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DEUXIÈME PARTIE. — LIVRE CINQUIÈME
Instruction que la Reine du ciel nie donna.
Instruction que notre auguste Maîtresse me donna.
Instruction que la divine Mère me donna.
Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.
Instruction que la très-sainte Vierge me donna.
Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.
Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.
Instruction que la très-sainte Vierge m'a donnée.
Instruction de la Reine du ciel
Instruction que l'auguste Reine du ciel m'a donnée.
Instruction de notre auguste Princesse.
Ici
commence le tome IV de l'édition de Paris 1857 (Poussièlgue-Rusand)
DEUXIÈME PARTIE. — LIVRE CINQUIÈME
CHAPITRE V. Trois jours après, la
très-pure Marie et Joseph trouvèrent l'Enfant Jésus dans le Temple proposant des
questions aux docteurs.
758. Dans le chapitre
précédent, j'ai répondu en partie au doute qu'on pouvait avoir sur ce que,
notre divine Reine accompagnant et servant son très-saint
Fils avec une vigilance si attentive, elle le perdit néanmoins de vue, et le
laissa s'écarter dans Jérusalem. Et quoiqu'il suffise de dire que le Seigneur
lui-même en voulut disposer de la sorte, j'ajouterai pourtant ici quelque
chose de plus, pour expliquer comment cette séparation se fit, sans qu'il y
eût aucune négligence volontaire de la part de l'amoureuse Mère. Il est
certain qu'outre que l'Enfant-Dieu profita, pour
disparaître, de la multitude du peuple qui assistait à la fête, il se servit
aussi d'un autre moyen surnaturel, qui était presque nécessaire pour divertir
l'attention de sa prudente Mère et fidèle compagne,
2
sans
cela elle aurait infailliblement remarqué que le Soleil qui la conduisait dans
toutes ses voies s'en éloignait. Or il arriva que, pendant que les hommes se
séparaient des femmes, comme je l'ai dit, le puissant Seigneur répandit en sa
très-pure Mère une vision intellectuelle de la
Divinité, de sorte qu'il lui ravit toutes les puissances intérieures par la
force de ce sublime objet, et l'éleva si fort au-dessus de ses sens, qu'elle
n'en put user que pour poursuivre un assez long temps son chemin, et pour ce
qui regarde le reste, elle se trouva par la vue du Seigneur tout abîmée dans
la douceur de la divine consolation (1). Saint Joseph eut pour se
tranquilliser les raisons que j'ai dites; et d'ailleurs, il fat aussi élevé à
une haute contemplation qui lui rendit la pensée, et plus facile et plus
mystérieuse, que l'Enfant allait avec sa Mère. Ce fut par ce moyen que cet
adorable Enfant s'écarta de ses parents, et demeura à Jérusalem. Et lorsque
notre Reine, ayant déjà beaucoup avancé son chemin, se trouva seule et sans
son très-saint Fils, elle crut qu'il était avec
son père putatif (2).
759. Cette séparation eut
lieu fort près des portes de la ville, d'où l'Enfant-Dieu
s'en retourna à travers les rues; et considérant alors par sa science divine
tout ce qui lui devait arriver dans cette même ville, il l'offrit à son Père
éternel pour le salut des âmes. Il demanda l'aumône pendant ces trois jours,
pour anoblir dès lors l'humble mendicité, cette fille aînée de
(1) cant., V, 1. — (2) Luc., II, 44.
3
la
sainte pauvreté. Il visita les hôpitaux, il y consola tous les pauvres, et
partagea avec eux les aumônes qu'il avait reçues; il rendit secrètement la
santé du corps à plusieurs malades, et ü beaucoup de personnes celle de lame,
les éclairant intérieurement, et les mettant dans le chemin de la vie
éternelle. biais il opéra ces merveilles avec une
plus grande abondance de grâce et de lumière en faveur de quelques-uns de ceux
qui lui firent la charité, voulant accomplir par avance la promesse qu'il
devait faire ensuite à son Église, l'assurant que celui qui reçoit un juste et
un prophète en qualité de prophète, recevra la récompense due au juste (1).
760. Après qu'il se fut
occupé d ces oeuvres, et à plusieurs autres selon la volonté du Père éternel,
il alla au Temple. Et an jour que l'évangéliste saint Luc indique (2), les
rabbins, qui étaient les docteurs de la loi, s'assemblèrent en un lieu où ils
discutaient quelques doutes et quelques passages des Écritures. Dans cette
occasion on y disputait sur la venue du Messie ; car les nouveautés et les
merveilles qui avaient suivi la naissance de saint Jean et la venue des rois
mages, avaient beaucoup accrédité parmi les Juifs l'opinion que les temps
étaient accomplis, et que, bien qu'il fût inconnu, le Messie devait déjà être
au monde. ils étaient tous assis en leurs places,
avec cette autorité qui distingue d'ordinaire ceux qui passent pour savants.
L'Enfant Jésus s'approcha de l'assemblée de
(1) Matth., X, 41 — (2) Luc., II, 46.
4
ces
docteurs; et Celui qui était le Roi des rois, le Seigneur des seigneurs (1),
la Sagesse infinie; Celui qui redresse les sages (2), se présenta devant les
savants du monde comme un humble disciple (3), faisant connaître qu'il ne
venait que pour ouïr la dispute, et s'informer du. sujet
qu'on y proposait. Il s'agissait de savoir si le Messie promis était venu, ou
si le temps de son avènement au monde était arrivé.
761. Les opinions des
docteurs étaient fort opposées sur cet article; les uns assuraient la chose,
et les autres la niaient. Et ceux qui tenaient la négative alléguaient
quelques témoignages des fritures, et des prophéties entendues avec la
grossièreté que l'Apôtre remarque (4); car la lettre tue, si elle est prise
sans l'esprit. Or ces sages à leurs propres yeux avançaient que le Messie
devait venir avec une majesté et une grandeur de roi, pour donner la liberté à
son peuple par la grandeur de sa puissance, et le délivrer temporellement de
la servitude des gentils ; et l’on ne voyait alors aucune apparence de cette
puissance et de cette liberté, dans l’impossibilité où les Hébreux étaient de
secouer le joug des Romains. Ce sentiment eut beaucoup de vogue parmi ce
peuple grossier et aveugle; parce qu'il reprenait que pour lui seul la Majesté
et la grandeur du Messie promis, aussi bien que la rédemption qu'il venait par
son pouvoir divin accorder à son peuple, s'imaginant qu'elle devait être
(1)
Apoc., XIX, 16. — (2) I Cor., I, 24. — (3) Sap., VII, 15. — (4) II Cor., III,
6.
temporelle
et terrestre,, comme l'attendent toujours les Juifs aveuglés par les ténèbres
qui remplissent leurs coeurs (1). Aujourd'hui même ils ne parviennent pas à
comprendre que la gloire, la majesté et la puissance de notre Rédempteur,
aussi bien que la liberté qu'il est venu donner au monde, ne sont point des
choses terrestres , temporelles et périssables,
mais célestes, spirituelles et éternelles, et qu'elles ne sont ; pas seulement
pour les Juifs, quoiqu’ils en aient eu les prémices, mais pour tout le genre
humain sans aucune exception.
762. Le Maître de la
vérité , Jésus, reconnut quels dispute se terminait
à cette erreur; car quoiqu'il y en eût quelques-uns qui soutinssent l'opinion
contraire, le nombre en était fort petit; et ceux-là se trouvaient accablés
par l'autorité et par les raisons des autres. Et comme cet adorable Seigneur
était venu au monde pour rendre témoignage à la vérité, qui était lui-même
(2), il ne voulut pas permettre dans cette occasion, en laquelle il importait
extrêmement de la découvrir, que l'erreur contraire prévalût par l'autorité
des docteurs. Sa charité immense ne put point supporter cette ignorance de ses
oeuvres, et de ses fins très-sublimes chez les
interprètes de la loi, qui devaient être
des ministres versés dans la véritable doctrine, pour enseigner au
peuple le chemin de la vie, et lui en faire connaître l'auteur aussi bien que
notre Rédempteur. L'Enfant-Dieu s'approcha
(1) Isa., VI, 10 ; II Cor., III, 15. — (2) Joan., XVIII, 37.
6
davantage
de l'assemblée, pour manifester la grâce qui était répandue sur ses lèvres
(1). Il s'avança au milieu des interlocuteurs avec une rare majesté et avec
une beauté admirable , exprimant le désir de
proposer quelque doute. Et par ses manières nobles et agréables il inspira à
ces docteurs l'envie de l'écouter avec attention.
763. Il prit la parole en
ces termes : « J'ai entendu toute la discussion qui a eu lieu sur la venue du
Messie, et les conclusions qui en ont été tirées. Avant de proposer mes
objections contre cette solution, j'établis que les prophètes disent qu'il
viendra avec une grande puissance et une grande majesté, a comme on vient de
le prouver par les témoignages qu'on a allégués. En effet, Isaïe dit
qu'il sera notre Législateur, notre Roi, et Celui qui sauvera son peuple (2);
et dans un autre endroit il assure qu'il accourra de loin avec une grande
fureur (3), ce que David confirme en disant qu'il consumera tous ses ennemis
(4). Daniel déclare que toutes les tribus et tous les peuples le serviront
(5). L'Ecclésiastique dit qu'une grande multitude de saints viendra avec lui
(6). Les Écritures sont remplies de semblables promesses, pour faire
reconnaître son avènement à des signes assez clairs, assez évidents, si
on les considère avec attention. Mais le doute est fondé sur la
comparaison de ces passages avec d'autres
(1) Ps. XLIV, 3. — (2) Isa., XXXIII, 22. — (3) Isa., XXX, 27. — (4) Ps. XCVI, 3. — (5) Dan., VII, 14. — (6) Eccles., XXIV. 3, etc.
7
passages
des prophètes qui doivent être tous également vrais, bien qu'à la lettre ils
paraissent contradictoires. Ainsi il faut nécessairement qu'ils accordent, et
donner à chacun de ces passages un sens par lequel il puisse et doive se
concilier avec les autres. Or comment entendrons-nous maintenant ce que dit le
même Isaïe, qu'il viendra de la terre des vivants, et qui est-ce qui racontera
sa génération ? qu'il sera rassasié d'opprobres,
qu'il sera mené à la mort comme une brebis qu'on va égorger, et qu'il
n'ouvrira point la bouche (1) ? Jérémie assure que les ennemis du Messie se
réuniront pour le persécuter, pour mettre du poison dans son pain, et pour
effacer son nom de la terre, quoiqu'ils ne doivent point réussir dans leur
dessein (2). David a dit qu'il serait le rebut du peuple et l'opprobre des
hommes, et qu'il serait foulé aux pieds et méprisé comme un ver de terre (3).
Zacharie, qu'il viendrait doux et humble, et monté sur un vil animal (4). Tous
les prophètes tiennent le même langage en parlant des marques que le Messie
promis doit avoir. »
764. « Comment sera-t-il
donc possible, ajouta l’Enfant-Dieu, d'accorder
ces prophéties, si nous supposons que le Messie doive venir avec de puissantes
armées et avec majesté, pour vaincre les rois et les monarques par la force et
par l'effusion du
(1)
Isa., LIII, 8, 11, 7. — (2) Jerem., XI, 19. — (3) Ps. XXI, 7 et 8. — (4)
Zach., IX, 9.
8
sang des
étrangers? Nous ne pouvons pas nier que, devant venir deux fois, la première
pour racheter le monde, et l'autre pour le juger, les prophéties ne doivent
être appliquées à ces deux avènements, en attribuant à chacun ce qui lui
appartient. Et comme les fins de ces mêmes avènements doivent être
différentes, leurs circonstances le seront aussi, puisqu'il ne doit pas
remplir le même office dans les deux cas , mais
qu'au contraire les choses y seront fort opposées. Dans le premier il doit
vaincre le démon et lui arracher l'empire qu'il a acquis sur les âmes par le
premier péché. Et pour cela il doit d'abord satisfaire à Dieu pour tout le
genre humain, et ensuite enseigner aux hommes par ses paroles et par ses
exemples le chemin de la vie éternelle, les moyens de vaincre les ennemis de
leur salut, comment ils doivent servir et adorer leur Créateur et Rédempteur,
et de quelle manière ils sont obligés de répondre aux bienfaits qu'ils
reçoivent de sa main libérale, et d'en faire un bon usage. Sa vie et sa
doctrine doivent concourir à toutes ces fins dans le premier avènement. Le
second aura lieu pour faire rendre compte à tous les hommes dans le jugement
universel , et pour donner à chacun le prix dû à
ses œuvres bonnes ou mauvaises; et alors il punira ses ennemis avec fureur et
indignation; c'est ce que les prophètes disent de second avènement. »
765. « D'après toutes ces
observations, si nous voulons supposer que le Messie paraîtra pour la
9
première fois avec puissance et majesté, et que, comme le dit David (1), il
règnera de la mer jusqu'à la mer, et que son règne sera glorieux , comme le
disent d'autres prophètes (2) , tout cela ne peut être entendu matériellement
d'un règne temporel ni d'un appareil de majesté sensible et extérieur, mais
d'un nouveau règne spirituel qu'il établira dans une nouvelle Église qui
s'étendra par tout l'univers avec majesté, avec puissance et avec des
richesses immenses de grâce et de vertu contre le démon. Et avec cette juste
interprétation, toutes les Écritures , qu'on ne
saurait concilier dans un autre sens, se trouvent uniformes. Que si le peuple
de Dieu est soumis à l'empire des Romains, sans pouvoir recouvrer son
indépendance, ce n'est pas une marque que le Messie ne soit pas encore venu ;
au contraire , c'est un témoignage infaillible qu'il est déjà au Inonde. Car
notre patriarche Jacob a laissé cette marque afin que ses descendants le
connussent, voyant la tribu de Juda sans le sceptre et sans le gouvernement
d'Israël (3). Or vous avouez maintenant que ni cette tribu ni les autres ne
l'ont et n'espèrent même de le recouvrer. Les semaines de Daniel (4), qui
doivent être nécessairement accomplies, prouvent la même chose. Et ceux qui
ont de la mémoire se souviendront de ce que j'ai
(1) Ps. LXXI, 8. — (2) Isa., LII, 6, etc.; Jerem., XXX, 9; Ezech., XXXVII, 22,
etc.; Zach., IX, 10. — (3) Gen., XLIX, 10. — (4) Dan., IX, 25.
10
entendu dire , savoir, qu'une grande splendeur a paru il y a quelques années
dans Bethléem à minuit, et qu'il fut dit à de pauvres pasteurs que le
Rédempteur était né (1); et qu'ensuite certains rois guidés par une étoile
vinrent de l'Orient, cherchant le Roi des Juifs pour l'adorer (2). Et le tout
était ainsi prophétisé (3). De sorte que le roi Hérode, père d'Archélaüs,
frappé de ces signes infaillibles, fit mourir un
très-grand nombre d'enfants, seulement dans l'espoir d'atteindre le Roi
qui venait de naître, et qu'il voulait empêcher de pouvoir succéder au royaume
d'Israël (4). »
766. L'Enfant Jésus joignit
d'autres raisons à celles-là, et ce fut avec l'efficace de Celui qui, en
proposant des doutes, enseignait avec un pouvoir divin. De sorte que les
scribes et les docteurs qui l'entendirent restèrent dans le silence (5); et,
convaincus par ses raisons, ils se regardaient les uns les autres, et se
disaient avec une grande admiration : Quelle merveille est, celle-ci? Quel
Enfant si prodigieux! D'où est-il sorti ? A qui appartient-il? Mais demeurant
dans cet étonnement, ils ne découvrirent point quel était Celui qui les
instruisait avec tant de lumière d'une vérité si importante. L'auguste Marie
et son très-chaste époux saint Joseph arrivèrent à
temps pour ouïr la fin de son discours. Et après qu'il l'eut achevé, tous les
docteurs de la loi se levèrent
(1) Luc., II, 9, etc. — (2) Matth., II, 1, etc. —
(3) Mich., V, 2 ; Ps. LXXI, 10;
Isa., LX, 6. — (4) Matth.,
II, 16. — (5) Luc., IV, 32.
11
avec une
surprise extrême. Alors notre divine Dame, ravie de joie d'avoir retrouvé son
trésor, s'approcha de son bien-aimé Fils, et en présence de toute l'assemblée
lui dit ce que rapporte saint Luc (1) : Mon Fils, comment en avez-vous usé
ainsi avec nous? Voici que nous vous cherchions, votre père et moi, fort
affligés. La divine Mère lui fit cette amoureuse plainte avec autant de
respect que d'affection, l'adorant comme son Dieu, et lui représentant sa
douleur comme à son Fils. Sa Majesté lui répondit : Pourquoi me
cherchiez-vous? ne saviez-vous pas qu'il fallait
que je m'occupasse des choses qui regardent le service de mon Père (2)?
767. L'évangéliste dit (3)
que la très-pure Marie et saint Joseph
n'entendirent point le mystère de ces paroles, parce qu'il leur fut alors
caché. Et cela provint de deux causes : d'une part, moissonnant dans la joie
après avoir semé dans les larmes, ils furent tout absorbés par le bonheur de
revoir leur riche trésor qu'ils avaient retrouvé. D'autre part ils
n'arrivèrent pas assez tôt pour se mettre au courant de la matière qu'on avait
traitée dans cette conférence. Outre ces raisons, il y en eut une autre pour
notre très-prudente Reine: c'est, que le voile qui
lui cachait l'intérieur de son très-saint Fils, où
elle eût pu connaître tout ce qui s'était passé , ne fut écarté de ses yeux
que quelque temps après qu'elle l'eut retrouvé. Les docteurs se retirèrent,
repassant en leur esprit les merveilles qu'ils venaient d'ouïr de la Sagesse
éternelle,
(1) Luc., II, 47. — (2) Ibid., 49. — (3) Ibid., 50.
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quoiqu'ils
ne la connussent pas. De sorte que la bienheureuse Mère se trouvant presque
seule avec son très-saint Fils, lui dit avec une
tendresse maternelle : « Permettez, mon Fils, à mon coeur défaillant (et ce
disant elle l'embrassa) de vous découvrir sa peine, afin qu'elle ne m'ôte pas
la vie si elle est de quelque utilité à votre service. Ne m'éloignez point de
votre présence, acceptez-moi pour votre servante, et si je vous ai perdu par
ma faute, je vous en demande pardon, et je vous prie de me rendre digne de
vous, et de ne me point châtier par votre absence. » L'Enfant-Dieu
la reçut avec complaisance, et lui promit d'être son maître et son compagnon
tout le temps qu'il serait convenable. Ces douces paroles calmèrent le coeur
innocent et enflammé d'amour de notre grande Reine, et ils prirent le chemin
de Nazareth.
768. Mais lorsqu'ils se
furent un peu éloignés de Jérusalem , et qu'ils se
trouvèrent seuls sur la route, la très-prudente
Daine se prosterna , adora son très-saint Fils, et
lui demanda sa bénédiction, parce qu'elle ne l'avait pas fait extérieurement
au moment où elle le trouva dans le Temple au milieu de la foule : tant elle
était attentive à ne perdre aucune occasion d'agir avec la plénitude de sa
sainteté. L'Enfant Jésus la releva de terre et lui parla avec un air fort
agréable et avec la plus grande douceur. Ensuite il écarta le voile mystérieux
et lui découvrit de nouveau son âme très-sainte et
ses opérations avec plus de clarté qu'auparavant. De sorte que la divine Mère
apprit dans cette contemplation de l'intérieur de l'Enfant-Dieu
13
toutes
les oeuvres sublimes qu'il avait faites pendant les trois jours de son
absence. Elle y vit également tout ce qui s'était passé dans la conférence des
docteurs, ce que l'Enfant Jésus leur dit, et les raisons qu'il eut pour ne pas
se manifester avec plus d'éclat comme le véritable Messie ; et cet adorable
Enfant révéla à sa Mère Vierge plusieurs autres mystères, comme à celle en qui
tous les trésors du Verbe incarné devaient être mis en dépôt, afin qu'elle
rendit pour tous et en tous le retour de gloire et de louanges qui étaient
ducs à l'auteur de tant (le merveilles. Et cette
très-sainte Dame s'en acquitta selon le bon plaisir du Seigneur. Après
quoi elle pria sa Majesté de reposer un peu dans la campagne, et de prendre
quelque nourriture. Et le divin Enfant en accepta des mains de notre auguste
Reine, qui prenait soin de tout comme Mère de la Sagesse (1).
769. La divine luire
s'entretenait chemin faisant, avec son très-doux
Fils, des mystères qu'il lui avait découverts dans son intérieur touchant la
conférence des docteurs. Et le Maître céleste l'informa de nouveau verbalement
de ce qu'il avait appris par révélation; et lui déclara notamment que ces
docteurs et ces scribes n'avaient point reconnu en lui le Messie, à cause de
la présomption et de la vanité qu'ils tiraient de leur science, parce que leur
entendement était obscurci par les ténèbres de l'orgueil, qui les avaient
empêchés de recevoir la divine lumière que
(1) Eccles., XXIV, 24.
14
l'Enfant-Dieu
avait si bien fait briller à leurs yeux; car ses raisons auraient suffi pour
les convaincre s'ils eussent eu leur volonté disposée par l'humilité et par le
désir de la vérité. C'est à cause des obstacles qu'ils lui opposèrent qu'ils
ne la reconnurent pas, malgré son évidence. Notre Rédempteur convertit un
grand nombre d'aines dans ce voyage. Et comme sa
très-sainte Mère était présente, il l'employait pour instrument de ces
merveilles; ainsi il éclairait les coeurs de tous ceux à qui elle parlait, au
moyen des sages avis et des saintes instructions de notre auguste Princesse.
Ils rendirent la santé à plusieurs malades, ils consolèrent les affligés, et
ils ne perdirent aucune occasion convenable de répandre partout où ils
allaient la grâce et les miséricordes. Et comme j'ai décrit, dans les autres
voyages que j'ai racontés, des merveilles semblables à celles-ci, je ne m'y
arrête pas plus longtemps , car le récit en exigerait plusieurs chapitres, et
je suis forcée de passer à d'autres points de cette histoire qui sont plus
importants.
770. Ils arrivèrent à
Nazareth , où ils s'occupèrent comme je le dirai
dans la suite. L'évangéliste saint Luc (1) renferme dus peu de paroles les
mystères de leur vie, lorsqu'il dit que l'Enfant Jésus était soumis à ses
parents (c'est-à-dire à sa très-sainte Mère et à
son époux Joseph), et que sa divine Mère repassait et conservait toutes ces
choses dans son coeur, et que Jésus croissait en sagesse (2), en age et en
grave devant
(1) Luc., II, 51. — (2) Ibid., 52.
15
Dieu
et devant les hommes, ce dont je parlerai plus tard ,
selon les lumières qui me seront données. Je dis seulement ici que l'humilité
et l'obéissance de notre Seigneur Jésus- Christ envers ses parents furent pour
les anges un nouveau sujet d'admiration, aussi bien que la dignité et
l'excellence de sa très-pure Mère, qui mérita que
Dieu humanisé lui fût confié et assujetti, afin qu'elle en prit soin avec
l'aide de saint Joseph, et qu'elle en disposât comme d'une chose qui lui
appartenait. Et quoique cette soumission et cette obéissance fussent comme une
conséquence de la maternité naturelle; néanmoins, pour user envers son Fils de
ses droits et de son autorité de Mère, comme supérieure en cette
qualité , il lui fallut une grâce différente de
celle qu'elle reçut pour le concevoir et pour l'enfanter. De sorte que
l'auguste Marie eut avec plénitude les grâces convenables et proportionnées
pour tous ces ministères et offices : plénitude tellement surabondante qu'elle
débordait sur l'aime du bienheureux époux saint Joseph, afin qu'il fût aussi
le digue père putatif de Jésus-Christ et chef de cette
très-sainte famille.
771. Notre illustre
Princesse répondait de son côté par des oeuvres sublimes à l'obéissance et à
la soumission que son bien-aimé Fils lui témoignait. Entre
anti-es dons excellents elle eut alors une humilité quasi
incompréhensible, et une ardente reconnaissance de ce que sa Majesté eût
daigné retourner avec elle et demeurer en sa compagnie. Cette faveur, que
notre divine Reine estimait des plus grandes et dont elle se
16
croyait
même indigne, accrut dans son très-fidèle coeur
son amour et son zèle à servir son adorable Fils. Et elle lui en témoignait sa
gratitude avec tant de ferveur, elle ne cessait de le servir avec tant
d'attention, de ponctualité et d'empressement, et cela toujours à
genoux , qu'elle excitait l'admiration des plus
hauts séraphins. En outre , elle était
très-soigneuse à l'imiter dans toutes ses actions
, telles qu'elle les connaissait, et elle s'appliquait de toutes ses forces
d'abord à étudier, puis à reproduire ses exemples. Elle blessait par cette
plénitude de sainteté le coeur de notre Seigneur Jésus-Christ (1), et elle le
tenait, pourrions-nous dire, captif dans les chaînes d'un amour invincible
(2). Et cet adorable Seigneur étant ainsi attiré, comme Dieu et comme Fils
véritable, par les doux charmes de l'incomparable Princesse, il se trouvait
entre le Fils et la Mère une correspondance mutuelle et un divin cercle
d'amour et d'oeuvres qui surpassaient tout ce que l'entendement
créé peut concevoir. Car tous les fleuves des
grâces et des faveurs du Verbe incarné entraient dans l'auguste Marie, comme
dans l'océan des perfections, et cette mer ne regorgeait point, parce qu'elle
était assez vaste pour les recevoir; mais ces fleuves retournaient à leur
source (3), où l'heureuse Mère de la Sagesse lus renvoyait, afin qu'ils
coulassent encore, comme si ces flux et ces reflux de la Divinité n'eussent
été établis qu'entre l'Enfant-Dieu et sa Mère.
C'est ici le mystère de ces
(1) Cant., II, 9. — (2) Os., XI, 4. — (3) Eccles., 1, 7
17
humbles
reconnaissances de l'Épouse, si souvent mentionnées dans les Cantiques :
Mon bien-aimé est tout à moi, et je suis toute à lui ; il se plaît infiniment
parmi les lis, jusqu'à ce que le jour commence à paraître et que les ombres
soient dissipées. Je suis à mon bien-aimé, et mon bien-aimé est à moi; je suis
à mon bien-aimé, et ses regards sont vers moi (1).
772. Il était comme
inévitable que le feu de l'amour divin dont brûlait le coeur de notre
Rédempteur, qui est venu l'allumer sur la terre (2), trouvant à sa portée une
matière disposée comme l'était le coeur très-pur
de sa Mère, causât par son activité extraordinaire des effets si sublimes, que
le même Seigneur qui les avait opérés fût le seul qui pût aussi les connaître.
On doit remarquer ici une chose qui m'a été révélée : c'est que le Verbe
incarné ne mesurait point les témoignages extérieurs de l'amour qu'il portait
à sa très-sainte Mère sur son inclination
naturelle de fils, mais sur la capacité de mérites que présentait notre
auguste Reine comme voyageuse , parce que cet adorable Seigneur savait que
s'il l'eût favorisée dans ces démonstrations autant qu'il aurait été
naturellement porté à le faire par affection filiale envers une telle Mère,
elle eût été en quelque sorte empêchée, par la jouissance continuelle des
délices qu'elle eût goûtées dans le commerce de son bien-aimé, de gagner tous
les mérites qui lui étaient destinés. C'est pourquoi il réprima jusqu'à un
certain point ce penchant naturel
(1) Cant. II, 16 et 17; VI, 2; VII, 10. — (2) Luc., XII, 49.
18
de son
humanité, et voulut que sa divine Mère, quoiqu'elle fût parvenue à une
sainteté si éminente, continuât à agir, à souffrir, à mériter, en étant
quelquefois privée de la douce récompense qu'elle aurait pu recevoir par les
faveurs sensibles de son très-saint Fils. C'est
pourquoi encore l'Enfant-Dieu montrait plus de
réserve et de sévérité, même dans la conversation ordinaire. Et quoique notre
diligente Darne le servit toujours avec un souverain respect, et lui fournit
toujours avec le plus vif empressement tout ce dont il pouvait avoir besoin,
notre aimable Sauveur ne manifestait pas toute la satisfaction que lui
inspirait la sollicitude de sa Mère.
Instruction que la Reine du ciel nie donna.
773. Ma fille, toutes les
rouvres de mon très-saint Fils et les miennes sont
pleines d'une mystérieuse doctrine et de salutaires leçons pour les mortels,
s'ils les considèrent avec une attention respectueuse. Sa Majesté s’absenta de
moi afin que, la cherchant avec douleur et avec larmes, je la retrouvasse avec
beaucoup de joie (1) et de profit pour mon âme. Je veux que, m'imitant en ce
mystère, vous cherchiez le Seigneur
(1) Ps. CXXV, 5.
