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Instruction que me donna l'auguste Reine du ciel.
Instruction de la Reine du ciel Marie, notre sainte Maîtresse.
Instruction que la Reine du ciel me donna.
CHAPITRE XX. La présentation de l'Enfant Jésus dans le Temple, et ce qui s'y
passa.
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.
Instruction que la reine du ciel me donna.
Instruction que notre divine Maîtresse me donna.
Instruction que je reçus de la très-sainte Vierge.
Instruction que je reçus de l'auguste Reine du ciel.
413
CHAPITRE XVII. Les mages viennent voir et adorer une seconde fois l'Enfant
Jésus. — Ils lui offrent leurs présents, et après avoir pris congé ils
retournent en leur pays par un autre chemin.
565. Les trois rois
sortirent de la grotte où ils étaient entrés par le chemin le plus direct,
pour aller reposer dans une des hôtelleries de la ville de Bethléem ; et
s'étant retirés tout seuls dans un appartement, ils passèrent la plus grande
partie de cette nuit à s'entretenir avec une abondance de soupirs et de
larmes, de ce qu'ils avaient vu, des effets qu'ils avaient ressentis, et de ce
qu'ils avaient remarqué en l’Enfant-Dieu et en sa
très-sainte Mère. Dans ce dévot entretien ils
s'enflammèrent davantage du divin amour, et ne cessaient d'admirer la majesté
et la splendeur de l'Enfant, Jésus , la prudence, la gravité et la modestie
incomparables de la divine Mère, la sainteté du bienheureux époux Joseph, leur
extrême pauvreté, et la bassesse du lieu où le Seigneur du ciel et de la terre
avait voulu naître. Ces rois sentaient une divine flamme qui embrasait leurs
coeurs, et ne pouvant contenir leurs délicieux transports, ils exhalaient
ensemble les doux sentiments de vénération et d'amour
415
dont les
pénétrait ce mystère; ils disaient: « Quel est le feu qui nous anime?
Quelle efficace est celle de ce grand Roi, qui excite en nous de tels
désirs et de telles affections? Que ferons-nous pour vivre a encore au
milieu des hommes? Comment pourrons-nous retenir nos larmes et nos soupirs?
Coma ment devront se comporter ceux qui ont connu un a mystère si nouveau et
si sublime? O grandeur du Tout-Puissant cachée aux
hommes (1), et renfermée dans nue si grande pauvreté ! O humilité qui n'aurait
jamais pu être imaginée des mortels! Qui pourrait vous attirer tous dans ce
saint lieu, afin que personne ne fût privé de ce bonheur ! »
566. Dans cette divine
conférence les mages se souvinrent des grands besoins de Jésus, Marie et
Joseph dans la grotte, et ils voulurent aussitôt leur envoyer quelque présent
pour leur témoigner leur tendre affection, et satisfaire jusqu'à un certain
point le désir qu'ils avaient de leur être utile, tant qu'ils ne pourraient
pas faire davantage. Ils leur firent donc remettre par leurs serviteurs
plusieurs de leurs provisions, qu'ils joignirent à d'autres qu'ils se
procurèrent. L'auguste Marie et Joseph les reçurent avec une humble
reconnaissance, mais leurs remerciements ne consistèrent pas, suivant l'usage
ordinaire , en des actions de grâces stériles, mais
en beaucoup de bénédictions efficaces qui remplirent les trois rois de joie
spirituelle. Grâce à ce secours, notre grande Reine
(1) Isa., XLV, 15.
415
eut de
quoi régaler les pauvres ses conviés habituels, qui, étant accoutumés à ses
aumônes, et encore plus attirés parle charme de ses paroles, la visitaient
souvent. Les mages, pénétrés d'une consolation divine, prirent leur repos; et
l'ange les avertit dans un songe de la route qu'ils devaient prendre.
567. Le jour suivant, ils
retournèrent dès l'aube à la grotte de la nativité pour offrir su Roi céleste
les dons qu'ils avaient apportés. A peine arrivés, ils se prosternèrent devant
lui et l'adorèrent avec une très-profonde
humilité; puis ouvrant leurs trésors, comme dit l'Évangile, ils lui
présentèrent de l'or, de l'encens et de la myrrhe (1). Ils s'adressèrent à la
divine Mère, et la consultèrent sur plusieurs choses qui regardaient les
mystères de la foi, leur conscience et le gouvernement de leurs États: car ils
souhaitaient de s'informer de tout avant que de partir, pour régler leur
conduite sur la plus grande perfection. L'auguste Princesse les écouta avec
beaucoup de complaisance, et, lorsqu'ils lui proposaient quelque doute, elle
demandait intérieurement à son adorable Fils ce qu'elle devait répondre et
enseigner à ces nouveaux enfants de sa sainte loi. Et elle résolut, comme
Maîtresse et comme organe de la Sagesse divine, toutes leurs difficultés d'une
manière si sublime, elle les instruisit et les sanctifia avec tant d'efficace,
que, ravis et charmés de la science et de la douceur de notre aimable Reine,
ils ne pouvaient s'en éloigner; de sorte qu'il
(1) Matth., II, 11.
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fallut
qu'un ange leur dit que c'était la volonté du Seigneur qu'ils retournassent en
leur pays. On ne doit pas être surpris de cela, car ils furent, par les
paroles de la sainte Vierge, éclairés du Saint-Esprit et remplis d'une science
infuse en tout ce qu'ils lui proposèrent et en plusieurs autres matières.
568. La divine Mère reçut
les dons des rois, et les présenta à l'Enfant Jésus en leur nom. Et sa Majesté
témoigna par un sourire qu'elle les acceptait avec complaisance; elle leur
donna sa bénédiction d'une certaine manière, dont les rois purent
s'apercevoir, comprenant qu'elle la leur accordait pour les présents qu'ils
venaient de lui offrir, avec une abondance dé faveurs célestes à plus du
centuple (1). Ils présentèrent à la divine Princesse plusieurs joyaux d'un
prix fort considérable et qui étaient d'usage dans leur pays; mais, comme ces
objets n'avaient point trait au mystère, elle les rendit aux Rois, et ne
voulut conserver que les trois dons symboliques de l'or, de l'encens et de la
myrrhe. Et, afin qu'ils s'en retournassent avec plus de consolation, elle leur
donna quelques-uns des langes qui avaient servi à l'Enfant-Dieu,
n'ayant point d'autre gage sensible dont elle les prit enrichir avant leur
départ. Les trois rois reçurent ces reliques avec tant d'estime et de
vénération, qu'ils les tirent garnir d'or et de pierres précieuses, et les
conservèrent avec une très-grande dévotion. Il en
sortait, en témoignage de leur excellence, une odeur si
(1) Matth., XIX, 29.
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agréable
et si pénétrante, qu'on la sentait presque à une lieue de distance : avec
cette particularité pourtant qu'elle ne se communiquait qu'à ceux qui avaient
foi en la venue de Dieu sur la terre; car les autres qui n'y croyaient pas
n'avaient aucune part à cette odeur céleste des précieuses reliques, par le
moyen, desquelles les mages firent de grands miracles en leur pays.
569. Ils offrirent aussi à
la Mère du très-doux Jésus leurs services, leurs
revenus et tout ce qu’ils possédaient; lui disant que si elle préférait
demeurer en ce lieu de la naissance de son très-saint
Fils, ils lui feraient bâtir une maison oit elle.
trouverait plus de commodités. La très-prudente
Mère les remercia de tontes ces offres, sans qu'elle en voulût accepter
aucune. Ensuite les rois la supplièrent instamment de bien vouloir ne pas les
oublier; et c'est ce qu'elle leur promit et exécuta avec beaucoup de charité;
ils demandèrent la même chose à saint Joseph. Et après avoir reçu la
bénédiction de Jésus, de Marie et de Joseph, ils leur firent des adieux Si
affectueux et si tendres, qu'il semblait que leurs coeurs dussent entièrement
se fondre en soupirs et en larmes dans ce saint lien. Ils résolurent enfin de
partir et de prendre un autre chemin que celui de Jérusalem pour éviter la
rencontre d'Hérode, comme l'Ange les en avait avertis cette même nuit pendant
leur sommeil (1); et, au moment où ils sortirent de Bethléem, la même étoile
ou
(1) Matth., II, 12.
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peut-être
une autre leur apparut, et les conduisit par une route différente jusqu'à
l'endroit où ils s'étaient rejoints; et là ils se séparèrent pour retourner
chacun dans ses États.
570. Tout le reste de la
vie de ces fortunés rois répondit à leur divine vocation : car ils agirent
comme disciples de la Maîtresse de sainteté, gouvernant selon sa doctrine et
leurs Mmes et leurs sujets. Ils convertirent un grand nombre de personnes à la
connaissance de Dieu et au chemin du salut par leurs bons exemples et par les
preuves qu'ils leur donnèrent de l'avènement du Sauveur du monde. De sorte
qu'ils achevèrent leur course en toute sainteté et justice, remplis de jours
et de mérites , et favorisés pendant leur vie et en
leur mort de la Mère de la miséricorde. Après que les rois furent partis,
notre-divine Dame et son saint époux Joseph,se
mirent à chanter de nouvelles hymnes de louange pour remercier le Très-Haut
des merveilles qu'il venait d'opérer. lis les
confrontaient avec les saintes Écritures et avec les prophéties des
patriarches, et ils voyaient avec une joie inexprimable que leurs prédictions
commençaient à s'accomplir en l'Enfant Jésus (1). Mais la
très-prudente Mère, qui pénétrait profondément ces sublimes mystères,
les conservait dans son coeur et les repassait souvent dans son esprit (2).
Les anges, qui assistèrent à toutes ces merveilles, félicitèrent leur Reine de
ce que sou
(1) Ps. LXXI, 10; Isa., LX, 6; Num., XXIV, 17;
Tob.,
XIII, 14. — (2) LUC., II, 19.
419
très-saint
Fils était connu et adoré des hommes (1) , et chantèrent de nouveaux cantiques
à sa divine Majesté incarnée pour la glorifier des miséricordes quelle opérait
en faveur des hommes.
Instruction que me donna l'auguste Reine du ciel.
571. Ma fille, les dons que
les mages offrirent à mon très-saint Fils étaient
grands, mais l'affection avec laquelle ils les faisaient et le mystère qu'ils
annonçaient étaient encore plus grands. C'est pourquoi ils furent
très-agréables à sa divine Majesté. Pour vous, ma
bien-aimée, je veux que vous lui offriez d'amoureuses actions de grâces de ce
qu'il vous a faite pauvre par votre état : car je vous assure que le don que
le Très-Haut estime le plus est la pauvreté volontaire, puisqu'on en trouve
très-peu aujourd'hui dans le monde qui fassent un
bon usage des richesses temporelles, et qui les consacrent à leur Dieu avec la
même générosité et la même affection que ces saints rois. Les pauvres du
Seigneur, dont le monde est plein, expérimentent et attestent combien la
nature humaine est devenue avare et cruelle, puisqu'au milieu de tant de
nécessiteux, il y en a si peu que les riches soulagent dans leur misère. Cette
dureté odieuse
(1) Ps. LXXXV, 9.
420
des
hommes blesse les anges et contriste le Saint-Esprit, en prouvant que les âmes
sont tellement dégradées, avilies, dégénérées, qu'elles ne rougissent pas
d'user toutes leurs forces et toutes leurs facultés à la honteuse poursuite
des biens périssables (1). Et ces gens là s'approprient les richesses comme si
elles n'étaient que pour eux; ils en refusent la moindre part aux pauvres,
leurs frères par la communauté d'origine et de nature; et les disputent de
même au. Dieu qui les a créées, qui les conserve et qui peut les donner et les
ôter selon sa volonté(2). Et ce qui est le plus
déplorable, c'est que lorsque les riches peuvent acheter la vie éternelle par
les biens passagers (3), ils s'en servent comme des insensés, pour se procurer
leur propre perte par le mauvais usage qu'ils font des largesses du Seigneur.
572. Cette stupidité
désastreuse est générale parmi les enfants d'Adam ,
et c'est pour cela que la pauvreté volontaire est si excellente et si assurée;
mais quand dans cette pauvreté on partage avec joie le peu que l'on a avec le
pauvre, alors on fait un grand présent au Seigneur de l'univers. Vous pouvez
le lui faire, ma fille, en donnant à l'indigent une partie de ce que vous avez
pour votre entretien; et en souhaitant de soulager tous les pauvres au prix de
vos travaux et de vos sueurs, si la chose était possible. Mais votre offrande
continuelle doit être l'or des oeuvres de l’amour, l’encens d’une fervente
prière, la myrrhe d'une
(1) Eccles., X , 19. — (2) I Reg., II, 7. — (3) Luc., XVI, 9.
421
patience
inaltérable ,et d'une véritable mortification en. toutes
choses. Et vous offrirez avec une ardents et prompte affection, sans tiédeur
ni crainte, tout ce que vous ferez pour le Seigneur; car les oeuvres lâches on
mortes ne sauraient être un sacrifice agréable aux yeux de sa Majesté. Pour
offrir sans cesse ces dons de vos propres actions, il faut que la foi et la
lumière divine brillent toujours dans votre coeur, pour vous montrer l'objet
que vous.devez louer et glorifier;
il faut aussi obéir constamment à cet aiguillon de l'amour dont vous
presse sans relâche la droite du Tout-Puissant,
afin que vous n'interrompiez jamais ce doux exercice , si propre aux épouses
dé sa divine Majesté, puisque le titre d'épouse renferme l'obligation d'un
amour et d'une affection continuelle.
CHAPITRE XVIII. L'auguste Marie et Joseph distribuent les dons des, mages, et
demeurent en Bethléem jusqu'à la présentation de l'Enfant Jésus dans le
Temple.
573. — Les mages étant
partis après avoir célébré dans la grotte le grand mystère de l'adoration de
l'Enfant Jésus il ne restait plus à nos saints qu'à la quitter, puisqu ils
n'avaient plus rien à attendre dans ce
422
pauvre
sanctuaire. La très-prudente Mère dit à saint
Joseph : « Mon seigneur et mon époux, ces présents que les rois ont laissés à
notre Dieu et à notre Enfant ne doivent pas être inutiles; il faut qu'ils
servent à sa Majesté et qu'ils soient bientôt employés selon son bon plaisir.
Je ne mérite rien, et je ne dois pas me mêler des choses temporelles; ainsi
disposez de tout cela comme d'une chose qui vous appartient, à mon Fils
et à vous. » Le très-fidèle époux répondit avec
son humilité et sa douceur ordinaires, s'en remettant à notre divine Dame du
soin de la distribution. Mais l'auguste Reine insista en disant : « Si c'est
par humilité, mon seigneur, que vous écartez ma demande, ayez-y égard par
charité pour les pauvres, qui réclament la part qui leur revient, puisqu
ils ont droit aux choses que leur Père céleste a créées pour leur entretien. »
Là-dessus, l'auguste Marie et Joseph convinrent d'en faire trois parts: une à
porter au temple de Jérusalem; ce fut l'encens, la myrrhe et une partie de
l'or; une autre à offrir au prêtre qui avait circoncis l'Enfant, afin qu'il
l'employât à son service et à celui de la synagogue ou maison de prière qui se
trouvait à Bethléem; et la troisième pour les pauvres. Et c'est ce qu'ils
exécutèrent avec beaucoup de libéralité et de ferveur.
574. Pour leur donner
occasion de sortir de cette sainte grotte, le
Tout-Puissant inspira à une pauvre, honnête et charitable femme, d'y
aller quelquefois visiter notre Reine, parce que la maison où elle demeurait
423
était
située près des murs de la ville et assez proche de ce sacré lieu. Cette
dévote femme ayant ouï parler de l'arrivée des rois, et ignorant ce qu'ils
étaient venus faire, alla le lendemain de leur départ trouver la
très-sainte Vierge, et lui demanda si elle savait
que certains mages qu'on disait être rois, fussent
venus.de loin pour chercher le Messie. Notre divine Princesse, qui
connaissait son bon naturel, profita de la circonstance pour l'instruire de la
foi en général, sans lui déclarer en particulier le mystère qui était renfermé
en elle et en son très-saint Fils, qu'elle avait
entre ses chastes bras (1). Elle lui donna aussi une partie de l'or destiné
aux pauvres, afin qu'elle s'en servit dans ses
besoins. De sorte que cette heureuse femme se trouva favorisée en toutes les
manières, et de plus en plus affectionnée à sa maîtresse et bienfaitrice. Elle
lui offrit sa maison, et comme elle était pauvre, elle fut aussi
très-propre pour loger les fondateurs de la sainte
pauvreté. Elle la pressé fort de l'accepter, voyant combien mal à l'aise
étaient dans la grotte l'auguste Marie, le bienheureux époux et le divin
Enfant. Notre Reine ne rejeta point les propositions de sa voisine, mais elle
lui répondit, avec beaucoup de témoignages de reconnaissance, qu'elle
l'avertirait de' sa résolution. Elle les communiqua bientôt à saint Joseph, et
après en avoir conféré ils déterminèrent d'aller demeurer dans cette maison
jusqu'à ce que le temps de la purification et de la présentation au Temple fût
arrivé.
(1) Tob., XII, 7.
424
Ce qui
les engagea le plus de: prendre ce parti, ce fut la proximité du lieu; ce fut
aussi l'affluence du peuple qui commençait à accourir, à cause du bruit que
faisait la nouvelle de la visite des rois.
575. La
très-pure Marie, saint.Joseph
et l'Enfant quittèrent enfin la sainte grotte, puisqu'il fallait s'y résoudre;
mais ce ne fut pas sans émotion et sans de vifs regrets Ils se rendirent à la
maison de cette heureuse femme, qui les reçut avec une grande charité, et leur
céda les meilleurs appartements de son habitation. Tous les anges les
accompagnèrent en la même forme humaine sous laquelle ils les assistaient
toujours. Cela arrivait aussi toutes les fois que la divine Mère et son époux
allaient visiter ce saint lieu, durant le séjour qu'ils firent dans cette
fortunée maison. Et ils ne furent pas plutôt sortis de la grotte, que Dieu y
mit un ange avec une épée flamboyante à la porte pour la garder, comme il
avait fait au paradis terrestre (1). Et cet ange l'a gardée et la garde encore
aujourd'hui; de sorte qu'aucun animal n'y est entré depuis ce temps-là. Et
s'il n'en empêche point l'entrée aux ennemis de la.foi,
qui ont sous leur pouvoir ce sanctuaire et les autres lieux saints, c'est à
cause des secrets jugements du Très-Haut, qui laisse agir lés hommes pour les
fins que sa sagesse et sa justice ordonnent; outre que les princes chrétiens
pourraient suppléer à ce miracle, s'ils étaient véritablement zélés pour
l'honneur et la gloire de Jésus-Christ, et s'ils
(1) Gen. III, 24.
425
s'employaient avec ardeur au recouvrement des lieux saints, consacrés parle sang et
parles traces du même Seigneur, ainsi que par celles de sa
très-sainte Mère, et par les oeuvres de notre
rédemption. Et quand il ne leur serait pas possible de les recouvrer, ils
seraient toujours inexcusables de ne pas veiller, avec toute la sollicitude de
la foi, à la décence du culte dans ces lieux pleins de mystères vénérables.
Celui qui a la foi transporte les plus.grandes
montagnes (1) ; car tout est possible à celui qui croit (2) ; et il m'a été
révélé que la dévotion et la vénération de la
Terre-Sainte, est un moyen des plus puissants et des plus efficaces
pour établir et affermir les monarchies catholiques. Un prince vraiment
chrétien ne saurait nier que s'il employait ses fonds à une si pieuse
entreprise, il n'évitât par là même d'autres dépenses excessives et
superflues, et qu'il ne fût également agréable à Dieu et aux hommes; car pour
justifier celles qu'il ferait pour la Terre-Sainte,
il ne serait pas nécessaire de chercher bien loin des raisons.
