang de soufre, où tous les réprouvés

 

(1) Apoc., XXI, 8.

 

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subissent des tourments différents, qui répondent aux infamies que chacun a commises, quoiqu'ils se ressemblent tous par leur éternelle durée et par la privation de la vision de Dieu, principe de la félicité des saints. Et ce sera la seconde mort sans remède, parce qu'ils n'ont pas profité de celui qu'avait la première mort du péché, qu'ils pouvaient, par la vertu de-leur Restaurateur et de sa Mère, réparer avec la vie,de la grâce. Poursuivant le récit de sa vision, l'évangéliste dit :

24. Aussitôt il vint un des sept anges qui tenaient les sept coupes pleines des sept dernières plaies; et il une parla, disant : Venez, je vous montrerai Celle qui est l'Épouse de l'Agneau (1). Je connus que cet ange et les autres étaient de ceux qui se trouvaient les plus proches du trône de la bienheureuse Trinité, et qu'il leur avait été donné un pouvoir spécial pour châtier la témérité des hommes qui auraient commis les péchés que je viens d'énumérer, après la promulgation dans le monde du mystère de la Rédemption, de la vie, de la doctrine et de la mort de notre Sauveur, et enfin après la notification de l'excellence et de la puissance de sa très-sainte Mère, toujours prête à secourir les pécheurs qui l'invoquent de tout leur coeur. Et comme dans la suite des siècles ces mystères se manifesteront davantage par les miracles et par les lumières qui frapperont le monde, par les exemples et les vies des saints, surtout des hommes apostoliques,

 

(1) Apoc., XXI, 9.

 

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des fondateurs des ordres religieux, et de tant de martyrs et de confesseurs, les péchés dont les hommes se rendront coupables dans les derniers temps seront plus graves et plus odieux, l'ingratitude après tant de bienfaits sera plus criminelle et digne d'un plus grand châtiment, et par conséquent ils provoqueront une plus terrible application des équitables rigueurs de la justice divine. Ainsi, dans cet avenir (qui pour nous est devenu le présent), Dieu châtiera rigoureusement les hommes par des calamités inouïes : ce seront les dernières plaies dont il frappera le monde; car le dernier jugement s'approche de plus en plus. On petit revoir au reste dans la première partie le paragraphe deux cent soixante-six.

25. Et l'ange me transporta en esprit sur une grande et haute montagne, et il me montra la sainte Cité de Jérusalem qui descendait du ciel et venait de Dieu (1). Je fus transporté par la force de la puissance divine sur la cime d'une haute montagne d'intelligence et de lumière où apparaissaient les mystères les plus inaccessibles. En ayant l'esprit tout éclairé, je vis l'Épouse de l'Agneau, qui était sa femme comme la sainte Cité de Jérusalem , Épouse de l'Agneau par la ressemblance et l'amour réciproque de Celui qui ôte les péchés du monde (2) , et femme du même Agneau, parce qu'elle l'accompagna inséparablement dans toutes ses couvres et ses merveilles, et que pour elle il sortit du sein de son Père éternel pour prendre ses délices

 

(1) Apoc., XXI, 10. — (2) Joan., I, 29.

 

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avec les enfants des hommes (1), comme étant les frères de cette Épouse, et par elle aussi les frères du Verbe incarné lui-même. Je la vis comme la sainte Cité de Jérusalem , qui enferma en elle Celui que la terre et les cieux ne peuvent contenir, et lui donna une habitation spacieuse, et c'est dans cette Cité qu'il plaça le temple et le propitiatoire où il voulait être cherché et sollicité pour se montrer favorable et libéral envers les mortels. Je la vis aussi comme la ville de Jérusalem, parce qu'elle renfermait dans son intérieur les perfections de la Jérusalem triomphante et le fruit le plus mûr et le plus exquis de la rédemption du genre humain. Et quoique sur la terre elle s'humiliât au-dessous de tous, et qu'elle se prosternât à nos pieds comme si elle eût été la moindre des créatures, je la vis néanmoins sur les hauteurs de l’empyrée, élevée au trône et à la droite de son Fils unique (2), d'où elle descendait vers l'Église, comblée de dons et de trésors pour favoriser les fidèles enfants de cette même Église.

 

(1) Prov., VIII, 31. — (2) Ps. XLIV, 10.

 

 

CHAPITRE III. Où l'on poursuit l'explication du reste du chapitre vingt et unième de l'Apocalypse.

 

26. L'évangéliste dit que cette sainte Cité de Jérusalem , l'auguste Marie, était illuminée de la clarté de Dieu, et sa lumière était semblable à une pierre précieuse, telle qu'une pierre de jaspe, transparente comme le cristal (1). Dès l'instant que la très-pure Marie eut reçu l'être, son âme fut remplie et comme inondée d'une participation de la Divinité toute nouvelle, tout exceptionnelle, qui n'avait jamais été accordée à aucune autre créature, parce qu'elle seule était la brillante aurore qui participait aux splendeurs mêmes du Soleil Jésus-Christ, homme et Dieu véritable, qui devait naître d'elle. Cette divine lumière, ces clartés merveilleuses, s'accrurent jusqu'à ce qu'elle eût atteint son apogée, étant assise à la droite de son Fils unique sur le trône même de la bienheureuse Trinité (2), et revêtue de la variété de tous les dons, grâces, vertus, mérites, et d'une gloire qui l'élevait au-dessus de toutes les créatures. Et lorsque je la vis dans cette

 

(1) Apoc., XXI, 11. — (2) Ps. XLIV, 9.

 

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lumière inaccessible , elle me parut n'avoir point d'autre clarté que celle de Dieu même, laquelle se trouvait en son être immuable comme dans sa propre source, et rejaillissait sur l'auguste Vierge. Une même lumière, une même clarté provenait de l'humanité de son Fils unique, et dans la Mère et dans le Fils, en chacun toutefois à un degré différent; mais en substance elle semblait être la même, et l'on voyait qu'elle ne se trouvait dans aucun autre des bienheureux, ni même chez eux tous ensemble. Cette glorieuse Reine était, par la diversité de ses vertus, semblable au jaspe; par la grandeur de ses mérites elle était précieuse, et par la beauté de son âme et de son corps elle était comme le cristal le plus transparent, lorsqu'il est tellement pénétré par la lumière qu'on serait tenté de le confondre avec elle.

27. La ville était ceinte d'une grande et haute muraille, et elle avait douze portes, où étaient douze anges et des inscriptions qui contenaient les noms des douze tribus d'Israël. Il y avait trois portes vers l'Orient, trois vers le Septentrion, trois vers le Midi, et trois vers l'Occident (1). La muraille qui défendait cette sainte Cité l'auguste Marie, était aussi haute et aussi grande que Dieu même, sa toute-puissance infinie et tous ses attributs; car il déploya tout son pouvoir, toute sa grandeur, toute son immense sagesse, pour la garantir des insultes des ennemis qui pouvaient l'attaquer. Cette invincible défense fut encore

 

(1) Apoc., XXI, 12 et 13.

 

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augmentée lorsqu'elle redescendit sur la terre pour y demeurer seule sans l'assistance visible de son très-saint Fils, et pour affermir la nouvelle Église de l'Évangile; car elle put disposer à cette fin, d'une manière nouvelle, de toute la puissance de Dieu contre les ennemis visibles et invisibles de cette même Eglise. Et comme, après que le Très-Haut eut fondé cette sainte Cité la bienheureuse Marie, il ouvrit libéralement ses trésors, comme il voulut appeler par son entremise à la connaissance de sa divine Majesté et à la félicité éternelle tous les mortels sens exception, Gentils, Juifs et Barbares, sans distinction de peuples et d'états, c'est, pour cela qu'il construisit cette sainte Cité avec douze portes vers les quatre parties du monde, sans aucune différence. Il y plaça les douze anges pour appeler et convier tous les enfants d'Adam, et pour leur inspirer d'une manière spéciale la dévotion envers leur Reine. Les inscriptions qui contenaient les noms des douze tribus se trouvaient aussi sur ces portes, afin que personne n'ait sujet de se croire exclu du refuge et du sanctuaire de cette sainte Jérusalem , et que tous les mortels sachent que l'auguste Marie porte leurs noms écrits dans son coeur, et même dans les faveurs qu'elle a reçues du Très-Haut pour être la Mère de la clémence et de la miséricorde, et non de la justice.

28. La muraille de cette ville avait douze fondements, où étaient écrits les douze noms des douze apôtres de l'Agneau (1). Quand notre grande Dame fit

 

(1) Apoc., XXI, 14.

 

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à la droite de gon adorable Fils sur le trône de sa gloire, d'où elle s'offrit à redescendre sur la terre pour raffermir l'Église, le même Seigneur lui recommanda singulièrement le soin des apôtres, et grava leurs noms dans le coeur si pur et si tendre de cette incomparable Reine, et nous les y trouverions écrits s'il nous était possible d'y lire. Et quoique nous ne fussions alors que onze apôtres, le nom de saint Mathias fut par anticipation écrit au lieu de celui de Judas. C'est l'amour, c'est la sagesse de cette grande Dame qui produisit la doctrine, l'enseignement, le gouvernement stable que nous douze apôtres donnâmes avec saint Paul à l'Église, en l'établissant dans le monde c'est pourquoi le Seigneur écrivit nos noms sur les fondements de cette Cité mystique la bienheureuse Marie, qui fut la base sur laquelle furent assurés les commencements de la sainte Église et des apôtres ses fondateurs. Elle nous enseigna par sa doctrine, nous éclaira par sa sagesse, nous enflamma par sa charité, et nous supporta par sa patience; elle nous attirait par sa douceur, nous conduisait par ses conseils, nous prévenait par ses avis, et nous délivrait des dangers par le pouvoir divin dont elle était dispensatrice. Elle veillait aux besoins de tous comme à ceux de chacun en particulier, aux besoins de chacun comme à ceux de tous les autres ensemble. Nous eûmes, nous autres apôtres, un accès plus libre aux douze portes de celte sainte Cité que tous les enfants d'Adam. Et tant qu'elle vécut, notre Maîtresse et notre Protectrice n’oublia jamais aucun de nous; mais en tout lieu et en tout

 

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temps nous sentîmes les effets de sa protection, sans qu'elle ait jamais manqué de nous secourir dans nos nécessités et de nous consoler dans nos afflictions. Car ce fut de cette grande et puissante Reine, et par elle que nous reçûmes tous les bienfaits, toutes les grâces et tons les dons que le bras du Tout-Puissant nous communiqua, pour nous rendre les dignes ministres de la nouvelle alliance (1) du Nouveau Testament. Il fallait donc que nos noms fussent inscrits sur les fondements de la muraille de cette Cité mystique la bienheureuse Marie.

29. Celui qui me parlait avait pour toise une verge d'or, dont il devait mesurer la ville, et ses portes, et sa muraille. La ville était d'une forme quadrangulaire, aussi longue que large : et il la mesura avec sa verge d'or, et trouva qu'elle avait douze mille stades, et que la longueur, la hauteur; et la largeur en étaient égales (1). Celui qui me parlait la mesura en ma présence, afin que je comprisse la grandeur immense de cette sainte Cité de Dieu. Il avait pour toise une verge d'or, qui était le symbole de l'humanité déifiée par la personne du Verbe, et de ses dons, dé sa grâce et de ses mérites : elle figurait aussi la fragilité de l'être humain et terrestre, et l'immutabilité précieuse et inestimable de l'Être divin, qui rehaussait l'humanité et ses mérites. Salis doute la mesure dépassait de beaucoup l'objet mesuré, mais néanmoins il n'en existait aucune autre, ni dans le ciel, ni sur la terre,

 

(1) II Cor., III, 6. — (2) Apoc., XXI, 15 et 16.

 

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pour mesurer l'auguste Marie et sa grandeur, excepté celle de son adorable Fils; attendu que toutes les créatures humaines et angéliques étaient disproportionnées et insuffisantes pour mesurer cette Cité mystique et divine. Mais , mesurée avec son Fils, elle se trouvait proportionnée avec lui, comme sa digne Mère, sans qu'il lui manquât rien pour atteindre les dimensions d'une pareille dignité. Son étendue était de douze mille stades, également sur les quatre plans de la muraille : car chaque face avait douze mille stades de longueur et de hauteur; de sorte qu'elle formait un carré dont les côtés étaient absolument égaux: Telle était la grandeur, l'immensité et la plénitude des dons et des excellences de cette grande Reine, que si les autres ont reçu une mesure de cinq ou de deux talents (1), elle a reçu pour chacun de ses dons une mesure de douze mille talents, nous surpassant tous d'un degré incommensurable. Et quoiqu'elle eût été déjà mesurée d'après cette proportion, quand elle descendit du non être à l’être, lors de son immaculée conception, prédestinée à devenir la Mère du Verbe éternel , en cette circonstance solennelle où elle descendit du ciel pour établir l'Église, elle fut rapprochée une seconde fois de cette mesure de son Fils unique à la droite fin Père, et elle se trouva y correspondre exactement, de manière à pouvoir occuper cette place, et retourner vers l'Eglise pour y remplir l'office de son propre Fils le Rédempteur du monde.

 

(1) Matth., XXV, 15.

 

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30. La muraille était bâtie de pierre de jaspe, mais let ville même était d'un or très-fin, semblable à du verre d'une grande pureté. Les fondements de la muraille de la ville étaient ornés de toutes sortes de pierres précieuses (1). Les oeuvres de la bienheureuse Marie; qui éclataient au dehors et que tous pouvaient découvrir, comme on découvre les murailles d'une ville, offraient toutes une variété si agréable et si digne d'admiration pour tous ceux qui la fréquentaient, que par son seul exemple elle ravissait les coeurs, et par sa seule présence elle chassait les démons et dissipait leurs vains fantômes : c'est pour cela que la muraille de cette sainte Cité était de jaspe. Par sa conduite et par son influence extérieure; notre auguste Reine opéra plus de fruit et plus de merveilles dans la primitive Église que tous les apôtres et les autres saints de ce siècle. Mais l'intérieur de cette Cité mystique était d'un or très-fin y symbole d'une charité ineffable, tirée de celle dé son adorable Fils, et tenant de si près à celle de l'Être infini, qu'elle semblait en être un rayon. Cette sainte Cité n'était pas seulement d'un or du plus haut prix, mais elle était aussi semblable à. du verre d'une grande pureté : car elle était un miroir sans tache, dans lequel se reflétait la Divinité elle-même, de sorte qu'on ne voyait en elle autre chose que cette image. Elle était encore comme une table de cristal, sur laquelle était écrite la loi de l'Évangile, afin qu'elle

 

(1) Apoc., XXI, 18 et 19.

 

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fût manifestée au monde entier en elle et par elle . c'est pour cette raison qu'elle était du verre le plus pur et le plus transparent, et non d'une pierre obscure, comme les tables de Moïse, destinées à un seul peuple (1). Et les fondements de la muraille de cette grande Ville étaient de pierres précieuses; car le Très-Haut la construisit de sa main, en y entassant sans mesure les richesses de sa toute-puissance, sur ce qu'il y avait de plus précieux , de plus magnifique et de plus solide en ses dons, en ses privilèges et en ses faveurs, marqués par les pierres que les créatures regardent et estiment comme ayant le plus de valeur et comme étant les plus belles et les plus riches. On peut voir encore, en la première partie, le dixième chapitre du livre premier.