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avec
une angoisse telle, qu'elle vous maintienne dans une vigilance continuelle et
ne vous laisse vous reposer nulle part pendant toute votre vie, jusqu'à ce que
vous l'ayez trouvé et que vous ne puissiez plus le perdre (1). Or, afin que
vous pénétriez mieux le secret du Seigneur, il faut que vous remarquiez que sa
sagesse infinie conduit de telle sorte les créatures capables de sa félicité
éternelle, qu'elle les met dans le chemin de cette mémé félicité, mais à une
grande distance et avec l'incertitude d'y jamais arriver, afin que, tant
qu'elles n'y parviennent pas, elles ne,cessent de vivre dans l'inquiétude et
dans une sainte tristesse, afin que cette inquiétude fasse naître en elles une
crainte et une horreur continuelles da péché, qui est la seule chose qui
puisse la leur faire perdre (2); et que, dans le tumulte de la conversation
humaine, elles ne se laissent point entraîner ni enlacer par les choses
visibles et terrestres. Le Créateur seconde leurs précautions en soutenant la
raison naturelle par les vertus de foi et d'espérance, qui servent d'aiguillon
à l'amour, par lequel les créatures cherchent et atteignent leur dernière fin.
Et, indépendamment du secours de ces vertus et des autres dont il dépose le
germe dates le baptême, il envoie à l'âme des inspirations qui l'excitent,
dans l'absence du même Seigneur, à ne point l'oublier en s'oubliant elle-même
pendant qu'elle est privée de son aimable présence, mais, au contraire, à
poursuivre sa course jusqu'à ce qu'elle
(1) Cant., III, 4. — (2) Eccles., IX, 2.
20
parvienne
au but désiré, où elle verra tous ses goûts satisfaits et tous ses voeux
accomplis (1).
774. Vous comprendrez par
là la crasse ignorance des mortels, dont si peu s'arrêtent à considérer
l'ordre mystérieux de leur création et de leur justification, et les oeuvres
du Très-Haut tendant à une fin si sublime. Les plus grands maux que les
créatures souffrent proviennent de cet oubli, qui leur fait prendre possession
des biens terrestres et des plaisirs trompeurs comme s'ils devaient être leur
félicité et leur dernière fin. C'est le plus grand désordre où ils puissent
tomber contre l'ordre du Créateur, parce que les hommes veillent, durant leur
vie si courte et si fugitive, jouir des choses visibles comme si elles étaient
leur dernière fin, tandis qu'ils ne devraient user des créatures que pour
acquérir le souverain bien, et non point pour le perdre. Or, pesez, ma
très-chère fille, ce danger de la folie humaine,
et regardez comme un écueil funeste tout ce que le monde offre d'agréable et
de séduisant ; dites aux joies des sens qu'elles ne font que les tromper (2),
engendrer la folie, enivrer le coeur, empêcher et détruire toute véritable
sagesse. Soyez toujours dans une sainte crainte de perdre la vie éternelle,
et, jusqu'à ce que vous l'ayez acquise, ne' vous réjouissez que dans le
Seigneur. Fuyez la conversation des mortels, redoutez ses dangers; et si Dieu
vous met par le moyen de l'obéissance dans quelque péril pour sa gloire, tout
en comptant sur sa protection, ayez
(1) Ps., XVI, 17. — (2) Eccles., II, .
21
soin de
ne pas vous négliger et de vous tenir sur vos gardes. Ne livrez pas votre
naturel confiant à l’amitié ni au commerce des créatures : c'est là que pour
vous se trouve le plus grand danger; car le Seigneur vous a donné une humeur
douce et reconnaissante, afin qu'il vous soit plus facile de ne point résister
à ses opérations, et que vous employiez à son amour, le bienfait que vous en
avez reçu. Mais si, vous donnez l’entrée à l'amour des créatures, elles vous
entraîneront sans doute et vous éloigneront du souverain Bien, de sorte que
vous renverserez l'ordre et les oeuvres de sa sagesse infinie; car c'est une
chose indigne de consacrer le plus riche don de la nature à un objet qui n'en
soit pas le plus noble et le plus excellent. Élevez-vous au-dessus de tout ce
qui est créé et au-dessus de vous-même (1). Rehaussez les opérations de vos
puissances, et montrez-leur comme le plus sublime de tous les objets l'être de
Dieu, celui de mon Fils bien-aimé et votre, Époux, qui surpasse en beauté tous
les enfants des hommes (2); aimez-le de tout votre coeur, de toute votre aime
et de tout votre entendement.
(1) Thren., III, 28. — (2) Ps. XLIV, 2.
22
CHAPITRE VI. Dans la douzième année de l'Enfant Jésus, l'auguste Marie eut une
vision pour continuer en elle l'image et la doctrine de la loi évangélique.
775. J'ai commencé à
raconter dans les chapitres premier et second de ce livre ce que je dois
continuer dans celui-ci et dans les autres qui suivent, mais non sans une
juste crainte de l'obscurité et de la faiblesse de mes termes, et surtout de
la tiédeur de mon coeur pour traiter des profonds mystères qui se passèrent
entre le Verbe incarné et sa bienheureuse Mère pendant les dix-huit années
qu'ils demeurèrent à Nazareth, et qui s'écoulèrent depuis leur retour de
Jérusalem, après la conférence des docteurs, jusqu à l'époque où notre
Seigneur, âgé de trente ans, se mit à prêcher. Troublée et effrayée au bord de
cette mer immense de mystères, je supplie du fond de l’âme le souverain Maître
de charger un ange de prendre la plume, afin qu'un sujet si sublime ne soit
point avili ; à moins qu'il ne veuille, dans sa puissance et dans sa sagesse,
parler lui-même par mon organe, éclairer et diriger mes facultés, afin
qu'étant guidées par sa divine lumière elles servent seulement d'instrument à
sa volonté et à sa vérité, sans se ressentir te la fragilité
23
humaine
inhérente à la condition d'une femme ignorante.
776. J'ai dit dans les
chapitres que je viens de citer que notre grande Dame fut la première disciple
de son très-saint Fils, l'unique et l'élue entre
toutes les créatures pour être l'image choisie en qui la nouvelle loi de
l'Évangile et de son auteur devait être imprimée, afin qu'elle servît dans sa
nouvelle Église comme de seul modèle que tous les autres saints devraient
reproduire, et qui renfermerait tous les effets de la rédemption humaine. Le
Verbe incarné agit dans cette occasion comme un excellent peintre qui possède
les secrets de son art dans toutes ses parties, et qui tâche, entre plusieurs
de ses ouvrages, d'en achever un avec tant de perfection et de délicatesse,
qu'il établisse sa réputation, qu'il atteste son rare talent, et qu'il reste
comme le type de ses autres tableaux. Il est certain que toute la sainteté et
la gloire des saints fut l'oeuvre de l’amour de Jésus-Christ et de ses mérites
(1); car ils furent tous les très-parfaits
ouvrages de ses mains mais, comparés avec la grandeur de l'auguste Marie, ils
ne semblent que des ébauches, parce que tous les saints eurent quelques
défauts qu'il fallut corriger (2). Il n'y eut que cette seule image vivante de
son adorable Fils qui en fut exempte;, et le premier coup de pinceau qu'il
donna en la formant fut plus excellent et plus délicat que les retouches
qu'exigèrent les plus sublimes esprits et les plus grands saints. Elle est le
(1) Ephes., I, 8; Joan., I, 16. — (2) I Joan., I, 8.
24
modèle
de toute la sainteté et de toutes les vertus des autres; le dernier terme que
pût atteindre l'amour de Jésus Cherchez une simple créature, car aucune
créature ne reçut en grâce ou en gloire ce qui ne put être donné à
l'incomparable Marie, et elle reçut tout ce qui put être donné aux autres; de
sorte que son très-béni Fils lui donna tout ce
qu'elle put recevoir et qu'il put lui communiquer.
777. La variété des saints,
aussi bien que leurs différents degrés, exaltent dans le silence l'ouvrier de
tant de sainteté (1); les petits augmentent la grandeur des grands, et ils
honorent tous ensemble la très-pure Marie, qui les
surpasse glorieusement par son incomparable sainteté, et au bonheur de
laquelle ils participent sous le rapport sous lequel ils l'ont imitée ; pour
concourir à cet ordre, dont la perfection rejaillit sur tous. Et si l'auguste
Marie est le couronnement qui a relevé tout l'ordre des justes, par là même
elle a été l'instrument ou le motif de la gloire que tous les saints ont à un
certain degré. Il suffit de considérer le temps que notre Seigneur
Jésus-Christ mit à travailler en elle, et celui qu'il employa en tout le reste
de l'Église, pour découvrir, quoique de loin, son excellence dans le mode
qu'il suivit pour former cette image de sa sainteté. Car pour fonder l'Église
et l'enrichir, pour appeler les apôtres, pour enseigner le peuple et pour
établir la nouvelle loi de l'Évangile, il ne fallut que trois ans de
prédication, pendant lesquels il accomplit
(1) Ps., XVIII, 2.
25
surabondamment cette pauvre que son Père éternel lui avait recommandée (1), et il
justifia et sanctifia tons les fidèles : mais pour imprimer en sa bienheureuse
mère l'image de sa sainteté, il n'employa pas seulement trois ans, mais trente
ans, pendant lesquels il opéra continuellement en elle par la force de son
amour et de sa puissance divine, sans aucun intervalle où il ait cessé
d'ajouter grâces sur grâces, dons sur dons, bienfaits sur bienfaits, sainteté
sur sainteté. Et en outre il se réserva de la retoucher de nouveau, et ce fut
parles faveurs qu'elle reçut après que Jésus-Christ son
très-saint Fils fut monté à son Père, comme je le dirai dans la
troisième partie. La raison se trouble, les paroles manquent à la vue de cette
grande Dame, parce qu'elle fut élue comme le soleil (1), et que les yeux de
l'homme n'en sauraient supporter la splendeur, non plus que ceux de toute
autre créature.
778. Notre Rédempteur
Jésus-Christ commença à découvrir ce dessein envers sa Mère dès leur retour
d'Égypte à Nazareth, comme nous l'avons dit, et il continua toujours à son
égard l'office de maître en l'enseignant, et l'exercice de son pouvoir divin
en l'éclairant par de nouvelles notions sur les mystères de l'incarnation et
de la rédemption. Après qu'ils furent revenus de Jérusalem , dans la douzième
année de l'Enfant-Dieu, notre grande Reine eut une
vision de la Divinité qui ne fut point intuitive, mais imaginative; elle fut
pourtant fort relevée, et remplie de
(1) Joan., VI, 38. — (2) Cant., VI, 9.
26
nouvelles
influences de cette même Divinité et de sublimes communications des secrets du
Très-Haut. Elle connut spécialement les décrets de l'entendement et de la
volonté du Seigneur concernant la loi de grâce, que le Verbe incarné devait
établir, et le pouvoir que le consistoire de la
très-sainte Trinité lui donnait à cet effet
(1). Elle vit aussi que le Père éternel remettait pour cette fin à son Fils
fait homme ce livre scellé de sept sceaux dont saint Jean fait mention dans le
chapitre V de l'Apocalypse, et que personne ne pouvait ouvrir ni dans le ciel
ni sur la terre, jusqu'à ce que l'Agneau l'ouvrît par sa passion, par sa mort,
par sa doctrine et par ses mérites; de sorte qu'il déclara en même temps aux
hommes le secret de ce livre, qui était tonte la nouvelle loi de l'Évangile,
et l'Église qui devait être fondée par le même Évangile dans le monde.
779. Ensuite notre auguste
Princesse comprit que la très-sainte Trinité
décrétait qu'elle serait dans tout le genre humain la première qui lirait et
qui entendrait ce livre; que son Fils le lui ouvrirait et expliquerait
entièrement, et qu'elle exécuterait tout ce qu'il contenait; qu'elle serait
aussi la première qui, fidèle compagne du Verbe à qui elle avait donné la
chair, le suivrait et aurait sa légitime place immédiatement.
après lui dans les voies qu'il devait, en
descendant du ciel, tracer dans ce livre, afin que les mortels y montent, et
que ce Testament fût mis en dépôt en
(1) Ephes., II, 14 et 15;
Matth., IV, 17; Matth., XXVIII, 18.
27
celle
qui était sa véritable Mère. Elle vit que le Fils du Père éternel et le sien
acceptait ce décret avec beaucoup de complaisance, et que sa
très-sainte humanité s'y soumettait avec une joie
indicible par rapport à elle : et le Père éternel, s'adressant à cette
très-pure Dame, lui disait :
780. « mon Épouse et ma
Colombe, préparez votre coeur, afin que, selon notre bon plaisir, nous vous
fassions participante de la plénitude de notre science, et que le nouveau
Testament et la loi sainte de mon Fils soient gravés dans votre âme. Redoublez
l'ardeur de vos désirs, et appliquez-vous entièrement à l'étude et à
l'exécution de notre doctrine et de nos préceptes. Recevez les dons de notre
pouvoir libéral et de l'amour que nous vous portons. Et, afin que vous nous
rendiez un retour convenable, sachez que nous déterminons, par une disposition
de notre sagesse infinie, que mon Fils, quant à l'humanité qu'il a prise de
vous, trouve en une si simple créature son image et sa ressemblance autant que
cette ressemblance est possible, comme l'effet et le digne fruit de ses
mérites, et que, dans la préoccupation de cet effet et de ce fruit, son saint
nom soit glorifié et exalté par votre parfaite correspondance. Or, considérez,
ma Fille et mon Élue, que ces des seins exigent de votre part de grandes
dispositions. Préparez-vous donc pour les couvres et le mystère de notre
puissante droite. »
781.«
Seigneur éternel, et Dieu immense, répondit la
très-humble Dame, me voici prosternée
28
en votre
divine présence, découvrant à la vue de votre être infini la petitesse du
mien, qui n'est a qu'un pur néant. Je reconnais, Seigneur, votre a grandeur et
ma bassesse. Je suis indigne du nom de votre servante; je vous offre le fruit
de mes entrailles et votre Fils, pour la bonté avec laquelle vous, avez daigné
me regarder, et je supplie sa Majesté de répondre pour sa servante
inutile. Non a coeur est préparé (1), et en reconnaissance de vos miséricordes
il se change en affections , parce qu'il ne peut
point réaliser ses plus ardents désirs (2). Mais si j'ai trouvé grâce devant
vos yeux (3), je parlerai, Seigneur, où votre présence, pour vous
supplier seulement de faire en votre servante tout a ce que vous lui demandez
et ordonnez, puisqu'il n'y a que vous, mon divin Maître, qui puissiez
l'opérer. Et si vous me demandez un coeur disposé et soumis, je vous
l'offre pour souffrir et obéir à votre volonté, fallût-il mourir.
» Alors notre auguste Princesse fut remplie de nouvelles effusions de la
Divinité; elle fut illuminée, purifiée, spiritualisée, enrichie des dons du
Saint-Esprit avec une plus grande abondance que dans le passé , car le
bienfait que la Reine du ciel reçut en ce jour fut tout spécial. Sans doute
tous ceux dont elle était l'objet étaient extraordinaires, exceptionnels,
au-dessus de tous ceux que pussent recevoir les autres créatures et par
conséquent chacun de ces bienfaits semblait être le
(1) Ps. LVI, 1. — (2) Ps. LXXII, 16. — (3) Esth., VII, 3.
29
suprême,
et marquer le non plus ultra; néanmoins il n'y a en la participation
des perfections divines aucune borne de leur côté, et c'est la capacité de la
créature qui manque. Et comme celle de notre auguste Princesse était grande,
et qu'elle croissait en elle dans la proportion même des faveurs, elle ne
faisait, en recevant de grandes grâces, que se disposer à en recevoir d'autres
plus grandes. De sorte que le pouvoir divin ne trouvant en elle aucun obstacle
qui l’empêchât, versait. tous ses trésors pour les
confier à la très-fidèle Marie, comme su plus sûr
réservoir.
782. Elle sortit toute
renouvelée de cette vision extatique, et s'alla prosterner devant son
très-saint Fils, en lui disant: « Mon Seigneur, ma
lumière et mon Maître, voici votre indigne Mère, toute prêle à accomplir votre
sainte volonté. Acceptez-moi de nouveau pour disciple et pour servante,
servez-vous de l'instrument de votre sagesse, et exécutez en moi le bon
plaisir du Père éternel et le vôtre. » Le très-saint
Enfant reçut sa Mère avec la majesté et l'autorité d'un maître, et il lui tint
un discours très-sublime. Il lui fit connaître par
de puissantes raisons les trésors inestimables qui étaient renfermés dans les
rouvres mystérieuses que le Père éternel lui avait recommandées touchant
l'affaire de la rédemption des hommes, et l'établissement de la nouvelle
Église et de la loi évangélique, qui avaient été décrétés dans l'entendement
divin. Il lui déclara de nouveau comment, recevant les prémices de la grâce,
elle devait être sa coadjutrice dans des mystères si profonds, et que
30
pour ce
sujet elle le devait accompagner dans ses travaux, et même jusqu'à la mort de
la croix, et le suivre avec un ferme courage et avec un coeur magnanime,
constant et invincible. Il lui communiqua une doctrine céleste, afin qu'elle
se préparât par ce secours à recevoir toute la loi évangélique, à l'entendre,
à la pénétrer, et à exécuter tous ses préceptes et tous ses conseils avec une
très-haute perfection. L'Enfant Jésus révéla dans
cette occasion d'autres sublimes mystères à la bienheureuse Mère relativement
aux oeuvres qu'il ferait dans le monde. Et cette divine Dame s'offrit à tout
avec beaucoup d'humilité, de soumission, de respect, de reconnaissance, et
avec l'amour le plus ardent.
Instruction que notre auguste Maîtresse me donna.
783. Ma fille, je vous ai
appelée plusieurs fois pendant le cours de votre vie, et surtout depuis que
vous écrivez la mienne, à me suivre en m'imitant le mieux qu'il vous sera
possible avec le secours de la divine grâce. Je vous rappelle maintenant de
nouveau cette obligation et cette vocation , depuis
que la bonté du Très-Haut vous a donné des notions si claires et si lumineuses
sur le mystère que son puissant bras a opéré dans mon coeur, en y écrivant
toute la loi de grâce et toute la doctrine de son Évangile, et depuis
31
qu'elle
vous a révélé en même temps l'effet qu'une si grande faveur produisit en moi,
et la manière avec laquelle je la reconnus et y correspondis par une
très-parfaite imitation de mon
très-saint Fils et mon Maître. Vous devez regarder
la connaissance que vous avez de tout cela comme une des grâces les plus
insignes, que sa divine Majesté vous ait faites; puisque vous y trouverez la
somme et l'épilogue de la plus haute sainteté et de la plus sublime
perfection, comme dans un brillant miroir; et que par son moyen vous
découvrirez les voies de la divine lumière, par où vous marcherez avec sûreté,
et hors des ténèbres de l'ignorance qui environnent les mortels (1).
784. Suivez-moi donc, ma
fille, venez après moi. Et afin que vous m'imitiez comme je le veux, et que
vous soyez éclairée en votre entendement, que vous ayez l'esprit élevé, le
coeur dispos et la volonté généreuse, établissez-vous dans une sainte liberté,
qui vous sépare de toutes les choses passagères, comme votre époux vous
l'ordonne; éloignez-vous de tout ce qui est terrestre et visible, quittez
toutes les créatures, renoncez à vous-même (2), fermez vos sens aux tromperies
du monde et du démon (3). Et je vous avertis de ne pas beaucoup vous troubler
ni affliger de ses tentations , parce que, s'il peut vous causer le moindre
retardement dans le chemin de la vertu , il aura par là remporté sur vous une
grande victoire, et vous ne
(1) Prov., IV, 18; Joan., XII, 35. — (2) Matth., XVI, 24. — (3) Ps. XXXIX, 5.
32
vous
fortifierez point dans la perfection. Donnez donc toutes vos attentions au
Seigneur, qui désire de voir la beauté de votre âme (1), qui est libéral pour
vous l'accorder, puissant pour vous enrichir des trésors de sa sagesse, et
industrieux pour vous disposer à les recevoir. Laissez-lui graver dans votre
coeur sa divine loi évangélique; travaillez à en faire votre étude
continuelle, votre méditation durant le jour et la nuit (2), tout le sujet de
votre souvenir, votre nourriture, la vie de votre âme, et le nectar de votre
goût spirituel; car ainsi vous accomplirez ce que le Très-Haut demande de
vous, ce que je souhaite et ce que vous désirez.
CHAPITRE VII. Où sont indiquées plus expressément les fins du Seigneur en la
doctrine qu'il enseigna à la
très-pure Marie, et les manières avec lesquelles elle l'exécutait.
785. Il faut qu'une cause,
quelle qu’elle soit, qui opère avec liberté et connaissance de ses actions,
ait en elles quelque fin et quelques motifs par la considération desquels elle
se détermine et se meuve à les
(1) Ps. XLIV, 11. — (2) Ps. I, 2.
33
faire,
et de la connaissance des fins s'ensuit le choix, ou l'élection des moyens
pour y arriver. Cette règle est plus sûre dans les couvres de Dieu, qui est la
suprême et la première cause, douée d'une sagesse infinie, par laquelle il
dispose, exécute toutes choses (1), et atteint depuis une extrémité jusqu'à
l'autre avec force et avec douceur, comme dit le Sage (2)
, ne voulant jamais ni la destruction ni la mort, et faisant tout au
contraire pour conserver aux créatures l'être et la vie. Plus les couvres du
Très-Haut sont admirables, plus particulières et plus élevées sont les fins
auxquelles il les fait servir. Et quoique la dernière fin de toutes soit sa
propre gloire (3) et sa manifestation, il n'y a pas moins entre elles une
coordination fixée par sa science infinie, comme une chaîne à plusieurs
anneaux , qui, étant attachés de rang les uns aux
autres, arrivent de la plus basse créature jusqu'à la plus haute et la plus
immédiate, à Dieu, qui est l'auteur et la fin universelle de toute chose (4).
786. Toute l'excellence de
la sainteté de notre grande Dame est comprise en ce que Dieu l'a faite une
image vivante de son propre Fils, et si semblable à lui en la grâce et en ses
opérations, qu'elle paraissait un autre Christ par communication et par
privilège. Ce fut entre le Fils et la Mère un divin et ineffable commerce; car
elle lui donna la forme et l'être de la nature humaine (5), et cet adorable
Seigneur donna à sa très-pure Mère un autre âtre
spirituel et de grâce,
(1) Ps. CIII, 24; Sap., VIII, 1. — (2)
Sap., I, 13 et 14. — (3) Prov., XVI, 4. — (4)
Apoc., XXII, 13. — (3) Galat.,
IV, 4.
34
afin
qu'ils se ressemblassent mutuellement sous ce rapport comme sous celui de leur
humanité. Les fins qu'eut le Très-Haut furent dignes d'une si rare merveille,
qui était la plus grande de ses oeuvres en une pure créature. Dans les
chapitres précédents, savoir, le premier, le second et le sixième, j'ai dit
quelque chose de ce qu'exigeaient à cet égard l'honneur de notre Rédempteur,
et l'efficace de sa doctrine et de ses mérites; en effet il était comme
nécessaire, pour mieux assurer l’un et attester l'autre, que l'on vît éclater
en cette divine Mère la sainteté et la pureté de la doctrine de notre Seigneur
Jésus-Christ, qui en était l'auteur et le Maître, et en même temps l'efficace
de la loi évangélique et de l'œuvre de la rédemption, et que le tout tournât à
la suprême gloire que la rédemption devait faire rejaillir sur notre aimable
Sauveur. Aussi sa divine Mère en recueillit-elle. plus
abondamment les fruits les plus exquis , à elle seule, que tous les autres
enfants de la sainte Église et que tous les prédestinés.
787. La seconde fin qu'eut
le Seigneur en cette oeuvre concerne également le ministère de Rédempteur; car
les conditions de. notre rédemption devaient
répondre à celles de la création du monde, et le remède du péché à son
introduction : ainsi il convenait que, comme le premier Adam eut notre mère
Ève pour compagne dans le péché; comme elle l'aida et le poussa à le
commettre, et que le genre humain se perdit en lui comme en son chef (1), de
même il arrivât
(1) I Cor., XV, 47.
35
que,
lors de la réparation d'une si grande perte, le second et le céleste Adam eût
sa très pure Mère pour coadjutrice en la rédemption, et qu'elle concourut et
coopérât au remède, quoique la vertu et la cause essentielle de la rédemption
universelle fussent seulement en Jésus-Christ, qui est notre chef (1). Et,
afin que ce mystère fut réalisé avec la dignité et la plénitude convenables,
il fallut que s'accomplit entre notre Seigneur Jésus-Christ et la sainte
Vierge ce que le Très-Haut dit lors de la formation de nos premiers parents :
Il n'est pas bon que l'homme soit seul; faisons-lui un aide semblable à lui
(2). Et c'est ce que le Seigneur fit, comme il le put; de sorte que, parlant
dans cette occasion an nom du second Adam Jésus-Christ, il eut sujet de dire :
Voici l'os de mes os, et la chair de ma chair; elle s'appellera d'un nom.
qui marque l'homme, parce qu'elle a été prise de
l'homme (3). Je ne m'arrête pas à faire un plus long exposé de ce mystère,
puisqu'il se découvre de lui-même aux yeux de la raison ,
éclairée par la foi, et par la lumière divine, qui tonnait la ressemblance de
Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère.
788. Il y eut encore un
autre motif qui concourut à ce mystère; et, quoique je le mette ici le
troisième dans l'exécution, il fut pourtant le premier dans l'intention, parce
qu'il regarde la prédestination éternelle de notre Seigneur Jésus-Christ,
conformément à ce que j'ai dit dans la première partie. Car le motif de
(1) Coloss., I, 18; I
Tim., II, 6. —(2)
Gen., II,18. — (3) Ibid., 93.
36
l'incarnation du Verbe et de sa venue au monde pour y être l'exemplaire et le Maître
des créatures, et réaliser ainsi son premier objet, devait répondre à la
grandeur d'une telle oeuvre, qui était la plus grande de toutes, et la fin
immédiate à laquelle toutes devaient se rapporter. Or, afin que la divine
Sagesse gardât cet ordre et cette proportion, il était convenable que parmi
les simples créatures il y en eût une qui remplit les conditions posées par la
volonté du Seigneur, en sa détermination de venir être notre Maître et nous
élever à la dignité d'enfants adoptifs par sa doctrine et par sa grâce (1). Et
si Dieu n'eût pas fait la très-pure Marie en la
prédestinant entre les créatures par un degré de sainteté en rapport avec
l'humanité de son très-saint Fils, le monde ne lui
aurait pas offert ce motif par lequel (pourrions-nous dire dans notre grossier
langage) il colorait et justifiait son dessein de s'humaniser, suivant l'ordre
et le mode que nous a manifestés sa toute-puissance., Je fais réflexion ici
sur ce qui arriva à Moïse portant les tables de la loi, écrites du doigt de
Dieu (2) : quand il eut vu due le peuple adorait le veau d'or, il les brisa,
regardant ces infidèles comme indignes d'un tel bienfait (3). Mais la loi fut
écrite depuis sur d'autres tables faites parla main des hommes (4), et
celles-ci furent conservées dans le monde. Les premières tables, formées par
la main du Seigneur, où sa loi fut écrite, furent brisées par le premier
(1) Galat., IV, 5. — (2) Exod.,
XXXI, 18. — (3) Exod., XXXII, 19. — (4)
Exod., XXXIV, 4.
37
péché;
et nous aurions été privés de la loi évangélique, si nous n'avions eu en
Jésus-Christ et en Marie d'autres tables faites d'une autre manière : Marie,
de la manière commune et ordinaire, et Jésus-Christ par le concours de la
volonté et de la substance de cette auguste Dame (1). De sorte que si elle ne
se fût point montrée digne de concourir et de coopérer à la détermination de
cette loi, nous ne l'aurions point reçue.
759. La volonté de notre
Seigneur Jésus-Christ embrassait toutes ces fins si relevées avec la plénitude
de sa science et de sa grâce divine, enseignant les mystères de la loi
évangélique à sa bienheureuse Mère. Et, afin qu'elle fût
non-seulement instruite de tous, mais aussi des différentes manières
d'entendre cette même loi, et qu'elle devint une si savante disciple qu'elle
pût elle-même être ensuite une maîtresse consommée et la Mère de la Sagesse
(2), le Seigneur se servait de divers moyens pour l'éclairer. Quelquefois
c'était par cette vision abstractive de la Divinité, qui lui fut dès lors plus
fréquente; et quand elle ne l'avait point, il lui restait comme une vision
intellectuelle, plus habituelle et moins claire que l'autre. Et dans l'une et
l'autre elle connaissait distinctement toute l'Église militante, suivant
l'ordre des événements successifs qu'elle avait traversés depuis le
commencement du monde jusqu'à l'incarnation, et suivant le développement
qu'elle devait avoir jusqu'à la fin du monde, et ensuite dans la félicité
éternelle. Cette connaissance
(1) Luc., I, 88. — (2) Eccles., XXIV, 24.
38
était
si claire et si distincte, quelle s'étendait sur tous les saints et les justes
et sur tous ceux qui se distingueraient dans l'Église, comme les apôtres, les
martyrs, les patriarches des religions, les docteurs, les confesseurs et les
vierges. Notre Reine les connaissait tous individuellement aussi bien que
leurs couvres, leurs mérites, la grâce qu'ils auraient, et la récompense qui
devait y correspondre.
