Livre VI - Ch. I-VII

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LIVRE SIXIÈME. OU L'ON VOIT CE QUI SE PASSA AUX NOCES DE CANA EN GALILÉE. —COMMENT LA TRÈS-PURE MARIE ACCOMPAGNA LE RÉDEMPTEUR DU MONDE PRÊCHANT SON ÉVANGILE. — L'HUMILITÉ QUE CETTE AUGUSTE REINE TÉMOIGNAIT DANS LES MIBACLES QU'OPÉRAIT SON TRÈS-SAINT FILS. — LA TRANSFIGURATION DE CET ADORABLE SEIGNEUR. — SON ENTRÉE DANS JÉRUSALEM. — SA PASSION ET SA MORT. — LA VICTOIRE QU'IL REMPORTA EN LA CROIX SUR LUCIFER ET SUR SES MINISTRES. — SA GLORIEUSE RÉSURRECTION ET SON ADMIRABLE. ASCENSION.

CHAPITRE I. Notre Sauveur Jésus-Christ commence à se faire connaître par le premier miracle qu'il fit aux noces de Cana à la prière de sa très-sainte Mère.

Instruction que me donna la puissante Reine du ciel.

CHAPITRE II. La très-pure Marie accompagne notre Sauveur dans ses prédications. — Elle y déploie un grand zèle et s'occupe avec un soin particulier des femmes qui suivent le seigneur. — Elle agit en tout avec une sublime perfection.

Instruction que j'ai reçue de l'auguste Marie, Reine du ciel.

CHAPITRE III. De l’humilité de la très-pure Marie dans les miracles que notre Sauveur Jésus-Christ faisait; et de celle qu'elle enseigna aux apôtres à pratiquer dans ceux qu'ils devaient opérer par la vertu divine, et de plusieurs autres choses remarquables.

Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.

CHAPITRE IV. Lucifer se trouble des miracles, de notre Seigneur Jésus-Christ, de ses ouvres, et de celles de saint Jean-Baptiste. — Hérode fait mettre le Précurseur en prison. Il lui fait trancher la tête. —Particularités qui accompagnent la mort du saint.

Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée.

CHAPITRE V. Les faveurs que les apôtres reçurent de notre Rédempteur Jésus-Christ, à cause de la dévotion qu'ils avaient à sa très-sainte Mère. — Judas se perdit pour ne l'avoir pas eue.

Instruction que la Reine du ciel m’a donnée.

CHAPITRE VI. Notre Seigneur Jésus-Christ se transfigure sur le Thabor devant sa très-sainte Mère. — Il se dirige avec elle de la Galilée vers Jérusalem, pour se rapprocher du lieu de la passion. — Ce qui arriva à Béthanie lorsque la Madeleine répandit des parfums sur le Sauveur.

Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée.

CHAPITRE VII. Du mystère caché qui précéda le triomphe de Jésus-Christ dans Jérusalem. — De l'entrée qu'il y fit, et comment il y fut reçu des habitants.

Instruction que j'ai reçue de notre grande Reine.

 

 

LIVRE SIXIÈME. OU L'ON VOIT CE QUI SE PASSA AUX NOCES DE CANA EN GALILÉE. —COMMENT LA TRÈS-PURE MARIE ACCOMPAGNA LE RÉDEMPTEUR DU MONDE PRÊCHANT SON ÉVANGILE. — L'HUMILITÉ QUE CETTE AUGUSTE REINE TÉMOIGNAIT DANS LES MIBACLES QU'OPÉRAIT SON TRÈS-SAINT FILS. — LA TRANSFIGURATION DE CET ADORABLE SEIGNEUR. — SON ENTRÉE DANS JÉRUSALEM. — SA PASSION ET SA MORT. — LA VICTOIRE QU'IL REMPORTA EN LA CROIX SUR LUCIFER ET SUR SES MINISTRES. — SA GLORIEUSE RÉSURRECTION ET SON ADMIRABLE. ASCENSION.