576. L'auguste Marie
s'étant retirée dans la maison qu'elle trouva proche de la grotte, y resta
jusqu'au moment où, d'après la loi, elle devait se présenter purifiée au
Temple avec son très-saint Fils. Et, pour
l'accomplissement de ce mystère, la plus sainte des créatures prit
intérieurement la résolution de s'y disposer le mieux possible par de fervents
désirs d'aller offrir dans le Temple son adorable Enfant au Père
(1) Matth., XVII, 19. — (2) Marc., IX, 22.
426
éternel,
de s'offrir elle-même avec lui, de l'imiter en toutes choses, et d'orner
tellement son âme du mérite d'oeuvres sublimes, quelle pût devenir une hostie
digne d'être offerte su Très-Haut. Dans cette préparation, qui dura tout le
temps qui s'écoula jusqu'à la Purification, notre divine Dame fit des actes si
héroïques d'amour et de toutes les vertus, que ni les hommes ni les anges ne
sauraient l'exprimer. Cela étant, qu'en pourra dire une pauvre et inutile
fille pleine d'ignorance comme je suis? Les âmes chrétiennes obtiendront
l'intelligence de ces mystères par la piété et la dévotion, et pourront s'y
initier aussi par une respectueuse contemplation. Et si l'on veut commencer
par considérer les faveurs les plus compréhensibles que reçut la
Vierge-Mère, on parviendra à connaître et à
deviner les autres, qui dépassent la portée de l'humain langage.
577. L'Enfant Jésus parla à
sa très-douce Mère d'une voix intelligible
aussitôt qu'il fut né, quand il lui dit : Devenez semblable h moi, mon
Épouse, en m'imitant, comme je l'ai marqué au chapitre X. Et, bien qu'il
lui parlât toujours d'une manière très-distincte,
c'était seulement à elle seule; car le saint époux Joseph ne lui entendit
jamais prononcer un mot, jusqu'à ce que l'Enfant croissant s'adressa
directement à lui, un an après sa naissance. Notre divine Dame ne découvrit
point non plus cette faveur au saint, parce qu'elle savait qu'elle lui.
était personnelle. Les paroles de l'Enfant-Dieu
étaient accompagnées d'une majesté digne de sa grandeur et d'une
(427)
efficace qui marquait son pouvoir infini, comme étant destinées à la plus
sainte, à la plus sage, à la plus prudente de toutes les simples créatures, et
à Celle qui était sa propre Mère. Quelquefois il lui disait : Ma Colombe,
ma Bien-Aimée, ma très-chère
Mère (1). Le Fils et la aère passaient les jours et les nuits dans ces
entretiens délicieux que les Cantiques renferment, et en plusieurs autres
beaucoup plus tendres; de sorte que notre divine Princesse reçut tant de
faveurs et de caresses, et ouït des paroles si douces, qu'elles ont surpassé
tout ce qui se trouve dans les mêmes Cantiques, et tout ce que les âmes justes
et saintes ont jamais dit ou pourront dire jusqu'à la fin du monde. Parmi ces
aimables mystères, le très doux Enfant répétait souvent ces paroles : Ma
Mère et ma Colombe, devenez semblable à moi. Et comme c'étaient des
paroles de vie et d'une vertu infinie, comprises par l'auguste Marie au moyen
de la science divine qu'elle avait de toutes les opérations intérieures de
l'âme de son très-saint Fils, il n'est pas
possible de décrire ni même de concevoir les effets qu'elles produisaient dans
le plus intime du très-chaste et
très-ardent coeur de la Mère d'un Fils qui était
homme et Dieu.
578. Entre les privilèges
les plus excellents et les bienfaits les plus rares que
reçut l'auguste Marie, le premier et le fondement de tous les autres,
ce fut d'être la Mère de Dieu. Le second, d'avoir été conçue sans péché. Le
troisième, de jouir maintes fois, dans
(1) Cant., II, 10.
428
le cours
de sa vie, de la vision béatifique. Au quatrième rang vient la faveur
permanente qui lui permettait de discerner nettement l'intérieur de l'âme
très-sainte de son Fils et toutes ses opérations,
afin de les imiter. Il était devant elle comme un
très-pur et très- brillant miroir dans lequel elle ne cessait de se
regarder, pour s'orner des précieux joyaux de cette âme
très-sainte en les reproduisant en elle-même. Elle la voyait unie au
Verbe divin, et reconnaissant avec une profonde humilité son humaine
infériorité. Elle percevait fort distinctement les actions de grâces et les
louanges que cette même âme rendait à Dieu de l'avoir créée et tirée du néant,
comme toutes les autres âmes, de lui avoir fait des dons au-dessus de toutes
en tant que créature, et surtout d'avoir élevé sa nature humaine jusqu'à
l'union inséparable avec la Divinité. Elle observait les prières et les
suppliques continuelles que cette âme bienheureuse adressait au Père éternel
pour les hommes, et comment en toutes les autres choses elle commençait à
travailler à leur rédemption et à leur enseignement, comme l'unique Réparateur
et le seul Maître de la vie éternelle.
579. La
très-pure Mère se mettait à imiter toutes ces
œuvres de l'humanité sacrée de notre Seigneur Jésus-Christ. Nous avons
beaucoup de choses à dire sur ce grand mystère dans la suite (le celte
histoire; car dès l'incarnation et dès la naissance de sort Fils, elle eut
toujours ce modèle présent et s'en servit pour régler toutes ses actions; de
sorte qu'elle formait, comme une diligente abeille, le
très-doux rayon de
429
miel des
délices du Verbe incarné. Ce même Seigneur, qui vint du ciel pour être notre
Rédempteur et notre Maître, voulut que sa très-sainte
Mère, dont il reçut le corps humain, participât d'une manière
très-relevée et
très-particulière aux fruits de la rédemption générale, et qu'elle fût
l'unique et insigne disciple en laquelle sa doctrine d'ut être gravée
tellement au vif, qu'elle la rendit en tout aussi semblable à lui qu'une pure
créature le pouvait devenir. On doit mesurer sur toutes ces faveurs et sur ces
fins admirables du Verbe incarné la grandeur des oeuvres de sa
très-sainte Mère, aussi bien que les délices
qu'elle prenait avec lui lorsqu'elle l'avait entre ses bras et qu'elle
l'appuyait sur son très chaste sein, qui était la couche fleurie de ce
véritable Époux de nos âmes (1).
580. Pendant les jours que
notre auguste Reine passa à Bethléem jusqu'à la Purification, elle fut visitée
de quelques personnes qui étaient presque toutes des plus pauvres. Les unes
allaient chez elle pour les aumônes qu'elles en recevaient, les autres.
pour avoir appris l'arrivée des mages et leur
entrée dans la grotte. Mais toutes s'y entretenaient de cette nouveauté et de
la venue du Messie, parce qu'on disait alors publiquement parmi les Juifs (ce
qui n'était point sans une disposition particulière de la divine Providence)
que le temps de sa naissance s'approchait, et c'était le sujet le plus
ordinaire de leur entretien. De sorte que la
très-prudente Mère eut dans ces rencontres diverses
(1) Cant., I, 16.
430
occasions
de pratiquer de grandes choses, non-seulement
parce qu'elle y gardait son secret et qu'elle y repassait dans son esprit,
avec une sagesse admirable, tout ce qu'elle entendait et voyait (1), mais
aussi parce. qu'elle s'y occupait à conduire les
âmes à la connaissance de Dieu, i1 les confirmer en la foi, à les former à la
pratique des vertus, à les éclairer sur les mystères du Messie, qu'elles
attendaient, et à les tirer des grandes ignorances où elles étaient, comme
personnes du vulgaire très-peu versées dans les
choses divines. Ces bonnes gens tenaient quelquefois des propos si fabuleux et
si puérils sur ces matières de religion, que le saint et naïf époux en
souriait, et admirait en même temps les réponses remplies d'efficace de notre
grande Dame, et la sagesse divine avec laquelle elle les instruisait; il était
charmé de voir avec quelle patience elle les supportait, et avec combien
d'humilité, de majesté et de douceur elle les amenait à la vérité et à la
connaissance de la lumière, les laissant toutes satisfaites, consolées, et au
courant de ce qu'il leur convenait de savoir, parce qu'elle avait des paroles
de vie éternelle (2) qui pénétraient le plus intime de leur coeur, et qui les
animaient d'une vive ferveur.
(1) Luc., II, 19. — (2) Joan., VI, 69.
431
Instruction de la Reine du ciel Marie, notre sainte Maîtresse.
581. Ma
fille., à 1a vue claire de la lumière divine, je connus mieux que
toutes les créatures ensemble le bas prix qu'ont aux yeux du Très-Haut les
dons et les richesses de la terre. C'est pour cela qu'il me fut pénible et
gênant, dans ma sainte liberté, de me trouver chargée des trésors offerts par
les rois à mon très-saint Fils. Mais comme
l'humilité et l'obéissance devaient paraître dans toutes mes actions, je ne
voulus ni me les approprier ni les distribuer que par la volonté de mon époux
Joseph. Dans cette résignation, je me regardai comme sa servante, et comme
n'ayant aucune prétention sur ces biens temporels; car c'est une chose
très-blâmable et
très-dangereuse pour vous autres, faibles créatures, de vous approprier
quoi que ce soit des biens terrestres, soit richesse, soit honneur, puisque
cela ne peut provenir que d'une cupidité sordide, d'une ambition déréglée et
d'une vaine ostentation.
582. J'ai voulu, ma
très-chère fille, vous dire tout cela, afin que
vous soyez informée de toutes choses, et que vous ne receviez ni les dons ni
les honneurs humains comme s'ils vous appartenaient, et encore moins lorsque
ce sont des personnes distinguées par leur pouvoir et par leur qualité qui
vous les font. Conservez votre liberté intérieure, et gardez-vous de
432
faire
parade de ce qui ne vaut rien, et qui ne peut vous justifier devant Dieu. Si
l'on vous donne quelque chose, ne dites jamais : On m'a donné, ou je viens de
recevoir tel présent; mais dites que le- Seigneur l'a envoyé pour la
communauté , et faites quelle prie sa Majesté pour
celui qui a servi d'instrument à sa miséricorde. Vous le pouvez même nommer,
afin qu'on le prie en particulier, et qu'on ne frustre point la personne qui
fait l'aumône, de son intention. Vous ne devez pas non plus la recevoir par
vous-même, car cela trahirait une espèce de cupidité, mais par celles qui sont
destinées à cet office. Et si vous êtes obligée, à cause de la charge de
supérieure que vous exercez, de remettre l'aumône (après l'avoir reçue dans le
monastère) à la religieuse qui doit en faire profiter la communauté, que ce
soit avec des marques d'indifférence et des réflexions qui prouvent que vous
n'y êtes pas attachée. Cela ne vous dispensera point, bien entendu, de
témoigner votre gratitude au Très-Haut et à l’auteur du bienfait, tout en vous
en reconnaissant indigne. Il faut,aussi que vous
fassiez les remerciements convenables, en qualité, de supérieure, quand on
apportera quelque chose aux autres religieuses, en veillant avec, soin à ce
qu'aussitôt tous les membres de la communauté y
aient part, sans jamais rien retenir pour vous. Ne regardez point avec
curiosité ce qui arrive au monastère, afin que les sens n'y prennent aucune
vaine satisfaction, et ne soient point portés à souhaiter de tels présents,
car la nature, fragile et remplie de passions, tombe à chaque, pas en
433
une
foule de fautes auxquelles on fait fort peu d'attention. Il ne faut pas se
fier à cette nature corrompue, parce qu'elle veut toujours plus qu'elle n'a,
sans dire jamais c'est assez, et que plus elle reçoit plus elle convoite.
583. Mais ce en quoi je
vous recommande d'être le plus vigilante, c'est dans le commerce intime et
fréquent que vous devez avoir avec le Seigneur, par un amour, une louange et
un respect continuels. C'est ici, ma fille, que je veux que vous travailliez
de toutes vos forces, et que vous appliquiez sans relâche vos puissances et
vos sens avec une attention incessante; sans cela, il s'ensuivra
nécessairement que la partie inférieure qui appesantit l'âme, l'abattra,
l'éloignera du bon chemin, et la précipitera en lai faisant perdre de vue le
souverain Bien (1). Ce commerce amoureux du Seigneur est si délicat, qu'il
suffit pour le perdre de prêter un seul instant l'oreille aux contes de
l'ennemi (2); aussi fait-il tous ses efforts pour s'attirer l'attention des
mortels, sachant très-bien que l'âme qui l'écoute
sera punie par l'absence de l'objet de son amour (3). Celle qui a ignoré la
beauté de cet objet par sa négligence, suit les traces de ses lâchetés, privée
qu'elle est des délices divines. Et lorsqu'elle expérimente malgré elle la
douleur et l'amertume qui résultent de cette perte, elle veut chercher et
recouvrer ses premières délices, mais elle ne les trouve que rarement (4). De
sorte que le démon, qui l'a trompée,
(1) Sap., IX, 15. — (2) Cant., V, 6. — (3) Cant.,
I, 7; v, 7. — (4) Cant., III, 1 et 2.
434
lui
offre d'autres plaisirs très-vils et fort
au-dessous de ceux qu'elle avait accoutumé de goûter intérieurement; et c'est
ce qui la jette dans la tristesse, dans le trouble, dans l’abattement, dans la
tiédeur, dans le dégoût, et qui la remplit de confusion et l'environne de
funestes dangers.
584. Vous avez, ma
très-chère fille, quelque expérience de cette
vérité, par la négligence que vous avez apportée à reconnaître les bienfaits
du Seigneur. Il est temps que vous soyez prudente dans votre
simplicité , et constante à conserver le feu du
sanctuaire (1), sans perdre jamais de vue le même objet auquel j'ai été
toujours attentive avec une continuelle application de toutes les forces et de
toutes les puissances de mon âme. Et quoiqu'il y ait une grande distance de
vous, qui êtes un chétif vermisseau, à ce que je vous propose d'imiter en moi,
et que vous ne puissiez pas jouir du véritable bien aussi immédiatement que
j'en jouissais, ni opérer avec une perfection semblable à la mienne;
néanmoins, puisque je vous enseigne et que je vous découvre ce que je faisais
pour imiter mon très-saint Fils, vous pouvez,
selon vos forces, m'imiter, moi, en pensant que vous le regardez comme dans un
miroir réflecteur. Car je le regardais par celui de sa
très-sainte humanité, et vous le regardez par celui de mon âme et de ma
personne. Que si le Tout-Puissant appelle toutes
les âmes à cette haute perfection, si elles veulent s'y élever (2),
(1) Levit., VI, 12 . —
Math., XI, 28.
435
considérez
ce que vous devez faire pour l’acquérir, puisque la droite du Très-Haut se
montre si libérale et si puissante à votre égard pour vous attirer après lui
(1).
CHAPITRE XIX. L'auguste Marie et Joseph partent de Bethléem avec l’Enfant
Jésus, et vont à Jérusalem pour l'offrir dans le Temple et pour accomplir la
loi.
585. La quarantaine allait
expirer pendant laquelle la femme qui avait enfanté un fils était, selon la
loi, réputée impure (2), et demeurait dans la purification de l'enfantement
jusqu'à ce qu'elle se fût présentée au Temple. La Mère de la pureté même,
voulant accomplir cette loi, et satisfaire en même temps à celle de l'Exode
(3), par laquelle Dieu commandait qu'on lui consacrât tous les premiers-nés,
résolut de se rendre à Jérusalem, où elle devait se présenter dans le Temple
avec le Fils unique du Père éternel et le sien, et se purifier comme les
autres mères. Dans l'accomplissement de ces deux lois, elle n'hésita point à
se soumettre, comme les autres
(1) Cant., I, 3. — (2) Levit., XII, 4. — (3)
Exod., XIII, 12.
436
femmes,
aux prescriptions qui la concernaient. Ce n'était pas qu'elle ignorât son
innocence ni sa pureté, car elle savait dès l'incarnation du Verbe qu'elle
n'avait point contracté le péché originel. Elle n'ignorait pas non plus
qu'elle eût conçu par l'opération du Saint-Esprit (1) et enfanté sans douleur,
restant toujours vierge et plus pure que le soleil. Mais pour se soumettre à
la loi commune, loin d'être arrêtée par sa prudence, elle était pressée par
l'ardent désir de s’humilier jusqu'à la poussière, qui vivait toujours au fond
de son coeur.
586. Elle pouvait avoir
quelque doute touchant la présentation de son très-saint
Fils, comme il arriva pour la circoncision, parce qu'elle le connaissait pour
véritable Dieu et au-dessus des lois qu'il avait lui-même établies. Mais elle
fut informée en cette circonstance de la volonté du Seigneur par la lumière
divine, et par les actes mêmes de l'âme très-sainte
du Verbe incarné; car elle y découvrit les désirs qu'il avait de se sacrifier,
en se consacrant comme une hostie vivante au Père éternel, en reconnaissance
de ce qu'il eût formé son corps et créé son âme, pour lui être un sacrifice
agréable en faveur du genre humain et pour le salut des mortels (2). Et
quoique la très-sainte humanité du Verbe produisît
toujours ces actes, en se conformant à la volonté divine, non seulement comme
compréhenseur, mais aussi comme voyageur et
rédempteur, il n'en voulut pas moins
(1) Luc., I, 15. — (2) Ephes., V, 2.
437
faire,
selon la loi, cette offrande à son Père dans son Temple sacré, où tous
l'adoraient et le glorifiaient, comme dans une maison de prière, d'expiation
et de sacrifices (1).
587. Notre grande Dame
s'entretint du voyage avec son époux. Après qu'ils l'eurent conclu, et préparé
ce qui était nécessaire, ils prirent congé de la dévote femme qui les avait
logés. Et l'ayant laissée remplie de bénédictions célestes, dont elle
recueillit abondamment les fruits, quoiqu'elle ignorât le mystère de ses
divins hôtes, ils allèrent visiter la grotte de la nativité, pour ne commencer
leur chemin qu'après avoir rendu une dernière fois le culte de leur vénération
à ce pauvre sanctuaire, pourtant si riche d'un bonheur qu'on ne connaissait
pas encore. La divine Mère remit l'Enfant Jésus à saint Joseph, pour se
prosterner à terre et adorer ce lieu sacré, témoin de tant de mystères
vénérables. Et après qu'elle l'eut fait avec une vive émotion et avec une
piété incomparable , elle dit à son époux : « Mon
seigneur, donnez moi votre bénédiction, comme vous me la donnez toutes
les fois que je sors de votre maison, afin
qu'elle m'accompagne dans ce voyage. Je vous supplie aussi de me
permettre de le faire nu-pieds, puisque je dois porter dans mes bras
l'hostie qui doit être offerte au Père éternel. Cette action est
mystérieuse, c'est pourquoi je souhaite de la faire, autant qu'il me
sera possible, avec toutes les
(1) Deut., XII, 5.
438
conditions
et tout le respect qu'elle réclame. » Notre auguste Reine usait par décence
d'une chaussure qui lui couvrait les pieds et lui tenait lieu de bas. Elle
était faite d'une certaine plante dont les pauvres se servaient, comme du
chanvre ou de la mauve, et quoiqu'elle fût tissue d'une manière grossière et
capable de résister à la fatigue, elle était pourtant fort propre et fort
honnête.