31. Les douze portes de la ville étaient douze perles, chaque porte d'une seule perle : et la place était d'un or pur comme un verre, transparent. Au reste je ne vis point de temple dans la ville, parce que le Seigneur Dieu tout-puissant et l'Agneau en sont le temple (1). Ceux qui s'approcheront de cette sainte Cité, l'auguste Marie, pour y entrer par la foi, par l'espérance, par la vénération, la piété et la dévotion, trouveront la précieuse perle, qui les rendra riches et opulents dans ce monde, et bienheureux dans l'autre par son intercession. Ils ne craindront point d'entrer dans cette ville de refuge : car ses portes sont très-agréables, comme étant de fines et brillantes perles, et

 

(1) Exod., XXI, 18. — (2) Apoc., XXI, 21 et 22

 

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cela, afin qu'aucun des mortels ne puisse s'excuser, s'il néglige de se prévaloir de cette grande Reine, et de son inépuisable charité envers les pécheurs; puisqu'il n'y a rien en elle qui ne les attire dans le chemin de la vie éternelle. Que si ces portes frappent par leur merveilleuse magnificence ceux qui les abordent, l'intérieur, c'est-à-dire la place de cette ville admirable, les frappera bien davantage; car il est de l'or le plus pur et le plus brillant, symbole de l'amour le plus ardent, et du brûlant désir de recevoir tous les mortels, et de les enrichir des trésors de la félicité éternelle. De là vient qu'elle se manifeste à tous par sa lumière et par ses clartés, et que personne ne saurait trouver en elle les ténèbres de l'erreur ou du mensonge. Et puisque dans cette sainte Cité, la bienheureuse Marie, Dieu même résidait d'une manière spéciale , ainsi que l'Agneau, qui est son Fils, sous les espèces sacramentales, lesquels occupaient toutes ses puissances; il s'ensuit que je ne dus point y voir d'autre temple ni d'autre propitiatoire que le Dieu tout-puissant lui-même, et l'Agneau. Il n'était pas nécessaire que l'on construisit un temple dans cette ville, pour y prier et pour y célébrer des cérémonies, comme dans les autres temples; en effet, Dieu même et son Fils en étaient le temple, et exauçaient tous les voeux et toutes les prières que cette sainte Cité vivante faisait pour les fidèles enfants de l'Église.

32. Elle n'avait pas besoin du soleil ni de la lune pour l'éclairer, parce que la lumière de Dieu l’éclairait

 

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et que l'Agneau en est la lampe (1). Après que notre Reine s'en fut retournée au monde de la droite Je son très-saint Fils, son esprit ne fut point illuminé suivant le mode ordinaire aux autres saints, ni comme il l'avait été avant l'ascension, mais en récompense de la claire vision et de la jouissance dont elle s'était volontairement privée pour revenir vers l'Église militante, elle obtint une autre vision abstractive et continuelle de la Divinité, à laquelle correspondait proportionnellement une autre jouissance. Ainsi, elle participait d'une manière spéciale à l'état des compréhenseurs, quoiqu'elle fût encore au nombre des voyageurs. Elle reçut en outre un antre bienfait : c'est que son très-saint Fils sous les espèces sacrées du pain demeura toujours dans le sein de Marie, comme dans son propre sanctuaire; et elle conservait ces espèces sacramentales jusqu'à ce qu'elle reçût de nouveau l'adorable Eucharistie. De sorte que, tant qu'elle vécut sur la terre après être descendue du ciel, elle eut toujours avec elle son très saint Fils dans l'auguste Sacrement, le contemplant en elle-même par une vision particulière, qui lui fut accordée, afin qu'elle le vît et jouît de ses entretiens sans être obligée de chercher sa divine présence hors d'elle même. Elle l'avait réellement dans son sein , afin de pouvoir dire avec l'épouse : Je l'ai saisi, et ne le laisserai point s'éloigner avec toutes ses faveurs. Il n'était donc pas possible qu'il y eût dans

 

(1)   Apoc., XXI, 23 . — (2) Cant., III, 4.

 

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cette sainte Cité aucune nuit, que la grâce dût éclairer comme la lune, et qu'elle eût besoin de quelques autres rayons du Soleil de justice ; car elle le possédait dans toute sa plénitude , et non en partie comme les autres saints.

33. Les nations marcheront à sa lumière ; et les rois de la terre y apporteront leur gloire et leur honneur (1). Les exilés enfants d'Ève n'auront aucune excuse à faire valoir, s'ils,ne s'acheminent pas vers la véritable félicité , à la faveur de la divine lumière que la très-sainte Vierge a donnée au monde. Son adorable Fils et Rédempteur l'a envoyée du ciel afin qu'elle éclairât son Église naissante, et l'a montrée aux premiers enfants de la sainte Église. Dans la suite des temps il a manifesté la grandeur et la sainteté de cette grande Reine au moyen des merveilles qu'elle a opérées, en comblant les hommes de bienfaits innombrables. Dans les derniers siècles (qui sont les siècles présents), il étendra davantage sa gloire, et la fera connaître de nouveau avec un plus vif éclat, à cause de l'extrême besoin que l'Église aura de sa puissante intercession et de sa protection maternelle, pour vaincre le monde, le démon et la chair, qui par la faute des mortels prendront un plus grand empire et recouvreront de nouvelles forces (comme il arrive maintenant) pour les éloigner de la grâce et les rendre de plus en plus indignes de la gloire. Au redoublement de malice de Lucifer et de ses sectateurs le Seigneur veut opposer

 

(1) Apoc., XXI, 24.

 

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les mérites et les prières de sa très-sainte Mère, la lumière de sa vie qu'il envoie au monde, et sa puissante intercession, afin qu'elle soit le refuge et le sanctuaire des pécheurs, et que tous aillent à lui par ce chemin si droit, si sûr et si plein de splendeurs.

34. Si les rois et les princes de la terre marchaient à cette lumière, et apportaient leur honneur et leur gloire à cette sainte Cité, la très-pure Marie; s'ils employaient leur grandeur, leur autorité, leurs richesses et la puissance de leurs États à exalter sou Nom et celui de son très-saint Fils; s’ils dirigeaient tous leurs efforts vers ce but, ils mériteraient, qu'ils n'en doutent pas, d'are favorisés de la protection de cette auguste Reine dans l'exercice de leurs hautes fonctions, et gouverneraient leurs États ou monarchies avec sagesse et bonheur. Pour exciter plus vivement cette confiance chez nos princes catholiques, qui professent et défendent la sainte foi, je leur déclare ce qui maintenant et dans le cours de cette histoire m'a été découvert, afin que je l'écrive fidèlement. C'est que le souverain Roi des rois et Restaurateur des monarchies a donné à la très-pure Marie le titre spécial de Patronne, de Protectrice et d'Avocate de ces royaumes catholiques. Par ce bienfait singulier le Très-Haut a voulu préparer un remède aux calamités et aux afflictions qui devaient arriver dans ces siècles présents au peuple chrétien en punition de ses péchés, comme nous l’expérimentons avec douleur et avec larmes. Le dragon infernal a tourné toute sa fureur

 

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contre la sainte Église , s'apercevant de la négligence des chefs et des membres de ce corps mystique, et sachant que tous aiment la vanité et les plaisirs. La plus grande responsabilité de ces péchés et leur châtiment retombent sur ceux qui sont les plus catholiques, et dont les offenses sont plus graves; car ce sont des enfants rebelles qui connaissent la volonté de leur Père céleste, et ne se soucient non plus de l'accomplir que ceux qui lui sont étrangers. Ils savent aussi que le royaume du ciel souffre violence, et que ce sont les violents qui le ravissent (1); et cependant ils s'abandonnent à l'oisiveté, aux plaisirs, ils s'accommodent aux exigences du monde et de la chair. Pour punir ces illusions dangereuses du démon, le juste Juge se sert du démon lui-même, en lui permettant par ses équitables jugements d'affliger la sainte Église et de châtier sévèrement ses enfants.

35. Mais le Père des miséricordes qui est aux cieux ne veut point que-les couvres de sa clémence soient entièrement éteintes; et pour les conserver il nous offre le remède convenable, qui consiste en la protection de l'auguste Marie , en ses prières continuelles et en son intercession; de sorte qu'ainsi l'équité de sa justice divine a un certain titre et un motif convenable pour suspendre la punition rigoureuse que nous méritons, et qui nous sera infligée si nous ne tâchons d'obtenir de la grande Reine de l'univers

 

(1) Matth., XI, 12.

 

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qu'elle intercède en notre faveur, qu'elle apaise son très-saint Fils justement irrité, et qu'elle nous procure l'amendement de tant de péchés, par lesquels nous provoquons sa colère et nous nous rendons indignes de sa miséricorde. Que les princes catholiques et les habitants de leurs royaumes profitent de l'occasion quand la bienheureuse Marie leur offre des jours de salut et le temps de la propitiation (1). Qu'ils apportent à cette grande Dame leur honneur et leur gloire , les consacrant entièrement à son très-saint Fils et à elle, en reconnaissance du bienfait, de la foi catholique dont ils ont été prévenus, et de la perpétuité de cette foi dans leurs monarchies, où elle s'est conservée jusqu'à nos jours dans toute son intégrité, comme pour prouver au monde l'amour si particulier que l'adorable Fils et la divine Mère ont pour ces royaumes, et celui qu'ils leur témoignent en leur donnant cet avis si salutaire. Qu'ils tâchent donc d'employer leurs forces et leur grandeur pour étendre la gloire du nom de Jésus-Christ et de celui, de la très-pure Marie par toutes les nations. Et qu'ils soient persuadés que ce sera un moyen très-efficace pour se rendre le Fils favorable, que d'exalter la Mère par un digne culte de respect, et d'étendre sa gloire par tout l'univers, afin qu'elle soit connue et vénérée de toutes les nations.

36. Pour un plus grand témoignage de la clémence de l'auguste Marie, l'évangéliste ajoute que les portes

 

(1) II Cor., VI, 2.

 

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de Bette sainte Jérusalem n'étaient fermées id de jour ni de nuit, afin que les nations y apportassent leur gloire et leur honneur (1). Que personne donc, fait-il pécheur, iii-rat, païen, infidèle, ne s'approche avec crainte des portes de cette Mère de miséricorde ; car Celle qui s'est privée de la gloire dont elle jouissait à la droite de son Fils, pour venir nous secourir, ne fermera point les portes de sa pitié à celui qui s'y présentera pour son remède avec une humble dévotion. Qu'il y arrive dans la nuit du péché ou dans le jour de la grâce, et à quelque heure de sa vie que ce soit, il sera toujours accueilli et secouru. Si celui qui va trouver à minuit son ami, l'oblige, soit en considération de ses besoins, soit à force d'importunités, de se lever, de l'assister et de lui donner les pains qu'il demande (2); que fera Celle qui est notre Mère, qui nous aime avec tant de tendresse, qui nous appelle, qui nous attend et nous presse de recevoir de sa main le secours dont nous avons besoin? Elle n'attendra point nos importunités, car elle est attentive à la voix de ceux qui l'invoquent et prompte à leur répondre; elle est toute douceur, toute bonté pour les favoriser et toute libéralité pour les enrichir. Elle sollicite la miséricorde du Très-haut et lui sert de motif pour en user à notre égard; elle est la porte du ciel, afin que nous entrions dans la gloire par son intercession : Il n'y entrera jamais rien de souillé ni de mensonger (3). Or, elle ne se laissa jamais aller au

 

(1) Apoc., XXI, 25 et 26. — (2) Luc., XI, 8. — (3) Apoc., XXI, 27.

 

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moindre sentiment de rancune ou de colère contre les hommes, il ne se trouva jamais en elle aucune erreur, aucun péché ni aucun défaut; il ne lui manque donc rien de tout ce qu'on peut souhaiter pour le remède des mortels. Nous n'avons aucune excuse, aucun prétexte à alléguer, si nous ne nous en approchons avec une humble reconnaissance; car comme elle est toute pure, elle nous purifiera aussi si nous avons recours à elle. C'est elle qui a la clef des fontaines du Sauveur, dont parle Isaïe (1); approchons-nous donc de ces fontaines, elle nous les ouvrira par son intercession si nous la prions avec instance, et alors les eaux salutaires couleront pour nous laver entièrement, et pour nous rendre dignes d’être reçus en la délicieuse compagnie de son adorable Filé pour toute l'éternité.

 

Instruction que la grande Reine des anges m'a donnée.

 

37. Ma fille, je veux vous déclarer pour votre consolation et pour celle de mes serviteurs, que vous avez écrit les mystères de ces chapitres sous le bon plaisir et avec l'approbation du Très-Haut, qui veut

 

(1) Isa., XII, 3.

 

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que le monde sache ce que j'ai fait pour l’Église, après que j'y fus descendue de l'empyrée pour assister les fidèles, et qu'il connaisse le désir que j'ai de secourir les catholiques qui se prévaudront de mon intercession et de ma protection, comme le Très-Haut me l'a recommandé, et. comme je le leur promets avec are affection maternelle. Vous avez aussi causé aux saints, et surtout à mon fils Jean, une satisfaction toute particulière, en parlant de la joie qu'ils eurent tous lorsque je montai au ciel avec mou Fils et mon Seigneur, l'accompagnant en son ascension glorieuse; car il est temps que les enfants de l'Église comprennent ce mystère, et qu'ils connaissent plus formellement la grandeur des bienfaits auxquels le Tout-puissant m'a élevée, et que par là ils élèvent leurs propres espérances, étant mieux instruits de ce que je puis et veux faire en leur faveur. Tendre Mère que je suis , comment ne serais-je point émue de compassion en voyant mes enfants si cruellement trompés par les mensonges et opprimés par la tyrannie du démon auquel ils se sont livrés en aveugles? Mon serviteur Jean a renfermé dans le chapitre vingt-unième et dans le douzième de l'Apocalypse d'autres grands secrets relatifs aux bienfaits que j'ai reçus du Très-Haut; mais vous en avez dit assez pour faire maintenant comprendre: aux fidèles combien mon intercession est puissante: pour leur procurer le remède dont ils out besoin , et vous en écrirez davantage plus tard.

38. Mais dès aujourd'hui vous devez recueillir

 

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pour vous le fruit de tout ce que vous avez appris et rapporté. Il faut en premier lieu que vous fassiez de nouveaux progrès dans la dévotion affectueuse que vous avez pour moi, et que vous vous affermissiez dans l'espérance que je vous protégerai dans toutes vos tribulations, que je vous conduirai doits vos actions, et que les portes de ma clémence seront toujours ouvertes pour vous et pour tous ceux gué vous me recommanderez, si vous êtes telle que je veux. que vous soyez, et telle que je vous souhaite. Or, afin que mon désir soit accompli, je vous avertis, ma très-chère fille, que, comme je fus renouvelée dans le ciel par la puissance divine, pour retourner sur la terre et pour y agir avec une nouvelle perfection, de trirème le Seigneur veut que vous soyez renouvelée dans le ciel de votre intérieur, dans les hautes retraites de votre intelligence, et dans la solitude où vous vous êtes réfugiée, pour écrire ce qui reste de. ma vie. Ne croyez pas que cela soit arrivé sans une providence spéciale, comme vous le reconnaîtrez si vous réfléchissez à ce qui s'est d'abord passé en vous quand il vous a fallu entamer cette troisième partie, ainsi que vous l'avez raconté. Or, maintenant que vous trouvant seule et débarrassée du gouvernement de votre monastère, je vous donne cette instruction, il est juste qu'avec le secours de la grâce, vous vous renouveliez en l'imitation de ma vie, en reproduisant en vous (autant qu'il vous sera possible) ce que vous remarquez en moi. C'est la volonté de mort très-saint Fils, lest la mienne, c'est le but de vos désirs. Soyez donc

 

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attentive à mes avis, et ceignez-vous de force (1). Déterminez votre volonté d'une manière efficace à se conformer avec docilité, avec constance , avec zèle , au bon plaisir de votre divin Époux. Accoutumez-vous à ne le perdre jamais de vue, lorsque vous descendrez au commerce des créatures et aux oeuvres de Marthe. Je serai votre Maîtresse, les anges vous accompagneront, afin que vous glorifiiez continuellement le Seigneur avec eux; et sa divine Majesté vous munira de sa force, afin que vous combattiez contre ses ennemis et les vôtres. Ne vous rendez pas. indigne de tant de faveurs.