 

CHAPITRE I. Notre Sauveur Jésus-Christ commence à se faire connaître par le premier miracle qu'il fit aux noces de Cana à la prière de sa très-sainte Mère.

 

1033. L'évangéliste saint Jean, qui raconte à la fin du chapitre premier la vocation de Nathanaël (ce fut le cinquième disciple de Jésus-Christ), commence le second chapitre de l'histoire évangélique en ces termes : Le troisième jour ou célébrait des noces à Cana en Galilée, et la Mère de Jésus y était. Jésus fut

 

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aussi invité à ces noces avec ses disciples (1). D'où l'on peut inférer que cette grande Dame était à Cana avant que son très-saint Fils fût invité aux noces qu'on y faisait. Pour concilier ceci avec ce que j'ai dit dans le chapitre précédent, et pour savoir quel jour fut celui-ci, je fis par ordre de mes supérieurs quelques questions, auxquelles il me fut répondu que, nonobstant les différentes opinion a des interprètes, l'histoire de notre Reine s'accorde avec celle de l'Évangile, et que la chose arriva en cette manière : Notre Seigneur Jésus-Christ, entré en Galilée avec ses cinq apôtres ou disciples, alla droit à Nazareth , prêchant et instruisant le peuple. Mais il fit le voyage en plusieurs jours, sinon en une semaine, au moins en plus de trois jours. Étant arrivé à Nazareth, il baptisa sa bienheureuse Mère, comme je l'ai rapporté; ensuite il alla prêcher accompagné de ses disciples dans quelques villages voisins. Sur ces entrefaites, notre auguste Princesse se rendit à Cana, comme conviée aux noces dont l'évangéliste fait mention, car ceux qui les faisaient étaient ses parents au, quatrième degré du côté de sainte Anne. De sorte, que cette grande Dame se trouvant à Cana, les nouveaux mariés apprirent la venue du Sauveur du monde, et qu'il commençait à avoir des disciples; et par le conseil de sa très-sainte Mère et l'inspiration du Seigneur lui-même, qui disposait secrètement les choses pour ses hautes fins, il fut invité aux noces avec ses disciples.

 

(1) Joan., II

 

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1034. Ce troisième jour, auquel l'évangéliste dit que ces noces eurent lieu, fut le troisième de la semaine des Hébreux; et quoiqu'il ne s'exprime pas clairement, il ne dit pas que ce fut le troisième jour après la vocation des disciples ou après l'entrée du Seigneur en Galilée s'il l'eût entendu de la sorte, il l'aurait dit. Mais il était naturellement impossible que ces noces arrivassent le troisième jour après la vocation des disciples ou après qu'ils furent entrés avec leur divin Maître dans la Galilée, car Cana est situé aux frontières de là tribu de Zabulon, du côté de la Phénicie, au nord par rapport à la Judée, dans la partie où se trouvait la tribu d'Aser, et ce pays est assez éloigné des confins de la Judée et de la Galilée, par où le Sauveur du genre humain entra. Que si les noces eussent été célébrées le troisième jour, il n'aurait eu que deux journées pour aller de la Judée à Cana, et cependant il en faut trois; en outre, le Seigneur devait se trouver dans les environs de Cana avant qu'on pût l'inviter, et tout cela demandait plus de temps. D'ailleurs, il fallait passer par Nazareth pour se rendre de la Judée à Cana en Galilée, car Cana est plus éloigné vers la mer Méditerranée et proche de la tribu d'Aser, comme je viens de le dire; et il est sûr que le Sauveur du monde avait dessein de visiter auparavant sa très-sainte Mère, qui, n'ignorant pas sa venue, l'attendait dans sa maison sans en sortir, parce qu'elle savait qu'il devait bientôt y arriver. Que si l'Évangéliste n'a pas fait mention de cette venue ni du baptême da la sainte Vierge, on ne doit

 

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pas en conclure que cela ne soit arrivé; mais c'est parce que lui et les autres évangélistes n'ont rapporté que ce qui regardait leur sujet. C'est aussi pour cette raison que le même saint Jean déclare qu'on a passé sous silence plusieurs miracles que notre divin Maître a opérés (1), parce qu'il n'était pas nécessaire de les écrire tous. Ces explications font comprendre l'Évangile, en même temps que l'Évangile confirme cette histoire par le texte que j'ai cité.