790. Elle connut aussi les
sacrements que son très-saint Fils voulait
instituer en sa sainte Église, l'efficace qu'ils auraient, les effets qu'ils
produiraient en ceux qui les recevraient, selon leurs différentes
dispositions; et comme le tout dépendait de la sainteté et des mérites de sou
adorable Fils et notre Restaurateur (1), elle eut de même une connaissance
claire de toute la doctrine qu'il devait prêcher et enseigner; des Écritures
anciennes et de celles qui étaient à venir; de tous les mystères qu'elles
renferment dans les quatre sens, savoir, le littéral, le moral, l'allégorique
et l'anagogique, et de tout ce que les interprètes en devaient écrire. En
outre, cette divine disciple pénétrait beaucoup d'autres choses; et elle
comprit que cette science lui était communiquée afin qu'elle fût la Maîtresse
de la sainte Église, comme elle la fut effectivement en l'absence de son
très-saint Fils après sa glorieuse Ascension, et
afin que les nouveaux fidèles réengendrés en la grâce eussent en cette auguste
Dame une Mère amoureuse qui prit soin de les nourrir
(1) Joan., I, 16.
39
au sein
de sa doctrine comme avec un lait très-doux,
aliment propre des enfants (1). De sorte que, pendant ces dix-huit ans qu'elle
demeura avec son Fils, elle reçut et digéra, pour ainsi dire, la substance
évangélique, qui est la doctrine de notre Sauveur Jésus-Christ, qu'elle
recevait de ce mime Seigneur. Et, après l'avoir goûtée (2) et en avoir
apprécié la force, elle en tira le doux aliment nécessaire pour nourrir la
primitive Église, dont les jeunes enfants n'étaient pas encore assez forts
pour prendre la nourriture solide de la doctrine, des Écritures et de
l'imitation parfaite de leur Maître et Rédempteur. Et comme je dois traiter de
cette matière dans la troisième partie, où elle trouvera sa place, je ne m'y
étends pas ici davantage.
791. Indépendamment de ces
visions et de ces illuminations, notre grande Reine recevait l'enseignement de
son très-saint Fils en deux manières, dont j'ai
déjà fait mention : d'abord, par la contemplation du miroir de son âme
très-sainte et de ses opérations intérieures, et
en quelque façon de la science même qu'il avait de toutes les causes; et
c'était là un nouveau moyen par lequel elle apprenait les desseins du
Rédempteur et Auteur de la sainteté, et les décrets relatifs à ce qu'il devait
opérer par lui-même et par ses ministres dans l'Église. Ensuite par
l'instruction extérieure et de vive voix : car le Seigneur conférait avec sa
diane Mère de toutes les choses qu'il lui avait
(1) I
Petr., II,2. — (2) Prov., XXXI, 18.
40
manifestées
en son humanité et en la Divinité. Il lui communiquait tout ce qui regardait
l'Église jusque dans les moindres détails, et même les choses qui devaient
correspondre aux temps et aux événements de la loi évangélique, du paganisme
et des fausses sectes. Il informa de tout sa divine Disciple et notre auguste
Maîtresse. De sorte qu'avant que le Seigneur eût commencé à prêcher, la sainte
Vierge était versée en sa doctrine et l'avait déjà pratiquée avec une
très-haute perfection; car la plénitude des
oeuvres de cette grande Reine répondait à celle de sa sagesse et de sa
science; et celle-ci fut si profonde, si pénétrante, si infaillible, que,
comme elle n'ignorait rien, elle ne se trompa jamais ni dans ses idées ni dans
ses paroles; n'omettant rien de nécessaire, n'ajoutant rien de superflu, elle
ne prit jamais un ternie pour un autre, et n'avait pas besoin de réfléchir
pour parler et pour expliquer les plus profonds mystères des Écritures,
lorsqu'elle fut obligée de le faire dans la primitive Église.
Instruction que la divine Mère me donna.
792. Ma fille, le
Très-Haut, qui par lui-même a donné l'être et le donne à toutes les créatures,
ne refusant à aucune sa grande providence, est, par un effet de sa bonté et de
sa clémence, très-fidèle à répandre
41
sa
lumière sur toutes les âmes, afin qu'elles puissent entrer dans le chemin de
sa connaissance, et par là même dans celui de la vie éternelle (1), si elles
n'y mettent aucun obstacle et n'obscurcissent cette même lumière par leurs
péchés, qui leur font abandonner la conquête du royaume des cieux. Mais il se
montre plus libéral envers ces âmes qu'il appelle par ses secrets jugements
dans son Église (2); car il leur communique dans le baptême, avec la grâce de
ce sacrement, des vertus qu'on appelle essentiellement infuses et, qu'elles ne
sauraient acquérir par elles-mêmes; et d'autres qui sont accidentellement
infuses et qu'elles pourraient acquérir par leurs oeuvres en coopérant à la
grâce; mais le Seigneur les leur donne par anticipation , afin qu'elles soient
plus promptes et plus ferventes à observer la sainte loi. Outre cette lumière
commune de la foi, il ajoute à d'autres âmes, par sa clémence, d'autres dons
particuliers et surnaturels d'une plus grande connaissance et d'une vertu plus
relevée, pour les avancer en la pratique des bonnes œuvres et leur faire
connaître les mystères de la loi évangélique. Et en ce bienfait il s'est
montré plus libéral envers vous qu'envers une foule de générations : de sorte
qu'il vous a obligée par là de vous distinguer en l'amour et en la
correspondance que vous lui devez, et d'être toujours humiliée et abîmée dans
votre propre néant.
793. Et, afin que vous
soyez avertie de tout, je
(1) Joan., I, 9. — (2) Matth., XI, 12.
42
veux,
par un soin et par un amour maternel, vous découvrir, comme Maîtresse, la ruse
avec laquelle l'ennemi tâche de renverser les oeuvres du Seigneur car aussitôt
que la créature est arrivée à l'usage de la raison, elle est suivie par
plusieurs démons vigilants et obstinés. Ainsi, au moment même où les âmes
devraient élever leur entendement à la connaissance de Dieu et entreprendre
les oeuvres des vertus infuses dans le baptême, ces ennemis de leur salut font
avec une fureur et une adresse incroyables leurs efforts pour leur arracher
cette divine semence; et, s'ils n'en peuvent venir à bout, ils tâchent ait
moins d'en empêcher le fruit en portant les hommes à des actions vicieuses,
inutiles et puériles. Par cette méchanceté ils les détournent d'user de la
foi, de l'espérance et des autres vertus; de faire réflexion qu'ils sont
chrétiens, et de s'attacher à la connaissance de leur Dieu et des mystères de
la rédemption et de la vie éternelle. En outre, ils inspirent aux parents une
nonchalance criminelle et un amour aveugle pour leurs enfants, et suggèrent
aux précepteurs d'autres négligences, afin que les uns et les autres ne
prennent point garde aux défauts qu'ils devraient corrigée, et qu'ils laissent
ces pauvres enfants contracter plusieurs mauvaises habitudes et perdre les
vertus et leurs bonnes inclinations, de sorte qu'ils prennent le chemin de la
damnation.
794. Mais le miséricordieux
Seigneur ne manque pas de parer à ce danger en redoublant la lumière
intérieure par de nouveau secours et par de saintes inspirations :
43
par la
doctrine de la sainte Église, par ses prédicateurs et par ses ministres; par
l'usage et par le remède efficace des sacrements, et par d'autres moyens qu'il
applique pour les remettre dans le chemin de la vie. Et si avec tant de,
remèdes il y a si peu d'hommes qui recouvrent la santé spirituelle, la cause
la plus puissante qui les en prive se trouve dans l'empire fatal des vices et
des passions désordonnées auxquels ils se sont livrés dès leur jeune âge. Car
cette sentence du Deutéronome est véritable: La vieillesse sera comme les
jours de la jeunesse. C'est ainsi que les démons s'enhardissent et
prennent un empire plus tyrannique sur les âmes, convaincus due, comme ils se
les sont assujetties lorsqu'elles avaient de moindres péchés, ils se les
assujettiront plus facilement encore quand elles en commettront sans crainte
beaucoup de plus énormes. De sorte qu'ils ne cessent de les y pousser et de
leur inspirer une nouvelle témérité, parce que la créature diminue ses forces
spirituelles à mesure qu'elle augmente le nombre de ses péchés, et elle se
soumet de plus en plus au démon, c'est-à-dire à un ennemi acharné qui acquiert
sur elle un pouvoir absolu, et l'enchaîne si cruellement à sa corruption et à
sa misère, qu'elle succombe sous le poids de son iniquité et se laisse
entraîner au gré de son vainqueur de précipice en précipice, d'abîme en abîme
: juste châtiment infligé à celle qui s'y est assujettie par le premier
péché(1). C'est par ces moyens que Lucifer a jeté
(1) Ps. XLI, 7.
44
un si
grand nombre d'âmes dans les enfers, et qu'il y en précipite chaque jour,
s'élevant en son orgueil contre Dieu (1). Il a introduit par là dans le monde
sa tyrannie et l'oubli des quatre fins de l'homme, la mort, le jugement,
l'enfer, le paradis : et il a 'roulé tant de nations d'abîme en abîme, jusqu'à
les faire tomber dans des erreurs aussi brutales que le sont toutes les
hérésies et toutes les fausses sectes des infidèles. Prenez donc bien garde,
ma fille, à ce danger formidable, et faites en
sorte de ne perdre jamais le souvenir de la loi de Dieu, de ses commandements
(2), des vérités catholiques et de la doctrine évangélique. Ne laissez passer
aucun jour sans en employer une bonne partie à les méditer; conseillez à vos
religieuses d'en faire de même, aussi bien qu'à tous ceux à qui vous parlerez;
car le démon, leur ennemi, travaille sans relâche à obscurcir leur entendement
(3) et à lui faire oublier la loi divine, afin qu'il ne conduise point la
volonté, qui est une puissance aveugle, aux actes propres à assurer la
justification que l'on acquiert par une foi vive, par une ferme espérance, par
un amour fervent et par un coeur contrit et humilié (4).
(1)
Ps. LXXIII, 23. — (2) Ps. CXVIII, 92. — (3) I Petr., V, 8. — (4) Ps. I, 19.
45
CHAPITRE VIII. Où il est déclaré comment notre grande Reine pratiquait la
doctrine de l'Évangile, que son
très-saint Fils lui enseignait.
735. Notre adorable
Sauveur, commençant à sortir de l'enfance, croissait en âge et en oeuvres,
accomplissant en toutes et en chacune ce que le Père éternel lui avait
recommandé pour le salut des hommes. Il ne parlait point en public, et il ne
faisait pas non plus alors en Galilée des miracles aussi éclatants que ceux
qu'il avait faits auparavant en Égypte, ou que ceux qu'il fit dans la suite.
Mais il opérait toujours secrètement de grands effets dans les âmes et clans
les corps de beaucoup de personnes. Il visitait les pauvres et les malades; il
consolait les affligés, et il conduisait ceux-là aussi bien que plusieurs
autres au salut éternel, les éclairant par des conseils particuliers, et les
excitant par des inspirations et des faveurs intérieures à se convertir à leur
Créateur, et à s'éloigner du démon et de la mort. Ses bienfaits étaient
continuels, et c'est pour les répandre qu'il sortait souvent de la maison de
sa bienheureuse Mère. Et, quoique les hommes remarquassent qu'ils étaient émus
et renouvelés par sa présence et par ses paroles, néanmoins, comme ils
46
ignoraient
le mystère, ils en étaient fort surpris, ne sachant à qui en attribuer la
cause, sinon à Dieu même. L'auguste Maîtresse de l'univers connaissait, dans
le miroir de l'âme très-sainte de son Fils et par
d'autres voies, toutes les merveilles qu'il faisait; et, se trouvant seule
avec lui, elle l'adorait toujours prosternée , et lui eu rendait ales actions.
de grâces.
796. Le
très-doux Jésus passait le reste du temps avec sa
Mère, l'employant à faire oraison, à l'enseigner et à lui communiquer les
soins qu'il prenait ale son cher troupeau (1), les mérites qu'il voulait
multiplier pour son remède, et les moyens qu'il avait résolu d'appliquer à son
salut. La très-prudente Mère était attentive à
tout, et y coopérait par sa haute sagesse et par son amour divin, en prenant
sa part dans les offices de père, de frète, d'ami, de mitre, d'avocat, de
protecteur et de restaurateur, qu'il commençait à remplir en faveur du genre
humain. Ces communications avaient lieu ou par paroles ou par les opérations
intérieures, par le moyen (lesquelles le Fils et la Mère se parlaient et
s'entendaient aussi. Le divin Enfant lui disait :
Ma Mère, le résultat de mes oeuvres, sur lequel je veux établir
l'Église, doit être une doctrine et une science dont l'adoption et la mise en
pratique procureront la vie et le salut (les hommes; une loi sainte, efficace
et puissante pour enlever le mortel venin que Lucifer a jeté dans leur coeur
avec le premier péché. Je veux qu'ils se spiritualisent
(1) Joan., X, 14.
au moyen
de mes préceptes et de mes conseils; qu'ils s'élèvent à nia participation et à
ma ressemblance; qu'ils soient les dépositaires de mes trésors dans l'état de
leur mortalité, et qu'ils arrivent ensuite à la participation de ma gloire
éternelle. Je veux renouveler dans le monde la loi que j'ai donnée à Moïse, et
lui communiquer une plus grande perfection, une nouvelle lumière et une
efficace spéciale, afin qu'elle renferme des préceptes et des conseils. »
797. La divine Mère
connaissait avec une très-profonde science tous
ces projets du Maître de la vie, les recevait, les honorait, et en témoignait
sa reconnaissance avec un très-grand autour au nom
de tout le genre humain. Et comme le Seigneur lui découvrait tous ces grands
mystères en général, et chacun en particulier, elle connaissait en mégie temps
l'efficace qu'il donnerait à tous aussi bien qu'à la loi de l'Évangile; et,
pénétrant les effets que cette même loi produirait dans les âmes si elles
l'observaient, et la récompense qu'elles acquerraient, elle lit dès lors
toutes ses actions comme si elle les eût faites pour chacun des hommes. Elle
connut distinctement les quatre Évangiles, avec leur texte spécial et les
mystères que chacun des évangélistes écrirait. Elle comprit toute leur
doctrine : car sa science surpassait celle des évangélistes mêmes et des
autres écrivains sacrés; de sorte qu'elle eût pu être leur maîtresse, et leur
exposer la première toutes ces choses sans avoir besoin de leurs récits. Elle
sut aussi que cette science
(48)
était
comme tirée de celle de Jésus-Christ, et que par elle les Évangiles qu'on
allait écrire étaient comme copiés en son âme et s'y trouvaient en dépôt,
comme les tables de la loi dans l'Arche du Testament (1), afin qu'ils tinssent
lieu de légitimes et véritables originaux à tous les saints et à tous les
justes de la loi de grâce : parce qu'ils devaient tous imiter la sainteté et
les vertus de l'auguste Marie, qui se trouvait dans les trésors de la grâce.
798. Son divin Maître lui
fit aussi comprendre l'obligation qu'il lui imposait d'opérer et d'exécuter
toute cette doctrine avec une sublime perfection pour les
très-hautes fins qu'il avait dans ce rare bienfait. Et s'il fallait
raconter ici avec combien d'excellence et d'exactitude notre grande Reine
l'accomplit, il faudrait renfermer dans ce chapitre toute sa vie, puisqu'elle
fut un sommaire de l'Évangile tiré de son Maître, son propre Fils. Qu'on tâche
de voir ce que cette doctrine a opéré dans les apôtres, dans les martyrs, dans
les confesseurs, dans les vierges et dans les autres saints qui ont para, et
ce qu'elle doit opérer dans tous ceux qui paraîtront jusqu'à la tin du monde;
personne ne saurait le déclarer ni comprendre, excepté le Seigneur même. Or
considérons que tous les saints et tous les justes ont été conçus dans le
péché; que tous ont mis quelque obstacle à la grâce; que nonobstant cela ils
out pu croître en vertus, en sainteté et en perfection. Mais ils offraient
toujours des vides
(1) Hebr., IX, 1.
49
où cette
grâce ne se trouvait point, tandis que notre auguste Princesse n'eut aucun de
ces défauts en la sainteté (1); elle seule fut une matière parfaitement
disposée, sans aucune forme qui contrariât l'action du puissant bras du
Seigneur et qui s'opposât à ses dons elle reçut sans embarras et sans
résistance le torrent impétueux de la Divinité (2), qui lui était communiqué
par son propre Fils, Dieu véritable. C'est assez dire que nous ne parviendrons
que dans la claire vision du Seigneur, et dans cette félicité.
éternelle, à connaître d'une manière satisfaisante
la sainteté et l'excellence de cette merveille de son pouvoir infini.
799. Or, j'ai beau vouloir
déclarer maintenant quelque chose de ce qui m'en a été manifesté, mime en m'en
tenant à des généralités, je ne trouve point de termes pour m'exprimer; car
notre grande Reine gardait les préceptes et les conseils de l'Évangile selon
la profonde intelligence qu'elle en avait reçue, et il n'est aucune créature
qui puisse connaître la sublimité de la science de cette Mère de la sagesse eu
la doctrine de Jésus-Christ : le peu que nous en concevons surpasse tout ce
que nous en pouvons dire. Mais mettons ici pour exemple la doctrine de ce
premier sermon que, comme le rapporte saint Matthieu (3) au chapitre
cinquième, le Maître de la vie fit à ses disciples sur la montagne, en y
comprenant l'abrégé de la perfection évangélique, sur laquelle il
(1) Rom., V, 12; I Joan., I, 8. — (2) Ps. XLV, 5. — (3) Matth., V, 2.
50
établissait
son Église, et en déclarant bienheureux tous ceux qui suivraient cette
doctrine.
800 Bienheureux, dit
notre divin Maître, sont les pauvres d'esprit, car le royaume du ciel est à
eux (1). Ce fut le premier et le solide fondement de toute la vie
évangélique. Et bien que les apôtres, et après eux notre père saint
801. La seconde était
celle-ci : Bienheureux sont ceux qui ont l'esprit doux, car ils auront la
terre pour héritage (2). En cette doctrine et en sa pratique la
(1) Matth., V, 3. — (2) Ibid., 4.
51
très-pure
Marie surpassa par son incomparable douceur,
non-seulement tous les mortels, comme Moïse tous ses contemporains (1),
mais les anges et les séraphins eux-mêmes, parce que cette candide colombe fut
en chair mortelle plus exempte de trouble et de colère en son intérieur et en
ses puissances que les esprits qui ne sont point doués de notre sensibilité.
Elle fut à ce degré inexplicable maîtresse de ses puissances et des opérations
de son corps terrestre aussi bien que des coeurs de tous ceux qui
l'abordaient, et elle possédait la terre en toutes
les manières, l'assujettissant à sa douce et paisible obéissance. La troisième
: Bienheureux sont ceux qui pleurent, car ils seront consolés (2).
L'auguste Marie connut l'excellence des larmes et leur valeur aussi bien que
la folie et le danger de la vaine joie du monde (3) au-dessus de tout ce qu'on
peut dire : en effet, tandis que tous les enfants d'Adam, conçus dans la faute
originelle et ensuite souillés par les péchés actuels, s'abandonnent à la joie
et au plaisir, cette divine Mère, exempte qu'elle était de tout péché, comprit
que la vie mortelle était pour pleurer l'absence du souverain Bien et les
péchés qui ont été et qui sont commis contre lui : elle les pleura amèrement
pour tous, et ses très-innocentes larmes
méritèrent les consolations et les faveurs qu'elle reçut du Seigneur. Son
coeur très-pur fut toujours en proie à la douleur
à la vue des offenses
(1) Num., XII, 8. — (2) Matth., V, 8. — (8) Ps. CXXV, 8; Prov., XIV, 13.
52
qu'on
faisait à son bien-aimé et son Dieu éternel; de sorte que ses yeux en
donnaient des marques continuelles (1), et son pain ordinaire (2) était de
pleurer jour et nuit les ingratitudes que les pécheurs commettaient contre
leur Créateur et leur Rédempteur. La cause des gémissements et des larmes se
trouve, à cause du péché, dans les créatures, et celle de la joie et de la
consolation, en Marie par la grâce , et cependant
toutes les créatures ensemble n'ont plus pleuré que la Reine des anges.
802. En la quatrième
béatitude, qui rend bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice
(3), nôtre divine Dame pénétra le mystère de cette faim et de cette soif, qui
furent plus grandes en elle que le dégoût qu'en ont eu et qu'en auront tous
les ennemis de Dieu. Car, parvenue au faite de la justice et dé la sainteté,
elle aspira toujours à s'élever davantage; elle était toujours altérée de
mérites, et à cette soif répondait la plénitude de grâce dont le Seigneur la
rassasiait en lui versant le torrent de ses trésors et la douceur de la
Divinité. En la cinquième béatitude, des miséricordieux, parce qu'ils
obtiendront miséricorde (4) de Dieu, elle eut un degré si excellent et si
noble, qu'il n'a pu se trouver qu'en elle ; c'est pourquoi on l'appelle la
Mère de la miséricorde, comme Dieu est appelé le Père des miséricordes (5). De
sorte qu'étant très-innocente et sans aucun péché
pour lequel elle
(1) Jerem., IX, 1. — (2) Ps.
XLI, 4. — (3) Matth., V, 6. — (4) Ibid.,
V, 7. — (5) II Cor., I, 3.
53
eût
besoin de solliciter la miséricorde du Seigneur, elle eut pitié de tout le
genre humain à un point incompréhensible, et par cette pitié elle le secourut.
Et comme elle connut par la plus haute science toute l'excellence de cette
vertu, elle n'a refusé et ne refusera jamais de l'exercer envers ceux qui
l'imploreront (1), imitant très-parfaitement Dieu
en cela, comme aussi dans le zèle avec lequel elle allait au-devant de leurs
nécessités pour leur offrir le remède.
803. La sixième béatitude,
qui regarde ceux qui ont le coeur pur, pour voir Dieu (2), fut réalisée
en la sainte Vierge d'une manière incomparable; car elle était élue comme le
soleil (3), imitant à la fois le véritable Soleil de justice et l'astre
matériel qui nous éclaire, et qui ne se souille point par les immondices de
notre globe; ni le coeur, ni les puissances de notre pudique Princesse ne
reçurent jamais la moindre image des choses impures : ces sortes d'impressions
étaient comme impossibles cri elle, à cause de la sainteté de ses
très-chastes pensées; c'est cet état qui
détermina, dès le premier instant, cette vision de la Divinité dont jouit son
coeur, ainsi que les autres faveurs dont il est fait mention dans cette
histoire, quoiqu'elles ne pussent être que passagères et intermittentes à
cause de sa qualité de voyageuse. La septième béatitude, celle des
pacifiques, qui seront appelés les enfants de Dieu (4)
, fut accordée à notre Reine
(1) Isa., XXX, 18 ;
Ps., LVIII, 18. — (2) Matth., V, 8. — (3) Cant.,
VI, 9. — (4) Matth., V, 9.
54
avec une
sagesse admirable, car elle en avait besoin pour conserver la paix de son
coeur et dé ses puissances dans les alarmes et les tribulations de la vie, de
la passion et de la mort de son très-saint Fils.
Dans toutes ces occasions aussi bien que dans les autres elle montra, comme un
portrait vivant, le calme de ce pacifique Seigneur. Jamais elle ne se troubla
d'une manière désordonnée, et, restant toujours la Fille parfaite du Père
céleste, elle sut supporter les plus grandes peines avec une paix inaltérable.
C'est surtout par l'excellence de ce don qu'elle mérita le titre de Fille du
Père éternel. La huitième béatitude, qui s'applique à ceux qui soufrent
persécution pour la justice (1), se trouva en notre
très-sainte Dame dans le plus haut degré possible car lorsque les
hommes ôtèrent l'honneur et la vie à son adorable Fils et Seigneur de
l'univers pour leur avoir prêché et enseigné la justice, et cela dans les
circonstances qui accompagnèrent cet attentat, il n'y eut que Dieu et la seule
Marie qui le souffrirent avec quelque égalité, puisqu'elle était la véritable
Mère de son très-cher Fils, comme le Seigneur en
était le Père. Cette grande Dame fut la seule qui imita sa Majesté dans la
souffrance de cette persécution, persuadée qu'elle devait pratiquer jusque-là
la doctrine que son divin Maître enseignerait dans l'Évangile.
804. Voilà comment je puis
faire comprendre jusqu'à un certain point ce que j'ai appris de la science
(1) Matth., V, 10.
55
que
notre grande Dame apportait dans la méditation et dans la pratique de la
doctrine de l'Évangile. Et ce que je viens de dire des béatitudes pourrait
aussi être appliqué aux préceptes, aux conseils, et aux paraboles de
l'Évangile, tels que les préceptes d'aimer nos ennemis, de pardonner les
injures, de faire les bonnes oeuvres sans ostentation , de fuir l'hypocrisie
(1), tous les conseils qui tendent à la perfection ; les paraboles du trésor,
de la perle, des vierges, du semeur, des talents (2), et tous les mystères que
les quatre Évangiles renferment. Car elle en pénétra toute la doctrine, aussi
bien que les très-hautes fins auxquelles notre
divin Maître rapportait ces choses; elle sut aussi tout ce qui était le plus
saint et le plus conforme à sa divine volonté,-et comment on le devait
pratiquer; et elle agit en conséquence sans en omettre un seul point (3). De
sorte que nous pouvons appliquer à cette auguste
Dame ce que notre Seigneur Jésus-Christ a dit de lui-même, savoir qu'il
n'était pas venu détruire la loi, mais l'accomplir (4).
(1) Matth., V, 44 ; VI, 3, 15 ; Luc., XVII, 4. —
(2) Matth., XIII, 44 et 45; XXV, 1, 15; Luc., XIX,
13. — (3) Matth., V, 17, etc. — (4) Ibid.,
17.
56
Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.
805. Ma fille, il faut que
le véritable maître de la vertu enseigne ce qu'il exerce, et qu'il exerce
lui-même ce qu'il enseigne aux autres; car l'instruction et l'action sont les
deux parties de ses fonctions. Si les paroles enseignent l'auditeur, l'exemple
l'excite et le convainc en même temps de l'objet de la leçon qu'il apprend à
mettre en pratiqué. C'est ce que fit mon très-saint
Fils, et ce que je fis aussi à son imitation. Mais comme sa divine Majesté ni
moi non plus ne devions pas toujours demeurer au monde, elle voulut laisser
les saints Évangiles comme une copie de sa vie et de la mienne aussi, afin que
les enfants de la lumière, croyant en cette même lumière et la suivant (1),
conformassent leur vie à celle de leur Maître par l'observance de la doctrine
évangélique qu'il leur laissait; en effet, le Seigneur a reproduit dans sa
propre vie toutes les leçons qu'il m'a enseignées et qu'il m'a ordonné de
pratiquer à son imitation. Voilà l'importance des sacrés Évangiles, pour
lesquels vous devez avoir une très-grande estime
et une très-haute vénération. Car je veux que vous
sachiez que pour mon très-saint Fils et pour moi,
il est également doux et glorieux de voir ses divines paroles, et celles qui
renferment l'histoire de sa vie, dignement estimées et
(1) Joan., XII, 36.
57
révérées
des hommes; et qu'au contraire le Seigneur regarde comme une grande injure que
les enfants de l'Église méprisent les Évangiles et sa doctrine, comme le font
tant de chrétiens qui ne comprennent, ne considèrent et ne reconnaissent point
ce bienfait, et qui n'en font non plus de cas que s'ils étaient païens, ou
s'ils n'avaient point la lumière de la foi.
806. Vos obligations sont
grandes à cet égard, parce que je vous si avertie de l'estime que je faisais
de la doctrine évangélique, et des soins que je prenais de la mettre en
pratique, et si en cela vous n'avez pas pu connaître tout ce que j'opérais et
pénétrais, car votre capacité ne saurait aller jusque-là, du moins je vous ai
témoigné par mes communications plus de bonté qu'à aucune nation. Travaillez
donc avec le plus grand zèle à y correspondre, et à ne point perdre l'amour
que vous avez conçu par l'étude des sacrées Écritures, et surtout par celle
des Évangiles, et de la très-haute doctrine qu'ils
contiennent. Elle doit être, cette doctrine, la lampe allumée dans votre coeur
(1), et ma vie vous doit servir d'exemplaire, sur lequel vous règlerez la
vôtre. Considérez combien il vous importe de le faire avec toute la diligence
possible, et que si vous le faites, mon très-saint
Fils en recevra une grande satisfaction, et je m'engagerai de nouveau à
exercer envers vous l'office de mère et de maîtresse. Craignez le danger
auquel s'exposent ceux qui ne sont point attentifs aux inspirations divines,
car une
(1) Ps. CXVIII, 105.
58
infinité
d'âmes se perdent par cette inattention. Et les appels que vous fait la
miséricorde libérale du Tout-Puissant sont si
fréquents et si admirables, que si vous n'y répondiez pas, votre grossière et
coupable indifférence serait horrible aux yeux du Seigneur, aux miens et à
ceux de ses saints.
CHAPITRE IX. Où il est déclaré comment la
très-pure
Marie connut les articles de foi que la sainte Église devait croire, et ce que
cette auguste Dame fit à la suite de cette faveur.
807. Le fonderaient
immuable de notre justification , et le principe de
toute sainteté, c'est la foi aux vérités que Dieu a révélées à sa sainte
Église; c'est sur cette base solide qu'il les a établies, comme un
très-prudent architecte qui bâtit sa maison sur la
pierre ferme, afin qu'en cas d'inondation, les torrents les plus impétueux ne
puissent point l’ébranler (1). Tel est le secret de la stabilité (2) de cette
invincible Église évangélique, catholique et romaine, qui est une : une, en
l'unité de la foi, de l'espérance
(1)
Luc., VI, 48. — (2) I Tim., III, 15.