 

CHAPITRE IV. La bienheureuse Marie se fait voir trois jours après sa descente du ciel. — Elle parle aux apôtres. — Notre Seigneur Jésus-Christ la visite. — Et quelques autres mystères jusqu'à la venue du Saint-Esprit.

 

39. J'avertis de nouveau ceux qui liront cette histoire de ne pas être surpris des mystères cachés de l’auguste Marie qu'ils y verront écrits, et de ne pas les regarder comme incroyables pour avoir été ignorés

 

(1) Prov., XXXI, 17.

 

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dans le monde jusqu'à présent; car, outre que tous se rapportent et conviennent parfaitement à cette grande Reine, nous ne saurions nier que les oeuvres merveilleuses qu'elle fit après l'ascension de son très-saint Fils n'aient été très-nombreuses et tout à fait extraordinaires, quoique jusqu'ici la sainte Église n'en ait point eu d'histoire authentique. En effet, elle se trouvait être la Maîtresse, la Protectrice et la Mère de la loi évangélique, qui s'établissait et se propageait dans le monde sous sa protection. Que si pour ce ministère le souverain Seigneur la renouvela comme on l'a dit, et déploya en sa faveur le reste de sa toute-puissance, il est clair qu'ou ne doit contester à Celle qui a été une créature unique, exceptionnelle , aucun don , aucun privilège , quelque grand qu'il soit., pourvu qu'il ne répugne point à la vérité catholique.

40. Elle demeura trois jours dans le ciel, jouissant de la vision béatifique, comme je l'ai rapporté dans le premier chapitre , et descendit sur la terre le jour qui répond au dimanche après l'Ascension, et que la sainte Église appelle le dimanche dans l'octave de la fête. Elle resta dans le Cénacle trois autres jours, jouissant des effets de la vision de la Divinité, cl pendant ce temps-là, l'éclat des splendeurs dont elle était revêtue en descendant du ciel se tempérait; il n'y eut que l'évangéliste saint Jean qui courut le mystère, car il n'était pas convenable que ce secret tôt alors découvert aux autres apôtres, parce qu'ils n'étaient pas suffisamment disposés pour en recevoir

 

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la connaissance. Quoiqu'elle se trouvait parmi eux , la lumière qui rejaillissait de sa personne sacrée durant ces trois jours, ne frappait point leurs yeux , et cela fit bien utile, puisque le même évangéliste à qui il fut donné de la voir dans ce glorieux état tomba la face contre terre lorsqu'il l'aborda, ainsi que je l'ai dit ci-dessus; et cependant il avait été fortifié par une grâce spéciale, et préparé à cette première vue de sa bienheureuse Mère. Il n'était d'ailleurs pas convenable que le Seigneur dépouillât tout à coup notre grande Reine de la splendeur et des autres effets extérieurs et intérieurs , avec lesquels elle était venue de Fa gloire et de son trône; il fallait au contraire que, par un ordre de sa sagesse infinie, elle cessât peu à peu de jouir de ces faveurs si divines, afin que son très-saint corps revint à un état visible plus commun, dans lequel elle pût converser avec les apôtres et avec les autres fidèles de la sainte Église.

41. J’ai dit ailleurs que cette merveille que le Seigneur opéra pour la bienheureuse Marie en l'élevant en corps et en aime dans le ciel , ne contredit point ce qui est écrit dans les Actes des apôtres, lesquels rapportent que les apôtres et les sainte femmes persévéraient tous unanimement dans la prière avec Marie Mère de Jésus, et avec ses frères après que sa divine Majesté fut montée au ciel (1). L’accord de cet endroit avec ce que j'ai dit est fort clair; en effet, saint Luc a écrit cette histoire selon ce

 

(1) Act., I, 14.

 

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que lui et les apôtres avaient vu dans le Cénacle, sans faire mention du mystère qu'il ignorait. Et comme le corps virginal de Marie se trouvait en deus endroits, il est certain, quoiqu'elle usât de son attention, de ses autres facultés et de ses sens d'une manière plus parfaite et plus réelle dans le ciel , il est. certain, dis-je, qu'elle était au milieu des apôtres, et que tous la voyaient. D'ailleurs, on peut prouver que la bienheureuse Marie persévérait avec eux dans la prière, car du haut du ciel elle les voyait, elle unissait ses prières à celles de tous ceux qui étaient dans le Cénacle; et se trouvant à la droite de son adorable Fils, elle les lui présenta, et obtint pour eux la persévérance et plusieurs autres grandes faveurs du Très-Haut.

Pendant les trois jours qu'elle fut dans le Cénacle jouissant des effets de la gloire, et taudis que les splendeurs qui lui en étaient restées allaient se tempérant, notre grande Reine consacra toutes ses heures aux sentiments d'une divine ferveur, il des actes de reconnaissance et d'humilité, et aux exercices de tant de vertus ineffables, qu'il n'y a ni expressions ni images capables de rendre ce que j'ai appris de ce sublime mystère, quoique la connaissance que j'en ai reçue soit fort inférieure à la réalité. Ce mystère causa une nouvelle admiration aux anges et aux séraphins qui l’accompagnaient; et ils se demandaient quelle était lit plus grande merveille, ou celle que le puissant bras du Très-Haut avait opérée eu élevant une simple créature à tant de faveurs si

 

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éminentes, ou bien de lavoir, dans le temps qu'elle se trouvait si enrichie de grâce et de gloire au-dessus de toutes les créatures , s'humilier comme si elle était la plus infime de toutes. Je sus que cette admiration des mêmes séraphins les jetait pour ainsi dire dans un extrême étonnement, et que, considérant leur Reine dans une si grande élévation et dans une humilité si prodigieuse, ils s'en entretenaient et se disaient les tais aux autres : « Si les démons eussent connu avant   leur chute un si rare exemple d'humilité, il eût été a impossible qu'ils se fussent élevés en leur orgueil. Notre grande Dame est Celle qui , exempte de toute tache et de tout défaut, a comblé, non en partie mais pleinement, les vides de l'humilité de toutes les créatures. Elle seule a dignement pesé la majesté et la grandeur suprême du Créateur, et la petitesse de tout ce qui est créé. C'est elle qui sait combien et comment le Très-Haut doit être obéi et honoré:, et comme elle le sait elle l'exécute, Est-il possible qu'au milieu des épines élue le péché a scindes chez les enfants d'Adam, la terre ait produit ce lis éclatant si agréable à son Créateur, et d'une odeur si douce pour les mortels (1)? Est-il possible que dans le désert du monde, dans cette solitude terrestre si éloignée de la grâce, ait apparu une créature si parfaite et si enrichie des délices du Tout-Puissant (2)? Qu'il soit éternellement loué en sa sagesse

et en sa bonté, d'avoir formé une créature si excellente

 

(1) Cant., II, 2. — (2) Cant., VIII, 5.

 

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et si admirable , sujet d'une sainte émulation  pour notre nature, exemple et gloire de la nature humaine ! Et vous, bénie entre les femmes (1), prédestinée et choisie entre toutes les créatures, soyez connue, célébrée' et exaltée par toutes les nations. Jouissez pour toute l'éternité de la prééminence que votre Fils et notre Créateur vous donnée! Qui il prenne ses complaisances en vous , pour la beauté de vos vertus et de vos prérogatives; que son immense charité, qui souhaite la justification de tous les hommes, en savoure la douceur. Vous la satisfaites pour tous, et le souverain Seigneur, vous regardant vous seule, ne se repentira point d'avoir créé tant d'ingrats. Et s'ils l'irritent par leurs péchés, vous l'apaisez et le leur rendez propice. Nous ne nous étonnons pas s'il favorise tous les enfants d'Adam, ô notre auguste Reine, puisque vous demeurez avec eux et qu'ils sont de votre peuple. »

43. Les saints anges célébrèrent par ces louanges et par plusieurs autres cantiques qu'ils faisaient, l’humilité et les œuvres de la bienheureuse Marie depuis qu'elle était descendue du ciel, et elle répondit à quelques-unes de ces louanges. Avant que ceux qui l'avaient accompagnée et qui devaient s’en retourner au ciel la laissassent, dans le Cénacle, et après que se furent écoulés les trois premiers jours qu’elle y demeura (n'y ayant que saint Jean qui eût vu la

 

(1) Luc., I, 28.

 

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splendeur qui rejaillissait de sa personne sacrée), elle connut qui il était temps de converser avec les fidèles. Mlle se rapprocha donc d'eux et s'adressa aux apôtres et aux disciples avec une tendresse de mère, et s'associant à leurs prières, elle les présenta avec ses larmes à son très-saint Fils, et intercéda pour eux et pour tous ceux qui, dans les siècles à venir, devaient recevoir la sainte foi catholique et la grâce. Et dès ce jour-là elle pria aussi le Seigneur, sans y manquer aucun des jours qu'elle vécut dans la sainte Église de hâter les époques auxquelles on y devait célébrer les fêtes de ses mystères, comme il le lui avait déclaré de nouveau dans le ciel. Elle pria de même sa divine Majesté d'envoyer au monde des hommes d'une sainteté insigne, qu'elle savait destinés à travailler à la conversion des pécheurs. L'ardeur de sa charité envers les hommes était si grande dans ces prières , que naturellement elle en aurait perdu la vie. Mais pour la fortifier et modérer la véhémence de ses désirs, son très-saint Fils lui envoya plusieurs fois un des plus éminents séraphins, pour lui dire que ses prières seraient exaucées, et lui déclarer l'ordre que la divine Providence devait garder à cet égard, pour la plus grande utilité des mortels.

44. Le coeur virginal de noire auguste Princesse s'embrasait tellement d'amour par la vision de lu Divinité dont elle jouissait, comme je l'ai dit, d'une manière abstractive, qu'elle surpassait sans comparaison les plus enflammés séraphins, voisins du trône de la Divinité. Et quand quelquefois elle descendait

 

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de ces hauteurs, quand elle sentait moins vivement les effets de cette divine flamme, ce n'était que pour regarder l'humanité de son très-saint Fils, car elle ne reconnaissait dans son intérieur aucune image des autres choses visibles, excepté lorsqu'elle conversait actuellement par les sens avec les créatures. Dans ce souvenir qui lui rappelait son bien-aimé Fils, elle éprouvait une sorte de regret naturel et tendre de son absence; mais ce regret était toujours modéré et réglé par la sagesse d'une Mère si parfaite. Et comme l'écho de cet amour répondait dans le coeur du Fils, il se laissait blesser par les désirs de sa très-chère Mère, et ainsi s'accomplissait à la lettre ce qu'il dit dans le Cantique des cantiques (1) : les regards de sa Mère, de son Épouse bien-aimée , le ravissaient et l'attiraient sur la terre.

45. Cela arriva plusieurs fois, comme je le dirai dans la suite, et la première fut quelques jours après que notre grande Reine fut descendue du ciel avant la venue du Saint-Esprit, et six jours ne s'étaient pas encore passés depuis quelle avait commencé à converser avec. les apôtres. Dans ce court intervalle, notre Seigneur Jésus-Christ descendit en personne pour la visiter et la remplir de nouveaux dons et de consolations ineffables. La très-candide colombe languissait d'amour, et par les amoureuses défaillances qu'elle avait, elle excitait la charité bien ordonnée du souverain Roi (2). Et cet adorable Seigneur se montrant

 

(1) Cant., VI, 4. — (2) Cant., II, 4 et 5.

 

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à elle dans cette circonstance, la soutint de la main gauche de son humanité déifiée (1), et de la droite de la Divinité il l'éclaira, l'enrichit et la pénétra entièrement de nouvelles influences par lesquelles il la vivifia. C'est là où les amoureuses peines de cette biche blessée trouvèrent leur soulagement (2); car elle puisa à son gré dans les fontaines du Sauveur, elle fut rafraîchie et fortifiée, mais pour activer dans sou sein les flammes de cet incendie d'amour qui ne s'éteignit jamais (3). Elle guérit de cette blessure dans le temps qu'elle en recevait une nouvelle; elle fut délivrée de ces défaillances pour défaillir davantage, et reçut la vie pour se livrer encore à la mort que lui faisait souffrir son affection; car ces sortes de maladies ne comportent point d'autres remèdes. Quand la très-douce Mère eut recouvré quelque peu de force par cette faveur, elle se prosterna devant le Seigneur, et lui demanda de nouveau sa bénédiction avec une profonde humilité, lui rendant de ferventes actions de grâces de ce qu'il l'honorait de sa divine présence.

46. Notre très-prudente Dame était hors d'elle-même à la vue de ce bienfait, non-seulement parce qu'il y avait si peu de temps qu'elle était privée de la présence humaine de son très-saint Fils, mais parce que le Seigneur ne lui avait pas déclaré à quelle époque il la visiterait, et que la très-haute humilité de cette auguste Reine ne lui permettait pas d'espérer

 

(1) Cant., II, 6. — (2) . Ps. XLI, 2. — (3) Isa., XII, 3. — (4) Cant., VIII, 7.

 

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que la bonté divine lui donnât sitôt cette consolation. Et comme ce fut la première fois qu'elle la reçut, elle en ressentit une plus grande admiration, qui la porta à s'humilier et à s’anéantir davantage en sa propre estime. Elle jouit pendant cinq heures de la présence et des caresses de son très-saint Fils, et aucun des apôtres ne connut alors ce bienfait, quoiqu'ils vissent en la bienheureuse Vierge certaines marques qui leur faisaient conjecturer qu'il lui était arrivé quelque chose d'extraordinaire; mais dans la crainte respectueuse avec laquelle tous la regardaient, aucun n'osa lui demander la cause de son état. Lorsqu'elle comprit que son adorable Fils voulait s'en retourner su ciel pour prendre congé de lui elle se prosterna de nouveau, lui demandant une seconde fois sa bénédiction, et la permission, quand il la favoriserait à l'avenir de ses visites, de reconnaître en sa présence les négligences dont elle, se rendait coupable, au lieu de lui témoigner sa reconnaissance et de payer ses bienfaits d'un juste retour. Elle fit cette demande parce que le même Seigneur lui promettait de la visiter quelquefois dans la suite., et qu'avant son ascension, quand il était avec sa Mère, elle avait coutume (comme je l'ai rapporté dans la seconde partie) de se prosterner devant sa Majesté, se reconnaissant indigne de ses faveurs et lente à y répondre. Et, quoiqu'elle ne pût s'accuser d'aucune faute, puisque Mère de la sainteté elle n'en commit aucune, quoiqu'elle ne pût se persuader non plus par ignorance qu'elle en eût commis, puisqu'elle était la Mère de la Sagesse, le Seigneur

 

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amena son humilité, son amour et sa science, à peser dignement ce qu'elle devait en qualité de simple créature à Dieu en tant que Dieu; et par cette très-haute connaissance, jointe à cette humilité très-profonde, il lui semblait que tout ce qu'elle faisait était fort peu de chose en comparaison du retour qu'exigeaient tant de sublimes bienfaits. Et elle s'attribuait à elle-même cette inégalité; et quoiqu'il n'y eût pas là de faute, elle voulait confesser l'infériorité de l'être terrestre comparé avec la divine excellence.