1035. La Reine de l'univers étant à Cana, son très-saint Fils fut invité aux noces avec les disciples qu'il avait, et sa divine bonté, qui disposait toutes choses, accepta l'invitation. Il se rendit donc aussitôt chez ses parents pour sanctifier et autoriser le mariage, et pour commencer à confirmer sa doctrine parle miracle qu'il y fit et dont il se déclara l'auteur; car, voulant se faire reconnaître pour Maître, qui avait déjà des disciples, il fallait qu'il les confirmât dans leur vocation, et qu'il autorisât sa doctrine afin qu'ils la reçussent. C'est pour cette raison que sa divine Majesté ayant fait secrètement d'autres merveilles, ne sen déclara pas l'auteur en public comme dans cette rencontre , et c'est pour cela aussi que l'Évangéliste dit que Jésus fit à Cana en Galilée le premier de ses miracles (2). Ce même Seigneur dit aussi pour ce sujet à sa très-sainte Mère, que son heure n'était pas encore venue (3). Cette merveille arriva le même jour que fut accomplie l'aimée qui suivit le baptême

 

(1) Joan., XX, 30. — (2) Joan., II, 11 . — (3) Ibid.. 4.

 

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de notre Sauveur Jésus-Christ; et ce jour correspondait à celui de l'adoration des rois, comme le tient la sainte Église romaine, qui célèbre ces trois mystères en un même jour, qui est le 6 janvier. Notre Seigneur Jésus-Christ avait alors trente ans révolus, et avait passé de sa trente-unième année les treize jours qui se comptent depuis sa très-sainte Nativité jusqu'à l'Épiphanie.

1036. Le Maître de la vie entra dans la maison où l'on célébrait les noces, et saluant ceux qui y étaient réunis, leur dit : « La paix et la lumière du Seigneur soient avec vous, » comme véritablement elles y étaient, puisque sa divine Majesté s'y trouvait. Il fit ensuite une exhortation de vie éternelle au nouveau marié, lui enseignant ce qu'il devait faire dans son état pour se sanctifier. La Reine du ciel exerça le même acte de charité envers la nouvelle épouse, qu'elle instruisit de ses obligations par de très-doux et efficaces avis. De sorte qu'ils vécurent tous deux avec beaucoup de sainteté dans l'état qu'ils avaient heureusement embrassé en présence du Roi et de la Reine de l'univers. Je ne dois point m'arrêter à prouver que ce nouveau marié n'était pas saint Jean l'évangéliste. Il suffit qu'on sache qu'il suivait déjà le Sauveur au nombre de ses disciples, comme je l'ai dit au chapitre précédent. Car dans cette circonstance le Seigneur ne prétendit point dissoudre le mariage, il vint à Cana pour l'autoriser et pour en faire un sacrement; ainsi on ne doit pas croire qu'il eût voulu le rompre aussitôt; d'ailleurs l'évangéliste n'eut

 

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jamais intention de se marier. Mais bien loin de dissoudre cette union,. notre Sauveur ayant instruit les nouveaux mariés, pria instamment le Père éternel de bénir d'une manière spéciale, sous la loi de grâce, la propagation de la race humaine, de donner dès lors au mariage la vertu de sanctifier ceux qui le recevraient dans la sainte Église, et de l'élever au rang de ses sacrements.