588. Saint Joseph lui ayant
dit de se lever (car elle était encore à genoux), lui tint ce discours: « Le
Fils du Père éternel que j'ai entre mes bras, vous donne sa
bénédiction. Je suis bien aise que vous alliez à pied en le portant,
mais non pas sans chaussure, parce que le temps ne le permet pas;
contentez-vous de votre saint désir, qui sera a
agréable au Seigneur, qui vous l'a inspiré. Saint Joseph usait quelquefois de
son autorité à l'égard de l'auguste Marie, quoique toujours avec beaucoup de
respect, pour ne pas la priver de la joie qu'elle trouvait à pratiquer
l'humilité et l'obéissance. Et comme le saint ne lui commandait ainsi que pour
lui obéir, par mortification et par humilité, il arrivait que tous deux
étaient également humbles et obéissants. Il lui
refusa d'aller déchaussée à Jérusalem, parce qu'il appréhendait que le froid
n'altérât sa santé. Et cette crainte venait de ce qu'il ne connaissait pas
l'admirable structure, ni la parfaite complexion de son corps virginal, ni
plusieurs autres privilèges dont l'avait douée la main du Seigneur. Notre
grande Reine ne répliqua plus à son époux, et se soumit à
439
l'ordre
qu'il lui donnait de ne point marcher pieds nus. Elle se mit à genoux pour
recevoir l'Enfant Jésus de ses mains, l'adora, et lui rendit des actions de
grâces pour les biens qu'elle et tout le genre humain en avait reçus dans
cette sacrée grotte. Elle pria sa Majesté de faire respecter ce sanctuaire, et
d'en assurer la possession.aux catholiques, de
sorte qu'ils ne cessassent jamais de l'estimer et de le vénérer. Puis elle le
recommanda de nouveau au saint Ange que Dieu avait commis à sa garde. Enfin
elle se couvrit du voile qu'elle portait quand elle était en voyage, et ayant
pris dans ses bras le trésor du ciel, elle l'appuya sur son
très-chaste sein, et l'enveloppa avec les plus
grandes précautions pour le défendre des rigueurs de l'hiver.
589. Ils partirent de la
grotte, après avoir tous deux demandé la bénédiction à l'Enfant-Dieu,
qui la leur donna ostensiblement. Saint Joseph accommoda sur l'âne la layette
contenant les langes du divin Enfant, et la part des présents des mages qu'ils
avaient réservée pour offrir au Temple. Ensuite se déroula de Bethléem à
Jérusalem la procession la plus solennelle qui eiit
jamais eu lieu dans le Temple, car les dix mille anges qui avaient assisté à
ces mystères, et les autres qui étaient descendus du ciel avec le
très-saint et très doux
nom-de Jésus, partirent de la sacrée grotte- en compagnie du Prince des
éternités Jésus, de la Reine, sa Mère, et de saint Joseph, son époux. Tous ces
courtisans du ciel allaient sous une forme humaine et visible; ils étaient si
beaux et si resplendissants,
440
qu'en
comparaison de leurs charmes divins, tout ce qu'il y a de plus précieux et de
plus délectable dans le monde aurait paru moins que de la boue et des scories
comparées avec l'or le plus fin; ils obscurcissaient lç
soleil dans son plus grand éclat, et éclairaient du jour le plus brillant les
nuits les plus sombres. Notre divine Reine et son époux Joseph jouissaient de
leur vue. Tous ces esprits bienheureux célébraient le mystère par de nouveaux
et d'admirables cantiques, qu'ils faisaient à la louange de l'Enfant-Dieu
qui allait se présenter au Temple. Et c'est ainsi qu'ils firent les deux
lieues qu'il y a de Bethléem à Jérusalem.
590. Le temps était
très-rude, ce qui ne fut point sans une
disposition particulière de Dieu ; on ne voyait que frimas et que glaces, qui,
n'épargnant pas leur propre Créateur humanisé dans la faiblesse de l’enfance,
le faisaient beaucoup souffrir; de sorte que, tremblant de froid comme homme
véritable, il pleurait entre les bras de sa tendre Mère, dont l'âme était plus
pénétrée de compassion et d'amour que son corps ne l'était des plus vives
rigueurs de la saison. Notre puissante Reine s'adressa aux vents et aux
éléments; et, comme Maîtresse de l'univers, elle les reprit avec une sainte
indignation de ce qu'ils s'attaquaient à Celui qui les avait créés, et leur
commanda avec empire de modérer leur rigueur, non envers elle, mais envers l'Enfant-Dieu.
Ils obéirent à l'ordre de leur légitime Maîtresse, et l'air glacial se changea
en un très-doux et
très-agréable zéphyr pour l'Enfant, sans pourtant
441
s'adoucir
pour la Mère; ainsi elle ressentait les incommodités de la saison sans que son
très-saint Fils y fût exposé, comme je l'ai dit
ailleurs et comme je le dirai dans la suite. Elle s'anima aussi contre le
péché, dont elle avait été préservée, et lui dit : « O cruelle source de toute
sorte de désordres ! tu es en tout inhumain,
puisqu'il faut que, pour ton remède, le Créateur de l'univers soit maltraité
des créatures qui en ont reçu l'être, qu'il leur conserve par sa puissance et
par sa bonté infinie! Tu es un horrible monstre, toujours rebelle à Dieu; tu
es le destructeur des créatures; tu les rends abominables et les prives de
l'amitié de Dieu, qui est la plus grande des félicités. O enfants des hommes!
jusqu'à quand aurez-vous le coeur appesanti et
aimerez-vous la vanité et le mensonge? Cessez d'être si ingrats envers le
Très-Haut et si cruels envers vous-mêmes. Ouvrez les yeux et regardez le
danger qui vous menace. Ne méprisez point les menaces de votre Père céleste,
et n'oubliez pas les instructions de votre Mère (2), qui vous a conçus par la
charité; car le Fils unique du Père éternel, en prenant chair humaine dans mon
sein, m'a faite Mère de toute la nature, et en cette qualité je vous aime ; et
si le Seigneur permettait que je pusse souffrir toutes les peines qui ont été
endurées depuis Adam jusqu'à présent, je les accepterais et les subirais avec
complaisance pour votre salut. »
(1) Ps. IV, 3. — (2) Prov., I, 8.
442
591. Pendant que notre
divine Dame continuait sa route avec l'Enfant-Dieu,
le souverain prêtre Siméon, qui se trouvait à Jérusalem, apprit dans une
révélation que le Verbe incarné y venait, porté dans les bras de sa Mère, pour
se présenter su Temple. La sainte veuve Anne eut la même révélation, et sut
comme le pontife que Joseph accompagnait sa très-pure
épouse; et qu'ils étaient réduits à une extrême pauvreté. Et s'étant
communiqué ce qu'ils venaient d'apprendre, ils convinrent d'appeler l'économe
du Temple, qui prenait soin du temporel; et, après lui avoir donné les
indications nécessaires pour reconnaître les saints voyageurs, ils lui
ordonnèrent de sortir par la porte du chemin qui va à Bethléem, d'aller à leur
rencontre et de les accueillir dans sa maison avec toute la bienveillance et
la charité possibles. L'économe exécuta ponctuellement les ordres qu'il avait
reçus; ce qui procura une grande consolation à notre auguste Reine et à son
saint époux, parce qu'ils étaient en peine de trouver une hôtellerie décente
pour le divin Enfant. Cet hôte fortuné les laissa dans sa maison et s'empressa
d'aller rendre compte de sa commission su grand prêtre.
592. La sainte Vierge et
Joseph arrêtèrent le même soir ce qu'ils avaient à faire. Et la
très-prudente Dame l'avertit d'aller porter
incontinent les dons des Rois su Temple afin de les offrir sans bruit, ainsi
que les aumônes et les offrandes doivent être faites : elle le pria d'acheter
en retournant les tourterelles qu'ils devaient offrir publiquement le
lendemain avec l'Enfant
443
Jésus
(1). Tout cela fut exécuté par saint Joseph selon les souhaits de notre
Princesse. De sorte qu'é
tranger et peu connu, il put donner la myrrhe, l'encens et l'or à celui
qui recevait les dons dans le Temple, sans qu'on songeât à remarquer quel
était celui qui avait déposé une si grande aumône. Il eût pu s'en servir pour
acheter l'agneau que les plus riches présentaient avec les premiers-nés (2);
mais il ne le fit pas parce que, s'ils eussent publiquement offert les mêmes
dons que les riches, cela ne se serait point accordé avec l'extrême simplicité
de leur mise. Il n'était pas non plus convenable qu'ils s'écartassent en rien
de la pauvreté et de l'humilité, eût-ce été avec une tin pieuse et honnête,
parce que la Mère de la Sagesse nous a enseigné en toutes choses la perfection
(3) aussi bien que son très-saint Fils, qui voulut
naître, vivre et mourir pauvre (4).
593. Siméon était; comme
dit saint Luc (5), juste et craignant Dieu; il attendait la consolation
d'Israël; et le Saint-Esprit, qui était en lui, lui avait révélé qu'il verrait
le Christ du Seigneur avant que de mourir (6). Il vint donc au Temple par
l'inspiration da même Saint-Esprit; car, outre ce qu'il avait connu, il fut
cette nuit-là illustré de nouveau par la divine lumière; et elle lui fit
découvrir avec. une plus grande clarté tous les
mystères de l'incarnation et de la rédemption du genre humain, et qu'en la
très-pure
(1) Luc., II, 24. — (2) Levit., XII, 6. — (3)
Eccles., XXIV, 24. — (4) Matth., VIII, 20. — (5)
Luc., II, 25 et 16. — (6) Ibid.. 27.
444
Marie
s'étaient accomplies les prophéties où Isaïe avait
annoncé qu'une vierge concevrait, qu'elle enfanterait un fils; que de la tige
de Jessé naîtrait une fleur, et que cette fleur
serait le Christ (1); il pénétra aussi toutes les autres prophéties. Il eut
une très-claire lumière de l'union des deux
natures en la personne du Verbe, et des mystères de la passion et de la mort
du Rédempteur. Par la connaissance de choses si sublimes, il fut élevé
au-dessus de lui-même et tout enflammé de désira de voir le Rédempteur du
monde, Et comme il savait qu'il venait se présenter au Père éternel, il fut,
par la force de cette divine lumière, conduit le lendemain au Temple (2), ou
il arriva ce que je. dirai dans le chapitre qui
suit. La même nuit, la sainte veuve Anne eut aussi, de son côté, révélation de
la plupart de ces mystères; elle en conçut une
très-grande consolation, parce qu'elle avait été, comme je l'ai dit
dans la première partie de cette histoire, la Maîtresse de notre auguste Reine
lorsqu'elle demeurait dans le Temple. L'évangéliste dit (3) qu'elle n'en
sortait point, servant Dieu jour et nuit, jeûnant et priant; qu'elle était
prophétesse, fille de Phanuel, de la tribu d'Aser;
et, qu'ayant vécu sept ans en mariage, elle en avait alors
quatre-vingt-quatre. Elle parla prophétiquement de l'Enfant-Dieu
, comme l'on verra.
(1) Isa., VII, 14 ; XI, 1. — (2) Luc., II, 27. — (3) Ibid., 87.
445
Instruction que la Reine du ciel me donna.
594. Ma fille, une des
misères qui causent le malheur ou diminuent le
bonheur des âmes, c'est de se contenter de faire les oeuvres de vertu avec
négligence et tiédeur, comme au hasard, ou comme quelque chose de peu
important. C'est par suite de cette inadvertance et de cette lâcheté que
très-peu de personnes jouissent du commerce et
gagnent l'amitié intime du Seigneur, qu'on ne peut acquérir que par un fervent
amour. Et si on l'appelle fervent, c'est parce que, comme l'eau bout par le
moyen du feu, de même cet amour élève l'âme au-dessus d'elle-même, au-dessus
de tout ce qui est créé et au-dessus de ses propres couvres par la douce
violence des divines flammes du Saint-Esprit. Car plus elle aime, plus elle
s'enflamme, et cet amour produit en elle des sentiments insatiables qui lui
font non-seulement mépriser et oublier les choses
terrestres, mais trouver insuffisant et insipide tout le bien qu'elle peut
faire. Et comme le coeur humain, lorsqu'il n'obtient pas ce qu'il aime avec
ardeur, brûle, si c'est possible, d'un plus vif désir de l'acquérir par de
nouveaux moyens; de même, quand l'âme est animée d'une fervente charité, elle
s'évertue à désirer et à pratiquer toujours de nouvelles choses pour plaire à
son bien-aimé; et tout ce qu'elle fait lui paraît insignifiant : de sorte
qu'elle cherche à passer de la bonne à la parfaite volonté, et de celle-ci à
l'acquiescement
446
au bon
plaisir du Seigneur, jusqu'à ce qu'elle parvienne à l'union la plus intime et
la plus complète, et jusqu'à la transformation en Dieu.
595. Cela vous fera
comprendre, ma très-chère fille, la raison pour
laquelle je désirais d'aller pieds nus au Temple, en portant mon
très-saint Fils pour l'y présenter, et pour
accomplir en même temps la loi de la purification; car je donnais à mes
oeuvres toute la plénitude de perfection possible par la force de (amour, qui
me demandait toujours ce qui était le plus parfait et le plus agréable au
Seigneur, m'aiguillonnait sans cesse, et m'excitait à m'élever dans la
pratique de toutes les vertus au plus haut degré de perfection. Tâchez de
m'imiter avec tout le zèle que vous voyez en moi; car je voua avertis, ma
fille, que c'est ce genre d'amour, que c'est ce mode d'agir que lé Très-Haut
sollicite, en l'attendant comme caché derrière les treillis dont parle
l'épouse (1), et à travers lesquels il regarde comment elle fait toutes ses
oeuvres; et cela de si près, qu'il n'y a qu'un treillis qui l'empêche de jouir
de sa vue. Parce qu'il suit pas à pas les âmes qui l'aiment et le servent de
la sorte, comme en étant vaincu et épris; mais aussi il s'éloigne de celles
qui sont tièdes, ou il ne les surveille plus que par une providence commune et
générale. Aspirez toujours à ce qui est le plus parfait et le plus pur des
vertus, approfondissez-les et cherchez-y continuellement de nouveaux moyens et
de nouveaux secrets d'accroître
(1) Cant., II, 9.
447
votre
amour; et faites que toutes vos forces et toutes vos puissances intérieures et
extérieures soient incessamment occupées à ce qui est le plus relevé, le plus
excellent et le plus agréable au Seigneur. Subordonnez toutefois tous ces
sentiments à l'obéissance, communiquez-les à votre Père spirituel, et
dirigez-vous d'après son conseil; car c'est là le plus important et le plus
sûr.
CHAPITRE XX. La présentation de l'Enfant Jésus dans le Temple, et ce qui s'y
passa.
596. Le Père éternel
n'avait pas seulement droit sur la très-sainte
humanité de Jésus-Christ en vertu de la création, comme sur toutes les autres
créatures, mais elle lui appartenait aussi d'une manière spéciale en vertu de
l'union hypostatique avec la personne du Verbe, qui était engendrée de sa
propre substance, comme Fils unique et véritable Dieu de Dieu véritable.
Néanmoins le Père détermina que son Fils lui serait présenté dans le Temple,
tant à cause du mystère que cette cérémonie renfermait, que pour
l'accomplissement de sa. sainte loi, dont notre
Seigneur Jésus-Christ
448
était la
fin (1). C'est pourquoi il fut prescrit aux Juifs de consacrer tous leurs
premiers-nés (2), dans la perpétuelle attente de Celui qui le devait être du
Père éternel (3) et de sa très-sainte Mère. Et cri
cela, sa divine Majesté se comporta, pour ainsi dire, comme les hommes, qui
sont bien aises qu'on les entretienne souvent de ce qu'ils aiment, et qu'on
leur redise plusieurs fois ce qui leur agrée; le Père connaissait tout, savait
tout par son infinie sagesse, et néanmoins il se plaisait en l'offrande du
Verbe incarné, qui lui appartenait par tant de titres.
597. La Mère de la vie
connaissait cette volonté du Père éternel, qui était celle de son
très-saint Fils en tant que Dieu, et animait
également l'humanité du même Seigneur, dont elle voyait que l'âme et les
opérations étaient en tout conformes à la volonté du Père. Notre grande
Princesse, ainsi éclairée, passa en' des entretiens tout divins la nuit qui
suivit son arrivée à Jérusalem, et précéda la présentation. S'adressant au
Père éternel, elle lui disait : « Seigneur Dieu Tout Puissant, Père de mon
Seigneur, le jour s'approche auquel je dois vous offrir dans votre Temple
l'hostie vivante, qui est le trésor de votre Divinité; cet heureux
jour sera solennel pour le ciel et pour la terre. Cette offrande est
très-riche, Seigneur, et elle suffit pour
vous faire dispenser largement vos miséricordes au genre humain, pardonner aux
pécheurs, consoler les affligés, secourir les nécessiteux,
(1)
Rom., X, 4. — (2) Exod., XIII,
2. — (3) Hebr., I, 6.
449
enrichir
les pauvres, protéger les misérables, éclairer les aveugles et ramener ceux
qui se sont écartés du bon chemin. C'est ce que je vous demande, Seigneur, en
vous offrant votre Fils unique, qui est aussi le mien par un effet de votre
bonté infinie. Et si vous me l'avez donné Dieu, je vous le présente Dieu et
homme tout ensemble; son prix est infini et au-dessus de ce que je demande. Je
retourne riche à votre Temple, d'où je suis sortie pauvre; et mon âme vous
glorifiera éternellement de ce que votre divine main s'est montrée si libérale
et si puissante à mon égard. »
598. Le jour étant arrivé
auquel le Soleil de justice devait paraître au monde entre les bras de la
très-pure aurore, la divine Dame prépara les
tourterelles et deux cierges, et accommoda l'Enfant Jésus dans ses langes,
puis sortit avec son saint époux Joseph de la maison, on ils avaient été reçus
pour se rendre au Temple. La procession commença, et les anges qui étaient
venus de Bethléem s'y trouvèrent en forme humaine, et tout resplendissants de
lumière, comme je l'ai dit. Mais cette fois, ils ajoutèrent plusieurs beaux
cantiques, qu'ils chantaient avec une ineffable
harmonie à la louange de l'Enfant-Dieu; il n'y eut
que l'auguste Marie qui les entendit. Et outre les dix mille anges qui
allaient sous cette forme., il descendit du ciel un
très-grand nombre d'autres purs esprits qui, se
joignant à ceux qui portaient la devise du saint nom de Jésus, accompagnèrent
le Verbe incarné à cette présentation. Ceux-ci n'avaient aucune forme
450
corporelle,
ils allaient comme ils sont, et notre seule Princesse pouvait les voir. La
bienheureuse Mère ressentit en arrivant à la porte du Temple de nouveaux et
sublimes effets intérieurs d'une dévotion très-sensible;
et continuant de s'avancer jusqu'au lieu où les autres femmes s'arrêtaient,
elle se mit à genoux et adora lé Seigneur en esprit et en vérité (1) dans son
saint Temple, après quoi elle s'offrit à la Majesté
suprême , avec son Fils dans ses bras. Aussitôt la
très-sainte Trinité se manifesta à elle par une vision intellectuelle,
et il en sortit une voix du Père qui disait: Celui-ci est mon Fils bien-aimé,
en qui je me plais uniquement (2); cette voix ne fut entendue que de la sainte
Vierge. Le plus fortuné des hommes, saint Joseph, sentit en même temps une
nouvelle et douce impulsion du Saint-Esprit, qui le remplit de joie et de
lumière divine.