47. Mais au milieu des mystères et des faveurs ineffables qu'elle reçut dès le jour de l'ascension de son Fils notre Sauveur Jésus-Christ, les soins qu'elle prit afin que les apôtres et les autres disciples se préparassent dignement à recevoir le Saint-Esprit, furent admirables. Cette très-prudente Maîtresse appréciait la grandeur du bienfait que le Père des lumières leur destinait; elle connaissait aussi l'affection sensible que les apôtres avaient pour l'humanité de leur divin Maître Jésus, et savait que la tristesse qu'ils sentaient de son absence pourrait les troubler. Pour réparer en eux ce défaut et perfectionner, tous leurs sentiments, comme une Mère compatissante et une puissante Reine, aussitôt qu'elle fut arrivée au ciel avec son très-saint Fils, elle envoya un de ses anges au Cénacle pour leur déclarer sa volonté et celle de son Fils: c'était qu'ils devaient s'élever au-dessus d'eux-mêmes, et vivre plus où ils aimaient par la foi, c'est-à-dire en l'Être de Dieu, qu'en leurs propres sens qu'ils animaient, et ne pas se laisser attirer par la

 

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seule vue de l'humanité, mais s'en servir comme d'une voie pour passer à la Divinité, où l'on trouve une entière satisfaction et un parfait repos. Notre auguste Reine ordonna au saint ange d'inspirer et de dire tout cela aux apôtres. Après qu'elle fut descendue du ciel, elle les consola dans leur tristesse et les fit sortir de l'abattement où ils étaient; chaque jour elle consacrait une heure à leur exposer les mystères de la foi, que son très-saint Fils leur avait enseignés; ce qu'elle faisait, non point avec autorité, mais par manière d'entretien. En outre elle leur conseilla de s'entretenir eux-mêmes et de conférer pendant une autre heure sur les avis, les promesses, la doctrine et les instructions de leur adorable Maître Jésus, de prier vocalement une autre partie du jour, récitant le Pater noster et quelques psaumes, d'employer le reste à l'oraison mentale, et de prendre vers le soir un peu de pain et de poissons pour nourriture, et, après leur repas, un sommeil modéré, afin qu'ils se disposassent par ces prières et par ce jeûne à recevoir le Saint-Esprit, qui devait venir sur eux.

48. La vigilante Mère étant à la droite de son très-saint Fils, prenait soin de cette heureuse famille. Et pour donner le suprême degré de perfection à toutes ses couvres, quand elle parlait aux apôtres après être descendue du ciel, elle ne le faisait jamais que saint Pierre ou saint Jean ne lui commandassent de le faire. Elle pria son très-saint Fils de le leur inspirer, afin qu'elle leur obéit comme à ses vicaires et à ses prêtres. Sa prière fut exaucée : tout était accompli comme la

 

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Maîtresse de l'humilité le prévoyait; ensuite elle obéissait comme servante, et, loin de se prévaloir de la dignité de Reine et de Maîtresse, et de s'attribuer la moindre autorité, elle agissait toujours comme inférieure à tous. C'était ainsi qu'elle parlait aux apôtres et aux autres fidèles. En ces jours-là elle leur exposa le mystère de la très-sainte Trinité dans les termes les plus sublimes et les plus mystérieux, mais pourtant d'une manière intelligible et en se mettant à la portée de tous. Puis elle leur exposa le mystère de l'anion hypostatique, tous ceux de d'Incarnation, et beaucoup d'autres qui concernaient la doctrine qu'ils avaient ouïe de leur divin Maître; elle leur fit savoir aussi que pour une plus grande intelligence ils seraient éclairés par le Saint-Esprit quand ils le recevraient.

49. Elle leur enseigna à prier mentalement, leur déclarant l'excellence et la nécessité de cette oraison; et leur montrant que pour la créature raisonnable le principal office et la plus noble occupation consiste à s'élever par l'entendement et par la volonté au-dessus de tout ce qui est créé,. à la connaissance et à l'amour de Dieu; et qu'on doit préférer cette occupation à toute autre chose, sans y rien interposer qui puisse priver l'âme de ce bien, qui est le bien souverain de la vie et le principe de la félicité éternelle. Elle leur enseigna encore comment ils devaient reconnaître devant le Père des miséricordes la grâce qu'il nous avait faite en nous donnant son Fils unique pour notre Rédempteur et notre Maître, et (amour avec lequel

 

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sa divine Majesté nous avait rachetés au prix de sa passion et de sa mort, et combien d'actions de grâces ils devaient lui rendre de ce qu'il les avait choisis eux-mêmes entre les autres hommes pour être ses apôtres, pour converser avec lui et jouir de sa compagnie, et pour être les fondements de sa sainte Église. Par ces exhortations, par cet enseignement, la divine Mère éclaira les cœurs des onze apôtres et des autres disciples, les anima et les disposa parfaitement à recevoir le Saint-Esprit et ses divins effets. Et comme elle pénétrait leurs cœurs et connaissait leur naturel, elle s'accommodait à tous selon leurs besoins et selon la grâce et la portée de chacun, afin qu'ils pratiquassent les vertus avec joie, avec consolation et avec force. Quant aux exercices extérieurs, elle les avertit de s'humilier, de se prosterner, et de faire d'autres actes de culte respectueux pour adorer la majesté et la grandeur du Très-Haut.

60. Elle allait chaque jour, matin et soir, demander la bénédiction aux apôtres : d'abord à saint Pierre, comme le chef, ensuite à saint Jean, et aux autres selon le rang de leur ancienneté. Au commencement ils voulaient tous s'excuser de faire cette cérémonie à l'égard de la bienheureuse Marie, parce qu'ils la regardaient comme leur Reine et la Mère de leur divin Maître Jésus. Mais la très-prudente Dame les obligea tous à lui donner leur bénédiction en qualité de prêtres et de ministres du Très-Haut, leur expliquant l'excellence de cette dignité éminente, les fonctions qu'elle leur attribuait, le grand respect auquel elle

 

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leur donnait droit. Et comme il s'agissait dans ces saints débats de savoir qui s'humilierait le plus, il fallait bien que la victoire restât ü la Maîtresse de l'humilité, et que les disciples fussent vaincus et instruits par son exemple. D'un autre côté, les paroles de la bienheureuse Vierge étaient si suaves, si vives et si efficaces pour mouvoir les cœurs de tons ces premiers fidèles, qu'elle les éclairait avec une force divine et très-douce, et les déterminait à pratiquer tout ce qui est le plus saint et le plus parfait des vertus. Et reconnaissant en eux-mêmes ces merveilleux effets, ils s'en entretenaient avec admiration, et disaient : « Nous trouvons véritablement en cette pure créature les mêmes instructions, la même doctrine et la même consolation dont nous avions été privés par l'absence de son Fils et notre Maître. Ses œuvres, ses  paroles, ses conseils et sa conversation pleine de douceur nous enseignent et nous persuadent, comme nous le sentions près de notre Sauveur quand il nous parlait et vivait parmi nous. Maintenant nos cœurs s'enflamment par la doctrine et les exhortations de cette admirable créature, comme il nous arrivait par les paroles de notre Sauveur Jésus-Christ. Le Tout-Puissant a sans doute déposé en la Mère de son Fils unique sa sagesse et sa vertu

 

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quelle il a mis en dépôt sa loi, sa verge des prodiges, et la très-douce manne pour notre vie et notre consolation (1). »

51. Si les saints apôtres et les autres premiers enfants de la sainte Église nous eussent laissé par écrit ce qu'ils ont connu, comme témoins oculaires, de l'auguste Marie et de son éminente sagesse, ce qu'ils ont entendu , ce qu'ils ont remarqué pendant le temps qu'ils purent converser avec elle, nous aurions par leurs témoignages une connaissance plus particulière de la sainteté et des actions héroïques de cette Reine de l'univers; et l'on verrait qu'en la doctrine qu'elle enseignait, et dans les effets qu'elle produisait, on reconnaissait que son très-saint Fils lui avait communiqué une espèce de vertu divine semblable à la sienne, quoiqu'elle. fût dans le Seigneur comme la fontaine dans sa source, et dans la bienheureuse Mère comme dans le canal par où elle se communiquait et se communique encore à tous les mortels. Mais les apôtres furent si heureux que de boire les eaux du Sauveur et de la doctrine de sa très-pure Mère à leurs propres sources, les recevant d'une manière sensible, comme il était convenable pour le ministère et pour l'office dont ils étaient chargés d'affermir l'Église et de propager la foi de l'Évangile dans tout l'univers.

52. L'épiscopat du plus malheureux des hommes, de Judas, était, suivant l'expression de David (2), devenu vacant par sa trahison et par sa mort; c'est

 

(1) Hebr., IX, 4. — (2) Ps. CVIII, 7.

 

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pourquoi il en fallait pourvoir un autre qui en fût digne; car c'était la volonté du Très-Haut que pour la venue du Saint-Esprit le nombre des douze apôtres fût complet, tel que le Maître de la vie l'avait fixé quand il les choisit (1). La très-pure Marie transmit cet ordre du Seigneur aux onze apôtres dans une des conférences qu'elle leur faisait. Ils approuvèrent tous la proposition, et la supplièrent de nommer elle-même, comme Mère et comme Maîtresse, celui qu'elle connaîtrait le plus digne et le plus capable de l'apostolat. La divine Dame savait à quoi s'en tenir, puisque les noms des douze, au nombre desquels était saint Mathias, se trouvaient gravés dans son coeur, ainsi que je l'ai rapporté dans le second chapitre. Mais dans son humble et profonde sagesse, elle comprit qu'il était convenable de remettre ce soin à saint Pierre, afin qu'il commençât à exercer dans la nouvelle Église l'office de pontife et de chef, en qualité de vicaire de Jésus-Christ, qui en était l'Auteur et le Maître. Elle dit au saint apôtre de faire cette élection en présence de tous les disciples et de tous les autres fidèles, afin que tous le vissent agir comme chef suprême de l'Église. Et saint Pierre se conforma aux ordres de notre auguste Reine.

53. Saint Luc marque dans le premier chapitre des Actes des Apôtres (1) la manière dont cette première élection se fit dans l'Église. Il dit que durant les jours qui se passèrent entre l'ascension et la venue du Saint-Esprit,

 

(1) Luc., VI, 13. — (2) Act., I, 15, etc.

 

 

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l'apôtre saint Pierre ayant assemblé les six-vingts fidèles qui se trouvèrent aussi présents à l'ascension du Seigneur, leur dit : « Mes frères, il faut que  ce qui est écrit, et que le Saint-Esprit a prédit par  la bouche de David (1) touchant Judas, qui se mit  à la tète de ceux qui prirent Jésus, soit accompli. Il était comme nous du nombre des douze apôtres, et devait participer à notre ministère; mais il prévariqua, vendit son Maître, et du prix de sa trahison acheta un champ, qu'on appelait communément Haceldama, c'est-à-dire le Champ du sang. Vous savez qu'à la fin ce malheureux, devenu tout  à fait indigne de la miséricorde divine, se pendit  lui-même, qu'il creva par le milieu du ventre, et que toutes ses entrailles se sont répandues. C'est  une chose notoire pour tous ceux qui étaient à  Jérusalem. Puis donc qu'il est écrit su livre des  Psaumes : Que sa demeure devienne déserte, que  personne ne l'habite, et que son épiscopat soit donné à un autre (2); il faut qu'entre ceux qui ont toujours suivi le Seigneur Jésus dans le cours de a sa prédication, après qu'il eut reçu le baptême de Jean, il en soit choisi un qui rende témoignage  avec Dons de sa résurrection. »

54. Ce discours, achevé, et tous les fidèles reconnaissant la nécessité de l'élection du douzième apôtre, on s'en rapporta pour le mode à saint Pierre lui-même. Le saint apôtre décida qu'entre les soixante

 

(1) Ps. XL, 10. — (2) Ps. CVIII, 7.

 

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douze disciples on en désignerait deux (qui furent Joseph, surnommé le Juste, et Mathias), qu'on jetterait le sort entre les deux, et qu'on proclamerait apôtre celui sur qui le sort tomberait. lis approuvèrent tous ce mode d'élection, qui alors était tout à fait sûr, parce que la vertu divine opérait de grandes merveilles pour établir l'Église. Et ayant écrit les noms des deux disciples avec le titre et l'office d'apôtre de Jésus-Christ, chacun sur un billet séparé, on mit les billets dam un vase où l'on ne pouvait pas les voir, et ils prièrent tous le Seigneur de faire paraître lequel de ces deux il avait choisi, puisqu'il pénétrait les cœurs de tous les hommes (1). Ensuite saint Pierre tira un billet, où se trouvait écrit Mathias, disciple et apôtre de Jésus-Christ; et aussitôt ils reconnurent et reçurent tous avec joie saint Mathias pour légitime apôtre, et les onze l'embrassèrent. L'auguste Marie, qui était présente à tout, lui demanda sa bénédiction, les autres fidèles en firent autant à son exemple, et ils continuèrent leur prière et leur jeûne jusqu'à la venue du Saint-Esprit.

 

(1) Act., I, 24.

 

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Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.

 

55. Ma,fille, vous êtes avec raison surprise des sublimes faveurs que j'ai reçues de mon très-saint Fils, de l'humilité avec laquelle je les recevais et les reconnaissais, de la charité et de la sollicitude que je déployais parmi les consolations qu'elles me causaient pour soulager les nécessités des apôtres et des fidèles de la sainte Église. Il est temps, ma très-chère fille, que vous recueilliez en vous le fruit de la science qui vous a été accordée; car vous ne pouvez maintenant en recevoir une plus grande, et les desseins que j'ai formés sur vous et que je désire réaliser, ne tondent à rien moins qu'à faire de vous une fille fidèle qui m'imite avec ferveur, et une disciple docile qui m'écoute et me suive de tout son coeur. Animez donc votre foi, considérant combien je suis puissante pour vous favoriser et vous assister, et soyez persuadée qu'à cet égard je dépasserai vos désirs, et que je me montrerai libérale et prodigue à vous combler de biens inestimables. Mais pour les recevoir il faut que vous vous humiliiez plus bas que la terre même, et que vous vous regardiez comme la dernière de toutes les créatures, puisque vous êtes de vous-même plus inutile que la plus vile poussière, n'ayant en vous que misère et que dénuement. A la lumière de cette vérité, considérez sérieusement combien grande est envers vous la clémence du Très-Haut, et quel

 

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retour, quelle reconnaissance vous lui devez; car si celui qui paie sa dette n'a pas, quoiqu'il s'en libère entièrement, sujet de se glorifier, quel doit être votre sentiment, à vous qui ne sauriez satisfaire à tant d'obligations que vous avez ? Il est juste que vous vous humiliiez, puisque vous vous trouvez toujours redevable, quand même vous travailleriez incessamment, autant qu'il vous serait possible, à vous acquitter de votre dette; et cela étant, que pourriez-vous espérer si vous étiez négligente ?

56. C'est à force de prudence et d'attention que vous parviendrez à savoir comment vous devez m'imiter en la foi vive, en l'espérance ferme, en la charité fervente, en l'humilité profonde, et dans le culte et le respect que l'on doit à la majesté infinie du Seigneur. Je vous avertis de nouveau que le serpent veille sans cesse et emploie toutes ses ruses pour empêcher les mortels de rendre le culte et la vénération qu'ils doivent à leur Dieu, et pour leur faire mépriser par une vaine témérité cette vertu et les autres qu'elle renferme. Il pousse les mondains et les gens vicieux au funeste oubli des vérités catholiques, afin que la foi divine cesse de leur représenter la crainte et le respect que doit inspirer la pensée du Très-Haut; et en cela il les rend tout semblables aux païens, qui ne connaissent point la véritable Divinité. Il amène les autres qui cherchent la vertu et pratiquent quelques bonnes couvres à une tiédeur, à une négligence dangereuse, dans laquelle ils passent leur vie sans songer à ce qu'ils perdent en perdant la ferveur. Enfin ce

 

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dragon tâche d'abuser par une grossière confiance ceux qui font profession d'une vie plus parfaite, afin que par les faveurs qu'ils reçoivent, ou par la clémence qu'ils connaissent, ils se croient fort familiers avec le Seigneur, et manquent de se tenir dans l'humble vénération et dans la sainte crainte avec laquelle ils doivent être en la présence d'une si haute Majesté, dont le seul aspect fait trembler les puissances du ciel, comme la sainte Église l'enseigne à ses enfants (1). Du reste, comme en d'autres occasions je vous ai avertie de ce danger, il suffit maintenant de vous en rafraîchir la mémoire.