59
et de
la charité qui y règnent (1); une, sans ces divisions et ces contradictions
que l'on découvre dans toutes les synagogues de Satan (2), c'est-à-dire dans
toutes les fausses sectes et dans toutes les hérésies, qui sont si pleines de
ténèbres et d'obscurités, que non-seulement elles
se combattent les unes les autres et choquent toutes la raison, mais encore,
que chacune se combat elle-même par ses propres erreurs, en affirmant et
croyant des choses si opposées, que les unes détruisent les autres. Notre
sainte foi ne cesse de triompher de toutes ces fausses sectes, sans que les
portes de renier prévalent un instant contre elle (8), quelques efforts que le
démon ait faits et puisse faire pour l'attaquer, et pour en cribler les
fidèles comme on crible le froment, ainsi que Maître de la vie le dit à son
vicaire saint Pierre (4), et en lui à tous ses successeurs.
808. Afin que notre Reine
et Maîtresse reçût une parfaite connaissance de toute la doctrine évangélique
et de la loi de,grâce, il fallait faire entrer dans
l'océan de ces merveilles et de ces grâces la connaissance de toutes les
vérités catholiques qui devaient être crues des fidèles au temps de la
prédication de l'Évangile, et notamment celle des articles auxquels ces mêmes
vérités sont réduites comme à leurs principes. Car tout cela trouvait place
dans la capacité de cette auguste Dame; tout
pouvait être confié à son incomparable
(1) Ephes., IV, 5 ; I Cor., I, 18. — (2) Apoc., II, 9. — (3) Matth., XVI, 18. — (4) Luc., XXII, 31.
60
sagesse,
jusqu'aux articles et ana vérités catholiques qui la regardaient, et que l'on
devait croire dans l'Église; aussi connut-elle. toutes, ces choses, comme je
le dirai plus tard, avec les circonstances des temps, des lieux, des moyens et
des manières, au milieu desquelles elles se succéderaient dans les siècles
futurs, au moment opportun où la manifestation en serait nécessaire. Or, pour
en informer cette bienheureuse Mère, et particulièrement de cet articles, le
Seigneur lui donna une vision de la Divinité sous cette forme abstractive dont
j'ai parlé en d'autres endroits, et elle y découvrit les profonds mystères que
cachent les jugements impénétrables du Très-Haut et de sa providence; elle y
sut aussi avec combien de douceur dans son infinie bonté avait dispensé le
bienfait de la sainte foi infuse, afin que les hommes, privés de la vue de la
Divinité, pussent tous indistinctement la connaître sans peine et en peu de
tempe, sans attendre ni chercher cette connaissance parla science naturelle,
d'ailleurs si bornée, que fort peu de personnes acquièrent. Mais notre foi
catholique, dès le premier usage de la raison, nous élève à la connaissance,
non-seulement de la Divinité en trois personnes,
mais de l'humanité de notre Seigneur Jésus-Christ,
et des moyens qu'il a établis pour nous faire arriver à la vie
éternelle: connaissance que ne sauraient acquérir les sciences
humaines , toujours stériles et impuissantes, si
elles ne sont fécondées et vivifiées par la vertu de la foi divine.
809. Dans cette vision
nôtre grande Reine approfondit
61
tous ces
mystères et tout ce qu'ils contiennent; elle apprit encore que la sainte
Église recevrait dès sa naissance les quatorze articles de la foi catholique,
et qu'elle définirait ensuite à divers époques plusieurs vérités, qui étaient
renfermées dans ces mêmes articles et dans les saintes Écritures, comme en
leurs racines, qui étant cultivées produisent leurs fruits. Après avoir connu
tout cela dans le Seigneur, elle le vit en sortant de l'extase dont je viens
de parler, par une autre. vision ordinaire que j'ai
aussi mentionnée; savoir en l'âme, très-sainte de
Jésus-Christ; et elle découvrit que toutes les parties de ce plan divin
étaient tracées d'avance dans l'entendement du souverain Architecte. Puis elle
en conféra avec sa Majesté, elle sut comment elles seraient exécutées, et
quelle serait la première à les adopter par une croyance expresse et parfaite,
et à l'instant elle fit une profession spéciale de chacun des articles de foi.
Dans le premier des sept concernent la Divinité, elle comprit par la foi que
le véritable Dieu était unique, indépendant, nécessaire, infini,
immense en ses attributs et en ses perfections, immuable et éternel ; et
combien il était juste et nécessaire que les hommes crussent et confessassent
cette vérité. Elle rendit des actions de grâces pour la révélation de cet
article, et pria son très-saint Fils de continuer
: cette faveur envers le genre humain, et de donner des grâces Aux hommes,
afin qu'ils la reçussent et qu'ils connussent la véritable Divinité. Par cette
lumière infaillible (quoique obscure) elle apprécia le péché de l’idolâtrie,
63
qui
ignore cette vérité , et elle le pleura avec une amertume et une douleur
inexprimables; et voulant le réparer, elle fit avec ardeur des actes de foi et
de vénération qu'elle adressa au seul et véritable Dieu; elle en fit aussi
plusieurs autres de toutes les vertus qu'exigeait cette connaissance.
810. Le second article, qui
est de croire qu'il est Père
, elle le crut de même , et elle comprit qu'il était donné
afin que les mortels passassent de la connaissance de la Divinité à celle de
la Trinité des personnes divines, ainsi que des autres articles qui
l'expliquent et la supposent, et que par là ils parvinssent à connaître
parfaitement leur dernière fin, comment ils en doivent jouir, et les moyens
d'y arriver. Elle découvrit que la personne du Père ne pouvait point procéder
d'une autre, qu'elle était comme l'origine de tout, et que pour ce sujet on
lui attribue la création du ciel et de la terre, aussi bien que de toutes les
autres créatures, comme à Celui qui, sans principe lui-même, est le principe
de tout ce qui a l’être. Notre divine Dame rendit pour cet article des actions
de grâces su nom de tout le genre humain, et fit tout ce que cette vérité
demandait. Le troisième article, qui nous oblige de croire que le même Dieu
est Fils, cette Mère de la grâce le crut avec une lumière et une connaissance
très-particulière des processions au dedans; dont
la première dans l'ordre d'origine est la génération éternelle du Fils, qui
est engendré par l'acte de l'entendement, et qui fa été de toute éternité du
seul Père, auquel il est non point inférieur,
63
mais
égal en la divinité, en l'éternité, en l'infinité et tous les attributs. Le
quatrième article, qui est de croire qu'il est
Esprit-Saint, elle le crut et le pénétra en sachant que la
troisième personne du Saint-Esprit procède du Père et du Fils comme d'un
principe par l'acte de la volonté, étant égal aux deux personnes, sans qu'il y
ait entre les trois aucune autre différence que la distinction personnelle,
qui résulte des émanations et des processions infinies de l'entendement et de
la volonté. Et quoique la très-pure Marie eût déjà
puisé des notions spéciales sur ce mystère dans les visions dont j'ai parlé
ailleurs, elles lui furent renouvelées cette fois avec l'indication des
détails et des circonstances qui en devaient faire des articles de foi en la
nouvelle Église; et avec l'intelligence des hérésies que Lucifer dresserait
contre ces articles, telles qu'il les avait forgées dès qu'il fut tombé du
ciel, et qu'il eut appris que le Verbe allait s'incarner. Notre auguste
Princesse offrit des actes sublimes contre toutes ces erreurs, en la manière
que j'ai marquée plus haut (n° 123).
811. Le cinquième article,
qui dit que le Seigneur est Créateur, la très-pure
Marie le crut, en concevant qu'encore que la création de toutes les choses
soit attribuée au Père, elle est pourtant commune à toutes les trois
personnes, en ce qu'elles sont un seul Dieu infini et tout-puissant; que les
créatures dépendent de lui seul en leur être et en leur conservation, et
qu'aucune, fût-ce un ange, n'a le pouvoir d'en créer une autre, fût-ce un
vermisseau, en la tirant
64
du néant
(c'est là proprement la création), parce que celui-là seul qui est indépendant
en son être peut opérer sans aucune dépendance d'une autre cause quelconque.
Elle prévit le besoin que l'Église aurait de cet article contre les tromperies
de Lucifer, afin que Dieu fût honoré et reconnu pour l'auteur de toutes
choses. Le sixième article le déclare Sauveur; elle le pénétra de nouveau.
avec tous les mystères de la prédestination, de la
vocation et de la justification finale qu'il renferme, et qui regardent aussi
les réprouvés, qui, pour n'avoir pas profité des moyens salutaires que la
miséricorde divine leur avait donnés et leur donnerait, perdraient la félicité
éternelle. Cette très-fidèle Dame comprit aussi
que le titre de Sauveur appartenait sua trois personnes
divines , mais surtout, à celle du Verbe -en tant qu'homme, parce qu'il
devait se livrer pour le prix de la rédemption; et que Dieu accepterait son
sacrifice comme une satisfaction suffisante pour les péchés originel et
actuels. Cette grande Reine méditait tous les sacrements et tous les mystères
que la sainte Église devait recevoir et croire : et dans la connaissance
qu'elle en avait, elle faisait des actes très-relevés
de plusieurs vertus. Dans le septième article, qui le proclame glorificateur,
elle pénétra ce qu'il promettait aux mortels relativement à la félicité qui
leur était préparée dans la jouissance et dans la vision béatifique et combien
il leur importe de croire cette vérité; pour se disposer à acquérir cette
gloire, et de ne point se regarder comme habitants de la terre, mais comme
65
pèlerins
et citoyens du ciel (1), afin de se consoler par cette foi et par cette
espérance au milieu des tristesses de leur exil.
812. Notre grande Reine eut
une égale connaissance des sept articles qui regardent l'humanité ; mais ce
fut avec de nouveaux effets en son très-candide et
très-humble coeur. Car à propos du premier, qui
dit que son très-saint Fils fut conçu en tant
qu'homme par l'opération du Saint-Esprit ; comme ce mystère s'était opéré
dans son sein virginal, la très-prudente Dame
éprouva, en sachant que ce serait un article de foi en la sainte Église
militante aussi bien que les autres points qui suivent, des sentiments
inexplicables. Elle s'humilia au-dessous de toutes les créatures et jusqu'au
centre de la terre, elle descendit par la méditation dans le néant d'où elle
avait été tirée, elle creusa de nouveaux fondements d'humilité pour le haut
édifice que la droite du Tout-Puissant bâtissait
dans sa très-sainte Mère, je veux dire pour la
plénitude de science infuse et de perfection excellente dont il la comblait.
Elle loua le Très-Haut et lui rendit des actions de grâces pour elle-même et
pour tout le genre humain, de ce qu'il avait choisi un moyen si admirable et
si efficace, de s'attirer tous les coeurs, en obligeant les hommes, après
avoir opéré ce bienfait, à l'avoir présent parla foi chrétienne. Elle en fit
de même pour le second article, qui déclare que notre Seigneur Jésus-Christ
est né de Marie.
(1) Ephes., II, 19.
66
vierge avant, pendant et après l'enfantement.
Elle considéra ce mystère de son inviolable virginité dont elle faisait une si
grande estime, et du choix que le Seigneur avait fait d'elle pour sa Mère,
dans ces conditions et entre toutes les créatures; la dignité et la convenance
de ce privilège, tant pour la gloire du Seigneur que pour son propre honneur,
enfin la certitude de foi catholique avec laquelle la sainte Église
enseignerait et professerait tous ces points; mais on ne saurait élever le
langage à la sublimité des actes et des oeuvres qu'elle fit clans la créance
et l'intelligence de toutes ces vérités et des autres, car elle traita chacun
de ces mystères avec la plénitude de magnificence, de culte, de foi, de
louange et de gratitude qu'il demandait, s'humiliant et s'abîmant toujours
plus dans le néant à mesure qu'elle était plus glorifiée.
813. Le troisième article
porte que notre Seigneur Jésus-Christ a souffert la mort et la passion. Le
quatrième, qu'il est descendu aux enfers, et qu’il délivra les
dores des saints Pères qui étaient dans les limbes
en attendant sa venue. Le cinquième, qu'il est ressuscité des morts. Le
sixième, qu'il est monté aux cieux et qu'il est assis à la droite du Père
éternel. Le septième, qu'il viendra de là juger les vivants et les morts au
jugement universel, pour donner à chacun ce qu'il aura mérité par ses ouvres.
L'auguste Marie crut et connut ces articles comme tous les autres; elle en
pénétra la substance , l’ordre, les convenances, et
découvrit le besoin que les hommes avaient de cette foi.
67
Elle
seule en a rempli le vide et a suppléé aux manquements de tous ceux qui n'ont
point cru et qui ne croiront point, aussi bien qu'à notre tiédeur à croire les
divines vérités , en leur donnant l'estime, la vénération et les effets de
reconnaissance qu'elles exigent. L'Église appelle cette grande Reine
bienheureuse, non-seulement parce qu'elle crut
l'ambassadeur du ciel (1), mais aussi parce qu'elle crut ensuite les articles
qui se formulèrent et se réalisèrent dans son sein virginal, et elle les crut
pour elle-même et pour tous les enfants d'Adam. Elle fut la Maîtresse de la
foi, et celle qui, à la vue des courtisans célestes, arbora l'étendard des
fidèles dans le monde. Elle fut la première reine catholique de l'univers, et
celle qui n'aura point de semblable. Mais les véritables catholiques
trouveront en elle une Mère assurée, puisqu'ils sont par ce titre spécial ses
enfants; et ils en seront convaincus s'ils l'invoquent clans leurs besoins,
car il est constant que cette miséricordieuse Mère, cette généralissime de la
foi catholique, regarde avec un amour singulier ceux qui l'imitent en cette
grande vertu , en sa propagation et en sa défense.
814. Ce discours serait
fort long si je devais raconter tout cc qui m'a
été déclaré de la foi de notre grande Dame, de ses caractères et de la science
consommée avec laquelle elle pénétrait en général et en particulier les
quatorze articles et les vérités catholiques qui s'y trouvent renfermées. Les
entretiens
(1) Luc., I, 45.
68
qu'elle
avait sur ces articles avec son divin maître Jésus, les humbles et discrètes
questions qu'elle lui adressait sur le même sujet, les réponses qu'elle
recevait de cet adorable Seigneur, les profonds secrets qu'il lui révélait
avec la plus tendre complaisance, et tant d'autres communications ineffables
et mystérieuses; qui ne se passaient qu'entre le Fils et la Mère, sont autant
de choses divines que je ne saurais exprimer. Il m'a été déclaré d'ailleurs
qu'il n'est pas convenable de les découvrir toutes pendant cette vie mortelle.
Mais tout ce nouveau et divin Testament fut mis en dépôt en la
très-pure Marie, et elle seule garda
très-fidèlement ce trésor, pour le dispenser à
propos selon les nécessités de la sainte Église (1). Heureuse et fortunée Mère
! si le fils qui est sage est la joie de son père
(2), qui pourra dire celle que vous fit éprouver la gloire que procurait au
Père éternel son Fils unique, de qui vous étiez Mère par les mystères de ses
oeuvres, que vous connûtes dans les vérités de la sainte foi de l'Église?
Instruction que la
très-sainte Vierge me donna.
815. Ma fille, on ne
saurait connaître dans l'état de la vie mortelle ce que je sentis par la foi
et par la
(1) Matth., XIII, 52. — (2)
Prov, I, 1.
69
connaissance infuse du Symbole que mon adorable Fils destinait à la sainte Église ,
ni ce que mes facultés opérèrent en cette créance. Il est inévitable que les
termes vous manquent pour exposer ce que vous en avez appris, parce que tous
ceux qui tombent sous le sens sont trop faibles pour donner une juste idée de
ce mystère. Mais ce que je vous ordonne est ce que vous pouvez faire avec le
secours divin, et c'est de garder avec la plus respectueuse sollicitude le
trésor que vous avez trouvé en la doctrine et en la science de mystères si
augustes (1). Car comme Mère, je vous avertis des ruses homicides dont vos
ennemis se servent pour tilcher de vous l'enlever.
Faites donc en sorte qu'ils vous trouvent revêtue de force (2), et que vos
domestiques, qui sont vos sens et vos puissances, aient un double vêtement :
savoir, une bonne garde intérieure et extérieure, qui résiste aux attaques des
tentations (3). Les armes offensives avec lesquelles vous pourrez vaincre ceux
qui vous font la guerre, doivent être les articles de la foi catholique. En
effet, le continuel exercice que l'on en fait, la ferme créance, la méditation
et l'attention que l'on y donne, éclairent les esprits, bannissent les
erreurs, découvrent les embûches de Satan, et les détruisent comme les rayons
du soleil dissipent les plus légères vapeurs; et en outre l’âme y puise un
aliment solide et une nourriture spirituelle qui l'anime et la tortille pour
les combats du Seigneur (4).
(1) Matth., XIII, 44. — (2)
Prov., XXXI, 17; ibid., 21. — (3) I
Petr., V, 9. — (4)
70
816. Que si les fidèles ne
ressentent point ces effets de la foi, et même plusieurs autres qui seraient
et plus grands et plus admirables, il ne faut pas l'attribuer à son défaut
d'efficace; cela vient uniquement de ce que des fidèles eux-mêmes, les uns se
laissent aller à une telle insouciance, et les autres se livrent si
aveuglément à une vie toute charnelle et animale (1), qu'ils ne profitent
point du don le plus précieux, et ne songent guère à en user plus que s'ils ne
(avaient pas reçu. De sorte qu'ils perdent peu à peu la foi, en vivant comme
les infidèles, dont ils déplorent avec raison le malheur et l'ignorance,
tandis qu'ils deviennent eux-mêmes beaucoup plus méchants par cette horrible
ingratitude, et par le mépris qu'ils font d'un bienfait si grand et si
inestimable. Pour vous, ma très-chère fille, je
veux que vous le reconnaissiez avec une profonde humilité et avec une ardente
affection, que vous en usiez continuellement par des actes héroïques, et que
vous méditiez sans cesse les mystères que la foi vous enseigne, afin que vous
jouissiez sans aucun empêchement terrestre des très-doux
et divins effets qu'elle produit. Vous les éprouverez ces effets, d'autant
plus efficaces et plus puissants, que la connaissance que la foi vous donnera
sera plus vive et plus pénétrante. Et en apportant de votre côté ce zèle et
cette docilité qui vous regardent, vous aurez une plus grande lumière des
profonds et admirables mystères de l'être de Dieu
(1) I Cor., II, 14.
71
trin
et un; de l'union hypostatique des deus natures divine et humaine, de la vie,
de la mort et de la résurrection de mon très-saint
Fils; aussi bien que de tous les autres mystères qu'il a opérés. Et par là
vous goûterez leur douceur, et vous cueillerez une abondance de fruits, qui
seront dignes du repos et de la félicité éternels (1).
CHAPITRE X. La
très-pure Marie eut une nouvelle lumière des dix commandements. — Comment elle
profita de ce bienfait.
817. Comme les articles de
la foi catholique appartiennent aux actes de l’entendement dont ils sont
l'objet, de même les commandements regardent les actes de la volonté. Et
quoique tous les actes libres dépendent de la volonté dans toutes les vertus
infuses et acquises, ils n'en sortent néanmoins pas de la même manière; car
les actes de la foi libre naissent immédiatement de l'entendement qui les
produit, et ne relèvent de la volonté qu'en ce qu'elle les ordonne par une
affection pure, sainte, pieuse et respectueuse
(1) Ps. XXXIII, 9.
72
car les
objets et les vérités obscurs n'entraînent point l'adhésion de l'entendement
au point de les lui faire croire sans la participation de la volonté; c'est
pourquoi il attend sa décision. Mais dans les autres vertus la volonté agit
par elle-même, et n'exige autre chose de l'entendement, si ce n'est qu'il lui
montre ce qu'elle doit faire, comme un guide précède avec son flambeau. Après
quoi elle reste maîtresse, si absolue et si libre, que l'entendement ne
saurait lui faire la. loi , et, due personne ne
saurait la violenter. Le Très-Haut l'a disposé de la sorte, afin qu'aucun
homme ne le servit avec tristesse, ou par nécessité
et par force, mais que tous le servissent librement, sans contrainte et avec
joie, comme dit l'apôtre (1).
818. L'auguste Marie ayant
été si divinement éclairée sur les articles et les vérités de la foi
catholique, afin qu'elle fût aussi renouvelée en la science des dix
commandements, elle eut une autre vision de la Divinité en la manière que j'ai
marquée au chapitré précédent. Elle y découvrit avec une plus grande plénitude
et avec plus de clarté tous les mystères des préceptes du Décalogue, comment
ils étaient décrétés dans l'entendement divin, pour conduire les hommes à la
vie éternelle, comment Moïse les avait reçus sur les deux tables (2) : savoir,
sur la première les trois commandements qui concernent le culte dû à Dieu
lui-même, et sur la seconde les sept commandements qui regardent le prochain.
Elle vit ensuite que son
(1) I Cor., IX, 7. — (2) Exod.,
XXXI, 18; Deut.. V,
22
73
très-saint
Fils, le Rédempteur du monde, les devait imprimer de nouveau dans les coeurs
des hommes, en commençant à les faire observer dans toute leur étendue par
cette grande Dame, qui connut aussi leur rang et leurs rapports, et la
nécessité où sont les fidèles de se conformer à l'ordre qu'ils ont entre eux,
pour arriver à la participation de la Divinité (1), Elle eut une merveilleuse
intelligence de l'équité, de le sagesse et de la justice avec lesquelles les
commandements étaient établis par la volonté divine (2), et comprit mieux que
jamais que c'était une loi sainte, sans tache, douce, facile, pure, véritable
et accommodée pour les créatures (3); parce qu'elle était si juste et si
conforme à la nature capable de raison, qu'on la pouvait et devait embrasser
avec estime et avec joie, et enfin que l'auteur de cette même loi avait
destiné la grâce pour aider les hommes à l'observer (4). Cette incomparable
Reine connut dans cette vision plusieurs autres mystères
très-relevés qui regardaient l'état de la sainte Église, et ceux qui y
observeraient les divins commandements, aussi bien que ceux qui les
transgresseraient, qui les mépriseraient et qui chercheraient des prétextes
pour ne pas les garder.
819. La
très-innocente colombe sortit de cette vision
enflammée du zèle, et transformée par l'amour de la loi divine. Elle alla
trouver aussitôt son très
(1) II Petr., I, 4. — (2) Rom., VII, 12. — (3) Ps.
XVIII, 8;
Matth., XI, 80. — (4) Ps. CXVIII, 142; Ps.
XVIII, 9;
Jerem.,
XXXI, 33;
74
saint
Fils, dans l'intérieur duquel elle la connut de nouveau, et vit comment il
l'avait disposée dans les décrets de sa sagesse et de sa volonté, pour la
renouveler en la loi de grâce (1). Elle discerna en outre par une vive
illumination le bon plaisir du Seigneur, et le désir qu'il avait qu'elle fût
l'image de tous les préceptes que cette même loi contenait. Il est vrai que
notre grande Reine avait, comme je l'ai dit plusieurs fois, une science
habituelle de tous ces mystères, afin qu'elle en usât continuellement; mais
c'était la un fonds quelle voyait se renouveler, s'agrandir et s'enrichir de
jour en jour. Car comme l'extension et la profondeur des objets étaient
presque immenses, il restait toujours comme un champ infini, où elle pouvait
étendre la vue de son intérieur et découvrir de nouveaux secrets. Notre divin
Maître lui en révéla plusieurs dans cette occasion ,
en lui exposant ça sainte loi, ses préceptes et le parfait enchaînement que
l'Église militante donnerait à ses mystères. Il l'éclairait sur chacun par une
fouie de détails particuliers, et par une effusion de nouvelles lumières. Et
quoique les bornes de notre capacité ne nous permettent pas d'embrasser des
mystères si vastes et si relevés, il n'y en eut pourtant aucun qui ait échappé
à notre auguste Princesse, aussi ne devons-nous pas mesurer sa
très-profonde science à l'étroitesse de notre
entendement.
820. Elle se présenta avec
beaucoup d'humilité
(1) Matth., V, 17.
75
devant
son très-saint Fils, et, d'un coeur prêt à lui
obéir dans l'observation de ses commandements, elle le pria.
de l'enseigner et de la favoriser de son divin
secours pour exécuter tout ce qu'il y ordonnait. Sa Majesté lui répondit : «
Ma Mère, mon élue et ma
prédestinée par ma volonté et par ma sagesse éternelle pour être le sujet des
plus grandes complaisances de mon Père, à qui je suis égal quant à ma
divinité; notre amour éternel, qui nous a porté à communiquer notre divinité
aux créatures en les élevant à la participation de notre gloire et de
notre félicité, a établi cette loi sainte et pure comme la voie par où les
hommes pourront parvenir à la fin pour laquelle les a créés notre clémence (1)
; et ce désir que nous avons, ma bien-aimée, reposera en vous et se réalisera
pleinement dans votre coeur, où notre divine loi sera gravée avec tant de
force et de netteté, qu'elle ne pourra jamais être obscurcie ni effacée, et
que son efficace ne sera en rien ni empêchée ni affaiblie, comme chez les
autres enfants d'Adam. Sachez, ma chère Sulamite,
que cette loi est toute pure et sans tache (2), et que nous la voulons déposer
en un sujet très-pur en qui nos pensées et nos
œuvres seront glorifiées. »
821. Ces paroles, qui
curent en la divine Mère l'efficace de ce qu'elles renfermaient, la
renouvelèrent et la déifièrent par la connaissance et par la pratique des dix
commandements, et en particulier de leurs
(1) Ezech., XX, 11. — (2) Ps. XVIII, 8.
76
mystères.
De sorte que, donnant son attention. à la lumière céleste et soumettant sa
volonté à son divin Maître, elle approfondit le premier et le plus grand de
tous les commandements : Vous aimerez le Seigneur votre Dieu de tout votre
coeur, de toute votre âme et de toutes vos forces, comme ensuite
l'écrivirent les évangélistes (1), et comme auparavant Moïse l'avait écrit
dans le Deutéronome (2) avec lés conditions dont le Seigneur l'accompagna; car
il ordonna aux Hébreux d'en conserver les termes dans leur coeur, et aux pères
de les enseigner à leurs enfants; de les méditer assis dans la maison et
marchant dans le chemin, en dormant et en veillant, et de les avoir toujours
présentes devant les yeux intérieurs de l'âme. Notre Reine, dis-je, connut ce
commandement de l'amour de Dieu, et l'accomplit avec les conditions et avec
l'efficace que sa Majesté attendait d'elle. Et si aucun des enfants des hommes
n'est parvenu en cette vie à l'accomplir dans toute sa perfection, la
très-pure Marie au moins, dans sa chair mortelle,
a atteint ni! degré plus élevé que les plus hauts
et les plus embrasés séraphins, et que tous les bienheureux qui sont dans le
ciel. Je ne m'étends pas ici davantage sur cette matière, parce que j'ai déjà
dit quelque chose de la charité de cette grande Dame dans la première partie,
en parlant de ses vertus. Mais ce fut particulièrement dans cette occasion
qu'elle pleura avec une extrême
(1) Matth., XXII, 37; Marc., XII, 29; Luc., X, 27.
— (2) Deut., VI, 5, 6, 7 et 8.
77
douleur
les péchés que l'on commettrait dans le monde contre ce grand commandement, et
qu'elle se chargea de réparer par son amour toutes les fautes par lesquelles
les hommes l'enfreindraient.
822. Après ce premier
commandement viennent les deux autres, qui sont, le second, de ne point
déshonorer le Seigneur en jurant son saint nom en vain, et le troisième, de
l'honorer en gardant et sanctifiant ses fêtes. La Mère de la Sagesse pénétra
et comprit ces commandements, les grava avec beaucoup d'humilité et de piété
dans son coeur, et leur donna le suprême degré de vénération et de culte de la
Divinité. Elle pesa dignement l'injure que la créature faisait à l’être
immuable de Dieu et à sa bonté infinie en jurant par elle en vain ou à faux,
ou en le blasphémant en lui-même et en ses saints contre l'honneur qui est dû
à sa divine Majesté. Et, dans la douleur qu'elle ressentit à la vue de la
témérité avec laquelle les hommes violaient et violeraient ce précepte, elle
pria les saints anges qui l'assistaient de recommander de sa part à tous les
autres gardiens des enfants de la sainte Église de préserver les personnes que
chacun d'eux gardait de commettre cette offense contre Dieu, et de leur donner
des inspirations et des lumières pour les empêcher de tomber dans ce malheur;
ou de se servir d'autres moyens, comme de les intimider par la crainte du
Seigneur (1), afin qu'ils ne blasphémassent point son saint nom. Elle leur
recommanda en
(1) Ps. CXVIII, 120.
78
outre de
prier le Très-Haut de combler de ses plus douces et de ses plus abondantes
bénédictions ceux qui s'abstiennent de jurer en vain et qui honorent son
Étre immuable. Et cette
très-miséricordieuse Dame faisait alors la même prière avec beaucoup de
ferveur.