1037. La bienheureuse Vierge connaissait les desseins et la prière de son très-saint Fils, et elle s'y associait par le même concours qu'elle donnait aux autres oeuvres qu'il opérait en faveur du genre humain; et comme elle se chargeait du retour que les hommes ne rendaient point pour ces bienfaits, elle fit un cantique de louanges au Seigneur, assistée des saints anges qu'elle avait invités à lui témoigner cette reconnaissance avec elle. Toutefois cet exercice fut secret et découvert seulement de notre Sauveur, qui prenait ses complaisances dans les oeuvres de sa très-pure Mère, comme elle prenait les siennes dans celles de son adorable Fils. Au surplus, ils conversaient avec ceux qui se trouvaient aux noces; mais c'était avec une sagesse admirable et avec des paroles dignes de telles personnes, qui ne parlaient que pour éclairer les coeurs de tous ceux qui les entouraient. La très-prudente Dame parlait fort peu, et ce n'était que lorsqu'on l'interrogeait, ou quand elle y était obligée par honnêteté; car elle appliquait toute son attention aux discours et aux actions du Seigneur, pour les conserver et les repasser dans son très-chaste

 

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coeur. De sorte que les actions, les paroles et toutes les manières de cette grande Reine furent pendant toute sa vie un rare exemple de prudence et de modestie, non-seulement pour les religieuses, mais aussi pour les femmes du siècle, surtout dans cette circonstance. Si elles se le représentaient lorsqu'elles se trouvent en de semblables rencontres, elles apprendraient à. se taire, à régler leur intérieur et leur extérieur, et à éviter toute sorte de légèreté et de dissolution, car plus le péril est grand, plus la circonspection est nécessaire; et il. est sûr que le silence, la retenue et la pudeur sont toujours les plus beaux et les plus riches ornements des femmes ; ce sont les seules qui ferment la porte à une foule de vices, et qui forment le couronnement des vertus de la femme chaste et honnête.

1038. Étant à table, le Seigneur et sa très-sainte Mère mangèrent de ce qu'on y servit, mais avec une très-grande sobriété , que ne remarquèrent pourtant point les convives. Et quoiqu'ils n'usassent point de tant de mets lorsqu'ils étaient seuls, ainsi que je l'ai marqué, les Maîtres de la perfection, qui ne voulaient point condamner la vie commune des hommes, mais la perfectionner par leurs exemples, s'accommodaient à tous avec modération et sans aucune singularité extérieure, en tout ce qui n'était point incompatible avec la perfection. Et ce que le Seigneur avait pratiqué dans sa conduite, il l'enseigna par sa doctrine à ses apôtres et à ses disciples, leur ordonnant de manger, quand ils iraient prêcher, de ce qu'on leur

 

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présenterait (1), et de ne point se rendre singuliers comme imparfaits et peu savants dans le chemin de la vertu, attendu que ceux qui sont véritablement pauvres et humbles ne doivent point choisir leur nourriture. Or, le vin étant venu à manquer au repas par une disposition de la Providence, pour donner occasion au miracle que le Sauveur y fit ; la charitable Reine lui dit: Seigneur, ils n'ont point de vin. Sa Majesté lui répondit : Femme, qu'y a-t-il de commun entre vous et moi? Mon heure n'est pas encore venue (2). Cette réponse de 'Jésus-Christ ne fut pas une réprimande, mais un mystère, car la très-prudente Mère ne demanda pas fortuitement le miracle, puisqu'elle savait par la lumière d'en haut qu'il était temps que la puissance divine de son très-saint Fils se manifestât; elle ne pouvait pas l'ignorer, car elle avait une connaissance claire des oeuvres de la rédemption, de l'ordre que notre Sauveur y devait garder, des moments et des circonstances où il les devait faire. Il faut aussi remarquer que le Verbe divin prononça ces paroles, non d'un ton de reproche, mais avec beaucoup de calme, de douceur et de dignité. Que s'il n'appela point la sainte vierge mère, mais femme, c'est parce que depuis quelque temps il ne la traitait plus avec la même tendresse extérieure, comme' je l'ai dit ailleurs (n° 960).

