Livre III - Ch. I-XV

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INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME PARTIE.

De l'Histoire divine, et de la très-sainte vie de Marie, Mère de Dieu.

DEUXIÈME PARTIE. QUI CONTIENT LES MYSTÈRES DEPUIS L'INCARNATION DU VERBE DANS LE SEIN VIRGINAL DE MARIE JUSQU'À SON ASCENSION.

LIVRE TROISIÈME. QUI CONTIENT LA TRÈS-HAUTE DISPOSITION QUE LE TOUT-PUISSANT OPÉRA EN LA TRÈS-SAINTS VIERGE POUR L'INCARNATION DU VERBE. — CE QUI CONCERNE CE MYSTÈRE. — LE TRÈS-SUBLIME ÉTAT AUQUEL L'HEUREUSE HÈRE SE TROUVA. — LA VISITE QUELLE FIT A SAINTE ÉLISABETH, ET LA SANCTIFICATION DE JEAN-BAPTISTE. — LE RETOUR A NAZARETH, ET UN FURIEUX COMBAT QU'ELLE EUT AVEC LUCIFER.

CHAPITRE I. Le Très-Haut commence à disposer la très-sainte Vierge su mystère de l’Incarnation, et le tout s'exécute pendant les neuf jours qui précédèrent cet auguste mystère. — On commence par déclarer ce qui arriva dans le premier jour.

Instruction, que la Reine du ciel me donna.

CHAPITRE II. Dans le second jour, le Seigneur continue en la très-sainte Vierge les faveurs et les dispositions pour l'incarnation du Verbe.

Instruction de la Reine die ciel.

CHAPITRE III. Qui continue ce que le Très-Haut communiqua à la très-sainte Vierge dans le troisième jour.

Instruction que notre auguste Reine me donna.

CHAPITRE IV. Le Très-Haut continue ses bienfaits à la très-sainte Vierge dans le quatrième jour.

Instruction que la divine Reine me donna.

CHAPITRE V. Le Très-Haut manifeste de nouveaux mystères à la très-sainte.Vierge en lui découvrant les œuvres du cinquième jour de la création. — Elle renouvelle ses demandes pour l'incarnation du Verbe.

Instruction que la Reine du ciel me donna.

CHAPITRE VI. Le Très-Haut manifeste à  notre Reine d'autres mystères, et les œuvres du sixième jour de la création.

Instruction que la divine Dame me donna.

CHAPITRE VII. Le Très-Haut célèbre de nouvelles épousailles avec la Princesse du ciel pour la préparer aux noces de l'incarnation.

Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

CHAPITRE VIII. Notre grande Reine demande, en la présence du Seigneur, l'exécution de l'incarnation et de la rédemption du genre humain, et sa divine Majesté lui accorde sa demande.

Instruction de la Reine du ciel.

CHAPITRE IX. Le Très-Haut fait de nouvelles faveurs à la très-sainte Vierge. — Il la met de nouveau en possession de l'empire de toutes les créatures, et ce fut la dernière disposition qu'elle reçut pour l'incarnation du Verbe.

Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

CHAPITRE X. La très-sainte Trinité envoie l'archange Gabriel pour annoncer à la très-pure Mère qu'elle était choisie pour être la Mère de Dieu.

Instruction de la Reine du ciel.

CHAPITRE XI. La très-pure Marie reçoit l'ambassade du saint archange. — Le mystère de l'Incarnation s'accomplit, elle conçoit le Verbe éternel dans son sein virginal.

Instruction de la Mère de Dieu.

CHAPITRE XII. De ce que la très-sainte âme de notre seigneur Jésus-Christ fit dans le premier instant de sa conception, et ce que sa très-pure Mère opéra alors.

Instruction que notre auguste Reine me donna.

CHAPITRE XIII. Qui déclare l’état où se trouva la très-sainte Vierge après l'incarnation du Verbe dans son sein virginal.

Réponse et instruction de notre Reine.

CHAPITRE XIV. Des soins que la très-sainte Vierge prenait de sa grossesse, et de plusieurs choses qui lui arrivèrent pendant ce temps.

Instruction de la Mère de Dieu.

CHAPITRE XV.  La très-pure Marie sut que c'était la volonté du Seigneur qu'elle allât voir sainte Élisabeth. — Elle en demande la permission à saint Joseph sans lui déclarer autre chose.

Instruction de la Reine du ciel,

ANNEXE. (Note sur Marie d'Agréda)

 

INTRODUCTION DE LA DEUXIÈME PARTIE.

 

De l'Histoire divine, et de la très-sainte vie de Marie, Mère de Dieu.

 

1. Lorsque je présentais à la divine Majesté le petit service et le travail de ce que j'avais écrit sur la première partie de la très-sainte vie de Marie, Mère de Dieu, pour soumettre à la correction de sa divine lumière ce que j'en avais exprimé par son secours, mais selon mon pauvre génie, je voulus en même temps savoir de nouveau, pour ma consolation, si le tout était du bon plaisir du Très-Haut, et s'il me commandait de continuer ou de suspendre cet ouvrage, si fort au-dessus de ma portée. Le Seigneur me répondit : « Vous avez bien écrit, et ce que vous avez fait a été de notre bon plaisir; mais nous voulons que vous sachiez que vous avez besoin d'une nouvelle et plus grande disposition pour  manifester les très-hauts mystères renfermés dans le reste de la vie de notre incomparable et bien-aimée Épouse, Mère de notre Fils unique. Nous voulons que  vous mouriez entièrement à tout ce qui est imparfait

 

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et visible, et que vous viviez selon l'esprit; que vous renonciez à toutes les opérations et à toutes les coutumes de la créature, afin que les vôtres, purifiées et conformées à ce que vous devez apprendre et écrire, soient plutôt de l'ange. »

2. J'aperçus dans cette réponse du Très-Haut que sa divine Majesté m'ordonnait et exigeait de moi une manière de pratiquer les vertus si nouvelles et une si haute perfection de vie et de mœurs, qu'étant comme dans la méfiance de moi-même, je me trouvai toute troublée et tremblante d'entreprendre une chose si ardue et si difficile pour une créature terrestre. Je ressentis en moi de grandes contradictions entre la chair et l'esprit (1). Celui-ci m'appelait par une force intérieure, m'excitant à acquérir la parfaite disposition que le Seigneur me demandait; et pour ses raisons, il m'alléguait la grande complaisance du même Seigneur et mes propres avantages. Celle là me contredisait, résistait à la divine lumière et me faisait perdre courage, me jetant dans de terribles craintes de mon inconstance (2). Je sentais dans ce combat une sorte de résistance qui me retenait et une lâcheté qui me terrassait; et dans ce trouble je me persuadais toujours plus que je n'étais pas capable de traiter de choses si relevées et si éloignées de la condition de mon sexe.

3. Vaincue par la crainte et par la difficulté, je me déterminai de ne poursuivre pas cet ouvrage, et de faire tout mon possible pour cela. L'ennemi commun connut ma lâcheté, et, comme sa cruauté s'acharne davantage contre les faibles et les timides, se prévalant de l'occasion, il

 

(1) Galat., V, 17. — (2) Rom., VII, 23.

 

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m’attaqua avec une fui mur incroyable, parce qu'il lui semblait me trouver abandonnée de Celui qui me pouvait délivrer de ses mains; pour déguiser sa malice, il tâchait de se transformer en ange de lumière, feignant d'être fort zélé pour mon âme et pour mon avancement; et, sous ce faux prétexte, il s'opiniâtrait à me persuader que j'étais prête à faire naufrage, m'exagérant le péril de ma damnation, et me menaçant d'un châtiment semblable à celui du premier ange (1), parce qu'il me représentait que j'avais voulu entreprendre par orgueil ce qui était au-dessus de mes forces et contre Dieu même.

4. Il me proposait plusieurs âmes qui, faisant profession de la vertu, avaient été déçues par quelque secrète présomption, et pour avoir donné lieu aux tentations du serpent; et il me faisait entendre que de scruter les secrets de la Majesté divine, comme je faisais, cela ne pouvait pas être sans un orgueil fort téméraire (2) dans lequel je me trouvais plongée. Il insista beaucoup sur ce que les temps présents étaient malheureux pour ces sortes de matières, et il le confirma par quelques exemples de différentes personnes assez connues qui y avaient été trompées; par les troubles et les frayeurs que plusieurs autres reçurent en voulant entreprendre de mener une vie spirituelle; par le déshonneur que la moindre imperfection qu'on découvrirait en moi me procurerait, et par les mauvais effets que mon entreprise causerait en ceux qui ont peu de piété, m'assurant que je connaîtrais tout cela par expérience et à mon préjudice, si je continuais à écrire sur celte matière. Étant une chose certaine que toutes les contradictions que souffre la vie spirituelle et

 

(1) Isa., XIV, 10. — (2) Prov., XXV, 27.

 

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le mauvais accueil que le monde fait aux idées mystiques sont l'ouvrage de cet ennemi mortel, qui, pour détruire la dévotion et la vertu chrétienne en plusieurs, tâche d'en tromper quelques-uns et de semer son ivraie parmi la bonne semence du Seigneur pour l'étouffer (1), s'il pouvait, et pour détourner le véritable jugement qu'on doit faire des choses, afin que l'on ait parce moyen plus de difficulté de séparer les ténèbres de la lumière; et cette difficulté ne me. surprend pas, parce que cette séparation est réservée à Dieu et à ceux qui participent à la véritable sagesse, et qui ne se gouvernent point par celle de la chair.

5. Il est difficile de discerner, durant la vie mortelle, la véritable prudence d'avec la fausse; parce que, bien souvent même, la bonne intention et le zèle éblouissent le jugement humain, s'il n'est sur ses gardes et éclairé de la lumière céleste. Et c'est ce que j'ai découvert dans cette occasion; parce que plusieurs personnes que je connaissais, les unes par dévotion, les autres par amitié et par zèle de mon avancement, et d'autres par mépris, toutes tâchèrent en un même temps de me dissuader de continuer cet ouvrage, et de me détourner du chemin que le suivais, comme si je l'avais choisi moi-même : et l'ennemi ne me troubla pas médiocrement par le moyen de ces personnes, parce que la crainte de quelque confusion ou de quelque déshonneur, qui pouvait arriver à ceux qui exerçaient leur charité à mon égard, à la religion et à mes parents, et singulièrement au monastère où je suis, leur causait de très-grandes peines, et à moi des afflictions bien. sensibles. La sûreté qu'on me promettait

 

(1) Matth., XIII, 25.

 

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en suivant le chemin ordinaire des autres religieuses m'ébranlait extrêmement. Et je confesse que cela s'accordait davantage avec mes inclinations naturelles et mes désirs, et beaucoup plus avec ma faiblesse et mes terreurs.

6. Mon coeur étant agité parmi ces flots impétueux, je tâchai d'arriver au port de l'obéissance, qui me rassurait dans la mer amère de ma confusion. Et ce qui augmenta mes peines, fut qu'on parlait dans cette occasion d'employer à de plus hautes charges de la religion mon Père spirituel et supérieur, qui avait conduit mon âme durant plusieurs années et connu mon intérieur et mes persécutions; qui m'avait aussi ordonné d'écrire tout ce qui m'était inspiré, me faisant espérer que par sa direction j'arriverais à bon port, et je jouirais du repos et de la consolation. Ce projet ne fut point exécuté, mais il s'absenta dans cette conjoncture pour un assez long temps, et le dragon infernal se prévalait de tout cela pour faire déborder sur moi le fleuve de ses plus furieuses tentations (1) : ainsi, dans cette rencontre comme dans plu. sieurs autres, il employa toute sa malice à vouloir me détourner de l'obéissance et des bons avis de mon supérieur, mais tous ses efforts furent vains.

7. Le démon joignit à toutes les traverses et les tentations que je dis, et à plusieurs autres que je ne puis raconter, la perte de ma santé, dont il me priva en me causant plusieurs indispositions et en altérant toutes mes humeurs. Il me suscita une tristesse invincible, il me! troubla le cerveau, et il me semble qu'il voulait obscurcir l'entendement, empêcher la raison, affaiblir la volonté

 

(1) Apoc., XII, 15.

 

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et me bouleverser entièrement quant à l'âme et quant au corps. Et c'est ce qui arriva, parce que, dans la confusion on j'étais, je tombai dans quelques manquements assez considérables pour moi; et, quoique je les tisse plus par fragilité humaine que par malice, néanmoins le serpent s'en prévalut plus que d'aucun autre moyen pour m'abattre; parce que, m'ayant troublé le cours des bonnes oeuvres pour me faire tomber, il lâcha ensuite sa fureur en me délivrant de ces troubles, afin que je connusse avec une plus grande réflexion lés fautes que j'avais commises. Il me seconda en cela par des suggestions aussi impies que spécieuses, voulant me persuader que tout ce qui s'était passé à mon égard, dans les voies ou je suis, était faux et trompeur.

8. Comme cette tentation se présentait ainsi, accompagnée du remords de fautes réellement commises et du cortége de toutes les terreurs qui m'assaillaient sans cesse, je lui résistai moins qu'aux autres; et ce fut une singulière miséricorde du Seigneur que je ne perdisse pas entièrement dans cette situation l'espérance et la foi d'y obtenir un remède. Mais je fus si remplie de confusion et si fort abîmée dans les ténèbres, que je puis dire que les frayeurs de la mort et les douleurs de l'enfer m'environnèrent (1), et, m'ayant portée jusqu'à reconnaître le dernier péril, je me déterminai à brûler les écrits de la première partie de cette divine histoire pour ne pas poursuivre la seconde. Et le démon ajouta à cette résolution qu'il m'inspirait la pensée de tout quitter, me faisant entendre que je ne devais plus traiter des voies de la vie spirituelle ni de ce qui se passait dans mon intérieur,

 

(1) Ps. XVII, 5 et 6.

 

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et que je ne devais plus m'y amuser ni le communiquer à personne; moyennant quoi je pouvais faire pénitence de mes péchés et apaiser le Seigneur, qui était irrité contre moi. Pour assurer davantage sa, malice cachée, il me proposa de faire voeu de n'écrire plus, à cause du danger qu'il y avait d'être trompée et de tromper, pour ne. plus prendre soin que de corriger ma vie, d'en retrancher les imperfections et d'embrasser la pénitence.

9. Par toutes ces apparences de vertu, le dragon prétendait donner du crédit à ses mauvais conseils, et se couvrir de la peau de brebis, n'étant cependant qu'un loup carnassier et ravissant. Il s'obstina quelque temps é cette lutte; et je fus (surtout pendant quinze jours) dans une nuit fort ténébreuse, sans repos et sans aucune consolation divine ni humaine, parce que le conseil de mon directeur et le secours de l'obéissance me manquaient, et que d'ailleurs le Seigneur avait suspendu les, effusions de ses faveurs, les communications et les lumières intérieures qu'il m'avait auparavant accordées. C'est surtout la perte de ma santé qui me tourmentait, et avec elle 1a pensée des approches de la mort et du péril de ma damnation : car l'ennemi dressait et faisait jouer toutes ses machines.

10. Mais, comme il ne laisse dans son départ que des amertumes insupportables et des sentiments de désespoir, le même trouble dont il se servait pour altérer toutes mes puissances et les habitudes acquises, me rendit plus avisée pour n'exécuter aucune des choses auxquelles il me poussait, ou que je projetais dans mon désordre. Il ne cessait de se servir de la crainte pour me crucifier l'âme; me faisant constamment prévoir le danger, d'offenser Dieu et de perdre son amitié, et en outre, il

 

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m'objectait l'ignorance que j'avais des choses divines, pour me les faire suspecter de fausseté. Mais cette même crainte me faisait douter aussi sur ce que le fin dragon me persuadait, et par ce doute j'étais empêchée de lui ajouter foi. Les égards que j'avais pour l'obéissance m'étaient pareillement d'un grand secours, mes supérieurs m'ayant commandé d'écrire et de faire tout le contraire de ce que je sentais dans ces sortes de persuasions, m'ordonnant de leur résister et de n'en faire aucun cas. Joint qu'une secrète protection du Très-Haut me défendait, et ne voulait point abandonner aux bêtes l'âme qui le glorifiait parmi tant de troubles et d'afflictions, quoique ce fût avec des gémissements et des soupirs continuels. Je ne puis trouver des termes pour exprimer les tentations, les résistances, les insultes, les peines, les douleurs que je ressentis dans ce combat, parce que je me vis dans un tel état, que je crois qu'intérieurement il n'y avait point d'autre différence de celui-là à celui des damnés, sinon qu'en celui-ci il n'y a aucune rédemption, et en l'autre il peut y en avoir.

11. En un de ces jours, pour respirer un peu, je m'écriai du profond de mon coeur, et je dis : Hélas! en quel état suis-je? Une âme qui s'y trouve est digne de compassion. Où irai-je, tous les ports de salut me sont fermés? A quoi une voix forte et douce me répondit intérieurement : Où voulez-vous aller, si vous n'avez recours à Dieu ? Je compris par cette réponse que mon remède favorable me viendrait du Seigneur, et par le secours de cette lumière je commençai à sortir du sombre abattement où j'étais tombée, et je sentis une force qui m'animait dans les désirs et dans les actes de foi, d'espérance et de charité. Je m'humiliai en la présence du

 

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Très-Haut, et ayant une confiance assurée en sa bonté infinie, je pleurai mes péché, avec une amère contrition, je m'en confessai plusieurs fois, et je me mis à chercher avec de plus profonds soupirs mon ancienne lumière et mon unique vérité. Et comme la sagesse divine prévient les désirs de celui qui l'appelle, elle me vint à la rencontre avec un visage serein (1), chassa les ténèbres de ma confuse nuit, et calma la tempête qui me causait tant de frayeur.

12. Enfin le beau jour que je désirais parut; je recouvrai ma première tranquillité, jouissant de la douceur dé l'amour et de la vue de mon Seigneur et de mon Dieu; et par cette vue je. connus les motifs que j'avais de croire, d'approuver et de respecter les faveurs de son bras tout-puissant qui opérait en moi. Je lui en témoignai mes reconnaissances autant qu'il me fut possible; je connus ce que je suis, ce que Dieu est, et ce que la créature peut par elle seule, et qu'elle n'est qu’un pur néant; je connus les raisons que nous avons de dire que le péché l'est aussi, et ce que cette même créature peut, étant élevée et assistée dé la droite du Tout-Puissant, qui est sans doute beaucoup plus que ce que nous pouvons concevoir; et, abîmée dans la connaissance de ces vérités et en la présence de la lumière inaccessible (qui est grande, forte, à l'abri de l'illusion et de l'erreur), j'épanchais toute mon âme en de douces affections d'amour, de louange et de reconnaissance, parce que cette lumière m'avait si fort protégée dans la nuit de mes tentations, que par son moyen ma lampe n'y fut point éteinte (2); et pour reconnaître ce bienfait

 

(1) Sap., VI,17. — (2) Prov., XXXI, 18.

 

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j'aurais voulu m'humilier jusqu'au centre de la terre.

13. Pour me confirmer dans cette faveur; je reçus une correction intérieure sans connaître clairement qui me la faisait; je fus blâmée avec sévérité de mon peu de foi et de ma mauvaise conduite; l'on m'exhortait, et en même temps on m'éclairait avec une aimable majesté, de sorte que je fus corrigée et enseignée tout ensemble. Dans celte correction je reçus de nouvelles notions du bien et du mal, de la vertu et du vice, de ce qui est certain et utile, favorable et contraire. Celui qui me la faisait me découvrait le chemin de l'éternité, en me donnant une connaissance des principes, des moyens et des fins, de l'estime qu'on doit faire de la vie éternelle , et de l'appréhension que l'on doit avoir du mal. heur peu connu de la perdition qui n'a point de fin.

14. J'avoue que je devins muette dans la profonde connaissance de ces deux extrémités, et presque toute troublée entre la crainte de ma fragilité, qui me faisait perdre courage, et le désir d'obtenir ce dont je n'étais pas digne, parce que je me trouvais sans mérites. La miséricorde du Seigneur m'animait, et l'étais affligée par la crainte que j'avais de le perdre; je regardais avec admiration les deux fins si différentes de la créature, qui consistent en la gloire et en la peine éternelle; et pour acquérir l'une et m'éloigner de l'autre, toutes les peines du monde, du purgatoire, et même de l'enfer, me paraissaient légères, Et quoique je connusse que la créature doit être certaine et assurée de la grâce divine si elle en veut l'aire son profit, néanmoins, comme je découvrais aussi en cette lumière que la mort et la vie sont entre nos mains (1), que nous pouvons perdre par

 

(1) Eccl., IV, 18,

 

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notre faiblesse ou par notre malice cette mime grâce, et que l'arbre demeurera éternellement à l'endroit où il sera tombé (1), je m'abîmais dans une douleur qui remplissait mon âme de crainte et de tristesse.

15. Une très-sévère réponse ou demande que le Seigneur me fit augmenta extrêmement cette affliction, parce que comme je me trouvais si fort anéantie dans le sentiment de ma faiblesse, du danger où je me trouvais, et du malheur que j'avais eu d'irriter sa justice, je n'osais lever les yeux en sa divine présence, et dans ce silence j'adressai mea soupirs à sa miséricorde, auxquels le Seigneur me répondit : « O âme! que voulez ? Que cherchez-vous ? Lequel de ces chemins voulez-vous choisir? » Cette demande fut une flèche qui me perça le coeur; et, bien que je fusse assurée que le Seigneur connaissait mieux mon désir que moi-même, néanmoins, l'intervalle qu'il y avait entre la demande et la réponse m'était d'une peine incroyable, parce que j'aurais souhaité que le Seigneur eût présupposé ma réponse, et qu'il n'eût  point fait semblant de l'ignorer. Mais étant mue d'une grande force, je répondis à haute voix et du plus profond de mon coeur : « Seigneur et Dieu tout-puissant, c'est le chemin de la vertu et de la vie éternelle que je veux et que je choisis, afin que a vous m'y conduisiez; que si je ne le mérite pas, j'appelle de votre justice à votre miséricorde, et je présente en ma faveur les mérites infinis de votre très-saint Fils et mon Rédempteur Jésus-Christ. »

16. Je connus alors que ce souverain Juge se souvenait de la parole qu'il donna à son Église, lorsqu'il

 

(1) Eccles., XI, 3.

 

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lui promit d'accorder tout ce qu'on lui demanderait au nom de son Fils unique (1); qu'en lui et par lui il accordait ma demande selon mon pauvre désir, et que cette faveur m'était signifiée avec de certaines conditions, qu'une voix intellectuelle me déclara en me disant intérieurement: « Ame créée par la main du Tout-Puissant, si vous prétendez, comme élue, suivre le chemin de la véritable lumière et devenir la très-chère épouse du Seigneur qui vous a appelée, il faut que vous gardiez les lois et les préceptes de l'amour qu'il exige de vous. Le premier de ces préceptes consiste à renoncer entièrement à vous-même, à toutes vos inclinations terrestres, et au plus léger amour des choses passagères, afin que vous n'aimiez aucune créature visible, ni soyez en état d'en agréer l'amour, a pour utile, belle et agréable qu'elle vous paraisse: vous devez fermer la porte à leurs impressions, à leurs caresses et à leurs affections, et prendre garde que celles de votre volonté ne se terminent à aucune chose créée qu'autant que votre Seigneur et votre Époux vous le commandera, pour l'exercice de la charité bien ordonnée ou en ce qu'elle peut vous aider à n'aimer que lui seul.

17. « Et lorsque, par ce parfait renoncement, vous vous trouverez seule et libre de tout ce qui est terrestre, le Seigneur veut que vous preniez légèrement votre vol avec les ailes de la colombe jusqu'à une haute demeure, où sa divine bonté veut placer votre esprit, afin que vous y viviez et y trouviez votre repos. Ce Seigneur est un époux très-jaloux (2), et

 

(1) Joan., XVI, 23. — (2) Exod., XX, 5.

 

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son amour est fort comme la mort (1); ainsi il veut vous élever en un lieu assuré d'où vous ne devez point sortir pour descendre en un autre où vous courriez risque de perdre ses caresses. Il veut aussi vous marquer lui-même les personnes que vous pourrez fréquenter sans crainte; et c'est une très-juste loi que les e épouses d'un si grand Roi doivent observer, puisque  même celles des hommes mortels l'observent quand a elles leur veulent être fidèles. La noblesse de votre   Époux exige que vous gardiez une correspondance convenable à la dignité et au titre que vous en recevez, sans que vous vous attachiez à aucune chose qui soit indigne de votre état et qui puisse vous priver de l'ornement qu'il est disposé à vous donner, afin que vous entriez dans son lit nuptial.

18. « Le second précepte de l'amour demande que a vous vous dépouilliez promptement de la bassesse de a vos vêtements déchirés et souillés par vos péchés, a par vos imperfections et par les effets de ces mêmes a péchés, qui sont horribles par l'inclination de la nature dépravée. Sa divine Majesté veut laver vos taches, elle veut vous purifier et vous renouveler par sa propre beauté; mais à condition que vous ne perdrez jamais de vue les pauvres vêtements dont vous vous serez dépouillée, afin que par le souvenir de ce bien

fait et par la connaissance que vous en aurez, le nard de l'humilité envoie une agréable odeur à ce grand Roi (2), et que vous n'oubliiez jamais le retour que a vous devez à l'auteur de votre salut, qui a bien voulu a vous purifier et guérir vos plaies parle précieux baume

 

(1) Cant., VIII, 6. (2) Id., I, 11.

 

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de son sang, et vous remplir abondamment de ses lumières.

19. « Outre cela (ajouta cette voix), le Seigneur veut que vous soyez ornée des joyaux qu'il vous a destinés, afin qu'ayant oublié tout ce qui est terrestre (1); votre beauté lui soit plus agréable; le vêtement qui vous doit toute couvrir sera plus blanc que la neige, plus brillant que le diamant, plus éclatant que le soleil, mais si délicat, que vous le souillerez facilement pour peu que vous vous négligiez; et si vous le faites, vous vous rendrez horrible à votre  Epoux; que si vous le conservez dans la pureté qu'il désire, vos pas seront très-beaux (2), comme ceux de la fille du Prince, et sa divine Majesté regardera vos affections et vos oeuvres avec complaisance. Pour ceinture de ce vêtement, il vous donnera la connaissance de son pouvoir divin et la sainte crainte de l'offenser, afin que vos inclinations étant ceintes, vous vous ajustiez à tout ce qui sera de son bon plaisir. Les joyaux qui orneront le cou de votre humble soumission, seront les riches perles de la foi, de l'espérance et de la charité. La sagesse et la science infuse que le Seigneur vous communique et dont il parfume vos pensées et vos hautes contemplations, seront comme le bandeau qui servira à attacher votre chevelure; et les vertus seront, par leur richesse et leur éclat, les broderies qui rehausseront votre vêtement. La diligence soigneuse que vous aurez à opérer toujours ce qu'il y a de plus parfait, vous servira de chaussure dont les courroies seront la retenue et les amoureuses

 

(1) Ps., XLIV, 11 . — (2) Cant., VII, 1.

 

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chaînes qui vous empêcheront d'aller au mal. Le sept dons du Saint-Esprit seront les bagues qui rendront  vos mains agréables; le blanc de votre visage sera la participation de la Divinité, qui en augmentera l'éclat par son saint amour; et vous y ajouterez le vermeil  de la confusion de l'avoir offensée, qui vous empêchera par pudeur de le faire encore à l'avenir, en ne

cessant jamais de comparer le pauvre vêtement que  vous venez de quitter, avec l'inestimable que vous  recevez maintenant.

20. Mais parce que de votre propre fonds vous n'êtes pas assez riche pour de si nobles épousailles,  le Très-Haut veut affermir davantage ce contrat en vous assignant pour dot les mérites infinis de voire  époux Jésus-Christ, comme s'ils fussent seulement pour vous, et il vous fait participante de ses biens et de ses trésors, qui contiennent tout ce que les cieux et la terre renferment. Tout appartient à ce souverain  Seigneur (1), et vous serez maîtresse de tout pour en  user en qualité de son épouse, en lui-même et pour l'aimer toujours plus. Mais sachez, ô âme! que pour jouir d'un si rare bienfait, votre Seigneur et votre  Époux veut que vous vous recueilliez toute dans vous. même sans perdre jamais votre secret, parce que je vous avertis du danger où vous êtes exposée de ternir  cette beauté par la plus petite imperfection, Que vous y tombez par faiblesse, ne manquez pas de vous relever incontinent avec courage et de pleurer avec reconnaissance, considérant votre faute, quoique petite, comme si elle était des plus grandes.

 

(1) Esth., XIII, 11.

 

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21.« Afin que vous ayez aussi un logement convenable à un tel état, votre Époux ne veut point rétrécir votre demeure; au contraire, il a pour agréable que vous habitiez toujours dans les espaces infinis de sa divinité, et que vous vous promeniez dans les champs immenses de ses attributs et de ses perfections, où la vue s'étend sans trouver aucune borne, la volonté s'égaie sans nul sujet de crainte, et le goût se rassasie sans amertume. C'est le paradis rempli de délices et toujours plus agréable, où les très-chères épouses de Jésus-Christ se récréent, où  elles cueillent les fleurs et la myrrhe odoriférante, et où l'on trouve le tout infini pour avoir renoncé au néant. C'est là où votre habitation sera assurée; et afin que votre conversation soit à la même hauteur, le Seigneur veut que vous l'ayez avec les anges , et que vous les receviez pour amis et compagnons; que , par leur fréquent commerce vous graviez en vous-même leurs vertus, et que vous les imitiez en ces mêmes vertus.

22. « Considérez, ô âme! (continua la voix) la grandeur de ce bienfait présent; car la Mère de votre Époux et la Reine du ciel vous adopte de nouveau pour sa fille, vous reçoit pour sa disciple, et s'établit a votre Mère et Maîtresse; c’est par son intercession que vous recevez tant de faveurs singulières, et elles vous sont toutes accordées afin que vous écriviez sa très. sainte vie; parce moyen vous avez reçu le pardon que  vous ne méritiez pas, et en vue de cette mission, il vous a été accordé ce qu'autrement vous n'auriez pas obtenu. Que serait-ce de vous, si la Mère de miséricorde ne vous protégeait? Vous seriez déjà perdue si

 

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son intercession vous eût manqué; et vos oeuvres  eussent été pauvres et inutiles si vous n'eussiez pas été élue par la divine bonté pour écrire cette histoire; mais le Père éternel regardant cette fin, vous choisit pour sa fille et pour épouse de sort Fils unique; le Fils  vous reçoit afin que vous participiez à ses plus tendres  embrassements , et le Saint-Esprit vous fait entrer   dans ses illuminations. L'écriture de ce contrat et de ces épousailles est imprimée sur le papier blanc de la  pureté de l'auguste Marie; elle est tracée par le doigt et par la puissance du Très-Haut, l'encre est le sang de l'Agneau, le Père éternel en est l'exécuteur, et le Saint-Esprit est le lien qui vous unira à Jésus-Christ, et les mérites du même Jésus-Christ et de sa Mère serviront de caution, puisque vous êtes un pauvre vermisseau qui n'a rien à offrir, et l'on ne demande que votre volonté.

23. La voix qui m'instruisait ne se fit plus entendre. Et, bien que je jugeasse qu'elle fût d'un ange, néanmoins je ne le connus pas si clairement alors pour en être assez bien persuadée, parce que je ne le voyais point comme les autres fois. Car lorsque ces sortes de faveurs se manifestent ou se cachent, elles s'accommodent à la disposition qui est en l'âme pour les recevoir, comme il arriva aux disciples d'Emmaüs (1). J'eus pour vaincre les oppositions que le serpent me suscitait afin de m'empêcher d'écrire cette divine histoire, plusieurs autres moyens que je ne raconte pas maintenant, pour ne pas allonger le discours; je continuai pourtant quelques jours ma prière, demandant au Seigneur qu'il me

 

(1) Luc., XXIV, 16.

 

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conduisit et qu'il m'enseignât, afin que je ne tombasse point dans l'erreur, lui représentant mon insuffisance et mes craintes. Sa divine Majesté me répondit toujours que je réglasse ma vie avec beaucoup de pureté et de perfection, et que je continuasse ce que j'avais commencé; et la Reine des anges me fit particulièrement connaître plusieurs fois sa volonté avec une grande douceur et beaucoup de caresses , me commandant de lui obéir en qualité de fille, et d'écrire sa très-sainte vie sans interruption.

24. Je voulus joindre à tout cela la sûreté de l'obéissance, et sans découvrir ce que le Seigneur et sa très-sainte Mère m'avaient répété, je demandai à mon supérieur, qui était mon confesseur, ce qu'il m'ordonnait dans cette circonstance. Il me répondit en me commandant en vertu de l'obéissance d'écrire et de continuer cette seconde partie. Ainsi me voyant contrainte par, le Seigneur et par cette même obéissance, j'allai de nouveau aux pieds du Très-Haut, à qui je fus un jour présentée pendant mon oraison, et me dépouillant de toutes mes affections dans la connaissance où j'étais de ma bassesse et de ma faillibilité, prosternée devant le tribunal divin, je dis à sa Majesté : « Mon Dieu, mon Seigneur, que voulez-vous faire de moi? » A cette espèce de question, voici la réponse que je reçus.

25. Il me sembla que la divine lumière de la très-sainte Trinité me faisait voir que j'étais pauvre et remplie de défauts, et qu'en m'en reprenant elle m'avertissait avec sévérité de m'en corriger, me donnant en même temps une très-sublime doctrine et des instructions fort salutaires pour la perfection de la. vie. Pour cet effet, je fus purifiée et illustrée de nouveau. J'aperçus que la Mère

 

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de grâce, la très-sainte Vierge, étant présente su trône de la Divinité, intercédait pour moi. Cette protection m'anima, et me prévalant de la clémence d'une telle Mère, je m'adressai à elle et je lui dis ces seules paroles : « Ma souveraine Princesse et mon refuge, ayez égard comme  mère véritable à la pauvreté de votre servante. » Il me sembla qu'elle exauçait ma demande, et que, parlant au Très-Haut, elle lui disait : « Mon divin Seigneur, daignez recevoir de nouveau cette inutile et pauvre créature pour votre fille, et l'adopter pour la mienne » (action d'une Reine aussi libérale que puissante). Mais le Très-Haut lui répondit : « Mon Épouse, qu'est-ce qu'allègue cette âme de son côté pour une si grande faveur, puisa qu'elle ne la mérite point, et qu'elle est un pauvre et inutile vermisseau, ingrate à nos bienfaits? »

26. « O force incomparable de la divine parole ! comment pourrai-je exprimer les effets que cette réponse du Tout-Puissant causa en moi? Elle m'humilia jusque dans mon propre néant; je connus la misère de la créature et mea ingratitudes envers Dieu; mon coeur était brisé entre la douleur de mes péchés et le désir d'obtenir ce grand bonheur d'être adoptée pour fille de cette auguste Princesse, ce que je ne méritais pas. Je levais les yeux avec crainte au trône du Très-Haut; le trouble et l'espérance me bouleversaient le visage, et dans ces agitations je me tournais vers mon avocate, souhaitant qu'elle me reçu pour sa servante, puisque je ne méritais pas d'être sa fille, et n'osant pas ouvrir la bouche, je parlais du plus profond de mon coeur; et j'ouïs que mon aimable Maîtresse disait au Seigneur:

27. « Il est vrai, mon Roi et mon Dieu, que cette pauvre créature n'a pas d'elle-même de quoi offrir à votre

 

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justice; mais je présente en sa faveur les mérites de votre très-saint Fils et le sang qu'il a versé pour elle, et avec cela je présente la dignité de Mère de votre f même Fils que j'ai reçue de votre bonté ineffable, toutes les oeuvres que j'ai faites pour son service, le temps que je l'ai porté dans mon sein et que je l'ai s nourri de mon propre lait; et surtout je vous présente

votre même Divinité et votre miséricorde infinie, et je vous supplie d'avoir pour agréable que cette créature soit maintenant adoptée pour ma fille et pour ma disciple : je réponds pour elle, et je vous suis caution, Seigneur, que par mes instructions elle se corrigera de ses fautes et perfectionnera ses oeuvres selon votre  bon plaisir. »

28. Le Très-Haut accorda cette demande (qu'il soit éternellement loué d'avoir exaucé la grande Reine intercédant pour la plus petite des créatures). Je sentis incontinent de si grands effets et une joie si extraordinaire en mon âme, qu'il ne m'est pas possible de les raconter; mais je m'adressai par toutes mes facultés à toutes les créatures du ciel et de la terre, et sans pouvoir retenir mon contentement, je les invitai toutes à louer pour moi et avec moi l'auteur de la grâce. Il me semblé que je leur disais d'une voix haute : «  O habitants et courtisans du ciel, et vous, créatures vivantes  formées par la main du Très-Haut, regardez cette merveille de sa miséricorde libérale; bénissez et louez le éternellement pour elle, puisqu'il a relevé de la poussière la plus abjecte de l'univers; puisque, Dieu souverain et Roi tout-puissant, il a enrichi la plus pauvre et honoré la plus indigne de ses servantes. Et vous, enfants d'Adam, voyez l'orpheline protégée et la

 

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pécheresse à qui le Seigneur a pardonné; sortez main tenant de votre ignorance, relevez-vous de votre lâcheté et animez votre espérance; que si le puissant  bras m'a favorisée, si la bonté divine m'a appelée et ensuite pardonné, vous pouvez tous espérer votre  salut; et si vous voulez être assurés d'y arriver, recherchez la protection de l'auguste Marie, priez-la  qu'elle intercède pour vous, et vous éprouverez qu'elle est une mère de miséricorde et de clémence ineffable.