57. Mais je veux que vous soyez si fidèle et si ponctuelle à pratiquer mes leçons sur ce point, que vous les appliquiez à toutes vos actions, toutefois sans affectation, sans exagération, afin que par votre exemple et par vos paroles vous enseigniez à tous ceux qui vous fréquenteront la sainte crainte et l'humble respect que les créatures doivent avoir pour le Créateur. Je veux surtout que vous inculquiez cette divine science à vos religieuses, afin qu'elles comprennent quels doivent être leur humilité et leurs sentiments de révérence dans leurs rapports avec Dieu. A cet égard , l'enseignement le plus efficace sera l'exemple que vous donnerez dans les oeuvres d'obligation : car celles- là, il faut bien se garder de les cacher ou de les omettre, dans la crainte d'en concevoir quelque vanité. Ceci est encore plus obligatoire

 

(1) In praefat. Miss.

 

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pour ceux qui gouvernent les autres, parce que c'est un devoir de leur charge d'exhorter leurs inférieurs et de les maintenir dans la sainte crainte du Seigneur; et ils y réussissent plus efficacement par l'exemple que parles paroles. Vous devez aussi les instruire de la vénération qu'elles doivent avoir pour les prêtres, comme étant les oints du Seigneur. Quand vous les aborderez pour les entendre, quand vous prendrez congé d'eux, vous demanderez toujours, à mon exemple, leur bénédiction. Et lorsque vous vous verrez le plus favorisée de la bonté divine, jetez les yeux sur les nécessités et les mictions de votre prochain, et sur le danger des pécheurs, et priez pour tous avec une vive foi et une ferme confiance; car on ne saurait se flatter d'aimer véritablement Dieu, si l'on se contente seulement de jouir de ses bienfaits, sans se souvenir de ses frères. Il faut que vous demandiez avec instance que ce souverain bien, que vous connaissez et auquel vous participez, se communique à tous, puisque personne n'en est exclu, et que tous ont besoin de sa communication et du secours divin. Ma propre charité vous montre ce que vous devez pratiquer et imiter en toutes choses.

 

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CHAPITRE V. La venue du Saint-Esprit sur les astres et sur les autres adèles. — La bienheureuse Marie le vit intuitivement. — Autres faits mystérieux qui arrivèrent alors.

 

58. Les douze apôtres, avec les autres disciples et fidèles, demeuraient tout joyeux en la compagnie de la grande Reine du ciel, attendant dans le Cénacle la promesse du Sauveur, confirmée par sa très-sainte Mère, qu'il leur enverrait d'en haut l’Esprit consolateur, qui leur enseignerait toutes choses et leur rappellerait tout ce qu'il leur avait dit (1). Ils étaient tous si intimement unis par la charité, que, durant tous ces jours-là, aucun n'eut une pensée, un sentiment, une impression contraires à ceux des autres. Ils n'avaient en toutes choses qu'un coeur et qu'une âme. Aussi n'y eut-il entre tous ces premiers enfants de l'Église aucune dispute, ni la moindre apparence de discorde, quand il s'agit de l'élection de saint Mathias, et pourtant c'était une de ces occasions où les plus sages mêmes sont ordinairement divisés, parce que chacun prétend être de ce nombre pour

 

(1) Joan., XIV, 26.

 

s'attacher à son opinion et ne point se ranger à celle d'autrui. Mais dans cette sainte assemblée il n'y eut aucune division, car ils étaient unis par la prière et par le jeûne, et ils attendaient tous la visite du Saint-Esprit, qui n'habite point dans les coeurs divisés. Et afin que l'on sache combien cette union de charité fut puissante, non-seulement pour les disposer à recevoir le Saint- Esprit, mais aussi pour les aider à vaincre les démons et à les chasser, il faut remarquer qu'au fond des enfers, où ces rebelles étaient encore abattus depuis la mort de notre Sauveur Jésus-Christ, ils se sentirent accablés d'une nouvelle oppression et saisis d'une frayeur extraordinaire, à cause des vertus de ceux qui se trouvaient dans le Cénacle; et quoiqu'ils ne les connussent point en particulier, ils comprirent que de ce saint lieu sortait cette puissance mystérieuse qui les opprimait, et alors ils crurent que leur empire serait détroit par les changements que ces disciples de Jésus-Christ commençaient à opérer dans le monde par la pratique de sa doctrine et l'imitation de ses exemples.

59. La Reine des anges, la bienheureuse Marie, connut par la plénitude de la sagesse et de la grâce le temps et l'heure déterminés par la divine volonté pour envoyer le Saint-Esprit sur le collège des apôtres. Les jours de la Pentecôte étant accomplis (1), c'est-à-dire cinquante jours après la résurrection de notre Seigneur et Rédempteur, la bienheureuse Mère vit

 

(1) Act., I, 1.

 

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que dans le ciel l'humanité de la personne du Verbe représentait au Père éternel la promesse que le Sauveur lui-même avait faite dans le monde à ses apôtres, de leur envoyer le divin Esprit consolateur (1), et que le temps fixé par sa sagesse infinie arrivait pour accorder cette faveur à la sainte Église, pour y affermir le règne de la foi que le Fils de Dieu avait fondé, et pour l'enrichir des dons qu'il lui avait mérités. Le même Sauveur représenta aussi à son Père les mérites qu'il avait acquis en la chair mortelle par sa très-sainte vie, par sa passion et par sa mort, les mystères qu'il avait opérés pour le salut du genre humain; qu'il était le Médiateur, l'Avocat et l'Intercesseur entre le Père éternel et les hommes, et que sa très-sainte Mère se trouvait parmi eux , elle en qui les divines personnes prenaient leurs complaisances. Il demanda encore que le Saint-Esprit vint au monde sous une forme visible, sans préjudice de la grâce et des dons invisibles qu'il y devait répandre, parce que, cette manifestation était convenable pour l'honneur de la loi évangélique devant le monde, pour fortifier et animer davantage les apôtres et les fidèles qui devaient prêcher la parole divine, et pour inspirer de la terreur aux ennemis du Seigneur, qui l'avaient persécuté pendant sa vie et méprisé jusqu'à la mort de la croix.

59. La bienheureuse Vierge, quoique étant, sur la terre, joignit ses prières à la demande que notre Rédempteur fit dans le ciel, comme il convenait à la

 

(1) Joan., XIV, 26.

 

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compatissante Mère des fidèles, prosternée avec une profonde humilité, les bras étendus eu croix, elle sut bientôt que la demande du Sauveur du monde était accueillie dans le consistoire de la très-sainte Trinité, et que pour l'expédier et l'exécuter (qu'on me passe ces expressions), les deux personnes du Père et du Fils, comme principe duquel procède le Saint-Esprit, ordonnaient la mission active de la troisième personne (car il appartient aux deux-premières personnes d'envoyer celle qui en procède), et que la troisième personne, le Saint-Esprit, acceptait la mission passive et consentait à venir dans le monde. Et quoique toutes ces personnes divines et leurs opérations soient d'une même volonté infinie et éternelle, sans aucune divergence, néanmoins les mêmes puissances, qui en toutes les trois personnes sont indivisibles et égales, ont, ad infra, des opérations en une personne qu'elles n'ont pas en une autre: ainsi l'entendement engendre dans le Père, et non point dans le Fils, parce qu'il est engendré; et la volonté respire dans le Père et dans le Fils, et non point dans le Saint-Esprit, qui est respiré. C'est pour cette raison qu'il est attribué au Père et au Fils, comme principe actif, d'envoyer le Saint-Esprit ad extra, c'est-à-dire au dehors, et qu'il est attribué au Saint-Esprit d'être envoyé comme passivement.

61. Les demandes dont je viens de parler ayant précédé le jour de la Pentecôte du matin, la très-prudente Reine avertit les apôtres, les autres disciples et les saintes femmes, au nombre de cent vingt

 

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personnes (1), de prier et d'espérer avec une plus. grande ferveur, parce que bientôt ils seraient visités du Saint-Esprit. Ainsi réunis, ils priaient avec notre auguste Maîtresse, lorsque, à l'heure de Tierce, on entendit venir du ciel un grand bruit (2), pareil à un tonnerre éclatant et à un vent impétueux, accompagné de brillants éclairs; le céleste météore éclata sur la maison du Cénacle, qu'il remplit de lumière, et le feu divin se répandit sur toute cette sainte assemblée. A l'instant, sur la tète de chacun des cent vingt fidèles, se balancèrent des langues de ce même feu dans lequel le Saint-Esprit venait (3), et ils furent tous remplis de divines influences et de dons ineffables; mais cette merveilleuse venue produisit des effets bien différents et dans le Cénacle et dans toute la ville de Jérusalem, selon les diverses dispositions des sujets.

62. Ces effets furent divins en la bienheureuse Marie, et les courtisans célestes en admirèrent la sublimité. Quant à nous, nous ne saurions les comprendre ni les expliquer. Cette grande Dame en fut toute transformée et ravie jusque dans le sein du Très-Haut : elle vit le Saint-Esprit par une claire intuition, et jouit pour quelque temps, comme en passant, de la vision béatifique de la Divinité, participant elle seule à ses dons et à ses prodigieux effets plus que tous les autres saints. Sa gloire, en ce moment-là, surpassa celle des anges et des bienheureux. Elle

 

(1) Act., t,15. — (2) Act., II, 2. — (3) Ibid., 8.

 

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seule rendit plus d'actions de grâces et de louanges au Très-Haut que tous ces saints ensemble, pour reconnaître le bienfait qu'il accordait à la sainte Église en lui envoyant son divin Esprit, et en s'engageant à le lui envoyer plusieurs fois et à la gouverner par son assistance jusqu'à la fin des siècles. La très-sainte Trinité se complut tellement à ce que la seule Marie fit dans cette circonstance, qu'elle se reconnut comme satisfaite et comme payée de retour, à raison de cette faveur qu'elle venait de faire au monde. Bien plus, elle fit comme si elle avait été obligée de l'accorder, à cause de cette créature unique qui habitait la terre, et que le Père regardait comme sa Fille, le Fils comme sa Mère, et le Saint-Esprit comme son Épouse; qu'il devait, selon notre manière de concevoir, visiter et enrichir, après l'avoir, choisie pour une si haute dignité. Tous les dons et toutes les grâces du Saint-Esprit furent renouvelés en cette digne et heureuse Épouse par de nouveaux effets et par de nouvelles opérations qui sont au-dessus de tout ce que nous pouvons imaginer.

63. Les apôtres, ainsi que le dit saint Luc (1), furent aussi remplis du Saint-Esprit; car ils reçurent de merveilleux accroissements de la grâce justifiante à mi degré fort élevé, et eux douze furent seuls confirmés eu cette grâce pour ne la point perdre. Ils reçurent aussi, chacun de son côté, et au degré le plus convenable, l'infusion habituelle des sept dons

 

(1) Act., II, 4.

 

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la sagesse, l'intelligence, la science, la piété, le conseil, la force et la crainte de Dieu. Par ce bienfait, aussi grand et aussi admirable que nouveau dans le monde, les douze apôtres furent élevés, renouvelés et rendue capables d'être les ministres de la nouvelle alliance (1), et les fondateurs de l'Église évangélique dans l'univers entier, car cette nouvelle grâce et ces nouveaux dons leur communiquèrent une vertu divine, qui les portait avec une douce force à pratiquer ce qu'il y a de plus héroïque dans toutes les vertus et de plus sublime dans la sainteté. Par cette force ils faisaient avec promptitude et facilité les choses les plus difficiles, et cela sans tristesse et sans contrainte, mais avec joie et allégresse (2).

64. Le Très-Haut opéra proportionnellement les mêmes effets dans tous les autres disciples et fidèles, qui reçurent le Saint-Esprit dans le Cénacle, sans toutefois être confirmés dans la grâce comme les apôtres; mais ils reçurent la grâce et les dons avec plus ou moins d'abondance selon leurs dispositions, et le ministère qu ils devaient exercer dans la sainte Église. La même proportion fut gardée à l'égard des apôtres, mais saint Pierre et saint Jean furent singulièrement favorisés parce que leurs offices étaient plus élevés; en effet, l'un devait gouverner l'Église comme chef, et l'autre assister et servir la Reine du ciel et de la terre, l'auguste Marie. Le texte sacré de saint Lac porte (3) que le Saint-Esprit remplit toute la maison

 

(1) II Cor., III, 6. — (2) II Cor., IX, 7. — (3) Act., II, 4.

 

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se trouvait cette heureuse assemblée, non-seulement parce que tous y furent remplis du divin Esprit et de ses dons ineffables, mais parce que la maison même fut pleine d'une lumière et d'une splendeur admirable. Cette plénitude de merveilles rejaillit sur d'autres personnes qui étaient hors du Cénacle, car le Saint-Esprit produisit aussi divers effets dans les habitants de Jérusalem. Tous ceux qui par un bon sentiment compatirent à la Passion et à la mort de Jésus-Christ notre Sauveur et Rédempteur, s'affligeant de ses affreux tourmente et révérant sa personne sacrée, furent visités intérieurement d'une nouvelle lumière et d'une grâce singulière qui les disposa à embrasser ensuite la doctrine des apôtres. Saint Pierre, dans son premier sermon, convertit un grand nombre de ces hommes à qui la compassion qu'ils eurent de la mort du Seigneur servit à procurer un si grand bonheur. Il y eut d'autres justes qui se trouvant dans Jérusalem hors du Cénacle, sentirent aussi une grande consolation intérieure qui ranima leurs bonnes dispositions, de sorte que le Saint-Esprit produisit en chacun d'eux de nouveaux effets de grâce.