599. Le souverain prêtre
Siméon, mù aussi du Saint-Esprit, comme il a été
dit au chapitre précédent, entra dans le Temple (3); et, s'approchant du lieu
où se trouvait notre Reine avec son Enfant Jésus entre les bras, il les vit
tout rayonnants de gloire; mais cette splendeur ne lui parut pas égale, car
l'éclat du Fils se distinguait de celui de la Mère. Ce prêtre était rempli
d'années et vénérable sous tous les rapports. La prophétesse Anne l'était
aussi; elle vint dans ce saint lien à la même heure, comme le raconte
l'Évangile (4), et vit l'Enfant et la Mère dans un éclat
(1) Joan., IV, 23. — (2) Matth., XVII, 5. — (3)
Luc., II, 27. — (4) Ibid., 38.
451
merveilleux.
Ils abordèrent la Reine du ciel pénétrés d'une
consolation divine, et le prêtre reçut de ses mains l'Enfant Jésus. Et, levant
les yeux au ciel, il l'offrit au Père éternel en disant ce cantique plein de
mystères : Maintenant, Seigneur, vous permettrez à votre serviteur de
mourir en paix, selon votre parole, puisque j'ai vu de mes yeux le Sauveur que
vous nous donnez, et que vous avez destiné pour être découvert à toutes les
nations et pour être la lumière qui doit éclairer les Gentils, et la gloire de
votre peuple d'Israël (1). Et ce fut comme s'il eùt
dit : Maintenant, Seigneur, vous me laisserez m'en aller libre et en paix,
délivré des chaînes de ce corps mortel, où les espérances de votre promesse et
le désir de voir votre Fils unique fait homme me retenaient. Je jouirai à
présent d'une paix assurée et véritable, puisque j'ai vu mon Sauveur, votre
Fils unique incarné, uni à notre nature pour lui donner le salut éternel,
décrété avant tous les siècles dans le secret de votre divine sagesse et de
votre miséricorde infinie. Vous l'avez, Seigneur, mis à la vue de tous les
mortels en le faisant venir au monde, afin que tous, s'ils le veulent,
puissent en jouir et en recevoir le salut et la lumière qui éclaire tout homme
venant dans ce monde (2) : car il est le Soleil qui doit éclairer les Gentils
et la gloire de votre peuple d'Israël (3).
600. L'auguste Marie et
Joseph ouïrent ce cantique de Siméon, et ils admirèrent la sublimité de
l'esprit
(1) Luc., II, 29, etc. — (2) Joan., I, 9. — (3) Luc., II, 32.
452
qui le
faisait parler. L'évangéliste les appelle parents de l’Enfant-Dieu,
selon l'opinion du peuple (1), parce que la chose se passa eu public. Siméon
continua son discours, et, s'adressant avec attention à la
trèssainte Mère, il lui dit : Sachez, ô femme, que
cet Enfant est établi pour la ruine et pour le salut de plusieurs en Israël;
il sera un signe de contradiction ; votre âme, qui lui appartient, sera
transpercée d'un glaive de douleur, afin que les pensées du coeur de plusieurs
soient découvertes (2). Ainsi termina Siméon, et comme prêtre il bénit les
heureux parents de l'Enfant. Ensuite la prophétesse Anne reconnut le Verbe
incarné (3), et, illuminée de l’Esprit divin, elle dit plusieurs choses de ses
mystères à ceux qui attendaient la rédemption d'Israël. De sorte que la venue
du Messie, qui devait racheter son peuple; fut publiquement attestée par les
deux saints vieillards.
601. Au moment où le prêtre
Siméon prononçait les paroles prophétiques de la passion et de la mort du
Seigneur, marquées par ces termes de glaive et de signe de contradiction;
l'Enfant Jésus baissa lui-même la tête. Par cette action et par plusieurs
actes d'obéissance intérieure, il accepta la prophétie du prêtre comme une
sentence du Père éternel déclarée par son ministre. L'amoureuse Mère y connut
tout cela; et, par l'intelligence de mystères si
douloureux , elle commença d'éprouver la vérité de la prophétie de
Siméon, ayant dès lors le coeur percé du
(1) Luc., II, 33. — (2) Ibid., 34 et 35. — (3) Ibid., 38.
453
glaive
qui la menaçait pour le temps à venir. Car tous les mystères que la prophétie
enfermait lui furent intérieurement découverts et montrés comme dans un
très-clair miroir. Elle vit que son
très-saint Fils serait une pierre de scandale et
un sujet de ruine pour les incrédules, et qu'il serait la vie pour les fidèles
(1) : elle connut-la chute de la Synagogue et l'établissement de l'Église dans
la gentilité; le triomphe que son adorable Fils remporterait sur les démons et
sur la mort, mais qui lui conterait bien cher, puisqu'il ne le remporterait
que par la mort ignominieuse et douloureuse de la croix (2); les
contradictions que l'Enfant Jésus essuierait en lui-même et en son Église de
la part de l’innombrable multitude des réprouvés (3), et enfin l'excellence
des prédestinés. Cette auguste Reine comprit toutes ces choses; et, élevée
entre la joie et la douleur de son âme aux actes.les
plus parfaits par la compréhension de ces inénarrables.
mystères et par la prophétie de Siméon, elle se livra à l'exercice des
vertus les plus éminentes, et grava dans son coeur tout ce qu'elle apprit et
tout ce qu'elle vit par la lumière divine et par les paroles prophétiques de
Siméon, sans en perdre jamais le souvenir. Elle regardait son
très-saint Fils avec une si vive douleur qui
renouvelait continuellement es amertumes de bon âme, qu'elle seule comme,
Mère, et Mère d'un Fils Dieu et homme, ressentit dignement ce qui ne nous
(1) Isa., VIII, 14 ; I
Petr., II, 8; Matth.,
XXI, 43 . — (2) Coloss., II, 15. — (3) Joan., XV,
20.
454
touche
point à cause de la dureté et de l'ingratitude de nos coeurs. Le saint époux
Joseph pénétra aussi plusieurs choses des mystères de la rédemption et des
peines du très-doux Jésus lorsqu'il entendit ces
prophéties. Mais la connaissance que le Seigneur lui en donna ne fut pas aussi
étendue ni aussi générale que celle de sa divine épouse; et cela pour diverses
rai sons, et parce que le saint n'en devait pas voir l'entière réalisation
pendant sa vie.
602. La cérémonie achevée,
notre grande Dame baisa la main au prêtre et lui demanda sa bénédiction. Elle
en fît de même à l'égard de son ancienne maîtresse Anne; car, quoiqu'elle
filet Mère de Dieu et que sa dignité surpassât toutes celles qui aient jamais
pu avoir les femmes, les anges et les hommes, elle ne laissait pas de
pratiquer les actes d'une profonde humilité. Elle retourna ensuite chez son
hôte, et elle marchait avec l'Enfant-Dieu et
son.époux, accompagnée des quatorze mille anges
qui l'assistaient. Elle resta quelques jours à Jérusalem par dévotion, comme
je le dirai, et durant son séjour elle eut divers entretiens avec le prêtre
touchant les mystères de la rédemption et les prophéties qu'il lui avait
annoncées. Et, quoiqu'elle employât très-peu de
paroles dans ces conférences, elles étaient si éloquentes et si remplies de
sagesse, que le prêtre en fut ravi d'admiration, et en ressentit de nouvelles
consolations et de très-doux et très sublimes
effets en son âme. Il en arriva de même à la sainte prophétesse Anne. Et ils
moururent tous deux dans le Seigneur fort peu de temps après.
455
Le
prêtre prit soin de leur faire fournir à ses dépens tout le nécessaire.
Pendant le temps que notre Reine passa en cette maison elle allait souvent au
Temple, où elle reçut de nouvelles faveurs qui adoucirent quelque peu la
douleur que les prophéties du prêtre lui avaient causée. Et, afin de mieux la
consoler, son très-saint Fils lui dit dans cette
occasion : « Ma très
chère
Mère et ma Colombe, essuyez vos larmes et n dilatez votre coeur; puisque c'est
la volonté de mon a Père que je subisse la mort de la croix. Il veut que
vous partagiez mes peines et mes souffrances, et a moi je veux les endurer
pour les âmes, qui sont les ouvrages de mes mains et faites à mon image
et à ma ressemblance, afin de les conduire dans mon royaume
et de les faire vivre éternellement avec moi après avoir triomphé de mes
ennemis (1). C'est ce que vous souhaitez aussi. » La divine Mère
répondit: « O mon très-doux amour et Fils de mes
entrailles, si je pouvais partager votre sort autrement qu'en vous
assistant de ma présence et de ma compassion, et en subissant la mort avec
vous, je serais bien plus consolée, car ma plus grande douleur
sera de vivre lorsque je vous verrai mourir. » Notre Princesse passa quelques
jours dans ces saints exercices et dans ces amoureux et tendres épanchements,
jusqu'à ce que saint Joseph fut inspiré de fuir en Égypte, comme je le dirai
dans le chapitre suivant.
(1) Ephes., II, 10; Gen., I, 27;
456
Instruction que la
très-sainte Vierge me donna.
603. Ma fille, vous trouvez
dans ce que vous avez écrit la leçon et l'exemple de la constance et de la
générosité que vous devez tâcher d'avoir, toujours disposée à accepter avec
égalité d'âme la prospérité et l'adversité, la douceur et l'amertume. O ma
très-chère fille, que le coeur humain est faible
et lâche pour supporter ce qui est pénible et contraire à ses inclinations
terrestres ! Comme il regimbe contre les afflictions ! Avec quelle impatience
il les reçoit ! Combien lui parait intolérable tout ce qui s'oppose à ses
goûts! Et comme il oublie que son Maître et son Seigneur a été le premier à
souffrir, et qu'il a honoré et sanctifié en lui-même la souffrance (1) ! Qu'il
est honteux et en même temps qu'il est téméraire pour les fidèles de
l'abhorrer ainsi, après ce que mon très-saint Fils
a enduré pour eux, puisqu'il y a en plusieurs saints qui ont embrassé la croix
avant qu'il y mourût , dans la seule vue de ce que
le Christ y devait souffrir, quoiqu'ils ne le vissent pas encore. Et si ce peu
de conformité qu'on a avec mon adorable Fils est si blâmable en tous,
considérez, ma bien-aimée , combien il le serait davantage en vous, qui
témoignez tant d'ardeur pour acquérir l'amitié et la grâce du Très-Haut, pour
mériter le
(1) I Petr., II, 21.
457
titre
de son épouse et de sa favorite, et pour être toute: à lui comme lui tout à
vous, et qui désirez aussi très-vivement d'être ma
disciple, de m'avoir pour votre maîtresse; de me suivre et de m'imiter comme
une fille fidèle. vous ne devez pas faire consister tout cela en de simples
affections, ni répéter sana cesse Seigneur, Seigneur (1), et vous désoler et
vous plaindre, lorsqu'il faudra goûter le calice, porter la croix et poser par
les afflictions où est éprouvée la sincérité d'un coeur épris d'amour.
604. Ce serait désavouer
par les oeuvres ce que vous protestez de faire par vos promesses, et sortir du
chemin de la vie éternelle; car vous ne pouvez pas suivre Jésus-Christ que
vous n'embrassiez la croix (2), et que vous ne vous plaisiez en elle: vous ne
me trouverez pas non plus par une autre voie. Si les créatures vous
abandonnent, si la tentation vous menace, si la tribulation vous afflige et si
les douleurs de la mort vous environnent (3), il n'y a pas là de quoi vous
troubler ni vous abattre , et vous nous offenseriez grièvement, mon
très-saint Fils et moi, si vous ne.
vous serviez point de sa puissante grâce pour vous
défendre, et si vous la déshonoriez et la receviez en vain (4). En outre, vous
donneriez lieu au démon de remporter. sur vous un
grand triomphe, car il se glorifierait beaucoup d'avoir troublé ou abattu
celle qu'il regarde comme la disciple de mon Seigneur
(1) Matth., VII, 21. — (2) Marc., VIII, 34. — (3) Ps. XVII, 5. — (4) II Cor., VI, 1.
458
Jésus-Christ et la mienne: et si vous commenciez à défaillir dans les petites
occasions, il vous perdrait dans les grandes. Confiez-vous donc, ma fille, en
la protection du Très-Haut, et dans le soin que je prends de tout ce qui vous
concerne. Et, pleine de cette foi, quand las tribulation vous visitera,
répondez avec courage : « Le Seigneur est ma lumière et mon salut, qui est ce
que je craindrai? Il est mon défenseur, a comment serai-je ébranlée (1)? J'ai
une Mère, une Maîtresse et une Reine qui me protégera et veillera sur moi dans
mon affliction. »
605. Tâchez par cette
assurance de conserver la paix intérieure, et de ne me perdre, point de vue,
afin que vous imitiez mes oeuvres et que vous suiviez mes traces. Pensez à la
douleur,dont les prophéties de Siméon me percèrent
le coeur; et voyez quel, calme je sus garder dans cette peine, sans me laisser
ai agiter ni ébranler, quoique môn âme fût déchirée par le glaive. Tout ne me
portait qu'à glorifier et qu'à révérer la sagesse admirable du Très-Haut. Si
elle recevait les peines passagères avec un coeur joyeux et tranquille, la
créature serait spiritualisée et élevée à une science divine, de sorte quelle
ferait la plus grande estime des souffrances, et que bientôt elle trouverait
la consolation et recueillerait le fruit du désenchantement et de la
mortification des passions. Cette science s'apprend ù l'école du Rédempteur,
qui est cachée aux habitants de Babylone et aux partisans
(1) Ps., XXVI, 1.
459
de la
vanité (1). Je veux aussi que vous m'imitiez en la vénération que j'avais pour
les prêtres et les ministres du Seigneur, car leur excellence et leur dignité
sont bien plus grandes maintenant que le Verbe s'est uni à la nature humaine,
et s'est fait Prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech (2). Écoutez leur
doctrine et leurs instructions, comme émanant de sa divine Majesté, dont ils
tiennent la place. Considérez quel pouvoir et quelle autorité elle leur donne
dans l'Évangile en disant : Celui qui vous écoute, m'écoute; et celui qui vous
méprise, me méprise (3). Pratiquez ce qui est le plus saint, comme ils vous
l'enseigneront; occupez-vous continuellement à méditer ce que mon
très-saint Fils a souffert, et faites-le de telle
sorte que vous preniez part à ses douleurs, que vous ayez de l'aversion et du
dégoût pour les consolations terrestres, et que vous oubliiez tout ce qui est
visible pour suivre l'auteur de la vie éternelle (4).
(1) Matth., XI, 25. — (2) Ps.
CIX, 4. — (3) Luc., X, 16. — (4) Matth.,
XIX, 27.
460
CHAPITRE XXI. Le Seigneur avertit l'auguste Marie de fuir en Égypte. L'Ange
parle à, saint Joseph,. — Plusieurs autres choses relatives au voyage.
606. Après que la sainte
vierge et son époux Joseph furent de retour du Temple, où ils avaient présenté
l'Enfant Jésus, ils déterminèrent de demeurer encore neuf jours à Jérusalem,
et d'y visiter autant de fois le Temple, en y renouvelant chaque jour
l'offrande de la très-sainte Hostie, dont ils
étaient les dépositaires, en actions de grâces du bienfait qu'ils avaient reçu
entre toutes les créatures. Notre divine Dame révérait avec une dévotion
singulière le nombre de neuf, en reconnaissance des neuf jours pendant
lesquels elle avait été préparée pour l'incarnation du verbe, comme je l'ai
dit dans les dix premiers chapitres de cette seconde partie, et en mémoire des
neuf mois qu'elle l'avait porté dans son sein virginal. C'est pourquoi elle
souhaitait de faire cette neuvaine avec son Enfant-Dieu,
et de le présenter autant de fois au Père éternel, comme une offrande agréable
pour de très-hautes fins qu'elle avait. Ils
commencèrent la neuvaine en allant chaque jour au Temple avant l'heure de
tierce, et ils y restaient en prières
461
jusqu’au soir, choisissant avec l'Enfant Jésus le lieu le plus bas; de sorte
qu'ils se montrèrent dignes d'ouïr ces honorables paroles, que le maître du
festin adressa à l'humble convié dans l'Évangile, quand il lui dit mon ami,
montez plus haut (1). C'est ce que mérita notre
très-humble Reine, et ce que pratiqua à son endroit le Père éternel, en
la présence duquel elle répandait son âme (2). Et étant en prière dans un de
ces neuf jours, elle lui dit :
607. « Suprême Roi,
Seigneur et Créateur de tout ce qui a l'être, voici la cendre et la vile
poussière que votre seule bonté ineffable a élevée à la grâce, qu'elle ne
savait ni ne pouvait mériter. Je me sens, Seigneur, irrésistiblement poussée à
la reconnaissance par le torrent impétueux de vos bienfaits. Mais quel digne
retour pourra vous rendre celle qui, n'étant qu'un pur néant, a reçu de votre
très-libérale bonté l'être et la vie, et de plus,
tant de favorables effets de votre miséricorde? Que peut faire pour le service
de votre Divinité infinie, celle qui est une créature faible et bornée? J'ai
reçu, et je reçois de votre main, mon âme, mou être
et mes puissances; et maintes fois je vous les ai offerts, je les ai consacrés
à votre gloire. Je me reconnais votre débitrice,
non-seulement à raison de ce que vous m'avez donné, mais surtout à
raison de l'amour avec lequel vous me l'avez donné, et parce que votre pouvoir
infini m'a préservée entre toutes les
(1) Luc., XIV, 10. — (2) Ps. CXLI, 2.
462
créatures
de la souillure du péché, et m'a choisie, moi fille d'Adam, et vil
composé de matière ter rentre; pour revêtir de la forme humaine votre Fils
unique, pour le porter dans mon sein et le nourrir a de mon lait. Je proclame,
Seigneur, cette ineffable bonté, et dans ma
reconnaissance, mon coeur et ma vie s'épuisent en affections de votre divin
amour ; car je n'ai rien à vous donner pour tout ce que votre bras
tout-puissant a fait en faveur de votre servante. Mais que dis-je?
Une pensée me ranime, et mon coeur se réjouit de ce qu'il a de quoi vous
offrir, et que le don qu'il peut vous faire est en substance avec vous une
même chose (1) ; égal en la majesté, dans les perfections et dans les
attributs; la génération de votre entendement; l'image de votre être
(2), la plénitude de vos coma plaisantes, votre Fils unique et bien-aimé (3).
C'est, Père éternel, le présent que je vous offre, l'hostie que je
vous apporte, sûre que vous l'agréerez. Comme vous me l'avez donné Dieu, je
vous le rends Dieu et homme. Je n'ai, Seigneur, et les créatures
n'auront jamais rien d'autre à vous donner, et même votre Majesté ne
saurait leur demander un don plus a précieux. Et il
est si grand, qu'il suffit pour le retour de ce que j'ai reçu. Je l'offre en
son nom et au mien à votre suprême grandeur. Et
puisqu’étant Mère de votre Fils unique, lui ayant donne la
chair humaine, je l’ai fait frère des mortels, et qu'il a
(1) Joan., I, 1. — (2) Coloss., I, XV. — (3)
Matth., XVIII, 5.