823. A
l'égard de la sanctification des fêtes, qui est le troisième commandement, la
Reine des anges eut connaissance dans ces visions de toutes celles qu'on
devait célébrer dans la sainte Église, et des cérémonies particulières par
lesquelles on les solenniserait. Et quoiqu'elle eût commencé dès qu'elle fut
arrivée en Égypte à célébrer celles qui regardaient les mystères précédents
(comme je l'ai dit en son lieu), elle en célébra pourtant d'autres par suite
de cette connaissance, comme celle de la très-sainte
Trinité, celles qui étaient également dédiées à son Fils et celles des auges;
alors elle les conviait à solenniser avec elle ces fêtes aussi bien que les
autres que la sainte Église établirait, et pour chacune elle offrait au
Seigneur des hymnes de louange et de reconnaissance. Ces jours qui étaient
spécialement destinés pour le culte divin, elle les employait tout entiers eu
ce même culte. Ce n'est pas que ses actions corporelles empêchassent jamais
les opérations et les attentions admirables de sou esprit, mais elle
s'appliquait à pratiquer ce qu'elle comprenait qu'on devait faire pour
sanctifier les fêtes du Seigneur, et se plaçait d'avance au point de vue de la
loi de grâce, car elle voulut avec une sainte émulation et une prompte
obéissance se conformer par
79
anticipation à tout ce qu'elle contiendrait, comme la première disciple du Rédempteur
du monde.
824. L'auguste Marie eut la
même intelligence des sept commandements qui regardent notre prochain. Elle
connut dans le quatrième, qui nous oblige d'honorer nos parents, tout ce qu'il
renfermait sous le nom de parents, et elle considéra qu'après l'honneur dû à
Dieu vient immédiatement celui que les enfants leur doivent; et qu'il leur est
ordonné de les respecter et de les secourir, comme, les pères et mères sont
obligés de soigner leurs enfants. Dans le cinquième commandement, qui défend
le meurtre, cette Mère compatissante apprécia de même combien ce précepte
était juste, parce que le Seigneur est auteur de la vie et de l'être de
l'homme, et qu'il n’a entendu donner à personne aucun pouvoir sur sa propre
vie et encore moins sur celle de son prochain, qu'on n'a nullement le droit ni
de tuer ni même de blesser. Et, comme la vie est le premier bien de la nature
et le fondement de la grâce, elle loua le Seigneur d'avoir promulgué ce
commandement en faveur des mortels. la voyant en
eux les ouvrages de Dieu (1), des créatures capables de sa grâce et de sa
gloire, et rachetées au prix du sang que sou Fils verserait et offrirait pour
elles (2), elle fit de ferventes prières pour obtenir l'observation de ce
précepte dans l'Église. Notre très-pure Dame
saisit tous les caractères du sixième commandement, comme les bienheureux qui
ne trouvent
(1) Sap., II, 23; Eccles., XV,
14 , etc. — (2) I Petr., I, 19.
80
plus en
eux-mêmes le danger de la faiblesse humaine, mais qui le remarquent chez les
mortels, et qui le prévoient sans qu'il les touche. C'est des plus sublimes
hauteurs de la grâce que cette très-sainte Vierge
le regardait et le connaissait à l'abri de cette concupiscence rebelle qu'elle
ne put contracter, parce qu'elle en fut miraculeusement préservée. Les
sentiments de pur amour que conçut cette grande partisane de la chasteté, en
pleurant les péchés des hommes contre cette vertu, furent tels, qu'elle blessa
de nouveau le coeur du Seigneur (1), et qu'elle consola, pour ainsi dire, son
très saint fils des offenses que les mortels lui feraient par la violation de
ce précepte. Mais, sachant que son observation s'étendrait en la loi de
l'Évangile jusqu'à établir des communautés de vierges et de religieux qui
promettraient de garder cette vertu de chasteté, elle pria le Très-Haut de les
enrichir du trésor de ses bénédictions. Et c'est ce que sa divine Majesté a
fait par l'intercession de cette très-pure Darne,
en leur réservant la récompense particulière qui revient à la virginité, parce
qu'ils ont suivi celle qui a été Vierge et Mère de l'Agneau (2). Et comme elle
prévoyait que sous la loi évangélique elle aurait dans le culte de cette vertu
une foule d'imitateurs, elle en rendit avec une joie singulière de
très-grandes actions de grâces au Seigneur. Je ne
m'arrête pas davantage à rapporter combien elle estimait cette
vertu , parce que j'en ai dit quelque chose en la
première partie et ailleurs.
(1) Cant., IV, 9. — (2) Ps. XLIV, 15.
81
825. Pour ce qui est des
autres. commandements, qui sont, le septième, de ne
point dérober; le huitième, de ne dira aucun faux témoignage; le neuvième, de
ne point désirer la femme de son prochain; le dixième, de ne point désirer ses
biens ni aucune chose qui lui appartienne; l'auguste Marie en eut une
intelligence aussi merveilleuse que des précédents. Elle faisait pour chacun
des actes généreux de ce qu'en demandait l'accomplissement, louant et
remerciant le Seigneur, au nom de tous les hommes, de ce qu'il les conduisait
avec tant de sagesse et d'efficace à sa félicité éternelle par une loi si
conforme à leurs besoins et si bienfaisante, qu'en l'observant ils ne
s'assuraient pas seulement la récompense qui leur était promise pour toujours
dans la gloire, mais qu'ils pouvaient aussi jouir pendant cette vie d'un calme
et d'une tranquillité qui les rendraient en quelque façon bienheureux. En
effet, si toutes les créatures raisonnables se conformaient à l'équité de la
loi divine et se résolvaient à la garder, elles goûteraient ici-bas un bonheur
et des délices ineffables dans le témoignage de la bonne conscience (1), car
toutes les jouissances humaines ne sauraient être comparées à la consolation
qu'éprouvent ceux qui sont fidèles à observer les petites et les grandes
choses de la loi (2). Nous sommes redevables à notre Rédempteur Jésus-Christ
de ce bienfait, puisqu'il nous a mérité la grâce de faire le bien, la
satisfaction intérieure, la paix, la consolation
(1) II Cor., I, 12. — (2) Matth., XIV, 21.
82
et
plusieurs autres bonheurs dont nous pouvons jouir même dès cette vie. Et si
tous ne les reçoivent pas, cela vient de ce qu'on ne garde pas ses
commandements. Car toutes les disgrâces et toutes les calamités des hommes
sont comme autant d'effets inséparables de leurs désordres; et, pendant que
chacun y contribue de son côté, nous sommes tellement aveugles, que si quelque
affliction nous arrive, nous en cherchons ailleurs la cause, qui se trouve
pourtant en nous-mêmes.
826. Serait-il possible de
raconter les dommages que causent dans cette vie le larcin et la transgression
du commandement qui le défend, et qui nous oblige en même temps de nous
contenter tous de. notre sort et d'y espérer le
secours du Seigneur, qui n'abandonne pas les oiseaux (1) ni les plus
misérables vermisseaux? Combien de misères et d'afflictions ne souffrent pas
les peuples chrétiens par l'ambition des princes, qui ne se contentent pas des
royaumes que le souverain Roi de l'univers leur a donnés ! Mais ils prétendent
encore étendre leur puissance et leurs couronnes au delà; ils bannissent dit
monde la paix et la tranquillité, appauvrissent les familles, dépeuplent les
provinces et fout périr une infinité d'âmes. Les faux témoignages et les
mensonges, qui offensent la suprême vérité et enveniment les relations
humaines, produisent tout autant de maux et de discordes qui troublent et
ravagent les cours des mortels. Et tout
(1) Matth., VI, 26.
83
cela les
rend incapables de préparer à leur Créateur la demeure qu'il voudrait y
établir comme dans son temple (1). La convoitise de la femme d'autrui,
l'odieux adultère, la violation de la sainte loi du mariage, confirmée et
sanctifiée par notre Seigneur Jésus-Christ dans le sacrement (2), n'ont-ils
pas causé et ne causent-ils pas encore tous les jours de
très-grands malheurs secrets et publics parmi les catholiques? Et sans
doute beaucoup de ces péchés sont cachés aux yeux du monde; mais quand ils le
seraient même davantage, ils ne le seront jamais aux yeux de Dieu, qui, étant
un juge très-équitable, ne laissera pas passer ces
péchés sans les châtier en cette vie; et s'il ne les châtie pas maintenant
autant qu'ils le méritent, pour ne pas détruire la république chrétienne, il
est certain que plus sa Majesté les aura dissimulés eu ce monde, plus ses
jugements seront rigoureux en l'autre (3).
827. Notre grande Reine
voyait toutes ces vérités, les regardant dans le Seigneur. Et quoiqu'elle
connût la lâcheté des hommes, qui manquent si imprudemment et pour des choses
si viles à l'honneur et au respect qu'ils doivent à Dieu, et qu'elle
considérât d'ailleurs que sa Majesté a pourvu avec tant de bonté à leurs
besoins en leur imposant des lois si saintes et si importantes, cette
très-prudente Dame ne se scandalisa pourtant pas
de la fragilité humaine; elle n'était
(1) I Cor., III, 17. — (2)
Matth., XIX, 4, etc. — (2) Ps. VII, 12;
84
même pas
surprise de nos ingratitudes; toujours Mère tendre, elle portait au contraire
compassion à tous les mortels et les aimait avec la plus ardente affection;
elle reconnaissait pour eux les oeuvres du Très-Haut, réparait par avance les
transgressions qu'ils commettraient contre la loi évangélique, intercédait en
leur faveur, et demandait su Seigneur que cette même loi fût parfaitement
observée de tous. Elle comprit admirablement que tout le Décalogue se résumait
en ces deux commandements, savoir, d'aimer Dieu de tout son coeur et le
prochain comme soi-même (1), et qu'étant bien entendus et bien pratiqués, on y
trouve la véritable sagesse, puisque celui qui les accomplit n'est pas loin du
royaume de Dieu, comme l'a dit le Seigneur dans l'Évangile (2). Elle connut
aussi que l'observation de ces deux préceptes doit être préférée à tous les
holocaustes et à tous les sacrifices. Et elle proportionna à cette science
qu'elle eut la pratique de cette sainte loi, telle que la contiennent les
Évangiles, sans en omettre ni les commandements, ni les conseils; ni la plus
petite chose. De sorte que cette divine Princesse accomplit à elle seule la
doctrine du Rédempteur du monde son très-saint
Fils avec plus de perfection que tout le reste des saints et des fidèles de la
sainte Église.
(1) Matth., XXII, 40 ;
85
Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.
828. Ma fille, puisque le
Verbe du Père éternel était descendu de son sein pour prendre dans le mien
cette chair humaine par laquelle il allait racheter l'humanité, il fallait,
pour. éclairer ceux qui demeuraient dans les ténèbres et dans l'ombre de la
mort (1), et pour les conduire à la félicité qu'ils avaient perdue, que sa
Majesté fût leur lumière, leur voie, leur vérité et leur vie (2), et qu'elle
leur donnât une loi si sainte, qu'elle les justifiât; si claire, qu'elle les
illuminât; si assurée, quelle les fortifiât; si puissante, qu'elle les
excitât; si efficace, qu'elle les aidât; et si véritable, qu'elle communiquât
à tous ceux qui la gardent une joie et une sagesse solide. La
très-pure loi de l'Évangile a en ses préceptes et
en ses conseils une vertu singulière pour produire tous ces effets et
plusieurs autres admirables; et elle dirige de telle sorte les créatures
raisonnables, que tout leur bonheur spirituel et corporel, temporel et éternel
ne consiste qu'à la garder (3). Vous découvrirez par là cette ignorance
aveugle des mortels dont leurs ennemis irréconciliables se servent pour les
tromper (4) : puisque les hommes aspirant avec tant d'ardeur à leur propre
félicité, il en est cependant si peu qui l'acquièrent; parce qu'ils ne la
cherchent pas dans la loi divine, où seulement ils peuvent la trouver.
(1) Luc., I, 79. — (2) Joan., XIV, 6. — (3) Prov., XXIX, 18. — (4)
Galat., III, 1.
86
829. Préparez votre coeur
par cette science, afin que le Seigneur y grave sa sainte loi (1), comme il
l'a gravée dans le mien, et qu'il vous éloigne de telle sorte de tout ce qui
est visible et terrestre, que toutes vos puissances se trouvent débarrassées
d'images étrangères, et ne soient occupées que de celles que le doigt du
Seigneur y aura imprimées, pour vous marquer sa doctrine et son bon plaisir,
que les vérités de l'Évangile renferment. Priez continuellement le Seigneur de
vous rendre digne de cette faveur et de la promesse de mon
très-saint Fils, afin que vos désirs ne soient
point stériles. Mais faites aussi réflexion que si vous manquiez à vous y
disposer, cet oubli serait en vous beaucoup plus blâmable qu'en tous les
autres vivants; puisque aucun n'a été attiré à son divin amour par d'aussi
douces violences et par d'aussi. grands bienfaits
que vous. Aux jours d'abondance comme dans la nuit de la tentation et de la
tribulation , songez à la dette que vous avez
contractée, songez à la jalousie du Seigneur, afin que vous ne soyez point
enflée par les faveurs ni abattue par les peines et par les afflictions; et
vous jouirez de cette bienheureuse égalité, si dans ces deux états vous vous
appliquez à la méditation de la divine loi écrite dans votre coeur, pour la
garder inviolablement, et avec toute la perfection qu'il vous sera possible.
En ce qui concerne l'amour du prochain, servez-vous toujours de cette première
règle avec laquelle on le doit mesurer quand
(1) Jerem., XXXI, 33.
87
on le
veut mettre en pratique; c'est de vouloir qu'il lui soit fait ce que vous
voudriez qu'on vous fit (1). Si vous souhaitez vivement qu'on pense ou qu'on
dise du bien de vous et qu'on vous en fasse, pratiquez la même chose envers
les autres. Si vous n'êtes pas bien aise qu'on vous offense en la moindre
chose, évitez de donner ce déplaisir à qui que ce soit. Et si vous n'approuvez
pas qu'une personne en fâche une autre, ne tombez pas vous-même dans ce
désordre; puisque vous savez que l'on transgresse ainsi la règle et le
commandement que le Très-Haut a établi. En outre, pleurez vos péchés et ceux
de votre prochain, parce qu'ils sont contre Dieu et contre sa sainte loi; car
c'est là une bonne charité à l'égard de Dieu et des hommes. Ressentez les
afflictions d'autrui comme les vôtres propres, m'imitant dans le fraternel
amour.
CHAPITRE XI. La
très-pure Marie eut l'intelligence des sept sacrements que notre Seigneur
Jésus-Christ devait instituer, et des cinq commandements de l'Église.
830. Pour achever la beauté
et mettre le comble aux richesses de la sainte Église, il fallut que son
(1) Matth., XXII, 39.
88
auteur
Jésus-Christ établit dans son sein les sept sacrements comme un dépôt commun
où seraient versés les trésors infinis de ses mérites, et où l'auteur même de
toutes ces merveilles se trouverait sous les voiles eucharistiques, par un
mystérieux mais réel et véritable mode d'assistance, afin que les fidèles se
nourrissent de ses biens, et se consolassent par sa présence, qui leur est un
gage de la vision dont ils espèrent jouir éternellement face à face. Il
fallait aussi, pour la plénitude de la science et de la grâce que l'auguste
Marie devait recevoir, que tous ces mystères et tous ces trésors fussent comme
enregistrés dans son coeur magnanime, afin qu'autant qu'il se pourrait, toute
la loi de grâce y fait mise en dépôt et imprimée, comme elle l'était en son
très-saint Fils; car c'est elle qui, en son
absence, devait être la Maîtresse de l'Église, et enseigner à ses premiers
enfants les dispositions scrupuleuses avec lesquelles on devait vénérer et
recevoir tous ces sacrements.
831. Notre grande Dame
découvrit tout cela par une nouvelle lumière dans l'intérieur de son
très-saint Fils, y pénétrant chaque mystère en
particulier. En premier lieu, elle connut que la dure loi de la circoncision
serait ensevelie avec honneur, et que le très-doux
et admirable sacrement du baptême prendrait sa place. Il lui fut manifesté que
l'unique matière de ce sacrement serait l'eau élémentaire, et que sa forme
consisterait dans les paroles par lesquelles il a été déterminé, avec la
spécification des trois personnes divines sous les noms de Père, de Fils, et
de Saint-Esprit,
89
afin que
les fidèles professassent la foi explicite de la
très-sainte Trinité. Elle connut la vertu que notre Seigneur
Jésus-Christ communiquerait au baptême, elle sut qu'il aurait une efficace
singulière pour purifier entièrement les hommes de tous leurs péchés, et les
délivrer des peines qu'ils auraient méritées en les commettant. Elle vit les
effets admirables qu'il produirait en tous ceux qui le recevraient, en les
régénérant, en les faisant renaître comme enfants adoptifs et héritiers du
royaume du Père céleste, en leur donnant par infusion les vertus de foi,
d'espérance, de charité et plusieurs autres; en imprimant par sa vertu dans
leurs âmes un caractère surnaturel et spirituel, qui servirait comme d'un
sceau royal pour marquer les enfants de la sainte Église; en un mot, la
bienheureuse Marie connut tout ce qui regarde ce sacrement et ses effets. Et
aussitôt elle le demanda à son très-saint Fils,
avec un très-ardent désir de le recevoir au moment
convenable: sa Majesté le lui promit, et le lui donna plus tard, comme je le
dirai en son lieu.
832. L'auguste Princesse
eut la même connaissance du sacrement de confirmation, qui est le second :
elle sut qu'on le donnerait dans la sainte Église après le baptême; parce que
celui-ci engendre premièrement les enfants de la grâce, et celui-là leur donne
le courage et la force de confesser la sainte foi qu'ils ont reçue dans le
baptême , leur augmente la première grâce, et leur
en ajoute une particulière pour sa propre fin. Elle connut la matière, la
forme, les ministres,
90
les
effets spirituels de ce sacrement, et le caractère qu'il imprime dans l'âme;
elle comprit que le chrême composé d'huile et de baume qui en fait la matière,
représente la lumière des bonnes couvres, et la bonne odeur de Jésus-Christ
(1), que les fidèles répandent par ces mêmes couvres en le confessant; et que
c'est aussi ce que signifient les paroles qui en constituent la forme, chaque
chose en sa manière. Dans la perception de toutes ces notions, notre grande
Reine faisait des actes sublimes de louange et de gratitude, qu'elle
accompagnait de ferventes prières qui partaient du fond de son coeur, afin que
tous les hommes vinssent puiser de l'eau de ces fontaines du Sauveur (2), et
jouissent de tant de trésors incomparables, en le connaissant et le confessant
pour leur Dieu véritable et pour leur Rédempteur. Elle pleurait amèrement la
perte lamentable de tant de personnes qui, à la vue de l'Évangile, seraient
privées par leurs péchés de tant de remèdes efficaces.
833. Quant su troisième
sacrement, qui est la pénitence, notre divine Dame apprécia la convenance et
la nécessité de ce moyen pour rétablir les âmes en la grâce et en l'amitié de
Dieu, attendu la fragilité humaine, par laquelle on perd si souvent ce trésor
inestimable. Elle connut les parties et,les
ministres que ce sacrement aurait, la facilité avec laquelle les enfants de
l'Église pourraient en user, et les effets admirables qu'il produirait. Et
pour témoigner
(1) II Cor., II, 15. — (2) Isa.,
XII, 3.
91
sa
reconnaissance de ce qui lui avait été découvert de ce bienfait, elle rendit,
comme Mère de miséricorde et des fidèles ses enfants, de singulières actions
de grâces au Seigneur, avec une joie incroyable de voir un remède si facile
pour des maladies aussi fréquentes que les péchés ordinaire des hommes. Elle
se prosterna, et su nom de l'Église elle reconnut et honora le saint tribunal
de la confession, où le Seigneur avait résolu et ordonné dans sa clémence
ineffable, que l'on terminerait une cause aussi importante pour les dînes, que
le sont la justification et la vie, ou la condamnation et la mort éternelle,
et laisse en conséquence aux prêtres le pouvoir d'accorder ou de refuser
l'absolution des péchés (1).
834. Notre
très-prudente Reine fut ensuite inities à une
connaissance toute particulière du sublime mystère et auguste. sacrement de
l'Eucharistie; et dans cette merveille, elle pénétra profondément plus de
secrets que les plus hauts séraphins, car elle y sut la manière surnaturelle
en laquelle l'humanité et la divinité de son très saint Fils seraient sous les
espèces du pain et du vin; la vertu des paroles, pour consacrer son corps et
son sang par le changement d'une substance en une autre; le maintien des
accidents en l'absence du sujet; la simultanéité de la présence de son
adorable Fils en tant d'endroits différents ; l'institution de l'auguste
mystère de la messe pour le
(1) Matth., XVIII, 18.
92
consacrer
et l'offrir en sacrifice au Père éternel jusqu'à la fin des siècles; le culte
d'adoration et les hommages que la sainte Église catholique lui rendait dans
un très-grand nombre de temples par tout le monde;
les favorables effets que cet adorable sacrement produirait en ceux qui,
quoique plus ou moins bien disposés, le recevraient dignement, et combien ces
effets seraient formidables pour ceux qui l'auraient reçu indignement. Elle
connut aussi la foi avec laquelle les catholiques accueilleraient cet
incomparable bienfait, et les erreurs que les hérétiques y opposeraient, et
surtout l'amour immense avec lequel son très-saint
Fils avait résolu de se donner en aliment de vie éternelle à chacun des
mortels.
835. Toutes ces révélations
et plusieurs autres fort relevées que la Reine du ciel eut sur le plus auguste
des sacrements, allumèrent dans son chaste cœur de nouveaux brasiers d'amour
dont l'ardeur dépasse l'intelligence humaine, et quoiqu'elle fit de nouveaux.
cantiques pour chacun des articles de foi et des autres sacrements qui lui
avaient été manifestés, elle épancha encore plus largement son cœur sur ce
grand mystère de l'Eucharistie; de sorte que, se prosternant, elle redoubla
ses effusions d'amour, ses hymnes de louange, ses témoignages d'humble
vénération pour mieux reconnaître un si haut bienfait, et en même temps ses
gémissements et les marques de sa douleur, à cause de ceux qui n'en
profiteraient pas et qui s'en serviraient pour leur propre damnation. Elle eut
des désirs si véhéments de voir
93
l'institution de cet adorable sacrement, que si la force du Très-Haut ne l'eût
soutenue, l'ardeur de ses sentiments aurait consumé sa vie naturelle, quoique
la présence de son très-saint Fils la prolongeât
et l'entretint jusqu'au temps marqué, en étanchant quelque peu sa soif
brûlante. Mais dès lors elle commença à s'y préparer, et demanda d'avance à sa
Majesté la communion de son corps eucharistique pour le moment où en aurait
lieu la consécration; et dans cette occasion elle lui dit : « Mon souverain
Seigneur et vie véritable de mon âme, pourrai-je mériter de vous
recevoir dans mon sein, moi qui ne suis qu'un petit vermisseau et que
l'opprobre des hommes? Serai-je assez heureuse que de vous recevoir de
noua veau dans mon corps et dans mon âme? Est-il possible que mon cœur vous
serve encore de demeure et de tabernacle, où vous reposerez, et où nous
jouirons, monde vos doux embrassements , et vous,
mon bien-aimé, de ceux de votre servante? »
836. Notre divin Maître lui
répondit : « Ma Mère et ma Colombe, vous me recevrez plusieurs fois
sous les espèces sacramentelles, et vous goûterez cette consolation
après ma mort et mon ascension, a car je ferai mon habitation continuelle dans
l'asile de votre très-chaste et
très-amoureux coeur, que j'ai choisi pour ma
demeure privilégiée et pour la a lieu de mes complaisances. » A cette promesse
du Seigneur, la grande Reine s'humilia de nouveau, et, baisant la poussière,
elle en rendit des actions de grâces si ferventes, qu'elle causa de
l’admiration à
94
toute la
cour céleste. Dès lors elle résolut de diriger toutes ses affections et toutes
ses œuvres à cette fin de se préparer et de se disposer à recevoir à l'époque
fixée la sainte communion de son Fils sous la forme sacramentelle; de sorte
qu'à partir de ce moment elle n'oublia ni n'interrompit jamais cette
application des actes de sa volonté. Sa mémoire était (ainsi que je l'ai dit
ailleurs) sûre et constante, comme aux esprits angéliques, et sa science était
beaucoup plus sublime que la leur, et comme elle se souvenait toujours de ce
mystère aussi bien que des autres, elle ne cessait d'agir d'après les pensées
qui lui étaient toujours présentes. Elle supplia en outre instamment le
Seigneur de donner la lumière aux mortels pour connaître et révérer cet
auguste sacrement, et pour le recevoir dignement. Si nous parvenons
quelquefois à le recevoir avec les dispositions convenables (veuille le
Seigneur que ce soit toujours!), après l'obligation que nous en avons aux
mérites de notre Rédempteur Jésus-Christ, qui est la source de toutes les
grâces que nous recevons, nous devons cette faveur aux larmes et aux prières
de sa très-sainte Mère, qui nous l'ont procurée.
Et si quelqu'un pousse la témérité et l'audace jusqu'à oser le recevoir en
mauvais état, il doit savoir qu'outre l'injure sacrilège dont il se rend
coupable contre son Dieu et son Sauveur, il offense aussi sa
très-pure Mère, parce qu'il méprise et qu'il perd
en même temps les fruits de son amour, de ses désirs charitables, de ses
prières, de ses larmes et de ses soupirs. Tâchons donc d'éviter un crime si
horrible.
95
837. Dans le cinquième
sacrement de l'extrême-onction, notre incomparable Reine eut connaissance de
la fin merveilleuse pour laquelle le Seigneur
l'instituait, de sa matière, de sa forme et de son ministre. Elle apprit que
la matière serait l'huile d'olive bénite, comme étant le symbole de la
miséricorde; la forme, une prière accompagnant l'onction des sens par lesquels
nous avons péché, et que le ministre serait le seul prêtre, à l'exclusion de
tous autres. Elle connut les fins et les effets de ce sacrement, destiné à
secourir les fidèles dangereusement malades et aux approches de la mort,
contre les embûches et les tentations du démon, qui sont terribles et
multipliées dans ces derniers moments; aussi l'extrême-onction
communique-t-elle à celui qui la reçoit dignement la grâce pour recouvrer les
forces spirituelles, affaiblies par les péchés qu'il a commis, et
contribue-t-elle même à soulager ou à guérir les maux de son corps si la santé
lui est avantageuse. Ce sacrement porte encore intérieurement le malade à une
nouvelle dévotion et à des désirs ardents de voir Dieu, lui ménage le pardon
des péchés véniels et de certaine restes et effets des péchés mortels, et
enfin marque son corps, non point d'un caractère ineffaçable, mais d'un signe
apparent et comme d'un sceau, afin que le démon craigne de s'en approcher
comme d'un tabernacle où le Seigneur a résidé par la grâce sacramentelle. Tel
est le privilège en vertu duquel Lucifer est privé dans ce sacrement du
pouvoir et du droit qu'il avait acquis sur nous par les péchés originel, et
actuels; afin que le
96
corps du
juste, marqué et embaumé par ce même sacrement, soit réuni un jour à son âme,
ressuscite et jouisse de Dieu en cette même âme. Notre
très-charitable Mère et Maîtresse connut tout cela, et en rendit des
actions de grâces au nom des fidèles.
838. Touchant le sacrement
de l'ordre, qui est le sixième, elle vit comment la providence de son
très-saint Fils, l'habile Architecte de la grâce
et de l'Église, établissait en cette même Église des ministres assez enrichis
par les sacrements qu'il instituait, pour pouvoir sanctifier le corps mystique
des fidèles et consacrer le corps et le sang de cet adorable Seigneur, et
comment, afin de les élever à cette dignité, qui les mettrait au-dessus de
tous les autres hommes et des anges mêmes, il établissait un autre nouveau
sacrement de l'ordre et de consécration. Cette vue lui inspira un si grand
respect pour les prêtres à cause de leur dignité, qu'elle commença dès lors à
les honorer avec une profonde humilité, et à prier le Très-Haut de tes rendre
de dignes ministres et très-capables de leur
office, et de porter les autres fidèles à les révérer. Elle pleura les
offenses que les uns et les autres commettraient contre Dieu; mais comme j'ai
parlé, ailleurs de la grande vénération que notre auguste Reine avait pour les
prêtres, et que j'en dois dire encore davantage dans la suite de cette
histoire, je ne m'y arrêté pas maintenant. La sainte Vierge eut une
connaissance distincte de toutes les autres choses qui regardent ce sacrement,
comme de ses effets et des ministres qu'il aurait.
(97)
839. A propos du sacrement
de mariage, le septième et dernier, notre illustre Dame fut aussi informée des
hautes fins que le Rédempteur du monde eut en instituant un sacrement par
lequel serait bénie et sanctifiée, dans la loi évangélique, la propagation des
fidèles, et serait symbolisé avec plus d'efficace qu'auparavant le mystère du
mariage spirituel de ce même Seigneur avec la sainte Église (1). Elle apprit
comment ce sacrement devait être perpétué, sa forme ,
sa matière, et les grands biens qui en reviendraient aux enfants de l'Église;
aussi bien que tout le reste qui regarde ses effets, le besoin qu'on en avait,
et la vertu qu'il renferme; elle fit en conséquence des cantiques de louange
et des actes de reconnaissance au nom des catholiques qui recevraient ce
bienfait. Ensuite elle connut les saintes cérémonies dont l'église se
servirait dans les temps à venir pour le culte divin et pour l'ordre des
bonnes moeurs. Elle connut aussi toutes les lois qu'elle établirait dans ce
but, entre autres les cinq commandements : savoir, d'ouïr la messe les jours
de fête, de confesser ses péchés au temps prescrit, de recevoir le
très-saint corps de Jésus-Christ dans
l'eucharistie, de jeûner les jours qui sont marqués, de payer les dîmes et les
prémices des fruits que le Seigneur fait croître sur la terre.