65. Les autres effets que le divin Esprit opéra ce jour-là dans Jérusalem, et qui furent très-différents de ceux dont je viens de parler, ne sont pas moins admirables quoique plus. cachés. Or il arriva que le grand bruit, le vent impétueux, les éclairs et les tonnerres qui furent comme les avant-coureurs de la venue du Saint-Esprit, troublèrent et épouvantèrent tous les habitants de la ville ennemis du Seigneur,

 

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selon le degré de leur malice et de leur perfidie. Ce châtiment frappa surtout ceux qui avaient concouru à la mort de notre Sauveur, et qui s'étaient signalés par leur cruauté et par leur rage. Tous ceux-là tombèrent à terre et y demeurèrent l'espace de trois heures, se donnant de la tète contre les pierres. Ceux qui avaient flagellé le Sauveur moururent tous aussitôt suffoqués par leur propre sang, à la suite des hémorragies déterminées par la chute qu'ils tirent, et dont la violence alla jusqu'à les étouffer pour venger l'effusion du sang divin qu'ils avaient répandu avec tant d'impiété. Le téméraire qui avait donné un soufflet sacrilège à l'adorable Rédempteur, non-seulement mourut sur-le champ, mais il fut précipité en corps et en âme dans l'enfer. Plusieurs autres Juifs, tout en échappant à la mort, furent aussi châtiés par des douleurs internes, et par certaines maladies honteuses qui se sont transmises, à cause du sang de Jésus-Christ dont ils se chargèrent, jusqu'à leurs descendants, et qui infestent encore aujourd'hui leurs familles au point de les rendre des objets de dégoût et d'horreur. Ce châtiment fut public dans Jérusalem en dépit des efforts que les pontifes et les pharisiens firent pour le dissimuler, comme ils avaient fait lors de la résurrection du Sauveur. Mais comme ce n'était pas un fait très-important , les apôtres et les évangélistes n'en firent aucune mention dans leurs écrits, et, au milieu des troubles de la ville, la multitude l'oublia bientôt

66. Le châtiaient s'étendit jusque dans l'enfer,

 

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les démons le sentirent avec un redoublement de confusion et de désespoir pendant trois jours , comme les Juifs restèrent renversés par terre pendant trois heures. Durant ce temps-là, Lucifer et ses démons poussaient des hurlements effroyables qui remplissaient tous les damnés de terreur, aggravaient leurs peines et les jetaient dans un abattement extraordinaire. 0 Esprit ineffable et puissant ! la sainte Église vous appelle le doigt de Dieu, parce que vous procédez du Père et du Fils, comme le doigt procède du bras et du corps; mais il m'a été découvert dans cette occasion que vous avez le même pouvoir infini avec le Père et le Fils. Dans un même moment le ciel et la terre s'émurent en votre divine présence avec des effets fort différents à l'égard de tous les mortels, mais très-semblables à ceux qui arriveront le jour du jugement universel. Vous remplîtes les saints et les justes de votre grâce, de vos dons et d'une consolation inexprimable; vous châtiâtes les impies et les superbes, et les remplîtes de confusion et de peines. Je vois ici véritablement s'accomplir ce que vous avez dit par l'organe de David (1), que vous êtes le Dieu des vengeances, et que vous agissez avec une entière liberté, rendant, quand vous le voulez, aux méchants ce qui leur est dû, afin qu'ils ne se glorifient point avec insolence dans leur injuste mille, et qu'ils ne disent point dans leur coeur que vous ne les verrez point, que vous ignorerez leurs iniquités, et qu'ils n'en recevront aucune punition.

 

(1) Ps. XCIII, 1.

 

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67. Que les insensés de la terre sachent donc que le Très-Haut discerne les vaines pensées dés hommes (1), et que s'il est libéral et doux envers les justes, il est rigoureux et inexorable envers les impies et les-méchants quand il faut les punir. Il appartenait au Saint-Esprit de montrer l'un et l'autre dans cette circonstance, parce qu'il procédait du Verbe qui s'incarna pour les hommes, et qui mourut pour les racheter, et souffrit tant d'opprobres et de mauvais traitements sans ouvrir la bouche et sans vouloir s'en venger (2). Il fallait donc que-le Saint-Esprit, descendant sur la terre, répartit l'honneur du Verbe incarné, et que, s'il ne châtiait pas tous ses ennemis, il marquât au moins dans la punition des plus impies, celle que méritaient tous ceux qui l'avaient traité avec cruauté et avec perfidie, si malgré l'exemple qu'ils voyaient, ils ne se soumettaient point à la vérité avec un sincère repentir. Il était juste aussi de récompenser le peu de personnes qui avaient reconnu le Verbe incarné pour le Rédempteur, et de disposer ceux qui devaient prêcher sa foi et sa doctrine par des faveurs proportionnées à leur ministère, qui était d'établir l'Église et la loi évangélique. Quant à la bienheureuse Marie, la visite du divin Esprit lui était eu quelque sorte due. L'apôtre dit (3) que l'homme quittant son père et sa mère pour demeurer avec son épouse, comme l'avait déjà dit Moïse (4), participe à un grand

 

(1) Ps. XCIII, 11. — (2) Isa., LIII, 7. — (3) Ephes., V, 32. — (4) Gen., II, 24.

 

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sacrement, figure de l'union qui existe entre Jésus-Christ et l'Église, pour s'unir à laquelle en l'humanité qu'il revêtit; il est descendu du sein de son Père. Or si Jésus-Christ est descendu du ciel pour demeurer avec son épouse l'Église, il semblait que le Saint-Esprit dût aussi descendre pour la très-pure Marie, car elle n'était pas,moins son Épouse que l'Église ne l'était de Jésus-Christ, et il ne l'aimait pas moins que le Verbe incarné n'aimait l'Église.

 

Instruction que m'a donnée notre Dame la grande Reine du ciel.

 

68. Ma fille, les enfants de l'Église sont peu reconnaissants du bienfait que leur accorda le Très-Haut lorsqu'il envoya le Saint-Esprit à cette même Église, après avoir envoyé son Fils comme Maître et Rédempteur des hommes. L'amour dont il les a aimés et par lequel il a voulu les attirer à lui a été si grand, que pour les rendre participants de ses divines perfections, il a envoyé d'abord le Fils (1), qui est la Sagesse, et ensuite le Saint-Esprit, qui est son amour même, afin qu'ils fussent enrichis de ses attributs dans la proportion suivant laquelle ils étaient tous capables de les recevoir. Quand le divin Esprit descendit

 

(1) Joan., III, 16.

 

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la première fois sur les apôtres et sur les autres fidèles qui étaient avec eux , il a voulu, en venant ainsi , donner des gages de sa munificence, et témoigner qu'il ferait cette même faveur aux autres enfants de l’Église, de la lumière et de l'Évangile, et qu'il communiquerait ses dons à tous si tous se disposaient à les recevoir. En confirmation de cette vérité, le même divin Esprit descendait sur un grand nombre de croyants sous une forme ou par des effets visibles (1), parce qu'ils étaient véritablement des serviteurs fidèles, humbles, sincères, d'un coeur pur et préparés à sa visite. Il vient encore maintenant dans beaucoup d'âmes justes, quoique ce ne soit. point avec des marques aussi éclatantes qu'alors, car cela n'est ai nécessaire ni convenable. Les effets et les dons intérieurs sont tous du même genre, selon la disposition et la capacité de ceux qui les reçoivent.

69. Heureuse est l'âme qui aspire avec ardeur à obtenir ce bienfait et à participer à ce feu divin, qui l'enflamme et l'éclaire, qui consume eu elle tout ce qui est terrestre et charnel, qui la purifie et l'élève. enfin d'un nouvel être par l'union et la participation de Dieu lui- même. Cet incomparable bonheur, je vous le souhaite, ma fille, comme une véritable et tendre Mère; et afin que vous l'obteniez dans toute sa plénitude, je vous avertis de nouveau de préparer votre coeur et de travailler à y conserver, en tout ce qui vous surviendra, une tranquillité et une paix

 

(1) Act., VIII, 17; X, 44; XI, 15.

 

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inaltérables. La divine bonté veut vous transporter dans une demeure haut placée et sûre, où les agitations de votre esprit cesseront, et où les traits du monde et de l'enfer ne sauraient arriver. C'est là que le Très-Haut reposera dans votre tranquille habitation, et trouvera en vous un temple digne de sa gloire. Le Dragon ne manquera pas d'employer toute sa malice pour vous tenter. Soyez sur vos gardes, afin que ses attaques n'excitent aucun trouble, aucune inquiétude dans l'intérieur de votre âme. Conservez votre trésor dans votre secret, et jouissez des délices du Seigneur des doux effets de son chaste amour et des influences de sa science; car c'est pour cela qu'il vous a choisie et distinguée entre plusieurs générations, et qu’il a étendu sur vous sa main libérale.

70. Considérez donc votre vocation, et soyez assurée que le Très-Haut vous offre de nouveau la participation et la communication de son divin Esprit et de ses dons. Mais sachez que, quand il les accorde, il n'ôte point la liberté de la volonté, car il la laisse toujours maîtresse de choisir à son gré entre le bien et le mal. Ainsi il faut que, vous confiant en la faveur divine, vous preniez une résolution efficace de m'imiter en toutes les oeuvres de ma vie que vous connaissez, et de ne point empêcher les effets et la vertu des dons du Saint-Esprit., Pour vous mieux pénétrer de cette doctrine, je vous expliquerai la pratique des sept dons.

71. Le premier, qui est la sagesse, donne la connaissance et le goût des choses divines, pour exciter

 

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l'intime amour que vous devez y apporter, et pour vous faire souhaiter et rechercher en toutes choses le bon, le meilleur, le plus parfait et. le plus agréable au Seigneur. Vous devez concourir à ce saint mouvement en vous abandonnant sans réserve au bon plaisir de la divine volonté, et en repoussant tout ce qui peut retarder vos progrès, quelques charmes que vous y trouviez. Le don d'intelligence, qui est le second, vous aidera à cela en vous donnant une lumière spéciale pour vous faire connaître à fond l'objet qui se présentera à votre esprit. Vous devez coopérer à cette intelligence en détournant votre attention et vos réflexions des choses étrangères dont la connaissance est inutile, et que le démon vous offre par lui-même et par le moyen des autres créatures, pour distraire votre entendement et l'empêcher de bien pénétrer la vérité des choses divines. L'application à ces vains objets l'embarrasse beaucoup, car, sachez-le bien, l'intelligence des choses mondaines et l'intelligence des choses divines sont incompatibles; la capacité humaine est bornée, et lorsqu'elle s'applique à plusieurs choses, elle les comprend. moins que si elle s'attachait à une seule. On expérimente ici encore la vérité dé l'Évangile, que personne ne peut servir deux maîtres (1). Or, quand l'âme donnant toute son attention à l'intelligence du bien, le pénètre, la force, qui est le troisième don , lui est nécessaire pour pratiquer avec résolution tout ce que

 

(1) Matth., VI, 24.

 

l'entendement a connu de plus saint, de plus parfait et plus agréable au Seigneur. C'est la force qui fait vaincre toutes les difficultés et surmonter tous les obstacles qui peuvent se présentera et détermine la créature à s'exposer à souffrir toute sorte de peines, pour ne pas se priver du véritable et souverain bien qu'elle connaît.

27. Mais comme il arrive souvent que, par suite de son ignorance naturelle, de ses doutes, de ses tentations , la créature ne saisit pas les conclusions qu'elle doit tirer de la vérité divine qu'elle connaît, et que cela l'empêche de choisir et de pratiquer ce qui est le meilleur, su milieu des expédients que lui offre la prudence de la chair, le don de science, qui est le quatrième, sert à la tirer de cet embarras, lui donnant des lumières pour inférer une chose bonne d'une autre, et lui apprenant à discerner dans sa conduite le parti le plus sûr, et à faire valoir ses raisons en cas de besoin. Le don de piété, qui est le cinquième, s'unit à celui-là, et incline l'âme avec une douce force à tout ce qui est véritablement du bon plaisir et du service de Dieu, à tout ce qui peut tourner au bien spirituel du prochain; il fait aussi qu'elle l'exécute, non par une certaine passion naturelle, mais par un motif saint, parfait et vertueux. Le don de conseil, qui est le sixième, lui permet de se conduire en toutes choses avec une haute prudence, porte la raison à agir avec circonspection et sans témérité, à considérer les moyens, à peser les circonstances pour elle-même et pour les autres, afin

 

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de choisir avec une sage discrétion les voies les plus convenables pour atteindre des fins honnêtes et saintes. Vient ensuite, en dernier lieu , le don de crainte, qui garde et scelle tous les autres. Il détermine le coeur à fuir tout ce qui est imparfait, dangereux , et contraire à la vertu et à la perfection de l’âme; ainsi il lui sert comme d'une forte muraille qui la défend. Il faut pourtant bien connaître l'objet et la mesure de cette sainte crainte, pour qu'elle ne devienne pas excessive , et pour ne pas craindre où il n'y a aucun sujet de crainte, comme cela vous est arrivé si souvent par la malice artificieuse du serpent, qui, au lieu de la sainte crainte, a taché de vous inspirer une crainte désordonnée, même des bienfaits du Seigneur. Mais cette instruction vous montrera comment vous devez user des dons du Très-Haut, et vous conduire par leur moyen. Je vous avertis néanmoins que la science de craindre est le propre effet des faveurs que Dieu communique à lame, et il le produit en elle avec douceur, avec pais: et. avec tranquillité, clin qu'elle sache estimer et apprécier ses dons ( car tout ce qui vient de la main du Très-haut est grand et précieux), et afin qu'une crainte servile ne l'empoche point de bien reconnaître, les faveurs de sa main puissante, niais qu'une sainte ennuie, au contraire, l'excite à répondre aux grâces par toute la gratitude dont elle est capable, et à s'humilier profondément. Or, connaissant toutes ces vérités comme vous les connaissez, et sortant de la lâcheté que produit la crainte servile, vous n'aurez plus

 

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que la crainte filiale, qui sera la boussole avec laquelle vous marcherez en toute sécurité dans cette vallée de larmes.

 

CHAPITRE VI. Les apôtres sortirent du Cénacle pour prêcher à la multitude du peuple qui y était accouru. — Ils lui parlèrent en diverses langues. — Il y eut ce jour-là environ trois mille personnes qui se convertirent. — Ce que fit la bienheureuse Vierge dans cette occasion.

 

73. Aux signes si sensibles et si éclatants avec lesquelles le Saint-Esprit descendit sur les apôtres, tous les habitants de Jérusalem s'émurent émerveillés d'un événement si extraordinaire , et le bruit de ce que l'on avait vu sur la maison du Cénacle s'étant répandu, tout le peuple y accourut pour voir ce qui s'y passait (1). On célébrait ce jour-là une des fêtes ou Pâques des Hébreux; et c'est pour cela, comme aussi par une disposition particulière du Ciel, qu'il se trouvait dans la ville un très-grand nombre d'étrangers de toutes les nations du monde, auxquels le Très-Haut voulait manifester ce nouveau prodige,

 

(1) Act., II, 6.

 

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et la manière dont on allait commencer à prêcher et à propager la nouvelle loi de grâce , que le Verbe incarné notre Rédempteur et notre Maître avait établie pour le salut des hommes.

74. Les apôtres, qui étaient tout enflammés de charité par la plénitude des dons du Saint-Esprit, sachant que le peuple de Jérusalem accourait aux portes du Cénacle, demandèrent à leur Reine la permission de sortir pour lui prêcher la parole de Dieu; car une si grande grâce ne pouvait rester un seul moment oisive, sans tourner au profit des âmes et à une nouvelle gloire de Celui qui en était l'auteur. Ils sortirent tous du Cénacle, et s'étant présentés au peuple, ils commencèrent à prêcher les mystères de la foi et du salut éternel. Jusqu'alors ils s'étaient tenus retirés et s'étaient montrés timides; en ce moment, in contraire, ils parurent avec un courage tout à fait inattendu, et les paroles qui sortaient de leurs bouches, comme des rayons d'une nouvelle lumière, étaient si efficaces, que tous les auditeurs en furent pénétrés : aussi la foule était-elle frappée d'étonnement et d'admiration, à la vue d'un changement si inouï, si incroyable. Tous se regardaient les uns les autres, et se disaient avec une espèce d’effroi : « Qu'est-ce donc que nous voyons? Ces hommes qui parlent ne sont-ils pas tous Galiléens? Comment donc les entendons-nous parler chacun la langue de notre pays? Juifs et Prosélytes, Romains, Latins, Grecs, Crétois, Arabes, Parthes, Mèdes, et tant d'autres de divers endroits du monde, nous les entendons

 

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tous parler en notre langue (1). » 0 grandeurs de Dieu! qu'il est admirable dans ses oeuvres !