29. Je m'adressai aussi à cette très-puissante Reine, et je lui dis: « Ma Souveraine, je ne m'appellerai donc  plus désormais orpheline, puisque j'ai une mère, et c une mère qui est Reine de tout ce qui est créé; je ne  serai plus maintenant ignorante (si je ne le deviens  parme, propre faute) , puisque j'ai pour maîtresse celle a qui enseigne la sagesse divine; je ne serai plus pauvre,   puisque j'ai un seigneur qui a en son pouvoir tous les trésors du ciel et de la terre; j'ai présentement une mère qui me protégé, une maîtresse qui m'instruit et  me corrige, une reine qui me commande et me gon verne. Vous êtes bénie entre toutes les femmes, excellente entre les créatures, admirable su ciel et en la   terre, et tous exaltent vos grandeurs par des louanges  éternelles. Il n'est pas facile, ni même possible, que moi qui suis la moindre des créatures, et le plus abject vermisseau de terre, vous rende le juste retour: recevez-le donc de la divine droite et dans la vision à, béatifique où vous êtes du Dieu qui vous possède et   vous possédera durant toute l'éternité. Je vous serai  très-reconnaissante et tres-obligée servante, et je rendrai grâces et louanges au Tout-Puissant pendant

 

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toute ma vie, parce que sa bonté libérale m'a favorisée en me donnant, ma divine Reine, une telle mère et maîtresse que vous. Que mes affections vous louent dans le silence, puisque ma langue n'a pas de termes a assez forts pour le faire, et elle n'en saurait point trouver pour vous exprimer ma gratitude. »

30. Il n'est pas possible d'expliquer ce que l'âme ressent dans de tels mystères, qui sont toujours accompagnés de très-grandes faveurs. Celles que j'y reçus causèrent des biens fort considérables à la mienne, parce qu'il me fut en même temps proposé de mener une vie si parfaite, que je n'ai point de termes pour la représenter comme je la conçus; mais le Très-Haut me fit entendre que tout cela m'était accordé à la considération de la très-pure Marie et afin que j'écrivisse sa vie. Je découvris à l'instant qu'en confirmation de ce bienfait j'étais choisie par le Père éternel pour manifester les mystères de sa Fille; par le Saint-Esprit, pour révéler, sous son inspiration et à sa lumière, les dons cachés de son Épouse; que j'étais également destinée par le Fils à pénétrer dans les secrets de sa Mère, l'auguste Marie. Je compris que pour me disposer à cet ouvrage, la très-sainte Trinité éclairait mon esprit par une lumière spéciale dé la Divinité, et que le pouvoir. divin touchait mes puissances comme avec un pinceau, et les fortifiait par de nouvelles habitudes pour les opérations parfaites qui regardaient ce sujet.

31. Le Très-Haut me commanda aussi de faire mon possible pour imiter, autant que mes faiblesses me le pourraient permettre, tout ce que j'apprendrais et écrirais des vertus héroïques et des saintes oeuvres de la divine Reine, en réglant ma vie sur 'ce parfait modèle.

 

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Et comme je me reconnaissais si fort incapable de m'acquitter de ce devoir, la même Reine, par un effet de sa clémence, m'offrit de nouveau son secours et ses avis pour tout ce que le Très-Haut me commandait et à quoi il me destinait. Ensuite je demandai la bénédiction à la très-sainte Trinité pour commencer la seconde partie de cette histoire, et je connus que toutes les trois personnes me la donnaient. Étant sortie de cette vision, je tâchai de purifier mon âme par les sacrements et par la contrition de mes péchés; et au nom du Seigneur et de l'obéissance, je mis la main à l'œuvre pour la gloire du Très-Haut et de sa très-sainte et toujours immaculée Mère et Vierge Marie.

32. Cette seconde partie contient la vie de la Reine des anges dès le mystère de l'Incarnation jusqu'à l'Ascension de notre Seigneur Jésus-Christ inclusivement; c'est ce qu'il y a de plus notable dans cette divine histoire, puisque cette partie renferme toute la vie et les mystères du même Seigneur, sa passion et sa très-sainte mort. Je veux seulement avertir ici que les grâces accordées à la très-pure Marie pour la disposer au mystère de l'Incarnation, prirent leur cours dès l'instant de son immaculée conception, parce que dès lors Dieu avait décrété dans son entendement qu'elle serait la Mère du Verbe éternel. Mais les dons et les faveurs de la grâce croissaient à mesure qu'elle s'approchait de l'effet de l'Incarnation. Et quoique tontes ces faveurs paraissent être de la même nature dès le commencement, elles ne laissaient pourtant pas de croître, et je n'ai point de nouveaux termes pour exprimer ces augmentations et ces nouvelles faveurs : ainsi il faut de nécessité que nous nous en remettions dans toute cette histoire au pouvoir

 

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infini du Seigneur, à qui, en donnant beaucoup, il reste infiniment de quoi donner encore, d'autant plus que l'âme, et surtout celle de la Reine du ciel, a comme une capacité infinie pour recevoir toujours davantage, ainsi qu'il advint à cette divine Reine jusqu'à ce qu'elle fat arrivée au comble de la sainteté et de la participation de la Divinité, où aucune autre pure créature n'a pu ni ne pourra jamais arriver. Plaise au Seigneur de m'éclairer, afin que je poursuive cet ouvrage selon son bon plaisir Ainsi soit-il.

 

DEUXIÈME PARTIE. QUI CONTIENT LES MYSTÈRES DEPUIS L'INCARNATION DU VERBE DANS LE SEIN VIRGINAL DE MARIE JUSQU'À SON ASCENSION.

 

LIVRE TROISIÈME. QUI CONTIENT LA TRÈS-HAUTE DISPOSITION QUE LE TOUT-PUISSANT OPÉRA EN LA TRÈS-SAINTS VIERGE POUR L'INCARNATION DU VERBE. — CE QUI CONCERNE CE MYSTÈRE. — LE TRÈS-SUBLIME ÉTAT AUQUEL L'HEUREUSE HÈRE SE TROUVA. — LA VISITE QUELLE FIT A SAINTE ÉLISABETH, ET LA SANCTIFICATION DE JEAN-BAPTISTE. — LE RETOUR A NAZARETH, ET UN FURIEUX COMBAT QU'ELLE EUT AVEC LUCIFER.

 

CHAPITRE I. Le Très-Haut commence à disposer la très-sainte Vierge su mystère de l’Incarnation, et le tout s'exécute pendant les neuf jours qui précédèrent cet auguste mystère. — On commence par déclarer ce qui arriva dans le premier jour.

 

1. Le Seigneur mit notre Reine et Maîtresse dans les occupations d'épouse de saint Joseph et dans les occasions plus fréquentes de converser avec le prochain, afin que sa vie innocente fût un modèle public de sublime

 

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sainteté. La divine Princesse, se trouvant dans ce nouvel état, forma de si hauts desseins et régla toutes les actions de sa vie avec tant de sagesse, qu'elle donna une émulation admirable aux, anges et un exemple incomparable aux hommes. Elle était connue de peu de personnes, et très-peu la fréquentaient; mais celles qui avaient ce bonheur recevaient tant de divines influences de la céleste Marie, que, ravies d'admiration, de joie et d'estime, elles eussent voulu exhaler leurs sentiments et faire éclater au dehors le feu sacré qui les enflammait, comprenant qu'il provenait de la très-pure Vierge. La très-prudente Reine n'ignorait point -ces effets que la main du Tout-Puissant opérait en elle; mais le temps de les révéler au monde n'était pas encore venu, et sa très-profonde humilité ne le lui permettait pas. Elle demandait continuellement au Seigneur de la cacher aux yeux des hommes; que toutes les faveurs qu'elle recevait de sa droite fussent rapportées à sa seule louange, et qu'il permit qu'elle fût inconnue et méprisée de tous les mortels, afin que sa bonté infinie ne fût point offensée.

2. Le Seigneur exauçait une grande partie des demandes de son Épouse, et fa providence faisait que la même lumière imposât le silence à ceux qui étaient portés par cette même lumière. à l'exalter; et ils se taisaient, parce que la vertu divine qui y était renfermée les empêchait de parler, et les faisait rentrer dans leur intérieur pour y louer le Seigneur à cause de la lumière qu'ils y recevaient; et, se trouvant remplis d'admiration, ils suspendaient leur jugement et laissaient

 

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la créature pour adresser toutes leurs louanges au Créateur. Plusieurs sortaient du péché pour l'avoir seulement regardée; d'autres perfectionnaient leur vie, et tous étaient dans une grande modestie à sa seule vue, parce qu'ils en recevaient des influences célestes en leurs âmes; mais ils oubliaient aussitôt l'original, et l'âme où il s'était représenté en perdait toutes les impressions; parce que si ceux qui l'avaient une fois vue en eussent conservé les idées, ils n'auraient pu supporter son absence; et il est constant que tous se seraient empressés de la voir avec importunité, si Dieu ne l'eût empêché avec mystère.

3. Notre Reine et épouse de Joseph s'occupa à des oeuvres d'où l'on recueillait des fruits si admirables, et elle travailla continuellement, durant l'espace de six mois et dix-sept jours qui se passèrent depuis ses épousailles jusqu'à l'incarnation du Verbe, à augmenter les mérites et les grâces qui produisirent tant de merveilles. Il ne m'est pas possible de raconter en détail les actes héroïques de toutes les vertus intérieures et extérieures qu'elle y pratiqua; comme de charité, d'humilité, de religion, d'aumônes et de plusieurs autres oeuvres de miséricorde : parce que tout cela surpasse nos expressions et tout ce que l'on en peut concevoir. Tout ce que j'en puis déclarer, c'est que le Très-Haut trouva en la très sainte-Vierge la plénitude de ses complaisances, et la juste correspondance qu'une pure créature pouvait rendre à son Créateur. Par cette sainteté et ces mérites, Dieu se trouva comme obligé et comme forcé, pour ainsi dire, d'avancer le

 

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pas et de mettre la main de sa toute-puissance à la plus grande des merveilles que l'on ait connue et que l'on connaîtra jamais, le Fils unique du Père prenant chair humaine dans le sein virginal de cette auguste Vierge.

4. Pour exécuter cette oeuvre d'une manière digne de lui, Dieu prévint d'une manière toute particulière la très-sainte Vierge durant les neuf jours qui précédèrent immédiatement le mystère, et laissant comme déborder de son sein la source dont les flots devaient inonder cette vivante Cité divine (1), il lui communiqua tant de dons, tant de grâces et tant de faveurs, que je perds la parole dans la connaissance que j'ai reçue de cette merveille; et ma bassesse n'a pas le courage d'entreprendre de raconter ce que j'en conçois, parce que la langue, la plume et toutes les puissances dés créatures sont de trop faibles instruments pour découvrir des mystères si relevés. Ainsi je veux qu'on sache que tout ce que je dirai ici n'est qu'une ombre très-obscure de la moindre partie de ce prodige inexplicable, qu'on ne doit pas circonscrire dans les limites de notre langage, mais étendre avec le pouvoir divin, qui n'a point de bornes.

5. Dans le premier jour de cette très-heureuse neuvaine, il arriva que la divine princesse Marie, ayant pris le peu de repos qu'elle prenait toujours avec mesure, se leva à minuit à l'exemple de son père David (2) et selon l'ordre qu'elle en avait reçu

 

(1) Ps., XLV, 5. — (2) Ps. CXVIII, 62.

 

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Seigneur, et se prosternant en la présence du Très-Haut, elle commença ses prières accoutumées et ses saints exercices. Les anges qui l'assistaient lui,parlèrent en ces termes : « Épouse de notre divin Maître.,  levez-vous, car sa Majesté vous appelle. » Elle se leva avec une ardente affection et elle répondit : « Le  Seigneur ordonne que la poussière s'élève de la  poussière. » Et se tournant vers le même Seigneur qui l'appelait, elle continua, disant : « Mon divin   Maître, que voulez-vous faire de moi? » En suite de ces paroles, son âme très-sainte fut élevée en esprit à une autre nouvelle habitation, qui était plus immédiate au même Seigneur et plus éloignée de tout ce qui est terrestre et passager.

6. Elle ressentit aussitôt que dans cette nouvelle habitation on la disposait par ces mêmes illuminations et purifications qu'elle avait reçues autrefois, à quelque plus haute vision de la Divinité. Je ne m'arrête point à les raconter, parce que je l'ai déjà fait dans la première partie. Après cette préparation la Divinité lui fut manifestée par une vision qui n'était point intuitive, mais abstractive; ce fut néanmoins avec tant d'évidence et de clarté, que par ce moyen cette divine Dame comprit plus de cet objet incompréhensible que les bienheureux qui le connaissent et qui en jouissent intuitivement. Cette vision fut plus haute et plus profonde que beaucoup d'autres de cette même espèce, parce que chaque jour notre auguste Princesse faisait de nouveaux progrès dans les perfections; et les premières faveurs, par le saint usage

 

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qu'elle en faisait, la préparaient à de plus hautes, parce que ces enseignements réitérés et ces sublimes visions développaient sans cesse ses facultés, ses forces morales et son aptitude à converser avec litre infini.

7. Notre Reine apprit dans cette vision de très-hauts secrets de la Divinité et de ses perfections, singulièrement de sa communication au dehors par l'oeuvre de la création; elle perçut que cette oeuvre procéda de la bonté et de la libéralité de Dieu , et qu'il n'avait pas besoin des créatures pour son Être divin et pour sa gloire infinie, parce qu'il était glorieux sans elles dans son éternité avant la création du monde. Plusieurs mystères qu'on ne peut et que l'on ne doit pas déclarer à tous, lui furent communiqués, parce qu'elle fut l'unique et l'élue pour les délices (1) du souverain Roi et Seigneur de tout ce qui est créé. Mais cette auguste Dame découvrit aussi dans cette même vision l'inclination que la Divinité avait à se communiquer au dehors, qui était plus grande que celle qu'ont tous les éléments pour se porter à leur centre; et comme elle était si fort avancée dans la sphère de ce feu du divin amour, embrasée de ce même amour, elle demanda au Père éternel d'envoyer son Fils unique au monde, de départir aux hommes leur remède, et d'accorder en même temps, si nous pouvons nous exprimer ainsi, à sa divinité et à ses perfections, la satisfaction et le couronnement qu'elles demandaient.

 

(1) Cant., VI, 8 ; VII, 6

 

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8. Le Seigneur trouvait beaucoup de douceur dans les paroles de son Épouse; elles étaient cétte bandelette d'écarlate des Cantiques par laquelle elle liait et entraînait -son amour (1). Et pour venir à l'exécution de ses désirs , il voulut préparer le tabernacle ou le temple dans lequel il voulait descendre du sein de son Père éternel; il détermina de donner à sa bien-aimée qu'il avait choisie pour Mère, une connaissance de toutes les oeuvres du dehors, lui montrant comme sa toute-puissance les avait opérées. Ce jour-là il lui manifesta en la même vision tout ce qu'il fit dans le premier jour de la création du monde, selon qu'il est raconté dans la Genèse; et elle connut toutes ces merveilles avec plus de clarté et de pénétration que si elle les eût eues présentes à ses yeux corporels, parce qu'elle les connut premièrement en Dieu, et ensuite en elles-mêmes.

9. Elle comprit comme au commencement le Seigneur créa le ciel et la terre (2), combien et comment celle-ci fut vide, et comment les ténèbres couvrirent la surface de l'abîme, comment l'esprit du Seigneur était porté sur les eaux, et comment la lumière fut faite par le commandement divin, et la qualité de cette même lumière; qu'en divisant les ténèbres, elles furent appelées nuit, et la lumière jour, et que le premier fut employé à cela. Elle connut la grandeur de la terre; sa longueur, sa largeur et sa profondeur, ses abîmes, l'enfer, les limbes, le purgatoire et toutes

 

(1) Cant., iv, 3. — (2) Gen., I, 1-5.

 

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ceux qui s'y trouvaient; les régions, les climats, la division du monde et tous ceux qui les occupaient et les habitaient. Elle connut avec la même clarté les sphères inférieures et le ciel empyrée; et en quelle partie du premier jour les anges furent, créés, pénétrant leur nature, leurs qualités, leurs différences, leurs hiérarchies, leurs offices, leurs degrés et leurs vertus. La rébellion des mauvais anges, leur chute, les causes et les occasions de cette même chute lui furent découvertes (le Seigneur lui cachait néanmoins toujours ce qui la regardait). Elle eut connaissance de leur punition et des effets que le péché produit en ces malheureux rebelles, les voyant comme ils sont en eux-mêmes; et pour mettre fin à cette faveur du premier jour, le Seigneur lui manifesta de nouveau comme elle était formée de cette matière abjecte de la terre et de la même nature que tous ceux qui retournent en poussière; il ne lui dit pas qu'elle serait convertie en cette même poussière, mais il lui donna une si profonde conception de son être terrestre, que notre grande Reine s'humilia jusque dans l'abîme du néant; et étant innocente elle s'abaissa plus que tous les enfants d'Adam ensemble, quoique remplis de misères.

10. Le Très-Haut ordonna cette vision et ses effets pour creuser dans le coeur de Marie des fondements aussi profonds que le demandait l'édifice qu'il voulait construire en elle; le voulant élever si haut, qu'il devait toucher jusqu'à l'union substantielle et hypostatique de la même Divinité. Et comme la dignité de Mère de

 

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Dieu était sans bornes et en quelque façon infinie, il fallait qu'elle frit fondée en une humilité proportionnée et qui n'eût point d'autres limites que celles de la raison. Ainsi celle qui était bénie entre toutes les femmes, étant arrivée au plus sublime de la vertu, s'humilia si fort, que la très-sainte Trinité fut comme satisfaite, et à notre manière de concevoir, obligée de l'élever à la plus haute dignité qu'il y est entre les pures créatures, et à la plus immédiate à la Divinité; et dans cette complaisance du Très-Haut, sa divine Majesté lui dit :

11.« Ma chère Épouse et ma Colombe, les désirs  que j'ai de racheter l'homme du péché sont grands, et ma miséricorde infinie souffre comme violence de  ce que je ne descends point pour réparer le monde;  je veux que vous me demandiez continuellement  durant ces jours, avec beaucoup d'ardeur, l'exécution de ces désirs, et que, prosternée eu ma divine  présence, vous ne cessiez vus demandes et vos cris,  afin que le Fils unique du Père descende pour  s'unir avec la nature humaine. » La divine Princesse, répondant à ce commandement , dit : « Seigneur et Dieu éternel, tout pouvoir et toute sagesse  vous appartiennent, personne ne peut résister à  votre volonté (1). Qui est-ce donc qui empêche   votre toute-puissance? Qui arrête le courant impétueux de votre divinité pour ne pas exécuter votre  bon plaisir en faveur de tout le genre humain? Si

 

(1) Esth., XIII, 9.

 

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c'est moi, mon bien-aimé, qui suis la cause de   l'empêchement d'un si grand bienfait, faites que je meure plutôt que de m'opposer aux desseins de votre miséricorde; aucune créature ne peut mériter cette faveur : ne veuillez donc pas attendre , mon divin Maître, que nous nous en éloignions davantage par notre peu de mérite. Les hommes multiplient leurs péchés, et ils augmentent de plus en plus leurs offenses; or comment pourrons-nous mériter le même bien dont nous nous rendons tous les jours  plus indignes? Le motif de notre remède est en n vous, Seigneur, votre bonté et vos miséricordes infinies vous y obligent, les gémissements des prophètes et des pères de votre peuple vous sollicitent, les saints vous désirent, les pécheurs vous attendent, et tous ensemble vous appellent; et si moi, petit ver de terre, ne me suis pas rendue indigne de votre clémence par mes ingratitudes, je vous a supplie du plus intime de mon âme d'avancer le pas, et de nous venir procurer notre remède pour votre propre gloire. »

12. La Princesse du ciel ayant achevé cette prière, revint en l'état qui lui était et plus ordinaire et plus naturel; mais par le nouveau commandement qu'elle venait de recevoir du Seigneur, elle ne cessa durant ce jour d'implorer l'incarnation du Verbe, et elle réitéra avec une très-profonde humilité ses exercices en se prosternant et en priant les bras étendus en croix, parce que le Saint-Esprit, qui la gouvernait, lui avait enseigné cette posture pour laquelle la très

 

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sainte Trinité devait avoir une si grande complaisance; et comme si elle eût vu de son trône royal la personne de Jésus-Christ crucifiée au corps de la future Mère du Verbe, ainsi elle recevait ce sacrifice du matin de la très-pure Vierge par lequel elle prévenait celui de son divin Fils.

 

Instruction, que la Reine du ciel me donna.

 

13. Ma fille, les. mortels ne sont pas capables de concevoir les oeuvres ineffables que le bras du Tout-Puissant opéra en moi, en me préparant pour l'incarnation du Verbe, singulièrement durant les neuf jours qui précédèrent ce mystère incompréhensible, pendant lesquels mon esprit fut élevé et uni à l'Être immuable de la Divinité, et se trouva si absorbé dans cet océan de perfections infinies dont il recevait de si sublimes effets, qu'il n'est pas possible que l'entendement humain les comprenne. La science des créatures qu'il me communiqua, pénétrait ce qu'elles avaient de plus intime et avec bien plus de clarté et de privilèges que celle de tous les esprits angéliques, qui furent si admirables en cette connaissance de tout ce qui est créé après avoir eu le bonheur de voir Dieu face à face; et les images de tout ce que je vis ne s'effacèrent point de mon entendement, afin qu'ensuite je m'en pusse servir selon ma volonté.

 

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14. Ce que je demande de vous maintenant, est, que faisant réflexion sur ce que je fis par le secours de cette science, vous tâchiez de m'imiter avec le secours de la lumière infuse que vous avez reçue pour cela; profitez, ma fille, de la science des créatures, et faites-en une échelle qui vous porte à votre Créateur; cherchez en elles leur principe et leur fin; servez-vous-en comme d'un miroir qui vous représente sa. divinité, qui vous fasse souvenir de sa toute-puissance, et qui vous enflamme de ce saint amour qu'il exige de vous. Admirez et louez la grandeur et la magnificence du Créateur, humiliez-vous en sa divine présence jusqu'au plus profond du néant, et n'épargnez aucune chose pour devenir douce et humble de coeur. Considérez, ma très-chère fille, que cette vertu d'humilité fut le fondement très-solide de toutes les merveilles que le Très-Haut opéra en moi, et afin que vous estimiez cette vertu, il faut que vous sachiez que, bien qu'elle soit d'un si haut prix entre toutes les autres, elle ne laisse pas d'être très-délicate et très-facile à se perdre, et que si vous la perdez en quelque chose ou que vous ne soyez pas humble en toutes sans nulle distinction, vous ne le serez véritablement en aucune. Reconnaissez l’être terrestre et corruptible que vous avez, et sachez que le Très-Haut a formé l'homme avec une telle providence , que son être propre et sa formation lui signifient, lui enseignent et lui redisent l'importante leçon de l'humilité, et ne le laissent jamais sans cette instruction; c'est pour cela qu'il ne le forma pas de la matière la plus noble,

 

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et qu'il lui laissa le poids du sanctuaire dans son intérieur (1) , afin qu'il mit dans un des bassins de la balance l'Être infini et éternel du Seigneur, et dans l'autre sa très-vile matière, et qu'ensuite il rendit à Dieu ce qui est de Dieu (2), et se rendit à soi-même ce qui lui appartient.

15. Je fis avec beaucoup de perfection ce juste discernement pour l'exemple et l'instruction des mortels; et je veux que vous m'imitiez en cela, et que tous vos soins tendent à devenir humble; car par ce moyen vous vous rendrez agréable au Très-Haut et à moi, qui veux votre véritable perfection, et qu'elle soit fondée sur les fondements très-profonds de votre propre connaissance; et plus vous les creuserez, plus vous élèverez l'édifice de la vertu, et votre volonté aura un plus intime accès à celle du Seigneur, qui regarde de la hauteur de son trône avec complaisance les humbles de. la terre.

 

(1) Exod., 24 XXX, 24. — (2) Matth., XXII, 21.

 

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CHAPITRE II. Dans le second jour, le Seigneur continue en la très-sainte Vierge les faveurs et les dispositions pour l'incarnation du Verbe.

 

16. J'ai dit dans la première partie de cette divine histoire que le très-pur corps de la très-sainte Vierge fut conçu et formé en toute perfection dans l'espace de sept jours, le Très-Haut opérant ce miracle afin que sa très-sainte âme n'attendit pas le même temps que celles des autres enfants , mais au contraire qu'elle fût créée et infuse par avance, comme il arriva en effet, afin que cé principe de la réparation du monde eût  une juste correspondance avec celui de la création. L'harmonie de ces oeuvres fut renouvelée dans le temps immédiat à la descente que le Réparateur du monde y devait faire, afin que le nouvel Adam, Jésus-Christ, étant formé, Dieu se reposât comme ayant employé toutes les forces de sa puissance à la plus grande de ses merveilles, et que le doux sabbat de toutes ses délices fût célébré dans ce repos. Or, comme la Mère du Verbe devait être interposée pour ces prodiges de la bonté divine, en lui donnant la forme humaine et visible, il fallait que, tenant le milieu entre les deux extrémités de Dieu et des hommes, elle les

 

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touchât toutes deux, se trouvant en dignité inférieure à Dieu seul, et supérieure à tout le reste qui n'était pas Dieu; et la science proportionnée, tant de la Divinité suprême que de toutes les créatures inférieures, appartenait à cette dignité.

17. Le souverain Seigneur, voulant poursuivre son dessein, continua les faveurs par lesquelles il disposa la très-sainte Vierge durant les neuf jours qui précédèrent l'incarnation, et que je déclare ici; le second jour étant donc arrivé, notre auguste Princesse fut visitée à la même heure de minuit et en la même forme qua j'ai dit au chapitre précédent : le pouvoir divin l'élevant par ces dispositions, par ces qualités, ou ces illuminations qui la préparaient pour les visions de la Divinité. Elle lui fut manifestée ce jour-là abstractivement, comme dans le premier; et elle vit les couvres qui appartenaient au second jour de la création du monde : elle connut en quel temps et de quelle manière Dieu fit la division des eaux, les unes au-dessus et les autres au-dessous du firmament (1), formant au milieu le même firmament, et comme de celles qui étaient au-dessus il forma le ciel cristallin, qu'on appelle aquatique. Elle,pénétra la grandeur, l'ordre, les qualités, les mouvements et toutes les dispositions des cieux.

18. Cette science n'était ni oisive ni stérile en la très-pure Vierge, parce qu'elle la recevait presque immédiatement de la très-claire lumière de la Divinité ;

 

(1) Gen., I, 6 et 1.

 

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ainsi elle l'enflammait toujours plus de l'amour de Dieu, ne cessant d'admirer et de louer sa bonté et sa puissance; et, transformée en Dieu même, elle faisait des actes héroïques de toutes les vertus, se rendant très-agréable à sa divine Majesté par l'entier accomplissement de son bon plaisir. Et, comme le jour précédent Dieu lui fit part de l'attribut de sa sagesse, ainsi dans ce second jour il lui communiqua en la manière convenable celui de sa toute-puissance, et lui donna un entier pouvoir sur les influences des cieux, des planètes et des éléments, et commanda à tous de lui obéir. De sorte que cette grande Reine eut un empire absolu sur la mer, la terre, les éléments, les globes célestes, et sur toutes les créatures qu'ils renferment.

19. Cet empire et cette puissance appartenaient aussi à la dignité de la très-sainte Vierge pour les raisons que j'ai dites ci-devant; et outre celles-là nous en avons deux autres particulières : l'une, parce que cette auguste Dame était Reine privilégiée et exempte de la loi commune du péché originel et de ses effets; et c'est pour cela qu'elle ne devait pas être comprise dans la masse universelle des insensés enfants d'Adam, contre lesquels le Tout-Puissant donna des armes aux créatures pour venger ses injures et pour châtier la folie des mortels (1); car s'ils ne se fussent point rendus désobéissants à leur Créateur, les éléments et les autres créatures ne leur auraient pas été rebelles ni

 

(1) Sap., V, 18.

 

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nuisibles, et n'eussent pas tourné contre eux la rigueur de leur activité. Que si cette rébellion des créatures fut un châtiment du péché, elle ne devait point s'étendre à la très-sainte, très-immaculée et très-innocente Marie : dans ce privilège, elle ne devait pas être inférieure à la nature angélique, sur laquelle ni la peine du péché ne s'étend point, ni les éléments ne peuvent avoir aucune juridiction. Bien que la très-sainte Vierge fût d'une nature corporelle et terrestre, néanmoins l'avantage qu'elle eut de monter au-dessus de toutes les créatures terrestres et spirituelles, et de se rendre par ses mérites digne Reine et Maîtresse de tout ce qui est créé, était en elle d'autant plus estimable qu'il était plus rare et plus précieux : il fallait bien que la Reine reçût plus de prérogatives que les sujets, et que la Maîtresse fût beaucoup plus privilégiée que les serviteurs.

20. La seconde raison est parce que Jésus-Christ devait obéir à cette divine Reine en qualité de sa propre Mère, et puis qu'il était Créateur des éléments et de tout le reste : il était juste que toutes les créatures obéissent .à celle à qui le même Créateur voulait ]lien obéir, et qu'elle les commandât toutes, puisque la personne de cet adorable Seigneur humanisé devait être soumise à sa Mère par une obligation de la loi de nature. Ce privilège avait une grande convenance pour relever les vertus et les mérites de la très-sainte Vierge, parce que ce que nous ne pouvons pas éviter, et ce qui nous arrive bien souvent contre notre volonté, était en elle et volontaire et méritoire. La très-prudente

 

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Reine n'usait point de cet empire sur les éléments et Fur les autres créatures indistinctement ni en sa faveur; au contraire, elle leur commanda à toutes d'exercer envers elle ce qui lui pouvait être naturellement pénible, parce qu'en cela elle devait être semblable à son très- saint Fils et souffrir avec lui ; car il est sûr que l'amour et l'humilité de cette grande Dame n'auraient pas permis que les créatures eussent suspendu leurs rigueurs, et l'eussent privée du mérite des souffrances, qu'elle connaissait être d'un si grand prix aux yeux du Seigneur.

21. La douce Mère ne dominait sur la force des éléments que quand elle comprenait qu'il fallait mettre son Fils et son Créateur à couvert de leurs rigueurs, comme nous verrons dans la suite en leur voyage d'Égypte et en d'auges occasions, où elle jugeait dans sa grande sagacité qu'il était convenable que les créatures reconnussent leur Créateur en lui rendant quelque service. Qui n'entrera dans l'admiration en apprenant une chose si nouvelle? Une pure créature, une femme terrestre avoir un empire absolu sur tout ce qui est créé! s'estimer la plus indigne et la plus vile de toutes; et dans une telle pensée commander aux créatures de tourner leurs rigueurs contre elle, et elles n'exécuter cet ordre que par obéissance ! Mais, craignant et respectant une telle Maîtresse, elles agissaient plutôt pour lui témoigner leur soumission que pour venger la cause de leur Créateur, comme elles le font envers les autres enfants d'Adam.

22. A la vue de cette humilité de notre auguste

 

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Reine, nous ne pouvons pas nier notre très-vaine présomption, pour ne pas dire témérité, puisque, quand nous méritons que tous les éléments et toutes les forces offensives des autres créatures se révoltent contre nos folies, nous nous plaignons de leurs rigueurs, comme si elles nous faisaient un grand tort. Nous condamnons la rigueur du froid, nous ne voulons pas souffrir que la chaleur nous fatigue; nous avons de l'horreur pour tout ce qui est pénible, et tous nos soins ne tendent qu'à blâmer ces ministres de la justice divine, et à procurer à nos sens ce que les commodités et les plaisirs passagers ont de plus délicat; comme si leur jouissance devait durer toujours, et qu'il ne fût pas certain que nous en sortirons pour subir un plus dur châtiment de nos péchés.

23. Faisant réflexion sur ces dons de science et de puissance que reçut la Princesse du ciel, et sur les autres qui la disposaient à devenir la digne Mère du Fils unique du Père éternel, l'on connaîtra l'excellence de cette auguste Dame, dans laquelle on, découvrira une espèce d'infinité, ou une intelligence participant d'une manière spéciale à l'intelligence divine, et semblable d celle que la très-sainte âme de Jésus-Christ eut dans la suite; car non-seulement elle connut toutes les créatures en Dieu; mais elle les comprenait de telle sorte, qu'elle les renfermait dans sa capacité, et cette capacité eût pu s'étendre sur plusieurs autres s'il y en eût eu encore quelques-unes à connaître. Je trouve là une espèce d'infinité, parce qu'il y a, semble-t-il, quelque chose de la science infinie, et

 

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parce que Marie voyait et connaissait simultanément et sans succession de temps le nombre des cieux , leur largeur, leur profondeur, leur ordre, leurs mouvements, leurs qualités, leur matière et leur forme, les éléments avec toutes leurs propriétés et tous leurs accidents, sa connaissance renfermant tout cela ensemble. Cette très-sage et très-savante Vierge n'ignorait que la fin prochaine de toutes ces faveurs, jusqu'à ce que l'heure de son consentement et de la miséricorde ineffable du Très-Haut arrivât; mais elle continuait durant tous ces jours ses ferventes prières pour la venue du Messie, le même Seigneur le lui commandant et lui révélant qu'il ne tarderait pas, parce que le temps destiné s'approchait.

 

Instruction de la Reine die ciel.

 

24. Ma fille, par tout ce que vous découvrez des faveurs que j'ai reçues pour arriver à la dignité de bière du Très-Haut, je veux que vous connaissiez l'ordre admirable de sa sagesse en la création de l'homme. Considérez donc, comme son Créateur ne le tira pas du néant pour en faire un serviteur, mais pour en faire le roi et le seigneur de toutes choses, et afin qu'il s'en servit avec empire, voulant néanmoins qu’ il se reconnût en même temps et pour son

 

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ouvrage et pour son image (1), et qu'il fût plus soumis à la divine volonté que, les autres créatures ne l'étaient à la sienne, parce que l'ordre, la raison et la justice l'exigent de la sorte. Et afin que la connaissance du Créateur et des moyens pour savoir et pour exécuter sa volonté ne manquât pas à l'homme, le Seigneur lui donna, outre la lumière naturelle, une autre lumière plus grande, plus prompte, plus facile, plus certaine, moins fatigante et plus accessible à tous, qui fut celle de la foi par laquelle il devait connaître l’Etre de Dieu, ses perfections et ses œuvres. Par cette science et par cet empire l'homme se trouva dans un ordre bien sublime, où il fut fort honoré et fort enrichi, et sans aucune excuse qui pût le dispenser de se consacrer entièrement à la volonté de son Créateur.

25. Mais la folie des mortels renverse tout cet ordre et jette la confusion dans cette harmonie divine, lorsque celui qui fut créé pour être le seigneur et le roi des créatures se rend leur vil esclave et s'assujettit à leur empire tyrannique, déshonorant sa dignité et n'usant pas des choses visibles comme un seigneur prudent, mais comme un serviteur indigne qui a renoncé à sa prérogative en se soumettant avec bassesse i1 ce que les créatures ont de plus abject. Tout ce renverseraient nuit de ce qu'on n'use pas de ces choses pour le service du Créateur en les lui rapportant par le moyen de la foi, et de ce que l'on en

 

(1) Gen., I, 20.

 

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fait un mauvais usage, ne s'en servant que pour satisfaire les passions et les sens par tout ce qu'elles ont de délectable; et c'est pour ce sujet qu'on a si fort en horreur celles qui n'ont rien pour les flatter.

26. Pour vous, ma très-chère fille, regardez avec les yeux de la foi votre Créateur et votre Seigneur, et tachez de graver dans votre âme l'image de ses divines perfections; conservez l'empire que vous avez sur les créatures, et ne permettez pas qu'aucune assujettisse votre liberté; au contraire, je veux que vous triomphiez de toutes, et que vous n'en mettiez aucune entre votre âme et votre Dieu. Vous ne devez pas vous laisser prendre aux appâts dangereux et trompeurs des créatures, qui obscurciraient votre entendement et affaibliraient votre volonté; mais vous devez plutôt vous soumettre par inclination à ce qu'elles ont de rigoureux et de pénible, le supportant avec une joie volontaire, puisque je l'ai fait pour imiter mon très-saint Fils, quoiqu'il fût en mon pouvoir de choisir le repos, n'ayant aucun péché à expier.

 

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CHAPITRE III. Qui continue ce que le Très-Haut communiqua à la très-sainte Vierge dans le troisième jour.

 

27. La droite du Tout-Puissant, qui rendit l'entrée de sa divinité libre et familière à la très-sainte Vierge, enrichissait et ornait toujours plus par les dispensations de ses attributs infinis ce très-pur esprit et ce corps virginal qu'il avait choisi pour être le tabernacle, le temple et la sainte Cité de son habitation; et cette divine Dame, absorbée dans cet océan de la Divinité, s'éloignait chaque jour davantage de l'are terrestre. pour se transformer en un être céleste, qui lui permettait de découvrir de nouveaux mi stères due le Très-haut lui manifestait; car, comme en des cas semblables, c'est un objet infini qui est mis à là merci de la volonté, même lorsque son appétit est rassasié de ce qu'elle reçoit, il reste toujours davantage à désirer et à contempler. Jamais une pure créature n'est arrivée ni n'arrivera à ce que l'auguste Marie pénétra et de Dieu et des créatures. Elle découvrit de si profonds secrets et de si hauts mystères dans ces faveurs, que toutes les hiérarchies des anges et tous les hommes ensemble n'y pourront jamais arriver,

 

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surtout en ce que cette Princesse du ciel reçut pour être Mère du Créateur.

28. Le troisième des neuf jours dont je parle ici, la Divinité se manifesta n elle comme aux deux autres jours, dans une vision abstractive, précédée des grâces préparatoires que j'ai. indiquées au chapitre premier. Nos conceptions sont trop faibles et trop disproportionnées pour comprendre les augmentations (les dons et des grâces que le Très-Haut réunissait en la divine Marie, et je n'ai point (le nouveaux termes pour exprimer ce qui m'en a été découvert. J'en déclarerai pourtant quelque chose, en (lisant que la sagesse et le pouvoir divin proportionnaient celle qui devait être Mère, du Verbe, afin qu'elle eût (autant qu'il était possible à une pure créature) un rapport convenable aie; les personnes divines. Et celui qui calculera mieux la distance qui se trouve entre ces deux extrémités, un Dieu infini et une créature humaine et bornée, pourra mieux juger des moyens nécessaires pour les unir et les proportionner.