840. L'auguste Marie
découvrit les hautes et mystérieuses raisons qui justifiaient ces préceptes
ecclésiastiques,
(1) Ephes., V, 32.
98
les
effets qu'ils produiraient dans les fidèles, et le besoin que la nouvelle
Église en aurait, afin que ses enfants observant le premier de tous ces
commandements, eussent des jours destinés pour s'occuper de Dieu, et assister
au très-saint sacrifice de la messe, qui serait
offert pour les vivants et pour les morts; qu'ils renouvelassent en cet
auguste mystère la profession de leur foi et la mémoire de la passion et de la
mort de Jésus-Christ, par lesquelles nous avons été rachetés; qu'ils
coopérassent en la manière possible à la grandeur et à l'offrande de ce
souverain sacrifice; et qu'ils y participassent à tous les fruits que la
sainte Église en reçoit. Elle comprit aussi combien il nous importait de ne
pas négliger de recouvrer la grâce et l'amitié de Dieu par le moyen de la
confession sacramentale, et de nous confirmer dans cette amitié par la
très-sainte communion : car outre le danger où
l'on s'expose, et le dommage que l'on souffre en retardant l'usage de ces deux
sacrements, on fait une autre injure à leur auteur, parce qu'on résiste à ses
désirs et à l'amour avec lequel il les a institués pour notre salut; et comme
cette négligence suppose nécessairement un grand mépris tacite ou manifeste,
les personnes qui y tombent offensent grièvement le Seigneur.
841. Elle eut une égale
connaissance des deux derniers préceptes, qui ordonnent de jeûner et de payer
les dîmes, sachant combien il était important que les enfants de la sainte
Église travaillassent à vaincre les ennemis qui peuvent les empêcher de faire
leur salut,
99
comme il
arrive à tant d'infortunés, à tant d'imprudents, parce qu'ils ne mortifient et
ne domptent pas leurs passions, qui sont d'ordinaire excitées par le vice de
la chair; et celui-ci est mortifié par le jeûne, dont le Maître de la vie nous
a donné particulièrement l'exemple, quoiqu'il n'eût pas à vaincre comme nous
la concupiscence rebelle. Pour ce qui regarde les dîmes, elle découvrit que
c'était un. ordre spécial du Seigneur, que les enfants de l'Église lui
payassent ce tribut des biens de la terre, qu'ils le reconnussent pour le
suprême Seigneur et créateur de l'univers, et le remerciassent des fruits que
sa providence leur donnait pour la. conservation de leur vie; enfin que ces
dîmes ayant été offertes à sa divine Majesté, servissent à la subsistance et
au profit des prêtres et des ministres de l'Église, afin qu'ils fussent plus
reconnaissants su Seigneur, à la table duquel ils reçoivent une si abondante
nourriture, et qu'ils connussent par là l'obligation qu'ils ont de s'occuper
continuellement du salut et des besoins spirituels des fidèles, puisqu'ils ne
tirent leur entretien de la sueur du peuple que pour consacrer toute leur vie
au culte divin et à l'utilité de la sainte Église.
842. J'ai du beaucoup me
restreindre dans cette succincte exposition des profonds et sublimes mystères
qui furent opérés dans le coeur magnanime de notre grande Reine, par la
connaissance que le Très-Haut lui donna de la nouvelle loi et de l'Église
évangélique. C'est la crainte qui m'a empêchée de m'étendre davantage, et
surtout celle que j'avais de ne pas bien
100
exprimer ce qui m'en a été manifesté ; les lumières de la sainte croyance que
nous professons, accompagnées de la prudence et de la piété chrétienne,
dirigeront les âmes catholiques qui s'appliqueront attentivement à la
respectueuse méditation de sacrements si augustes, et qui sauront considérer
avec une vive foi l'accord merveilleux des lois, des sacrements, de la
doctrine et de tant de mystères que l'Église catholique renferme, dont elle
s'est servie admirablement pour sa conduite dès son origine, et dont elle se
servira jusqu'à la fin du monde sans que rien puisse l'ébranler. Tout cela se
trouva uni d'une manière ineffable dans l'intérieur de notre Princesse, et ce
fut là que le Rédempteur du monde s'essaya pour ainsi dire à établir la sainte
Église, en en modelant par avance toutes les parties en sa
très-pure Mère, afin qu’elle fut la première à
jouir de ses trésors avec surabondance, et que dans cette jouissance elle
opérât, aimât, crût, espérât et rendit des actions de grâces au nom de tous
les autres mortels, et qu'elle pleurât en même temps leurs péchés, pour que le
genre humain ne fût point privé du torrent de tant de miséricordes. Ainsi
cette incomparable Dame devait être comme le registre public où tout; ce que
Dieu opèrerait pour la rédemption des hommes serait écrit, et lui-même allait
se trouver comme obligé de l'accomplir, en la prenant pour coadjutrice, et en
gravant dans son coeur le mémorial des merveilles qu'il voulait opérer.
101
Instruction que j'ai reçue de la Reine du ciel.
842. Ma fille, je vous ai
représenté plusieurs fois combien est injurieux au Très-Haut, et funeste à
tous les mortels, le mépris qu'ils font des oeuvres mystérieuses et admirables
que sa divine clémence a disposées pour leur salut. Mon amour maternel me
porte à vous rappeler eu quelques mots ce souvenir, et la douleur d'un oubli
si déplorable. Où est le jugement des hommes qui
méprisent si imprudemment leur salut éternel et la gloire de leur Créateur et
Rédempteur? Les portes de la grâce et de la gloire sont ouvertes; et
non-seulement ils ne veulent point y entrer, mais
la vie et la lumière sortant pour les prévenir, ils ferment les leurs, afin
qu'elles n'entrent point dans leurs coeurs remplis des ténèbres de la mort. O
pécheur, que ta cruauté envers toi-même est barbare, puisque ta maladie étant
mortelle et la plus dangereuse de toutes, tu ne veux pas recevoir le remède
que l'on t'offre si généreusement! Quel serait le mort qui ne se crût pas fort
obligé à celui qui lui aurait rendu la vie? Où est
le malade qui ne remerciât le médecin qui l'aurait tiré d'une grave maladie?
Or si les enfants des hommes sentent cela, et savent témoigner leur
reconnaissance à un mortel qui leur rend une santé et une vie qu'ils doivent
bientôt perdre, et qui ne servent qu'à les remettre dans de nouveaux dangers
et dans de nouvelles afflictions, comment sont-ils si
102
insensés et si endurcis, que de ne montrer que de l'ingratitude à Dieu, qui
leur donne le salut et la vie du repos éternel, et qui veut les délivrer des
peines qui ne finiront jamais, et qu'on ne saurait dépeindre?
844. O ma
très-chère fille, comment puis-je reconnaître pour
enfants ceux qui méprisent de la sorte mon bien-aimé Fils et Seigneur, et qui
font si peu de cas de sa bonté libérale? Les anges et les saints la proclament
dans le ciel, et sont surpris de la noire ingratitude et de l'effroyable
témérité des vivants; de sorte que l'équité de la divine justice se justifie
en la présence de ces esprits bienheureux. Je vous si découvert beaucoup de
ces secrets dans cette histoire, et je vous en dis plus maintenant, afin que
vous m'imitiez dans les larmes si amères que j'ai versées sur ce terrible
malheur, par lequel Dieu a été et est encore grièvement offensé, et qu'en
pleurant les injures qu'on lui fait, vous tâchiez autant qu'il vous sera
possible de les empêcher et de les éviter. Je veux que vous ne laissiez passer
aucun jour sans rendre d'humbles actions de grâces à sa divine Majesté de ce
qu'elle i institué les sacrements, et de ce qu'elle souffre le mauvais usage
que les méchants en font. Recevez-les avec un profond respect, et avec une foi
et une espérance ferme; et comme vous sentez un attrait particulier pour le
sacrement de la pénitence, faites en sorte de vous en approcher avec les
dispositions que la sainte Église et ses docteurs recommandent pour le
recevoir avec fruit. Fréquentez-le tous les jours avec un coeur humble et
reconnaissant, et toutes les fois
102
que vous
aurez quelque faute à vous reprocher, ne différez pas le remède de ce
sacrement. Lavez et purifiez votre âme, car ce serait une négligence horrible
de la voir souillée da péché, et de la laisser longtemps ou même un seul
instant dans cette difformité.
815. Je veux surtout que
vous sachiez l'indignation du Dieu tout-puissant (quoique vous ne puissiez pas
vous en faire une juste idée) contre ceux qui dans leur folle témérité ont
l'imprudence de recevoir indignement ces sacrements, et même le
très-auguste sacrement de l'autel. O âme!
combien est affreux ce péché devant Dieu et devant
les saints! Et ce ne sont pas seulement les communions indignes, mais encore
les irrévérences que l'on commet dans les églises et en sa divine présence.
Comment certains enfants de l'Église peuvent-ils dire qu'ils croient cette
vérité et qu'à la révèrent, si, Jésus-Christ se trouvant dans le saint
sacrement en tant d'endroits, non-seulement ils ne
se mettent pas en peine de l'aller visiter et honorer; mais qu'ils commettent
en sa présence des sacrilèges tels que les païens ne les oseraient pas
commettre dans les temples de leurs idoles? C'est ici un sujet sur lequel il
faudrait donner plusieurs avis et écrire plusieurs livres; je vous avertis, ma
tille, que les hommes irritent beaucoup la justice du Seigneur dans le siècle
présent, et qu'ils empêchent par là que je ne leur apprenne ce que ma pitié
souhaiterait leur apprendre pour leur remède. Mais ce qu'ils doivent savoir
maintenant, c'est que son jugement,sera formidable
et sans miséricorde, comme envers des serviteurs méchants
105
et
infidèles condamnés par leur propre bouche (1). C'est ce que vous pourrez dire
à tous ceux qui voudront vous entendre, en leur conseillant d'aller au moins
chaque jour dans une église pour y adorer Dieu dans le saint Sacrement, et
d'assister autant que possible à la messe avec beaucoup de respect, car les
hommes ne savent pas ce qu'ils perdent par leur négligence.
CHAPITRE XII. Notre Rédempteur Jésus-Christ continue ses prières pour nous. —
Sa
très-sainte Mère prie aussi avec lui, et reçoit de nouvelles lumières.
846. Nous avons beau
chercher à développer nos discours pour manifester et glorifier les oeuvres
mystérieuses de notre Rédempteur Jésus-Christ et de sa
très-sainte Mère, nous ne parviendrons jamais à les embrasser, ni à
atteindre, même de loin, la grandeur de ces mystères, parce qu'ils sont, comme
dit l’Ecclésiastique, au-dessus de toutes nos louanges (2); jamais nous ne les
saisirons ni ne les comprendrons, et il nous échappera toujours des merveilles
plus
(1) Luc., XIX, 22. — (2) Eccles., LXIII, 33.
105
grandes
que celles que nous aurons voulu raconter, car nous n'en découvrirons que fort
peu , et celles-ci, même, nous ne méritons pas de les pénétrer ni de savoir
exprimer ce que nous en concevons. Les plus hauts séraphins avec toute leur
intelligence, ne sont pas capables de sonder et d'approfondir les secrets qui
se passèrent entre Jésus et Marie pendant les années qu'ils demeurèrent
ensemble, principalement en celles dont je parle, lorsque le Maître de la
lumière informait sa très-sainte Mère de tout ce
qu'il ferait en la loi de grâce, et de tous les événements qui
s'accompliraient dans ce sixième âge du monde, et lui apprenait en même temps
que la loi de l'Évangile durerait jusqu à la fin, ce qui est arrivé dans
l'espace de plus de mille six cent et cinquante-sept ans, et le reste que nous
ignorons, et qui doit arriver jusqu'au jour du jugement. Cette grande Dame
apprit tout cela à l'école de son très-saint Fils,
car sa Majesté lui déclara toutes choses , en lui marquant les temps, les
lieux, les royaumes, les provinces et tout ce qui s'y passerait tant que
l'Église durerait; et ce fut avec une si grande clarté, que si elle vivait
encore sur la terre, elle connaîtrait tous ceux qui composent l'Eglise,
individuellement et par leurs noms, comme on le vit avant sa mort, car quand
quelqu'un l'abordait, elle ne faisait que le reconnaître par les sens et par
une impression qui répondait à l'image inférieure du même objet.
847. Quand la
très-pure Mère de la Sagesse connaissait ces
mystères dans l'intérieur de son très-saint
106
Fils
et dans les actes de ses puissances, elle ne parvenait point à les pénétrer
comme l'âme de cet adorable Seigneur, unie à la Divinité par l'union
hypostatique et béatifique, parce que cette auguste Dame était une simple
créature, non bienheureuse par une vision continuelle; elle ne percevait
d'ailleurs les notions et la lumière béatifique de cette âme
très-heureuse que lorsqu'elle jouissait de la
claire vision de la Divinité. Mais dans les autres visions où elle connaissait
les mystères de l'Église militante, elle apercevait les espèces imaginaires
des puissances intérieures de notre Seigneur Jésus-Christ; elle comprenait
encore que leur manifestation dépendait de sa très-sainte
volonté, et qu'il décrétait et disposait toutes ces oeuvres pour de tels
temps, de tels lieux et de telles occasions, et découvrait par un autre
endroit que la volonté humaine du Sauveur se conformait à la volonté divine,
et qu'elle en était gouvernée en toutes ses déterminations et en toutes ses
mesurés. Alors une harmonie divine s'établissait et allait jusqu'à mouvoir la
volonté et les puissances de cette incomparable princesse, afin qu'elle agit
et coopérât avec la propre volonté de son très-saint
Fils, et immédiatement avec la volonté divine. Il y avait ainsi une
ressemblance ineffable entre notre Seigneur Jésus-Christ et sa bienheureuse
Mère, et elle concourait, comme coadjutrice, à l'édification de la loi
évangélique et de la sainte Église.
848. Toutes ces merveilles
étaient opérées d'ordinaire dans l'humble oratoire de la Reine céleste, où
107
le plus
grand des mystères fut lors de l'incarnation du Verbe, célébré dans son sein
virginal; car quoiqu'il fût si pauvre et si petit, qu'il ne consistait qu'en
une étroite enceinte de murs tout nus, il n'en a pas moins contenu la grandeur
infinie de Celui qui est immense; et il en est sorti tout ce qui a donné et
qui donne la majesté divine qu'ont aujourd'hui tous les temples magnifiques de
l'univers et leurs sanctuaires innombrables. C'est dans ce saint des saints
(1) que le souverain Prêtre de la nouvelle loi, notre Seigneur Jésus-Christ,
priait ordinairement; et sa perpétuelle oraison se terminait par de ferventes
prières pour les hommes, adressées au Père éternel, et par des entretiens avec
sa très-pure Mère sur toutes les oeuvres de la
Rédemption, et sur les riches trésors de grâces qu'il voulait laisser dans le
Nouveau Testament et dans la sainte Église pour les enfants de la lumière et
de cette même Église. Il ne cessait de demander au l'ère éternel que les
péchés des hommes et leur très-dure ingratitude ne
fussent point un obstacle à leur rédemption; et comme les crimes du genre
humain et la damnation de tant d'âmes insensibles à ce bienfait, furent
toujours également présents à la pensée de cet adorable Sauveur, à cause de sa
prescience, la perspective de la mort qu'il allait subir pour eux, le tint
dans une longue et douloureuse agonie, et le baigna maintes fois d'une sueur
de sang. Et quoique les évangélistes ne fassent mention que de celle qui
(1) Levit., XVI, 12.
108
eut lieu
avant la passion (1), parce qu'ils n'ont pas écrit tous les événements de sa
très-sainte vie, il est néanmoins certain que
cette sueur lui survint fort souvent, et que sa divine Mère put sen
apercevoir. C'est ce qui m'a été déclaré en plusieurs rencontres.
849. Quant à la posture
dans laquelle notre aimable Maître priait, il était quelquefois à genoux,
d'autres fois prosterné en forme de croix, et quelquefois en l'air, et en
cette même forme de croix qu'il aimait singulièrement. Même lorsqu'il priait
en présence de sa Mère, il avait coutume de dire: « Oh!
bienheureuse croix, quand est-ce que je me trouverai entre vos bras et
que vous porterez les miens, afin que, cloués à votre bois, ils restent
ouverts pour recevoir tous les pécheurs! Puisque je suis descendu
du ciel pour les appeler à mon imitation et à ma participation (2),
comment ne serais-je pas toujours prêt à les embrasser et à les
enrichir? Venez donc à la lumière, vous tous qui êtes aveugles.
Pauvres, venez puiser aux trésors de ma grâce. Venez, petits, venez
recevoir les caresses de votre véritable Père. Venez à moi, vous tous
qui travaillez et qui êtes affligés, et je vous soulagerai (3). Venez,
justes, venez à moi, car vous êtes ma possession et mon héritage.
Venez , enfants d'Adam, je vous appelle tous
(4). Je suis la voie, la vérité et la
(1) Luc., XXI, 44. — (2) Matth., IX, 13. — (3)
Matth., XI, 28. — (4) I Tim., II, 4.
109
vie (1),
je ne la refuserai à personne si on veut la recevoir. Père
éternel, ils sont les ouvrages de vos mains, ne les méprisez pas (2),
car je m'offre pour eux à la mort de la croix, afin de les rendre
justes et innocents (s'ils ne repoussent point mes faveurs), et afin de les
remettre au nombre de vos élus et dans le royaume
céleste , où votre saint nom soit glorifié. »
850. La compatissante Mère
de trouvait présente à tout cela, et la lumière de son adorable Fils
rejaillissait en la pureté de son âme comme en un cristal sans tache; et parce
qu'elle était comme l'écho de ses voix intérieures et extérieures, elle les
répétait, imitant en tout notre aimable Sauveur, se joignant à ses prières, et
prenant la posture dans laquelle il les faisait. La première fois que cette
grande Dame le vit suer du sang, elle en eut comme nuls amoureuse mère le
coeur percé de douleur, et admirant l'effet que produisait en ce divin
Seigneur la prévision des péchés et des ingratitudes des hommes (car cette
très-sainte Mère pénétrait toutes ses pensées),
elle s'adressait aux mortels, et disait d'une voix gémissante : « 0 enfants
des hommes, que vous comprenez peu combien le Créateur estime en vous son
image et sa ressemblance , puisqu’il offre son propre sang pour le prix de
votre rachat, et qu'il aime mieux le verser que de vous perdre! Oh!
si je pouvais enchaîner votre volonté à la
mienne, pour vous
(1) Joan., XIV, 6. —(2) Ps., CXXXVII, 8.
110
forcer à
l'aimer et à lui obéir 1 Dénis soient de sa divine main les justes et
les reconnaissants qui seront les fidèles enfants de leur Père céleste. Que
ceux qui répondront aux désirs ardents que mon Fils a de leur donner le
salut éternel, soient remplis de sa lumière et des trésors de sa grâce. Ah!
si je pouvais devenir l'humble servante des
enfants d'Adam, pour les obliger par mes services à mettre fin à
leurs péchés et à leur propre perte ! Mon divin Seigneur, vie et lumière
de mon âme, qui peut être assez endurci de coeur et assez ennemi de
lui-même pour ne pas se reconnaître vaincu par vos bienfaits? Qui
peut être assez insensible, assez ingrat pour oublier votre
très-ardent amour? Comment pour rai-je souffrir
sans mourir, que les hommes, si favorisée de votre main libérale, vous soient
si odieuse ment rebelles? O enfants d'Adam, tournez contre a moi votre cruelle
impiété. Affligez-moi et méprisez moi tant que vous
voudrez , pourvu que vous rendiez ô mon aimable Maître l’amour et le
respect que vous lui devez pour tant de faveurs que vous en
recevez. Mon très-saint Fils et mon Seigneur,
vous êtes la lumière de la lumière, le Fils du Père éternel, l'image de
sa substance (1), éternel et infini comme lui, égal en l'essence et dans
les attributs, en ce que vous êtes avec lui un seul Dieu et une même
majesté souveraine (2). Vous êtes choisi entre mille (3), vous surpassez
en beauté les enfants
(1) Hebr., I, 3. — (2) Joan., X,
30 . — (3) Cant., V, 10.
111
des
hommes, vous êtes saint, innocent et sans aucun défaut (1) ! Comment
donc, ô Bien suprême, les mortels ignorent-ils le plus noble objet de
leur amour? Comment méconnaissent-ils le principe qui leur a donné
l'être, et la fin en laquelle consiste leur véritable et éternelle
félicité? Oh! si je pouvais au prix de ma
propre vie les tirer tous de leur aveuglement ! »
851. Notre auguste
Princesse ajoutait à ce que je viens de dire beaucoup d'autres choses que j'ai
entendues; mais le coeur et la parole me manquent également pour exprimer les
affections si ardentes qui embrasaient cette chaste colombe; et c'est avec cet
amour incomparable et avec un souverain respect qu'elle essuyait le sang que
son très-doux Fils suait. D'autres fois elle le
trouvait dans un état bien différent, revêtu de gloire et de splendeur,
transfiguré comme il le fut depuis sur le Thabor (2), et accompagné d'une
grande multitude d'anges en forme humaine, qui l'adoraient et lui chantaient
dans un concert harmonieux de nouveaux cantiques de louange. Notre Dame
écoutait cette musique céleste, elle en jouissait aussi en d'autres
circonstances, où notre Seigneur Jésus-Christ n'était point transfiguré; car
la volonté divine ordonnait quelquefois que la partie sensitive de l'humanité
du Verbe reçoit ce soulagement, comme elle le recevait lorsque cet adorable
Seigneur était transfiguré par l'écoulement de
(1) Hebr., VII, 26. — (2)
Matth., XVII, 2.
112
la
gloire de l'âme qui se communiquait au coups, quoique cela arrivât rarement.
Mais quand la divine Mère le voyait en cette forme glorieuse, ou qu'elle
entendait la musique des anges, elle participait si largement aux transports
de cette allégresse céleste, que si elle n'avait point eu l'âme aussi forte,
et si le Seigneur son Fils ne l'avait assistée, elle aurait perdu toutes ses
forces naturelles; les saints anges la soutenaient aussi dans les défaillances
du corps qu'elle ressentait ordinairement en ces sortes de rencontres.
352. Il arrivait souvent
que son très-saint Fils se trouvant en ces
dispositions de tristesse ou de joie dans lesquelles il priait le Père
éternel, et semblait s'entretenir avec lui des très-hauts
mystères de la rédemption, la même personne du Père lui répandait et accordait
ce que le Fils demandait pour le salut des hommes, ou représentait à la
très-sainte humanité les décrets cachés de la
prédestination ou de la réprobation de quelques-uns. Notre grande Reine
entendait tout cela avec une humilité très-profonde.
Elle adorait avec une crainte respectueuse le Tout-Puissant
, et se joignait à son adorable fils dans ses prières et dans les
actions de grâces qu'il rendait au Père pour ses grandes œuvres et pour la
clémence qu'il exerçait envers les hommes; elle louait aussi ses jugements
impénétrables. Cette très-prudente Vierge
repassait et gardait tous ces mystères dans le plus intime de sou coeur, et
s'eu servait comme d'une nouvelle matière pour augmenter et entretenir le feu
du sanctuaire qui brûlait dans son âme ; car elle ne recevait
113
aucune
de ces faveurs secrètes qu'elle n'en tirât quelque fruit. Elle correspondait à
toutes selon le bon plaisir du Seigneur, avec la plénitude de sentiments et le
retour convenables, pour que les fins du TrèsHaut
eussent leur accomplissement, et que toutes ses oeuvres fussent connues et
célébrées par de dignes actions de grâces, autant qu'il était en une simple
créature:
Instruction que la
très-sainte Vierge m'a donnée.
853. Ma fille une des
raisons pour lesquelles les hommes doivent m'appeler Mère de miséricorde,
c'est la tendre compassion qui me fait désirer si vivement que tous viennent
se désaltérer au torrent de la grâce, et que tous goûtent la douceur du
Seigneur (1), comme je le fis. Je les appelle et les convie tous à venir avec
moi étancher leur soif aux eaux de la Divinité. Que les plus pauvres et les
plus affligés s'approchent, car s'ils me répondent et me suivent, je leur
promets ma puissante protection auprès de mon Fils, et je leur procurerai la
manne cachée qui leur donnera la nourriture et la vie. Venez, ma bien-aimée,
venez, approchez-vous, ma très-chère, afin que
vous me suiviez et receviez le nom nouveau,
(1) Ps. XXXIII, 9.
114
qui
n'est, connu que de celui qui le reçoit (1). ]Levezvous
de la poussière, secouez et rejetez tout ce qui est terrestre et passager, et
approchez-vous des choses célestes. Renoncez à vous-même et à toutes les
oeuvres de la fragilité humaine, marchant à l'éclatante lu-.
mière dont vous éclairent celles de mon
très-saint, Fils, et, à son exemple, mes propres
actions; étudiez, ce modèle et regardez-vous dans ce miroir, pour, vous orner
de la beauté que le souverain Roi désire trouver en vous (2).
854. Or, comme ce moyen est
le plus puissant pour arriver à la perfection et à la plénitude de vos oeuvres
que vous souhaitez, je veux que, pour régler toutes vos actions, vous graviez
cet avis dans votre coeur : que quand l'occasion se présentera de faire
quelque couvre intérieure ou extérieure, vous vous demandiez à vous-même,
avant d'agir, si mois très-saint Fils et moi
eussions fait ce que vous allez dire ou faire, et avec quelle droiture
d'intention nous l'eussions rapporté à la gloire du Très-Haut et au bien de
notre prochain. Et si vous reconnaissez que nous l'eussions fait avec cette
fin, exécutez-le pour suivre, notre exemple; mais si vous découvrez le
contraire, abstenez-vous: c'est la conduite que j'observai à l'égard de mon
divin Maître, quoique je n'eusse point la répugnance que vous avez pour le
bien, mais qu'au contraire je désirasse par inclination de l'imiter
parfaitement; et c'est en cette imitation que, consiste la
(1) Apoc., II, 17. —
(2) Ps. XLIV, 11.
115
participation fructueuse de sa sainteté; car cet adorable Seigneur enseigne aux
créatures, et les oblige à pratiquer en toutes choses ce qui est le plus
parfait et le plus agréable à Dieu. En outre, je vous avertis que vous devez
commencer dès à présent à ne rien faire, ni dire, ni penser sans m'en avoir
demandé la permission avant que de vous déterminer, me consultant en tout
comme votre Mère et votre Maîtresse. Et si je vous réponds, vous en rendrez
des actions de grâces au Seigneur; et si je ne le fais pas et que vous restiez
fidèle à cette salutaire habitude, je vous assure et vous promets de la part,
du Seigneur qu'il vous donnera lui-même la lumière pour vous résoudre.
à ce qui sera le plus conforme à sa
très-sainte volonté. Nais prenez garde à ne rien
exécuter sans l'ordre de votre Père spirituel, et n'oubliez jamais.
cette pratique.
CHAPITRE XIII. L'auguste Marie achève la trente-troisième année de son âge. —
Son corps virginal se conserve dans sa même disposition. Elle prend la
résolution d'entretenir son adorable Fils et saint Joseph par son travail.
855. Notre grande Reine
s'occupait aux exercices et dans les mystères divins.que
j'ai jusqu'à présent
116
indiqués
plutôt qu'exposés, surtout après que son très-saint
Fils eut passé sa douzième année. Le temps s'écoula; de sorte que cet aimable
Sauveur ayant accompli la dix-huitième année de son adolescence, selon la
supputation de son incarnation et de sa naissance, que nous avons faite
ailleurs, sa bienheureuse Mère acheva la trente-troisième année de son âge
parfait; et c'est ainsi que je l'appelle, parce que, selon les parties qui
divisent communément la vie des hommes (soit six, soit sept), l'âge de
trente-trois ans est celui de son plein développement et de sa perfection
naturelle; il marque la fin de la jeunesse, comme quelques-uns le.
tiennent, ou le commencement de la maturité, selon
l'opinion des autres; mais, quelque division des âges que l'on adopte, la
trente-troisième année est généralement le terme de la perfection naturelle,
et l'homme ne s'y maintient guère, car bientôt la nature corruptible, qui ne
demeure jamais en un même état (1), commence à décliner, comme la lune quand
elle est arrivée au période de sa plénitude. A ce déclin du milieu de la vie,
non-seulement le corps ne croît et ne grandit
plus, mais s'il grossit et augmente de volume, loin qu'il y ait là un
accroissement de perfection, il y a souvent un défaut de la nature. C'est pour
cette raison que notre Seigneur Jésus-Christ mourut à l'âge de trente-trois
ans; parce que son très-ardent amour voulut
attendre que son corps sacré fût parvenu au terme de sa perfection naturelle
(1) Job., XIV, 2.
117
pour
offrir pour nous sa très-sainte humanité avec tous
les dons de la nature et de la grâce; ce n'est pas que celle-ci eût aucun
accroissement en lui, mais c'était afin que la nature y correspondit, et qu'il
ne pût avoir rien de plus à sacrifier pour le genre humain. C'est pour cette
raison que l'on dit que le Très-Haut créa nos. premiers
parents Adam et Ève en la perfection qu'ils auraient eue à l'âge de
trente-trois ans. Il rien est pas moins vrai pourtant que dans les premier et
second âges du monde, où la vie était plus longue et où l'on divisait
l'existence humaine en six ou sept parties, plus ou moins, chacune de ces
parties devait être composée de beaucoup plus d'années que dans ces derniers
siècles, puisque David fait appartenir la soixante-dixième année à la
vieillesse (1).