75. Cette merveille, que tant de diverses nations. qui étaient dans Jérusalem entendissent parler les apôtres chacune en sa propre langue, leur causa un grand étonnement, aussi bien que la doctrine qu'ils prêchaient. Il faut pourtant remarquer que bien que les apôtres, par la plénitude de science et des dons gratuits qu'ils avaient reçus, fussent capables de parler en toutes sortes de langues, parce que cela était nécessaire pour prêcher l'Évangile aux nations, néanmoins en cette circonstance ils ne parlèrent qu'en la langue de la Palestine; et n'articulant que celle-là ils étaient entendus de toutes les nations, comme s'ils eussent parlé en la propre langue de chacune. De sorte que le mot articulé par chaque apôtre dans la langue hébraïque, arrivait aux oreilles des divers auditeurs dans la propre langue de leur pays. Tel fut le miracle que Dieu fit alors, afin qu'ils fussent mieux compris, et mieux accueillis de tant de nations différentes. Ainsi saint Pierre ne répétait point le mystère qu'il prêchait, dans la langue de chacun de ceux qui l'écoutaient. Il ne l'annonçait qu'une fois, et alors chacun l'entendait en sa propre langue; et il en arrivait de même aux autres apôtres. Car si chacun eût parlé en la langue de celui qui l'écoutait, il lui aurait fallu répéter pour le moins dix-sept fois la même chose; puisqu'il y avait autant de nations

 

(1) Act., II, 7, etc.

 

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différentes dans l'auditoire, comme le remarque saint Luc (1), disant que chacun entendait les apôtres eu sa langue maternelle; et s'ils eussent fait toutes ces répétitions, ils auraient dû y employer plus de temps que ne le fait supposer le texte sacré; ç'aurait été même une confusion et un sujet d'ennui d'entendre parler tant de sortes de langues à la fois; et ce miracle ne serait pas pour nous aussi intelligible que celui que je viens de déclarer.

76. Les nations qui écoutaient les apôtres ne comprirent pas cette merveille, quoiqu'elles fussent étonnées d'ouïr chacune la langue de son pays. Et si le texte de saint Luc porte (2) que les apôtres commencèrent à parler diverses langues, c'est parce qu'ils les surent à l'instant, et qu'ils les parlèrent aussitôt après, comme je le dirai dans la suite, et parce qu'ils pouvaient les parler, et que ceux qui vinrent au Cénacle les entendirent prêcher chacun en sa propre langue. Mais ce nouveau prodige produisit divers effets dans les auditeurs, et les divisa en des sentiments contraires, selon leurs dispositions. Ceux qui écoutaient les apôtres avec an coeur pieux et docile recevaient de grandes notions sur la Divinité et sur la rédemption du genre humain , dont les apôtres parlaient d'une manière très-sublime et très-pathétique, et la force de leurs paroles excitait en ces heureux auditeurs de fervents désirs de connaître la vérité, en même temps que la divine

 

(1) Act., II, 9, etc. — (2) Ibid., 4.

 

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lumière les éclairait et les pénétrait d'une vive douleur pour pleurer leurs péchés et pour demander miséricorde. Animés de ces sentiments, ils appelaient en gémissant les apôtres, et les priaient de leur enseigner ce qu'ils devaient. faire pour acquérir la vie éternelle. D'autres, qui étaient endurcis, s'irritaient contre les apôtres, et n'étaient point touchés des grandeurs divines qu'ils prêchaient; loin d'ajouter foi à leurs discours, ils les traitaient de novateurs et de fourbes. Il y avait aussi beaucoup de Juifs plus impies et plus obstinés en leur perfidie et en leur envie, qui outrageaient davantage les apôtres, et disaient qu'ils étaient ivres et sans jugement (1). Parmi eux se trouvaient plusieurs de. ceux qui revinrent de la chute qu'ils avaient faite lors du grand bruit que l'on entendit à la venue du Saint-Esprit : car ils se relevèrent et plus obstinés et plus rebelles contre Dieu.

77. Mais l'apôtre saint Pierre se chargea; comme chef de l'Église, de réprimer ce blasphème, et s'adressant, à eux avec une voix plus forte., il leur dit (2) : « Peuple juif, et vous tous qui demeurez dans Jérusalem, apprenez ceci, et prêtez l'oreille à mes paroles. Ce n'est pas, comme vous le pensez, que ces hommes qui sont avec moi soient ivres, puisqu'il n'est pas encore midi, qui est l'heure à laquelle certaines gens ont coutume de commettre ce désordre. Mais sachez que Dieu a

 

(1) Act., II, 13. — (a) Ibid., 14, etc.

 

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accompli en eux ce qu'il avait promis par le prophète  Joël, lorsqu'il dit (1) : « Il arrivera, dans les temps à  venir, que je répandrai mon Esprit sur toute chair: « vos fils et vos filles prophétiseront : vos jeunes gens  et vos vieillards auront des visions et des songes divine. En ce temps-là je répandrai mon Esprit sur mes  serviteurs et sur mes servantes : je ferai paraître   des prodiges dans le ciel et des merveilles sur la  terre, avant que le grand et glorieux jour du Seigneur arrive. Et quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé. » Israélites, entendez ces paroles (2). C'est vous qui avez fait mourir Jésus de Nazareth par les mains des méchants, lui qui était un homme saint, de qui Dieu vous a rendu témoignage par les vertus, les prodiges et les miracles que vous savez qu'il a faits par lui au milieu de vous : il l'a ressuscité d'entre les morts, selon les prophéties de David (3) ; car ce saint roi ne pouvait point parler de lui-même, puisque vous avez le sépulcre où se trouve son corps; mais, comme prophète, il a parlé de Jésus-Christ, et nous sommes témoins de sa résurrection, l'ayant vu monter au ciel par sa propre vertu, pour s'asseoir à la droite du Père, ainsi que le même David l’a

également prophétisé (4). Que les incrédules entendent ces paroles, et apprennent cette vérité, que  la malice de leur perfidie veut nier; mais le Très-

 

(1) Joel., II, 28. — (2) Act., II, 22, etc. — (3) Ps. XV, 8. —(4) Ps. CIX, 1.

 

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Haut s'opposera à cette malice par les merveilles  qu'il opèrera en nous, ses serviteurs, en témoignage de la doctrine de Jésus-Christ et de sa résurrection glorieuse.

78. « Que toute la maison d'Israël sache donc que  certainement Dieu a établi pour son Christ et pour  Seigneur de. toutes choses ce même Jésus que  vous avez crucifié, et que le troisième jour il  est ressuscité d'entre les morts. » Vivement touchés par ce discours, un grand nombre de ceux qui l'entendirent versèrent d'abondantes larmes de componction, demandant à saint Pierre et aux autres apôtres ce qu'ils pourraient faire pour leur propre remède (1). Saint Pierre, continuant, leur dit : « Faites une véritable pénitence, et que chacun de  vous soit baptisé au nom de Jésus-Christ, afin que vos péchés vous soient remis; et vous recevrez  aussi le Saint-Esprit : car la promesse vous a été  faite pour vous et pour vos enfants, et pour ceux  qui sont plus éloignés, que le Seigneur attirera  et appellera. Tâchez donc maintenant de profiter  du remède, et de vous sauver en vous éloignant de  cette génération perverse et incrédule (2). » Saint Pierre et les autres apôtres ajoutèrent plusieurs autres paroles, de vie, par lesquelles les perfides Juifs et les autres incrédules furent tous confondus : et comme ils n'y pouvaient pas répondre, ils se retirèrent du Cénacle. Mais le nombre de ceux qui embrassèrent

 

(1) Act., II, 37. — (2) Ibid., 88, etc.

 

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la véritable doctrine et la foi de Jésus-Christ é'éleva à près de trois mille, qui s'unirent tous aux apôtres, dont ils reçurent le baptême; et les prodiges que les apôtres opéraient troublèrent toute la ville de Jérusalem, et répandirent un grand effroi parmi les incrédules (1).

79. Les trois mille personnes qui se convertirent ce jour-là par le premier sermon de saint Pierre, étaient de toutes les nations qui se trouvaient alors à Jérusalem, afin que le fruit de la rédemption s'étendit aussitôt sur tous les peuples; que tous ensemble fissent une Église, et que la grâce du Saint-Esprit s'appliquât à tous, sans en exclure aucun, puisque l'Église universelle devait être composée de tontes les nations du monde. Parmi les convertis, il y avait, comme je l'ai dit plus haut, plusieurs des Juifs qui avaient suivi notre Sauveur Jésus- Christ avec piété et compassion, et qui s'étaient affligés de sa Passion et de sa mort. Il s'en convertit aussi quelques-uns de ceux qui avaient concouru à sa mort, mais en fort petit nombre, parce que la plupart ne se disposèrent point à recevoir cette grâce; car s'ils se fussent tous disposés, ils eussent tous obtenu le pardon de leur crime. Le sermon achevé, les apôtres se retirèrent ce même soir su Cénacle avec une grande partie des nouveaux enfants de l'Église, pour informer la Mère de miséricorde, la très-pure Marie, de tout ce qui s'était passé, et afin que les néophytes la connussent et la révérassent.

 

(1) Act., II, 43.

 

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80. Mais l’auguste Reine des anges u ignorait rien de tout ce qui était arrivé : car de sa retraite elle avait entendu la prédication des apôtres, connu jusqu'à la moindre pensée, et pénétré le coeur de tous les auditeurs. La compatissante Mère demeura toujours prosternée le visage contre terre, demandant avec beaucoup de larmes la conversion de tous ceux qui embrassèrent la foi du Sauveur; priant même pour les autres qui se seraient convertis s'ils eussent coopéré aux secours et à la grâce du Seigneur. La bienheureuse Vierge, voulant assister les apôtres en ce grand oeuvre auquel ils commençaient à travailler par leurs premières prédications, et aider leurs auditeurs à en profiter, envoya plusieurs anges de sa garde au secours des uns et des autres. Ces zélée auxiliaires les encouragèrent par leurs saintes inspirations, et remplirent les apôtres d'une nouvelle ardeur et d'une nouvelle énergie pour publier et découvrir les mystères cachés de la divinité et de l'humanité de notre Rédempteur Jésus-Christ. Les anges exécutèrent fidèlement les ordres de leur grande Reine; et dans cette circonstance elle usa de son pouvoir et des privilèges de sa sainteté d'une manière en rapport avec la grandeur d'une merveille extraordinaire et avec, l'importance de la cause dont il s'agissait. Quand les apôtres arrivèrent près d'elle avec ces prémices si abondantes de leurs prédications et du Saint-Esprit, elle les accueillit tous avec une joie incroyable, et avec la douceur d'une véritable et tendre Mère.

 

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81. L'apôtre saint Pierre, s'adressant aux nouveaux convertis, leur dit : « Mes frères et serviteurs du Très-Haut, voici la Mère de Jésus, notre Rédempteur et notre Maître, dont vous avez reçu la foi, le reconnaissant pour Dieu et homme véritable. C'est elle qui lui a donné la forme humaine , en le concevant dans son sein, d'où il sortit la laissant vierge, avant, pendant et après l'enfantement; reconnaissez-la pour votre Mère, votre Protectrice et votre Médiatrice; vous et nous, c'est par elle que nous recevrons la lumière, la consolation et le remède de nos péchés et de nos misères. » Cette exhortation de l'apôtre et la vue de la bienheureuse Marie produisirent chez ces nouveaux fidèles des effets admirables de lumière et de joie intérieure : car cette prérogative de communiquer de grands biens intérieurs et de donner une lumière particulière à ceux qui la regardaient avec des sentiments de piété et de vénération, lui fut confirmée et augmentée, lorsqu'elle se plaça dans le ciel à la droite de son très-saint Fils. Quand tous ces fidèles eurent reçu cette faveur par la présence de notre auguste Dame , ils se prosternèrent à ses pieds, lui demandèrent en pleurant la permission de lui baiser la main , et la prièrent de leur donner sa bénédiction Mais l'humble et prudente Reine, alléguant que les apôtres, qui étaient prêtres , et saint Pierre , vicaire de Jésus-Christ, se trouvaient présents, s'excusa de le faire, jusqu'à ce que le saint apôtre lui eut dit : « Honorée Dame , ne refusez point à ces fidèles ce

 

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que leur piété vous demande pour la consolation de leurs âmes. » La bienheureuse Marie obéit au chef de l'Église, et donna avec une humble dignité de Reine sa bénédiction aux néophytes.

82. L'amour, qui pressait leurs coeurs, leur fit désirer que la divine Mère leur adressât quelques paroles de consolation; mais l'humilité et le respect ne leur permettaient pas d'oser l'en prier. Et comme ils s'étaient aperçus de la soumission qu'elle témoignait à saint Pierre, ils s'adressèrent à lui, et le prièrent de l'engager à ne point les congédier sans leur dire quelques mots pour les encourager. Saint Pierre crut qu'il était convenable de consoler ces âmes, qui venaient d'être régénérées en notre Seigneur Jésus-Christ par sa prédication et par celle des autres apôtres; mais comme il savait que la Mère de la Sagesse n'ignorait point ce qu'elle devait faire, il n'osa lui dire que ces paroles : « Divine Mère, exaucez les voeux de vos serviteurs et de vos enfants. » Aussitôt notre grande Reine obéit, et s'adressa en ces termes aux néophytes : « Mes très-chers frères en notre Seigneur, rendez du fond de votre âme des actions de grâces et de louanges continuelles au Tout-Puissant de ce qu'il vous a attirés et appelés d'entre les autres hommes au véritable chemin de la vie éternelle par la connaissance de la sainte foi que vous avez reçue. Soyez- y fermes et constants pour la confesser de tout votre coeur, et pour écouter et croire tout ce que contient la loi de grâce , telle que l'a établie et enseignée son

 

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véritable Maître Jésus-Christ mon Fils et votre Rédempteur. Obéissez à ses apôtres, et soyez attentifs à ce qu'ils vous enseigneront. Vous recevrez par le Baptême le caractère des enfants du Très- Haut. Je m'offre à être votre servante; pour vous assister en tout ce qui sera nécessaire pour votre consolation; je prierai mon Fils et mon Dieu éternel pour vous, et le supplierai a de vous regarder comme un père plein d’indulgence, de vous manifester la joie de son visage dans la véritable félicité, et de vous communiquer maintenant sa grâce. »

83. Cette touchante exhortation anima singulièrement ces nouveaux enfants de l'Église, et les remplit de lumière, de vénération et d'admiration; si haute fut l'idée qu'ils conçurent de la Reine de l'univers; et après lui avoir demandé de nouveau sa bénédiction, ils prirent congé d'elle ce même jour, transformés et enrichis par les dons merveilleux de la droite du Tout-Puissant. Les apôtres et les disciples continuèrent dès lors sans aucune interruption leurs prédications et leurs miracles; et pendant toute cette octave ils catéchisèrent non-seulement les trois mille personnes qui se convertirent le jour de la Pentecôte, mais une foule d'autres qui embrassaient chaque jour la foi. Et comme il y eu avait de toutes les nations, ils leur parlaient et les catéchisaient chacune en sa propre langue; et c'est pour cela que j'ai dit qu'ils parlèrent dès ce temps-là diverses langues. Les apôtres ne reçurent pas seuls cette grâce; car; quoiqu’elle fût

 

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en eux et plus grande et plus insigne, les disciples la reçurent également, ainsi que les cent vingt fidèles qui étaient dans le Cénacle, et les saintes femmes qui avaient reçu le Saint-Esprit. Cela fut alors nécessaire, parée que le nombre de ceux qui se convertissaient à la foi était très-considérable : aussi , quoique tous les hommes et même plusieurs femmes s'adressassent aux apôtres , il y eut plusieurs autres femmes qui, après les avoir entendus, allaient trouver la Madeleine et ses compagnes. Celles-ci les instruisaient, et en outre en convertissaient d'autres qui les venaient voir à cause des miracles qu'elles opéraient : car le pouvoir d'en faire fut aussi communiqué aux saintes femmes, qui guérissaient toutes sortes de maladies par la seule imposition des mains, donnaient ra vue aux aveugles, faisaient parler les muets et marcher les paralytiques, et ressuscitaient plusieurs morts. C'étaient principalement les apôtres qui opéraient ces prodiges et beaucoup d'autres; néanmoins les disciples et les saintes femmes contribuaient comme eux à mettre en émoi la ville de Jérusalem tout entière; on n'y entendait parler que des prodiges et de la prédication des apôtres de Jésus-Christ, que de ses disciples et de ceux qui adhéraient à sa doctrine.