29. Les nouvelles notions que notre incomparable Reine recevait des attributs de la Divinité, gravaient en son âme de nouvelles vertus, et, sa beauté augmentait à mesure que le pinceau de la sagesse divine la retouchait. Les oeuvres du troisième jour de la création du monde lui furent manifestées dans celui-ci. Elle sut en quel temps et comment les vaux s'assemblèrent en un lieu par le commandement divin, et comme Dieu appela l'endroit qu'elles avaient abandonné, terre, et l'assemblage des mêmes eaux, mers.

 

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Elle sut comment la terre produisit l'herbe qui devait porter sa semence; elle connut toutes les plantes, les arbres fruitiers et leurs semences, chaque chose en sa propre espèce. Elle découvrit et pénétra l'étendue des mers, leur profondeur et leurs divisions; la correspondance des fleuves et des fontaines qui en sortent, et qui s'y rendent d'un cours précipité comme à leur centre; les propriétés des plantes, des herbes et des fleurs, des arbres, des racines, des fruits et des semences, et comme elles peuvent toutes servir en quelque chose à l'homme (1). Notre grande Reine connut tout cela d'une manière plus claire, plus distincte et plus complète qu'Adam et Salomon, et nous pouvons dire que par rapport à elle tous les savants du monde furent des ignorants, nonobstant leurs longues études et leur longue expérience. La très-pure Marie apprit les choses les plus cachées, comme dit le Sage (2); et comme elle les apprit sans fiction, elle les communiqua sans envie, et tout ce que Salomon a dit dans cet endroit fut accompli en elle d'une manière très-éminente.

30. Notre Reine se servit de cette science dans quelques occasions pour exercer la charité envers les pauvres (comme je le dirai dans la suite de cette histoire); mais elle en disposait aussi librement, elle en usait aussi facilement que le plus habile et le plus expert des musiciens pourrait se servir de ses instruments; et nous pouvons dire la même chose de toutes

 

(1) Gen., I, 9-13. — (2) Sap., VII, 21; ibid., 13.

 

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les autres sciences, si elle eût voulu en user ou si les applications en eussent été nécessaires au service du Très-Haut, car elle était maîtresse en toutes, et elles se trouvaient réunies en elle dans un tel degré de perfection, qu'aucun des mortels n'en a jamais pu si bien posséder une seule qu'elle les possédait toutes. Elle avait aussi un entier pouvoir sur toutes les vertus et les qualités des pierres, des herbes et des plantes, et ce que notre Seigneur Jésus-Christ promit à ses apôtres et à ses premiers fidèles, qu’ils ne recevraient aucun dommage des choses empoisonnées , quand même ils en boiraient (1)  , fut accordé à notre auguste Princesse avec un tel empire, qu'aucune, de ces choses ne pût lui nuire ni la blesser sans qu'elle le voulût.

31. La très-prudente Dame tint ces privilèges toujours, cachés et elle ne sen appliquait point l'usage, comme nous l'avons déjà dit, pour ne pas se priver des souffrances que son très-saint Fils devait choisir; et avant que de le concevoir et que d'être mère, elle était gouvernée en cela par la divine lumière, et par la connaissance quelle avait de la passibilité que le Verbe incarné devait recevoir. Après qu'elle fut devenue sa mère, voyant et expérimentant cette vérité en son propre Fils, elle donna permission, ou pour mieux dire, elle commanda aux créatures de l'affliger partout ce qu'elles avaient de rigoureux, comme elles le faisaient envers leur propre Créateur humanisé. Et parce que le Très-Haut ne voulait pas toujours que

 

(1) Matth , XVI, 18.

 

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son Épouse, son unique et son élue fût maltraitée des créatures, il les retenait ou les empêchait plusieurs fois, afin qu'il y eût quelques intervalles auxquels la divine Princesse jouit des délices du souverain Roi.

32. La très-sainte Vierge reçut un autre privilège singulier en faveur des mortels dans la vision de la Divinité qu'elle eut le troisième jour; parce que Dieu lui manifesta dans cette vision d'une manière particulière l'inclination qui portait l'amour divin à remédier au malheur des hommes, et. à les délivrer de toutes leurs misères. Dans la connaissance qu'elle eut de cette infinie miséricorde et de ce que le Très-Haut devait opérer par elle avec tant de bonté, sa divine Majesté la fit participer à un plus haut degré à ses attributs, afin qu'ensuite, comme mère et avocate des pécheurs, elle intercédait pour eux. L'influence sous laquelle la très-pure Marie participa au même amour que Dieu portait aux hommes, et le désir qu'elle ressentit de les soulager, furent si divins et si puissants, qu'il ne lui aurait pas été possible de résister au feu du zèle qui l'embrasait pour le salut de tous les pécheurs, si la vertu du Seigneur ne l'eût fortifiée. Par la violence de cet amour et de cette charité, elle se serait livrée mille fois aux flammes, aux tourments les plus rudes et à la mort même s'il eût été nécessaire, et elle aurait embrassé avec beaucoup de joie tous les martyres, toutes les afflictions, les fatigues et les douleurs pour le salut des mortels. Nous pouvons même dire que tout ce que les hommes ont souffert depuis le commencement du monde jusqu'à cette heure, et tout.

 

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ce qu'ils souffriront jusqu'à la fin, tout cela n’aurait pas été capable de satisfaire l'amour de cette très-miséricordieuse Mère. Que les mortels et les pécheurs considèrent donc ce qu'ils doivent à la très-sainte Vierge.

33. Il est certain que dès ce jour-là notre aimable Princesse devint mère de pitié et de miséricorde, et d'une grande miséricorde, pour deux raisons : l'une , parce que dès lors elle voulut avec une affection et une ardeur singulière communiquer sans réserve les trésors de la grâce qu'elle avait connus et reçus; ainsi ce bienfait du Seigneur la remplit d'une bénignité si admirable et lui donna un coeur si doux, qu'elle en aurait voulu donner un semblable à tous les hommes , et faire passer dans leurs coeurs ces mimes trésors, afin qu'ils eussent été participants du divin amour qui brûlait dans le sien. La seconde raison est parce due cet amour que la très-sainte Vierge conçut pour le salut du genre humain, fut mue des plus grandes dispositions qui la préparèrent à concevoir le Verbe éternel dans son sein virginal. Aussi il était très-convenable qu'elle fût toute pleine de miséricorde, de douceur et de pitié, puisqu'elle seule devait concevoir et enfanter le Verbe incarné qui voulut bien par sa miséricorde, par sa clémence et par son amour, s'humilier jusqu'à notre nature et naître d'elle passible pour les hommes. On dit que les enfants participent du naturel de leurs mères, parce qu'ils eu reçoivent les qualités comme l'eau reçoit celles des minéraux à travers lesquels elle filtre; ainsi, quoique

 

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le Fils de Marie tirât ses avantages de la Divinité, il ne laissa pas néanmoins d'avoir aussi part dans le degré possible aux inclinations de sa mère , et elle n'eût pas été ordonnée pour concourir avec le Saint-Esprit à cette conception (qui fut la seule exempte de père), si elle n'eût eu les relations convenables avec le fils dans les qualités de l'humanité.

34. La divine Marie sortit de cette vision, et elle employa tout le reste du jour aux prières et aux demandes que le Seigneur lui ordonnait, augmentant sa ferveur et laissant le coeur de son époux toujours plus pénétré de son amour, de sorte qu'il était déjà impatient, pour emprunter notre langage ordinaire, de se voir entre les bras de sa bien-aimée.

 

Instruction que notre auguste Reine me donna.

 

35. Ma très-chère fille, le bras du Tout-Puissant opéra de grandes choses en moi dans les visions de sa divinité, dont il me fit jouir durant ces jours qui précédèrent celui auquel je le devais concevoir dans mon sein. Et quoiqu'elle ne me fût pas manifestée immédiatement ou sans voile, elle le fut pourtant d'une manière très-sublime et avec des effets réservés à sa seule sagesse. Quand j'en renouvelais la connaissance par les images qui m'en étaient restées, alors je m'élevais eu' esprit et je comprenais ce que Dieu était

 

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envers les hommes, et ce qu'ils étaient envers sa divine Majesté; dans cette considération mon cœur s'embrasait d'amour et se brisait de douleur; parce que je pénétrais en même temps la grandeur immense de l'amour que Dieu a pour les mortels, et la noire ingratitude de l'oubli par lequel les hommes répondent il une bonté aussi ineffable. Je serais morte plusieurs fois en considérant ces choses, si Dieu même ne m'eut soutenue et conservée. Ce sacrifice de sa servante fut très-agréable a sa divine Majesté, et elle l'accepta avec. plus de complaisance que tous les holocaustes de l'antienne loi, parce qu'il eut égard à mon humilité, qui lui fut fort agréable. Et quand je m'exerçais ù ces actes, le Seigneur me faisait de grandes miséricordes, tant pour moi que pour mon peuple.

36. Je vous découvre ces mystères, ma chère fille, pour vous animer à m'imiter autant que vos forces, assistées de la grâce, vous le permettront, regardant comme votre modèle les oeuvres que vous avez connues. Considérez avec beaucoup d'attention, il ma lumière , demandez mime à la raison combien les mortels devraient correspondre à une bonté si immense, a cette inclination qui porte Dieu in les secourir, et opposez à tant d'avances de sa part la pesanteur et la dureté du coeur de ces mêmes enfants d'Adam. Je veux , ma fille, que le vôtre soit. rempli de sentiments de reconnaissance pour le Seigneur, et de compassion du malheur que les hommes s'attirent, par leurs ingratitudes. Je veux bien que vous sachiez que l'oubli de ces importantes vérités auquel les

 

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hommes ingrats se seront livrés, sera le sujet de la plus grande indignation du souverain Juge au jugement universel; et ces mêmes vérités seront si puissantes en ce jour formidable , elles leur causeront en les accusant une confusion telle, que de désespoir ils se précipiteraient dans l'abîme des peines, quand même il n'y aurait point d'autres ministres de la justice divine pour l'exécuter.

37. Si vous voulez éviter un péché si énorme et prévenir cette horrible punition, renouvelez souvent en votre mémoire les bienfaits que vous avez reçus de cet amour et de cette clémence infinie, et considérez qu'elle s'est signalée envers vous entre plusieurs nations. Ne croyez pas que tant de faveurs et tant de dons singuliers aient été pour vous seule, ils ont été faits pour vos frères aussi, puisque la divine miséricorde s'étend sur tous. C'est pour ce sujet que le retour que vous devez au Seigneur doit être premièrement pour vous et ensuite pour eux. Et parce que vous êtes pauvre, présentez, avec le peu que vous avez, la vie et les mérites de mou très-saint Fils, et tout ce que j'ai souffert par la force de l'amour pour me rendre reconnaissante à Dieu; par ce moyen vous suppléerez en quelque façon à l'ingratitude des mortels, et c'est ce que vous devez fréquemment pratiquer en réfléchissant à ce que moi-même j'éprouvais lorsque je m'adonnais à des pratiques semblables.

 

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CHAPITRE IV. Le Très-Haut continue ses bienfaits à la très-sainte Vierge dans le quatrième jour.

 

38. Le Très-Haut continuait ses faveurs à notre Reine et Maîtresse, en lui découvrant les sublimes mystères , par la révélation desquels il la préparait de plus en plus prochainement à la dignité de la maternité divine. Le quatrième jour de cette préparation étant arrivé, elle fut élevée, à la même heure que les autres jours précédents, à la vision de la Divinité en la forme abstractive dont nous venons de parler. Mais son très-pur esprit, illuminé de splendeurs plus éclatantes, en ressentit des effets tout nouveaux. La puissance et la sagesse divine n'arrêtent leur action que devant la borne que leur opposent les œuvres de notre volonté, ou le peu de capacité que nous avons comme créatures essentiellement finies. Le pouvoir divin né trouva aucun empêchement en la très-sainte Vierge pour ce qui regarde les œuvres, car elle fit toutes les siennes clans une plénitude de sainteté souverainement agréable au Seigneur, de sorte que par cet endroit elle s'attirait toutes ses complaisances et lui blessait le coeur d'amour, comme lui-même le dit (1). Le bras

 

(1) Cant., IV, 9.

 

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du Seigneur eût pu seulement trouver quelque borne, en ce que la très-sainte Marie était une simple créature; mais dans sa sphère, cette simple créature franchit toutes limites et dépassa toute mesure, parce le Seigneur lui ouvrit les eaux de la sagesse, afin qu'elle les bût très-pures et très-claires à la source inépuisable de la Divinité.

39. Dans cette vision le Très-Haut se manifesta à elle avec une lumière très-particulière, il lui révéla la nouvelle loi de grâce que le Sauveur du monde devait établir, les sacrements qu'elle devait contenir, la fin pour laquelle il les instituerait et les laisserait dans la nouvelle Église évangélique, les secours, les dons et les faveurs qu'il destinait aux hommes, avec le désir qu'ils fussent tous sauvés et qu'ils profitassent du fruit de la rédemption. La sagesse que la très-sainte Vierge reçut dans cette vision fut si grande, y étant enseignée par le souverain Maître qui corrige les sages (1), que si par impossible quelque homme ou quelque ange eût pu écrire ce quelle y apprit, on en ferait plus de livres que de tout ce qu'on a écrit des sciences et des arts jusqu'à présent, et qu'on en pourra écrire jusqu'à la fin des siècles. Et il ne faut pas s'en étonner, parce qu'étant la plus grande de toutes les pures créatures, l'océan de la Divinité que les péchés et la mauvaise disposition des hommes tenaient renfermé en elle-même, se répandit dans son coeur et dans son entendement avec une abondance

 

(1) Sap., VII, 15.

 

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inconcevable. Ainsi elle y découvrit toutes choses , excepté sa prochaine dignité de Mère du Fils unique du Père éternel, qui lui fut toujours cachée jusqu’au temps que le Seigneur avait déterminé.

40. Parmi les douceurs de cette science divine, notre Reine eut une amoureuse et intime douleur que cette même science lui renouvela. Elle vit du côté du Très-Haut les trésors ineffables des grâces qu'il destinait aux mortels, et la forte inclination que la Divinité avait à communiquer à tous sa félicité éternelle; elle découvrit et considéra en même temps le mauvais état du monde, et l'aveuglement excessif avec lequel , les hommes se privaient de cette félicité. Ce qui lui fut un nouveau genre de martyre causé par la force avec laquelle elle se plaignait de leur perte, et par le désir véhément qu'elle avait de remédier en quelque manière à un mal si déplorable. Elle fit pour ce sujet des demandes, des prières, des offrandes, des humiliations et des actes héroïques d'amour de Dieu et des hommes, afin qu'aucun ne se perdit désormais s'il était possible, que tous connussent leur Créateur et Rédempteur, et qu'ils le confessassent, l'adorassent et l'aimassent. Tout cela lui arrivait dans la même vision de la Divinité. Et parce que ces choses furent faites en la manière de plusieurs autres dont nous avons parlé, je ne m'arrête point à les raconter.

41. Le Seigneur lui manifesta dans la même occasion les ouvres de la création du quatrième jour (1);

 

(1) Gen., I, 14-17.

 

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notre divine Princesse y apprit en quel instant et comment les luminaires du ciel furent formés au firmament pour diviser le jour d'avec la nuit, et afin qu'ils marquassent les temps, les jours et les années; et c'est pour ce sujet que le grand luminaire du ciel, qui est le soleil, fut fait, comme président et seigneur du jour, et en même temps que lui fut formée la lune, qui est le moindre luminaire, et qui éclaire dans les ténèbres de la nuit : elle y découvrit comme les étoiles furent formées dans le huitième ciel, afin qu'elles rendissent la nuit agréable par leur brillante lumière, et qu'elles présidassent tant à la nuit qu'au jour parleurs diverses influences. Elle y connut la matière de ces corps lumineux, leur, forme, leurs qualités, leur grandeur, leurs divers mouvements et l'uniforme inégalité des planètes. Elle y connut le nombre des étoiles, et toutes les influences qu'elles communiquent à la terre et à tous ses êtres animés; les effets qu'elles rangent en eus, et en quelle manière elles les modifient et les meuvent.

42. Ce que je viens de dire n'est pas contraire à ce que le prophète dit au psaume 146 , où il nous apprend que Dieu tonnait le nombre des étoiles et qu il les appelle par leurs noms; car David ne nie pas que ce souverain Seigneur ne puisse. accorder à la créature, et par son pouvoir infini et par grâce, ce qu'il en a lui-même par nature. Et il est évident que, lui étant possible de communiquer cette science, et que cette communication contribuant à la glus grande excellence de l'auguste Marie, sa divine Majesté ne lui

 

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devait pas refuser cette faveur, puisqu'elle lui en avait accordé d'autres plus grandes, en la faisant Reine et Maîtresse des étoiles comme des autres créatures. Et ce bienfait devait être comme inséparable de l'empire que le Seigneur lui donna sur les vertus, les influences et les opérations de tous les corps célestes, commandant à teins de lui obéir comme à leur souveraine Maîtresse.

43. La très-sainte Vierge reçut une si grande puissance par cette. loi, que, suivant notre manière de parler, le Seigneur imposa aux créatures célestes, et de l'empire qu'il lui donna sur elles, que si elle eût commandé aux étoiles de quitter leur place dans le ciel, elles lui auraient obéi incontinent, et elles eussent pris la place que cette divine Dame leur eût assignée. Le soleil et les autres planètes en eussent fait de même, et tous les corps célestes eussent arrêté leur cours et leur mouvement, suspendu leurs influences et leurs opérations au commandement de Marie. J'ai déjà dit qu'elle usait quelquefois de cet empire, ainsi qu'il lui arriva en Égypte (comme nous verrons dans la suite), où les chaleurs sont fort grandes, et où elle se servit du pouvoir qu'elle avait de commander au soleil de modérer son ardeur, et de ne point incommoder par ses rayons l'enfant Dieu et son Seigneur; à quoi le soleil lui obéissait, incommodant la Mère, parce qu'elle le voulait bien de la sorte, et respectant le Fils, le Soleil de justice, qu'elle avait entre ses bras. Il arrivait la même chose à l'égard des autres planètes, et quelquefois elle arrêtait le soleil, comme je le dirai en son lieu.

 

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44. Le Très-Haut, dans cette vision, manifesta à notre grande Reine plusieurs autres mystères cachés; et tout ce que j'en ai dit et que j'en dirai me met dans une gène violente, parce que je ne puis dire que fort peu de ce que j'en connais; que je comprends beaucoup moins que tout ce qui arriva à cette divine Dame, et que plusieurs de ces mystères sont réservés, afin que son très-saint Fils les manifeste au jour du jugement universel, parce que présentement nous ne sommes pas capables de tous. La très-pure Marie sortit de cette vision toujours plus enflammée et toujours plus imprégnée des attributs et des perfections qu'elle avait contemplés, toujours plus transformée en cet objet infini; et par l'accroissement des divines faveurs elle augmentait les vertus et redoublait les prières, les soupirs, les ferveurs et les mérites par lesquels elle avançait. l'incarnation du Verbe et notre salut.

 

Instruction que la divine Reine me donna.

 

45. Ma très-chère fille, je veux que vous considériez avec beaucoup d'attention et que vous estimiez également ce que vous avez compris des choses que je fis et que j'endurai, lorsque le Seigneur me donna une si haute connaissance de sa bonté, inclinée par un poids infini à enrichir les mortels; et que vous tâchiez d'approfondir en même temps et leur peu de retour et

 

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leur noire ingratitude. Quand je me mis à considérer et à pénétrer, étant sortie de ce lieu où cette très-libérale bonté m'avait élevée, la dureté insensée des pécheurs, mon coeur, comme s'il avait été percé d'une flèche, fut pénétré d'une mortelle amertume qui me navra toute ma vie. Et je veux vous faire part d'un autre mystère : c'est que le Très-Haut, répondant à mes soupirs, me disait plusieurs fois, pour soulager l'affliction que mon coeur ressentait dans cet abîme de douleurs : « Recevez, ma chère Épouse, ce que le  monde ignorant et aveugle méprise, indigne qu'il  est de le recevoir et de le connaître. » Et, en me répondant ainsi, le Seigneur semait à pleines mains dans mon âme des trésors qui la consolaient au delà de tout ce que l'entendement en peut concevoir, et de tout ce qu'on en peut exprimer.

46. Je veux donc maintenant, ma chère amie, que vous soyez ma compagne dans cette douleur que je souffris pour les vivants, et à laquelle ils font si peu de réflexion. Et, afin que vous m'imitiez en cela et clans les effets qu'une si juste peine vous causera, vous devez entièrement renoncer à vous-même, vous oublier en tout et couronner cotre coeur d'épines et de douleurs, contrairement à ce que les mortels ont accoutumé de faire. Pleurez ce qui fait le sujet de leurs railleries, de leurs plaisirs et de leur damnation éternelle; car c'est la plus juste occupation de celles qui sont les véritables épouses de mon très-saint Fils; et à celles-là il ne leur est permis de se réjouir que dans les larmes quelles versent pour leurs péchés et pour ceux d'un

 

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monde ignorant. Préparez votre coeur par cette disposition, afin que le Seigneur vous fasse part de ses trésors, et ne faites pas tant cela pour ce que vous' en pouvez recevoir, qu'afin que sa divine Majesté satisfasse son libéral amour en vous les communiquant et en justifiant les âmes. Imitez-moi en tout ce que je vous enseigne, puisque vous savez que c'est ma volonté que vous le fassiez.

 

CHAPITRE V. Le Très-Haut manifeste de nouveaux mystères à la très-sainte.Vierge en lui découvrant les œuvres du cinquième jour de la création. — Elle renouvelle ses demandes pour l'incarnation du Verbe.

 

47. Le cinquième jour de la neuvaine que la très-sainte Trinité célébrait dans son Temple., l'auguste Marie, arriva, afin que, par ses dispositions, le Verbe, éternel prit en elle notre chair humaine : alors la Sagesse infinie, levant plus que les autres fois le voile des profonds secrets, lui en découvrit de nouveaux, l'élevant à la vision abstractive de la Divinité de la même manière que les jours précédents ; mais en se renouvelant, ces opérations, ces illuminations n'avaient lieu qu'avec une plus grande effusion de lumières

 

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et de grâces qui s'écoulaient de la source des trésors infinis dans son âme très-sainte et dans ses puissances; de sorte que notre divine Dame s'approchait davantage de litre de Dieu et de sa ressemblance, et se transformait toujours de plus en plus en lui, pour devenir ainsi la digne Mère du même Dieu.

48. Le Très-Haut parla dans cette vision à la divine Reine, pour lui manifester d'autres secrets, et en lui témoignant une bienveillance incroyable, il lui dit : « Vous avec connu , mon Épouse et ma Colombe,  dans le secret de mon cœur l'immense libéralité à  laquelle me porte l'amour que j'ai pour le genre humain, et les trésors cachés que j'ai préparés pour  leur félicité. Cet amour est si puissant en moi, que  je veux bien leur donner mon Fils unique pour les instruire et pour les racheter. Vous avez aussi connu  quelque chose de leurs mauvaises dispositions et de leur affreuse ingratitude; vous savez le mépris qu'ils font de ma clémence et de mon amour. Mais  bien que je vous aie dévoilé une partie de leur  malice, je veux, ma chère amie, que vous découvriez de nouveau en mon être combien est petit le  nombre de ceux qui auront le bonheur et de m'ai mer comme mes élus, et combien est grand celui des ingrats et des réprouvés. Les péchés et les  abominations innombrables que je prévois par ma  science infinie chez tant d'hommes souillés et noir cis, arrêtent l'impétuosité de mes miséricordes; ils ont mis de puissants obstacles aux canaux par où

 

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les trésors de ma divinité doivent sortir, et rendent  le monde indigne de les recevoir.

49. Notre Princesse apprit par ces paroles du Très-Haut de grands mystères touchant le nombre des prédestinés et des réprouvés; elle y découvrit aussi la résistance, l'obstacle que tous les hommes opposaient dans l'entendement humain, par leurs péchés réunis, à ce que le Verbe éternel vint su monde pour s'y faire homme. Et la très-prudente Dame, ravie d'admiration à la vue de la bonté et de l'équité infinie du Créateur, et de la malice et iniquité immense des hommes, dit, toute embrasée de l'amour divin, à sa divine Majesté

50. « Mon Seigneur et mon Dieu infini, qui êtes  d'une sagesse et d'une sainteté incompréhensible,  quel mystère, ô mon souverain bien ! est celui que a vous venez de me manifester? Les méchancetés des  hommes n'ont point de bornes, et votre seule sa gesse les pénètre; mais toutes ces iniquités et beau coup d'autres plus grandes peuvent-elles bien  éteindre le feu de votre amour, ou rivaliser avec  lui? Non, mon divin Maître, cela ne sera pas ainsi, a la malice des mortels ne doit pas arrêter votre a miséricorde. Je suis la plus inutile de tout le genre  humain , mais je vous représente de sa part ce que  demande la fidélité de vos promesses. C'est une  vérité infaillible que le ciel et la terre passeront  plutôt que la véracité de vos paroles (1); vous

 

(1) Matth., XXIV, 35.

 

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l'avez plusieurs fois donnée au monde par la bouche  de vos saints prophètes, et à ceux-ci par votre a propre bouche, quand vous leur avez dit que vous leur enverriez leur Rédempteur et Sauveur. Comment donc, mon Dieu, pourraient manquer de a s'accomplir ces promesses autorisées par votre sa gesse infinie, qui ne peut être trompée, et par  votre bonté ineffable, qui ne peut tromper l'homme? Il n'y eut aucun mérite du côté des mortels pour  leur faire cette promesse, et pour leur offrir leur  félicité éternelle en votre Verbe humanisé, ni aucune créature, Seigneur, n'a pu vous obliger cela; que si l'on eût  pu mériter ce bien, votre clémente infinie et libérale n'eût  pas été si fort exaltée; cette obligation ne s'est trouvée qu'en vous même, car la raison qui oblige Dieu à se faire a homme ne peut être qu'en Dieu seul: cette raison et le motif que vous avez eu de nous créer, de nous  relever après notre chute et de nous réparer, ne se trouvent qu'en vous seul. Ne cherchez point, mon Dieu, d'autres mérites, ni d'autre raison pour lin carnation, que votre miséricorde et l'exaltation de votre gloire.

51. « Il est vrai, ma chère Épouse, répondit le Très-Haut, que par mon immense bonté je m'obligeai à promettre aux hommes que je me revêtirais de leur nature et que j'habiterais avec eux; il est constant aussi qu'à mon égard personne n'a pu  mériter cette promesse; mais l'ingrate conduite des hommes, si odieuse à mes yeux, si blessante

 

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pour ma justice, n'en mérite pas l’exécution , puisque ne prétendant que l'intérêt de leur félicité éternelle en retour de mon amour, je connais et je découvre leur dureté, par laquelle ils doivent dissiper et mépriser les trésors de ma grâce et de ma gloire; et je vois qu'ils ne me rendront que des épines au lieu de fruit, que des offenses énormes pour des bienfaits, et qu'une noire ingratitude  pour mes grandes et libérales miséricordes; et la  fin de toutes ces méchancetés sera pour eux la privation de ma vue dans des tourments éternels. Considérez, ma chère amie, ces vérités écrites dans le  secret de ma sagesse, et pesez ces grands mystères,  car mon coeur vous est ouvert, où vous connaissez   la cause de ma justice. »

52. Il n'est pas possible de révéler les mystères: cachés que la très-sainte Vierge connut en Dieu; parce qu'elle vit en lui toutes les créatures présentes, passées et futures, l'ordre que toutes les âmes devaient tenir, les bonnes et les mauvaises oeuvres qu'elles feraient, la fin que toutes devaient avoir; et si elle n'est été fortifiée par la vertu divine, elle n'eût pu conserver la vie parmi les sentiments et les impressions que la science et la vue de tant de profonds mystères excitaient en elle. Mais comme sa divine Majesté visait dans ces nouveaux miracles et dans ces bienfaits singuliers à des fins si relevées, elle ne fut point avare, mais très-libérale envers sa bien-aimée et celle qui était élue pour être sa Mère. Comme notre Reine puisait cette science dans le sein de Dieu même,

 

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elle en recevait le feu de la charité éternelle qui l'embrasait de l'amour de Dieu et du prochain; et continuant ses demandes dans cette même charité, elle dit

53. « Seigneur Dieu éternel, invisible et immortel,  je confesse votre justice, j'exalte vos œuvres, j'a dore votre Être infini, et je respecte vos jugements. Mon coeur s'exhale entièrement en des affections amoureuses, connaissant d'un côté votre bonté sans bornes envers les hommes, et de l'autre leur lâche  ingratitude et leur grossièreté insupportable envers  vous. Vous voulez, mon Dieu, que tous aient part  à la vie éternelle; mais il y en aura fort peu qui  reconnaîtront ce bienfait inestimable, et le nombre  de ceux qui le perdront par leur malice sera fort  grand. Si par cet endroit, mon souverain bien, vous vous rebutez, nous sommes tous perdus; mais  si par votre science infinie vous avez prévu les  péchés et la malice des hommes qui vous offensent  si fort, par cette même science vous regardez aussi  votre Fils unique humanisé et ses oeuvres, qui sont a d'un prix infini en votre acceptation et qui sur

passent sans comparaison tous les péchés. Votre  équité doit être satisfaite de cet Homme-Dieu, et à  sa seule considération vous nous le devez donner a sans nous faire plus souffrir; et pour vous le  demander derechef au nom de tout le, genre  humain, je me revêts de l'Esprit même du Verbe  fait homme dans votre entendement , et je sol licite la réalisation de vos desseins, et par suite   la vie éternelle pour tous les mortels. »

 

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54. Dans cette requête que la très-pure Marie présenta au Père éternel, elle exposa pour ainsi dire comment son Fils unique devait descendre dans le sein virginal de la grande Reine prédestinée à devenir sa Mère, et ses humbles et amoureuses prières finirent par le gagner. Il se montrait encore indécis, mais c'était là une industrie qu'employait son tendre amour, afin d'entendre plus longtemps la voix de sa bien-aimée, dont les douces lèvres distribuaient le miel le plus suave (1), et dont les élans ressemblaient aux transports du paradis. Et pour faire durer davantage cet amoureux débat, le Seigneur lui répondit : « Ma chère Épouse et ma douce Colombe, vous  me demandez beaucoup, et ce que font les hommes  pour l'obtenir est fort peu de chose; or comment  accorderai-je à des indignes un si rare bienfait?   Laissez-moi les traiter, ma bien-aimée, selon leur  ingratitude.» A quoi notre puissante et pitoyable Avocate répondit : « Non, mon divin Maître, je ne  vous laisserai point, je vous serai toujours importune; si ce que je vous demande est grand, c'est  à vous que je le demande, qui êtes riche en miséricorde, puissant dans les oeuvres et véritable dans  les paroles. Mon père David dit de vous et du Verbe a éternel : Le Seigneur a juré, et il ne se rétractera point : vous êtes prêtre selon l'ordre de Melchisédech (2). Que ce pontife qui doit être en même temps victime, vienne donc pour notre rachat;

 

(1) Cant., IV, 11, 13. — (2) Ps. CIX, 4.

 

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qu'il vienne, puisque vous ne pouvez pas vous  repentir de votre promesse, parce que vous ne  promettez pas avec ignorance. Mon doux amour : je suis revêtue de la vertu de cet Homme-Dieu, je  ne vous laisserai point que vous ne m'ayez donné  votre bénédiction comme à mon père Jacob (1). »

55. Il fut demandé à notre Reine dans cette divine lutte, ainsi qu'à Jacob (2), quel était son nom. Elle répondit : « Je suis fille d'Adam, formée par vos  mains d'une vile matière. » Et le Très-Haut lui repartit : « Désormais vous vous appellerez l'Élue,  pour être Mère du Fils unique. » Mais ces dernières paroles ne furent entendues que des courtisans du ciel, et elles lui furent cachées jusqu'à son temps, n'ayant entendu que le seul terme d'Élue. Cette amoureuse dispute ayant duré le temps que la sagesse divine déterminait, et qui était convenable pour enflammer le coeur fervent de l'Élue, la très-sainte Trinité donna sa parole royale à la très-pure Marie, notre Reine, lui promettant qu'elle enverrait su plus tôt le Verbe éternel au monde pour se faire homme. Étant remplie d'une joie inconcevable que cet agréable fiai lui causait, elle demanda la bénédiction, et le Très-Haut la lui donna. Cette femme forte sortit de la lutte qu'elle venait de soutenir contre Dieu, bien plus victorieuse que Jacob, car elle se trouva riche, puissante, chargée de dépouilles; et pour employer l'humain langage, je dirai que Dieu

 

(1) Gen., XXXII, 26. — (2) Ibid., 27.

 

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fut comme blessé et affaibli, ayant été contraint par l'amour de cette auguste Dame de se revêtir dans son sein virginal de la faiblesse humaine de notre chair passible, dans laquelle il devait cacher et couvrir la force de sa divinité pour vaincre dans sa défaite, et nous donner la vie par sa mort. Que les mortels apprennent et voient comme l'incomparable Marie est la cause de, leur salut après son très-béni Fils.

56. Ensuite les oeuvres du cinquième jour de la création du monde furent manifestées dans cette même vision à notre Princesse, dans le même ordre qu'elles étaient arrivées. Elle connut comment la force de la parole divine produisit les eaux qui sont sous le firmament, les reptiles qui rampent sur la terre, les oiseaux qui volent dans l'air, et les poissons qui se trouvent dans ces mêmes eaux (1). Elle connut le principe, la matière, la forme et la figure de toutes ces créatures, le genre et toutes les espèces des animaux sauvages, leurs qualités, leurs propriétés et leurs classes; les oiseaux du ciel (car nous appelons ainsi l'air), avec leur différence, la forme, le plumage, les ornements et la légèreté de chaque espèce; elle découvrit les poissons innombrables de la mer et des rivières, les diverses sortes de monstres marins, leur structure, leurs qualités, leurs cavernes, la nourriture que la mer leur fournit, la fin pour laquelle ils ont été créés et le rôle qu'ils remplissent dans le monde. Le Seigneur commanda singulièrement

 

(1) Gen., I, 20-22.

 

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à toute cette multitude de créatures d'obéir à la très-sainte Vierge, lui donnant un entier pouvoir de les commander toutes et de s'en servir, comme il arriva en plusieurs occasions; j'en raconterai quelques-unes dans la suite. Après cela elle sortit de la vision de ce jour, et elle employa le reste aux exercices et aux demandes que sa divine Majesté lui ordonna.

 

Instruction que la Reine du ciel me donna.

 

57. Ma fille , Dieu s'est réservé de donner aux prédestinés dans la Jérusalem céleste une plus ample connaissance des œuvres merveilleuses que son puissant bras opéra en moi, pour m'élever à la dignité de Mère par les visions abstractives de sa divinité. C'est là qu'ils les connaîtront et les verront en ce divin Seigneur avec autant de joie et d'admiration que les anges lorsqu'ils en louaient et glorifiaient la divine Majesté au moment où il lui plut de les leur manifester. Et parce que le Très-Haut vous a témoigné son amour libéral avec tant de distinction parmi toutes les nations, en vous donnant l'intelligence de ces mystères si profonds, je veux, ma chère amie, que vous vous signaliez entre toutes les créatures dans les louanges que vous devez à son saint nom, pour les

 

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grandes choses que la puissance de son bras a opérées envers moi.

58. Ensuite, vous devez faire tous vos efforts pour m'imiter dans les œuvres que je faisais à la suite de ces admirables faveurs. Redoublez vos prières et vos cris pour le salut éternel de vos frères, et afin que le nom de mon Fils soit exalté et connu de tous. Il faut que vous fassiez ces demandes avec une insistance persévérante, affermie dans une foi vive et dans une confiance inébranlable, sans perdre de vue votre misère, avec une humilité profonde et une entière soumission: Ayant fait ces préparatifs, vous devez combattre avec l'amour divin pour le bien de votre peuple, devant être persuadée que ses plus glorieuses victoires consistent à se laisser vaincre par les humbles qui l'aiment sincèrement et avec droiture; élevez-vous au-dessus de vous-même et rendez grâces au Seigneur pour les bienfaits que vous en avez reçus et pour ceux de tout le genre humain; que si vous vous adressez à ce divin amour et si vous en êtes prévenue, vous mériterez de recevoir d'autres nouvelles faveurs tant pour vous que pour vos frères; souvenez-vous aussi de lui demander sa bénédiction toutes les fois que vous vous mettrez en sa divine présence.

 

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CHAPITRE VI. Le Très-Haut manifeste à  notre Reine d'autres mystères, et les œuvres du sixième jour de la création.

 

59. Le Très-Haut continuait de. préparer de plus en plus notre Princesse pour l'entrée que le Verbe éternel devait faire dans son sein virginal, et elle persévérait sans relâche ni interruption dans ses, ferventes affections et ses saintes prières, afin qu'il ne tardât pas de venir au monde; la nuit du sixième jour de ceux que je déclare ici étant donc arrivée , elle fut appelée et élevée en esprit par la même voix et par la même force que j'ai dit ci-devant, et étant prévenue par de plus hauts degrés d'illuminations, la Divinité lui fut manifestée par la vision abstractive en la même manière que les autres jours; mais c'était toujours avec des affections plus divines et avec une connaissance plus profonde de ses attributs. Elle employait neuf heures dans cette oraison, et elle en sortait à l'heure de tierce. Et quoique cette sublime vision de l’être de Dieu cessât alors, la très-sainte Vierge ne perdait pas entièrement sa vue et ne quittait point l'oraison pour cela; au contraire, elle entrait dans une autre qui, bien qu'inférieure à celle

 

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qu'elle laissait, était pourtant sans contredit très. relevée, et au-dessus de la plus sublime de celles de tous les saints ensemble. Toutes ces faveurs la rapprochaient de plus en plus de la Divinité dans les derniers jours qui étaient les plus proches de l'incarnation, sans que les occupations extérieures de son état y portassent aucun empêchement, parce que dans cette rencontre Marthe ne se plaignait point que Marie la laissait seule dans ses fonctions (1).