1039. Le but mystérieux de la réponse de notre Seigneur Jésus-Christ fut de confirmer les disciples

 

(1) Luc., X, 8. — (2) Joan., II, 3 et 4.

 

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en la foi à sa divinité, et de commencer à la manifester à tous en se montrant Dieu véritable et indépendant de sa Mère quant à l'être divin et à la puissance de faire des miracles. C'est pour cette raison que, ne l'appelant point mère, il lui dit : Femme, qu'y a-t-il ici de commun entre vous et moi? Ce fut comme s'il lui eût dit : Je n'ai pas reçu de vous le pouvoir de faire des miracles, bien que vous m'ayez donné la nature humaine en laquelle je dois les opérer; car il ne dépend que de ma divinité de les faire, et comme Dieu mon heure n'est pas encore venue. Il fit aussi connaître par cette réponse que la détermination de toutes ses merveilles n'appartenait point à sa sainte Mère, et dépendait uniquement de la volonté de Dieu, bien que pourtant elle fût trop prudente pour en demander la réalisation en temps inopportun. Enfin, le Seigneur voulut faire comprendre qu'il y avait en lui une autre volonté que la volonté humaine, et que celle-là était divine, supérieure à celle de sa Mère, qu'elle ne lui était point subordonnée, mais que la volonté de cette même Mère dépendait de celle qu'il avait comme Dieu. Pour l'éclaircissement de cette vérité, notre adorable Sauveur répandit en même temps dans l'intérieur de ses disciples une nouvelle lumière, par laquelle ils connurent l'union hypostatique en sa personne des deux natures qu'il avait reçues, la nature humaine, de sa Mère, et la nature divine, de son Père, par la génération éternelle.

1040. Notre auguste Princesse pénétra tout ce mystère, et dit avec une douce dignité aux serviteurs :

 

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Faites ce que mon Fils vous dira (1). En ces paroles (outre la connaissance de la volonté de Jésus-Christ, qu'elles supposent chez la très-prudente mère), elle s'exprima comme Maîtresse de tout le genre humain, enseignant aux mortels que pour remédier à toutes leurs nécessités, à toutes leurs misères, il est à la fois nécessaire et suffisant qu'ils fassent de leur côté tout ce que le Seigneur commande, et ce que prescrivent ceux qui tiennent sa place. Une telle doctrine ne pouvait sortir que de la bouche d'une pareille Mère et avocate, qui, désireuse de notre bien et connaissant la cause qui empêche la puissance divine de faire beaucoup de grandes merveilles, voulut nous proposer et nous enseigner le remède propre à nous guérir de tous nos maux , en nous disposant à l'accomplissement de la volonté du Très-Haut,, d'où dépend tout notre bonheur. Le Rédempteur du monde ordonna à ceux qui servaient à table de remplir d'eau les urnes (2) en usage chez les Hébreux en de semblables occasions. Et, après qu'ils les eurent toutes remplies, le même Seigneur leur dit de puiser de ce qui était dedans et d'en porter à l'intendant (3), qui occupait la place la plus honorable, et qui était un des prêtres de la loi. Et lorsque l'intendant eut goûté de ce vin miraculeux, il ne put s’empêcher d'appeler l'époux et de lui témoigner son étonnement. « Il n'y a point d'homme, lui dit-il, qui ne serve d'abord aux conviés le meilleur vin qu'il ait, et le moindre agrès qu'on a beaucoup

 

(1) Joan., II, 5. — (2) Ibid., 7. — (8) Ibid., 8.