463
bien
voulu venir pour être leur Rédempteur et leur Maître, je dois intercéder
pour eux, défendre leur cause et solliciter leur remède. Or donc, Père
de mon très-saint Fils, Dieu de miséricorde,
je vous a l'offre de tout mon coeur, et je vous prie avec lui et a par lui de
pardonner aux pécheurs, de répandre sur le genre humain vos
anciennes miséricordes, et de faire éclater vos merveilles d'une manière
toute nouvelle (1). C'est le lion de Juda qui est devenu
agneau (2), pour ôter les péchés du monde. C'est le trésor de votre
Divinité. »
608. La Mère de miséricorde
fit ces prières, et plusieurs autres semblables, dans les premiers jours de la
neuvaine qu'elle commença dans le Temple. Le Père éternel répondit à
toutes , les recevant avec l'offrande de son Fils
unique comme un sacrifice agréable ; il s'éprit de nouveau de la pureté de sa
Fille, de son unique et élue, et regarda sa sainteté avec complaisance. Et
pour exaucer ses prières, le Roi des rois lui accorda de nouveaux privilèges,
et lui promit qu'elle obtiendrait tout ce qu'elle demanderait pour ses dévots,
tant que le monde durerait; que si même les grands pécheurs se prévalaient de
son intercession, ils trouveraient leur salut, et qu'elle serait la
coopératrice de son très-saint Fils et Maîtresse
dans la loi évangélique, surtout après son ascension, temps auquel notre Reine
deviendrait la protectrice de la nouvelle Église, et l'instrument dont la
puissance divine
(1) Eccles., XXXVI, 6. — (2) Apoc., V,
5 ; Joan., I, 29.
464
se
servirait pour y exécuter ses desseins, comme je le dirai dans la troisième
partie de cette histoire. Lorsque la divine Mère s'adonnait à cette sublime
oraison , le Très-Haut lui départit plusieurs autres bienfaits, et lui
communiqua de si grands mystères, que je ne saurais trouver des termes pour
les exprimer.
609. Elle atteignit en y
persévérant le cinquième jour, qui suivit la présentation et la purification,
et comme l'auguste Dame était dans le Temple avec son
Enfant-Dieu entre les bras, la Divinité lui fut manifestée; et quoique
ce ne fût point intuitivement, elle ne laissa pas d'être toute ravie et
remplie du Saint-Esprit. Il est vrai qu'elle l'était déjà, mais comme Dieu est
infini en son pouvoir et en ses trésors, il ne donne jamais tant qu'il ne lui
reste de quoi donner davantage aux simples créatures. Dans cette vision
abstractive, le Très-Haut voulut préparer de nouveau son incomparable Épouse
aux afflictions et aux peines qui l'attendaient. Et pour l'animer et la
fortifier, il lui dit : « Mon Épouse et ma Colombe, vos intentions et
vos
désirs sont agréables à mes yeux , et je les accueille toujours avec
complaisance. Mais vous ne pouvez pas achever la pieuse neuvaine que vous avez
commencée ; parce que je veux que vous vous livriez à un autre
exercice , où vous trouverez de quoi souffrir pour
mon amour; je veux que pour élever votre Enfant et lui sauver la vie , vous
sortiez de votre maison et de votre patrie, et que vous vous retiriez avec lui
et Joseph votre époux en Égypte,
jusqu'à
ce que j'en ordonne autrement ; car Hérode
465
cherchera
à faire mourir l'Enfant. Le voyage est long et pénible; vous y essuierez de
grandes incommodités, endurez-les pour moi, qui suis et serai toujours avec
vous. »
610. Toute autre sainteté
et toute autre foi que celles de Marie auraient pu ressentir quelque
trouble , comme les incrédules ont été fortement
scandalisés en voyant un Dieu puissant fuir devant un misérable mortel pour
sauver sa vie humaine, s'éloigner et s'absenter comme s'il eût été capable de
crainte, ou qu'il n'eût point été homme et Dieu tout ensemble. Mais la
très-prudente et
très-obéissante Mère ne répliqua pas un seul mot; elle n'eut aucun
doute, et ne se troubla nullement de l'étrangeté du fait. Et dans cette
tranquillité, elle répondit : « Mon Seigneur et mon Maître, voici votre
servante avec un coeur disposé à mourir pour votre amour, s'il est nécessaire.
Faites de moi tout ce qu'il vous plaira. Je demande seulement que votre bonté
immense, sans égard à mon peu de mérite ni à mes ingratitudes, ne permette
point que mon Fils et mon Seigneur soit affligé, et que les peines me soient
réservées, à moi qui dois les souffrir avec justice. » Le Seigneur la renvoya
à saint Joseph , à qui il lui dit de se rapporter
pour toutes choses dans le voyage. Ensuite elle sortit de la vision qu'elle
avait eue, sans perdre l'usage des sens extérieurs ; car elle tenait l'Enfant
Jésus entre les bras, l'extase n'ayant élevé que la partie supérieure de son
âme; il en rejaillit pourtant sur les sens des dons particuliers, qui les
spiritualisèrent et
466
les
rendirent comme témoins de ce que l'âme était plus où elle aimait que là où
elle animait.
611. Mais l'amour
incomparable que notre grande Reine portait à son
très-saint Fils, attendrit en quelque sorte son coeur maternel et
compatissant, par la pensée des peines que l'Enfant-Dieu
souffrirait, selon qu'il lui avait été révélé dans la vision. Et ce fut en
versant des larmes abondantes qu'elle sortit du Temple pour retourner à la
maison où elle logeait, sans découvrir à son époux la cause de sa douleur; et
le saint l'attribuait uniquement à la prophétie qu'ils avaient entendue de la
bouche de Siméon. Mais comme le très-fidèle Joseph
l'aimait si tendrement, et qu'il était d'ailleurs naturellement officieux et
délicat, il se troubla un peu, voyant son épouse si affligée, sans qu'elle lui
fit connaître le sujet de ses nouvelles larmes. Ce
trouble fut une des raisons pour lesquelles l'ange lui parla dans un songe,
comme il avait fait à l'occasion de la grossesse de notre Reine, ainsi que
nous l'avons rapporté. Car cette même nuit, saint Joseph étant endormi, le
même ange lui apparut et lui dit ce que raconte saint Matthieu (1) : «
Levez-vous, prenez. l'Enfant et la Mère, fuyez en
Égypte, et n'en partez que lorsque je vous le dirai, parce que Hérode doit
chercher l'Enfant pour le faire mourir. » A l'instant saint Joseph se
leva rempli de sollicitude et de peine, prévoyant combien souffrirait sa
bien-aimée épouse. Et allant
(1) Matth., II, 13.
467
la
trouver dans sa retraite, il lui dit : « Chère Dame, c'est la volonté du
Très-Haut que nous soyons affligés, car son saint ange m'a déclaré que
sa Majesté ordonne que nous fuyions avec l'Enfant en Égypte, parce
que Hérode projette de lui ôter la vie. Préparez-vous, digne amie, aux
fatigues de ce voyage, et dites-moi ce que je puis faire pour votre
soulagement, puisque je n'ai l'être et la vie que pour les employer au
service de notre très-doux Enfant et au
vôtre.
612. « Mon époux et mon
seigneur, répondit notre Reine, si nous recevons de la main libérale du
Très-Haut tant de biens de grâce, il est juste que nous en acceptions
avec joie les peines et les afflictions temporelles (1). Nous porterons avec
nous le Créateur du ciel et de la terre; et s'il nous a mis si près de
lui, quelle main sera assez puissante pour nous blesser (2), fût-ce
celle du roi Hérode ? Emportant où nous allons toutes nos richesses, le
souverain Bien, le trésor du ciel, notre Maître, notre guide et notre
véritable lumière, nous n'y saurions être exilés; car il est notre
repos, notre héritage et notre patrie. Nous avons toutes choses l'ayant
avec nous allons accomplir sa sainte volonté. » La
très-pure Marie et Joseph s'approchèrent du berceau où l'Enfant Jésus
était endormi, et ce sommeil n'arriva point sans quelque mystère. La divine
Mère le découvrit sans qu'il s'éveillât, parce
(1) Job., II, 10. — (2) Ps., XVII, 3.
468
qu'il
attendit ces tendres et douloureuses paroles de l'amante : Fuyez, mon
bien-aimé, comme un faon de biche sur les montagnes des parfums (1).
Venez, mon bien-aimé, allons aux champs, et, demeurons dans les villages
(2). « Mon unique amour, ajouta la tendre Mère, très-doux
Agneau, votre pouvoir ne saurait être limité par celui des rois de la terre;
mais vous voulez le cacher par une très-haute
sagesse pour l'amour que vous portez aux hommes. Qui d'entre les mortels peut
se promettre, mon bien-aimé, de vous ôter la vie, puisque votre pouvoir
anéantit le leur ? Si c'est vous qui la donnez à tous (3), comment vous
l'ôtera-t-on ? Et si c'est vous qui les cherchez pour leur donner celle qui
est éternelle, comment veulent-ils vous donner la mort ? Mais qui comprendra
les secrets impénétrables de votre providence (4)? Or donc, mon Seigneur et
lumière de mon âme, permettez-moi de vous éveiller; car, quoique vous dormiez,
votre coeur veille (5). »
613. Saint Joseph dit
quelque chose de semblable. Après quoi la divine Mère se mit à genoux, éveilla
le très-doux Enfant, et le prit entre ses bras.
Notre aimable Sauveur, voulant donner des marques qu'il était homme véritable,
et attendrir davantage son amoureuse Mère, pleura quelque peu. O merveilles du
Très-Haut en des choses qui paraissent si petites
(1) Cant., VIII, 14. — (2) Cant., VII, 11. — (3) Joan., X, 10.
— (4) Rom., XI, 34. — (5) Cant., V, 2.
469
à notre
faible jugement! Mais il se tut incontinent. La sacrée Vierge et saint Joseph
lui ayant demandé sa bénédiction, il la leur donna d'une manière sensible. Et
après qu'ils eurent ramassé ses pauvres langes dans la layette dans laquelle
ils les avaient apportés, ils partirent sans aucun délai, un peu après minuit,
se servant de la monture sur laquelle notre Reine était venue de Nazareth, et
ils se dirigèrent du côté de l'Égypte avec toute la diligence possible, comme
je le dirai dans le chapitre suivant.
614. Et pour achever
celui-ci, j'ai reçu l'explication de la concordance qu'il y a entre les deux
évangélistes saint Matthieu et saint Luc sur ce mystère; car comme ils
écrivirent tous avec l'assistance et sous l'inspiration du Saint-Esprit,
chacun d'eux connaissait par la môme inspiration ce que les trois autres
écrivaient et ce qu'ilq omettaient. De là vient
que par la divine volonté ils écrivirent tous quatre parfois les mêmes choses
de la vie de notre Seigneur Jésus-Christ et de l'histoire évangélique, et- que
dans d'autres endroits les uns ont raconté ce que les autres avaient omis,
comme on le voit dans l'Évangile de saint Jean et des autres aussi. Saint
Matthieu décrivit l'adoration des rois et la fuite en Égypte (1), que saint
Luc ne décrivit pas. Et celui-ci décrivit la circoncision, la présentation et
la purification (2), que saint Matthieu avait omises. Ainsi, de ce que saisit
Matthieu, ayant raconté le départ des rois mages de
(1) Matth., II, 1, etc. — (1) Luc., II, 21, etc.
470
Bethléem, dit incontinent que l'Ange ordonna à saint Joseph de fuir en Égypte
(1), sans parler de la présentation, il ne s'ensuit pas que l'Enfant-Dieu
n'ait été présenté auparavant, car il est certain que cette présentation eut
lieu après le départ des mages et avant la fuite en Égypte, comme le raconte
saint Luc (2). De même, quoique saint Luc écrive immédiatement après la
présentation et la purification, qu'ils se rendirent à Nazareth (3), on ne
doit pas inférer de là qu'ils ne soient allés auparavant en Égypte; car il est
hors de doute qu'ils y allèrent, comme le rapporte saint Matthieu (4), quoique
saint Luc se taise sur ce point; et il n'a point parlé de cette fuite, ni
avant, ni après, parce qu'elle était déjà racontée par saint Matthieu. De
sorte qu'elle arriva incontinent après la présentation, et avant le retour de
la sainte Vierge et de Joseph à Nazareth. Et comme saint Luc ne devait pas
écrire ce voyage, il fallait bien, pour suivre le fil de son histoire, qu'il
racontât leur retour à Nazareth immédiatement. après
la présentation. Que s'il dit qu'après avoir accompli les prescriptions de la
loi, ils retournèrent en Galilée (5), il ne nie pas pour cela le voyage qu'ils
firent en Égypte; mais il continue le récit, en omettant la fuite qu'ils
furent obligés de faire pour éviter la persécution d'Hérode. Et l'on infère
même du texte de saint Luc que leur retour à Nazareth eut
(1) Matth., II, 13. — (2) Luc., II, 22, etc. — (3)
Ibid., 39. — (4) Matth., II, 24. — (5) Luc., II,
39.
471
lieu
après leur voyage d'Égypte, puisqu'il dit (1) que l'Enfant croissait et se
fortifiait ; étant rempli de sagesse, et que la grâce se montrait en lui : ce
qui ne pouvait pas être avant qu'il eût achevé les années de l'enfance, par
conséquent avant le retour d'Égypte, époque à laquelle il était dans un âge où
l'on aperçoit ordinairement dans les enfants le principe de l'usage de la
raison.
615. Il m'a aussi été
découvert combien a été insensé le scandale des infidèles, ou celui des
incrédules qui ont commencé à heurter contre cette pierre angulaire (2), notre
Seigneur Jésus-Christ, dès son enfance, en le voyant fuir en Égypte pour
éviter la persécution d'Hérode; comme si c'eût été un manque de pouvoir et non
point un mystère qui tendait à d'autres fins plus hautes que celle de mettre
sa vie à couvert de la cruauté d'un homme pécheur. Ce que dit l'évangéliste
(3) devait suffire pour satisfaire un coeur bien disposé : à savoir, qu'il
fallait que fût accomplie la prophétie d'Osée, disant au nom du Père éternel :
J'ai fait revenir mon fils d'Égypte (4). Il est sûr que les fins qu'il
eut en l'envoyant dans ce pays et en le rappelant sont
très-mystérieuses; j'en dirai quelque chose dans la suite. Mais, quand
même toutes les oeuvres du Verbe incarné n'auraient pas été si admirables et
si pleines de mystère, il n'est personne d'un jugement sain qui puisse
reprendre ou ignorer la douce providence
(1) Luc., II, 40. — (2) I Petr., II, 8. — (3) Matth., II, 15. — (4) Os., XI,
1.
472
avec
laquelle Dieu conduit les causes secondes, en laissant agir la volonté humaine
selon sa liberté (1), C'est pour ce sujet, et non par manque de pouvoir, qu'il
permet dans le monde tant d'injustices, d'idolâtries, d'hérésies et tant
d'autres péchés qui ne sont pas moindres que celui d'Hérode, et qu'il permit
celui de Judas et de ceux qui effectivement maltraitèrent et crucifièrent sa
divine Majesté. Il est constant que le Seigneur pouvait empêcher tout cela, et
qu'il ne le fit point, non-seulement pour opérer
la rédemption, mais pour nous procurer ce bienfait de la liberté, laissant
agir les hommes à leur gré, selon leur volonté, et leur donnant la grâce et
les secours que sa divine Providence juge convenables, afin que par eux ils
pussent opérer le bien, s'ils voulaient user de leur liberté pour ce même bien
comme ils le font pour le
mal.
616. C'est avec cette même
douceur de sa Providence qu'il donne aux pécheurs le temps de se convertir, et
qu'il attend leur conversion comme il attendit celle d' Hérode. S'il usait de
son pouvoir absolu et qu'il fit de grands miracles pour arrêter les effets des
causes secondes, l'ordre de la nature serait.confondu,
et en tant qu'auteur de la grâce, il serait en quelque sorte contraire à lui
même comme auteur de la nature. C'est pour ce sujet que les miracles ne
doivent éclater que rarement et que pour des fins singulières, car Dieu les a
réservés pour des moments opportuns auxquels il
(1) Eccles., XV, 14, etc.
473
veut
manifester sa puissance et se faire connaître auteur de l'univers, et
indépendant des mêmes choses qu'il a créées et qu'il conserve. On ne doit pas
non plus être surpris de ce qu'il permit la mort des innocents qu'Hérode fit
égorger (1). S'il ne jugea pas convenable de l'empêcher par un miracle, c'est
que, cette mort leur acquit la vie éternelle et une abondante récompense;
cette vie valant sans comparaison plus que la temporelle, que l'on doit
sacrifier et perdre pour celle-là; et si tous ces enfants eussent vécu et
fussent morts d'une mort naturelle, peut-être tons n'auraient-ils pas été
sauvés. Les oeuvres du Seigneur. sont justes et
saintes en toutes choses, quoique nous ne pénétrions pas maintenant les
raisons de leur équité; mais nous les connaîtrons en lui quand; nous le
verrons face à face.
Instruction que la reine du ciel me donna.
617. Ma fille, entre les
choses que vous devez tirer de ce chapitre pour votre instruction, que la
première soit l'humble reconnaissance des bienfaits que vous recevez, puisque
vous êtes, entre plusieurs nations, si distinguée et si enrichie par les
faveurs que mon
(1) Matth., II, 16.
474
Fils
et moi vous faisons sans que vous les ayez méritées. Je redisais souvent ce
verset de David : Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens qu'il m'a
faits (1)? Et, dans cette affection reconnaissante, je m'humiliais
profondément, me regardant comme la plus inutile de toutes les créatures. Or,
par la connaissance de ce que. je faisais étant
véritable Mère de Dieu, vous devez considérer quelle est votre obligation, et
avouer que vous êtes véritablement indigne de ce que vous recevez, et tout à
fait incapable de le reconnaître. Il faut, ma fille, que vous suppléiez à
cette impuissance de votre misère en offrant au Père éternel l'hostie vivante
de son Fils humanisé, surtout quand vous le recevez sous les espèces
sacramentelles et que vous l'avez dans votre poitrine : car en cela vous
imiterez aussi David, qui, après s'être interrogé sur ce qu'il rendrait su
Seigneur pour les faveurs dont il était comblé, répondait : Je prendrai le
calice du salut, et j'invoquerai le nom du Très-Haut (2). Vous devez recevoir
le salut et travailler à celui de votre âme (3), en suivant les voies.
qui y conduisent, et en payant les divins bienfaits
de retour par la pratique de la perfection; vous devez aussi invoquer le nom
du Seigneur et lui offrir son Fils unique, qui est celui qui a opéré la vertu
et le salut, qui l'a mérité, et qui peut seul dignement récompenser ce que le
genre humain a reçu de la main du Tout-Puissant et
ce que vous avez reçu en. particulier. Je l'ai
revêtu de la forme
(1) Ps., CXV, 12. — (2) Ps., Ibid., 13. — (3) Philipp., II 12.
475
humaine,
afin qu'il conversât avec les hommes (1) et qu'il fût à tous comme une chose
propre. Et sa Majesté s'est renfermée sous les espèces du pain et du vin (2)
pour se rendre plus propre à chacun en particulier, et afin que chacun en
jouit et l'offrit au Père éternel comme une chose qui lui appartint; les âmes
suppléant par cette offrande à l'insuffisance de ce qu'elles pourraient lui
rendre sans elle, et le Très-Haut se trouvant comme satisfait par elle,
puisqu'il ne saurait demander à ses créatures quelque autre chose qui lui fût
plus agréable.
618. Après cette offrande,
celle que les âmes font en acceptant et en supportant avec égalité et patience
les peines et les adversités de la vie mortelle, lui est fort agréable. Mon
très-saint Fils et moi avons été les Maîtres
excellents de cette doctrine: sa divine Majesté se mit à l'enseigner dès le
moment que je l'eus conçue dans mon sein, parce que incontinent nous
commençâmes à fatiguer et à souffrir (3); sitôt qu'il fut né, nous endurâmes
la persécution d'Hérode, et nous fûmes obligés de nous réfugier dans un pays
étranger; ses souffrances durèrent jusqu'à la mort de la croix. Et moi aussi,
je souffris de mon côté jusqu'à la fin de ma vie, comme vous l'apprendrez par
tout ce que vous en écrirez. Or, puisque nous avons tant souffert pour les
hommes et pour leur remède, je veux qu'en cela vous nous imitiez comme son
épouse et comme ma fille, et que vous vous habituiez à souffrir
(1) Baruch., III, 38. — (2) Joan., VI, 57. — (3) Ps. LXXXII,
16.