60. En suite de la connaissance de la Divinité qu'elle reçut dans cette vision, les oeuvres du sixième jour de la création du monde lui furent manifestées; et comme si elle s'y fût trouvée présente, elle connut en Dieu de queue manière la terre produisit par sa divine parole l'âme vivante en on genre, selon que Moïse le dit (2); entendant par ce terme les animaux terrestres qui, étant plus parfaits que les poissons et les oiseaux dans les opérations et dans la vie animale, sont appelés par la partie principale, âme vivante. Elle connut toutes ces espèces d'animaux qui furent créés dans ce sixième jour; et comme les uns étaient, appelés bêtes de somme; les autres, simplement bêtes,comme étant plus sauvages; et les autres, reptiles, parce qu'ils rampent sur la terre. Elle en connut distinctement les qualités, les instincts féroces, les forces, les fonctions, les habitudes et les fins. Elle reçut un empire absolu sur tous ces animaux, et il leur fut commandé de lui obéir, de sorte qu'elle eût pu sans appréhension

 

(1) Luc., X, 40. — (4) Gen., I, 24.

 

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fouler aux pieds l'aspic et le basilic; tous se seraient soumis à cette Reine sans répugnance, ce que quelques-uns d'entre eux filent plusieurs fois, comme il arriva en la naissance de son très-saint Fils, en laquelle le boeuf et l'âne se prosternèrent devant l'Enfant-Dieu et le réchauffèrent de leur baleine, parce que la divine Mère le leur commanda.

61. Notre auguste Reine connut parfaitement dans cette plénitude de science la manière secrète par laquelle Dieu conduisait tout ce qu'il créait au service et à l'avantage du genre humain , aussi bien que le retour que les hommes devaient à leur Créateur pour un tel bienfait. Il fut très-convenable que la très-sainte Vierge eût cette sorte de science, afin qu'elle s'en servit pour rendre à l'auteur d'aussi grands bienfaits les justes actions de grâces, auxquelles et les anges et les hommes avaient manqué en ne s'acquittant pas de tout ce qu'ils devaient en qualité de créatures. L'auguste Marie remplit tous ces vides et suppléa à tous nos manquements, causés tant par notre impuissance que par notre ingratitude. Elle satisfit en quelque façon la divine équité par le retour qu'elle lui rendit, faisant l'office de médiatrice entre cette même équité et les créatures; et nous pouvons dire que par sa sainteté et par sa reconnaissance elle se rendit plus agréable que toutes ensemble, le Très-Haut témoignant d'être plus satisfait de la seule Marie que de tout le reste des autres créatures. Ainsi par ce moyen si mystérieux le temps de la venue de Dieu au monde s'approchait fort, parce que ce qui en empêchait

 

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l'exécution était ôté par l'innocence de celle qui devait être sa mère.

62. Après avoir eu connaissance de la création de toutes les créatures incapables de raison, elle connut dans la même vision comme la très-sainte Trinité dit, pour donner l'entière perfection au monde : « Faisons l'homme a notre image et ressemblance (1),» et comme le premier homme fut formé de terre par la vertu de ce divin décret, pour être l'origine des autres. Elle découvrit fort clairement l'harmonie du corps humain; l'Ame, ses puissances, sa création, son infusion dans le corps, l'union qu'elle a avec lui pour composer le tout i dans la formation de ce mène corps, elle eu connut distinctement toutes les parties, le nombre des os, les i Bines, les artères, les nerfs, les muscles, la combinaison des quatre humeurs qui lui donnaient un tempérament convenable ; la faculté qu'il avait de se nourrir, de s'altérer, de se mouvoir; chroment les maladies étaient causées par l'altération de cette harmonie, la disproportion de ces éléments, et de quelle sorte ce désordre était réparé. Notre très-sagace Vierge connut et pénétra tout cela avec bien plus de clarté que tous les philosophes du monde et que les anges mêmes.

63. Le Seigneur lui manifesta aussi l'heureux état de la justice originelle dans lequel il mit nos premiers parents, Adam et Ève. Elle connut les qualités, la beauté et la perfection de leur innocence et de la

 

(1) Gen., I, 26.

 

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grâce, et le peu de temps qu'ils y persévérèrent; elle pénétra de quelle manière ils furent tentés et vaincus par la malice du serpent, les effets que le péché causa , la fureur et la haine des démons contre le genre humain (1). A la vue de tous ces objets, notre Reine fit des actes héroïques de toutes les vertus qui furent très-agréables au Seigneur; elle reconnut qu'elle était fille de ces premiers parents, descendante d'une nature si ingrate envers son Créateur. Dans cette connaissance, elle s'humilia en la présence divine, blessant le coeur de Dieu et l'obligeant de l'élever au-dessus de tout ce qui était créé. Elle se chargea de pleurer ce premier péché, aussi bien que tous les autres qui en résultèrent, comme si elle en eût été coupable. C'est pourquoi l'on put appeler dès lors cette faute heureuse, puisqu'elle mérita d’être pleurée avec des larmes si précieuses et si estimées du Seigneur, qu'elles commencèrent d’être la caution et en même temps un gage assuré de notre rédemption.

64. Elle rendit de dignes actions de grâces au Créateur pour l'oeuvre merveilleuse de la création de l'homme. Elle considéra avec beaucoup d'attention la désobéissance qu'il avait commise, et la tromperie avec laquelle Ève avait été séduite; elle se résolut d'observer la perpétuelle obéissance que ces premiers pères refusèrent à leur Dieu et Seigneur. Et cette soumission lui fut si agréable, que sa divine Majesté ordonna que la vérité figurée dans l'histoire du roi

 

(1) Gen., III, 1

 

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Assuérus (1), qui répudia la reine Vasthi et la priva de la dignité royale à cause de sa désobéissance, mettant en sa place et élevant à cette dignité l'humble et gracieuse Esther, fut accomplie et exécutée dans ce jour en présence des courtisans célestes.

65. Ces mystères avaient en tout un admirable rapport : car le souverain et véritable Roi fit comme un grand banquet de la création pour découvrir la grandeur de son pouvoir et les trésors de sa divinité, lorsque, ayant préparé la table ouverte et remplie de toutes les créatures, il y invita le genre humain en la création de ses premiers parents. Vasthi , notre mère Ève, étant fort peu soumise au commandement divin, fut assez malheureuse que de désobéir; c'est pourquoi le véritable Assuérus commanda dans ce jour, aux applaudissements et au milieu des magnifiques cantiques des anges, que la très-humble Esther, l'auguste Marie, pleine de grâce et de beauté, fût élevée à la dignité de Reine de tout ce qui est créé, et élue entre toutes les filles du genre humain pour sa restauratrice et Mère de son Créateur.

66. Pour donner la plénitude à ce mystère, le Très-Haut répandit dans le coeur de notre Reine une nouvelle horreur pour le démon, qui correspondait à celle qu'Esther eut pour Aman (2) : et l'horreur que cette vision lui inspira produisit ses effets dans la suite, lorsqu'elle le priva du pouvoir qu'il avait dans le monde et qu'elle écrasa la tète de son orgueil, le menant jusqu’au

 

(1) Esth., I, 2. — (2) Ib., VII, 10.

 

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qu'au gibet de la croix, où il prétendit de vaincre et de détruire l'Homme-Dieu, afin que lui-même y fût vaincu et puni comme un malheureux rebelle; la très-sainte Vierge contribuant à tout cela, comme nous le dirons en son lieu, par l'inimitié qu'elle avait contre ce grand dragon, qui commença avant même que d'être précipité du ciel à dresser toutes ses embûches contre cette femme, qu'il y vit revêtue du soleil (1), et qui était, comme nous avons dit, la figure de l'auguste Marie. De sorte que le combat dura jusqu'à ce qu'elle l'eût privé de son pouvoir tyrannique : et comme le très-fidèle Mardochée fut honoré en la place de l'orgueilleux Aman (2), ainsi le très-chaste et très-fidèle Joseph, qui prenait soin de ce qui regardait notre divine Esther et qui lui inspirait continuellement de prier pour la liberté de son peuple (car c'était l'occupation ordinaire de cet incomparable saint et de sa très-pure épouse), fut élevé par son moyen à une si grande sainteté et à une dignité si excellente, que le suprême Roi lui donna l'anneau de son sceau (3) afin qu'il commandât par cette marque d'honneur le même Dieu humanisé, qui lui était soumis, comme l'Évangile le dit (4). Après ce que je viens de dire, notre Reine sortit de celle vision.

 

(1) Apoc., XII, 4. — (2) Esth., VI, 10. — (3) Ib., VIII, 2. —(4) Luc., II, 51.

 

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Instruction que la divine Dame me donna.

 

67. Ma fille, le don d'humilité que je reçus du Très-Haut dans cette rencontre que vous venez d'écrire, fut admirable; et puisque sa divine Majesté ne rebute point celui qui l'appelle, et qu'il ne refuse pas sa faveur à celui qui se dispose à la recevoir, je veux que vous m'imitiez et que vous soyez ma compagne dans l'exercice de cette vertu. Je n'avais nulle part dans le péché d'Adam, puisque je fus exempte de sa désobéissance; mais parce que je participai à sa nature, n'étant sa fille que par ce seul endroit, je m'humiliai jusqu'à m'anéantir. Or, combien doivent s'humilier à mon exemple ceux qui ont non-seulement participé au premier péché, mais qui en ont commis ensuite une infinité d'autres ! Le motif et la fin de cette humble connaissance ne doivent pas tant consister à éviter la peine qu'on a méritée par ces péchés, qu'à réparer l'honneur que l'on a ôté par leur moyen su Créateur et Seigneur de l'univers.

68. S'il arrivait qu'un de vos frères offensât grièvement votre père naturel , vous ne seriez pas une tille reconnaissante et fidèle, ni une soeur véritable, si vous n'étiez affligée de l'offense que votre père aurait reçue, et si vous ne pleuriez la faute de votre frère comme si vous l'aviez commise, parce que l'on doit honorer le père et aimer le frère comme soi-même ; or, considérez, ma très-chère fille, et examinez bien

 

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par le secours de la véritable lumière quelle différence il y a entre votre Père qui est aux cieux et votre père naturel, et que vous êtes tous ses enfants, unis par les liens les plus étroits comme frères et serviteurs d'un seul et même Maître, souverain et véritable. Combien ne seriez-vous pas humiliée, confuse et affligée , ma fille , si vos frères naturels tombaient dans quelque faute honteuse? Je veux que la même chose vous arrive pour les péchés que les mortels commettent contre Dieu, et que vous les pleuriez avec autant de confusion que si vous les reconnaissiez pour vôtres. C'est ce que je fis, après avoir connu la désobéissance d'Adam et d'Ève, et les maux qu'elle causa au genre humain. Le Très-Haut regardant avec beaucoup de complaisance ma gratitude et ma charité, parce que celui qui pleure les péchés de ceux qui les oublient après les avoir commis, est fort agréable à sa divine Majesté.

69. Je vous avertis aussi que pour grandes et sublimes que soient les faveurs que tous recevez du Seigneur, vous ne devez pas pour cela négliger le danger, ni dédaigner de pratiquer les moindres couvres d'obligation et de charité. Cet exercice ne vous éloignera pats de Dieu, puisque la foi ne vous enseigne et sa lumière ne vous conduit qu'afin que vous l'ayez toujours avec vous dans toute sorte d'occupation et de lieu, et que vous ne vous sépariez que de vous-même et de votre propre satisfaction pour accomplir le bon plaisir de votre Seigneur et de votre Époux. Ne vous laissez point entraîner dans ces sortes

 

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d'affections par le poids de vos inclinations, ni par celui de la bonne intention et de la consolation intérieure; car il arrive bien souvent que ces apparences couvrent de très-grands périls. Faites en sorte que la sainte obéissance vous serve toujours de règle et de maîtresse dans ces doutes, ou plutôt ignorances; par elle vous vous conduirez sûrement dans toutes vos actions, et vous en retrancherez le poison de l'amour-propre , parce que les plus grandes victoires et les augmentations des mérites se trouvent inséparables de la véritable soumission et de l'humble déférence que l'on a pour les sentiments d'autrui; Vous ne devez jamais témoigner de vouloir ou de ne vouloir pas une chose, par ce moyen vous remporterez des victoires et battrez vos ennemis (1).

 

CHAPITRE VII. Le Très-Haut célèbre de nouvelles épousailles avec la Princesse du ciel pour la préparer aux noces de l'incarnation.

 

70. Les œuvres du Très-Haut sont grandes, parce qu'il les a faites et qu'il les fait toutes avec une plénitude de science et de bonté, ans l'équité et dans la mesure (2). Il n'en est aucune qui soit défectueuse,

 

(1) Prov., XII, 28. — (2) Sap., XI, 21.

 

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inutile, ou superflue : elles sont toutes excellentes et magnifiques, parce que le même Seigneur les a faites et les conserve par les dispositions de sa divine volonté, les ayant voulues en la manière qu'elles étaient convenables, pour être connu et glorifié en elles. Mais nous pouvons dire que toutes ses oeuvres extérieures, quoiqu'elles soient grandes, merveilleuses et plus admirables que compréhensibles, ne sont, par rapport au mystère de l'Incarnation, qu'une petite étincelle qui a jailli du foyer immense de la Divinité. Car ce seul grand mystère dans lequel Dieu s'est fait homme passible et mortel, est le grand ouvrage de tout son pouvoir et de sa sagesse infinie, et celui qui surpasse sans mesure toutes les autres oeuvres et merveilles de la puissance de son bras : parce que dans cet adorable mystère les hommes ne reçurent pas une étincelle de la Divinité, mais ils y reçurent tout ce feu adorable, lorsque Dieu s'unit à notre nature humaine et terrestre par une union indissoluble et éternelle.

71. Que si l'on mesure cette merveille du souverain Roi à sa divine grandeur, l'on trouvera qu'il devait s'ensuivre que la femme dans laquelle il allait prendre la forme humaine, fût si parfaite et si bien ornée de toutes ses richesses, qu'il ne lui manquât aucune grâce possible, et que tous les dons qu'elle recevait fussent si parfaits, qu'il n'y eût rien à souhaiter. Or, comme cela était aussi juste que convenable à ta grandeur du Tout-Puissant, sa divine Majesté l'accomplit beaucoup mieux à l'égard de la très-pure Marie, que te roi Assuérus ne l'avait fait à l'égard de l'aimable

 

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Esther (1), lorsqu'il voulut l'élever, au trône de sa grandeur. Le Très-Haut prévint notre Reine par de si grandes faveurs et des privilèges si fort au-dessus de tout ce que les créatures peuvent concevoir, que lorsqu'elle parut à la vue des courtisans de ce grand Roi immortel de tous les siècles (2), ils connurent et ils louèrent tous le pouvoir divin : avouant que s'il avait choisi une fille pour être sa Mère, il avait bien pu et su la rendre digne de cet honneur.

72. Le septième jour qui s'approchait de cet admirable mystère, arriva; et la très-sainte Vierge fut appelée et élevée à la même heure que nous avons dit ci-devant, mais d'une manière différente des jours précédents; car dans celui-ci elle fut transportée corporellement au haut de l'empyrée par le ministère des saints anges; il y en eut un néanmoins qui demeura et tint sa place sur la terre, la représentant sous une forme corporelle. Parvenue à ce suprême ciel, elle vit la Divinité par une vision abstractive, comme les autres fois, mais avec une lumière toujours plus grande et des mystères plus profonds, que le grand Être, essentiellement libre, sait et peut cacher et manifester quand il lui plaît. Ensuite elle entendit une voix qui sortait du trône divin, et qui lui disait: « Venez, notre Épouse, notre Colombe et notre bien aimée; vous vous êtes rendue agréable à nos yeux;  vous êtes choisie entre mille; nous voulons vous  recevoir de nouveau pour notre unique Épouse

 

(1) Esth, II, 9. — (2) I Tim., I, 17.

 

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c'est pourquoi nous voulons aussi vous donner des  ornements et une beauté dignes de vos désirs. »

73. A cette voix, la très-humble entre les humbles s'anéantit de telle sorte en la présence du Très-Haut, qu'il n'est pas possible à l'entendement humain de le comprendre : et s'étant entièrement soumise au bon plaisir divin, elle répondit avec une agréable timidité: « Voici, Seigneur, cette poussière; voici ce petit vermisseau; voici votre pauvre servante toute prête à  exécuter ce qui vous sera le plus agréable. Servez-vous, mon bien-aimé, de cet instrument abject de  votre volonté, conduisez-le par votre droite. » Ensuite le Très-Haut commanda à deux séraphins des plus proches de son trône et des plus excellents en dignité , d'assister cette divine fille, et, suivis de plusieurs autres de ces courtisans célestes, ils se mirent sous une forme visible su pied du trône, où la très-sainte Vierge se trouvait bien plus embrasée du divin amour que tous ces esprits séraphiques.

74. C'était un spectacle qui causait une nouvelle admiration et une joie inconcevable à toua les esprits angéliques, de voir une jeune fille dans ce lieu céleste, où aucune autre créature humaine n'avait jamais mis le pied et où elle fut sacrée pour être leur Reine et la plus voisine de Dieu parmi toutes les simples créatures : d'y voir cette femme inconnue et méprisée du monde dans une si haute estime; et d'y voir la nature humaine placée d'avance au milieu d'eux, et déjà nantie des gages d'une élévation supérieure à celle de tous les chœurs célestes. O quelle sainte émulation ne

 

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devait pas causer cette rare merveille aux habitants primitifs de la sublime Jérusalem ! O quelles louanges ne chantaient-ils pas à Celui qui en était l'auteur ! O de quels sentiments d'humilité ne renouvelaient-ils pas l'expression en soumettant leurs entendements à la volonté divine! Ils reconnaissaient qu'il était juste et saint que Dieu élevât les humbles, qu'il favorisât l'humilité humaine et qu'il la préférât à l'angélique.

75. Les habitants du ciel étant dans cette juste admiration, la très-sainte Trinité, selon notre basse manière d'exprimer les choses divines, conférait en elle-même combien l'auguste Marie lui était agréable; avec combien de perfection elle avait répondu à tous les bienfaits qu'elle en avait reçus; sur ce qu'elle avait mérité par le secours de ses grâces; sur la proportion qu'il y avait entre la gloire qu'elle rendait à sa divine Majesté et les dons qu'elle en recevait; comme il ne se trouvait en elle ni péché, ni défaut, ni la moindre chose qui pût empêcher sou élévation à la dignité de Mère du Verbe , à laquelle elle était destinée. Les trois personnes divines déterminèrent dans cette conférence d'élever cette créature au suprême degré de grâce et d'amitié de Dieu lui-même, où aucune autre pure créature n'était encore arrivée et n'arriverait jamais. Après cette résolution la très-sainte Trinité se plut en la sainteté suprême de Marie, compte étant conçue dans son entendement divin.

76. Pour répondre à cette sainteté, et au témoignage de la bienveillance avec laquelle le Seigneur lui communiquait les nouvelles influences de sa nature

 

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divine, sa Majesté ordonna que la très-sainte Vierge fût ornée visiblement d'une robe et de joyaux mystérieux, qui signifiassent les dons intérieurs des grâces, et les privilèges qu'elle recevait en qualité de Reine de l'univers et de son Épouse. Et quoi qu'elle eût reçu cet ornement et ces prérogatives d'Épouse en d'autres occasions, comme nous l'avons dit, lorsqu'elle fut présentée au Temple; néanmoins dans celle-ci la chose arriva avec de telles circonstances, qu'elles en renouvelaient l'excellence et en rehaussaient le merveilleux, parce que l'auguste Marie entrait dans une disposition plus proche du miracle de l'incarnation.

77. Incontinent les deux séraphins revêtirent la très- sainte Vierge, par l'ordre du Seigneur, d'une robe fort majestueuse, qui, comme symbole de sa pureté et de sa grâce, était si lumineuse, d'une blancheur si rare et d'une beauté si éclatante, que si elle avait projeté sur le monde : un seul de ses rayons infinis, elle l'eût illuminé d'une clarté plus vive que toutes les étoiles ensemble, fussent-elles transformées en autant de soleils; parce que toute la lumière que nous voyons ici ne paraîtrait qu'obscurité en comparaison de ce rayon. Au même temps que les séraphins la revêtaient, le Très-Haut lui donna une profonde intelligence de l'obligation dans laquelle ce bienfait la mettait de correspondre à sa divine Majesté par la fidélité, par l'amour, par une sublime et excellente manière d'opérer en toutes choses, à, laquelle elle se sentait tenue; mais le Seigneur lui cachait toujours le dessein qu'il avait de prendre chair humaine

 

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dans son sein virginal. Notre auguste Dame découvrait tout le reste, et par cette connaissance elle s'humiliait avec une singulière sagesse, et demandait le secours divin pour répondre fidèlement à une telle faveur.

78. Les mêmes séraphins lui mirent sur cette robe une ceinture fort riche, qui était un symbole de la sainte crainte qui lui était infuse; elle était d'un éclat extraordinaire, comme si elle eût été composée de diverses pierres précieuses. Au même moment la source de lumière dont la divine Princesse recevait les effusions, l'inonda d'un nouveau jour, afin quelle vît d'une manière toute spéciale les raisons pourquoi Dieu doit être craint de toutes les créatures. Avec ce don de crainte du Seigneur, elle fut dûment ceinte comme il seyait à une simple créature, qui devait traiter et converser si familièrement avec le Créateur lui-même, étant sa véritable Mère.

79. Ensuite elle sentit qu'ils lui ornaient la tète d'une longue et magnifique chevelure réunie par une riche attache; elle était plus brillante que l'or le plus pur. Elle comprit qu'avec cet ornement, il lui était donné d'avoir toute sa vie des pensées relevées, divines et enflammées d'une très-ardente charité , signifiée par ce précieux métal. Elle reçut en même temps de nouveau les habitudes de sagesse et de science très-claire, qui devaient comme tresser et rassembler cette chevelure symbolique avec un art merveilleux, par une participation ineffable des attributs de science et de sagesse de Dieu. Elle obtint aussi

 

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avec sa mystérieuse chaussure le privilège que tous ses pas et tous ses mouvements fussent très-beaux (1) , et toujours dirigés vers les fins les plus hautes et les plus saintes de la gloire du Très-Haut. Et ces fins furent atteintes avec une grâce, avec un soin et avec une diligence toute particulière, quand l'occasion se présenta d'opérer le bien, tant envers Dieu qu'envers le prochain , comme il arriva lorsqu'elle visita sainte Élisabeth et saint Jean (2).; de sorte que cette fille du Prince fut trouvée très-belle dans toutes ses démarches (3).

80. Ses mains furent ornées par des bracelets ayant reçu une nouvelle magnanimité pour pratiquer de grandes couvres par une participation de l'attribut de la magnificence; ainsi elle les étendit toujours sur des choses fortes (4). Elle eut les doigts enrichis dé bagues, afin que par les nouveaux dons du Saint-Esprit, elle exerçât les plus petites choses d'une manière. sublime, et avec une intention et des circonstances très-relevées qui devaient rendre toutes ses couvres magnifiques et admirables. Elle reçut aussi un collier rempli de pierres d'un éclat merveilleux et d'un prix inestimable; à ce collier était suspendu un chiffre mystérieux composé de trois pierres bien plus précieuses et excellentes que celles qui représentaient les trois vertus de foi, d'espérance et de charité; ce chiffre avait quelque rapport avec les trois

 

(1) Cant., VII, 1. — (2) Luc., I, 39. — (3) Cant., VII, 1. — (4) Prov., XXXI, 19.

 

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personnes divines. Ces très-nobles vertus lui furent renouvelées dans cette occasion, pour l'usage qu'elle avait besoin d'en faire dans les mystères de l'incarnation et de la rédemption.

81. On lui mit aux oreilles des pendants d'or attachés à .des boucles d'argent (1), préparant son ouïe par cet ornement à l'ambassade du saint archange Gabriel qu'elle devait bientôt entendre; elle reçut en même temps une science particulière, afin qu'elle l'écoutât avec attention, qu'elle lui répondit avec prudence, et que ses paroles fussent très-agréables à la volonté divine, et surtout afin que l'argent de sa pureté, ce métal pur et sonore, retentit aux oreilles du Seigneur, et que ces sacrées et tant désirées paroles : Fiat mihi secundum verbum tuum (2), fussent gravées dans le sein de la Divinité.

82. Sa robe fut ensuite parsemée de plusieurs chiffres, qui lui servaient comme de broderie de diverses couleurs rayonnantes; il y en avait qui disaient : Marie, Mère de Dieu, et d'autres Marie, Vierge et Mère mais le sens énigmatique et sacré que renfermaient ces chiffres mystérieux, ne lui fut pas alors découvert, mais seulement aux anges. Les éclatantes couleurs qui rehaussaient la beauté de sa robe étaient les habitudes excellentes de toutes les vertus qu'elle pratiquait par des actes très-éminents et dans un si haut degré de perfection, que toutes les autres créatures intelligentes n'y ont jamais pu arriver. Et

 

(1) Cant., I, 10. — (2) Luc., I, 38.

 

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afin qu'il ne manquât rien à cette parure, elle eut le visage embelli de plusieurs illuminations qui lui vinrent de la proximité et de la participation de l'Être infini et des perfections de Dieu, car pour le recevoir réellement et véritablement dans son sein virginal, il était convenable qu'elle l'eût reçu auparavant par grâce dans lé plus sublime degré qui était possible à une pure créature.

83. Cette parure rendit notre auguste Princesse si belle et si ravissante, que ses attraits gagnèrent le coeur du souverain Roi (1), et lui donnèrent lieu de se complaire dans sa beauté. Je ne m'étends pas davantage sur les ornements dont elle fut revêtue d'une manière plus sublime et avec des effets plus divins que les autres fois, parce que j'ai parlé ailleurs de ses vertus, et je serai encore forcée de retoucher la même mature dans la suite de cette divine histoire. L'on ne doit pas être surpris de ces redites, parce que le pouvoir de Dieu étant infini, et le champ de la perfection et de la sainteté immense, on trouve toujours beaucoup à ajouter à ce que l'on en a dit, et l'on y découvre toujours de nouvelles merveilles, car l'incomparable Marie étant une mer impénétrable, nous ne faisons que voltiger sur la surface de ses grandeurs sans pouvoir jamais bien les pénétrer; mon entendement est rempli du peu qu'il en a connu, et une de ses peines est de ne pouvoir exprimer les pensées qu'il en a formées. En suite de ce que je viens de

 

(1) Ps. XLIV, 12.

 

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dire, les mêmes anges ramenèrent notre Reine au lieu où ils l'avaient prise.

Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

 

84. Ma fille, les garde-robes du Très-Haut sont fournies comme le doivent être celles d'un Roi-Dieu et d'un Seigneur tout-puissant; c'est pourquoi les miches ornements et les précieux joyaux qu'il y conserve pour embellir ses épouses et ses élues, sont sans nombre et sans mesure. Il pourrait enrichir une infinité d'âmes comme il enrichit la mienne, sans diminuer pour cela ses trésors. Que si sa main libérale n'en distribue à aucune autre créature autant qu'à moi, ce n'est pas qu'il ne le puisse ou qu'il ne le veuille, mais c'est parce qu'aucun ne se dispose à la grâce comme je le fis; et si le Tout-Puissant est très-libéral envers plusieurs et les enrichit beaucoup, c'est parce qu'elles apportent moins d'obstacles à ses faveurs, et s'y préparent mieux que les autres.

85. Je désire, ma très-chère, que vous ne mettiez aucun empêchement à l'amour que le Seigneur vous porte, et je veux que vous vous disposiez à recevoir les. dons et les joyaux qu'il vous destine, afin que vous soyez digne d'avoir part à son amitié. Sachez que toutes les âmes justes reçoivent cet ornement de sa libéralité; mais chacune le reçoit dans le degré d'

 

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initié et de grâce dont elle s'est rendue capable. Et si vous souhaitez d'arriver, aux plus hauts degrés de cette perfection, et de vous rendre digne de la présence de votre Seigneur et de votre Époux, lichez de croître et de vous fortifier en amour : mais il faut que vous;sachiez que cet amour croît à mesure que la mortification s'augmente. Vous devez renoncer à tout ce: qui est terrestre et en perdre le souvenir; vous ne devez plus avoir d'inclination pour vous ni pour les choses visibles, et vous ne devez vous avancer que dans le seul amour divin: Purifiez-vous dans le sang de Jésus-Christ votre réparateur, et appliquez-vous-le plusieurs fois en renouvelant l'amoureuse douleur de la contrition de vos péchés. Par ce moyen vous lui serez agréable; il désirera votre beauté (1), et vos progrès seront accompagnés de toute sorte de perfection et de sainteté.

86. Le Seigneur vous ayant si fort favorisée et distinguée dans es bienfaits, il est juste que vous surpassiez plusieurs nations en reconnaissance, et que vous le glorifiiez par de continuelles louanges pour tant de faveurs qu'il a daigné vous faire. Que si le vice de l'ingratitude est si noir et si digne de punition dans les créatures, qui en ont moins reçu, quand leurs passions terrestres et grossières leur font oublier, avec un mépris impardonnable, les bienfaits du Seigneur; la faute que vous commettriez par cette vilenie serait bien plus grande après tant d'obligations que vous lui

 

(1) Ps. XLIV, 12.

 

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devez. Prenez garde de vous tromper sous prétexte de vous humilier : parce qu'il y a une grande différence entre l'humilité reconnaissante et l'ingratitude faussement humiliée : et sachez que le Seigneur fait bien souvent de grandes faveurs aux indignes, pour manifester sa bonté et sa grandeur; et afin qu'aucun ne s'en enorgueillisse après les avoir reçues, il doit connaître sa propre bassesse et son peu de mérite; ce qui lui servira de contre-poids et de préservatif contre le poison de la présomption; mais ce discernement est toujours compatible avec la reconnaissance, parce qu'il lui fait découvrir que tout don parfait vient du Père des lumières (1); que les bienfaits lui appas tiennent, et que la créature ne les a jamais pu mériter par elle-même, mais qu'elle les reçoit de sa seule bonté; ainsi elle lui doit être entièrement soumise, et dévouée par une très-grande reconnaissance.

 

(1) Jacob., I, 17.

 

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CHAPITRE VIII. Notre grande Reine demande, en la présence du Seigneur, l'exécution de l'incarnation et de la rédemption du genre humain, et sa divine Majesté lui accorde sa demande.

 

87. La divine Princesse était toute remplie de grâce et de beauté, et le coeur de Dieu était si touché de ses tendres affections et de ses ardents désirs (1), qu'il commençait à se déterminer de sortir du sein du Père éternel pour entrer dans ses sacrées entrailles, et de venir enfin su monde, qui l'attendait depuis plus de cinq mille ans. Mais comme cette nouvelle merveille devait être exécutée avec une plénitude de sagesse et d'équité, le Seigneur disposa les choses de telle sorte, que la même Reine du ciel fût digne Mère du Verbe incarné, et en même temps médiatrice efficace de sa venue, beaucoup plus qu'Esther ne le fut de la délivrance de son peuple (2). Le coeur de la très-sainte Vierge brûlait du feu que Dieu même y avait allumé, et elle ne cessait de lui demander le salut pour le genre humain; mais la très-humble Dame balançait entre la crainte et l'espérance, sachant que, par le

 

(1) Cant., IV, 9. —(2) Esth., VII, 8.

 

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péché d'Adam, la sentence de mort et de la privation de la présence de Dieu était prononcée contre tous les mortels (1).

88. L'amour et l'humilité se livraient dans le cœur très-pur de Marie un divin combat, durant lequel elle ne cessait d'exhaler d'humbles et amoureux sentiments : « Oh! qui serait assez puissant pour obtenir  la guérison de mes frères ! Oh! qui pourrait tirer  du Père son Fils unique, et le décider à se faire  mortel ! Oh! qui pourrait l'obliger de donner à notre nature ce baiser que l'Époux lui a demandé (2)! Mais nous descendons du transgresseur qui a coma mis le péché: comment pourrions-nous nous concilier la faveur de ce Fils? Comment pourrions-nous  attirer Celui que nos premiers parents ont si fort  dégoûté? O mon divin amour, que je serais heureuse si je vous voyais entre les bras de votre Mère,  revêtu de notre nature (3)! O lumière de la lumière, Dieu véritable engendré par le Dieu véritable, quel bonheur si vous descendiez (4) et si vous  abaissiez vos lumières pour éclairer ceux qui sont  plongés dans les ténèbres (5), apaisant par ce moyen  votre Père irrité! O Père éternel, si votre puis saut bras, qui est votre Fils unique, renversait le  superbe Aman (6), notre ennemi le démon! Où se  trouvera, Seigneur, la médiatrice qui nous tire de   l'autel céleste cette braise de la divinité pour purifier

 

(1) Gen., III, 19. — (2) Cant., X, 1. — (3) Ib., VIII, 1. — (4) Ps. CXLIII, 5. — (5) Isa., IX, 2. — (6) Esth., XIV, 13.

 

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le monde, comme le séraphin dont votre Prophète nous parle (1)? »

89. La très-sainte Vierge réitérait cette prière su huitième jour de la neuvaine; et étant ravie et élevée en Dieu au temps ordinaire de minuit, elle entendit sa divine Majesté lui répondre : « Venez, mon Épouse,  ma Colombe et mon Élue; vous n'êtes pas comprise  dans la loi commune (2); vous êtes exempte du  péché et de ses effets dès l'instant de votre conception : lorsque je vous donnai l'être, je détournai a de vous le sceptre de ma justice, et je mis sur votre  cou celui de ma grande clémence (3), afin que la  loi générale du péché ne vous atteignit point.« Approchez-vous donc de moi, et ne craignez point  dans votre humilité et dans la connaissance de votre nature : j'élève celui qui est humble, et je comble de richesses celui qui est pauvre; je suis dans vos a intérêts, et ma miséricorde libérale vous sera favorable. »

90. Notre Reine ouït intellectuellement ces paroles, ensuite elle sentit qu'elle était transportée corporellement au ciel par le ministère des saints anges, comme la veille, et vit que l'un d'eux avait pris sa place. Elle monta de nouveau à la présence du Très-Haut, si fort enrichie des trésors de sa grâce et de ses dons, si agréable et si belle, que c'était surtout alors que les esprits célestes , ravis d'admiration , se disaient les uns aux autres, en louant le Seigneur : « Quelle est

 

(1) Isa , VI, 6. — (2) Esth., XV, 13. — (3) Ibid., 15.

 

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celle qui s'élève du désert si magnifiquement parée?  Quelle est celle qui, appuyée sur bon bien-aimé(1), l’entraîne doucement avec elle jusque dans la terrestre demeure? Quelle est celle qui s'avance comme l'aurore à son lever, belle comme la lune, brillante comme le soleil (2)? Comment s'élève-t-elle si radieuse d'une terre pleine de ténèbres? Comment est-elle si forte et si généreuse dans une nature si fragile? Comment est-elle si puissante, qu'elle veuille vaincre le Tout-Puissant? Et comment, le ciel étant fermé aux enfants d'Adam, l'entrée en est-elle si libre à cette seule fille, qui est de cette même postérité? »

91. Le Très-Haut reçut son élue et son unique Épouse Marie en sa présence; et quoique la vision dé notre Reine ne fût qu'abstractive, elle y reçut néanmoins des faveurs inénarrables que le Seigneur avait réservées pour ce huitième jour, et elles opérèrent en elle une transformation si sublime, que Dieu même, qui y présidait, applaudit pour ainsi dire d'admiration à l'ouvrage de sa puissance, et en étant comme épris, il lui dit : Revertere, revertere, Sulamiiis, ut intueamur te (3). « Tournez-vous, ma chère Épouse, ma très-parfaite Colombe et ma bien-aimée, agréable à mes yeux; tournez-vous vers nous, afin que nous nous voyions  et que nous prenions nos complaisances en votre  beauté; je ne me repens point d'avoir créé l'homme, a au contraire je me plais en sa formation, puisque  vous en êtes sortie; que mes esprits célestes voient

 

(1) Cant., VIII, 5. — (2) Cant., vt, 9. — (3) Ibid., 12

 

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avec combien de raison j'ai voulu, et je veux vous choisir pour mon Épouse et pour Reine de toutes mes créatures ; qu'ils sachent que c'est avec justice que je me plais dans vous, en qui mon Fils unique trouvera le plus de gloire, après celle qu'il puise dans mon sein. Qu'ils connaissent que si j'ai justement répudié Ève, la première Reine de la terre, à cause de sa désobéissance , je vous élève et vous mets en la suprême dignité , faisant éclater ma magnificence et mon pouvoir envers vous à cause de votre très-pure humilité et de votre mépris de vous-même. »

92. Les anges éprouvèrent ce jour-ci plus de joie accidentelle qu'ils n'en avaient encore éprouvé en aucun autre jour depuis leur création. Et lorsque la très-sainte Trinité proclama son Épouse Reine des créatures et Mère du Verbe , tous les esprits célestes la reconnurent avec enthousiasme pour leur Supérieure et célébrèrent sa gloire par des hymnes harmonieux , où ils louaient Celui qui l'avait ainsi exaltée. L'auguste Marie était si absorbée par tant d'admirables mystères dans l'abîme de la Divinité et dans la lumière de ses infinies perfections, que par une particulière disposition du Seigneur, elle ne s'aperçut pas de tout ce qui lui arriva, de sorte que son élection à la maternité divine lui fut encore cachée jusqu'au temps déterminé. Le Seigneur ne fit jamais tant de faveurs à aucune autre créature (1), et il ne manifesta

 

(1) Ps. CXLVII, 50.

 

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la grandeur de son pouvoir envers aucune, comme il fit envers la très-pure Marie dans ce huitième jour.