856. La Reine du ciel entra
dans sa trente-troisième année, et lorsqu'elle fut révolue, son corps virginal
se trouva dans sa perfection physique, si..
beau et si bien proportionné, qu'il faisait
l'admiration non-seulement de la nature humaine,
mais encore des esprits angéliques. Ce corps sacré avait atteint sa juste
grandeur, et présentait dans tous ses membres le plus harmonieux
développement, de sorte qu'il réalisait l'idéal de la perfection dont est
susceptible une créature humaine. C'est pourquoi l'auguste Marie ressembla dés
lors merveilleusement à la très-sainte humanité de
son Fils tel qu'il apparut au même âge : car ils avaient les mêmes traits et
le même teint,
(1) Ps. LXXXIX, 10.
118
quoique
subsistât toujours cette différence que Jésus-Christ était le plus parfait des
hommes, et que sa Mère, malgré son infériorité, était la plus parfaite des
femmes. Il faut remarquer ensuite que chez les autres mortels la perfection
naturelle commence ordinairement à déchoir dès cet âge, parce que l'humide
radical et la chaleur intérieure diminuent insensiblement : les humeurs
perdent leur équilibre, et l'élément terrestre tend à prédominer; peu à peu
les cheveux blanchissent, les rides se forment, le sang se refroidit, les
forces s'épuisent, et toutes les parties de l'humain assemblage commencent,
sans qu'aucune industrie puisse les retenir, à se désorganiser, pour passer de
la vieillesse à la corruption. Mais la très-pure
Marie fut exempte de tout cela, car elle conserva cette vigueur et cette
admirable complexion qu'elle avait dans sa trente-troisième année, sans le
moindre affaiblissement et sans la moindre altération; et quand elle atteignit
sa soixante-dixième année, qui fut la dernière de sa vie (comme je le dirai en
son lieu), la constitution de son corps virginal présentait la même intégrité
et lui laissait les mêmes forces qu'à l'âge de trente-trois ans.
857. Notre grande Dame
connut ce privilège que le Très-Haut lui accordait, et lui en rendit des
actions de grâces. Elle sut aussi qu'elle en jouissait afin que la
ressemblance de l'humanité de son très-saint Fils
se conservât toujours en elle-même sous le rapport de cette perfection
physique, malgré la différence de leurs vies. En effet le Seigneur devait
sacrifier sa vie
119
à cet
âge, et la divine Reine devait prolonger la sienne; mais toujours avec cette
ressemblance. Saint Joseph n'était pas fort vieux lorsque cette divine Reine
eut atteint sa trente-troisième année, mais ses forces ne laissaient pas
d'être fort abattues, parce que les soucis, les voyages et les peines,
continuelles qu'il avait prises pour entretenir son épouse et le Seigneur de
l'univers l'avaient affaibli bien plus que son âge. Et comme ce même Seigneur
voulait l'avancer dans l'exercice de la patience et des autres vertus, il
permit qu'il eût quelques maladies (comme je le dirai dans le chapitre
suivant) qui l'empêchaient beaucoup de s'appliquer au travail corporel. Sa
très-prudente épouse (qui l'avait toujours estimé,
aimé et servi au delà de tout ce que les autres femmes ont jamais su faire à
l'égard de leurs maris), connaissant ses indispositions, lui dit : « Mon époux
et mon seigneur, je me sens extrêmement obligée de votre fidélité, de
vos soins et des fatigues que vous vous êtes toujours imposées, puisque vous
avez entretenu jusqu'à présent votre servante et mon adorable Fils à la sueur
de votre visage, et que dans ces travaux vous avez usé vos forces, votre santé
et votre vie pour pourvoir à mes besoins; vous recevrez de la main
libérale du Très-Haut la récompense de vos peines et les douces bénédictions
que vous méritez (1). Je vous prie, cher maître, de vous reposer maintenant et
de cesser votre travail; puisque vos
(1) Ps. XX, 3.
120
infirmités
ne vous permettent plus de vous y livrer. Je veux à présent travailler pour
vous et vous témoigner ma reconnaissance tant que le Seigneur nous
laissera la vie. »
858. Le saint écouta les
raisons de sa très-douce épouse en versant
d'abondantes larmes d'humble gratitude et de consolation; et, tout en lui
exprimant le désir de travailler toujours, il se rendit aux prières de la
Reine de l'univers et se crut obligé de lui obéir. Dès lors il cessa le
travail manuel, dont le produit servait à l'entretien de la sainte famille, et
pour qu'il n'y eût rien d'inutile ni de superflu dans sa demeure, tous les
outils propres au métier de charpentier furent donnés par aumône. Saint
Joseph, se voyant ainsi débarrassé de ses occupations, s'appliqua tout entier
à la contemplation des mystères qu'il conservait dans son coeur et aux
exercices des vertus. Et comme dans cette vie spirituelle il fut si heureux
que de jouir de la présence et de la conversation de la Sagesse incarnée et de
celle qui en était la Mère, il arriva à un si haut degré de sainteté qu'après
sa divine Épouse, qui fut toujours l'unique entre les simples créatures, il
surpassa tous les hommes, ou il ne sera jamais surpassé d'aucun. Cette auguste
Reine et son très-saint Fils l'assistaient, le
servaient, le consolaient et le soulageaient dans ses maladies avec la plus
grande sollicitude; aussi n'est-il pas possible de décrire les effets
d'humilité, de respect et d'amour que leurs charitables soins produisaient
dans le coeur candide et reconnaissant de l'homme de Dieu. Ce fut sans doute
un sujet d'admiration
121
et de
joie pour les esprits angéliques, et d'une haute satisfaction pour le
Très-Haut.
859. Dès lors l'illustre
Princesse se chargea d'entretenir son très-saint
Fils et son époux par son travail, la Sagesse éternelle mettant ce
couronnement à toutes ses vertus et à tous ses mérites pour l'exemple et la
confusion des enfants d'Adam. Le Seigneur nous a proposé pour modèle cette
femme forte, revêtue de beauté et de force (1); il l'avait ceinte à cet effet
de beaucoup de vigueur dans cet âge, affermissant ses bras afin qu'elle les
étendit vers les pauvres; qu'elle achetât le champ, et qu'elle plantât la
vigne du fruit de ses mains. Le coeur de son mari mit sa confiance en elle, et
non-seulement celui de son époux Joseph, mais
aussi celui de son Fils, Dieu et homme véritable, maître de la pauvreté et le
pauvre des pauvres; et ils ne furent point trompés dans leur attente. Notre
grande Reine commença à travailler plus que jamais, filant du lin et de la
laine, et pratiquant mystérieusement tout ce que Salomon en a dit dans le
chapitre trente et unième des Proverbes : et comme j'ai expliqué ce chapitre à
la fin de la première partie, je ne crois pas qu'il soit nécessaire d'y
revenir maintenant, quoiqu'il y ait plusieurs détails qui s'appliquent à la
circonstance dont je parle, et dans laquelle notre incomparable Reine les
accomplit d'une manière spéciale dans ses occupations extérieures et
matérielles.
860. Il n'aurait pas manqué
de moyens au Seigneur
(1) Prov., XXXI, 10. etc.
122
pour
entretenir la vie temporelle de sa très sainte Mère et de saint Joseph,
puisque' l'homme ne vit pas seulement de pain, et que ce divin Seigneur
pouvait les soutenir par sa parole, comme il le dit lui-même (1). Il pouvait
aussi leur fournir miraculeusement chaque jour le nécessaire; mais s'il eût
usé de sa puissance souveraine dans cette rencontre, le monde aurait été privé
de cet exemplaire de voir travailler sa très-sainte
Mère, Reine de l'univers, pour gagner sa nourriture; et si la plus généreuse
des Vierges n'eût pas acquis ces mérites, elle aurait elle-même été privée
d'une récompensé considérable. Le Maître de notre salut disposa tout cela avec
une merveilleuse providence pour la gloire de sa Mère et pour notre
instruction. On ne saurait exprimer la diligence avec laquelle cette prudente
Princesse pourvoyait à tout. Elle travaillait beaucoup; et comme elle gardait
toujours la solitude, cette heureuse femme sa voisine, dont nous avons parlé
ailleurs, prenait soin de débiter ses ouvrages et de lui porter le nécessaire.
Quand l'auguste Marie lui donnait quelque commission, ce n'était jamais en lui
commandant; elle ne faisait que la prier avec une profonde humilité, après
avoir sondé ses dispositions; et, afin de les découvrir, elle la prévenait et
lui demandait si elle jugeait à propos de faire telle ou telle chose. Notre
adorable sauveur et sa divine Mère ne mangeaient point de viande; leur
nourriture ne consistait qu'en des poissons, des fruits
(1) Matth., IV, 4.
123
et des
herbes, et c'était encore avec une sobriété admirable. Elle préparait
néanmoins de la viande pour saint Joseph; et quoique la pauvreté éclatât eu
tout, notre auguste Reine y suppléait par les soins qu'elle mettait à apprêter
le mets le plus frugal, par son empressement et par les manières agréables
avec lesquelles elle le lui présentait. Elle dormait fort peu, et passait
quelquefois la plus grande partie de la nuit au travail ; et le Seigneur le
permettait plus souvent que lorsqu'ils étaient en Égypte, comme je
l'ai raconté. Il arrivait aussi de temps en temps
que son travail ne suffisait pas pour lui fournir tout ce qui leur était
nécessaire, parce que saint Joseph avait besoin de nourritures plus varus et
de plus de vêtements que par le passé. Alors notre Seigneur Jésus-Christ usait
de a pouvoir et multipliait les choses qui étaient dans la maison, où il
commandait aux anges de les apporter; mafia les merveilles qu'il opérait le
plus souvent en faveur de sa très-sainte Mère
consistaient à faire qu'elle travaillât beaucoup en peu de temps, et que ses
ouvrages se multipliassent entre ses mains.
Instruction de la Reine du ciel
881. Ma fille, vous avez
découvert en ce qui est écrit de mon travail une
très-sublime doctrine dont
129
vous
pouvez vous servir pour votre conduite; et, afin ,que vous n'en oubliiez rien,
je vais vous la résumer dans ces leçons. Je veux que vous m'imitiez en trois
vertus que ce que vous venez d'écrire vous a fait reconnaître en moi : ce sont
la prudence, la charité et la justice, vertus sur lesquelles les mortels ne
réfléchissent guère. Par la prudence, vous devez prévoir les
nécessités de votre prochain et la manière d'y subvenir, autant que
votre état vous le permettra. Par la charité, vous vous devez porter avec
diligence et amour à lui rendre vos bons offices. La justice vous enseigne que
c'est une obligation d'agir comme vous pourriez désirer qu'on
agit à votre égard, et comme le nécessiteux le
demande. Vous devez être l'oeil de l'aveugle (1), la préceptrice du sourd, et
le manchot doit pouvoir se servir de vos mains pour travailler. Et quoique
dans votre état vous ayez toujours à pratiquer cette doctrine dans un sens
spirituel, je veux pourtant que vous l'étendiez aussi sur ce qui concerne le
temporel, et que vous soyez très-fidèle à m'imiter
en, tout, puisque je prévins les besoins de mon époux, et que je résolus de le
servir et de le nourrir, le reste de ses jours, dans la pensée que je le
devais; et c'est ce que je fis avec une ardente charité; au moyen de mon
travail. Sans doute le Seigneur me l'avait donné pour qu'il pourvût à mon
entretien, comme il le fit avec une grande ponctuait tout le temps que ses
forces le lui permirent : mais quand il les eut perdues,
(1) Job., XXIX, 15.
125
cette
obligation m'incombait, puisque le même Seigneur me conservait les miennes :
et c'eût été une grande faute de ne lui pas rendre le retour avec une
généreuse fidélité.
862. Les enfants de
l'Église ne considèrent pas cet exemple, et c'est pourquoi il s'est introduit
parmi eux un impie dérèglement qui porte le Juge suprême à les châtier avec
sévérité; puisque tous les hommes étant destinés au travail (1)
non-seulement depuis le péché , qui le leur a
mérité comme une juste peiné, mais même depuis la création du premier homme
(2), le travail n'est pas également réparti entre tous; car les plus
puissants, les plus opulents et ceux que le monde appelle seigneurs et nobles
tâchent de s'exempter de cette loi commune, et en font retomber toutes les
charges sur les humbles et sur les pauvres, qui entretiennent par leurs
propres sueurs le luxe et l'orgueil des riches : de sorte que l'on peut dire
que le faible sert le fort et le puissant. Ce dérèglement prend un tel empire
sur certains superbes, qu'ils s'imaginent que tout leur est dû, et dans cette
pensée ils foulent, abattent et méprisent les pauvres (3); ils se lattent
qu'ils ne doivent vivre que pour eux-mêmes et pour jouir du repos, des
plaisirs et des richesses du monde; et, ce qui est étrange, ils ne paient pas
même le mince salaire de leur labeur. A propos de cette négligence à
satisfaire les pauvres, les serviteurs et les artisans, et de tout ce que vous
avez appris sur
(1) Job., V, 7. — (2) Gen., II, 15. — (3) Jacob., II, 4.
126
cette
matière, vous pourriez attaquer les injustices énormes que l'on commet contre
l'ordre et contre la volonté du Très-Haut : mais il suffit de faire savoir aux
coupables que, comme ils pervertissent la justice et la raison, et ne veulent
point participer au travail des hommes, de même l'ordre de la miséricorde sera
changé à leur égard (1); car elle sera accordée aux petits et aux misérables
(2), et ceux que l'orgueil a retenus dans une heureuse oisiveté seront punis
avec les démons qu'ils ont imités.
863. Vous devez, ma
très-chère fille, prendre garde à ces illusions;
et, pour les éviter, il faut que vous soyez toujours occupée à votre travail,
selon l'exemple que je vous ai donné, et que vous vous éloigniez des enfants
de Bélial (3), qui cherchent dans leur damnable oisiveté les applaudissements
de la vanité, pour travailler en vain (4). Ne vous regardez point comme
supérieure, mais comme la servante de vos inférieures, et surtout des plus
faibles et des plus humbles, et servez-les toutes avec beaucoup de diligence,
sans aucune distinction. Vous devez pourvoir à leurs besoins, même par votre
propre travail, si c'est nécessaire, croyant que cette obligation vous incombe
non-seulement en qualité de supérieure, mais
encore parce que les religieuses sont vos soeurs, les filles de votre Père
céleste et les ouvrages du Seigneur, qui est votre époux. Car, comme vous avez
(1) Ps. VII, 12. — (2) Sap., VI, 7. — (3)
II Paral., XIII, 7. — (4) Ps. IV, 3.
127
plus
reçu de sa main libérale qu'elles toutes ensemble, vous êtes aussi tenue à
travailler plus qu'aucune autre, puisque vous méritiez le moins ses faveurs.
Exemptez les faibles et les malades du travail corporel, et prenez-le
vous-même pour elles. Je ne veux pas que vous chargiez les autres des peines
que vous pouvez prendre et qui vous regardent; au contraire, vous devez vous
charger de tout leur travail autant qu'il vous sera possible, comme leur
servante et la moindre du couvent, car je veux que vous n'ayez qu'une pareille
opinion de vous-même. Et comme vous ne pourrez pas vous employer à tout et que
voua serez obligée de répartir les divers travaux corporels entre vos
inférieures, il faut bien veiller à mettre dans votre conduite beaucoup
d'ordre et d'impartialité, afin dé ne pas surcharger celles qui résistent
moins par humilité ou qui sont plus faibles: su contraire,
jq veux que vous cherchiez à humilier les plus
hautaines et celles qui s'appliquent à leur besogne avec plus de répugnance,
sans pourtant les irriter par une trop grande rigueur, mais en les amenant
sous le joug, de la sainte obéissance. avec une
humble fermeté et avec une douce sévérité. Vous leur rendrez ainsi le meilleur
office possible, et vous satisferez en même temps à vos obligations et à.
votre conscience; c'est ce que vous leur devez faire entendre. Vous viendrez à
bout, de tout si vous. ne faites, aucune acception
de personne, si, en donnant à chaque religieuse une tache en rapport avec ses
forces, vous lui fournissez toutes les choses nécessaires ; si vous observez
constamment
128
les
règles d’une stricte équité, et si par votre exemple vous leur inspirez de
l'horreur pour l'oisiveté et pour la paresse, en vous appliquant la première à
tout ce qui sera le plus difficile. Vous acquerrez par là une humble liberté
de commander à vos sueurs : mais souvenez-vous de ne vous décharger sur aucune
de ce que vota pouvez faire, si vous voulez jouir à mon imitation du fruit et
de la récompense de votre travail, suivre mes avis et obéir à mes ordres.
CHAPITRE XIV. Des maux et des infirmités que saint Joseph souffrit dans les
dernières années de sa vie, et des soins que lui donnait la Reine du ciel son
épouse.
864. C'est,un
défaut commun à presque tous ceux qui ont été appelés à la lumière et à la
profession de la sainte foi, et aux disciples qui devraient suivre
Jésus-Christ, de chercher en lui le Rédempteur qui nous délivre de nos péchés
plutôt que le Maître qui nous enseigne par son exemple à souffrir les
afflictions. Nous voulons tous jouir du fruit de la rédemption; nous demandons
tous que le Réparateur nous ouvre les portes de la grâce et du ciel, mais nous
ne nous soucions pas autant de le suivre dans le chemin
129
de la
croix, par lequel il est entré dans sa gloire, et dans lequel il nous invite à
marcher pour arriver à la nôtre (1). Sans doute les catholiques ne tombent pas
à cet égard dans les erreurs grossières des hérétiques, car tous avouent que
sans les bonnes oeuvres et sans les afflictions il n'y a ni récompense ni
couronne (2), et que c'est un véritable blasphème et un sacrilège horrible de
se prévaloir des mérites de notre Seigneur Jésus-Christ pour pécher sans
retenue et sans crainte; néanmoins, en la pratique des oeuvres qui supposent
la foi, certains catholiques enfants de la sainte Église ne cherchent guère à
se distinguer de ceux qui sont dans les ténèbres, puisqu'ils évitent les
oeuvres pénibles et méritoires, comme s'ils croyaient pouvoir, en dehors
d'elles, suivre leur adorable Maître et arriver à la participation de sa
gloire.
865. Sortons de cette
erreur manifeste, et soyons bien persuadés que la souffrance a été dévolue
non-seulement à notre Seigneur Jésus-Christ, mais
à nous aussi; et que s’il a enduré tant de peines et subi la mort comme
Rédempteur du monde, il nous a en même temps enseigné et engagés comme Maître
à porter sa croix. C'est à ses amis qu'il l'a communiquée, de sorte que ses
plus grands favoris en ont reçu une plus grande part et ont pu la porter plus
souvent personne n'est entré dans le ciel (étant en état de pouvoir le mériter
pendant sa vie) qu'il ne l'ait mérité par ses œuvres. La Mère de Dieu, les
apôtres, les
(1) Matth., XVI, 24;
Luc., XXIV, 26. — (1) II Tim., II, 5.
130
martyrs,
les confesseurs, les vierges, tous ont marché par les voies des afflictions,
et ceux qui les ont embrassées avec plus de générosité reçoivent une plus
grande récompense et une plus riche couronne. Que si cet adorable Seigneur est
le plus vif et le plus admirable exemplaire de la souffrance, on ne doit pas
pousser la témérité jusqu'à dire que s'il a souffert comme homme, il était à
la fois Dieu tout-puissant, et que par conséquent il a offert à la faiblesse
humaine plutôt un sujet d'admiration que d'imitation tir le Sauveur de nos
âmes renverse cette excuse par l'exemple de sa
très-chaste Mère et de saint Joseph, et par celui de tant d'hommes et
de femmes aussi faibles et moins coupables que nous, qui l'ont imité et suivi
par le chemin de la croix : en effet, le Seigneur n'a pas souffert seulement
pour exciter notre admiration, mais pour nous proposer un exemple admirable et
imitable en même temps : sa divinité ne l'a pas empêché de ressentir les
peines; au contraire, plus il était innocent, plus il était sensible à la
douleur.
866. Il conduisit par ce
chemin royal l'époux de sa très-pure Mère, saint
Joseph, que sa Majesté aimait sur tous les enfants des hommes; et, afin
d'accroître du mérites et d'embellir sa couronne pendant le temps qui lui
était accordé pour s'en rendre digne, ce divin Seigneur lui envoya dans les
dernières années de sa vie diverses maladies, des fièvres, de violentes
migraines, des rhumatismes aigus par tout le corps, qui le tourmentèrent et
qui l'affaiblirent extrêmement; outre ces infirmités, il passa par une autre
souffrance,
131
plus
douce et à la fois plus vive, qui résultait de la force de l'amour dont il
était embrasé : car cet amour était si ardent, et il jetait maintes fois le
saint patriarche dans des transports si véhéments, si irrésistibles, que son
très-pur esprit aurait rompu les chaînes du corps
sans le secours spécial que le même Seigneur, qui les lui causait, se plaisait
à lui ménager pour qu'il ne succombât point à cette douleur. Mais sa Majesté
lui laissait souffrir cette douce violence jusqu'au temps qu'elle avait
déterminé; et, dans l'état d'excessive faiblesse auquel le saint était réduit
par l'épuisement de la nature, cet héroïque exercice lui procurait
d'inestimables mérites, non-seulement eu raison du
supplice qu'il endurait, mais aussi à cause de l'amour qui le lui faisait
endurer.
867. Notre grande Reine,
son épouse, était témoin de tous ces mystères, et pénétrait, comme je l'ai dit
ailleurs, l'intérieur du saint, afin qu'elle ne fût pas privée de la joie
d'avoir un époux si saint et si aimé du Seigneur. Elle ne se lassait point de
considérer la candeur et la pureté de cette âme, ses ardentes affections, ses
hautes et divines pensées, sa patience et son inaltérable sérénité dans les
maladies; elle mesurait et pesait toutes les douleurs qu'elles apportaient au
grand patriarche sans qu'on l'entendit jamais se plaindre, soupirer ni
demander aucun soulagement soit dans ses souffrances, soit dans sa faiblesse,
soit dans ses divers besoins : car il supportait tout avec une résignation et
une magnanimité incomparables. Et comme sa très-prudente
épouse découvrait tout
132
cela
aussi bien que la valeur et le mérite de tant de vertus que le saint
pratiquait , elle conçut une si grande vénération pour lui, qu'il n'est pas
possible de l'exprimer. Elle travaillait avec une joie incroyable, afin de
mieux le nourrir et de mieux le soulager, quoique pour lui le plus grand régal
consistât en ce qu'elle-même lui apprêtait et lui servait à manger de ses
mains virginales. Mais, de son côté, tout ce. qu'elle
faisait elle l'estimait fort peu, eu égard aux besoins de son époux, et
surtout au grand amour qu'elle lui portait. C'est pourquoi elle usait assez
convent du pouvoir de Reine et Maîtresse de toutes les créatures; et elle
commandait quelquefois aux aliments qu'elle apprêtait pour son saint malade de
lui donner des forces et de lui rendre l'appétit, puisque c'était pour
conserver la vie du saint, du juste et de l'élu du Très-Haut.
868. Cela arrivait comme
notre illustre Dame l'ordonnait, parce que toutes les créatures lui
obéissaient; et quand saint Joseph mangeait et ressentait les douces
bénédictions et les merveilleux effets de ces aliments, il disait à la Reine
du ciel: « Noble épouse, quels aliments de vie sont ceux-ci, qui me
vivifient avec tant d'efficace, me réveillent l'appétit,
rétablissent mes forces et me remplissent d'une nouvelle consolation? » La
Reine du ciel le servait à genoux; lorsque ses douleurs augmentaient, elle le
déchaussait en la même posture, et dans ses langueurs elle le soutenait et
l'aidait avec une tendresse admirable. Et quoique l'humble saint
fit tous ses efforts
133
pour
empêcher son épouse de prendre cette peine, c'était toujours en vain; car la
divine infirmière, connaissant toutes les infirmités de son malade et les
moments où il fallait l'assister, accourait aussitôt près de lui et le
soignait dans tous ses besoins. Elle lui disait souvent, comme Maîtresse de la
sagesse et des vertus, des choses qui le consolaient extrêmement. Dans les
trois dernières années de la vie du saint, qui furent la période de ses plus
grandes douleurs, elle ne le quitta ni le jour ni la
nuit.; et si quelquefois elle s'en écartait, ce n'était que pour servir
son très-saint Fils, qui se joignait à sa Mère
pour assister le saint patriarche, excepté lorsqu'il était nécessaire qu'il
s'employât à d'autres oeuvres. De sorte que nous pouvons dire qu'il n'y a eu
et qu'il n'y aura jamais de malade aussi bien servi, soigné et soulagé. Et par
là l'on peut voir combien le bonheur et les mérites de saint Joseph furent
grands; car lui seul a mérité d'avoir pour épouse celle qui a été l'Épouse du
Saint-Esprit.
869. Notre divine Dame ne
satisfaisait point son affection pour saint Joseph par tous ces services dont
nous venons de parler; elle tâchait encore de le soulager et de le consoler
par d'autres moyens. Quelquefois elle priait le Seigneur, avec la plus ardente
charité, de délivrer son époux de ses douleurs et les lui envoyer à elle même.
Dans cette demande elle se croyait digne de toutes les peines des créatures,
dont elle se regardait comme la dernière, et c'est ce qu'elle alléguait en la
présence du Très-Haut : elle lui représentait
134
que sa
dette était plus grande que celle de tous les vivants ensemble, et qu'elle ne
lui rendait pas le retour qu'elle lui devait; en expiation, elle lui offrait
un coeur préparé à toutes sortes d'afflictions et de douleurs. Elle alléguait
aussi la sainteté, la pureté et la candeur de saint Joseph, et les délices que
le Seigneur prenait dans ce coeur si conforme à celui de sa Majesté. Elle le
priait de le combler de ses bénédictions, et lui rendait des actions de grâces
d'avoir créé un homme,si digne de ses faveurs et si
rempli de sainteté et de droiture. Elle recommandait aux anges de l'en louer
et glorifier, et, considérant la gloire et 1a sagesse du Très-Haut en ses
oeuvres, elle le bénissait par de nouveaux cantiques : car d'un côté elle
regardait les peines de son époux bien-aimé, et cette vue excitait sa
compassion; et d'un autre côté, connaissant ses mérites et les complaisances
que son adorable Fils y mettait, elle se réjouissait de la patience du saint
et en exaltait le Seigneur; de sorte que notre auguste Reine pratiquait dans
toutes ses oeuvres, et dans l'intelligence qu'elle en avait, divers actes de
vertus qui répondaient à chacune de ces mêmes oeuvres; mais ces actes étaient
tous si sublimes et si éminents, que les esprits angéliques se pâmaient
d'admiration. Avec leur ignorance, les mortels pourraient être plus ravis
encore de voir qu'une créature humaine donnât la plénitude à tant de choses
différentes, et que les soins de Marthe n'empêchassent point la contemplation
de Marie (1),
(1) Luc., X, 41, 42 ; Matt., XVIII, 10.
135
étant
en cela semblable aux anges qui nous assistent et nous gardent sans perdre de
vue le Très-Haut : mais la très-pure Épouse les
surpassait en cette attention, car elle travaillait en même temps par les
organes corporels, dont eux sont privés; fille terrestre d'Adam et esprit
céleste, elle se trouvait par la partie supérieure de l'âme élevée aux choses
les plus divines et à l'extase du saint amour, tandis que par la partie
inférieure de l'âme elle restait à exercer la charité envers son vénérable
époux.
870. En d'autres occasions
la pitoyable Reine savait combien les douleurs que souffrait saint Joseph
étaient cuisantes, et, touchée d'une tendre compassion, elle commandait, après
en avoir obtenu la permission de son adorable Fils, aux accidents douloureux
et à leurs causes naturelles de suspendre leur activité, et de ne point tant
affliger le juste et le bien-aimé du Seigneur. A ce commandement efficace (car
toutes les créatures obéissaient à leur grande Maîtresse), le saint se
trouvait délivré de ses maux, quelquefois pour un jour, d'autres fois pour un
temps plus long, selon qu'il plaisait au Très-Haut. Elle priait aussi en
d'autres rencontres les saints anges de consoler son époux et de le fortifier
dans ses souffrances, comme la condition fragile de la chair le demandait. Et
lorsqu'elle leur avait ainsi exprimé son désir, les esprits bienheureux se
montraient au saint malade sous une forme humaine, tous resplendissants de
beauté, et l'entretenaient de la Divinité et de ses perfections infinies.
Quelquefois ils lui faisaient entendre
136
les
accords harmonieux d'une musique céleste, et lui chantaient en choeur des
hymnes et des cantiques divins, par lesquels ils charmaient les douleurs de
son corps et enflammaient de plus en plus son âme
très-pure du saint amour. En outre, l'homme de Dieu avait pour
sa plus. grande
consolation une connaissance particulière, non-seulement
de toutes ces faveurs, mais aussi de la sainteté de sa
très-chaste Épouse, de l'amour qu'elle lui portait, de la charité
intérieure avec laquelle elle le servait, et des autres excellences et
prérogatives de cette puissante Reine de l'univers. Toutes ces choses réunies
produisaient de tels effets en saint Joseph, et le comblaient de tant de
mérites, que dans cette vie mortelle aucune langue humaine ne saurait les
décrire , aucune intelligence humaine ne saurait
même seulement les concevoir.