476
avec un
coeur joyeux et tranquille, tâchant d'augmenter les richesses de votre
Seigneur et Maître par la conquête des âmes qu'il a achetées au prix de sa vie
et de son sang, et qui lui sont si chères (1). N'épargnez jamais ni peines ni
travaux, acceptez toute sorte d'amertumes et de douleurs, si par leur moyen
vous pouvez gagner quelques âmes à Dieu ou les aider à sortir du péché, à
améliorer leur vie. Prenez garde que la vue de votre pauvreté et du peu de
fruit que vous tirerez de vos désirs et de vos soins ne vous fasse perdre
courage; car vous ne devez pas douter qu'ils ne soient agréables au Très-Haut,
et vous ne savez pas jusqu'à quel point il peut lui plaire de les faire
servir. Dans tous les cas, vous n'avez qu'à travailler avec activité, et à ne
point manger paresseusement le pain dans sa maison (2).
CHAPITRE XXII. Jésus, Marie et Joseph entreprennent le voyage d'Égypte,
accompagnés des esprits angéliques. — Ils arrivent à la ville de Gaza.
619. Nos divins voyageurs
sortirent de Jérusalem pour se rendre au lieu d'exil, cachés sous le silence
(1) I Cor., VI, 20 .—
(2) Prov., XXXI, 27.
477
et
l'obscurité de la nuit, mais pleins de la sollicitude que leur imposait la
garde du gage du Ciel, qu'ils emmenaient dans un pays étranger où ils ne
connaissaient personne. Et quoique la foi et l'espérance les soutinssent (car
chez notre Reine et chez son très-fidèle époux,
ces vertus étaient portées au plus haut degré possible), néanmoins le Seigneur
leur laissa sentir cette peine, parce qu'elle était naturellement inséparable
de l'amour qu'ils avaient pour l'Enfant Jésus, et qu'ils ne savaient point en
particulier tout ce qui pouvait leur arriver dans un si long voyage, ni quand
il finirait, ni comment ils seraient reçus en Égypte étant étrangers,, ni les
commodités qu'ils auraient pour élever l'Enfant, et d'abord pour lui adoucir
la fatigue du chemin. La précipitation du départ leur causa de
très-grands embarras et de
très-grands soucis, mais leur douleur fut beaucoup diminuée par
l'assistance des courtisans du ciel, car les dix mille anges dont j'ai fait
mention se manifestèrent aussitôt en forme humaine et avec leur beauté et
splendeur ordinaire , de sorte qu'ils leur
changèrent cette nuit en un jour très-agréable. Et
ils ne furent pas plutôt sortis de la ville, qu'ils s'humilièrent devant le
Verbe incarné, et l'adorèrent entre les bras de sa Mère Vierge; ils la
consolèrent en lui offrant de nouveau leurs services et leur obéissance, et en
lui promettant de l'accompagner et de la conduire partout où le Seigneur
l'ordonnerait.
620. Le moindre soulagement
parait considérable à un coeur affligé; et comme celui-ci était grand, il
478
fortifia
beaucoup notre Reine et son époux Joseph; de sorte qu'étant sortis de
Jérusalem par la porte du côté de Nazareth, ils commencèrent leur voyage avec
beaucoup d'ardeur. La divine Mère eut quelque désir d'aller au lieu de la
nativité, pour vénérer cette sacrée grotte, qui avait servi de premier asile à
son très-saint Fils. Mais les saints anges
répondant à sa pensée avant qu'elle l'eût exprimée, lui dirent : « Reine et
Maîtresse de l'univers, Mère de notre Créateur, il faut que nous hâtions le
voyage et que nous poursuivions notre route sans nous arrêter; car
le peuple s'est ému à cause du détour que les mages ont pris pour ne pas
retourner à Jérusalem, et à
cause des paroles du prêtre Siméon et d'Anne; plusieurs ont déjà dit que
vous étiez la Mère du Messie; d'autres, que vous saviez où il était; et
d'autres encore ont avancé que votre Fils était un prophète. On a porté divers
jugements sur la visite a que les rois vous ont faite en Bethléem; Hérode est
informé de tout, il a ordonné qu'on vous cherche avec une grande
activité, et vous ne devez pas douter qu'on n'y emploie toutes les
diligences possibles. C'est pourquoi le Très-Haut vous a commandé de partir de
nuit, et avec tant l'empressement. »
621. La Reine du ciel obéit
à la volonté du Tout-Puissant, qui lui était
déclarée par les anges ses ministres; de sorte que, sans quitter le chemin,
elle se contenta de saluer le sacré lieu de la naissance de son Fils y se
rafraîchissant la mémoire des mystères
479
qui y
avaient été opérés, et des faveurs qu'elle y avait reçues. Le saint ange qui
gardait ce sanctuaire vint à leur rencontre sous une forme visible, et adora
le Verbe incarné entre les bras de sa divine Mère, et ce qui lui causa une
nouvelle consolation et une joie singulière, c'est qu'elle le vit et lui
parla. Notre miséricordieuse Dame eut aussi envie de passer par Hébron, parce
qu'elle se serait écartée fort peu de sa route, et que sa cousine et bonne
amie Élisabeth s'y trouvait avec son fils Baptiste. Mais le soigneux saint
Joseph, qui était plus craintif, empêcha ce détour, et dit à sa divine Épouse
: « Chère Dame, je crois qu'il nous importe beaucoup de ne pas retarder le
voyage d'un moment, mais de l'avancer autant qu'il nous sera
possible , afin de nous éloigner au plus tôt du
danger. C'est pourquoi il n'est pas convenable que nous allions à Hébron, où
l'on nous cherchera plus facilement qu'ailleurs. —Votre volonté soit faite,
répondit la très-humble Reine; mais je prierai,
s'il vous plait, un de ces esprits célestes d'aller informer ma cousine
Élisabeth du sujet de notre voyage, afin qu'elle mette son fils à l'abri de la
persécution d'Hérode, qui s'étendra sans doute jusqu'à eux.
622. La Reine du ciel
pénétrait l'intention qu'Hérode avait de faire égorger les enfants, quoiqu'il
ne l'eût pas encore annoncée. Mais ce qui excite ici mon admiration, c'est
l'humilité et l'obéissance de la très-sainte
Vierge, qui étaient en tout si rares et toujours
accompagnées d'une si grande prudence; car elle
480
n'obéit pas seulement à saint Joseph en ce qu'il lui ordonnait; mais elle ne
voulut pas même envoyer l'ange à sainte Élisabeth sans son agrément, quoique
la chose ne dépendit que d'elle, et qu'elle la pût exécuter mentalement par,
elle-même. J'avoue ma confusion et ma paresse, puisque je n'étanche point ma
soif à la très-pure source des eaux qui m'est
ouverte, et que je ne profite pas de la lumière qui jaillit de pareils
exemples, quelque doux, quelque puissants qu'ils soient pour nous engager et
nous obliger tous à renoncer à notre propre et pernicieuse volonté. Or, notre
auguste Princesse, après avoir consulté celle de son époux, chargea un des
principaux anges qui l'assistaient d'annoncer à sainte Élisabeth ce qui se
passait; et, comme supérieure aux mêmes anges, elle informa dans cette
occasion mentalement son ambassadeur de ce qu'il avait à dire à sa cousine et
au petit Baptiste.
623. Le saint ange se
rendit auprès de l'heureuse Élisabeth , et selon
l'ordre qu'il en avait reçu de sa Reine, il lui apprit tout ce qu'il était
convenable qu'elle sût. Il lui dit que la Mère de Dieu allait avec lui en
Égypte afin de se soustraire à la fureur d'Hérode, et de ne pas tomber entre
les mains de ceux qui le cherchaient pour le faire mourir, et qu'il fallait
qu'elle cachât le petit Baptiste pour mettre sa vie en sûreté ; il lui révéla
aussi d'autres mystères du Verbe incarné, ainsi que la divine Mère le lui
avait ordonné. Sainte. Élisabeth, remplie d'admiration et de joie par cette
ambassade, dit à l'ange qu'elle souhaitait d'aller
481
adorer
l'Enfant Jésus et voir sa très-sainte Mère, et
s'informa de lui si elle pourrait les joindre. Le saint ange lui répondit que
son Roi humanisé et la très-pure Mère étaient loin
d'Hébron, et qu'il n'était pas convenable de les retarder, de sorte que la
sainte fut obligée de se contenter de son désir. Et ayant donné à l'ange de
douces recommandations pour le Fils et pour la Mère ,
elle resta tout attendrie, et l'ambassadeur céleste alla rendre réponse à
notre auguste Reine. Sainte Élisabeth leur dépêcha aussitôt une personne en
toute diligence, et leur fit parvenir par cette même voie une provision de
vivres , de l'argent et de quoi faire des langes à
l'Enfant, prévoyant le besoin qu'ils en pourraient avoir dans un pays
étranger. Ce messager les trouva dans la ville de Gaza, distante de Jérusalem
d'environ vingt heures de chemin , située sur le
bord de la rivière de Besor, assez près de la
Méditerranée, et sur la route qui conduit de la Palestine en Égypte.
624. Ils se reposèrent deux
jours dans cette ville, parce que saint Joseph se sentit assez fatigué, aussi
bien que la petite monture qui portait notre grande Reine. Ils congédièrent de
là le domestique de sainte Élisabeth , après que
saint Joseph lui eut recommandé de ne découvrir à personne l'endroit où il les
avait trouvés. Mais le Seigneur prit un plus grand soin de prévenir cet
inconvénient ; car il ôta à cet homme le souvenir de ce que saint Joseph lui
avait recommandé de taire, de sorte qu'il ne se souvint que de la réponse qui
il devait rapporter à sa maîtresse Élisabeth. La charitable
482
Marie
partagea avec les pauvres les présents qu'elle en avait reçus, car celle qui
en était la Mère ne les pouvait pas oublier; et de l'étoffe que sa cousine lui
envoya elle fit un voile pour couvrir l'Enfant-Dieu,
et un manteau pour saint Joseph propre à la fatigue du chemin et à l'injure du
temps. Elle prépara aussi quelques-unes des choses qu'ils pouvaient emporter
avec leur pauvre bagage; parce que, quand notre
très-prudente Dame pouvait subvenir par ses soins aux nécessités de son
Fils et de saint Joseph, elle ne voulait point avoir recours aux miracles; et
en cela elle se conduisait selon l'ordre naturel et commun, autant que ses
forces le lui permettaient. Elle lit quelques couvres merveilleuses pendant
les deux jours qu'ils demeurèrent à Gaza, pour n'en pas partir sans y avoir
communiqué de grands biens. Elle rendit la santé à deux malades qui étaient en
danger de mort, et guérit entièrement une autre femme paralytique. Elle opéra
des effets divins, touchant la connaissance de Dieu et le changement de vie,
dans les Mmes de plusieurs qui la virent et lui parlèrent; et tous
ressentaient de grands motifs de louer le Créateur. Ils ne découvrirent
pourtant à personne leur pays, ni le dessein qu'ils avaient de passer en
Égypte,. parce que cette
indication jointe au bruit que ces oeuvres admirables causaient, aurait permis
facilement aux émissaires d'Hérode de découvrir le chemin qu'ils tenaient, et
de les atteindre.
625. Je ne trouve point de
termes assez expressifs pour déclarer ce qui m'a été manifesté des oeuvres que
483
l'Enfant
Jésus et sa Mère-Vierge faisaient le, long de la
route; je n'ai pas non plus cette dévotion ni cette énergie que des mystères
si admirables demandent. Les bras de la très-pure
Marie servaient toujours de lit au nouveau et véritable roi Salomon (1). Quand
elle sondait les secrets de cette humanité et de cette âme
très-sainte, il arrivait quelquefois que le Fils
et la Ilère entraient dans de doux entretiens, que
le divin Enfant commençait, et qu'ils formaient des cantiques de louange, par
lesquels ils glorifiaient tout d'abord l'ètre
infini de Dieu, tous ses attributs et toutes ses perfections. A cet effet, sa
divine Majesté communiquait à notre auguste Reine une nouvelle lumière, et des
visions intellectuelles, dans lesquelles elle connaissait le très- haut
mystère de l'unité de l'essence en la trinité des personnes, les opérations au
dedans de la génération du Verbe et de la procession du Saint-Esprit; comment
le Verbe est toujours engendré par l'opération de l'entendement, et le
Saint-Esprit inspiré par celle de la volonté; non qu'il y ait aucune
succession de priorité et postériorité (car tout est actuel en l'éternité),
mais parce que nous percevons le mystère d'après les données de la durée
successive du temps. Notre grande Princesse pénétrait aussi comment les trois
personnes se comprennent mutuellement par un même acte d'entendement, et.
comment elles connaissent celle du Verbe unie à
l'humanité, ainsi que les effets qui résultent en elle de son union avec la
Divinité.
(1) Cant., III, 7.
484
626. Par cette si haute
science elle descendait de la Divinité à l'humanité, et composait de nouveaux
cantiques de louange et de reconnaissance, bénissant le Seigneur d'avoir créé
cette humanité très-sainte et
très-parfaite ; tant pour l’âme que pour le corps : l’âme remplie de
sagesse, de grâce et des dons du Saint Esprit avec toute la plénitude
possible; le corps trèspur et
très-accompli au degré le plus éminent. Ensuite elle observait tous les
actes si héroïques et,si excellents de ses
puissances; et après les avoir tous imités avec la proportion possible, elle
bénissait et remerciait le Très-Haut par mille actions de grâces de l'avoir
choisie entre toutes pour être sa Mère; et pour être conçue sans péché, et
élevée à une gloire enrichie de toutes les faveurs de sa puissante droite,
dont une simple créature pût être capable. Pour exalter et glorifier ces
mystères, et tant d'autres qui s'y trouvaient renfermés, l'Enfant disait, et
la Mère répondait ce que les hommes ni même les anges ne sauraient exprimer.
Notre divine Dame, au milieu de ces saints exercices, ne manquait pas de
prendre le plus grand soin de son adorable Fils, de l'allaiter trois fois par
jour, et de le caresser avec plus d'amour, d'attention et de tendresse, que
toutes les autres mères ensemble n'ont jamais caressé les leurs.
627. Elle lui disait
quelquefois: « Mon Fils, mon très-doux amour,
permettez-moi de vous interroger et. de vous
découvrir mon désir, quoiqu'il ne vous soit pas inconnu, mais pour avoir la
consolation de vos aimables réponses. Dites-moi, chère
485
vie de
mon âme, lumière de mes yeux, si le chemin vous fatigue, si les injures du
temps vous incommodent, et ce que je puis faire pour votre service et
pour adoucir vos peines? » A quoi l’Enfant-Dieu
répondait : « Ma Mère, toutes les fatigues que j'en dure pour l'amour de mon
Père éternel et pour celui des hommes que je viens enseigner et
racheter, me paraissent très-légères et
très-douces, surtout en votre compagnie. »
L'Enfant pleurait en certaines occasions avec une sereine gravité, comme
l'homme d'un âge mûr; et l'amoureuse Mère en étant affligée tâchait d'en
pénétrer la cause, la cherchant dans son intérieur, qu'elle connaissait. Et là
elle découvrait que c'étaient des larmes d'amour et de compassion pour le
salut des hommes, et à cause de leurs ingratitudes. Alors elle gémissait avec
lui comme Une plaintive tourterelle; elle le caressait et le baisait avec: un
respect incomparable comme une mère attendrie. L'heureux Joseph était souvent
témoin de mystères si divins, et il en recevait quelque lumière qui lui
adoucissait les peines du voyage. De temps en temps il demandait à son épouse
comment elle se trouvait, et ai elle avait besoin de quelque chose -pour elle
ou pour l'Enfant; et il s'en approchait et l'adorait, lui baisant les pieds et
lui demandant sa bénédiction; et quelquefois il le prenait entre ses bras. De
sorte que par ces consolations notre grand patriarche supportait aisément
toutes les fatigues de la route; et sa divine épouse l'animait, prévoyant
toutes choses avec un coeur magnanime, sans que son recueillement intérieur
686
l’empêchât
de veiller aux besoins extérieurs, et sans que ceux-ci pussent la faire
descendre de la hauteur de ses sublimes pensées, et de ses fréquentes oraisons
jaculatoires; car elle conservait toujours et partout la même perfection.
Instruction que notre divine Maîtresse me donna.
628. Ma
très-chère fille, pour arriver à comprendre et à
imiter comme je le demande de vous ce que vous venez d'écrire, il faut que
vous preniez pour modèle l'admiration et les affections que faisait naître en
mon âme la lumière divine, au moyen de laquelle je savais que mon
très-saint Fils s'assujettissait volontairement à
la fureur barbare des hommes les plus méchants, comme il le fit à l’égard
d'Hérode dans cette occasion, où nous Mmes obligés de fuir sa colère, et comme
il le fit dans la suite à l'égard des mauvais ministres, des pontifes et des
magistrats. Le Très-Haut fait éclater sa grandeur, sa bonté et sa sagesse
infinie dans toutes ses oeuvres. Mais ce qui excitait le plus mon admiration,
c'était lorsque je voyais par une très-sublime
lumière que l'Ètre de Dieu se trouvait en la
personne du Verbe unie à l'humanité; que mon très-saint
Fils était lui-même le Dieu éternel, puissant, infini, créateur et
conservateur de toutes choses, et que la vie et litre de cet
487
inique
roi dépendaient de ses bienfaits; de voir en même temps que l'Humanité
très-sainte priait encore le Père, éternel de lui
donner de bonnes pensées, de lui accorder son secours et de nouvelles faveurs;
et que, bien qu'il lui fût si facile de le punir, il s'en abstint, et tout au
contraire obtint par ses prières qu'il ne frit point puni effectivement autant
que sa malice le méritait. Et quoique, par son impénitence, il ait fini par se
perdre et se damner, il n'en est pas moins vrai que son châtiment n'est pas
aussi rigoureux que si mon très-saint Fils n'est
pas prié pour lui. Je tâchai d'imiter cette conduite et tout ce qu'elle
renferme de sa miséricorde et de sa mansuétude incomparable; car, en agissant
de la sorte, mon divin Fils et mon Maître me montrait déjà ce qu'il devait
enseigner dans la suite par ses exemples, par ses paroles, et par une pratique
plus éclatante de l'amour des ennemis (1). Et lorsque je savais si bien qu'il
cachait son pouvoir infini, et qu'étant un Lion invincible (2), il
s'abandonnait comme le plus doux des agneaux à la fureur des loups ravissants
(3), mon coeur se brisait et les forces me manquaient (4), tant je désirais de
l'aimer et de l'imiter en son amour, en sa charité, en sa patience et en sa
douceur.
629. Je vous propose cet
exemplaire, afin que vous l'ayez toujours présent et que vous sachiez comment
et jusques où vous devez souffrir, pardonner et aimer
(1) Matth., V, 44; Luc., XXIII, 34. — (2)
Isa., V, 29. — (8) Jerem.,
XI, 19. — (4) Ps. LXXII, 26.
488
ceux qui
vous offensent, puisque ni vous ni les autres créatures n'êtes innocentes, ni
exemptes de péché, et qu'il yen a tant au contraire qui méritent par leurs
crimes réitérés les injures qu'on leur fait. Or, si les persécutions vous
peuvent procurer le grand bien de cette imitation, quel sujet aurez-vous de ne
les pas estimer et recevoir comme un très-grand
bonheur; de ne pas aimer ceux qui vous donnent les moyens de pratiquer ce qui
est le plus sublime de la perfection, et de ne point reconnaître ce bienfait
en ne regardant pas comme ennemi, mais comme bienfaiteur, Celui qui vous met
dans l'occasion d'acquérir une chose qui vous est si avantageuse? Après
l'objet ,qui vous a été proposé, vous n'aurez
aucune excuse si vous manquez en cela; car la lumière divine et ce que vous en
savez vous le rendent comme présent.