93. Le Très-Haut, qui voulait faire éclater davantage sa magnificence, lui dit avec une bonté incomparable : « Ma chère Épouse et mon Élue, puisque vous vous êtes rendue si agréable à mes yeux, demandez-moi sans crainte ce que vous souhaitez; je vous assure, comme Dieu très-fidèle et comme Roi tout-puissant, que je ne rejetterai pas vos demandes

et que je satisferai vos désirs. » Notre grande Princesse s'humilia profondément; et, rassurée par la promesse royale du Seigneur, elle lui répondit : « Mon Dieu, si j'ai trouvé grâce devant vos Yeux, je parlerai en votre divine présence, et je vous dirai tout ce que j'ai dans le coeur, quoique je ne sois que poudre et que cendre (1). » Sa divine Majesté lui donna de nouvelles assurances, et lui enjoignit de demander tout ce qu'elle voudrait en présence de tous les courtisans du ciel , quand même ce serait une partie de son royaume (2). « Je ne demande pas pour moi, mon divin Seigneur (répondit la très-sainte Vierge), une partie de votre royaume; mais je le demande tout entier pour tous les hommes, qui sont mes frères. Je vous demande, mon très-puissant Roi , de nous envoyer par votre miséricorde, infinie votre Fils unique, notre Rédempteur, afin, que satisfaisant pour tous les péchés au monde,

 

(1) Gen., XVIII, 3 et 27; Ps. LXI, 9. — (2) Esth., V, 3.

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votre peuple obtienne la liberté qu'il désire (1), que votre justice étant satisfaite, la paix soit annoncée aux hommes qui sont sur la terre , et que les portes du ciel qu'ils tenaient fermées par leurs péchés leur a soient ouvertes. Ne tardez pas, Seigneur, de nous a faire voir notre Sauveur (2); faites que la paix et la justice se donnent le doux embrassement et le à baiser pacifique que David demandait (3); donnez nous un maître, un guide, un restaurateur et un a chef (4), qui demeure et qui converse avec nous (5). Faites, mon Dieu, que le jour de vos promesses a arrive, accomplissez vos paroles et envoyez-nous  notre Messie, qui est désiré depuis tant de siècles. Voilà, Seigneur, ce qui cause tous mes soupirs, ce qui augmente l'ardeur de mes prières et la confiance que j'ai en votre clémence infinie. »

94. Le Très-Haut, qui pour se laisser gagner, inspirait et excitait les demandes de sa chère Épouse, les exauça avec des marques d'une bonté singulière, et il lui répondit avec une douceur inexprimable : « Vos prières sont agréables à ma volonté, et j'ai reçu avec complaisances vos demandes : qu'il soit fait comme vous le demandez; je veux, ma Fille et mon Épouse, ce que vous désirez; et en foi de cette vérité je vous donne ma parole et vous promets que dans fort peu de temps mon Fils unique descendra sur la terre, et se revêtira de la nature humaine,

 

(1) Ezech., XXXIV, 28. — (2) Isa., LII, 10. — (3) Ps. LXXXIV, 11. — (4) Isa., XXX, 20; LV, 4. — (6) Baruc., III, 3 38.

 

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s'unissant avec cette même nature : ainsi vos pieux désirs seront accomplis. »

95. Notre grande Princesse sentit intérieurement, à ce témoignage de la divine parole, une nouvelle lumière et une pleine assurance qui la persuadaient que la longue nuit du péché et, des lois anciennes allait finir, et que le nouveau jour, de la rédemption du genre humain s'approchait. Et comme elle était si proche du Soleil de justice qui s'avançait pour prendre notre chair dans son sein virginal, elle, paraissait comme une très-belle aurore, resplendissante des rayons de la Divinité qui la transformait toute en elle-même, et pleine de sentiments d'amour et de reconnaissance pour le bienfait de la rédemption prochaine, elle donnait de continuelles louanges au Seigneur en son nom et en celui de tous les mortels. Elle employa tout le reste de ce jour en cette sainte occupation, après que les mêmes anges l'eurent replacée sur la terre. Je me plains toujours avec raison de mon ignorance et de ma faiblesse, qui me mettent dans l'impossibilité de bien expliquer ces mystères si relevés; mais si les esprits les plus éminents ne le pourront jamais faire entièrement, comment y pourrais-je réussir, moi qui ne suis qu'une pauvre femme? Que la lumière de la piété chrétienne supplée donc à mon ignorance, et que mon obéissance excuse, ma témérité.

 

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Instruction de la Reine du ciel.

 

96. Ma très-chère fille; les ouvres admirables que le pouvoir divin opéra en moi dans ces mystères de l’incarnation du verbe, sont si fort au-dessus de la sagesse mondaine, que la chair, ni le sang, ni même les anges, ni les plus hauts séraphins ne les peuvent pénétrer, si Dieu ne leur en donne une intelligence particulière, n'étant pas capables d'eux-mêmes de connaître des mystères si profonds et si au-delà de la grâce des autres créatures. Louez-en, ma chère amie, le Seigneur, avec un ardent amour et avec une reconnaissance continuelle, et commencez maintenant de considérer avec beaucoup d'attention la grandeur de son divin amour et les grandes choses qu'il fait pour ses amis, dans le désir de les relever de leur bassesse et de les enrichir de divers dons. Si vous pénétrez bien cette vérité, elle vous rendra reconnaissante et vous portera à, faire toujours ce qui sera le plus grand et le plus parfait, comme une fille et une épouse très-fidèle.

97. Je veux bien vous avertir; afin de vous animer davantage, que le Seigneur dit plusieurs fois ces paroles à ses élues : Revertere, revertere, ut intueamur te (1), parce qu'il se plaît si fort en tout ce qu'elles font, qu'il n'est point de père parmi les mortels qui

 

(1) Cant., VI, 12.

 

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reçoive tant de plaisir d'être avec son fils unique, et de. le voir accompli de tous points, ni d'artisan de trouver l'ouvrage de ses mains dans sa dernière perfection, ni de roi de se voir dans une ville forte et opulente qu'il viendrait de conquérir, -ni d'ami de jouir de la présence de son estime. Que le Très-Haut reçoit de satisfaction d'être avec ces âmes qu'il a choisies pour ces délices ! car à mesure qu'elles s'avancent dans la perfection, les faveurs et les complaisances du Seigneur croissent aussi. Que si les mortels qui ont la lumière de la foi pénétraient cette vérité, ils ne s'abstiendraient pas seulement de pécher pour cette seule complaisance du Très-Haut, mais ils feraient de grandes oeuvres et ils sacrifieraient même leur vie pour le service et pour l'amour de Celui qui est si libéral à récompenser, à caresser et à favoriser ceux qui lui sont fidèles.

98. Lorsque le Seigneur me dit ces paroles : Revertere, revertere (1), afin que je le regardasse, et que les esprits célestes me vissent, je connus qu'il me les disait avec tant de complaisance, que cette seule complaisance surpasse tout ce que sa divine Majesté a trouvé et trouvera de plus agréable dans toutes les âmes qui sont au plus haut degré de sainteté; je reçus dans cette occasion plus de témoignages de son infinie bonté que tous les apôtres, les martyrs, les confesseurs, les vierges, et que tous les autres saints ensemble. Et mon âme fut comblée d'une effusion si

 

(1) Cant., VI, 12.

 

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abondante de grâces et tellement enrichie des communications de la Divinité, que vous ne le pouvez ni connaître ni expliquer parfaitement dans votre chair mortelle. Mais je vous déclare ce mystérieux secret afin que vous en bénissiez Celui qui en est l'auteur, et que vous tâchiez, sous ma protection, d'étendre votre bras sur des choses fortes (1) pendant tout le temps que votre bannissement de la patrie durera, et de vous rendre aussi agréable au Seigneur qu'il le désire, en faisant toujours votre possible pour vous attirer ses complaisances, en profitant de ses bienfaits et en les demandant pour vous et pour votre prochain avec une parfaite charité.

 

CHAPITRE IX. Le Très-Haut fait de nouvelles faveurs à la très-sainte Vierge. — Il la met de nouveau en possession de l'empire de toutes les créatures, et ce fut la dernière disposition qu'elle reçut pour l'incarnation du Verbe.

 

99. Au dernier jour de la neuvaine, pendant laquelle le Très Haut préparait et embellissait de plus en plus-le tabernacle qu'il allait bientôt sanctifier par

 

(1) Prov., XXXI, 19.

 

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sa venue (1), sa divine Majesté détermina d'y renouveler ses merveilles et de lui donner de nouvelles marques qui le devaient distinguer en redoublant toutes les faveurs qu'elle avait faites jusqu'à ce jour à notre auguste Princesse. Mais le Tout-Puissant opérait de telle sorte en elle, que. lorsqu'il tirait de ses trésors infinis des choses anciennes, il y en ajoutait toujours plusieurs nouvelles (2); et toutes ces merveilles sont renfermées et ce que Dieu devait s'humilier jusqu'à se faire homme, et une femme devait être élevée jusqu'à être sa propre Mère. Il ne pouvait arriver aucun changement en Dieu lorsqu'il descendit si bas que de prendre un corps humain, parce qu'il eut bien le pouvoir d'unir notre nature à sa personne sans rien perdre de son immutabilité; mais pour faire qu'une femme qui avait un corps terrestre donnât sa propre substance afin que Dieu s'y unit et se fit homme, il semblait qu'il fallut nécessairement franchir un espace infini, et que cette femme fût aussi distante des autres créatures qu'elle s'approchait davantage de Dieu.

100. Or, le jour arriva auquel la très-sainte Vierge, dans cette disposition, devait se trouver aussi proche de Dieu que d’être sa propre Mère. Dans cette nuit, à la même heure du plus grand silence, elle ouït la voix du Seigneur qui l'appelait comme dans les précédentes. La très-humble et très-prudente Reine, répondant à cette voix, dit : « Me voici, Seigneur,

 

(1) Ps. XLV, 5. — (2) Matth., XIII, 52.

 

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mon coeur est préparé; faites de moi tout ce qu'il vous plaira. » Ensuite elle fut ravie eu corps et en âme, comme les autres jours, par le ministère de ses anges dans le ciel empyrée; et ayant été mise devant le trône royal du Très-Haut, sa puissante Majesté l'éleva et la plaça à son côté, lui marquant le siége et lieu quelle devait éternellement occuper en sa divine présence. Et ce fut le plus haut et le plus proche de Dieu, excepté celui qui lui était réservé pour l'humanité du Verbe , parce qu'il surpassait sans comparaison celui de tous les bienheureux.

101. Ensuite elle vit de ce saint lieu où elle fut placée la Divinité par une vision abstractive, comme les autres fois; et sa propre dignité de Mère de Dieu lui étant toujours cachée, sa divine Majesté lui manifesta des mystères si nouveaux et si relevés, qu'il m'est impossible de les révéler à cause de leur profondeur et de mon ignorance. Elle vit de nouveau dans la Divinité toutes les choses créées, et plusieurs possibles et futures. Les choses matérielles lui furent manifestées, Dieu les lui faisant connaître par des sensations physiques et sensibles, comme si elles avaient toutes frappé ses organes extérieurs, et comme si elle les eût aperçues dans la sphère de sa puissance visuelle par les yeux du corps. Elle connut en général toute la fabrique de l'univers, qu'elle n'avait connu auparavant que par ses parties; elle connut distinctement les créatures qu'il contient, comme si elles se fussent présentées dans un tableau. Elle vit toute leur harmonie, leur ordre, leur connexion,

 

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la dépendance qu'elles ont entre elles, et comme toutes ensemble sont soumises à la volonté divine, qui les a créées, qui les gouverne, et les conserve chacune en son lieu et en son être. Elle vit de nouveau tous les cieux, les étoilés, les éléments, leurs habitants, le purgatoire, les limbes, l'enfer, et tous ceux qui se trouvaient dans leurs abîmes. Et comme le lieu où la Reine des créatures avait été placée était le plus éminent après celui de l'humanité du Verbe, la science qu'elle reçut fut aussi la plus sublime, parce que n'étant inférieure qu'à Dieu seul elle devait être supérieure à tout ce qui est créé.

102. Pendant que notre auguste Princesse; était ravie en extase dans l'admiration de ce que le Très-Haut lui manifestait, et qu'elle rendait pour tout cela le retour de louange et de gloire qui était dit à un tel Seigneur, sa divine Majesté lui dit : « Je n'ai créé, ma chère Fille, mon Élue et ma Colombe, toutes les   choses visibles que vous connaissez, et je ne les conserve par ma providence dans une si agréable  variété, qu'à cause de l'amour que je porte aux hommes. Et je dois choisir et tirer d'entre toutes les âmes que j'ai créées jusqu'à présent et que j'ai a déterminé de créer jusqu'à la fin, une assemblée de fidèles, afin qu'ils soient séparés et lavés dans le sang de l'Agneau qui ôtera les péchés du monde (1). Ceux-là seront le fruit spécial de la rédemption qu'il doit opérer; ils jouiront de ses

 

(1) Apoc., VII, 14.

 

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effets par le moyen de la nouvelle loi de grâce et des sacrements que leur Restaurateur y établira pour eux; et ensuite ceux qui persévéreront arriveront à la participation de ma gloire et de mon amitié éternelle. Ma première intention a été de créer pour ces élus tant de merveilleux ouvrages, et si tous me voulaient servir, adorer et connaître mon saint nom, je créerais volontiers pour tous et pour chacun en particulier tout autant de trésors que je mettrais à leur disposition.

103. « Et quand je n'aurais créé qu'une seule des créatures qui sont capables de ma grâce et de ma gloire, je la ferais elle seule maîtresse de tout ce qui est créé, puisque tout cela est moindre que de la faire participante de mon amitié et de ma félicité éternelle. Pour vous, ma chère Épouse, vous êtes mon élue et vous avez trouvé place dans mon coeur; ainsi je vous fais maîtresse de tous ces biens, et je vous en donne la possession et le domaine, afin qu'étant Épouse fidèle, comme je veux que vous le soyez, vous les dispensiez à ceux qui. me les demanderont par votre intercession, car c'est pour cela que je les mets entre vos mains. »

La très-sainte Trinité lui mit une couronne sur la tête en la consacrant Reine et Souveraine de tout ce qui est créé, et cette couronne était semée de chiures rayonnants d'une lumière de gloire, qui disaient Mère de Dieu, sans qu'elle en découvrit alors le sens mystérieux. Les esprits célestes en eurent pourtant connaissance, et furent remplis d'admiration à la vue

 

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de la magnificence du Seigneur envers cette femme. bienheureuse, bénie entre toutes ses compagnes, qu'ils reconnurent pour leur Reine et Maîtresse légitime aussi bien que de tout l'univers.

104. La droite du Tout-Puissant opérait toutes ces merveilles avec un très-bel ordre de son infinie sagesse, parce qu'avant de descendre pour prendre chair humaine dans le sein virginal de cette Daine, il était convenable que les courtisans de ce grand Roi reconnussent sa bière pour leur Reine, et lui rendissent l'honneur qui lui était dû. Il était aussi juste et conforme à l'ordre que Dieu la fit premièrement Reine et ensuite bière du Prince des éternités; car celle qui devait enfanter le Prince devait nécessairement être Reine et reconnue pour telle de ses sujets; or il n'y avait nul inconvénient que les anges la connussent, il ne fallait pas la leur cacher : au contraire, il seyait à la majesté du Très-Haut que le tabernacle qu'il avait choisi pour sa demeure frit prévenu et honoré de toutes les excellences de dignité, de perfection, de grandeur et de magnificence dont il était capable, sans qu'il lui en manquât aucune; et c'est pour ce sujet que les saints anges la reçurent et la reconnurent pour leur Reine en lui rendant hommage.

105. Le Seigneur, voulant mettre la dernière main à cet ouvrage merveilleux (je veux dire l'incomparable Marie), étendit son puissant iras, et renouvela par lui-même l'esprit et lés puissances de cette grande Dame , lui donnant des illustrations, des habitudes et

 

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des qualités toutes nouvelles, dont les grandeurs et les particularités ne peuvent être exprimées par nos termes. C'était le dernier coup de pinceau de cette image inanimée de Dieu (1), pour modeler en elle et sur elle la forme dont le Verbe éternel, qui est par essence l'image du Père éternel et la figure de sa substance, devait se revêtir (2). De sorte que ce Temple, la sacrée Marie, se trouva, bien mieux que celui de Salomon (3), tout revêtu dedans et dehors, du très-pur or de la Divinité, sans qu'on y pat découvrir la moindre marque terrestre de la paternité d'Adam. Elle fut toute déifiée par des traits et des devises de la Divinité, parce que le Verbe qui devait sortir du sein du Père éternel pour descendre dans celui de Marie, la préparé de telle sorte, qu'il y trouva à son arrivée tout le rapport possible qui pouvait se rencontrer entre la Mère et le Père.

106. Je n'ai point de nouveaux termes pour expliquer comme je voudrais les effets que toutes ces faveurs produisirent dans le coeur de notre grande Reine. Que si l’entendement humain ne les peut concevoir, comment pourrons-nous les exprimer par nos paroles ? Mais ce qui me cause plus d'admiration dans le lumière que j'ai reçue touchant ces mystères si sublimes, est l’humilité de cette divine Dame, et la sainte émulation qu'il y avait entre elle et le pouvoir divin c'était une rare merveille et un miracle de l’humilité, que de voir cette très-sainte fille élevée

 

(1) II Cor., IV, 4 . — (2) Hebr., I, 3. — (3) III Reg., VI, 30.

 

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à la plus haute dignité et à la suprême sainteté après Dieu, et de voir en même temps qu'elle s'humiliât et s'anéantit jusqu'au-dessous de toutes les créatures, et que cette humilité fût assez forte pour l'empêcher d'avoir la moindre pensée qu'elle pût être la Mère du messie; et non-seulement cela, mais il ne se trouva pas même en elle l'ombre de la plus petite présomption. Son coeur et ses yeux ne s'élevèrent point (1) : au contraire, plus les oeuvres du bras du Seigneur l'élevaient, plus elle s'humiliait dans les bas sentiments d'elle-même. Aussi fut-il juste que le Tout-Puissant eût égard à son humilité, et que toutes les nations l'appelassent bienheureuse (2).

Instruction que la très-sainte Vierge me donna.

 

107. Ma fille, celle qui a un amour intéressé et servile n'est pas une digne épouse du Très-Haut, parce que l'épouse ne doit pas aimer ni craindre comme l'esclave, ni elle ne doit pas non plus servir comme une mercenaire. Mais quoique son amour doive être filial et généreux, ayant pour fin le bon plaisir et la bonté immense de son Époux; néanmoins elle a beaucoup de sujet de se croire obligée de le servir, lui qui se montre si riche et si libéral, quia créé

 

(1) Ps. CXXX, 1. — (2) Luc., I, 48.    .

 

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tant de sortes de biens visibles, à cause de l'amour qu'il porte aux âmes, afin que tous soient utiles à ceux qui servent sa divine )Majesté, lui enfin qui réserve tant de trésors cachés à ceux qui le craignent (1) et les leur distribue avec une excessive abondance de douceur, comme aux disciples de l'infaillible vérité. Je veux que vous vous reconnaissiez fort obligée à votre Seigneur, à votre Père, à votre Époux et à votre ami, voyant combien il enrichit les tunes, qui deviennent par sa grâce et ses filles et ses bien-aimées : puisqu'il a préparé comme Père puissant tant de biens inestimables pour ses enfants, et tous ces biens pour chacun en particulier, s'il était nécessaire. Le peu d'amour que les hommes lui portent, et l'ingratitude qu'ils témoignent, ne peuvent avoir aucune excuse parmi tant de motifs qu'ils ont de l'aimer et parmi tant de bienfaits qu'ils en reçoivent.

108. Faites donc réflexion, ma chère fille, que vous n'êtes point étrangère dans cette maison du Seigneur, qui est sa sainte Église (1); mais que vous y êtes domestique, et épouse de Jésus-Christ parmi les saints, entretenue par les faveurs et accoutumée aux caresses de l'Époux. Et parce que tous les trésors et toutes les richesses qui appartiennent à l'époux, appartiennent aussi à l'épouse légitime, considérez de combien de trésors immenses il vous rend participante et maîtresse. Jouissez-en donc comme domestique, c'est-à-dire comme étant chez vous; soyez zélée

 

(1) Ps. XXX, 20. — (2) Ephes., II, 19.

 

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pour son honneur comme une fille et une épouse fervente; et reconnaissez toutes ses oeuvres et tous ses bienfaits, comme si votre Seigneur ne les eût  créés que pour vous seule : aimez et honorez-le tant pour vous que pour votre prochain, envers qui il a été si libéral. Tâchez aussi d'imiter en tout cela, autant que vos faiblesses vous le permettront, ce que vous avez appris que je faisais : et sachez, ma fille, qu'il me sera fort agréable que vous exaltiez le Tout-Puissant par d'ardentes affections, pour toutes les faveurs que sa droite me fit pendant cette neuvaine, qui furent au-delà de tout ce que l'esprit humain peut concevoir.

 

CHAPITRE X. La très-sainte Trinité envoie l'archange Gabriel pour annoncer à la très-pure Mère qu'elle était choisie pour être la Mère de Dieu.

 

109. Dieu avait déterminé de toute éternité le moment opportun où le grand mystère de piété, justifié dans l'esprit, prêché aux hommes, déclaré aux anges et cru dans le monde, devait être manifesté dans la chair (1); mais il le tenait caché dans le sein de sa

 

(1) I Tim., III, 16; Gal., IV, 4.

 

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sagesse éternelle. Or la plénitude de ce temps arriva, qui était jusqu'alors fort vide, quoique rempli de prophéties et de promesses, parce qu'il lui manquait celle de la très-pure Marie, par la volonté et le consentement de laquelle tous les siècles devaient recevoir leur perfection (1), qui était le Verbe humanisé, passible et restaurateur. Ce mystère était prédestiné avant tous les siècles, afin qu'il f fût réalisé par l'intermédiaire de notre divine Vierge; et elle, se trouvant dans le monde, la rédemption du genre humain et la venue du Fils unique du Père ne devaient point être différées, puisque Dieu ne devait plus, pour ainsi dire, chercher pour sa demeure des tabernacles empruntés, ou des maisons étrangères (2); mais demeurer dans son propre temple construit et enrichi, au moyen de toutes les ressources qu'il lui avait consacrées, bien mieux que le temple de Salomon ne le fut par les trésors que son père David lui laissa à cet effet (3).

110. Le Très-Haut détermina, dans cette plénitude de temps prédéfini, d'envoyer son Fils unique su monde. Et confrontant, selon notre manière de concevoir et d'exprimer, les décrets de son éternité avec les prophéties et les témoignages qu'il avait donnés aux hommes dès le commencement des choses, et tout cela avec l'état et la sainteté à laquelle il avait élevé la très-pure Marie, il jugea qu'il était convenable pour la gloire de son saint nom que l'exécution de sa sainte volonté et de ce décret éternel fût manifestée

 

(1) I Cor., II, 7. — (2) II Reg., VII, 6. — (3) I Paralip , XXII, 5.

 

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aux anges bienheureux , et qu'elle commençât à paraître par leur ministère. Sa divine Majesté fit entendre à l'archange Gabriel cette voix par laquelle elle. signifie sa volonté aux anges. Et quoique l'ordre commun quelle tient pour illuminer ses esprits célestes soit de commencer parles supérieurs, qui, selon leur rang hiérarchique,éclairent les inférieurs jusqu'à ce que cette illumination, en transmettant des uns aux autres ce que Dieu a révélé aux premiers, soit arrivée aux derniers, les choses ne se passèrent point ainsi en cette circonstance: car le saint archange reçut sa mission immédiatement du Seigneur.

111. Gabriel, au pied du trône et toujours attentif aux ordres de l'Être suprême et immuable, s'inclina pour recueillir la manifestation de la divine volonté sa Majesté lui déclara et lui prescrivit l'ambassade qu'il devait faire à l'auguste Marie, et les paroles dont il devait se servir pour la saluer; de sorte que Dieu même en fut le premier auteur; il les forma dans son entendement divin, de là elles passèrent au saint archange, et de lui à la très-pure Marie. Le Seigneur révéla dans cette occasion plusieurs autres mystères de l'incarnation à ce prince céleste, et la très-sainte Trinité lui commanda d'aller annoncer à la divine Fille qu'elle était élue entre toutes les femmes pour être la Mère du Verbe éternel, et qu'elle le concevrait dans son sein virginal par (opération du Saint-Esprit, en conservent intacte sa virginité, et tout le reste que le messager céleste devait révéler à son auguste Reine et Maîtresse.

 

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112. Ensuite sa divine Majesté déclara à tous les autres anges, comme le temps de la rédemption du genre humain était arrivé, et qu'elle se déterminait à descendre au monde sans plus différer, puisqu'elle avait déjà disposé et orné la très-pure Marie pour être sa Mère, lorsqu'en leur présence elle lui avait décerné cette suprême dignité. Les divins esprits ouïrent la voix de leur Créateur et lui chantèrent, pleins d'allégresse, des actions de grâces ineffables et de nouveaux cantiques de louange pour l'accomplissement de son éternelle et parfaite volonté, en y répétant toujours cet hymne de Sion : Saint, saint, saint est le Seigneur Dieu des armées (1).« Vous êtes juste et puissant, Seigneur notre Dieu, qui habitez les lieux les plus élevés, et qui regardez les humbles de la terre (2). « Toutes vos couvres sont admirables, et vos pensées  très-relevées. »

113. Le prince saint Gabriel, obéissant avec une joie particulière au commandement divin, descendit de l'empyrée, accompagné de plusieurs milliers d'anges radieux. de beauté, qui le suivaient sous une forme visible. Ce grand prince et ambassadeur céleste ressemblait à un adolescent d'une grâce et d'une beauté extraordinaires : son visage était tout rayonnant de gloire, son air majestueux, sa démarche grave, ses paroles remplies de sagesse et d'éloquence; et toutes ses manières, empreintes d'une modeste grandeur, représentaient plus de traits de la Divinité qu'aucun des

 

(1) Isa., VI, 3. — (2) Ps. CXII, 5.

 

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autres anges que notre auguste Reine eût jusqu'alors vus sous cette forme. Il portait un diadème d'une splendeur singulière; ses vêtements pompeux brillaient de diverses couleurs d'un éclat admirable; il avait sur la poitrine une très-belle croix comme émaillée, qui découvrait le mystère de (Incarnation pour laquelle il était envoyé; et toutes ces circonstances attirèrent davantage l'attention de cette très-prudente Reine.

114. Le divin ambassadeur, suivi de cette cour céleste, descendit à Nazareth, ville de la province de Galilée, où se trouvait la demeure de la très-sainte Vierge, qui était une pauvre maison. Le lieu de sa retraite était une fort petite chambre, dépourvue des ornements dont 1e monde se sert; elle en condamnait ainsi la vanité par le mépris qu'elle en faisait, et suppléait à leur absence par de plus grands biens spirituels. La divine Dame était alors âgée de quatorze ans six mois et dix-sept jours; car elle avait eu quatorze ans révolus le huit septembre: les six mois et dix-sept jours en sus se trouvaient depuis celui-là jusqu'à celui-ci, auquel le plus grand des mystères que Dieu ait opérés dans le monde fut exécuté.

115. Sa taille surpassait la taille des autres filles de son âge; elle était fort agréable en sa personne, très-bien proportionnée, d'une beauté et d'une perfection achevée : elle avait le visage ovale; les traits en étaient fins et délicats; il n'était ni trop plein ni trop maigre; le teint clair entant soit peu brun; le front large et bien fait; les sourcils bien arqués et bien dessinés; les yeux grands et modestes, d'une couleur entre le

 

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noir et le pers, d'un éclat incomparable, mais tempéré par le sourire de l'innocence; le nez droit et régulier; la bouche petite, vermeille et délicatement prise; enfin elle était si merveilleusement belle, et tellement comblée de tous les dons de la nature, qu'il ne se rencontrera jamais aucune créature qui puisse l'égaler. Ceux qui la regardaient étaient en même temps, pénétrés de joie, de vénération, d'affection et de respect elle attirait leurs cœurs, et elle les retenait dans une douce crainte révérentielle; elle les forçait à la louer, et cependant la grandeur de ses grâces et de ses perfections imposait le silence; et elle causait dans tous ceux qui avaient le bonheur de la voir, de mystérieux effets qu'on ne peut facilement expliquer : enfin elle remplissait et animait les rimes d'influences et de mouvements célestes qui les conduisaient à Dieu.

116. Son habit était modeste, pauvre et propre; `d'un gris argenté, ou plutôt cendré, mais fort honnête. Lorsque l'ambassade du ciel s'approchait, Marie, ignorant qu'elle frit déjà commencée, était plongée dans la sublime contemplation d'un mystère due le Seigneur avait renouvelé en elle par cette multitude de faveurs qu'il lui avait faites pendant les neuf jours précédents. Et le Seigneur lui-même l'ayant assurée , comme nous avons dit, que son Fils unique ne tarderait pas de descendre pour prendre chair humaine, elle était fervente et joyeuse en la foi de cette divine parole, et redoublant ses humbles et ardentes affections, elle disait intérieurement: « Est-il possible que  l’heureux temps soit arrivé où le Verbe du Père

 

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éternel doit descendre pour naître et converser  parmi les hommes (1)? que le monde en ait la possession? que les mortels puissent le voir (2)? que cette lumière inaccessible paraisse pour éclairer  ceux qui sont plongés dans les ténèbres. (3)? Oh! qui mériterait de le voir et de le connaître ! Oh! qui   pourrait baiser la terre que ses pieds adorables auraient foulée!

            117. « Que les cieux se réjouissent; que la terre se console, et que les hommes bénissent et glorifient Dieu (4), puisque leur félicité éternelle, s'approche. O enfants d'Adam affligés par le péché, mais pour tant ouvrages de mon bien-aimé, vous lèverez bien tôt la tête, et secouerez le joug de votre ancienne a servitude (5) ! Votre rédemption est proche; votre a salut viendra bientôt. O pères anciens, prophètes  et justes, qui espérez dans le sein d'Abraham, qui a êtes détenus dans les limbes, vous allez recevoir  votre consolation! Votre désiré le Rédempteur pro mis ne tardera pas (6). Exaltons-le tous, et chantons-lui des hymnes de louange. Oh! qui pourrait  être la servante de ses servantes! Oh! qui se rait l'esclave de celle qu'Isaïe lui a. assignée pour  Mère (7)! O Emmanuel, Dieu et homme véritable! a 0 Clef de David, qui devez ouvrir le ciel (8) ! O Sagesse éternelle! O Législateur de la nouvelle Église,

 

(1) Baruch., III, 38. — (2) Isa., XL, 5. — (3) Ibid., IX, 5. — (4) Ps. XCV, 11. — (5) Isa., XIV, 25. — (6) Aggae., II, 8. — (7) Isa., VII, 14. — (8) Ibid., XXII, 22.

 

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venez, venez, Seigneur! Approchez-vous de nous! Délivrez votre peuple de la captivité, et que toute  chair voie le salut (1). »

118. Lorsque saint Gabriel arriva, la très-sainte Vierge était occupée à ces demandes, à ces affections, et ravie dans des transports divins que je ne saurais expliquer. Elle était très-pure en son âme, très-parfaite en son corps, très-noble dans ses pensées, très-éminente en sainteté, remplie de grâces, si divinisée et si agréable aux yeux de Dieu, qu'elle put bien être sa digne Mère, et l'instrument efficace pour le faire sortir du sein du Père, et l'attirer dans le sien. Elle fut le puissant moyen de notre rédemption, et nous lui en sommes redevables à bien des titres; et c'est pour ce sujet qu'elle mérite que toutes les nations la bénissent et la louent éternellement (2). Je dirai dans le chapitre suivant ce qui arriva à l'entrée de l'ambassadeur céleste.

119. Je toucherai seulement ici une chose digne d'admiration, et c'est que pour l'accomplissement d'un si haut ministère, que le saint archange devait lui annoncer, et qui devait s'opérer en elle, sa divine b1ajesté la laissa dans l'état commun des vertus dont nous avons parlé dans la première partie. Le Très-Haut le disposa de la sorte, parce que ce mystère devait être opéré comme un sacrement de foi, et les opérations de cette vertu, aussi bien que celles d'espérance et de charité, devaient s y rencontrer : ainsi le

 

(1) Isa., XL, 5. — (2) Luc., I, 48.

 

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Seigneur la laissa dans ces opérations, afin qu'elle crût et espéra en ses divines promesses. Et ces actes ayant précédé, il arriva ce que je dirai bientôt, selon que la faiblesse de mes termes et la grandeur des mystères qui augmentent mon impuissance, me le permettront.

 

Instruction de la Reine du ciel.

 

120. Ma fille, je vous déclare maintenant avec une affection singulière ma volonté, et le désir que j'ai de vous voir travailler à vous rendre digne de la conversation intime et familière avec Dieu; vous devez vous y disposer avec un grand soin, en pleurant vos péchés, et en renonçant à tout ce qui est visible, et de telle sorte que vous n'occupiez vos pensées qu'en Dieu seul. Pour y réussir, il faut que vous mettiez en pratique tout ce que je vous ai enseigné jusqu'à présent et quant à ce que vous aurez à écrire dans la suite, je vous le dicterai. Je vous montrerai comme vous devez vous conduire dans cette familiarité et dans les faveurs fréquentes que vous recevrez de la bonté de Dieu, en le concevant dans votre coeur par la foi, par la lumière et par la grâce qu'il vous donnera. Que si vous ne vous disposez premièrement en suivant cet avis, vous n'obtiendrez jamais l'accomplissement de

 

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vos désirs, ni moi le fruit des leçons que je vous donne comme votre maîtresse:

121. Or, puisque vous avez trouvé sans l'avoir mérité le trésor caché et la précieuse perle de ma doctrine (1), vous devez mépriser tout ce que vous pouvez avoir pour vous acquérir ce seul gage d'un prix inestimable; avec lui vous recevrez tous les biens (2), et vous vous rendrez digne de l'amitié intime du Seigneur et de son habitation éternelle dans votre coeur. En échange de ce grand bonheur, je veux que vous mouriez à tout ce qui est terrestre, que vous offriez votre volonté pleine de sentiments d'un amour reconnaissant, et qu'à mon exemple vous soyez si humble, que de votre côté vous soyez persuadée que vous ne valez rien, que vous êtes dans la dernière des impuissantes, que vous n'avez aucun mérite, et que vous n'êtes pas même digne d'être reçue pour esclave des servantes de Jésus-Christ.

122. Considérez combien j'étais éloignée de me croire élevée à la dignité de Mère de Dieu, à laquelle son infinie bonté me destinait; c'était pourtant après qu'il m'avait promis qu'il ne tarderait pas de venir au monde, m'obligeant à le désirer avec tant d'ardeur, que le jour avant l'exécution de ce merveilleux mystère, je serais sans doute morte dans ces amoureux transports, si la Providence divine ne m'eût fortifiée. J'étais remplie de consolation dans l'assurance où j'étais que le Fils unique du Père éternel descendrait

 

(1) Matth., XIII, 44 et 45. — (2) Sap., VII, 11

 

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bientôt du ciel; et d'un autre côté mon humilité me faisait croire que, me trouvant dans le monde, je pourrais bien retarder sa venue. Pénétrez donc, ma très-chère fille, le secret mystérieux de mon coeur, voyez quel exemple est celui-là pour vous et pour tous les mortels! Et parce qu'il est difficile que vous receviez et écriviez une sagesse si sublime, regardez-moi en Dieu, où vous méditerez et découvrirez par le secours de sa lumière mes très-parfaites actions : suivez-moi en m'imitant et en marchant sur mes traces.

 

CHAPITRE XI. La très-pure Marie reçoit l'ambassade du saint archange. — Le mystère de l'Incarnation s'accomplit, elle conçoit le Verbe éternel dans son sein virginal.

 

123. Je veux confesser, en présence du ciel, de la terre, de leurs habitants et du Créateur universel, notre Dieu éternel, qu'au moment où je prends la plume pour décrire le profond mystère de l'Incarnation, je sens mon peu de force défaillir, ma langue se paralyser, mes discours se glacer, mes facultés s'évanouir; je me trouve tout interdite, et je ne sais plus que tourner mon intelligence éperdue du côté de la divine lumière qui me dirige et qui m'éclaire. A ses

 

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rayons on tonnait toutes choses sans illusion, on les découvre sans détours, et je vois mon insuffisance, je reconnais l'impossibilité d'exprimer par de faibles paroles et par des phrases creuses ce que je puis concevoir d'un mystère qui renferme en abrégé Dieu même et la plus grande merveille de sa toute-puissance. Je vois dans ce mystère l'harmonie admirable de la providence et de la sagesse infinie avec laquelle le Seigneur l'a conduit de toute éternité et dès la création du. monde, afin que toutes ses oeuvres et ses créatures fussent comme un moyen adapté à la très-haute fin qu'il avait de descendre dans le monde pour s'y faire homme.

l24. Je vois comment le Verbe éternel attendit pour descendre du sein de son Père, et choisit comme le temps et l'heure la plus propre, le silence de la pleine nuit (1), qui figurait l'ignorance des mortels, lorsque la postérité d'Adam était ensevelie dans le profond sommeil de l'oubli et dans la funeste méconnaissance de son Dieu, sans qu'il y eût personne qui ouvrit la bouche pour le confesser et le bénir (2). A l'exception de quelques rares fidèles de son peuple, tout le reste du monde se taisait au fond de ses ténèbres, qu'avait accumulées une longue nuit de près de cinq mille deux cents ans sur les siècles et les peuples se succédant les uns aux autres, chacun à l'époque fixée d'avance et déterminée par la sagesse éternelle, afin que tous puissent rencontrer et reconnaître

 

(1) Sap., XVIII, 14. — (2) Rom., I, 18,

 

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ce Créateur qui se manifestait sans cesse, en leur donnant la vie, l’être et le mouvement (1). Mais comme le jour de la lumière inaccessible n'était point encore arrivé, ils marchaient comme des aveugles, touchant les créatures sans y apercevoir la Divinité et sans la connaître; et dans cet aveuglement ils l'attribuaient à des choses sensibles et même à ce que la terre a de plus vil (2).