84. Le bruit de ces événements extraordinaires se répandait jusque hors de la ville : car il n'y avait aucun malade qui, ayant recours à eux, ne fût guéri de sa maladie. Ces miracles furent alors plus nécessaires, non-seulement pour confirmer la

 

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nouvelle loi et la foi de Jésus-Christ, mais aussi afin que les bommes, poussés par le désir naturel qu'ils ont de conserver la vie et de recouvrer la santé du corps, pussent, tout en ne venant chercher que la guérison de leurs infirmités physiques, entendre la parole divine, et s'en retourner, non-seulement avec la santé du corps, mais encore avec celle de l'âme, comme il arrivait ordinairement à ceux que les apôtres guérissaient. Par là le nombre des fidèles s'accroissait de jour en jour; et leur foi était si vive, leur charité si ardente, qu'ils commencèrent tous à imiter la pauvreté de Jésus-Christ, méprisant les richesses, et portant tout ce qu'ils avaient aux pieds des apôtres, sans s'approprier ni se réserver la moindre chose (1). Ils rendaient tous leurs biens communs pour les fidèles, et voulaient se délivrer du péril des richesses et vivre dans la pauvreté, dans la simplicité, dans l'humilité, et en oraison continuelle, sans prendre autre soin que celui du salut éternel. — Ils se regardaient tous comme frères et enfants d'un. même Père qui est dans les cieux (2), et considérant que la foi, l'espérance, la charité, les sacrements, la grâce et la vie éternelle qu'ils cherchaient, étaient communs pour tous, ils croyaient l'inégalité dangereuse entre les mêmes chrétiens, enfants d'un même Père, héritiers de ses biens et sectateurs de sa loi; il leur répugnait de voir qu'étant si unis entre eux en ce qui était essentiel, les uns

 

(1) Act., II, 45. — (2) Matth., XXIII, 9

 

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fussent riches et les autres pauvres, sans se partager les biens temporels comme ceux de la grâce, puisqu'ils appartiennent tous à un Père qui est le même pour tous ses enfants.

85. Tel fut le siècle d'or et l'heureux commencement de l'Église évangélique. Alors un fleuve de joie inonda la Cité de Dieu (1); alors le torrent de la grâce et des dons du Saint-Esprit fertilisa ce nouveau paradis de l'Église, récemment établi par là main de notre,Sauveur Jésus-Christ, et au milieu duquel se trouvait l'arbre de vie, la bienheureuse Vierge. En ce temps-là la foi était vive, l'espérance ferme, la charité ardente, la simplicité réelle, l'humilité véritable, la justice intègre; les fidèles ne connaissaient point l'avarice et ne s'attachaient point à la vanité; ils dédaignaient le faste et vivaient sans convoitise, sans orgueil, sans ambition, vices qui ont depuis amené tant de désordres parmi des gens qui professent la foi, qui prétendent suivre Jésus-Christ, et qui le renient par, leurs oeuvres. Allèguerons- nous pour excuse gîte c'étaient alors les prémices du Saint-Esprit (2); que les fidèles n'étaient, pas aussi nombreux; que les temps sont aujourd'hui bien différents; que la Mère de la Sagesse et de la. grâce, l'auguste Marie, vivait alors dans la sainte Église, au milieu de ses enfants, et que la présence, les prières et la protection de cette grande Reine les soutenaient, les affermissaient et les élevaient jusqu'à l'héroïsme dans leur croyance et dans leur conduite?

 

(1) Ps. XLV, 4. — (2) Rom., VIII, 23.

 

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86. Nous répondrons à cela dans la suite de cette histoire, où l'on verra que ç'a été par la faute des enfants de l'Église que tant de vices se sont introduits parmi eux; et qu'ils, ont eux-mêmes donné lieu au démon d'obtenir sur les chrétiens des avantages qu'il n'aurait même pas. osé espérer malgré son orgueil et sa malice. Je dirai ici seulement que la vertu et la grâce du Saint-Esprit ne se sont point épuisées dans ces prémices. Cette grâce est toujours la même , et serait aussi efficace à l’égard du grand nombre jusqu'à la fin de l'Église, qu'elle l'a été à l'égard du petit dans son commencement, si ce grand nombre était aussi fidèle que le petit. Il est vrai que les temps sont changés; mais ce changement de la vertu aux vices et du bien au mal ne se fait point par le changement des cieux et des astres, mais par celui des hommes, qui ont quitté les voies droites de la vie éternelle pour suivre celles de la perdition. Je ne parle pas maintenant des païens ni des hérétiques, qui ont fermé entièrement les yeux à la véritable lumière de la foi et même de la raison naturelle. Je parle des fidèles qui; se glorifiant d'être les enfants de la lumière, se contentent du nom seul, et s'en servent parfois pour couvrir leurs vices des apparences de la vertu, et déguiser leurs péchés.

87. Il ne me sera pas possible d'écrire dans cette troisième partie le moindre des prodiges et des choses merveilleuses que notre grande Reine fit dans la primitive Église; mais par ce que j'en dirai, et par les années qu'elle vécut dans le monde après l'ascension,

 

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on pourra s'en former une idée; car elle ne cessa point un instant, elle lie perdit pas une occasion de faire quelque faveur singulière à l'Église, en commun , ou en particulier, soit en la demandant à son très-saint Fils, qui ne lui refusait rien, soit en multipliant ses exhortations, ses enseignements, ses conseils, et en répandant en diverses manières parmi les enfants de l'Évangile la divine grâce dont elle était la trésorière et la dispensatrice. Un des mystères cachés qui m'ont été découverts sur ce pouvoir de l'auguste Marie, est que durant ces années qu'elle passa dans la sainte Église, le nombre de ceux qui se damnèrent fut relativement très-petit, et que si l'on compare un siècle avec ce peu d'années, il y en eut alors plus de sauvés que dans le cours de plusieurs siècles postérieurs.

88. J'avoue que le sort de cette époque trois fois fortunée pourrait nous causer une sainte envie à nous qui naissons à -la lumière de la foi dans les derniers et les plus mauvais temps, si la succession des années prouvait amoindrir le pouvoir, la charité et la clémence Ae cette souveraine Impératrice. Il est vrai qu'il ne nous est pas donné de la voir, de converser avec elle et de l'entendre par les sens; et que sous ce rapport ces premiers enfants de l'Église furent plus Heureux que nous. Mais nous devons être bien convaincus qu'à cette époque même nous étions présenta en la divine science et en la charité de cette compatissante Mère : car elle nous vit et nous connut tous , dans les diverses périodes successifs de la durée de

 

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l'Église, selon le temps auquel nous y devions naître; elle pria, elle intercéda pour nous tous, comme pour ceux qui vivaient alors. Et elle n'est pas à présent moins puissante dans le ciel qu'elle ne l'était jadis sur la terre, ni moins notre Mère qu'elle ne l'était des premiers fidèles, puisque nous lui sommés aussi chers qu'eux. Mais, hélas! que notre foi, notre ferveur et notre dévotion sont bien différentes ! Quant à elle, elle n'a point changé; sa charité est restée la même, et son intercession, sa protection seraient aussi les mêmes, si dans nos malheureux temps nous recourions à elle avec reconnaissance, avec humilité et avec ferveur; si nous implorions son assistance, et si, à l'exemple de ces dévots et premiers fidèles, nous lui abandonnions notre sort et nos destinées avec une ferme espérance d'en être secourus; car si on les imitait, il est certain que toute l'Église catholique éprouverait jusqu'à la fin des siècles les effets de la protection qu'elle a trouvée dès ses commencements chez cette puissante Reine.

89. Revenons à la sollicitude dont cette tendre Mère entourait les apôtres et les nouveaux convertis, attentive à tout ce qui pouvait les consoler, et pourvoyant à tout ce qui pouvait leur être nécessaire. Elle anima les apôtres et les ministres de la divine parole, elle les exhorta à bien considérer le pouvoir et les témoignages si extraordinaires avec lesquels son très-saint Fils commençait à établir la foi de son Église; la vertu que le Saint-Esprit leur avait communiquée pour les rendre de dignes ministres et

 

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l'assistance qu'ils avaient toujours reçue du bras du Tout-Puissant; elle leur recommanda de le reconnaître pour l'auteur de toutes ces oeuvres et de toutes ces merveilles; de lui en rendre de très-humbles actions de grâces; et de continuer, avec une ferme confiance, à instruire les fidèles et à travailler à l’exaltation du nom du Seigneur, afin qu'il fût loué, connu et aimé de tous. Elle était la première à pratiques ses propres leçons avec une humilité admirable et en chantant les louanges du Très-Haut par des hymnes de gloire. Et c'était avec une plénitude telle, qu'elle ne négligea de prier le Père éternel et de lui rendre de ferventes actions de grâces pour aucun des néophytes; car elle les avait toua présents en sa mémoire sans aucune exception.

90. Non-seulement elle faisait cela pour chacun d'eux, mais elle les accueillait, les écoutait et les favorisait tous de ses paroles de vie et de lumière. Les jours qui suivirent la venue du Saint-Esprit, plusieurs d'entre eux lui parlèrent en secret et lui découvrirent leur intérieur; il en fut ensuite de même de ceux qui se convertirent dans Jérusalem, quoique notre grande Reine n'ignorât rien de ce qui se passait dans leur âme. En effet, elle connaissait leur coeur, leur caractère, leurs sentiments et leurs inclinations; et par cette divine pénétration elle s'accommodait au naturel et aux besoins de chacun, et appliquait à tous les maux le remède convenable. C'est ainsi que la bienheureuse Marie fit tant de rares faveurs et accorda tant de grâces insignes à un

 

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nombre incalculable d'âmes, qu'on ne les saurait connaître dans cette vie.

91. Aucun de ceux que notre auguste Maîtresse instruisit ne se damna (et pourtant il y en eut beaucoup qui obtinrent ce privilége), parce qu'elle fit des prières particulières pour eux tout le temps qu'ils vécurent, de sorte qu'ils furent tous écrits dans le livre de vie. Et pour obliger son très-saint Fils à leur accorder cette grâce, elle lui disait : « Mon adorable Seigneur et la vie de mon âme, je m'en suis retournée au monde avec votre agrément, u pour être la Mère de vos enfants et de mes frères les fidèles de votre Église. J'aurais le coeur pénétré  de douleur si le fruit de votre sang, qui est d'un  prix infini, se perdait pour ces enfants, qui ont a recours à mon intercession; il ne faut pas qu'ils a deviennent malheureux, puisqu'ils ont compté sur  un pauvre vermisseau pour implorer votre clémente. Admettez-les, mon Fils, dans votre gloire, au nombre de vos prédestinés et amis. » Le Seigneur lui répondit aussitôt que sa demande, serait exaucée. Et je crois que la même chose arrive maintenant à l'égard de ceux qui méritent l'intercession de la très-pure Marie et qui la sollicitent de tout leur coeur; car comment pourrait-on s'imaginer, si cette très-douce Mère adresse à son adorable Fils de semblables prières, qu'il lui refusera ce peu, après lui avoir déjà donné tout son propre être, afin qu'elle le revêtit de la chair et de la nature humaine, et qu'en cette même chair elle le nourrit de son propre lait?

 

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92. La plupart de ces nouveaux fidèles, par la haute estime qu'ils avaient de la bienheureuse Vierge après l'avoir vue et entendue , se présentaient de nouveau à elle et lui apportaient des bijoux , des pierreries et autres choses précieuses; surtout les femmes se dépouillaient de leurs plus riches ornements pour les offrir à leur auguste Maîtresse. Mais elle n'accepta aucun de ces dons. Et, s'il était convenable d'en recevoir quelques-uns, elle excitait intérieurement Ils donateurs à les porter aux apôtres, afin qu'ils les distribuassent avec charité, équité et justice entre les plus pauvres fidèles pour subvenir à leurs nécessités. Mais cette humble 1llère en témoignait sa gratitude comme si elle les eût acceptés pour elle-même. Elle recevait avec une douceur céleste les pauvres et les malades, et en guérissait plusieurs qui avaient des maladies invétérées. Elle remédia à de grandes nécessités cachées par l'intermédiaire de saint Jean , prévoyant toutes choses sans jamais négliger aucun acte de vertu. Et comme les apôtres et les disciples s'occupaient tout le jour à la prédication et à la conversion de ceux qui venaient embrasser la foi, notre grande Reine avait soin de préparer le nécessaire pour leur nourriture , et à l'heure de leur repas elle servait elle-même les prêtres à genoux, après leur avoir demandé avec respect et avec nue humilité incroyable la main pour la leur baiser. Ce qu'elle faisait surtout à l'égard des apôtres, connaissant que leurs âmes étaient confirmées en grâce, et considérant les effets que le Saint-Esprit y avait produits, et leur dignité

 

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de souverains pontifes et de fondements de l'Église (1). Elle les voyait quelquefois environnés d'une grande splendeur qui rejaillissait de leurs personnes sacrées, et tout contribuait à augmenter son respect et sa vénération pour eux.

 

Instruction que j'ai reçue de la grande Reine des anges.

 

93. Ma fille, vous trouverez renfermés dans les événements que vous a fait connaître ce chapitre, beaucoup de secrets relatifs au mystère de la prédestination des âmes. Sachez que la rédemption du genre humain suffisait pour les sauver toutes, puisque même elle a été très-surabondante (2). La parole de la vérité divine a été proposée à tous ceux, tant qu'ils sont, qui en ont entendu la prédication ou qui ont pu s'apercevoir des effets de l'avènement de mon Fils au monde. Outre cette prédication et ces marques extérieures, ils ont tous reçu des inspirations intérieures, afin que tous le reconnussent et le cherchassent. Malgré cela, vous vous étonnez de ce que par le premier sermon de l'apôtre trois mille personnes se soient converties de la grande multitude que contenait Jérusalem. Vous avez bien plus sujet de

 

(1) Ephes., II, 20. — (2) Rom., V, 20.

 

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vous étonner de ce qu'il s'en convertisse maintenant si peu pour entrer dans le chemin du salut éternel, lorsque l'Évangile est plus répandu, la prédication plus fréquente, les ministres plus nombreux, le nombre des ministres sacrés plus considérable, la lumière de l'Église plus éclatante, la connaissance des mystères divins plus distincte; et néanmoins les hommes sont plus aveuglés, les coeurs plus endurcis, l'orgueil est plus altier, l'avarice sans borne, et tous les vices règnent sans crainte de Dieu et sans retenue.

94. Avec une pareille perversité, les mortels ne peuvent point, au milieu de leurs malheurs, se plaindre de la très-haute et très-juste providence du Seigneur, qui a offert à tous et à chacun, et qui leur offre encore sa miséricorde paternelle, leur enseignant le chemin de la vie et leur signalant en même temps celui de la mort, et s'il les abandonne parfois à leur endurcissement, c'est avec une justice très-équitable. Les réprouvés se plaindront inutilement d'eux-mêmes quand ils connaîtront trop tard ce qu'ils pouvaient et devaient connaître au temps opportun. Si dans la vie passagère, qui leur est accordée pour mériter la vie éternelle, ils ferment les oreilles et les yeux à la vérité et à la lumière; s'ils écoutent le démon et se livrent entièrement à ses volontés les plus impies, s'ils usent si mal de la bonté et de la clémence du Seigneur, que peuvent-ils alléguer pour leur excuse? S'ils ne savent point pardonner une injure, et s'ils cherchent à se venger du tort le plus léger par les

 

 

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