CHAPITRE XXIII. Jésus, Marie et Joseph poursuivent leur voyage, et vont de
Gaza à Héliopolis, ville d'Égypte.
630. Nos saints voyageurs,
trois jours après leur arrivée à Gaza, en partirent pour l'Égypte. Et quittant
bientôt les lieux habités de la Palestine, ils
489
entrèrent
dans les déserts sablonneux qu'on appelle de Bersabée,
et traversèrent plus de soixante lieues de pays inhabités avant que d'arriver
à la ville d'Héliopolis, qui est maintenant appelée le Caire d'Égypte. Ils
marchèrent longtemps dans cette solitude, parce que leurs journées étaient
fort petites, tant à cause. de la grande quantité
de sable qu'ils trouvaient, que par le défaut de retraite et de vivres. Et
comme ils eurent beaucoup d'aventures dans ce pénible voyage, j'en dirai
quelques-unes dont on infèrera les autres, parce qu'il n'est pas nécessaire de
les raconter toutes. Or, afin qu'on comprenne combien l'Enfant Jésus, la
sainte Vierge et Joseph y souffrirent, on doit présupposer que le Très-Haut
permit que son Fils unique humanisé., son auguste
Mère et saint Joseph ressentissent les incommodités de ce désert. Et quoique
notre divine Dame les endurât avec une grande tranquillité, elle en fut
néanmoins très-affligée, ainsi que son
très-fidèle époux de son côté; car ils souffrirent
tous deux de très-grandes peines en leurs
personnes; mais le coeur de la Mère en fut beaucoup plus pénétré, à cause de
celles de son Fils et de Joseph , quoique celui du saint le frit aussi à la
vue des incommodités que l'Enfant et la Mère essuyaient, et de l'impuissance
où il était de les en préserver par ses soins.
631. Il fallait
nécessairement qu'ils passassent les nuits eu plein
air et sans abri, en traversant ce désert, et cela en hiver, puisqu'ils
commencèrent leur voyage au mois de février, six jours après la purification,
490
comme on
le peut conclure de ce que j'ai dit au chapitre XXI de ce livre. La première
nuit qui les surprit dans cette solitude les obligea de s'arrêter su pied
d'une colline, qui fut le seul asile qu'ils trouvèrent. La Reine du ciel
s'assit à terre avec son Fils entre les bras, et après qu'ils s'y furent un
peu délassés ils soupèrent de ce qu'ils. avaient
porté de Gaza. La sainte Vierge donna de son lait à l'Enfant Jésus, et sa
Majesté consola cette Mère affligée et son époux par des manières agréables et
caressantes. Le saint dressa une petite tente avec son manteau et quelques
bâtons, afin que le Verbe incarné et sa très-sainte
Mère fussent moins exposés à l'air de la nuit, sous cet humble et étroit
pavillon. Dans cette circonstance les dix mille anges qui assistaient avec
admiration nos saints voyageurs, firent un corps de garde à leur Roi et à leur
Reine, en les environnant sous des formes humaines. Notre grande Dame vit que
son très-saint Fils offrait au Père éternel cette
affliction, ses peines, celles de sa Mère et de saint Joseph. Elle s'associa
pendant la plus grande partie de la nuit à ses prières et aux autres actes que
faisait cette âme déifiée. Puis, l'Enfant-Dieu
dormit un peu dans ses bras; mais elle veilla toujours, se livrant.
à de divins entretiens avec le Très-Haut et avec
les anges. Saint Joseph se coucha par terre, appuyant sa tête sur le petit
coffre qui renfermait les langes et leurs autres pauvres hardes.
632. Le jour suivant ils
continuèrent leur route, et dès lors la provision de pain et de fruits qu'ils
491
avaient
prise étant épuisée, la Maîtresse de l'univers et son saint époux se
trouvèrent dans une extrême nécessité et ressentirent la faim. Et quoique
celle du saint fût plus grande, ils en souffrirent néanmoins tous deux
beaucoup. Il arriva, un des premiers jours de leur voyage, qu'ils restèrent
jusqu'à neuf heures du soir sans prendre aucune nourriture; et comme il était
impossible de remédier à cette nécessité par aucun soin humain, notre divine
Dame, s'adressant au Très-Haut, lui dit : « Dieu éternel et tout-puissant, je
vous rends grâces et vous bénis pour les oeuvres magnifiques de votre bon
plaisir, et de ce que vous m'avez donné l'être et la vie sans que je
l'eusse mérité, et aussi de ce que par votre seule bonté vous m'avez conservée
et élevée, n'étant qu'une poussière et qu'une créature inutile. Je ne
vous ai pas payé, Seigneur, du retour que je vous devais pour tous ces
bienfaits; et comment oserai-je maintenant vous demander pour moi ce que
je ne saurais reconnaître? Mais regardez, mon divin Père, votre Fils unique
(1), et accordez-moi les moyens de lui entretenir la vie naturelle et de
conserver celle de mon époux, afin qu'il l'emploie au service de votre
Majesté, et que je serve votre Verbe incarné pour le salut des hommes. »
633. Le Très- Haut permit
que l'inclémence des éléments s'unit à la faim, à la lassitude et à cette
espèce d'abandonnement, afin que ces clameurs de la
(1) Jean., I, 14.
492
très-douce
Mère vinssent d'une plus grande tribulation : car il s'éleva une furieuse
tempête où ils étaient battus et aveuglés par le vent et la pluie Ce mauvais
temps affligea beaucoup la pitoyable et amoureuse Mère,
à.cause de la grande délicatesse de l'Enfant-Dieu,
qui n'avait pas encore cinquante jours. Et, quoiqu'elle le garantît de son
mieux, cela n'empêcha pas qu'il en ressentit la rigueur; ce qu'il fit
connaître par ses larmes et par ses tremblements, comme l'auraient fait
d'autres enfants dans une semblable occasion. La soigneuse Mère, usant alors
de son pouvoir de Reine des créatures, commanda avec empire aux éléments de ne
point offenser leur Créateur, mais d'user envers lui de leur
douceur., et de ne garder que pour elle ce qu'ils
avaient de plus rude. Il arriva dans cette rencontre la même chose que j'ai
dite aux chapitres précédents, en parlant de la naissance et du voyage de
Bethléem à Jérusalem; car aussitôt les venta s'apaisèrent et la tempête cessa.
Et l’Enfant Jésus, voulant récompenser ce soin amoureux, ordonna à ses anges
d'assister sa Mère bien-aimée et de la mettre à l'abri. Ils obéirent à
l'instant, et, formant un globe lumineux et impénétrable aux injures du temps,
ils y enfermèrent leur Dieu. humanisé, l'auguste
Vierge et son époux; de sorte qu'ils y furent plus richement et plus
commodément logés qu'ils ne l'eussent été dans les plus superbes palais des
puissants de la terre. Ils reçurent le même secours dans quelques autres
occasions en traversant ce déserta.
634. Mais les vivres leur
manquaient, et ils étaient
493
réduits
à une disette contre laquelle ne pouvait rien l'industrie humaine. Et, après
que le Seigneur les eût laissés arriver à cette extrémité, il exauça les
justes demandes de son Épouse, et les secourut par le
mininistère des anges, qui leur offrirent incontinent du pain et des
fruits délicieux, et leur apportèrent en outre une liqueur d'un goût exquis.
Et, lorsqu'ils les eurent servis, ils récitèrent tous ensemble des cantiques
de louanges au Seigneur, qui donne la nourriture à toute chair au moment
convenable (1), afin que ceux qui espèrent en sa divine Providence et en ses
magnifiques largesses soient rassasiés (2). Ce fut là le régal que le Seigneur
fit à ses trois voyageurs exilés dans le désert de
Bersabée, qui est l'endroit où Élie, fuyant Jézabel, fut fortifié par
le pain cuit sous la cendre, que l'ange du Seigneur lui donna, afin qu'il pût
aller jusqu'à la montagne Horeb (3). Mais ni ce pain ni celui que les corbeaux
lui avaient apporté auparavant, ni la chair qu'il en reçut miraculeusement,
afin qu'il en mangeât, le matin et le soir sur le bord du torrent de
Carith (4); ni la manne que le ciel envoya aux
Israélites, quoiqu'elle fût appelée le pain des anges, le pain venu du ciel;
ni les cailles que le vent du midi poussa à leur portée (5); ni la nuée qui
les mettait à couvert des ardeurs du soleil (6), rien de tout cela ne peut
être comparé avec ce que le Seigneur
(1) Ps. CXXXV, 25; Ps. CXLIV, 15. — (2) Ps. XXI, 27. — (3) III Reg., XIX, 3, 6
et 8. — (4) III Reg., XVII, 6. — (5) Exod., XVI,
13, etc. — (6) Ps. LXXVII, 14,15 et 26; Num., X,
34.
494
fit dans
ce voyage en faveur de son Fils humanisé, de l'auguste Marie et de saint
Joseph. Ces nouveaux prodiges ne se faisaient point pour nourrir un prophète
et un peuple ingrat, mais pour entretenir un Dieu fait homme et sa véritable
Mère, et pour conserver une vie naturelle de laquelle dépendait la vie
éternelle de tout le genre humain. Et si cette divine nourriture répondait à
l'excellence des conviés, la reconnaissance était aussi tout à fait en rapport
avec la grandeur d'un tel bienfait. Et, afin que le tout vint dans le temps le
plus convenable, le Seigneur permettait toujours
que la nécessité fût extrême, et que cette extrémité même exigeât le secours
du Ciel.
635. Que les pauvres se
réjouissent par cet exemple; que les affamés ne se désolent plus dans leur
détresse; que ceux qui souffrent persécution espèrent le secours, et que
personne ne se plaigne de la divine Providence, en quelque affliction et en
quelque nécessité qu'il se trouve. Quand est-ce que le Seigneur a manqué à
ceux qui ont mis leur confiance en lui? Quand est-ce qu'il en a détourné ses
regards paternels (1)? Nous sommes frères de son Fils humanisé, héritiers de
ses biens, ses enfants (2) et les enfants de sa
très-miséricordieuse Mère. Or, enfants de Dieu et de l'auguste Marie,
comment vous méfiez-vous d'un tel Père et d'une telle Mère dans vos besoins?
Pourquoi leur refusez-vous cette gloire? Comment renoncez-vous au droit que
(1) Ps. XVII, 21, etc. — (2) Rom., VIII, 17, 29.
495
vous
avez de leur demander du secours? Venez, venez avec humilité et confiance, les
yeux de vos parents sont attentifs à vous regarder (1), leurs oreilles
écoutent les gémissements que vous poussez dans vos nécessités, et les mains
de cette Reine sont ouvertes pour soulager le pauvre (2). Et vous, riches de
ce monde, pourquoi mettez-vous votre espérance dans vos seules et incertaines
richesses, au risque de perdre la foi, et vous engageant par là dans beaucoup
d'afflictions, comme l'Apôtre vous le prédit (3)? Aveuglés par la cupidité,
vous ne faites pas profession d'être les enfants de Dieu et de sa Mère; au
contraire, vous renoncez à cette qualité par vos oeuvres, et vous vous
déclarez étrangers : car le fils légitime sait seul s'abandonner aux soins et
à l'amour de son véritable père et de sa véritable mère, qui se plaindraient
avec raison s'il mettait sou espérance en d'autres qui ne leur seraient pas
seulement indifférents, mais qui seraient même leurs propres ennemis. La
divine lumière m'enseigne cette vérité, et la.charité
m'oblige de l'écrire.
636. Le Très-Haut ne
prenait pas seulement soin de nourrir nos pèlerins, mais il les récréait aussi
d'une manière sensible pour les distraire de la fatigue du chemin et de
l'ennui de cette vaste solitude. Il arrivait quelquefois que la divine Mère
s'arrêtant avec son Enfant-Dieu pour prendre un
peu de relâche, des multitudes d'oiseaux accouraient
des montagnes,
(1) Ps. X, 5. — (2) Prov., XXXI, 20. — (3) I Tim.,
VI, 17, 9 et 10.
496
comme je
l'ai raconté ailleurs, et ils la réjouissaient par la douceur de leur chant et
par la variété de leur plumage, se mettant sur ses épaules et sur ses mains,
et s'ébattant autour d'elle. La très prudente Reine les recevait, et, leur
ordonnait de louer leur Créateur en reconnaissance de ce qu'il les avait créés
si beaux et si bien ornés de plumes pour jouir de l'air et de la terre; qui
leur fournissait chaque jour la nourriture nécessaire. Les oiseaux obéissaient
à leur Maîtresse mais l'amoureuse. Mère récréait l'Enfant Jésus par d'autres
cantiques plus doux, le bénissant et le reconnaissant pour son Dieu, pour son
Fils et pour l'auteur de toutes ces merveilles. Les saints anges s'unissaient
tour à tour à notre grande Reine. et aux petits
oiseaux, faisant tous ensemble un choeur d'une harmonie plus spirituelle que
sensible et d'une douceur admirable.
637. Quelquefois l'auguste
Princesse disait à l'Enfant : « Mon amour, lumière de :mon
âme, comment vous soulagerai-je de vos peines? Comment empêcherai-je que
vous ne soyez fatigué? Que pourrai-je faire pour vous adoucir un chemin
si rude? Oh ! si je pouvais vous porter dans
mon coeur, et vous y faire une couche où vous fussiez à l'abri ! » A
quoi le très-doux Jésus répondait : « Ma chère
Mère, je suis fort à mon aise entre vos bras, reposant sur votre
sein; je trouve mes délices en vos soigneuses affections et en vos
douces paroles » D'autres fois le Fils et la Mère s'entretenaient
intérieurement et ces entretiens étaient si sublimes et si divins, qu'il n'est
pas, possible de les traduire. Le saint époux
497
Joseph
participait à plusieurs de ces mystères et à ces
consolations , qui lui faisaient oublier la fatigue de la route et
ressentir le fruit d'une si douce compagnie, quoiqu'il ne s'aperçût point que
l'Enfant parlât à la Mère d'une manière sensible, car cette faveur lui était
alors réservée, comme je l'ai déjà dit. Nos saints persécutés poursuivirent
ainsi leur voyage d'Égypte.
Instruction que je reçus de la
très-sainte Vierge.
638. Ma fille, comme ceux
qui connaissent le Seigneur mettent leur confiance en lui (1), de même ceux
qui n'espèrent pas en sa bonté et en son amour immense, n'ont point une
parfaite connaissance de sa .
divine Majesté. Et si l'on manque de foi et d'espérance, on manque
aussi d'amour, parce que le coeur s'attache à l'objet dans lequel il, a placé
sa confiance et qu'il estime le plus (2). Tout le mal des mortels vient de
cette erreur, parce qu'ils ont un si bas sentiment de la bonté infinie de
Dieu, qui leur a donné l'être et qui le leur conserve, qu'ils n'oseraient
établir toute leur confiance en lui; manquant à cette même confiance, ils
manquent à l'amour qu'ils lui doivent, et le prostituent aux créatures; ils se
confient en elles
(1) Ps. IX, 10. — (2) Matth., VI, 21.
498
et
estiment ce qu'ils souhaitent, c'est-à-dire le pouvoir, les richesses et la
vanité (1). Et quoique les fidèles puissent détourner ce mal par la foi et par
l'espérance infuse, ils ne profitent point de leurs ressources et condamnent
trop souvent ces vertus à l'inaction, et c'est pour cela qu'ils se ravalent
jusqu'aux choses basses. Ceux qui possèdent les richesses espèrent en elles,
et ceux qui ne les ont pas les souhaitent (2). Les uns tâchent de les acquérir
par les moyens les plus injustes; les autres se confient en la puissance des
grands, ils les flattent et es applaudissent (3) : de sorte que le Seigneur en
trouve très-peu qui méritent les favorables effets
de sa providence, qui espèrent en elle, et qui le reconnaissent pour le bon
Père, qui prend soin de ses enfants, qui les nourrit, et les conserve sans en
laisser aucun dans la nécessité.
639. C'est cet aveuglement
qui donne au monde un si grand nombre de partisans, qui l'à infecté d'avarice
et de concupiscence, contrairement à la volonté du Créateur, et qui a trompé
les hommes sur cela même qu'ils désiraient ou qu'ils devaient désirer; car
tous avouent communément qu'ils ne désirent les richesses et les biens
temporels que pour satisfaire à leurs besoins; et ils ne le disent que parce
qu'ils ne devraient pas demander autre chose. Mais en fait, la plupart
mentent, car ils souhaitent le superflu, et non point le nécessaire, afin de
le faire servir aux pompes
(1) Ps., LI, 7 ; Eccl., V, 9. — (2) Prov., XXVIII,
8. — (3) Ps., CXLV, 3.
499
du monde
plutôt qu'aux besoins de la nature. Que si les hommes ne désiraient que ce qui
leur est véritablement nécessaire, il y aurait folie de leur part à mettre
leur confiance en de faibles créatures, et non pas en Dieu, qui étend son
ineffable providence jusque surles petits des
corbeaux (1), comme si leurs croassements étaient autant de voix qui
invoquassent le secours de leur Créateur. Avec cette conviction, je ne pouvais
rien craindre dans mon long pèlerinage. Et comme je n'espérais que dans le
Seigneur, sa divine providence venait au secours de ma détresse. Pour vous, ma
fille, qui connaissez cette grande providence, ne vous affligez point avec
excès dans vos nécessités; employez seulement, sans manquer à vos obligations,
les moyens, possibles pour y remédier, et ne comptez ni sur les industries
humaines ni sur les créatures; et après que vous aurez fait ce qui dépend de
vous, croyez que le seul moyen efficace est d'attendre avec patience et sans
trouble le secours du Seigneur, car quoiqu'il vous le retarde quelquefois, il
vous l'enverra toujours au moment le plus propice (2), et de façon à
manifester davantage son amour paternel, comme il nous arriva dans nos
extrêmes besoins.
640. Ceux qui ne souffrent
pas avec patience, et qui ne veulent point endurer la nécessité; ceux qui vont
à des citernes entr'ouvertes (3) , se confiant dans
le mensonge et en la puissance des grands; ceux qui ne se contentent pas du
nécessaire, et qui souhaitent
(1) Ps. CXLVI, 9. — (2) Ps. CXLIV, 16. — (3) Jerem., II, 13.
500
ardemment
ce dont ils n'ont pas besoin pour l'entretien de la vie; ceux qui gardent avec
un attachement sordide ce qu'ils ont, et qui, dans la prévision d'une
nécessité future, refusent aux pauvres l'aumône qui leur est due; tous
ceux-là, dis-je, ont sujet de craindre qu'il ne leur manque ce qu'ils ne
devraient point attendre de la Providence divine, si elle était aussi avare à
donner, qu'ils le sont à espérer et à secourir les nécessiteux pour son amour.
Mais le Père suprême qui est aux cieux fait lever son soleil sur les bons et
sur les méchants, et envoie la pluie aux justes et aux injustes (1), les
assistant tous en leur donnant la vie et la nourriture. Et comme les bienfaits
du Seigneur sont communs aux bons et aux méchants, et qu'ils donnent aux uns
de très-grands biens qu'il refuse aux autres,,
on ne doit pas juger par là de son amour; car il veut le plus souvent que les
prédestinés soient pauvres (2), afin qu'ils augmentent leurs mérites et leurs
récompenses, ou afin qu'ils ne se laissent pas séduire par l'amour des biens
temporels. Et en effet, il y a fort peu de gens qui en sachent faire un bon
usage et les posséder sans une cupidité désordonnée. Et quoique nous ne
fussions point, mon très-saint Fils et moi,
exposés à ce danger, sa Majesté néanmoins voulut par cet exemple enseigner aux
hommes cette divine science, par laquelle ils peuvent acquérir la vie
éternelle.