125. Or, le jour fortuné luisit où le Très-Haut, méprisant les longs siècles d'une si lourde ignorance, détermina de se manifester aux hommes (3) et de commencer leur rédemption , en prenant leur nature dans le sein de la très-pure Marie, préparée, comme nous l'avons dit, à l'accomplissement de ce mystère. Et pour mieux expliquer ce qui m'en est découvert, il faut que je parle auparavant de quelques mystères qui arrivèrent au moment où le Verbe allait descendre du sein du Père éternel. Je présuppose que, bien qu'il y ait une distinction personnelle entre les trois personnes divines, comme la foi nous l'enseigne, il n'y a pourtant aucune inégalité dans la sagesse, dans la toute-puissance, ni dans les autres attributs, pas plus qu'il ne saurait y en avoir dans la substance de la nature divine; et comme elles sont égales en dignité et en perfection infinie, elles le sont aussi dans les opérations qu'on appelle du dehors, parce qu'elles aboutissent, hors de Dieu, à la production extérieure d'une créature ou d'une chose temporelle quelconque.

 

(1) Act., XVII, 27 et 28. — (2) Rom., I, 23. — (8) Act., XVII, 30.

 

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Ces opérations sont indivisibles entre les personnes divines; parce que ce n'est pas une seule qui les fait, mais toutes trois, en tant qu'elles sont un même Dieu et qu'elles ont une même sagesse, un même entendement et une même volonté; et comme le Fils fait, veut et opère ce que le Père fait et veut, tout de même le Saint-Esprit fait, veut et opère les mêmes choses que le Père et le Fils.

126. Toutes les trois personnes exécutèrent et opérèrent avec cette indivisibilité d'une même action l'œuvre de l'Incarnation, quoique la seule personne du Verbe reçût en soi la nature de l'homme, l'unissant hypostatiquement à elle-même; et c'est pour cela que nous disons que le Fils fut envoyé par le Père éternel, de l'entendement duquel il procède, et que le Père l'a envoyé par l'opération du Saint-Esprit, qui intervint dans cette mission. Or, comme la personne du Fils était celle qui venait s'humaniser, avant que dé descendre des cieux, sans sortir du sein du Père, il fit dans le divin consistoire, au nom de la même humanité dont il devait revêtir sa personne, une proposition et une demande par lesquelles il représenta ses mérites futurs, afin qu'en considération desdits mérites toute la race humaine obtint sa rédemption et le pardon des péchés pour lesquels il avait à satisfaire la justice divine. Il demanda le fiat de la volonté du Père qui l'envoyait, pour accepter ce rachat en considération de ses oeuvres, de sa très-sainte passion, et des mystères qu'il voulait opérer dans la nouvelle Église et dans la loi de grâce.

 

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127. Le Père éternel accepta cette demande et les mérites prévus du Verbe, et lui accorda tout ce qui il proposa et tout ce qu'il demanda pour les mortels. Il lui recommanda aussi ses élus et ses prédestinés comme son héritage, et c'est pour ce sujet que notre Seigneur Jésus-Christ dit par l'organe. de saint Jean, qu'il ne perdit aucun de ceux que son Père lui donna (1), parce qu'il les conserva tous, excepté le fils de perdition, qui fut Judas (2). Et une autre fois il dit. Que personne ne ravirait de sa main, ni de celles de son Père, aucune de ses brebis (3). Il en serait de même pour tous les hommes, si la rédemption, qui fut suffisante pour tous, se trouvait par leur correspondance efficace pour tous et en tous; puisque sa divine miséricorde n'en a exclu aucun, pourvu que tous la reçussent par le moi en de leur Restaurateur.

128. Tout cela eut lieu, selon notre manière de concevoir, dans le ciel, au trône de la très- sainte Trinité, avant le fiat de la très-pure Marie, dont je vais bientôt parler. Au moment de la descente du Fils unique du Père dans son sein virginal, les cieux et toutes les créatures s'émurent; et les trois personnes divines, par suite de leur union inséparable, descendirent toutes avec le Verbe, qui seul devait s'incarner. Tous les membres de la milice céleste sortirent avec le Seigneur Dieu des armées, remplis d'une force invincible et d'une splendeur admirable. Et bien qu'il ne fait pas nécessaire de débarrasser le chemin, parce que la

 

(1) Joan., XVIII, 9. — (2) Ibid., XXVII, 12. — (3) Ibid., X, 28.

 

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Divinité pénètre toutes choses, qu'elle occupe tous les espaces et que rien ne la saurait arrêter, néanmoins les lieux matériels, pour témoigner à leur Créateur leur profond respect, s'ouvrirent tous aussi bien que les éléments qui leur sont inférieurs; les étoiles augmentèrent et renouvelèrent leur lumière, la lune, le soleil et les autres planètes avancèrent leur cours pour rendre hommage à leur Seigneur, et pour assister à la plus grande de ses merveilles.

129. Les mortels ne connurent point cette émotion ni ce renouvellement de toutes les créatures, tant parce que la chose arriva de nuit, que parce que le même Seigneur voulut qu'elle fût seulement manifestée aux anges, qui, initiés à des mystères aussi sublimes que vénérables, le louèrent avec un surcroît d'admiration: car ces mystères cachés aux hommes, encore éloignés de ces merveilles et de ces bienfaits, ravissaient les esprits célestes, auxquels alors il était seulement enjoint d'en bénir et glorifier l'auteur. Le Très-Haut fit naître pourtant au même moment dans le coeur de quelques justes une impression de joie extraordinaire et inaccoutumée , et ils en furent si doucement frappés, qu'ils y donnèrent tous une attention toute particulière. Ils conçurent du Seigneur des pensées plus grandes que jamais; plusieurs furent instinctivement portés à attribuer ce qu'ils ressentaient d'insolite à la venue du Messie , qui devait racheter le monde; mais ils tinrent tous la chose secrète, parce que, par une disposition expresse de la puissance divine, chacun croyait en être le seul favorisé.

 

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130. Les autres créatures eurent aussi part à ce renouvellement. Les oiseaux redoublèrent leur chant,. les plantes augmentèrent leur odeur, et les arbres leurs fruits ; enfin toutes les créatures ressentirent en elles quelque changement favorable. Mais ceux qui éprouvèrent la joie la plus vive furent les saints pères et les justes, habitant les limbes , où l'archange saint Michel fut envoyé pour leur donner des nouvelles si agréables, qui furent pour eux un grand sujet de consolation. Il n'y eut que l'Enfer qui en fut affligé et qui en ressentit de nouvelles douleurs; parce qu'à la descente du Verbe éternel, les démons sentirent une force impétueuse du pouvoir divin qui les surprit, comme les flots d'une mer irritée, et qui les renversa tous dans, le plus profond des ténébreux abîmes sans qu'ils y pussent résister. Il est vrai que y par la permission divine, ils revinrent sur la terre , où ils firent toutes leurs diligences pour trouver la cause de ce qui venait de leur arriver; mais ils ne purent pas la découvrir, malgré les conférences qu'ils tinrent pour résoudre le cas, parce que le pouvoir divin leur cacha le mystère de l'Incarnation, comme il arriva encore lorsque la très sainte Vierge conçut le Verbe humanisé, ainsi que nous le verrons dans, la suite; car ils ne surent que Jésus-Christ était véritablement Dieu et homme, qu'au moment de sa mort, comme je le dirai en son lieu.

131. Le Très-Haut voulant réaliser ce mystère. l'archange Gabriel, accompagné d'une multitude innombrable d'anges ayant tous une forme humaine

 

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d'un éclat et d'une beauté incomparables à proportion de leur élévation entra sous les traits que j'ai dépeints au chapitre précédent, dans la petite chambré où la très-pure Marie était en prière; c'était un jeudi, à sept heures du soir et à l'entrée de la nuit. La Princesse da ciel l'apercevant le regarda avec une modestie et avec une retenue admirable , et ce ne fut qu'autant qu'il fallait pour reconnaître en lui l'ange du Seigneur. Elle ne l'eut pas plutôt reconnu, qu'elle voulut avec son humilité ordinaire se prosterner. à ses Pieds, mais le saint ambassadeur ne le voulut pas permettre, au contraire il lui fit lui-même une profonde révérence comme à sa Reine et Maîtresse, en laquelle il. adorait les divins mystères de son Créateur; il savait d'ailleurs que dès ce jour-là les anciennes coutumes que les hommes avaient d'adorer les anges comme Abraham le fit (1), étaient, changées ; parce que la nature humaine étant élevée à la dignité de Dieu en la personne du Verbe, les hommes étaient en même temps adoptés pour ses enfants et pour compagnons, ou frères des mêmes anges, comme celui qui ne voulut pas recevoir l’adoration de l'évangéliste saint Jean, le lui dit (2).

132. Le saint archange salua notre Reine et la sienne; et il lui dit : Ave, gratia plena, Dominus tecum, benedicta tu in mulieribus (3). La plus humble des créatures, entendant cette nouvelle salutation de l’ange, fut troublée, sans perdre la tranquillité de son âme.

 

(1) Gen., XXVIII, 2. — (2) Apoc., XIX, 10. — (3) Luc., I, 28  et 29

 

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Ce trouble eut deux principes en notre auguste Princesse : l'un fut sa très-profonde humilité par laquelle elle se croyait la dernière de toutes les créatures; et s'étant ouïe saluer et appeler bénie entre toutes les femmes, tandis qu'elle nourrissait de si bas sentiments d'elle-même, cela lui parut tout à fait étrange. Le second principe fut, que pendant qu'elle recevait ta salutation et qu'elle la considérait dans son coeur, le Seigneur lui fit connaître qu'il la choisissait pour être sa Mère, et cela la troubla beaucoup plus, parce qu'elle était fort éloignée de cette pensée. Alors l'ange la voyant dans ce trouble, poursuivit son discours, et lui déclara l'ordre du Seigneur, en ces termes: Marie, ne craignez point, parce que vous avez trouvé grâce devant Dieu. Je vous déclaré que vous concevrez dam votre sein. et que vous enfanterez un fils que vous nommerez Jésus. Il sera grand, et sera appelé le Fils du Très-Haut (1); et le reste que le saint archange acheva.

133. il ne se trouva parmi les pures créatures gîte notre très-prudente et très-humble Reine qui pût dûment estimer et pénétrer un mystère si nouveau et si surprenant, et c'est parce qu'elle en apprécia toutes les grandeurs qu'elle en fut ravie et troublée. Mais dans ce trouble elle tourna son humble coeur vers le Seigneur, qui ne pouvait pas lui refuser ses demandes, et elle lui demanda du plus profond de son aime une nouvelle lumière et un secours particulier pour se conduire selon son bon plaisir dans une affaire

 

(1) Luc., I, 30, 31 et 32.

 

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d'une si grande importance; parce que, comme j'ai dit dans le chapitre précédent, le Très-Haut la laissa pour opérer ce mystère dans l'état commun de la foi, de l'espérance et de la charité, lui suspendant les autres sortes de faveurs intérieures auxquelles d'ordinaire elle était élevée. Dans cette disposition elle repartit à saint Gabriel ce que saint Luc rapporte : Comment cela se fera-t-il, car je ne connais point mon mari (1)? En même temps, elle représentait en elle-même au Seigneur le. voeu de chasteté qu'elle avait fait, et les épousailles que sa divine Majesté avait contractées avec elle.

134. L'ambassadeur céleste lui répondit : « Noble Dame, il est facile au pouvoir divin de vous rendre mère sans que vous connaissiez aucun homme ; le Saint-Esprit surviendra en vous par sa présence, il s'y trouvera d'une manière nouvelle, et la vertu  du Très-Haut vous couvrira de son ombre (2) , afin que le Saint des saints, qui sera appelé le Fils de Dieu, puisse naître devons. Je vous déclare aussi que votre cousine Élisabeth a conçu un fils dans sa

vieillesse, et que celle qu'on appelle stérile est présentement dans le sixième mois de sa grossesse (3) , car rien n'est impossible à Dieu; et Celui qui peut  faire concevoir et enfanter une stérile, peut bien, illustre Dame, faire que vous deveniez sa Mère, tout en ne cessant point d'être vierge, et en marquant au contraire votre pureté d'un sceau plus

 

(1) Luc., I, 34. — (2) Ibid., 35. — (3) Ibid., 36.

 

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inviolable. Dieu donnera au Fils que vous enfanterez le trône de David, son père, et il régnera à ja mais dans la maison de Jacob (1). Vous n'ignorez pas la prophétie d'Isaïe, qui dit qu'une vierge concevra et enfantera un fils qui sera appelé Emmanuel, c'est-à-dire Dieu avec nous (2). Cette prophétie est   infaillible, et elle doit être accomplie en votre personne. Vous savez aussi le grand mystère du buisson ardent que Moïse vit brûler sans qu'il fût consumé ni endommagé par le feu (3), pour signifier le  rapprochement des deux natures divine et humaine, a sans que la seconde soit consumée par la première;  et pour montrer que la Mère du Messie le concevra et l'enfantera sans le moindre préjudice de son intégrité virginale. Souvenez-vous aussi, grande Dame, de la promesse que notre Dieu éternel fit au patriarche Abraham, qu'après la servitude de sa postérité en Égypte, ses descendants retourneraient  en ce pays à la quatrième génération (4). Le mystère  de cette promesse était que Dieu humanisé rachèterait alors par votre moyen tous les enfants d'Adam de l'oppression du démon. Et cette échelle que Jacob vit en songe (5) fut une figure expresse a du chemin royal que le Verbe incarné ouvrirait,  afin que les mortels montassent au ciel et que les anges descendissent sur la terre, où le Fils unique  du Père descendrait pour y converser avec les  hommes, et leur communiquer les trésors de sa

 

(1) Luc., I, 32. — (2) Isa., VII, 14. — (3) Exod., III, 2. — (4) Gen., XV, 16. — (5) Gen., XXVIII, 12.

 

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divinité par la participation des vertus et des perfections qui se trouvent en son être immuable, et éternel. »

135. Le saint archange informa la très-pure Marie par ces raisons et par plusieurs autres , dissipant par l'autorité des anciennes promesses et des prophéties de l'Écriture le trouble que son ambassade lui avait causé, aussi bien que par la foi et par la connaissance qu'elle avait, de toutes ces choses et du pouvoir infini du Très-Haut. Mais comme notre auguste Reine surpassait les anges même en sagesse, en prudence et en sainteté , elle différait sa réponse pour la donner avec autant de solidité qu'elle la donna, parce qu'elle fut telle que l'exigeait le plus grand des prodiges de la puissance divine. Cette dame considéra avec beaucoup de réflexion, que de sa réponse dépendaient le dégagement de la parole de la très-sainte Trinité, l'accomplissement de ses promesses et de ses prophéties, l'oblation du plus agréable sacrifice qui lui eût été encore offert, l'ouverture des portes du paradis, la victoire et le triomphe sur l'enfer, la rédemption de tout le genre humain, la satisfaction de la justice divine, l'établissement de la nouvelle loi de grâce, la gloire des hommes, la joie des anges; et tout ce qui est renfermé dans l'incarnation du Fils unique du Père, et qui se trouve caché sous cette adorable forme de serviteur qu'il devait prendre dans le sein virginal de Marie (1).

 

(1) Phil., II, 7.

 

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136. C'est à la vérité une merveille bien grande et bien digne de notre admiration que le Très-Haut laissât entre les mains d'une jeune femme tous ces mystères et tant d'autres qui s'y trouvent renfermés, et que le tout dépendit de son flat. Mais aussi ce fut avec beaucoup de sûreté qu'il s'en rapporta à la sagesse et à la discrétion de cette femme forte et sublime, qui, après avoir médité ce que Dieu lui proposait, ne trompa point la confiance qu'il avait mise en elle (1). Aux opérations qui ont lieu au dedans de Dieu, la coopération des créatures est inutile, et Dieu ne l'attend pas pour opérer au dedans de lui-même; mais il en est autrement des œuvres contingentes du dehors, et comme son incarnation fut la plus grande et la plus excellente de toutes, il ne voulut pas l'exécuter sans la coopération et sens le consentement de la très-pure Marie, afin de donner par son moyen cette perfection à toutes les autres, et afin que nous fussions obligés de ce bienfait à la Mère de la sagesse et à notre Restauratrice.

137. Cette auguste Dame considéra et parcourut attentivement le champ immense de la dignité de Mère de Dieu, qu'il s'agissait d'acheter par un fiat; elle fut revêtue d'une force plus qu'humaine, elle goûta et elle vit que le commerce de la Divinité était. bon. Elle connut les voies de ses bienfaits cachés, elle s'orna de force et de beauté (2). Et lorsqu'elle eut conféré avec elle-même et avec l'ambassadeur céleste

 

(1) Prov., XXXI, 11. — (2) Ibid., 16, 17 et 18.

 

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sur la grandeur de .mystères si hauts et si divins, lorsqu'elle fut bien pénétrée de l'objet de l'ambassade qu'elle recevait, son très-pur esprit fut ravi et absorbé dans l'admiration , dans le respect et dans un très-ardent amour de Dieu. A la suite de ces mouvements si vifs et de ces affections si véhémentes, et comme par leur effet naturel, son très-chaste coeur fut comme étreint et pressé par une force qui lui fit distiller trois gouttes de son très-pur sang dans son sein virginal, où le corps de notre Seigneur Jésus-Christ fut conçu et formé d'elles par l'opération et par la vertu du Saint-Esprit , de sorte que le coeur de la très-pure Marie a réellement et véritablement fourni, à force d'amour, la matière dont la très-sainte humanité du Verbe fut formée pour notre rédemption. Et tout cela arriva su moment où elle prononçait avec une humilité ineffable (ayant la tête un peu inclinée et les mains jointes) ces paroles qui furent le commencement de notre réparation : Ecce ancilla Domini, fiat mihi secundum verbum tuum (1).

138. Ce fiat, si doux aux oreilles de Dieu et si favorable pour nous, ayant été prononcé, quatre choses furent opérées dans un instant. La première fut le très-saint corps de notre Seigneur Jésus-Christ, qui fut formé de ces trois gouttes de sang que le coeur de la sacrée Vierge fournit. La seconde fut la création de la très-sainte âme du même Seigneur, car elle fut aussi créée. La troisième fut l'union

 

(1) Luc., I, 38

 

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de l'âme et du corps du Sauveur, union qui donna a son humanité toute la perfection dont elle était capable. Enfin la quatrième fut l'union hypostatique de la Divinité en la personne du Verbe avec l'humanité, qui par cette union devint le suppôt de l'incarnation ; de sorte que Jésus-Christ fut formé Dieu et homme véritable, pour être notre Seigneur et notre Rédempteur. Cette merveille arriva un vendredi , vingt-cinquième de mars, à la pointe du jour, dans l'année dé la création du monde 5199, selon que l'Église romaine, inspirée par le Saint-Esprit, le raconte dans le Martyrologe, et à la môme heure que notre père Adam fut formé. Cette supputation est la véritable, et c'est ce qui m'a été déclaré, l'ayant demandé par ordre de l'obéissance. Conformément à cela, le monde fut créé dans le mois de mars , qui répond au commencement de la création; et parce que les oeuvres du Très-Haut sont toutes parfaites et achevées (1), les plantes et les arbres sortirent de la main de sa divine Majesté avec leurs fruits, et ils ne les eussent jamais perdus si le péché n'eût altéré et corrompu toute la nature, comme je le dirai, s'il plait à Dieu, dans un autre traité; et je ne le dis pas présentement parce qu'il n'est pas nécessaire à celui-ci.

139. Dans le même instant que le Tout-Puissant célébra les épousailles de l'union hypostatique dans le sein de la très-sainte Vierge, elle fut élevée à la vision béatifique où la Divinité lui fut manifestée intuitivement,

 

(1) Deut., XXXII, 4

 

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et elle y connut de très-hauts mystères dont je parlerai dans le chapitre qui suit. Elle y découvrit notamment le sens secret des chiffres, qui se trouvaient dans l'ornement qu'elle reçut, et dont j'ai parlé au chapitre septième, et elle eut aussi connaissance de ceux que les anges portaient. Le divin Enfant croissait dans ce lieu sacré par, l'aliment, par la substance et par le sang de sa très-sainte Mère, ainsi que les autres le font, quoiqu'il fut exempt de plusieurs choses que les enfants d'Adam souffrent dans cet état, la Reine du ciel n'ayant pas été sujette à de certains accidents qui ne Font pas essentiels à la génération, mais inhérents au péché, puisque cette nourriture que les autres mères descendantes d'Ève fournissent à leurs enfants avec des imperfections qui leur sont naturelles et communes, la très-sainte Vierge la fournissait au sien en exerçant des actes héroïques de toutes les vertus, et singulièrement de la charité. Et comme les opérations ferventes et les affections amoureuses de l'âme émeuvent le sang et les humeurs, par cette émotion la divine Providence communiquait à ce divin Enfant l'aliment naturel dont son humanité avait besoin pour se nourrir, pendant que sa divinité se récréait par la complaisance qu'elle prenait dans L'exercice des vertus héroïques de sa Mère. De sorte que la sacrée Vierge fournit au Saint-Esprit, pour la formation du corps, un sang pur et limpide, comme étant conçue sans péché et exempte de ses suites. Et bien loin de donner à son divin Enfant un sang impur et imparfait, comme les autres mères le donnent aux

aux

 

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leurs, elle lui donnait. le plus pur, le plus substantiel et le plus délicat, parce qu'elle le lui communiquait à force d'affections d'amour et des autres vertus., Comme elle savait qu'elle devait partager la nourri, turc qu'elle prenait avec le Fils de Dieu et le sien elle la prenait toujours avec des dispositions si saintes; que les esprits célestes étaient ravis en admiration de voir en des actions si communes tant de mérites pour elle et tant de sujets de complaisance pour le Seigneur.

140. Cette divine Dame fût mise en possession de la dignité de Mère de Dieu avec des privilèges si éminents, que tout ce que j'ai dit jusqu'à présent, et que je dirai dans la suite, est fort au-dessous de leur excellence; il ne m'est pas possible de les expliquer, parce que l'entendement humain ne les saurait dûment concevoir, et les plus doctes même ne trouveront pas des termes assez justes pour exprimer ce qu'ils eu pourront découvrir. Les humbles, qui sont expérimentés en l'amour divin, en connaîtront quelque chose par la lumière infuse et par un certain goût intérieur qui fait pénétrer le secret de pareils mystères. L'auguste Marie ayant été élevée si haut et si ennoblie par cette nouvelle et merveilleuse assistance de la Divinité dans son sein virginal, ne devint pas seulement le ciel, le temple et la demeure de la très-sainte Trinité, mais cette pauvre, maison et ce petit oratoire furent aussi consacrés pour servir de nouveau sanctuaire au Seigneur. Les esprits angéliques qui y assistaient comme témoins de ce prodige, exaltaient

 

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le Tout-Puissant avec une joie indicible; ils le bénissaient en la compagnie de cette très-heureuse Mère par de nouveaux cantiques de louange, et ils lui rendaient de continuelles actions de grâces en son nom et en celui du genre humain , qui ignorait le plus grand de ses bienfaits et les plus tendres marques de ses miséricordes.

 

Instruction de la Mère de Dieu.

 

141. Ma fille, je vous vois dans l'admiration, et c'est avec raison, puisque vous venez d'apprendre par une nouvelle révélation le mystère dans lequel vous découvrez que la Divinité s'est humiliée jusqu'à s'unir avec la nature humaine dans le sein d'une pauvre fille comme j'étais. Je veux dore, ma très-chère, que vous employiez votre plus forte attention à considérer que Dieu ne s'abaissa pas de la sorte pour moi seule, mais qu'il le fit aussi bien pour vous que pour moi (1). Le Seigneur, est infini en miséricorde , et son amour n'a point de bornes; il prend un aussi grand soin d'une seule âme qui le reçoit, il se plait autant avec elle, que s'il n'en eût point créé d'autres; et qu'il ne se fût fait homme que pour elle seule. C'est pourquoi vous devez vous considérer comme étant seule dans le

 

(1) Gal., II, 29.

 

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monde pour y reconnaître avec les plus ardentes affections la venue du Seigneur; ensuite vous lui rendrez des actions de grâces de ce qu'il y est venu également pour. tous. Que si vous pénétrez avec une vive foi que le même Dieu, dont les attributs sont infinis et la majesté éternelle, est descendu pour prendre chair humaine dans mon sein; que c'est lui-même qui vous cherche, qui vous appelle, qui vous caresse, et qui se       donne tout à vous comme si vous étiez l'unique de ses créatures, cette pénétration vous fera sans doute découvrir ce à quoi un effet si admirable de sa bonté vous oblige, et vous fera changer cette admiration en des actes animés d'une foi la plus ferme et d'un amour le plus ardent, puisque vous êtes redevable de tout cela à un tel Roi et Seigneur, qui a daigné venir à vous lorsque vous ne le pouviez ni chercher ni trouver.

142. Tout ce que cet adorable Seigneur vous peut donner hors de lui-même , vous paraîtrait fort grand, même en ne l'envisageant qu'au point de vue et avec des sentiments humains, sans élever votre esprit à ce souverain bien ; tant il est vrai que tout ce qui vient de la main d'un si grand Roi est digne d'une très-haute estime. Mais si vous le considérez en lui-même, à la lueur du divin flambeau de la foi, et si vous êtes assurée, comme vous le devez être, qu'il vous a rendue capable de sa Divinité; alors vous verrez que si Dieu ne se donnait pas à vous, tout ce qui est créé vous semblerait un néant, et deviendrait pour vous un objet de mépris; cette seule pensée satisfera tous

 

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vos désirs, et vous comblera de consolation, lorsque vous ferez attention que vous avez un Dieu si amoureux, si aimable, si puissant, si doux, si riche; et qu'étant si infini en tontes choses, il a daigné s'humilier jusqu'à votre bassesse, pour vous relever de la poussière, pour enrichir votre pauvreté, et pour voué rendre l'office de pasteur, de père, d'époux et d'ami très-fidèle.

1143. Or prenez bien garde, ma fille, aux effets que ces vérités produiront au fond de votre coeur. Faites de sérieuses réflexions sur le très-doux amour que ce grand Roi vous témoigne par sa sollicitude continuelle, par les caresses et les faveurs qu'il vous prodigue, par les tribulations qu’ il vous envoie, par le don du flambeau que sa divine science a allumé dans votre âme, afin qu'elle connût à fond les grandeurs infinies de son être, le caractère admirable de ses oeuvres et les mystères les plus cachés, la vérité eu tontes choses et le néant de ce qui est visible,. Cette science est le principe essentiel et la base fondamentale de la doctrine que je vous ai enseignée, pour vous faire apprécier avec combien de respect et de retour vous devez recevoir les bienfaits da Seigneur votre Dieu, votre véritable bien, votre trésor, votre lumière et votre guide. Regardez-le comme un Dieu infini, amoureux et terrible. Soyez attentive à mes paroles et à mes instructions; vous trouverez en elle$ la pari de votre cour. et la lumière de vos yeux.

 

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CHAPITRE XII. De ce que la très-sainte âme de notre seigneur Jésus-Christ fit dans le premier instant de sa conception, et ce que sa très-pure Mère opéra alors.

 

144. Pour mieux pénétrer les premières opérations de 1'âme très-sainte de notre Seigneur Jésus-Christ, il faut présupposer ce que nous avons dit dans le chapitre précédent an paragraphe, 138, que tout le substantiel de ce divin mystère, savoir, la formation du corps, la création et l'infusion de l'âme, l'union de l'humanité inséparable de la personne du Verbe, tout cela fut opéré simultanément, de sorte qu'on ne peut pas dire que notre Seigneur Jésus-Christ ait été un seul instant homme pur : car il fut toujours véritablement homme et Dieu , puisqu'au moment où il pouvait, à causé de son humanité, être appelé homme, il était déjà Dieu. Ainsi il n'est aucun instant auquel on puisse l'appeler simplement homme : il a toujours été Homme-Dieu et Dieu-Homme. Et comme l'être naturel, étant actif, peut incontinent exercer ses facultés, ainsi, au moment même où l’incarnation fut accomplie, l'âme très-sainte de notre Seigneur Jésus-Christ fut béatifiée par la vision et par l'amour béatifique, de manière que les

 

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puissances de son entendement et de sa volonté s'élevèrent aussitôt, selon notre manière de concevoir, à la même divinité qu'avait trouvée son être de nature uni substantiellement à elle, et ces puissances s'unirent en même temps à l'être de Dieu par leurs opérations, afin que notre Seigneur Jésus-Christ fût entièrement. déifié et en son être et en ses opérations.

145. La grande merveille de ce mystère est que tant de gloire, que toute l'immensité divine fussent ramassées dans un aussi petit abrégé qu'était un corps qui n'était pas plus grand qu'une abeille: car le volume du très-saint corps de Jésus-Christ n'était pas plus considérable que cela, lorsque la conception et l'union hypostatique furent célébrées. La grande merveille, c'est encore que ce corps si réduit se trouvât à la fois dans là gloire et dans la passibilité : car l'humanité de Jésus-Christ, essentiellement compréhenseur, quoique voyageur du temps, fut glorieuse et passible tout ensemble. biais Dieu put bien, dans son pouvoir et clans sa sagesse infinie, abréger, si j'ose ainsi parler, si fort sa di. alité toujours infinie, que, sans qu'elle cessât de l'être, elle fût renfermée dans la sphère d'un si petit corps par une nouvelle et admirable manière d'y être. il fit aussi par la même toute-puissance, que l'âme très-sainte de. notre Seigneur Jésus-Christ fut bienheureuse dans la partie supérieure des plus nobles opérations, et que toute la gloire sans mesure qui lui causait son bonheur, fût comme retenue dans la suprême partie de son âme, suspendant les effets et les dons qu'elle devait communiquer à son corps; afin

 

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que Jésus-Christ fût passible et voyageur aussi bien que compréhenseur; cela ne se faisant que pour donder lieu à notre rédemption par le moyen de sa passion et de sa mort.

146. La très-sainte humanité de Notre-Seigneur fut douée, à l'instant même de sa conception, de toutes les dispositions convenables et nécessaires pour le plein exercice de ses facultés et la réalisation de toutes les choses qu'il devait faire, tant comme compréhenseur que comme passible et pèlerin de la terre; ainsi il reçut la science bienheureuse et infuse, la grâce justifiante et les dons du Saint-Esprit, qui reposa sur lui, comme dit Isaïe (1). Il eut toutes les vertus, excepté la foi et l'espérance, qui ne peuvent compatir avec la vision et la possession béatifique. Et s'il se trouve quelque autre vertu qui présuppose quelque imperfection en celui qui l'a, elle ne pouvait pas être dans le Saint des saints, qui ne put commettre aucun péché, et dont la bouche ne proféra jamais aucune parole de mensonge (2). Il n'est pas nécessaire que nous nous étendions ici davantage sur la dignité et l'excellence de la science, de la grâce, des vertus et des perfections de notre Seigneur Jésus-Christ, parce que les saints docteurs et les théologiens l'enseignent amplement. Pour moi, il me suffit de savoir qu'il poussa la perfection dans tous les sens jusqu'aux dernières limites de la puissance divine, et au delà de tout ce que l'entendement humain peut

 

(1) Isa., XI, 2. — (2) I Petr., II, 22.

 

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concevoir, parce qu'ayant la source de la vie (1), qui est la Divinité, son âme très-sainte devait, suivant l'expression de David, boire sans fin ni mesure de l'eau de son torrent (2). Ainsi il eut la plénitude de toutes les vertus et de toutes les perfections.

147. L'âme de notre Sauveur Jésus-Christ étant déifiée et enrichie de tous les dons de la Divinité, voici dans quel ordre eurent lieu ses opérations. Ce fut d'abord de voir et de connaître intuitivement la Divinité, comme elle est en soi, et comme elle était unie à sa très-sainte humanité. Ensuite elle l'aima d'un souverain amour béatifique. Après cela cette âme très-sainte reconnut l’ être de son humanité, inférieur à litre de Dieu, et elle s'humilia très-profondément; et elle rendit grâces avec la même humilité à l'Être immuable de Dieu, du bienfait de la création et de celui de l'union hypostatique, par laquelle elle fut élevée à l'Être de Dieu avec la nature humaine. Elle connut aussi que son humanité était passible, afin que le but de la rédemption pût être atteint. Dans cette connaissance, Jésus-Christ s'offrit en sacrifice propitiatoire pour être le Rédempteur du genre humain (3); et cet homme adorable recevant avec complaisance l’être passible, rendit grâces au Père éternel en son nom et en celui de tous les hommes. Il vit l'organisation de sa très-sainte humanité, la matière dont elle avait été formée, et comme la très-pure Marie la lui avait fournie par un mouvement ardent de sa

 

(1) Ps. XXXV, 10. — (2) Ps., CIX, 7. — (3) Hebr., X, 5 et 6.

 

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charité, et par l'exercice des vertus les plus héroïques. Il prit possession de ce saint Tabernacle, il se plut dans sa demeure, il en agréa l'éminente beauté, et s'appropria au même moment pour toute l'éternité l'âme de la plus parfaite et de la plus pure des créatures. Il loua le Père éternel de l'avoir créée avec une telle prééminence de grâces et de dons, et de l'avoir exemptée, quoique issue d'Adam, de la loi commune du péché que toutes ses descendantes avaient encourue (1). Il pria pour saint Joseph et pour sa chaste compagne, dont il demanda le salut éternel. Toutes ces opérations et les autres qu'il fit furent aussi relevées qu'elles pouvaient l’être dans un véritable Homme-Dieu, et indépendamment de celles qui se rattachent à la vision et à l'amour béatifiques, il donna à toutes et à chacune de ses actions un mérite tel, qu'il aurait pu suffire au rachat d'une infinité de mondes s'il eût été possible de les trouver.

148. Notre rédemption eût été surabondante par le seul acte d'obéissance que fit la très-sainte humanité unie au Verbe, en acceptant la passibilité et en consentant avec plaisir à ce que la gloire de son âme ne rejaillit. point sur son corps. Mais, quoique la valeur d'un seul acte fût plus que suffisante pour notre rançon, il ne pouvait pas satisfaire l'amour immense que Jésus-Christ portait aux hommes, et qui l'a forcé à nous aimer avec une volonté effective jusqu'à la fin de l'amour, qui était celle de sa propre vie, en la donnant

 

(1) Rom., V, 12.

 

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pour nous (1) avec des démonstrations et des circonstances de la plus grande affection que l'entendement humain et angélique ait pu imaginer. Que si notre Seigneur Jésus-Christ nous enrichit si fort dans le premier instant qu'il vint au monde, quels trésors, quelles richesses, quels mérites ne nous devait-il pas laisser, lorsqu'il en sortit par sa passion et par la mort de la croix, après trente-trois ans de travaux si grands et d'opérations si divines ! O amour immense ! O charité sans borne! O miséricorde sans mesure! O bonté très-libérale ! Mais, ô noire ingratitude et oubli damnable des mortels à la vue d'un bienfait aussi inouï qu'il est important! Que deviendrions-nous sans lui? Mais comment nous comporterions-nous envers ce divin Seigneur, s'il eût moins fait pour nous, puisque, ayant fait tout ce qu'il a pu, nous n'en sommes pas touchés? Si nous ne lui rendons pas le retour comme à notre Rédempteur, qui nous a donné la vie et la liberté éternelle, écoulons-le du moins comme notre Maître; suivons-le comme notre capitaine, comme notre guide et comme notre chef, qui nous enseigne le chemin de notre véritable félicité.

149. Cet adorable Seigneur ne travaillait pas pour lui-même; il ne méritait point pour son âme très-sainte la récompense ni les augmentations de sa grâce; c'était pour nous qu'il le faisait : car il n'en avait pas besoin; il ne pouvait recevoir aucun accroissement de grâce ni de gloire; il en était tout rempli, comme

 

(1) Joan., XIII, 1.

 

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l'évangéliste nous le dit (1), parce qu'étant homme, il était aussi Fils unique du Père. En cela il n'eut point de -semblable, il ne pouvait non plus pas en avoir. Tous les saints et toutes les simples créatures méritèrent pour eux-mêmes et eurent pour fin de leurs travaux leur propre récompense; le seul amour de Jésus-Christ fut désintéressé; il fut tout pour nous. Que s'il étudia et s'instruisit à l'école de l'expérience (2), il ne le fit que pour nous enseigner et nous enrichir par l'exercice de l'obéissance, par les mérites infinis qu'il acquit et par l'exemple qu'il nous donna (3), afin que nous devinssions savants dans l'art d'aimer, qu'on ne saurait apprendre parfaitement par les seules affections et les simples désirs, si on ne le met en pratique par les oeuvres réelles et effectives. Je ne m'étendrai point sur les mystères de la très-sainte vie de notre Seigneur Jésus-Christ, à cause de mon incapacité; je m'en rapporterai aux évangélistes, n'en touchant que ce qu'exigera cette divine histoire de sa Mère et notre Maîtresse : car la vie du Fils et celle de la Mère ont une relation si étroite, que je ne puis éviter d'en prendre certains traits dans les évangélistes, et d'en ajouter d'autres dont ils n'ont fait aucune mention parce que la connaissance n'en était pas nécessaire dans les premiers temps de l'Église catholique.

150. Après toutes les merveilles qu'opéra notre Seigneur Jésus-Christ à l'instant de sa conception, sa

 

(1) Joan., I, 14. — (2) Luc., II, 62. — (3) Hebr., V, 8; 1 Petr., II, 21.