Instruction que l'auguste Reine du ciel m'a donnée.
871. Ma fille, l'exercice
de la charité envers les malades est une des oeuvres vertueuses qui sont le
plus agréables à Dieu, et le plus utiles aux âmes; parce qu'on y accomplit une
grande partie de la loi naturelle, qui ordonne à chacun de faire à l'égard de
sou prochain ce qu'il souhaiterait pour lui-même (1). On
(1) Matth., XXV, 34, etc.
137
trouve
dans l'Évangile que c'est une des causes que le Seigneur, allèguera pour
décerner la récompense éternelle aux justes, et que l'inobservation de cette
loi sera une des causes de la damnation des réprouvés. Et le même Évangile en
donne la raison que voici: tous les hommes étant enfants d'un seul Père
céleste, sa divine Majesté regarde le bien ou le mal, que l'on fait à ses
enfants, qui la représentent, comme fait à elle-même, ainsi qu'il arrive entre
les mortels. Indépendamment de la charité fraternelle, vous êtes encore unie
par d'autres liens aux religieuses; car vous êtes leur mère, et elles sont
aussi bien que vous les épouses de Jésus-Christ mon
très-saint Fils et mon Seigneur, de qui elles. ont
reçu beaucoup moins de faveurs que vous. Ces titres vous obligent plus
étroitement à les servir et à les soigner dans leurs maladies; c'est pour cela
que je vous si prescrit dans une autre occasion de vous considérer comme leur
infirmière, comme la moindre de toutes, et comme la plus strictement tenue à
ce rôle; je veux même que vous me soyez fort reconnaissante de ce
commandement, parce que je vous donne par son moyen un office qui est
très-estimable et très-grand
dans la maison du Seigneur. Pour vous acquitter dûment de cet emploi, vous ne
devez pas charger les autres de ce que vous pouvez faire par vous-même auprès
des malades, et ce que vous ne pourrez pas faire à cause des autres
occupations de votre office de supérieure, vous le devez recommander avec
instance à celles que vous chargerez en vertu de l'obéissance d'en prendre
soin. Et
138
quoique
l'on accomplisse en tout cela le devoir de la charité commune, il y a pourtant
une autre raison pour laquelle on doit secourir les religieuses dans leurs
maladies avec toute la sollicitude possible, c’est afin qu'elles ne regrettent
pas d'avoir quitté le monde, et ne se souviennent point avec tristesse de la
maison de leurs parents, en se voyant privées des choses nécessaires. Croyez
que de grandes misères surviennent dans les maisons monastiques par suite de
la négligence des infirmières; car la nature humaine est si impatiente, que si
dans la souffrance elle n'a point ce quelle réclame, elle se jette dans les
plus grands précipices.
872. La charité que j’ai
témoignée envers mon époux Joseph dans ses maladies vous servira de règle en
cette matière, et vous excitera à pratiquer cette doctrine. La charité et même
l'honnêteté sont lien languissantes, lorsqu'elles
attendent que celui qui est dans le besoin demande ce qui lui manque. Certes,
je n'attendais pas cela, moi, car j'assistais mon époux avant qu'il me
demandât le nécessaire, mon affection et ma prévoyance
prévenaient ses désirs; ainsi je le consolais,
non-seulement par mon secours, mais par ma tendresse et par mes
ingénieux empressements. Je ressentais ses douleurs et ses peines avec une
compassion intime, mais en même temps je louais le Très-Haut et lui rendais
des actions de grâces pour la faveur qu'il faisait à son serviteur. Si
quelquefois je tâchais de le soulager, ce n'était pas pour lui ôter l’occasion
de souffrir, mais afin qu’il s’animât par ce soulagement
139
à
endurer davantage, et qu'il eût un nouveau sujet de glorifier l'auteur de tout
ce qui est bon et saint; c'est à quoi je l'exhortais. On doit exercer cette
noble vertu de charité avec une semblable perfection ,
en prévenant autant qu'il sera possible le besoin du malade et du nécessiteux
en les encourageant par des paroles édifiantes, en les consolant par des
marques d'intérêt, en leur souhaitant quelque adoucissement à leurs maux comme
un bien, sans prétendre qu'ils perdent le bien plus grand qui se trouve dans
les souffrances. Prenez garde que l'amour-propre et sensible ne vous trouble
lorsque vos soeurs tombent malades, quand même ce seraient celles qui vous
sont les plus utiles ou les plus chères; car dans le monde et en religion,
plusieurs personnes perdent par là le mérite des afflictions; sous prétexte de
compassion, la douleur qu'elles ont de voir leurs amis nu leurs parents
malades, les déconcerte et les met dans l'impatience on dirait qu'elles ont à
blâmer les couvres du Seigneur, puisqu'elles ne se conforment point à sa
sainte volonté. En toutes choses je leur ai donné l'exemple, et j'exige de
vous que vous le suiviez parfaitement, en vous attachant à mes pas.
140
CHAPITRE XV. De la bienheureuse mort de saint Joseph, et de ce qui y
airiva; et comment notre Seigneur Jésus-Christ et sa
très-sainte Mère y assistèrent.
873. Il y avait déjà huit
ans que les maladies et les douleurs exerçaient saint Joseph, et. purifiaient
de plus en plus sou âme généreuse dans le creuset de la patience et de l'amour
divin; les accidents pénibles croissaient aussi avec les années; ses forces
diminuaient; le terme inévitable de la vie s'approchait, auquel on paie le
commun tribut de la mort, que doivent tous les enfants d'Adam (1) ; de son
côté, sa divine épouse redoublait de soins et de sollicitude, et ne se lassait
point de l'assister, de le servir avec une ponctualité scrupuleuse ; et cette
très-amoureuse Reine, sachant par sa rare sagesse
que la dernière heure en laquelle son très-chaste
époux devait sortir de ce cruel bannissement était fort proche, alla trouver
son adorable Fils, et lui parla en ces termes : « Mon Seigneur et mon Dieu,
Fils du Père éternel, Sauveur du monde, le temps de la mort de votre
141
serviteur
Joseph, que vous avez déterminé par votre volonté éternelle, s'approche, ainsi
que je le prévois par votre divine lumière. Je vous supplie, Seigneur, par vos
anciennes miséricordes et par votre bonté infinie, de l'assister en cette
heure, afin que sa mort soit aussi précieuse à vos yeux (1) que la droiture de
sa vie vous a été agréable, et qu'il sorte de cette vie en paix, et avec
des espérances certaines. de recevoir les
récompenses éternelles, que vous distribuerez le jour où vous ouvrirez par
votre clémence les portes du ciel à tous les fidèles. Souvenez-vous, mon Fils,
de l'amour et de l’humilité de votre serviteur; de la plénitude de ses mérites
et de ses vertus, de la fidélité et de la sollicitude qu'il m'a montrée;
souvenez-vous enfin qu'il a nourri votre suprême Majesté et votre très humble
servante à la sueur de son visage. »
874. Notre Sauveur lui
répondit: « Ma Mère, vos demandes me sont fort agréables, et les mérites
de Joseph me sont présents. Je l'assisterai maintenant, et lui assignerai au
moment venu une place si éminente entre les princes de mon peuple (2), que
ce sera un sujet d'admiration pour les anges, et pour eux comme pour les
hommes un motif d'éternelle louange; je ne ferai en faveur d'aucune
nation ce que je prétends faire à l'égard de votre époux. » Notre auguste Dame
rendit des actions de grâces à son très-doux Fils
pour cette promesse; et durant les
(1) Ps. CIV, 5. — (2) Ps. CXII, 7.
142
neuf
jours qui précédèrent la mort de saint Joseph, le Fils et la Ibère
l'assistèrent jour et nuit, s'entendant pour qu'il ne fût jamais privé des
soins de l'un des deux. Pendant le même laps de temps, les anges chantaient
par l'ordre du Seigneur trois fois par jour une musique céleste au saint
malade: elle était composée de cantiques de louange au Très-Haut, et de
bénédictions pour le saint lui-même. En outre , il
se répandit dans toute cette pauvre mais inestimable maison, une douce et
forte odeur de parfums si merveilleux, qu'elle fortifiait
non-seulement l'homme de Dieu, mais encore tous ceux qui furent à même
de la sentir du dehors, où beaucoup de personnes expérimentèrent ses effets.
875. Un jour avant sa mort,
étant tout enflammé du divin amour pour tant de bienfaits, il fut ravi en une
très-sublime extase, qui lui dura vingt-quatre
heures, le Seigneur lui conservant les forces et la vie par un concours
miraculeux ; et en ce haut ravissement il vit clairement l'essence divine, et
découvrit en elle sans voile ce qu'il avait cru par la foi, tant de la
Divinité incompréhensible que des mystères de l'incarnation et de la
rédemption, de l'Église militante et des sacrements dont elle est enrichie. La
très-sainte Trinité le choisit pour être le
précurseur de notre Sauveur Jésus-Christ auprès des saints pères et des
prophètes qui étaient dans les limbes, et le chargea de leur annoncer de
nouveau leur rédemption, et de les préparer à la visite que le même Seigneur
leur ferait pour les tirer de ce sein d'Abraham et les introduire
143
au lieu
du repos et du bonheur éternels. L'auguste Marie observa toutes ces merveilles
en filme de son très-saint Fils comme les autres
mystères; elle sut comment elles avaient été manifestées
à son époux bien-aimé, et en rendit de dignes actions de grâces à cet adorable
Seigneur.
876. Saint Joseph revint de
cette extase revêtu de splendeur et de beauté, et l'âme toute divinisée de la
vue de l'être de Dieu; et s'adressant à son épouse, il lui demanda sa
bénédiction : mais elle pria son très-saint Fils
de lui donner la sienne, ce que sa divine Majesté fit avec beaucoup de
complaisance. Alors notre grande Reine et Maîtresse de l'humilité s'étant mise
à genoux, pria aussi saint Joseph de la bénir comme son époux et comme son
chef ; et ce ne fut pas sans une impulsion divine que l'homme de Dieu, pour
consoler sa très-prudente épouse, lui donna sa
bénédiction avant que de s'en séparer, elle lui baisa ensuite la main dont il
l'avait bénie; et lui recommanda de saluer de sa part les saints patriarches
des limbes; mais le très-humble Joseph voulant
fermer le testament de sa vie par le sceau de la vertu d'humilité, demanda
pardon à sa divine épouse des fautes qu'il pouvait avoir commises à son
service, comme homme faible et terrestre, et la supplia de l'assister en cette
dernière heure, et de lui accorder l'intercession de ses prières. Il témoigna
surtout sa reconnaissance à notre adorable Sauveur des bienfaits qu'il avait
reçus de sa main très-libérale pendant toute sa
vie, et particulièrement en cette maladie; puis, faisant un dernier adieu à sa 142
neuf
jours qui précédèrent la mort de saint Joseph, le Fils et la Mère
l'assistèrent jour et nuit, s'entendant pour qu'il ne fût jamais privé des
soins de l'un des deux. Pendant le même laps de temps, les anges chantaient
par l'ordre du Seigneur trois fois par jour une musique céleste au saint
malade: elle était composée de cantiques de louange au Très-Haut, et de
bénédictions pour le saint lui-même. En outre , il
se répandit dans toute cette pauvre mais inestimable maison, une douce et
forte odeur de parfums si merveilleux, qu'elle fortifiait
non-seulement l'homme de Dieu, mais encore tous ceux qui furent à même
de la sentir du dehors, où beaucoup de personnes expérimentèrent ses effets.
875. Un jour avant sa mort,
étant tout enflammé du divin amour pour tant de bienfaits, il fut ravi en une
très-sublime extase, qui lui dura vingt-quatre
heures, le Seigneur lui conservant les forces et la vie par un concours
miraculeux ; et en ce haut ravissement il vit clairement l'essence divine., et
découvrit en elle sans voile ce qu'il avait cru par la foi, tant de la
Divinité incompréhensible que des mystères de l'incarnation et de la
rédemption, de l'Église militante et des sacrements dont elle est enrichie. La
très-sainte Trinité le choisit pour être le
précurseur de notre Sauveur Jésus-Christ auprès des saints pères et des
prophètes qui étaient dans les limbes, et le chargea de leur annoncer de
nouveau leur rédemption , et de les préparer à la
visite que le même Seigneur leur ferait pour les tirer de ce sein d'Abraham et
les
143
introduire
bu lieu du repos et du bonheur éternels. L'auguste Marie observa toutes ces
merveilles en l'âme de son
très-saint Fils comme les autres mystères; elle sut comment elles
avaient été manifestées à son époux bien-aimé, et en rendit de dignes actions
de grâces à cet adorable Seigneur.
876. Saint Joseph revint de
cette extase revêtu de splendeur et de beauté, et l'âme toute divinisée de la
vue de l'être de Dieu; et s'adressant à son épouse, il lui demanda sa
bénédiction : mais elle pria son très-saint fils
de lui donner la sienne, ce que sa divine Majesté fit avec beaucoup de
complaisance. Alors notre grande Reine et Maîtresse de l'humilité s'étant mise
à genoux, pria aussi saint Joseph de la bénir comme son époux et comme son
chef;, et ce ne fut pas sans une impulsion divine que l'homme de Dieu, pour
consoler sa très-prudente épouse, lui donna sa
bénédiction avant que de s'en séparer, elle lui baisa ensuite la main dont il
l'avait bénie; et lui recommanda de saluer de sa part les saints patriarches
des limbes; mais le très-humble Joseph voulant
fermer le testament de sa vie par-le sceau de la vertu d'humilité, demanda
pardon à sa divine épouse des fautes qu'il pouvait avoir commises à son
service, comme homme faible et terrestre, et la supplia de l'assister en cette
dernière heure, et de lui accorder l'intercession de ses prières. Il témoigna
surtout sa reconnaissance à notre adorable Sauveur des bienfaits qu'il avait
reçus de sa main très-libérale pendant toute sa
vie, et particulièrement en cette maladie; puis, faisant un dernier adieu à sa
144
très-sainte
épouse, il lui dit: « Vous êtes bénie entre toutes les femmes , et
choisie entre toutes les créatures. Que les anges et les hommes vous
louent, que toutes les nations connaissent ,
célèbrent et exaltent votre dignité; que le nom du Très-Haut
soit par vous connu, adoré et glorifié dans tous les siècles futurs,
qu'il soit éternellement loué de tous les esprits bienheureux de vous
avoir créée si agréable à ses yeux. J'espère jouir de votre vue dans la
patrie céleste. »
877. Après cela l'homme de
Dieu se tourna vers notre Seigneur Jésus Christ, et voulant à cette heure
solennelle parler à sa Majesté avec un profond respect, il fit tous ses
efforts pour se mettre à genoux sur terre; mais le
très-doux Jésus s'approcha de lui et le reçut dans ses bras : alors le
saint y appuya la tête et lui dit : « Mon Seigneur et mon Dieu, Fils du Père
éternel , créateur et rédempteur du monde, donnez votre bénédiction
éternelle à votre serviteur, qui est l'ouvrage de vos mains; pardonnez, Roi
très clément, les fautes que j'ai commises étant à votre service et en
votre compagnie Je vous confesse, je vous glorifie , et je vous rends
avec un coeur contrit et humilié des actions de grâces éternelles d'avoir
daigné, par votre bonté ineffable, me choisir entre les hommes pour être
l'époux de votre véritable Mère; faites , Seigneur , que votre propre
gloire soit ma reconnaissance durant toute l’éternité. » Le Rédempteur
du monde lui donna sa bénédiction, et lui dit : « Mon père, reposez en paix,
en la grâce de
145
mon Père
céleste et en la mienne; donnez de bonnes nouvelles à mes prophètes et à
mes saints, qui vous attendent dans les limbes; dites-leur que leur
rédemption est fort proche. » Au moment où notre aimable Sauveur disait ces
paroles, le bienheureux Joseph expira entre ses bras, et sa divine Majesté lui
ferma les yeux. Incontinent les anges, qui étaient avec leur Roi et leur
Reine, entonnèrent de doux cantiques de louanges. Ensuite ils conduisirent par
ordre du souverain Roi, cette âme très-sainte dans
les limbes des saints patriarches, qui tous, aux splendeurs de grâce
incomparable dont elle brillait, reconnurent le père putatif du Rédempteur du
monde, et en lui son grand favori digne d'une grande vénération; et
remplissant la mission qu'il avait reçue du Seigneur, il causa une nouvelle
joie à l'innombrable assemblée des justes, par l'annonce de leur prochaine
délivrance.
878. Il ne faut pas omettre
que, quoique la précieuse mort de saint Joseph fût précédée d'une si longue
maladie et de tant de douleurs, elles n'en furent pourtant pas la cause
principale, car il aurait pu naturellement vivre plus longtemps malgré toutes
ses infirmités, si elles n'avaient été aggravées par les effets et les
accidents que produisait en lui le très-ardent
amour dont brûlait son très-chaste coeur; et afin
que cette bienheureuse mort fût plutôt un triomphe de l'amour qu'une peine des
péchés, le Seigneur suspendit le concours miraculeux par lequel il conservait
les forces physiques de son serviteur, et
146
empêchait que le divin incendie ne les consumât; de sorte que ce concours
manquant, la nature succomba, et les liens qui retenaient cette âme
très-sainte dans la prison du corps mortel, furent
rompus; or, c'est en cette séparation que consiste notre mort. Ainsi l'amour
fut la dernière des maladies de Joseph que j'ai décrites : ce fut aussi la
plus grande, puisqu'elle amène le sommeil du corps, et la, plus glorieuse,
puisqu'elle contient le principe d'une vie assurée.
879. La grande Reine du
ciel, voyant son époux mort, s'occupa des préparatifs de la sépulture, et
ensevelit son corps selon- la coutume, sans que d'autres mains que les siennes
le touchassent, et celles des anges, qui l'assistèrent en forme humaine; et
pour satisfaire la modestie incomparable de la Mère Vierge, le Seigneur
revêtit les membres de saint Joseph d'une splendeur céleste, qui l'enveloppait
de façon qu'on n'en pouvait découvrir que le visage; ainsi la
très-pure Épouse ne vit point le reste du corps,
quoiqu'elle l'ensevelit pour l'enterrement. Il y eut quelques personnes qui
vinrent dans la maison, attirées par la douce odeur
que ce saint corps exhalait, et le trouvant aussi beau et aussi flexible que
s'il eût été encore vivant, elles en eurent une grande admiration. Il fut
porté à la sépulture commune, accompagné des parents, des amis et d'une foule
nombreuse à la tête de laquelle marchaient le Rédempteur du monde, sa
très-sainte Mère, et une grande multitude d'anges.
Mais en ces circonstances, notre très-prudente
Reine conserva dans toute sa conduite une dignité et une
147
sérénité
inaltérables; sa physionomie ne trahit en rien la faiblesse de son sexe, et sa
douleur ne l'empêcha point de prévoir toutes les choses nécessaires aux
obsèques de son époux, et au service de son très. saint
Fils. De sorte qu'elle s'employait à tout avec une magnanimité royale. Bientôt
elle rendit des actions de grâces à son adorable Fils des faveurs qu'il avait
faites à saint Joseph; et redoublant les démonstrations de son humilité, elle
se prosterna devant sa Majesté, et lui dit : « Mon Fils et Seigneur de tout
mon êtres la sainteté de mon époux Joseph a pu vous arrêter jusqu'à présent et
nous procurer l'honneur de votre douce compagnie; mais par la mort de votre
bien-aimé serviteur, j'ai sujet d'appréhender la perte du bien que je ne
mérite pas; faites, Seigneur, que votre. propre
bonté vous sollicite de ne point m'abandonner, de me recevoir de nouveau pour
votre servante, et d'agréer les humbles désirs d'un coeur qui vous aime. »
Notre aimable Sauveur accueillit avec complaisance cette nouvelle offre de sa
très-pure Mère, et lui réitéra la promesse de ne
point la laisser seule avant que fût arrivé le moment marqué par le Père
éternel, où il devrait la quitter pour commencer sa prédication.
148
Instruction de
notre auguste Princesse.
880. Ma
très-chère fille, il n'est pas fort extraordinaire
que votre coeur ait été ému de compassion à l'égard de ceux qui sont à
l'article de la mort, et animé d'un désir particulier de les assister en cette
dernière heure; car il. est vrai, comme vous l'avez compris, que les âmes
souffrent alors des peinés incroyables et courent les plus graves dangers,
tant à cause des embûches du démon, qu'à cause des impressions des objets
visibles et des sentiments de la nature elle-même. C'est en ce moment que le
procès de la vie est vidé, et que la dernière sentence de mort ou de vie
éternelle, de peine ou de gloire, est prononcée; et comme le Très-Haut se
plaît à seconder ce désir charitable qu'il vous a donné, je veux, pour vous
aider à le réaliser, l'augmenter en vous, et je vous recommande de concourir
de toutes vos forces à la grâce, et de faire tous vos efforts pour nous obéir.
Sachez donc, ma fille, que lorsque Lucifer et ses ministres de ténèbres
reconnaissent par les accidents et par les causes naturelles que les hommes
sont atteints d'une maladie mortelle, ils s'arment aussitôt de toutes leurs
ruses pour attaquer le pauvre malade rempli d'ignorance, et pour tâcher de
l'abattre par diverses tentations; et comme ces ennemis voient qu'il ne leur
reste plus guère de temps pour persécuter son âme, ils y veulent suppléer en
redoublant leurs efforts, leur rage et leur malice.
149
881. Ils s'unissent tous à
cet effet comme des loups carnassiers, et cherchent à reconnaître de nouveau
l'état du malade, par ses qualités naturelles et acquises; ils étudient ses
inclinations et ses habitudes, et par quel endroit ils le trouveront plus
faible, afin de l'assaillir par là avec plus de- violence. Ils persuadent à
ceux qui ont un amour déréglé pour la vie, que le péril n'est pas si grand;
ils empêchent qu'on ne les détrompe, ils inspirent de nouvelles tiédeurs à
ceux qui ont été négligents à fréquenter les sacrements, et leur suggèrent de
plus grandes difficultés, afin qu'ils meurent sans les recevoir, ou qu'ils,
les reçoivent sans fruit et avec de mauvaises dispositions. Ils jettent les
uns dans une honte funeste pour qu'ils ne découvrent point leurs péchés. Ils
troublent et embarrassent les autres pour qu'ils ne satisfassent point à leurs
obligations, et qu'ils ne se mettent pas eu peine de décharger leur
conscience. Ils excitent les orgueilleux à ordonner à leurs héritiers, même en
cette dernière heure, de faire après leur mort une foule de choses remplies de
vanité et d'ostentation. Ils portent les avares et les sensuels à se rappeler
les objets de leurs passions aveugles. Enfin, ces cruels ennemis se servent de
toutes les mauvaises habitudes des malades pour les attirer dans le précipice
et pour leur rendre le retour difficile ou impossible. De sorte que tous les
actes qu'on a commis pendant la vie et par lesquels on a contracté des
habitudes vicieuses., sont comme les trophées et
les armes offensives dont l'ennemi commun se sert pour combattre les hommes
150
en cette
heure formidable de la mort; car tous les appétits désordonnés qu'on a
satisfaits, sont alors comme autant de brèches par où il entre dans le château
de l'âme, pour y répandre son mortel venin, et y amener des ténèbres épaisses,
effet naturel de sa présence, afin qu'elle rejette les inspirations divines,
quelle n'ait aucune véritable douleur de ses péchés, et qu'elle finisse une
vie mauvaise dans l'impénitence.
882. Ces ennemis causent
généralement de grands dommages en cette heure, par l'espérance trompeuse
qu'ils donnent aux malades d'une plus longue vie, et en leur faisant accroire
qu'ils pourront exécuter plus tard ce que Dieu leur inspiré alors par l'organe
de ses anges : fatale illusion qui trop souvent les perd. Le danger de ceux
qui ont négligé pendant leur vie le remède des sacrements, est aussi
formidable à l'heure suprême, car la justice divine punit ordinairement ce
mépris, qui est horrible au Seigneur et aux saints, en abandonnant ces &mes
imprudentes entre les mains de leur mauvais conseil: En effet, puisque, loin
de vouloir profiter du remède efficace au temps propice, elles n'ont fait que
le dédaigner, elles méritent par un juste jugement d'être dédaignées à leur
tour en cette dernière heure, jusqu'à laquelle elles ont différé par une folle
assurance de s'occuper de leur salut éternel. Il y a fort peu de justes que
l'antique serpent n'attaque avec une fureur incroyable quand ils sont
dangereusement malades. Et s'il prétend alors vaincre les plus
grands sainte, que doivent
151
espérer
les négligents et les vicieux, qui ont employé toute leur vie à démériter la
grâce et les faveurs divines, se trouvant dépourvus de bonnes oeuvres dont ils
pourraient se prévaloir contre leur ennemi? Mon sains; époux Joseph fut un de
ceux qui jouirent du privilège de ne voir point le démon dans cette extrémité:
car ces esprits de ténèbres, voulant s'en approcher, sentirent une puissante
force qui les arrêta, et les anges les précipitèrent ensuite dans les abîmes
infernaux, où ils éprouvèrent un accablement si affreux (selon, votre manière
de concevoir ces choses-là) qu'ils en furent tout troublés et tout stupéfaits.
Ce prodige donna lieu à Lucifer de convoquer une assemblée on un conciliabule
pour en découvrir la cause, et pour ordonner à ses ministres de parcourir le
monde et de rechercher si par hasard le Messie y était venu; et il arriva dans
cette rencontre ce que vous écrirez plus loin.
883. Vous comprendrez par
là le danger imminent où l'on se trouve à l'heure de la mort, et combien
d'âmes périssent en ce moment auquel les mérites et les péchés des hommes
commencent à produire leur fruit. Je ne vous. déclare
point le grand nombre de ceux qui se perdent, parce que, le connaissant et
ayant un véritable amour pour le Seigneur, vous en mourriez de douleur; mais
vous devez savoir qu'en règle générale une bonne mort suit une bonne vie, et
que dans les autres cas elle est fort incertaine, fort rare et fort chanceuse.
Le plus au moyen d'arriver au but, c'est de se mettre tôt à courir; ainsi je
vous
152
avertis
de regarder désormais chaque jour de votre vie comme s'il en devait être le
dernier, puisque vous ne savez pas si vous arriverez au lendemain, et de
préparer votre âme de façon que vous puissiez recevoir la mort avec joie si
elle se présentait. Ne différez donc pas un instant de vous repentir de vos
péchés, et de prendre le parti de vous en confesser aussitôt que
vous vous en apercevrez; corrigez en vous jusqu'à
la moindre imperfection, et faites en sorte de ne laisser subsister dans votre
conscience aucune tâche qui puisse la souiller sans la laver de vos larme,
sans vous en purifier par le sang de Jésus-Christ mon
très-saint Fils, et sans vous mettre en état de pouvoir paraître devant
le juste Juge qui doit vous examiner, et juger jusqu'à la plus petite de vos
pensées et au moindre mouvement de vos puissances.
884. Si vous voulez aider,
comme vous le souhaitez, ceux qui sont en cette dangereuse extrémité,
commencez par conseiller à tous ceux que vous pourrez ce que je viens de vous
dire, et par leur faire entendre que pour obtenir une bonne mort ils doivent
vivre soucieux de leurs âmes. En outre, vous prierez tous les jours à cette
intention sans l'oublier jamais, et vous supplierez le
Tout-Puissant de détruire les embûches et les batteries que les démons
dressent contre les agonisants, et de les confondre tous par sa divine droite.
Je faisais cette même prière pour les mortels, comme vous le savez, c'est
pourquoi je veux que vous la fassiez aussi à mon imitation. Et, afin que vous
leur donniez un plus grand secours, je vous enjoins de
153
commander aux démons de s'en éloigner et de ne point les inquiéter; et vous
pouvez user de ce pouvoir sans aucune difficulté, quoique vous ne soyez pas
auprès des malades, puisque le Seigneur s'y trouve, lui, au nom duquel vous
les devez chasser pour sa plus grande gloire.
885. Instruisez vos
religieuses dans ces occasions, mais sans les troubler. Ayez un grand soin de
leur faire recevoir incontinent les sacrements et de les porter à les
fréquenter toujours. Tâchez de les encourager et de les consoler en les
entretenant des choses de Dieu, de ses mystères et de ses Écritures, pour
enflammer dé plus en plus leurs bons désirs et leurs saintes affections, et
pour les disposer à recevoir les lumières et les influences célestes.
Confirmez-les dans l'espérance; fortifiez-les contre les tentations, et
enseignez-leur comment elles y doivent résister et les moyens de les vaincre,
cherchant à les deviner avant qu'elles vous les confient; et si vos
conjectures sont insuffisantes, le Très-Haut vous les découvrira et volis
éclairera, afin que vous appliquiez à chacune le remède qui lui sera
convenable, car les maladies spirituelles sont difficiles à connaître et à
guérir. Vous devez profiter, comme une fille bien-aimée, de tous les avis que
je vous donne pour le service du Seigneur. Je vous obtiendrai de sa divine
Majesté quelques privilèges pour vous et pour ceux que vous désirerez assister
en cette heure formidable. Ne soyez pas avare dans cette charitable
distribution, car en cela vous ne devez pas agir par ce que vous êtes, mais
par
154
ce que
le Très-Haut veut opérer en vous par lui-même.
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