(1) Matth., V, 45. — (3) Jacob., II, 5.
501
CHAPITRE XXIV. Les voyageurs Jésus, Marie et Joseph, après quelques détours
dans le désert, arrivent à la ville d’Héliopolis. — Grandes merveilles qui y
furent opérées.
641. J'ai dit dans un des
chapitres précédents que la fuite du Verbe incarné eut d'autres mystères et
d'autres fins plus relevées que de s'éloigner d'Hérode pour éviter les effets
de sa colère; car ce fut plutôt un moyen que le Seigneur prit pour s'en aller
en Égypte, et y op¢rer
les merveilles qu'il y fit, et dont les anciens prophètes avaient parlé (1),
notamment Isaïe, lorsqu'il dit (2) : que le Seigneur monterait sur un nuage
léger, qu'il entrerait dans l'Égypte, que les idoles d'Égypte seraient
ébranlées devant sa face, et que le coeur des Égyptiens se troublerait au
milieu d'elles; et plusieurs autres choses que cette prophétie renferme, et
qui arrivèrent au temps de la naissance de notre Seigneur Jésus-Christ. Mais
laissant ce qui n'entre pas dans mon dessein, je dis que Jésus, Marie et
Joseph, poursuivant leur voyage en la manière que j'ai
racontée , parvinrent après plusieurs
(1) Ezech., XXX, 13 ; Os., XI, 1. — (2) Isa., XIX, 1.
502
journées
de marche aux endroits habités de l'Égypte. Et pour se rendre à
Héliopolis , où ils devaient demeurer, les anges
les conduisirent, le Seigneur l'ordonnant de la sorte, par quelques détours,
afin qu'ils passassent auparavant dans plusieurs autres lieux où sa Majesté
voulait opérer des merveilles et des bienfaits, dont il devait enrichir
l'Égypte. C'est ainsi qu'ils employèrent plus de cinquante jours dans leur
voyage , et qu'ils firent, depuis leur départ de
Jérusalem, plus de deux cents lieues, quoiqu'ils eussent pu arriver en moins
de temps à Héliopolis , s'ils eussent suivi la route la plus directe.
642. Les Égyptiens
étaient fort enclins à l'idolâtrie et aux
superstitions qui l'accompagnent ordinairement; de sorte que les plus petits
endroits de cette province étaient remplis d'idoles. Il y en avait beaucoup
qui avaient leurs temples, dans lesquels plusieurs démons se trouvaient, et
les malheureux habitants y allaient pour les adorer par des sacrifices, et des
cérémonies prescrites par les mêmes démons, qui répondaient à leurs demandes
par des oracles auxquels ce peuple stupide et superstitieux se soumettait
aveuglément. Il était si adonné à l'adoration du démon et si aveuglé par
toutes ses tromperies , qu'il ne fallait pas moins
que le puissant bras du Seigneur (1) (qui est le Verbe incarné) pour le
ramener de son égarement et le retirer de l'oppression dans laquelle Lucifer
(1) Luc., I, 51 ; Isa., LI, 9.
503
le
tenait, oppression beaucoup plus cruelle que celle que les Égyptiens eux-mêmes
avaient fait peser sur le peuple de Dieu (1). Pour remporter cette victoire
sur le démon, et illuminer ceux qui demeuraient dans la région et dans l'ombre
de la mort (2), et afin que ce peuple vit cette grande lumière dont Ysaïe fait
mention (3), le Très-Haut détermina que le Soleil de justice (4),
Jésus-Christ, paraîtrait peu de temps après sa naissance en Égypte entre les
bras de sa bienheureuse Mère, et qu'il parcourrait ce pays pour l'éclairer des
rayons de sa divine lumière.
643. Or l'Enfant Jésus
arriva avec sa Mère et saint Joseph aux endroits habités de l'Égypte. Et
lorsque le divin Enfant, porté sur les bras de l'auguste Marie, entrait dans
une bourgade, il levait les yeux au ciel, et, les mains jointes, priait le
Père éternel, et lui demandait le salut de ses habitants esclaves du démon. Et
usant aussitôt de sa puissance divine sur ces malins esprits qui animaient les
idoles, il les précipitait dans les ténébreux
abîmes; de sorte qu'ils tombaient avec la rapidité de la foudre dans les
dernières profondeurs des cavernes infernales. Au même instant, les idoles,
les temples, les autels de l'idolâtrie s'écroulaient avec fracas. La cause de
ces prodigieux effets était connue à notre divine Dame, qui accompagnait par
ses prières celles de son très-saint Fils, comme
coopératrice universelle du salut du genre humain. Saint Joseph
(1) Exod., I, 11, etc. — (2) Luc., I, 79. — (3) Isa., IX, 2. — (4) Malach., IV, 2.
504
couvrait
aussi que toutes ces merveilles venaient du Verbe incarné, et rempli d'une
sainte admiration, il l'en louait et l'en bénissait. Mais quoique les démons
sentissent la force du pouvoir de Dieu, ils ne savaient pourtant pas d'où
sortait une telle vertu.
644. Les Égyptiens
s'étonnaient d'une nouveauté si surprenante, quoiqu'il circulât parmi les plus
savant d'entre eux une tradition, transmise par les anciens depuis l'époque où
Jérémie avait été en Égypte, et portant qu'un roi des Juifs viendrait dans le
pays, et que les temples des idoles égyptiennes, seraient détruits (1). Mais
et le peuple et les savants ignoraient comment la chose devait arriver; ainsi
la crainte leur fut commune; car ils se troublèrent tons, selon la prophétie
d'Isaïe (2). Dans ce trouble ils s'interrogeaient les uns les autres, et il y
en eut qui, poussés par un certain esprit de curiosité de voir des étrangers,
allèrent trouver notre grande Reine et saint Joseph, et s'entretinrent avec
eux de la ruine de leurs temples, et de la chute des dieux qu'ils adoraient.
La Mers de la Sagesse, prenant de là occasion de les instruire, commença à les
détromper en leur faisant connaître, le véritable Dieu, et en leur faisant
voir qu'il était le seul Créateur du ciel et de la terre (3), et que lui seul
devait être adoré et reconnu pour Dieu (4) ; que les autres étaient faux,
qu'ils ne se
(1) Refert sanctus Dorotheus,
in Vit. Prophetarum, in
Jerem. — (2) Isa. IX,
1. — (3) Eccles., I, 8 . — (4) Isa., XXXVII, 16 ;
Deut., VI, 13
505
distinguaient point du bois, de la terre, ou des métaux dont ils étaient
formés; qu'ils n'avaient ni yeux, ni oreilles, ni aucun pouvoir; que les mêmes
artisans qui les avaient faits, ou tout autre homme que ce fût, pouvaient les
détruire (1), parce qu'ils étaient eux-mêmes et plus nobles et plus puissants
que ces ouvrages de leurs mains ; que les réponses qu'ils en obtenaient
venaient des démons, qui habitaient dans, ces idoles pour les tromper, et que
toutes ces fausses divinités ne sauraient avoir une vertu véritable, parce que
Dieu seul était vérité.
645. Les paroles de notre
divine Dame étaient si douces, si éloquentes et si efficaces, ses manières si
aimables, et les effets de ses entretiens si salutaires, que le bruit de
l'arrivée de nos saints voyageurs se répandait, et faisait qu'on s'empressait
de les venir voir. Et comme la prière du Verbe incarné opérait en faveur des
Égyptiens, et qu'elle leur obtenait de très-grandes
grâces, cela joint à la ruine des idoles, leur causait une émotion incroyable,
et changeait les coeurs, au. point qu'on voyait
beaucoup de gens se convertir à la connaissance du vrai Dieu , et faire
pénitence de leurs péchés , sans savoir d'où leur venait un changement si
avantageux. Jésus et Marie passèrent par plusieurs bourgs de l’Égypte, et ils
faisaient partout des merveilles, chassant les démons,
non-seulement des idoles, mais aussi de plusieurs corps, guérissant un
grand nombre de malades, éclairant les coeurs de diverses
(1) Baruch., VI, 47, etc.; Ps. CXIII, 4.
506
personnes,
et notre auguste Princesse et saint Joseph enseignaient le chemin de la vérité
et de la vie éternelle. Par ces bienfaits temporels, qui touchent
ordinairement le peuple ignorant et grossier, plusieurs étaient attirés à
aller ouïr les instructions de salut.
646. Ils arrivèrent à la
ville d'Hermopolis, située vers la Thébaïde, et appelée par plusieurs
ville de Mercure. On y adorait beaucoup d'idoles,
où se trouvaient des démons fort puissants, et en particulier un qui résidait
dans un arbre à l'entrée de la ville : car les habitants l'ayant révéré à
cause de sa grandeur et de sa beauté, le démon prit de là occasion de
s'approprier ce culte et d'y établir son siège. Et lorsque le Verbe humanisé y
parut, non-seulement le démon l'abandonna et fut
précipité au fond de l'abîme, mais l'arbre se baissa jusqu'à terre, comme pour
reconnaître le bonheur de son sort les créatures insensibles nous apprenant
combien l'empire de cet ennemi est tyrannique. Ce miraculeux respect des
arbres se manifesta diverses fois sur les chemins par où leur Créateur
passait; et quoiqu'on n'ait pas fait mention de tous ces prodiges, on a
pourtant conservé longtemps la mémoire de celui-ci, parce qu'à la suite de ce
miracle les feuilles et les fruits de ce même arbre guérissaient plusieurs
maladies. Quelques auteurs ont fait mention de cette merveille (1), comme
aussi de plusieurs autres dont
(1) Nicephor., lib. X, c. 31; Sozomen. lib., V, c. 90; Brocard., in Descrip. Terrae Sanctae. part. II, c. 4.
507
furent
témoins les villes par où le Verbe incarné et sa
très-sainte Majesté passaient pour se rendre au lieu de leur séjour :
comme d'une fontaine; qui est proche du Caire, où notre grande Reine alla
puiser de l'eau, qu'elle et le divin Enfant burent et dont elle se servit pour
laver ses langes; car tout cela est réellement arrivé, la tradition et la
vénération de ces merveilles ayant duré jusqu'à présent, non -seulement parmi
les fidèles qui visitent les saints lieux, mais même parmi les infidèles, qui
reçoivent quelquefois en y allant des faveurs temporelles de la main du
Sauveur, soit pour mieux justifier sa cause envers eux, soit afin qu'on en
conserve la mémoire. On sait qu'il y a encore d'autres endroits où les divins
voyageurs se sont arrêtés et où ils ont opéré de grands miracles; mais il
n'est pas nécessaire de les raconter ici, parce que le séjour le plus long
qu'ils firent en Égypte fut à Héliopolis, qui n'a pas été appelée ville du
Soleil sana mystère, et qu'on nomme aujourd'hui le grand Caire.
647. En écrivant ces
merveilles, je demandai avec admiration à notre auguste Princesse comment elle
avait pu passer avec l'Enfant-Dieu par tant
d'endroits inconnus, parce qu'il me semblait que tous ces détours avaient dû
augmenter ses peines et ses fatigues. Sur quoi elle me répondit : « Vous ne
devez pas être surprise de ce que mon très-saint
Fils et moi traversâmes tant de pays étrangers pour gagner un si grand nombre
d'âmes, puisque pour une seule nous eussions parcouru toute la terre s'il n'y
eût
508
pas eu
d'autre remède. » Mais si ce que ces saints voyageurs ont fait pour le salut
du genre humain nous paraît beaucoup, c'est parce que nous ignorons la force
de l'amour immense qu'ils nous ont porté, et que nous ne savons pas non plus
assez aimer pour reconnaître un tel bienfait.
648. Lucifer fut fort
troublé, devoir précipiter tant de démons dans l'enfer par une nouvelle vertu
à leur égard; et, enflammé de fureur, il vint sur la terre pour y découvrir la
cause de cette nouveauté. Il passa par tous les endroits, de l'Égypte ou les
temples, les autels et les idoles avaient été renversés; et étant arrivé à
Héliopolis, qui, était une plus grande ville, et où par: conséquent la ruine
de son empire avait été plus notable, il tâcha d'examiner avec beaucoup
d'attention toutes les personnes qui l'habitaient. Et il n'y remarqua rien
dont il pût se préoccuper, sinon que la très-pure
Marie y était arrivée : car il ne fit aucun cas de l'Enfant
Jésus , le regardant comme les autres enfants sans
nulle. différence, parce qu'il ne le connaissait
point. Mais comme il avait été si souvent vaincu par les vertus et par la
sainteté de la prudente Mère et Vierge, il conçut de nouvelles craintes ;
quoiqu'il ne la crût . pas
assez puissante pour lui avoir causé un si grand dommage, il résolut cependant
de la persécuter de nouveau; et de se servir pour ce dessein de ses ministres
d'iniquité.
649. Il retourna aussitôt
dans l'enfer, et y ayant convoqué un conciliabule de princes des ténèbres, il
leur apprit la ruine des idoles et des temples d'Égypte ;
509
car
quand les démons en sortirent, ils furent précipités par le pouvoir divin
d'une manière si subite, si ignominieuse et si pénible, qu'ils ne s'aperçurent
pas de ce qui arrivait aux idoles et aux autres lieux qu'ils abandonnaient.
Mais Lucifer les ayant informés de tout ce qui se passait, et que son empire
allait être détruit dans toute l'Égypte, il leur dit qu'il ne comprenait point
la causé de sa ruine, parce qu'il n'avait trouvé dans tout ce pays que la
femme son ennemie (c'est ainsi que le dragon appelait l'auguste Marie), et
qu'il ne croyait point que sa vertu, quoiqu'il la connût extraordinaire fût
assez forte pour produire des effets tels qu'ils venaient d'éprouver dans
cette occasion; qu'il déterminait néanmoins de lui faire une nouvelle guerre,
et qu'ils devaient tous s'y préparer. Les ministres de Lucifer répondirent
qu'ils étaient prêts à lui obéir; et voulant le consoler dans son furieux
désespoir, ils lui promirent la victoire, comme si leurs forces eussent pu
s'égaler à leur présomption (1).
650. Plusieurs légions
sortirent ensemble de l'enfer, et allèrent en Égypte, où la Reine du ciel se
trouvait, se persuadant que s'ils la vainquaient ils répareraient leurs pertes
par ce seul triomphe, et recouvreraient tout ce que le pouvoir de Dieu leur
avait ôté dans ce misérable royaume, parce qu'ils soupçonnaient qu'elle était
l'instrument dont Dieu se servait pour opérer ces merveilles. Or, comme ils
voulurent
(I) Isa., XVI, 6.
510
s'en
approcher pour la tenter selon leurs intentions diaboliques, ils furent bien
surpris de se voir dans l'impossibilité de le faire, et forcés de s'arrêter à
une distance de plus de deus mille pas, parce qu'une vertu divine les
empêchait secrètement de s'avancer, et leur faisait en même temps sentir
qu'elle venait de l'endroit où notre auguste Princesse se trouvait. Et quoique
Lucifer et les autres ennemis s'obstinassent à poursuivre leur dessein, ils
étaient toujours plus affaiblis et comme arrêtés par de
très-fortes chaînes, dans lesquelles ils se démenaient sans pouvoir
aller où était cette invincible Dame, 'qui voyait tout cela par la puissance
du même Dieu qu'elle portait dans ses bras. Mais Lucifer, s'obstinant dans
cette lutte inégale, fut soudainement précipité cette fois encore, avec tous
ses ministres d'iniquité, dans les profondeurs de l'abîme. Cette nouvelle
défaite, si humiliante, tourmenta et inquiéta vivement le dragon. Et comme
cela lui était arrivé plusieurs fois depuis l'incarnation, ainsi que nous
l'avons dit, il se demanda si le Messie n'était pas venu au monde. Mais comme
le mystère lui était caché, et qu'il supposait que le Messie apparaîtrait avec
éclat, il restait dans sa perplexité; et cette incertitude le remplissait de
fureur: de sorte que plus il s'acharnait à découvrir la cause de sa douleur,
plus elle lui échappait, et moins il la trouvait.
Instruction que
je reçus de l'auguste Reine du ciel.
651. Ma fille, les âmes
fidèles et amies de mon très-saint Fils reçoivent
une grande consolation et un bien au-dessus de tout autre bien, lorsqu'elles
considèrent avec une vive foi qu'elles servent un Seigneur qui est le Dieu des
dieux et le. Seigneur des seigneurs, Celui qui règne seul avec un empire
absolu sur tout ce qui est créé, et qui triomphe de ses ennemis (1).
L'entendement se plait en cette vérité, la mémoire s'y récrée, la volonté y
puise mille délices, et toutes les facultés de l'âme dévote s'abandonnent sans
crainte à la douceur qu'elles ressentent dans de si nobles opérations, et ne
cessent de contempler cet objet de bonté, de sainteté et d'un pouvoir infini,
qui n'a besoin de personne (2), et de la volonté duquel, tout l'univers dépend
(3). Oh ! de combien de trésors se privent les créatures lorsque, oubliant
leur propre félicité, elles emploient tout le temps de la vie et toutes leurs
puissances à rechercher les choses visibles, passagères, apparentes et
trompeuses! Je voudrais, ma fille, que vous vous retirassiez de ce danger par
le secours de la lumière que vous avez, et que votre entendement et votre
mémoire fussent toujours occupés de la vérité de l'Être de Dieu. Abîmez-vous
dans cette mer immense, en redisant sans cesse ;
(1) I Tim., VI, 15 et 16. — (2) Mach., XIV, 35. — (2) Apoc., IV, 11.
512
Qui
est semblable au Seigneur notre Dieu, qui habile les lieux les plus élevés, et
qui regarde les humbles dans le ciel et sur la terre
(1)? Qui est semblable à
Celui qui est tout puissant et qui ne dépend de personne, qui humilie les
superbes, et qui abat ceux que le monde aveugle appelle puissants (1); qui
triomphe du démon, et qui le précipite jusque dans
le plus profond des enfers?
652. Et afin que vous
puissiez mieux faire entrer ces vérités dans votre coeur, et vous assurer par
leur moyen un plus grand avantage sur les ennemis du Très-Haut, qui sont aussi
les vôtres, je veux que vous m'imitiez, autant qu'il vous sera possible, en
vous glorifiant dans les victoires de son puissant bras, et en tâchant de
prendre quelque part à celles qu'il veut toujours remporter sur ce cruel
dragon. Les hommes ni même les anges ne sauraient exprimer ce *que mon âme
ressentait lorsque je voyais que mon très-saint
Fils opérait entre mes bras tant de merveilles contre ses ennemis et en faveur
de ces âmes aveuglées et tyrannisées par leurs erreurs, et que le nom du
Très-Haut était ainsi publié et de plus en plus exalté par son Verbe fait'
chair. Dans cette joie mon âme magnifiait le Seigneur, et je faisais avec mon
adorable Fils de nouveaux cantiques de louange, en tant que sa Mère et en tant
qu'Épouse du Saint-Esprit. Vous êtes fille de la sainte Église, épouse de mon
très-béni Fils, et enrichie de sa grâce; il est
juste que vous
(1) Ps. CXII, 5.
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travailliez
avec ardeur, avec zèle, à lui procurer cette gloire en combattant vaillamment
contre ses ennemis, afin que votre Époux obtienne de nouveaux triomphes.
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