 

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très-sainte Mère jouit, dans un autre instant de nature, de la vision béatifique de la Divinité dont nous avons parlé au chapitre précédent, sous le paragraphe 139 ; car dans un instant de temps il peut y en avoir plusieurs qu'on appelle de nature. Notre auguste Dame connut très-clairement et très-distinctement, dans cette vision , l'union hypostatique des deux natures divine et humaine en la personne du Verbe éternel et la très-sainte Trinité la confirma dans le titre, dans le nom et dans le droit de Mère de Dieu, comme elle l'était réellement et dans toute la rigueur du mot, étant Mère naturelle d'un Fils qui était Dieu éternel, avec la même certitude qu'il était homme véritable. Et, quoique cette grande Dame ne coopérât point immédiatement à l'union de la Divinité avec l'humanité, elle ne perdit pas pourtant le droit de véritable Mère de Dieu, puisqu'elle concourut à cette conception en fournissant la matière, et en coopérant par ses puissances à tout ce qui regardait l'office de la maternité; et beaucoup plus que les autres femmes, car elle y concourait seule et. sans la participation d'aucun homme. Et comme dans les autres conceptions on appelle père et mère les agents qui y concourent naturellement, quoiqu'ils ne contribuent point immédiatement à la création de l'âme ni à l'infusion qui en est faite dans le corps de l'enfant, tout de même la très-pure Marie devait être appelée, comme on l'appelle véritablement et avec beaucoup plus (le raison, Mère de Dieu, puisque dans la conception de Jésus-Christ, Dieu et homme véritable, elle seule y concourut comme Mère, sans

 

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aucun autre concours naturel; et par le moyen de ce concours et de cette conception naquit Jésus-Christ, homme et Dieu.

151. La très-sainte Vierge, fière de Dieu, connut aussi dans cette vision tous les mystères futurs de la vie et de la mort de son très-doux Fils, de la rédemption du genre humain, de la nouvelle loi de l'Évangile, par le moyen de laquelle ces mystères devaient être établis, et plusieurs autres sublimes et profonds secrets qui ne furent découverts à aucun saint. La très-prudente Reine, se voyant en la présence intuitive de la Divinité, et avec la plénitude de science et des dons dont elle fat enrichie en qualité de fière du Verbe, s'humilia devant le trône de sa Majesté immense; abîmée dans son humilité et dans l'amour divin, elle y adora le Seigneur en son Être infini et eu l'union de la très-sainte humanité. Elle lui rendit grâces pour la dignité de Mère qu'elle avait reçue, et pour la faveur que sa divine Majesté faisait à tout le genre humain. Elle le glorifia pour tous les mortels. Elle s'offrit en sacrifice agréable pour servir et nourrir son très-doux Fils, pour l'assister dans tous ses besoins temporels, et pour coopérer (autant qu'elle pourrait de son côté) à l'oeuvre de la rédemption. La très-sainte Trinité reçut son offre avec complaisance, et la destina à être la coadjutrice de ce divin ministère. En conséquence , elle demanda une grâce spéciale pour se conduire dans la dignité et dans la mission de Mère du Verbe humanisé , et pour le traiter avec la magnificence convenable et avec la vénération

 

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due à Dieu même. Elle offrit à son très-saint Fils tous les enfants d'Adam qui devaient naître, comme aussi les saints pères et les justes des limbes; et elle fit en son nom et en celui de tous plusieurs actes héroïques de vertus et plusieurs grandes demandes que je ne raconte pas ici, parce que j'ai touché quelque chose de semblable en d'autres occasions, d'où l'on pourra inférer ce que notre divine Reine faisait dans celle-ci, qui surpassait si fort en excellence toutes celles où elle s'était trouvée avant ce jour fortuné.

152. Ses affections furent plus ardentes envers le Très-Haut dans la demande qu'elle fit d'une grâce spéciale pour se gouverner dignement comme Mère du Fils unique du Père, parce que son humble coeur la portait à cela, qu'elle en faisait le plus pressant motif de son humilité, et qu'elle désirait d'être conduite dans tout ce qu'elle ferait en s'acquittant de cet office de Mère. Le Tout-Puissant lui répondit : « Ne craignez point, ma Colombe, je vous assisterai

et vous dirigerai, vous ordonnant tout ce que vous devrez faire envers mon Fils unique. » Après cette promesse, elle sortit de l'extase en laquelle il lui arriva tout ce que je viens de dire, et ce fut la plus admirable qu'elle eût eu jusqu'alors. La première chose qu'elle fit, étant revenue dans son état ordinaire, fut de se prosterner à terre et d'adorer son très-saint Fils, Dieu et homme conçu dans son sein virginal, parce qu'elle ne lui avait pas encore rendu ces marques corporelles et extérieures de son humble et amoureux respect, et rien ne fut à la disposition et

 

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au pouvoir de la très-prudente Mère, qu'elle ne le mit en pratique pour le service de son Fils et de son Créateur. Dès lors elle reconnut et sentit de nouveaux effets de la divine grâce dans son âme très-sainte, et dans toutes ses puissances intérieures et extérieures. Et bien qu'elle eût été, en la disposition de son âme et de son corps, dans un très-noble état durant toute sa vie, néanmoins elle se trouva, dès ce jour de l'incarnation du Verbe, beaucoup plus spiritualisée et comme divinisée par un nouveau surcroît de grâces et de dons ineffables.

153. L'on ne doit pourtant pas croire que la très-pure Mère reçut toutes ces faveurs, et que l'union de la Divinité avec l'humanité de son très-saint Fils se fit en elle afin qu'elle vécût toujours dans les délices et dans les consolations spirituelles, et jamais dans les souffrances. Il n'en fut pas ainsi, car cette auguste Dame imitant la passibilité de son bien -aimé Fils, partagea sa vie entre les joies et les afflictions, la connaissance profonde qu'elle avait reçue des travaux et de la mort du doux Seigneur Jésus lui perçant le coeur comme un glaive de douleur, et le remplissant d'amertume (1). L'on pouvait mesurer cette douleur à la connaissance qu'une telle Mère avait d'un tel Fils, et à l'amour qu'elle lui, portait, ses afflictions maternelles étant renouvelées et augmentées par sa présence et par sa conversation. Ainsi , quoique toute la vie de notre Seigneur Jésus-Christ et de sa très

 

(1) Luc., II, 35.

 

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sainte Mère ne fût qu'un martyre continuel et un long exercice de la croix, qui se passait dans des peines et des travaux qu'on ne peut exprimer; néanmoins il y. eut dans le coeur si tendre de notre divine Reine un genre particulier de souffrance, venant de ce qu'elle avait toujours présents à son esprit la passion, les tourments, les ignominies et la mort de son Fils. De sorte que nous pouvons dire qu'elle observa la longue veille de notre rédemption par une, douleur continuelle de trente-trois ans, tenant cet affligeant mystère caché dans son coeur sans le communiquer à personne, et sans recevoir aucun soulagement des créatures.

154. Pénétrée de cet amour douloureux, et pleine de sentiments à la fois doux et pénibles, elle s'adressait maintes fois à son très-saint Fils, et elle lui tenait, avant et après sa naissance, ce discours qui partait du plus profond de son coeur : « Seigneur de mon âme !  mon très-doux Fils! comment avez-vous joint à la   possession de la dignité de Mère dont vous m'avez  honorée, l'affligeant regret que j'ai de vous perdre  et d’être privée de votre aimable compagnie? Vous   n'avez pas plutôt reçu la vie, que vous acceptez pour  le rachat des hommes la sentence de votre cruelle  mort! La première de vos oeuvres serait d'un prix   surabondant pour satisfaire à leurs péchés. Oh! si  la justice du Père éternel se contentait de cela, et  que la mort et les tourments me fussent réservés à  moi ! Vous avez pris de mon sang et de ma propre  substance un corps, sans lequel vous, qui êtes

 

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Dieu impassible et immortel, ne pourriez pas souffrir. Que si je vous ai fourni l'instrument ou le  sujet des douleurs, il est bien raisonnable que je souffre aussi la même mort avec vous. O cruel  péché! ô chute lamentable et cause de tant de  maux ! ô homme! comment as-tu mérité un si  grand bonheur, que d'avoir pour ton restaurateur. Celui qui, étant le souverain bien, a pu te rendre heureux dans ton infortune? O mon très-doux Fils  et les délices de mon âme ! qui pourrait vous servir  de rempart et de défense contre vos ennemis? Oh! si c'était la volonté du Père que je vous préservasse de la mort, ou que je mourusse en votre compagnie et que je ne la perdisse jamais ! Mais il n'arrivera pas ce qui arriva au patriarche Abraham (1), parce que ce qui est déterminé sera exécuté. Que la volonté du Seigneur soit accomplie. n Notre Reine

redoublait souvent ces soupirs amoureux, ainsi qu'on le verra dans la suite , le Père Éternel les recevant comme un sacrifice agréable, tandis que le Fils en faisait le sujet de ses délices.

 

Instruction que notre auguste Reine me donna.

 

155. Ma fille, puisque par la foi et parla lumière divine vous êtes parvenue à la connaissance de la grandeur

 

(1) Gen., XXII, 11 et 12.

 

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de Dieu et de la bonté ineffable qu'il a témoignée en descendant du ciel pour vous et pour tous les mortels, tâchez de ne pas recevoir en vain ces bienfaits. Adorez son infinie Majesté avec un profond respect, et louez-la pour ce que vous connaissez de sa clémence inépuisable. Faites fructifier la lumière et la grâce que vous avez reçues (1) , que ce que mon très-saint Fils et moi avons fait vous serve d'exemple, imitez-le comme je l'ai imité , ainsi que vous l'avez appris, puisque étant , lui Dieu véritable, et moi sa Mère (car en tant qui homme sa très-sainte humanité était créée), nous reconnûmes notre être humain, nous nous abaissâmes et nous glorifiâmes la Divinité au delà de tout ce que les créatures peuvent concevoir. Vous devez offrir ce respect et ce culte à Dieu en tout temps et en tout lieu; mais plus particulièrement lorsque vous recevez le Seigneur lui-même sous les espèces eucharistiques. Dans cet admirable sacrement, la divinité et l'humanité de mon très-saint Fils viennent en vous et s'y trouvent d'une nouvelle manière qui est incompréhensible, et il y manifeste la magnificence de sa bonté trop méconnue et trop outragée des mortels, qui ne songent pas au retour dont ils devraient payer un si excessif amour.

156. Unissez donc à votre reconnaissance toute l'humilité et tout le respect dont vous serez capable, puisque tout ce que vous pourrez faire sera toujours au-dessous de ce que vous devez, et de ce que Dieu mérite.

 

(1) II Cor., VI, 6.

 

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Et afin de suppléer autant que possible à votre insuffisance, vous offrirez ce que mon très-saint Fils et moi avons fait, unissant votre esprit avec celui de l'Église triomphante et militante; et dans cet esprit vous demanderez que toutes les nations, fût-ce aux dépens de votre propre vie, connaissent, glorifient et adorent leur véritable Dieu humanisé pour tous. Vous devez aussi le remercier des faveurs qu'il a faites, et qu'il fait à tous ceux qui le connaissent et qui l'ignorent, et à tous ceux qui le confessent et qui le nient. Et surtout je veux, ma très-chère fille, que vous fassiez une chose qui sera fort agréable au Seigneur et à moi: c'est que vous vous affligiez et que vous gémissiez avec une charitable tristesse de la grossièreté, de l'ignorance, de la paresse des enfants des hommes, du danger où ils se trouvent, et de l'ingratitude des fidèles enfants de l'Église, qui, ayant reçu la lumière de la foi divine, vivent intérieurement dans un tel oubli de ces oeuvres et de ces bienfaits de l'incarnation, et de Dieu même, qu'il semble qu'ils ne se distinguent des infidèles que par quelques cérémonies extérieures, qu'ils font sans esprit et sans aucun sentiment de dévotion, offensant et provoquant par là bien souvent la divine justice qu'ils devraient apaiser.

157. Ils tombent dans cette ignorance et dans ce désordre parce qu'ils ne se disposent point à acquérir la véritable science du Très-Haut ; ils méritent aussi que la divine lumière s'éloigne d'eux et qu'elle les laisse à la merci de leurs épaisses ténèbres, de sorte

 

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qu'ils se rendent plus indignes que les infidèles, et s'attirent une punition beaucoup plus grande. Affligez-vous de la perte si considérable que fait votre prochain, et demandez-en le remède du plus profond de votre coeur. Que si vous voulez vous mettre de plus en plus à l'abri d'un danger si formidable, vous ne devez pas refuser, sous prétexte d'humilité, les faveurs que le Seigneur vous fait, ni mépriser et oublier ses bienfaits. Souvenez-vous qu'il y a très-longtemps que la grâce du Très-Haut vous appelle. Considérez qu'il vous a attendue dans vos retardements, qu'il vous a consolée dans vos doutes, qu'il a apaisé vos craintes, qu'il a dissimulé et pardonné vos fautes, et qu'il vous a si fort comblée de faveurs et de caresses, que vous devez, ma fille, avouer sincèrement, et être assurée que le Seigneur n'en a point fait de semblables à nulle autre nation, et que vous les avez reçues lorsque vous étiez plus pauvre et plus inutile que les autres. Cela étant, vous les devez surpasser en reconnaissance.

 

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CHAPITRE XIII. Qui déclare l’état où se trouva la très-sainte Vierge après l'incarnation du Verbe dans son sein virginal.

 

158. Plus je découvre les divins effets et les dispositions admirables qui se trouvèrent en la Reine du ciel après avoir conçu le Verbe éternel, plus je rencontre de difficultés pour continuer cet ouvrage, parce que je me trouve abîmée dans de très-profonds mystères, et je n'ai que des termes fort inférieurs à ce que j'en conçois. Mais mon âme ressent une telle douceur dans cette même insuffisance, que je ne saurais me repentir d'avoir commencé une chose qui me paraîtrait impossible si l'obéissance ne m'animait, et même ne me forçait de chercher à vaincre les obstacles qu'un courage faible comme le mien ne saurait braver, et à expliquer des choses que ne comporte point notre langage, principalement dans le présent chapitre, où je découvre les excellences qui sont renfermées dans la dot des bienheureux. le m'en servirai comme d'un exemple pour exprimer ce que je conçois de l'état où se trouva l'auguste Marie après qu'elle fut devenue Mère de Dieu

159. Je considère dans les bienheureux deux choses

 

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qui font à mon sujet : l'une de leur côté, l'autre du côté de Dieu. Du côté du Seigneur, il y a la divinité qui se manifeste clairement avec toutes ses perfections et tous ses attributs, et c'est ce qu'on appelle objet béatifique, gloire, félicité objective, dernière fin où toutes choses aboutissent et trouvent leur repos. Du côté des saints se rencontrent les opérations béatifiques de la vision et de l'amour, et plusieurs autres qui les accompagnent dans ce très-heureux état, que l'oeil n'a point vu, que l'oreille n'a point entendu, et que le coeur de l'homme n'a point conçu (1). Parmi les dons et les effets de cette gloire dont les saints jouissent, il y en a quelques-uns qu'on pourrait appeler dotant, et ils les reçoivent comme autant d'épouses pour l'état du mariage spirituel, qu'ils doivent consommer dans la jouissance de la félicité éternelle. Or, comme l'épouse temporelle acquiert la propriété de sa dot, sauf à en laisser l'usufruit commun entre elle et l'époux; de même les saints reçoivent dans la gloire cette dot comme propre, et l'usufruit est commun à Dieu en tant qu'il se glorifie en ses saints, et à eux en tant qu'ils jouissent de ces dons ineffables, qui sont plus ou moins excellents, selon le mérite et la dignité de chacun. Mais sous ce titre de dot, il n’y a que les bienheureux qui les reçoivent, comme appartenant à la même nature que l'Époux, c'est-à-dire notre Seigneur Jésus-Christ. Les anges ne sont pas proprement dotés; car le Verbe

 

(1) Isa., LXIV, 4 ; I Cor., II, 9.

 

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incarné ne fit pas avec eut les mêmes épousailles qu'il célébra avec la nature humaine en s'unissant à elle dans ce grand sacrement, grand en Jésus-Christ et en l'Église, suivant l'expression de l'Apôtre (1): Ce divin Époux, en tant qu'homme, a une âme et un corps comme les autres, et tous les deux doivent être glorifiés en sa présence; c'est pour cette raison que la dot de la gloire appartient à l'âme et du corps. Cette dot renferme trois excellentes perfections, qui regardent l'âme, et que l'on appelle vision, acquisition de la gloire, ou compréhension et jouissance de cette même gloire; et quatre autres qui concernent le corps, à savoir, la clarté, l'impassibilité, la subtilité et l'agilité. Ces quatre dernières sont proprement des effets de la gloire dont l'âme jouit.

160. Notre Reine participa pendant sa lié à toutes les excellences que cette dot renferme, surtout après l'incarnation du Verbe dans son sein virginal. Mais tandis que les bienheureux, élevés à la compréhension, reçoivent cette dot comme un gage infaillible de là félicité éternelle qu'ils ne doivent jamais perdre (et c'est pour cette raison que les voyageurs ne la reçoivent pas), la très-pure Marie l'obtint, non point comme les compréhenseurs, mais comme les pèlerins de la terre; elle ne jouissait donc pas toujours de ces dons merveilleux, mais seulement par intervalles et avec la différence que nous dirons. Afin de mieux comprendre la manière dont notre auguste Reine profitait de ce rare

 

(1) Ephes., V, 32.

 

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bienfait, on doit se souvenir de ce que noms avons rapporté au chapitre septième et dans la autres jusqu’à celui de l'incarnation; c'est là que nous parlons des préparatifs que fit et da fiançailles que le Très-Haut contracta avec sa très-sainte Mère, avant de l'élever à la plus sublime dignité. Le jour où le Verbe prit chair humaine dans son sein virginal, ce mariage spirituel fut en quelque sorte consommé à l'égard de cette divine Dame par la vision béatifique et par tant d'excellentes qualités qu'elle reçut en ce jour, ainsi que nous avons dit : bien qu à l’égard de tous les autres fidèles ce fût comme le jour des épousailles, qui se consommeront dans la patrie céleste (1).

161. Notre grande Reine avait un autre avantage qui la disposait à recevoir ce privilèges : c’est qu'absolument exempte de tout péché actuel et originel, elle était confirmée en grâce par une impeccabilité permanente : dans cette position exceptionnelle elle était capable de célébrer ce mariage au nom de l'Église militante, et de donner sa parole pour tous les hommes, afin de recevoir les prémices des mérites futurs du Rédempteur su moment même où elle devint sa Mère, et de pouvoir, à la suite de cette gloire et de cette vision passagères, garantir que la même récompense serait accordée à tous les enfants d'Adam, s'ils se disposaient à la recevoir avec le secours de leur Restaurateur. C'était aussi un grand sujet de complaisance pour le Verbe humanisé, de voir que son très-ardent

 

(1) Os., II,19.

 

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amour et ses mérites infinis produisissent incontinent leurs effets en rêne qui était à la fois sa Mère, sa première Épouse et le temple de .la Divinité, et que la récompense suivit le mérite où il ne se trouvait aucun empêchement. Notre Seigneur Jésus-Christ satisfaisait en partie par ces faveurs, qu'il accordait à sa très-sainte Mère, l'amour qu'il lui portait, et celui qu'il témoignait en elle avoir pour tous les mortels : car c'était, pour l'amour de cet adorable Seigneur, un trop long temps que d'attendre trente-trois ans pour manifester sa divinité à sa propre Mère. Et, bien qu'il lutent fait cette faveur en d'autres circonstances (ainsi que nous l'avons dit dans la première partie), néanmoins elle la reçut cette fois dans des conditions différentes, en rapport avec la gloire que reçut elle-même l'âme de son très-saint Fils, encore pourtant d'une manière transitoire, et autant que le comportait son état commun de voyageuse.

162. Suivant ce que nous venons de dire, le jour où la très-pure Marie prit possession de la royale maternité du Verbe éternel en le concevant dans son sein, Dieu nous donna droit sur notre rédemption dans les épousailles qu'il y célébra avec notre nature, et dans la consommation de ce mariage spirituel qu il y fit en béatifiant sa très-sainte Mère, et en lui donnant les excellences de la gloire pour dot; il nous promit la même chose pour récompense de nos mérites, et en vertu de ceux de son très-saint Fils notre Restaurateur. Mais dans le bienfait que le Seigneur fit ce jour-là à sa Mère, il l'éleva si fort au-dessus de toute la

 

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gloire des saints, que tous les anges et les hommes ensemble ne purent arriver, en ce que leur vision et leur amour béatifique ont de plus sublime, au suprême degré de cette divine Dame : il en fut de même pour les excellences, qui rejaillissent sur le corps par l'abondance de la gloire de l’âme; parce que le tout répondait à son innocence, à sa sainteté et à ses mérites, et ceux-ci à la suprême dignité qu'elle avait parmi les créatures d'être Mère de son Créateur.

163. Pour entrer dans le détail des excellences de cette dot, il faut présupposer que la première dont l'âme est enrichie est la vision béatifique, qui est comme la contre-partie de la connaissance obscure de la foi chez les voyageurs du temps. L'auguste Marie obtint cette vision dans les circonstances et aux degrés que j'ai rapportés et que je rapporterai par la suite. Outre cette vision intuitive de la Divinité, elle en eut plusieurs autres abstractives dont j'ai déjà parlé. Et, bien qu'elle ne les eût que comme en passant ou par intervalles, il en resta néanmoins dans son entendement des impressions si claires, quoique diverses, qu'elles lui permettaient de jouir des plus vives lumières et d'une connaissance sublime de la Divinité, au point que je ne trouve point de termes pour l'expliquer: car en cela cette très-sainte Dame fut exceptionnelle entre toutes les créatures; ainsi l'effet de cette excellente perfection se trouvait toujours en elle, autant que le comportait son état de voyageuse. Et lorsque le Seigneur, comme il arrivait quelquefois, se cachait à elle en lui suspendant, pour des fins particulières,

 

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l'usage de ces espèces, elle se servait de la seule foi infuse, qui était en elle très-excellente et très-efficace. De sorte que, de quelque manière que ce fût, elle ne perdit jamais de vue cet objet divin et ce souverain bien, elle n'en détourna jamais un seul instant les yeux de son âme; mais elle jouit beaucoup plus de la vue et des caresses de la Divinité pendant les neuf mois qu'elle eut le Verbe humanisé dans son sein.

164. La seconde perfection dont l'âme est dotée est l'acquisition de la gloire, que les théologiens appellent compréhension; elle consiste à être parvenu à la fin à laquelle tend l'espérance, et que nous cherchons, par son moyen, jusqu'à ce que nous la possédions sans crainte de la perdre. La très-sainte Vierge eut cette possession d'une manière correspondante aux visions dont nous avons parlé, parce que, comme elle voyait la Divinité, elle la possédait. Et lorsqu'elle se trouvait dans la seule foi, l'espérance était en elle plus ferme qu'elle ne fut et ne sera en aucune autre simple créature, comme aussi plus grande était sa foi. Comme d'ailleurs la sécurité de la possession consiste surtout, pour la créature, dans la certitude de la sainteté et dans l'impeccabilité, notre divine Dame était si privilégiée à cet égard, que la sécurité imperturbable avec laquelle, quoique encore voyageuse, elle possédait Dieu, égalait en quelque façon celle des bienheureux, parce que, du côté de la sainteté innocente et incapable de pécher, elle était assurée de ne pouvoir jamais perdre Dieu : seulement la cause de cette assurance n'était pas la même en elle, qui était voyageuse, qu'en

 

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ceux qui jouissent de la gloire. Pendant les neuf mois de sa grossesse, elle eut cette possession de Dieu par diverses sortes de grâces singulières et admirables, par le moyen desquelles le Très Haut se manifestait et s'unissait à son âme très-pure.

165. La troisième excellence de l'âme bienheureuse est la jouissance du souverain bien; elle répond à la charité qui ne cesse point dans la gloire (1), mais qui s'y perfectionne, parce que cette jouissance consiste à aimer le bien qu'on possède, et c'est ce que la charité fait dans la patrie céleste, où ainsi qu'elle le connaît et qu'elle en jouit comme il est en lui-même, ainsi elle, l'aime pour lui-même. Et quoique nous l'aimions aussi pour lui-même et dans l'état de voyageurs, la différence y est pourtant bien grande, parce que présentement nous l'aimons en le désirant, et nous le connaissons non tel qu'il est, mais sous des espèces étrangères ou à travers des énigmes (2). Ainsi cette manière de l'aimer et de le connaître ne perfectionne pas notre amour; elle ne remplit point nos désirs et elle ne nous donne pas la plénitude de la joie, bien que nous en ayons beaucoup en l'aimant. Mais dans sa claire vision et dans sa possession, nous le verrons comme il est en lui-même et par lui-même, et non point par énigmes (3) ; c'est pourquoi nous l'aimerons comme il doit être aimé, et autant que nous pouvons l'aimer selon notre capacité; notre amour sera

 

(1) I Cor., XIII, 3. — (2) Ibid. 12. — (3) I Joan., III, 2 ; Ps. XVI, 15.

 

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perfectionné et nos désirs entièrement satisfaits par cette heureuse possession.

166. La sainte vierge fut en quelque sorte plus largement pourvue de ce don gaie de tous les autres; car sous plusieurs rapports excellents, son très-ardent amour était supérieur à celui des bienheureux, même dans son état ordinaire, quoiqu'il pût lui être inférieur quand elle ne jouissait point de la vision claire de la Divinité. Personne n'eut la science des choses divines au point où l'eut cette auguste Dame; elle connut par son moyen comment Dieu devait être aimé pour lui-même, et cette science se servait des espèces et du souvenir de la mime Divinité, qu'elle avait vue de plus près que les anges. Et comme son amour était proportionné à cette connaissance de Dieu, il fallait qu'elle surpassât aussi les bienheureux en amour, en tant qu'il ne supposait pas là possession immédiate et cet état où il ne peut plus ni croître ni augmenter. Que  si le Seigneur permettait, pour favoriser sa très-profonde humilité, qu'en agissant dans les conditions des voyageurs, elle conservât le respect et la crainte et se préoccupât constamment du soin de ne point déplaire à son bien-aimé, cet amour inquiet n'en était pas moins très-parfait et nu sujet de complaisance pour Dieu, en même temps qu'il la pénétrait d'une joie ineffable et la remplissait de délices qui répondaient à la nature et à l'excellence de ce même. amour divin dont elle était embrasée.

167. Pour ce qui regarde les dons du corps qui lui

 

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viennent de la gloire et des excellentes perfections de l'âme, et qui font une partie de la gloire accidentelle des bienheureux , je dis qu'ils servent pour la perfection des corps glorieux en leurs sens et dans leurs mouvements, afin qu'ils deviennent semblables aux âmes en tout ce qui est possible, et que sans être empêchés de leur matière terrestre, ils soient disposés à obéir à la volonté des saints , qui dans ce très-heureux état ne peut pas être imparfaite ni contraire à celle de Dieu. Ils ont besoin de deux dons pour leurs sens, l'un qui les dispose à recevoir les espèces sensibles, et c'est ce que le don de clarté perfectionne; l'autre qui préserve le corps de l'atteinte des choses extérieures ou des passions nuisibles et corruptrices, et l'impassibilité sert à cela. D'autres dons sont nécessaires pour le mouvement du corps ; l'un pour vaincre la résistance ou le retardement du côté de sa propre pesanteur, et à cet effet il est doué de l'agilité; l'autre pour surmonter la résistance étrangère des autres corps, et c'est ce qu'il fait au moyen de la subtilité. Avec ces dons, les corps glorieux deviennent clairs, incorruptibles, agiles et subtils.

168. Notre grande Reine fut partagée pendant cette vie de tous ces privilèges. Comme le don de clarté rend le corps glorieux , susceptible à la fois de recevoir et de réfléchir la lumière, et plus transparent que le cristal, en lui ôtant son obscure opacité, le corps virginal de la très-pure Marie, lorsqu'elle jouissait de la claire vision béatifique, participait à ce privilège au delà de tout ce que l'entendement humain

 

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peut concevoir. Il lui restait après ces visions un certain reflet de cette. clarté : que si les yeux l'eussent pu apercevoir, c'eût  ; été un sujet d'une admiration bien grande. On en découvrait quelque chose en son très-beau visage, combe je le dirai plus loin, surtout dans la troisième, partie, bien que ceux qui la fréquentaient ne s'en aperçussent pas tous, parce que le Seigneur suspendait l'action de ce rayonnement, afin que par son intermittence il ne frappât point indifféremment toutes sortes de personnes. Mais elle ressentait par plusieurs effets le privilège de ce don qui était caché aux autres, et elle n'éprouvait point l'embarras de l'opacité matérielle que nous rencontrons dans cette vie mortelle.

169. Sainte Élisabeth remarqua cette clarté, lorsque, voyant l'auguste Marie, elle s'écria avec admiration : « D'où me vient ce bonheur, que la Mère  de mon Créateur me visite (1)? n Le monde n'était, pas capable de connaître ce mystère du grand Roi, et le temps n'était pas convenable pour le manifester; mais le visage de la sainte Vierge avait toujours un certain éclat qu'on ne découvrait pas chez les autres créatures; elle avait en tout le reste de sa personne une disposition qui était au-dessus de l'ordre naturel des autres corps, et qui lui donnait une complexion très-délicate et comme spiritualisée, ainsi qu'un cristal animé, qui n'a rien de rude au sens; et cette complexion était si admirable, que je ne trouve point

 

(1) Luc., I, 43

 

d'exemple ici-bas pour la faire comprendre. Et qu’on ne soit pas surpris de ce que je dis de la Mère de Dieu , de celle qui le portait dans son sein et qui rayait vu plusieurs fois face à face, puisque les Hébreux ne pouvaient regarder Moïse en face, ni supporter l'éclat qui rejaillissait de sa personne lorsqu'il descendit de la montagne après l’entretien qu'il y eut avec Dieu (1), et qui était de beaucoup inférieur à celui de notre divine Dame. Il est certain que si le .

seigneur n'est caché et voilé par une providence: particulière la clarté que le visage et: le corps de sa très-pure Mère étaient capables d'envoyer, le monde en eût reçu plus e lumière que de mille soleils réunis; aucun mortel n'eût  pu naturellement supporter ses éblouissantes splendeurs, puisque su moment même où elles étaient cachées et retenues, il sortait encore de son visage de divins éclairs assez brillants pour causer en tous ceux qui la regardaient l'effet qu'éprouva saint Denis l'aréopagite quand il la vit.

170. L'impassibilité donne an corps glorieux une disposition par suite de laquelle aucun agent, excepté Dieu, ne le peut altérer, quelque forte et puissante que soit son action. Notre Reine participa à ce privilège en deux manières; l'une en ce qui regardait le. tempérament du corps et des humeurs, parce qu'elle les eut si bien réglées , qu'elle ne pouvait contracter ni souffrir les maladies, ni les autres incommodités humaines qui naissent de leur inégalité, et par cet

 

(1) Exod., XXXIV, 19 et 30; II Cor., III,7.

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endroit elle était presque impassible. L'astre , à cause de l'empire absolu qu'elle avait sur toutes les créatures, comme nous l'avons déjà dit; car aucune ne l'eût offensée sans son consentement. Nous pouvons ajouter une autre troisième participation à l'impassibilité qui fut une assistance de la vertu divine en rapport avec son innocence. Et nos premiers parent, n'eussent point souffert dans le paradis de mort violente, s'ils eussent persévéré dans la justice originelle; il est vrai qu'ils n'eussent pas joui de ce privilège par une vertu propre qu'on appelle intrinsèque ou inhérente (car s'ils eussent été blessés, ils eussent pu mourir de la blessure); mais par une assistance spéciale du Seigneur, qui les eût préservés d'être blessés : cette protection était due à bien plus de titres à l'innocence de l'incomparable Marie; ainsi elle en jouissait comme Reine et Maîtresse; et nos premiers parents n'eurent ce privilège, et leurs descendants ne l'eussent eu, que comme serviteurs et sujets.

171. Notre humble Princesse n'usa point de ces privilèges, parce qu'elle y renonça, à l'imitation de son très-saint Fils, pour mériter et pour coopérer à notre rédemption, voulant bien souffrir pour ce sujet des peines qui surpassaient celles des martyrs. On ne saurait en exprimer la grandeur dans le langage des hommes; nous en dirons quelque chose en divers endroits de cette histoire, attendu qu'il n'est pas possible de les raconter toutes, à cause de l'insuffisance des termes que nous sommes réduits à employer. Mais

 

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on doit remarquer deux choses. C'est d'abord que les souffrances de notre ,Reine n'avaient nulle relation aux, propres péchés, puisqu'elle n'en avait point; ainsi elle souffrait sans ressentir l'amertume qui se trouve renfermée dans les peines que nous souffrons par la mémoire et la considération de nos propres crimes, comme étant les sujets qui les avons commis. C'est ensuite que la très-sainte Vierge fut divinement fortifiée dans ses souffrances, dans la mesuré de son très-ardent amouri ; car naturellement elle n'eût pu supporter tontes les peines que lai fuirait demander son amour, et c'est à cause de ce thème amour que le Très-Haut l'exauçait.

172. La subtilité est un privilège qui affranchit et quelque sorte le corps glorieux des lois de la densité; et qui supprime l'obstacle que la matérialité de son volume opposerait à ce qu'il put pénétrer un autre corps semblable à lui et occuper le même point de l'espace; ainsi le corps subtilisé du bienheureux est loué des qualités de l'esprit, qui peut sans difficulté pénétrer les corps d'une configuration déterminée, et se met dans la même place qu'ils occupent, sans les diviser ni les éloigner, comme le corps de notre Seigneur Jésus-Christ le fit lorsqu'il sortit du sépulcre (1) et qu'il entra, les portes fermées, dans l'appartement où étaient les apôtres (2), pénétrant les corps qui fermaient ces endroits. La très-sainte Vierge participa à ce don, non-seulement dans les diverses fois

 

(1) Matth., XXVIII, 2. — (2) Joan., XX, 19

 

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qu'elle jouissait de la vision béatifique, mais elle l'eut après comme à sa disposition, pour en user en plusieurs rencontres, comme il lui arriva dans quelques apparitions qu'elle fit corporellement pendant sa vie, ainsi que nous le dirons dans, la suite, parce qu'elle. usa en toutes de cette subtilité au moyen de laquelle elle pénétra plusieurs autres corps.

173. La dernière excellence de la dot des bienheureux est l'agilité, faculté de se mouvoir d'un lieu à un autre, si puissante dans le corps glorieux, que, sans nul empêchement de la pesanteur terrestre, il peut instantanément se transporter en divers endroits, à la manière des esprit.%, qui, n'ayant point de corps, se meuvent par leur propre volonté. La très-pure Marie eut une admirable et une continuelle participation à cette agilité, qui lui vint spécialement des visions divines dont elle fut favorisée : car elle ne ressentait point en son corps la pesanteur terrestre que nous éprouvons; ainsi elle marchait sans le retardement qui nous est ordinaire, et il lui eût été facile de se mouvoir avec une très-grande vitesse sans s'exposer comme nous à la lassitude et à la fatigue. Tout cela résultait de l'état et des conditions physiologiques de son corps, qui était tout spiritualisé et merveilleusement constitué. Pendant les neuf mois de sa grossesse, elle sentit moins cette pesanteur corporelle, bien que pour souffrir à son gré elle se mit dans des embarras et des occupations propres à la fatiguer. Enfin, elle avait tous ces privilèges, et: elle en usait d'une manière si admirable et si parfaite, que

 

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je ne trouve point de paroles pour dépeindre ce qui m'a été montré : car cela surpasse tout ce que j'en ai dit et tout ce que j'en puis dire.

174. Reine du ciel, ma divine Dame, après que vous eûtes la bonté de m'adopter pour tille, vous me promîtes d'être ma guide et ma maîtresse. Et dans cette confiance j'ose bien vous proposer un doute oh je me trouve : Comment se pouvait-il faire, ma Mère et ma Gouvernante, que votre dîne très-sainte ayant vu Dieu et joui de sa divine présence toutes les fois que sa suprême Majesté le voulut, vous n'eussiez pas toujours l'état des bienheureux ? Et comment ne disons-nous pas que vous l'eûtes toujours pendant votre vie mortelle, puisqu'il n'y avait nul péché en vous ni aucun autre empêchement qui pût vous en priver, suivant la notion qui m'a été donnée de votre excellente dignité et de votre sainteté incomparable?

 

Réponse et instruction de notre Reine.

 

175. Vous doutez, ma très-chère fille, comme celle qui m'aime, et vous m'interrogez comme celle qui ignore. Sachez donc que la perpétuité est un des caractères de la félicité réservée aux saints, car elle doit être absolument parfaite, et si elle eût été temporaire, il lai eût manqué la plénitude, la consommation nécessaire pour être une souveraine félicité.

 

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Quand même une créature serait exempte de péché, il n est pas compatible avec la loi commune et ordinaire qu'elle soit en même temps glorieuse et sujette aux souffrances. Que si mon très-saint Fils a fait exception à cette règle, ce fut parce qu'étant homme et Dieu véritable, son âme très-sainte unie hypostatiquement à la Divinité ne devait pas être privée de la vision béatifique (1) , et étant en même temps Rédempteur du genre humain, il n'eût pas pu souffrir ni payer la dette du péché (qui est la peine), s'il n'eût été passible en son corps. Mais pour moi, simple créature i je ne devais pas jouir toujours de la vision due à celui qui était Dieu. On ne pouvait pas dire non plus que je fusse toujours dans l'état des bienheureux, parce que je n'y étais qu'en passant. Dans ces conditions, il était tout à fait convenable que, tantôt je jouisse, tantôt je souffrisse, et que le temps auquel je souffrais et méritais fût plus long que celui auquel je jouissais, attendu que je vivais parmi les voyageurs, et non point encore parmi les compréhenseurs.

176. Le Très-Haut a disposé par une loi très-juste qu'on ne jouirait point dans la vie mortelle des conditions de la vie éternelle (2), et que l'on parviendrait à l'immortalité en passant par la mort corporelle, après avoir préalablement mérité dans l'état passible, qui est celui de la vie présente des hommes. Et bien

 

(1) Joan., IV, 12 ; Joan., I, 18; I Tim., VI, 16; Joan., VI, 46. — (2) Exod., XXXIII, 20.

 

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que la mort que subissent tous les enfants d'Adam soit le salaire et la punition du péché (1), et qu'à ce titre je n'eusse aucune part à la mort, ni aux autres effets ou peines du péché, néanmoins le Très-Haut ordonna que moi aussi j'entrerais dans la vie et dans la félicité éternelle par le milieu de la mort corporelle , comme mon très-saint Fils (2), parce qu'en cela il n'y avait nul inconvénient pour moi : au contraire je trouvais plusieurs avantages en suivant le chemin royal de tous, et en acquérant les grands fruits des mérites et la gloire par le moyen des souffrances et de la mort. Cela procurait en outre aux hommes l'avantage de mieux connaître que mon très-saint Fils et moi, qui étais sa Mère, étions de la véritable nature humaine, comme les autres, puisque nous étions mortels comme eux. Par cette connaissance l'exemple que nous laissions aux hommes était plus efficace pour imiter en leur chair passible les oeuvres que nous avions faites en cette même chair : ainsi tout tournait à la plus grande gloire et à l'exaltation de mon Fils, mon Seigneur, et à la mienne. Une grande partie de ces effets n'aurait pas réussi, si les visions de la Divinité m'eussent été continuelles. Après que j'eus conçu le Verbe éternel, elles devinrent pourtant plus fréquentes, comme plus grands les bienfaits et les faveurs que j'en reçus: c'est qu'il m'était plus propre et plus proche. Voilà la réponse à votre doute. Soyez persuadée que tout ce que vous avez pu concevoir de

 

(1) Rom., VI, 23. — (2) Luc., XXIV, 26.

 

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grand, touchant les privilèges et les effets dont je jouissais pendant la vie mortelle, et tout ce que vous en avez pu dire ne saurait égaler ce que le puissant bras du Très-Haut opérait en moi. Et autant vos conceptions seront au-dessous de la réalité, autant vos expressions humaines seront au-dessous de vos propres conceptions.

177. Donnez maintenant votre attention à la doctrine qui complète celle que je vous si enseignée dans les chapitres précédents. Si je fus le modèle qu'on doit suivre lorsque j'accueillis Dieu, qui venait visiter les âmes et le monde, avec le respect, la dévotion, l'humilité, la reconnaissance et l'amour qu'on lui doit, il s'ensuivra que si vous et les autres âmes le faites à mon imitation, le Très-Haut viendra à vous pour vous communiquer et opérer de divins effets, comme il le fit en moi, quoiqu'ils soient inférieurs et moins efficaces en vous, aussi bien que dans les autres. Parce que si la créature commençait d'aller à Dieu, comme elle le doit, dès qu'elle a l'usage de la raison (1) y en dirigeant ses pas dans les voies droites du salut et de la vie, sa divine Majesté, qui aime ses ouvrages, viendrait à sa rencontre, la prévenant de ses faveurs et de sa communication (2) : car la fin de la vie présente lui parait un terme trop long à attendre pour se manifester à ses amis.

178. Il arrive de là que les âmes puisent dans la pratique de la foi, de l'espérance et de la charité; et

 

(1) Sap., VI, 15. — (2) Ibid., 14.

 

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dans l'usage des sacrements dignement reçus, beaucoup de divins effets que sa bonté infinie leur communique , aux uns par les procédés communs de la grâce, aux autres dans un ordre plus surnaturel et plein de miracles, chacun en obtenant plus ou moins suivant ses dispositions et suivant les desseins du Seigneur, que l'on ne découvre pas toujours pendant la vie présente. Et si toutes les âmes ne mettaient point d'empêchement de leur côté, l'amour divin serait aussi libéral envers toutes qu'il l'est envers quelques-unes qui s'y disposent , auxquelles il donne une plus grande lumière et une connaissance plus étendue de son être immuable, qu'il attire en lui-même par une douce et puissante influence , auxquelles enfin il fait éprouver plusieurs effets de la béatitude, parce qu'il se laisse prendre par ce secret embrassement dont jouit l’Épouse lorsqu'elle dit après avoir trouvé son bien-aimé : Je l’ai saisi, et je ne le laisserai point aller (1). Par cette présence et cette possession, le Seigneur donne à une âme sainte plusieurs gages et de tendres marques de son amitié, afin qu'elle le possède dans un amour tranquille comme les bienheureux, quoique ce ne soit que pour un temps limité. Telle est la grandeur de la libéralité de notre Dieu et Seigneur à récompenser les affections d'amour, et les peines que la créature se donne pour lui être agréable, pour se conserver dans sa grâce et pour ne le point perdre.

179. Par cette douce violence la créature meurt à

 

(1)  Cant., III, 4.

 

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tout ce qui est terrestre; c'est pour ce sujet que l'amour est appelé fort comme la mort (1). Et elle ressuscite de cette mort à une nouvelle vie spirituelle qui la rend capable de recevoir une nouvelle participation de la béatitude et de ses dons, parce qu'elle jouit plus fréquemment de l'ombre salutaire, et des doux fruits du souverain bien qu'elle aime (2). Il résulte de ces mystères cachés que la partie inférieure et animale est elle-même éclairée d'une lumière nouvelle, qui, la purifiant des effets des. ténèbres spirituelles, la rend forte et comme impassible pour braver tout ce qui est contraire à la nature et aux inclinations de la chair. C'est pourquoi elle souhaite avec une ardeur extrême toutes les difficultés et les violences au moyen desquelles on force le royaume du ciel (3); elle se trouve agile et dégagée du poids de la matière, de sorts que le corps même, qui est de sa nature pesant, profite parfois du don d'agilité; alors les peines qui lui paraissaient auparavant insupportables, lui deviennent légères. Vous connaissez, ma fille, et vous avez expérimenté tous ces effets; je vous les rappelle et vous les explique, afin que vous vous disposiez et conduisiez d'une manière telle, que le Très-Haut, cet agent divin et puissant, puisse opérer en vous selon son bon plaisir, comme en une matière toute préparée , souple et molle à la main de l'ouvrier.

 

(1) Cant., VIII, 6. — (2) Cant., III, 2. — (3) Matth., XI,12.

 

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CHAPITRE XIV. Des soins que la très-sainte Vierge prenait de sa grossesse, et de plusieurs choses qui lui arrivèrent pendant ce temps.

 

180. Notre Reine ne fut pas plutôt sortie de cette extase, qui lui arriva au moment de la conception du Verbe incarné, qu'elle se prosterna à terre, et l'adora dans son sein comme nous avons dit au chapitre XIIe, paragraphe 152. Elle continua cette adoration pendant toute sa vie, la commençant chaque jour à minuit; elle y faisait pour l'ordinaire plus de trois cents génuflexions quand elle se trouvait libre, mais surtout pendant les neuf mois de sa divine grossesse. Elle demanda plus instamment que jamais la grâce de rem plia entièrement les obligations que lui imposait le Père éternel en logeant l'Hôte céleste dans son sein virginal, et de garder soigneusement le trésor inestimable qui venait de lui être confié, sans pourtant manquer aux devoirs de son état. Elle consacra de nouveau à ce but son âme très-sainte et ses puissances; exerçant tous les actes des vertus dans un degré si héroïque et si sublime, qu'elle causait une nouvelle admiration aux anges mêmes. Elle dédia, aussi toutes ses actions corporelles au service de l'Enfant-Dieu,

 

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qu'elle portait dans son sacré corps. Soit qu’elle mangeât, soit qu'elle dormît, soit qu'elle travaillât, soit qu'elle se reposât, elle ne visait, toujours enflammée de l'amour divin, qu'à l'entretien et à la conservation de son bien-aimé Fils.

181. Le jour après l'incarnation, les mille anges qui l'assistaient se manifestèrent à elle sous une forme corporelle; ils adorèrent avec une profonde humilité leur Roi humanisé dans le sein de la Mère, ils la reconnurent derechef pour leur Reine et pour leur Maîtresse; et, en lui rendant l'honneur qui lui était du, ils lui dirent: « Vous êtes maintenant, auguste Princesse, la véritable Arche du Testament; vous renfermez conjointement et le Législateur et la Loi (1);  vous gardez la manne du ciel, qui est notre pain  véritable (2). Agréez, divine Reine, nos congratulations à raison de votre dignité; nous exaltons le  Très-Haut, parce qu'il vous a justement élue pour  être sa Mère et son tabernacle (3). Nous nous offrons de nouveau à votre service, prêts à vous obéir  comme sujets et serviteurs du Roi suprême et tout puissant, dont vous êtes la véritable Mère. v Cette offre et ces nouveaux hommages des anges ne firent que redoubler chez la Mère de la sagesse les plus incompréhensibles effets d'humilité, de reconnaissance et d'amour divin. Car ayant dans son coeur très-prudent le poids du sanctuaire pour donner le juste prix à toutes choses, elle put dignement évaluer le culte

 

(1) Deut., X, 5. — (2) Hebr., X, 4; Ps. LXXVII, 26. — (3) Eccles., XXIV, 12.

 

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d'honneur et de soumission que les esprits angéliques lui rendaient comme à leur Souveraine. Et, quoique ce fût une chose bien plus considérable de se voir Mère du Roi et du Seigneur même de tout ce qui est créé, néanmoins toutes ces faveurs et cette même dignité lui étaient plus fortement manifestées par les démonstrations et par les services des anges.

182. Ils s'acquittaient de ces offices comme exécuteurs et ministres de la volonté du Très-Haut (1). Et lorsque notre Reine était seule, ils l'assistaient tous sous une forme corporelle et la servaient dans ses occupations, lui fournissant dans son travail ce qui lui était nécessaire. S'il se trouvait qu'elle mangeât seule, comme il arrivait quelquefois en l'absence de saint Joseph, ils la servaient ù sa pauvre table et en son manger, qui était fort commun. Ils l'accompagnaient partout; et quand elle faisait quelque chose pour saint Joseph, ils lui aidaient. Dans toutes ces faveurs et dans tous ces secours, la divine Dame n'oubliait point de demander sri Seigneur des seigneurs, avant chacune de ses actions, une permission spéciale, et de solliciter sa direction et son assistance. Toutes ses occupations étaient si bien réglées; toutes ses oeuvres si pleines qu'il n'y a que Dieu qui le puisse comprendre et pénétrer.

183. Outre cette pratique ordinaire, tant qu'elle eut le Verbe incarné dans son sein , elle sentit sa présence de diverses manières, qui étaient toutes admirables

 

(1) Hebr., I, 14.

 

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et délicieuses. Bien souvent il se manifestait à elle par des visions abstractives, comme nous avons dit. Quelquefois elle le voyait, elle le contemplait dans son sacré corps, tel qu'il y était, hypostatiquement uni à la nature humaine. D'autres fois elle apercevait l'humanité très-sainte comme au travers d'un très-pur cristal, et cette sorte de vision apportait à notre grande Reine une consolation singulière et une joie incomparable. En d'autres occasions, elle observait que la Divinité envoyait au corps de l'Enfant-Dieu une certaine influence de la gloire de son âme très-sainte, qui lui communiquait par ce moyen des effets des corps glorieux, notamment la clarté et la lumière qui rejaillissaient du corps naturel du Fils sur celui de la Mère par une infusion ineffable et divine. Cette faveur la transformait entièrement en un autre être, enflammant son coeur et y excitant des effets si extraordinaires, qu'il n'est pas possible de les exprimer. Que l'entendement du plus élevé des séraphins s'en approche tant. qu'il pourra, je suis sûre qu'il sera ébloui de cette gloire (1) : parce que cette divine Reine était un ciel intellectuel et animé qui renfermait en abrégé la grandeur et la gloire que l'immensité des cieux ne saurait contenir (2).

184. Ces bienfaits se suivaient les uns les autres, selon les actions de la divine Mère, et selon la diversité de ses opérations, les unes étant spirituelles, les autres corporelles : employant les unes au service de

 

(1) Prov., XXV, 27. — (2) III Reg., VIII, 27.

 

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son Époux, les autres en faveur de son prochain; et tout cela, exécuté par la sagesse d'une mortelle, présentait le plus doux spectacle à Dieu et aux esprits angéliques, et formait à leurs oreilles comme un concert harmonieux. Lorsque par la disposition divine la Reine de l'univers se trouvait le plus dans son état naturel, au milieu de cette variété d'occupations, elle souffrait des langueurs mortelles, causées par la force et par la violence de son amour : car alors elle pouvait véritablement dire ce que Salomon dit pour elle sous le nom de l'Épouse : Fortifiez mon coeur avec l'odeur des fleurs, parce que je languis d'amour (1) ; c'est ainsi que, profondément blessée par cette très-douce flèche, elle était souvent sur le point d'expirer; mais bientôt la main puissante du Très-Haut la fortifiait d'une manière surnaturelle.

185. Il arrivait parfois que, pour lui donner quelque soulagement sensible, plusieurs petits oiseaux venaient la visiter par le commandement du Seigneur; et, comme s'ils eussent connu leur Maîtresse, ils la saluaient en voltigeant autour d'elle et en lui faisant un agréable concert; ils attendaient sa bénédiction pour prendre ensuite congé d'elle. Cela arriva en particulier aussitôt qu'elle eut conçu le Verbe divin, comme si, après que les anges l'eurent félicitée de sa dignité, les chantres de la nature eussent voulu l'en féliciter à leur tour. La Reine des créatures commanda ce jour-là à diverses espèces d'oiseaux qui se trouvaient avec elle

 

(1) Cant., II, 5.

 

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de reconnaître leur Créateur, et de lui chanter des louanges en reconnaissance de l'être qu'ils en avaient reçu et de leur conservation. Ils obéirent incontinent à leur Maîtresse; ils renouvelèrent leur chant, remplissant l'air d'une très-douce harmonie, et voltigeant jusqu'à terre, ils firent la révérence au Créateur et à sa Mère, qui le portait dans son sein. Ils se présentaient souvent à elle avec des fleurs dans leurs becs, et ils les laissaient tomber entre ses mains, attendant ensuite qu'elle leur commandât de chanter ou de se taire, selon sa volonté. Il arrivait aussi qu'ils venaient dans des temps rigoureux se mettre sous la protection de leur divine Maîtresse; elle les recevait avec plaisir, et les nourrissait avec la tendre sollicitude que lui inspirait leur innocence, glorifiant le Créateur de toutes choses en ces petits animaux.

186. Notre ignorance ne doit pas être surprise de ces merveilles; car, quoique l'on puisse estimer petits les sujets où elles s'opéraient, les couvres du Très-Haut sont pourtant toujours grandes et vénérables dans leurs fins : celles de notre très-prudente Reine l'étaient aussi dans les plus petites choses. Trouvera-t-on quelqu'un assez ignorant ou assez téméraire pour ne point comprendre ou pour ne point avouer que la créature raisonnable ne fait qu'un acte de justice lorsqu'elle reconnaît la participation de l'être de Dieu et de ses perfections dans toutes les créatures (1) , où elle doit le chercher et le trouver, le bénir et le proclamer

 

(1) Eccles., XLII, 16.

 

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admirable, puissant, libéral et saint, comme l'auguste , Marie le faisait, sans qu'il y eût  ni tempe, ni lien, ni créature visible qui ne la portassent à cela? Comment ne rougirions-nous pas de notre ingratitude et de notre oubli? Comment est-ce que notre dureté ne serait point attendrie? Comment ne noua enflammerions-nous pu, dans notre tiédeur, en voyant que des créatures privées de raison nous reprennent et nous enseignent que ce n'est que pour l'être qu'elles ont reçu de Dieu qu'elles le louent sans l'offenser jamais, pendant que les hommes, qu'il a faits à son image et à sa ressemblance (1), capables de le connaître et d'en jouir éternellement, l'oublient sans le reconnaître; et s'ils le connaissent, ils l'offensent, sans vouloir ni le louer ni le servir? Il n'y a nul droit de préférer ceux-ci aux bêtes brutes, puisqu'ils en viennent à être pires qu'elles (2).

 

Instruction de la Mère de Dieu.

 

187. Ma fille, vous avez déjà assez reçu de mes instructions pour désirer et tâcher d'acquérir la science divine, que je souhaite fort que vous appreniez, afin que par son secours vous sachiez avec combien de respect vous devez traiter avec Dieu. Je

 

(1) Gen., I, 26. — (2) Ps. XLVIII, 13 et 21.

 

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vous avertis de nouveau que cette science est très-difficile aux mortels, et que peu de personnes la désirent, à cause de leur ignorance, et à leur grand dommage, parce qu'il résulte de là que, quand il leur arrive de traiter avec le Très-Haut de ce qui regarde un service, elles ne font pas de son infinie grandeur an jugement aussi juste qu'elles devraient; elles ne se débarrassent pas non plus des images ténébreuses ni des préoccupations terrestres, qui les rendent désagréables et charnelles, et par conséquent indignes et incapables du commerce magnifique de la Divinité souveraine. Cette ignorance grossière et traîne avec elle un autre désordre : c’est que si elles fréquentent leur prochain, elles se livrent aux actions extérieures sans ordre, sans mesure, sans retenue, perdant entièrement le souvenir de leur Créateur, et elles s'attachent à tout ce qui est terrestre en s'abandonnant à la fougue des plus furieuses passions.

188. Or, je veux, ma très-chère fille, que vous vous éloigniez de ce danger, et que vous appreniez la science qui a pour objet litre immuable de Dieu et ses attributs infinis; vous devez le connaître et vous unir à lui de telle sorte, qu'il n'y ait entre vous et le souverain bien aucune chose créée. Vous devez l'avoir en vue en tout temps, en tout lieu et en toutes vos occupations, sans vous en séparer jamais dans cet intime et saint embrassement de votre coeur (1). Et

 

(1) Cant., III, 4.

 

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afin que vous y parveniez, je vous avertis et je vous commande de le traiter avec magnificence, avec respect et avec crainte. Je veux aussi que vous ayez ciné grande estime et une vénération religieuse pour tout ce qui regarde son culte divin. Surtout, avant que d'entrer en sa présence par l'oraison et par la prière vous devez vous dépouiller de toutes les images sensibles et terrestres. Et parce que la fragilité humaine vous empêche de persister toujours dans la force de l'amour et d'en éprouver constamment les effets avec la même vivacité dans votre corps mortel, vous pouvez vous procurer quelque soulagement honnête, pourvu qu'il soit tel que vous y trouviez toujours Dieu, comme de le louer dans la beauté des cieux et des étoiles, dans la diversité des herbes, dans le riant aspect des campagnes, dans la force des éléments, et singulièrement dans les excellentes perfections de la nature angélique et de la gloire des saints.

159. Mais vous n'oublierez jamais l'avis que je vais vous donner, et vous en ferez toujours le sujet de vos plus sérieuses réflexions : c'est que dans nulle occasion, ni pour beaucoup que vous. ayez fatigué, vous ne preniez aucun divertissement avec les créatures humaines, et que parmi elles vous évitiez singulièrement de le prendre en la compagnie des hommes, de peur qu'avec votre naturel faible et complaisant vous ne couriez risque d'excéder et de passer les justes limites, en vous laissant aller à plus de satisfactions sensibles qu'il n'est convenable aux religieuses et aux épouses de mon très-saint Fils. Cette négligence est

 

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fort dangereuse dans toutes les créatures humaines, parce que si on lâche une fois la bride à la nature fragile, elle ne se soucie plus de la raison ni de la véritable lumière de l'esprit; mais oubliant tout ce qui pourrait la porter au bien, elle suit aveuglément l'impétuosité de sa passion, et celle-ci ne cherche que son plaisir. C'est contre ce péril universel que la clôturé et la retraite ont été ordonnées aux âmes consacrées à mon Fils et Seigneur, pour ôter entièrement les occasions fatales à certaines religieuses qui pourraient les rechercher par inclination et s'y livrer par imprudence. Vos récréations, ma très-chère fille, et celles de vos soeurs doivent être à l'abri d'un pareil danger et d'un air si empoisonné; vous devez toujours chercher avec préférence celles que vous trouverez dans le secret de votre cœur et dans le cabinet de votre Époux, qui est fidèle à consoler dans la tristesse et à secourir dans la tribulation (1).

 

(1) Ps. XC, 15.

 

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CHAPITRE XV.  La très-pure Marie sut que c'était la volonté du Seigneur qu'elle allât voir sainte Élisabeth. — Elle en demande la permission à saint Joseph sans lui déclarer autre chose.

 

190. L'auguste Marie apprit par le discours de l'ambassadeur céleste saint Gabriel que sa cousine Élisabeth (que l'on croyait stérile) avait conçu un fils, et qu'elle était dans le sixième mois de sa grossesse (1). Ensuite le Très-Haut lui révéla dans une des visions intellectuelles qti elle eut, que le fils miraculeux que sainte Élisabeth enfanterait serait grand devant le même Seigneur, qu'il serait son prophète et le précurseur du Verbe incarné qu'elle portait dans son sein virginal, et d'autres grands mystères de la sainteté de saint Jean. La divine Reine connut dans cette même vision et. en d'autres aussi que le Seigneur avait pour agréable qu'elle allât faire visite à sa cousine, afin qu'elle et le fils qu'elle portait dans son sein fussent sanctifiés par la présence de leur Restaurateur, parce que sa divine Majesté voulait faire éprouver les premiers effets de sa venue su monde et

 

(1) Luc., I, 36. — (2) Ibid.. 15 et 17.

 

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de ses mérites à son précurseur, en lui communiquant le torrent de sa grâce, pour qu'il fût comme un fruit précoce et hâtif de la rédemption du genre humain.

191. La très-prudente Vierge, dans les transports d'une joie inexprimable, rendit grâces au Seigneur pour ce nouveau mystère qu'elle venait de connaître, et de ce qu'il daignait faire cette faveur à l'âme de celui qui devait être son prophète et son précurseur, et à sa mère Élisabeth. Et s'offrant de faire tout ce qui serait de son bon plaisir, elle dit à sa divine Majesté : u Souverain Seigneur, principe et cause de tout  notre bien, votre nom soit éternellement glorifié,   connu et loué de toutes les nations. Je ne laisserai  pas, quoique je sois la plus petite des créatures,  de vous rendre de très-humbles actions de grâces   pour la grande miséricorde que vous voulez exercer  envers votre servante Élisabeth et envers le fils  qu'elle a conçu. Si vous agréez de me faire toua naître ce que vous voulez que je fasse dans cette  occasion pour votre service, me voici, Seigneur, u toute prête à 'obéir à vos divins commandements. » Le Très-Haut lui répondit: « Ma colombe, mon amie  et mon élue entre toutes les créatures (1), je vous  dis en vérité que par votre intercession et pour  votre amour je regarderai en Père et en Dieu très-libéral votre cousine Élisabeth, et le fils qu'elle  doit enfanter, le choisissant pour mon prophète.

 

(1) Cant., II, 14.

 

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 et pour le précurseur du Verbe qui est fait homme en vous, je les considère comme des personnes qui vous appartiennent. Ainsi je veux que mon Fils unique et le vôtre aille visiter la Mère et racheter le fils de la servitude du premier péché, afin qu'avant le temps commun et ordinaire des autres hommes, sa voix et ses louanges résonnent à mes oreilles, et qu'en sanctifiant son âme, les mystères de l'incarnation et de la rédemption lui soient révélés. C'est pour cela que je veux, ma chère Épouse, que vous alliez visiter Élisabeth, parce que nous choisissons son fils pour de grandes choses qui sont de notre bon plaisir. »

192. La très-obéissante Mère répondit à cet ordre du Seigneur : « Vous savez bien, mon adorable Maître,  que mon coeur et mes désirs sont entièrement consacrés à votre divine volonté , et que je veux exécuter avec diligence ce que vous commandez à  votre très-humble servante. Autorisez-moi, mon à bien-aimé, à en demander la permission à mon époux Joseph, et que je fasse ce voyage avec son agrément. Et afin que je ne m'éloigne pas da vôtre,  dirigez toutes mes actions, conduisez mes pas à la  plus grande gloire de votre saint nom (1) , et recevez pour ce sujet le sacrifice que je vous fais de  paraître en publie et de quitter ma chère solitude. Je voudrais, mon Roi et mon Dieu, vous offrir dans cette occasion plus que mes désirs, en y trouvant

 

(1) Ps., CXVIII, 133.

 

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à souffrir pour votre amour tout ce qui pourrait vous plaire et contribuer plus grandement à votre service, afin que les affections de mon âme ne fussent point stériles. »

193. Notre grande Reine, sortie de cette vision, appela les mille anges de sa garde, qui lui apparurent aussitôt sous une forme corporelle; elle leur déclara le commandement du Très-Haut, les priant de l'assister dans son voyage avec beaucoup de soin , de lui enseigner à exécuter cet ordre selon le bon plaisir du Seigneur, et de la préserver des périls, afin que tout ce qu'elle y ferait fait dans la plus grande perfection. Les princes célestes s'offrirent avec une soumission admirable de lui obéir et de la servir en toutes choses. La Maîtresse de la prudence et de l'humilité avait coutume de leur faire des demandes semblables, elle qui pourtant les surpassait, dans tout ce qu'elle faisait, en sagesse et en perfection. Mais c'était à cause de son état de voyageuse et de la condition inférieure de la nature humaine, que, pour donner la dernière perfection à ses oeuvres, elle consultait et appelait à son secours les mêmes anges qui, lui étant inférieurs en sainteté, la gardaient et l'assistaient, et d'après leurs conseils elle ordonnait ses actions, quoique d'un autre côté elles fussent toutes conduites par l'impulsion du Saint-Esprit. Les courtisans célestes lui obéissaient avec cet empressement et cette ponctualité propres à leur nature, et dues à leur Reine et Maîtresse. Ils se livraient avec elle aux plus doux colloques, et ils chantaient alternativement en sa compagnie les

 

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louanges du Très-Haut. D'autres fois elle les entretenait des mystères sacrés du Verbe incarné, de l'union hypostatique, de la rédemption du genre humain, des triomphes qu'il remporterait, des fruits et des bienfaits que les mortels recevraient de ses pauvres. J'allongerais trop ce discours si j'écrivais tout ce qui m'a été manifesté sur ce sujet.

194. Après la vision, l'humble Épouse se détermina à demander à saint Joseph la permission d'exécuter ce que le Très-Haut lui commandait, et sans lui déclarer ce commandement par un effet de sa prudence , elle lui parla en ces termes : « Mon seigneur  et mon époux, j'ai 'appris dans une révélation  divine que le Très-Haut a daigné favoriser ma cou sine Élisabeth , femme de Zacharie , en lui donnant   un fils qu'elle demandait; j'espère que dans sa  bonté infinie, le Seigneur qui a accordé à ma cousine stérile ce bienfait singulier, le fera tourner à  sa plus grande gloire. Je crois que, dans une occasion comme celle-ci, je suis obligée par les lois de  l'honnêteté de l'aller visiter, pour lui communiquer quelques secrets qui regardent sa consolation  et son bien spirituel. Si ce voyage vous est agréable,   je le ferai avec votre permission , comme étant  entièrement soumise à votre volonté. Considérez ce qui sera le meilleur, et commandez-moi ce que je dois faire. »

195. Le silence discret de l'auguste Marie, remplie d'une soumission si humble, fut fort agréable au Seigneur, comme étant digne de la grandeur de son âme,

 

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qui avait reçu en dépôt les grands secrets du souverain Roi (1). Et c'est pour cela, aussi bien que pour la confiance qu'il avait en la fidélité de cette grande Dame, que son adorable Majesté disposa le coeur très-pur de saint Joseph, en l'éclairant de sa divine lumière sur ce qu'il devait faire selon sa sainte volonté. C'est la propre récompense de l'humble qui demande conseil, de le trouver bon et assuré. Et il appartient également à celui qui a un zèle saint et discret, de le donner prudent quand on le lui demande. Le saint époux étant conduit par cette lumière céleste, répondit à notre grande Reine: « Vous savez déjà, Madame  et mon épouse, que tous mes désirs et mes soins ne  tendent qu'à vous servir, parce que je me confie   comme je dois à votre grande vertu, et que je sais  que votre volonté très-bien réglée n'entreprendra  aucune chose qu'elle ne soit à la plus grande gloire  du Très-Haut, comme je crois que le voyage que  vous souhaitez de faire le sera. Et afin que l'on ne  soit pas surpris de vous voir marcher sans votre   époux, j'irai avec bien du plaisir en votre compagnie pour avoir soin de vous servir dans le chemin. Fixez donc le jour de notre départ. »

196. La très-sainte Vierge remercia son prudent époux Joseph de la tendre sollicitude qu'il lui témoignait, et de ce qu'il coopérait avec tant de zèle à la volonté de Dieu, en une chose qui regardait son service et sa gloire; ils convinrent ensuite de partir

 

(1) Tob., XII, 7.

 

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incontinent pour aller à la maison d'Élisabeth, préparant les provisions de voyage, qui se réduisaient à quelques fruits, du pain et de petits poissons que saint Joseph acheta; il eut aussi une petite monture qu'on lui prêta pour porter les vivres et son épouse, la Reine de tout ce qui est créé. Après ces préparatifs ils partirent de Nazareth pour se rendre en Judée (1). Je poursuivrai leur voyage dans le chapitre qui suit.. La souveraine maîtresse du monde ne fut pas plutôt sortie de sa pauvre maison, qu'elle se mit à genoux devant sou époux saint Joseph , et en cette posture elle lui demanda sa bénédiction pour commencer la journée au nom du Seigneur. Le saint se retira voyant la grande humilité de sou épouse, dont il connaissait les vertus par une longue expérience, et il balança de ni accorder sa demande. Mais la mansuétude et les douces importunités de l'auguste Marie le vainquirent, et le saint fuit par la bénir au nom du Très-Haut. Dès les premiers pas, elle leva les yens au ciel et le coeur à Dieu, les consacrant tous à l'accomplissement du bon plaisir divin, portant dans sou sein le Fils unique du Père et le sien , pour sanctifier Jean dans celui de sa mère Élisabeth.

 

(1) Luc., I, 39.

 

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Instruction de la Reine du ciel,

 

197. Ma très-chère fille, je vous découvre plusieurs fois l'amour de mon coeur, parce que je désire grandement que le vôtre en soit enflammé, et que vous fassiez votre profit des avis que je vous donne. Heureuse est l'âme à qui Dieu manifeste sa sainte volonté; mais beaucoup plus heureuse est celle qui, la connaissant, met en pratique ce qu'elle a appris. Dieu enseigne par plusieurs moyens aux mortels les voies de la vie éternelle; par les évangiles, par les écritures, par les sacrements, par les lois de la sainte Église, par d'autres livres et par l'exemple des saints, et spécialement par le moyen de la doctrine et des avertissements de ses ministres, dont sa divine Majesté a dit: Celui qui vous écoute, m’écoute (1); car c'est obéir au même Seigneur que de leur obéir. Quand il vous arrivera de connaître la volonté divine par quelqu'une de ces voies, je veux que, vous servant de l'humilité et de l'obéissance comme de deux ailes, vous voliez plus vite qu'un aigle pour l'exécuter, et pour accomplir le bon plaisir divin.

198. Outre ces manières d'enseigner, le Très-Haut en a d'autres pour conduire les âmes, en leur faisant connaître sa volonté d'une façon surnaturelle, par laquelle il leur révèle plusieurs mystères. Cet ordre a

 

(1) Luc., X, 16.

 

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ses degrés, qui sont fort différents, et ils ne sont pas tous ordinaires, ni communs aux âmes, parce que le Très-Haut dispense sa lumière avec poids et mesure (1): dans certaines circonstances, il parle au coeur et aux sens avec empire; dans d'autres, il le fait en corrigeant, ou en exhortant et en instruisant. Tantôt il excite le coeur à demander, et tantôt il propose clairement ce que le Seigneur lui-même désire, pour que l'âme se porte à l'exécuter; ou bien il se borne à découvrir en lui-même , comme dans un brillant miroir, de grands mystères que puisse voir et, connaître l'entendement, que puisse aimer la volonté. Mais toujours ce grand Dieu et ce souverain bien est très-doux à commander, très-puissant à donner des forces pour obéir, très-juste dans ses ordres, très-prompt à disposer les choses pour être obéi, et très-efficace à vaincre les empêchements , afin que sa très-sainte volonté soit accomplie.

199. Je veux, ma fille, que vous soyez fort attentive à recevoir cette divine lumière, et que vous soyez fort prompte et diligente à exécuter ses ordres; il faut, pour ouïr le Seigneur, et pour distinguer cette voix si délicate, si spirituelle, que les puissances de l'âme soient dégagées de la grossièreté terrestre, et que toute la créature vive selon l'esprit, parce que l'homme charnel ne comprend point les choses célestes et divines (2). Renfermez-vous donc dans le secret de votre coeur, et oubliez tout ce qui appartient à l'extérieur.

 

(1) Sap., XI, 21. — (2) I Cor., II, 14.

 

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Écoutez, ma fille, et ayez l'oreille attentive; éloignez-vous de tout ce qui est sensible. Et afin que vous soyez diligente, il faut que vous aimiez, car l'amour est un feu qui ne saurait suspendre ses effets, surtout lorsqu'il trouve la matière disposée : ainsi je veux que votre coeur soit toujours préparé. Quand le Très-Haut vous commandera, ou vous enseignera quelque chose pour le bien des âmes et. pour leur salut éternel, offrez-vous avec soumission à le faire, parce qu'elles sont le prix le plus estimable du sang de l’Agneau et de l'amour divin (1). Ne vous en excusez pas sur votre propre bassesse, ni sur votre timidité naturelle, mais surmontez la crainte qui vous abat; sachez que si vous valez peu, et si- vous êtes inutile pour tout, le Très-Haut est riche et puissant (2), il a fait toutes choses par lui-même, et soyez assurée que votre zèle et votre charité ne seront point sans récompense, quoique je veuille que vous agissiez seulement en vue du. bon plaisir de votre Seigneur.

 

(1) I Petr., I, 18 et 19. — (2) Rom., I, 12; Isa., XLIV, 24.

 

FIN DU TOME II.

 

ANNEXE. (Note sur Marie d'Agréda)

 

La Soeur Marie de Jésus d'Agréda, universellement connue sous le nom de Marie d'Agréda, naquit en 1602, à Agréda (Vieille Castille), et elle y mourut en 1665.

Ses parents, François Coronel et Catherine d'Arena, de petite noblesse, eurent quatre enfants: deux garçons et deux filles. En 1618, toute la famille embrassa la vie religieuse, le père et ses deux fils entrant dans l'ordre franciscain, la mère et ses deux filles dans celui de l'Immaculée Conception, placé sous la juridiction des Frères Mineurs.

A peine âgée de vingt-cinq ans, notre conceptionniste fut jugée digne, par son jugement et sa vertu, d'être choisie comme abbesse de sa communauté. Pendant trente-cinq ans, ses consoeurs la réélurent à cette charge.

Dès le début de sa vie religieuse, Marte d'Agréda fut favorisée de grâces extraordinaires. L'opinion s'en émut: la voyante obtint alors du ciel d'être délivrée des extases, lévitations et autres prodiges extérieurs ; mais Dieu continua de la visiter en secret. En 1627 la Sainte Vierge lut apparut pour lui raconter sa vie et la charger de l’écrire. Six années durant, par humilité, la Soeur crut devoir résister à cette Invitation. Mats, en 1637 son confesseur, le Père André de la Torre, franciscain, lui enjoignit d'obéir, et ce fut alors qu'elle écrivit La Cité mystique. Un nouveau confesseur, ne voyant en tout cela qu’artifices diaboliques, lui ordonna de jeter son écrit au feu. Elle obéit. Cependant, en 1650, un autre franciscain, le Père André de Fuenmajor, devenu son directeur spirituel, lui commanda de reconstituer entièrement l'ouvrage anéanti.

Quand, le 24 mai 1665, Marie d'Agréda mourut, une telle foule entoura le monastère pour vénérer sa dépouille, que le gouverneur de la ville dut employer la force afin de le dégager. Devant les prodiges dus à son intercession, sa cause fut introduite en cour de Rome, le 21 novembre 1671. Le procès apostolique eut lieu en 1679, et la servante de Dieu fut alors déclarée « vénérable ».

Dès que parut la Cité Mystique, l'ouvrage, objet de la curiosité universelle, fut attaqué dans certaines écoles théologiques. Le 4 août 1681, un décret d'Innocent XI en interdit la lecture ; il est vrai qu'à cette date les censeurs compétents ne l'avaient pas encore examiné; trois mois après, un autre décret du même Innocent XI suspendit l'effet du précédent. Et en 1729, avec l'approbation de Benoît XIII, la Congrégation des Rites déclara à l'unanimité des votes, « qu'il était permis de lire et de garder par devers soi la Cité Mystique ». Par cette décision, l'Église ne garantit pas l'authenticité des révélations de Marie d'Agréda, mais elle nous est caution que rien n'y est contraire à la foi ou aux moeurs (1).

L'oeuvre de Marie d'Agréda a été traduite dans toutes les langues et on en publia de nombreux abrégés.

La meilleure traduction française de la Cité Mystique est celle que fit, en 1694 le Père Thomas Crozet, récollet de la province de Saint-Bernardin d'Aquitaine. Elle fut entreprise sur l'ordre du Ministre général des Frères Mineurs et reçut l'approbation des autorités religieuses de l'époque. Les extraits que nous en donnons sont tirés de l'édition authentique publiée à Bruxelles en 1715 sous le titre: La Cité Mystique de Dieu, miracle de toute puissance, abyme de la grâce. Histoire divine et vie de la très Sainte Vierge Marie manifestée par la même sainte Vierge à la Vénérable Mère Marie de Jésus d'Agréda, de l'ordre de saint François, abbesse du monastère de l’Immaculée Conception de la ville d'Agréda (3 vol, in-4°). La traduction du Père Crozet est très fidèle et pour ainsi dire littérale. Ceux qui trouveront son style un peu naïf, il les invite lui-même à l'améliorer: « Je ne prétends pas, écrit-il dans son Avertissement, enseigner les délicatesse; de la langue française dans cette traduction , il me suffit d'y exprimer fidèlement ce que la vénérable Mère Marie de Jésus a écrit pour le profit spirituel de ceux qui liront cet ouvrage, et quand on s'en sera pénétré l'esprit, on pourra ensuite le mettre mentalement dans le style que l'on voudra, et suppléer à mon ignorance. » Mais le Père Crozet était très humble, et son élocution charmante n'a besoin d'aucune retouche.

 

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