 

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bu; mais au contraire, vous avez gardé votre meilleur vin pour la fin du repas (1):

1041. Quand l'intendant goûta le vin, il ne savait point le miracle, parce qu'il était au plus haut de la table, et notre divin Maître Jésus-Christ occupait les dernières places avec sa très-sainte Mère et les disciples, enseignant par son exemple ce qu'il devait enseigner après par sa doctrine, savoir, de choisir la dernière place quand on serait invité à quelque festin (2). Bientôt la merveille que notre Sauveur avait faite de changer l'eau en vin fut publiée; sa gloire se répandit, et ses disciples crurent en lui , comme dit l'évangéliste (3), parce qu'ils. furent confirmés davantage en la foi. Parmi les témoins du prodige, il y en eut encore beaucoup d'autres qui crurent qu'il était le véritable Messie, et qui le suivirent jusqu'à la ville de Capharnaüm, où l'évangéliste rapporte qu'il se rendit avec sa Mère et ses disciples en quittent Cana (4); ce fut là, dit saint Matthieu, qu'il commença à prêcher et à se faire connaître pour le Maitré des hommes. En disant que le Seigneur a manifesté sa gloire par ce miracle, saint Jean, loin de nier qu'il en eût fait auparavant d'autres d'une manière secrète, le suppose au contraire, et fait entendre que Jésus-Christ en cette circonstance manifesta sa gloire, qu'il n'avait point encore fait éclater par d'autres prodiges, parce qu'il ne voulut pas en être reconnu comme l'auteur avant

 

(1) Joan.,  II, 10. — (2) Luc., XIV, 8 et 10. — (3) Joan., II, 11. — (4) Matth., IV, 18.

 

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le moment opportun, déterminé par la sagesse divine. Il est certain qu'il en opéra un grand nombre d'admirables en Égypte, tels que la chute des temples et des idoles, dont j'ai fait mention ailleurs. L'auguste Vierge, su milieu de toutes ces merveilles, pratiquait, pour louer le Très-Haut, des actes de vertu sublime, et lui rendait des actions de grâces de ce que la gloire de son saint nom se répandait. Elle se préoccupait des besoins des nouveaux fidèles, et s'employait au service de son très-saint Fils, prévoyant toutes choses avec une sagesse incomparable et une vigilante charité. C'est cette charité qui excitait la ferveur avec laquelle elle priait le Père éternel de disposer les hommes à recevoir les paroles et la lumière du Verbe incarné, et de dissiper les ténèbres de leur ignorance.

 

Instruction que me donna la puissante Reine du ciel.

 

1042. Ma fille, les enfants de l'Église ne sauraient se disculper du peu de soin que la plupart prennent de publier la gloire de Dieu, et de faire connaître son saint nom à toutes les nations. Cette négligence est plus criminelle depuis que le Verbe s'est incarné dans mon sein, et depuis qu'il a instruit et racheté le monde précisément dans ce but. C'est aussi dans ce but qu'il a établi la sainte Église et qu'il fa enrichie de trésors spirituels, de ministres et d'autres biens temporels.

 

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Or, tout cela ne doit pas seulement servir à conserver cette même Église et les enfants qu'elle a, mais encore à l'agrandir, à gagner d'autres nouveaux enfants à la régénération de la foi catholique. Tous sont appelés à concourir à ce grand oeuvre, afin que le fruit de la mort de leur Restaurateur s'étende de plus en plus. Les nais peuvent le faire par des prières et par de fervents désirs de propager la gloire du saint nom de Dieu; les autres par des aumônes; ceux-ci par les diligences de leur zèle et leurs exhortations; ceux-là par leur travail et leurs peines. Mais si les pauvres et les ignorants ne laissent pas que d'être coupables de cette négligence, les riches et les puissants sont bien plus répréhensibles, surtout les ministres et les prélats de l'Église, que cette obligation regarde de plus près, et dont un si grand nombre, sans songer au compte terrible qu'ils auront à rendre, changent en une vaine gloire personnelle la gloire qui revient à Jésus-Christ. Ils emploient le patrimoine du sang du Rédempteur en des choses qui sont indignes d'être nommées; ils répondront de la perte d'une infinité d'âmes qu'ils pourraient, au prix de quelques efforts, faire entrer dans la sainte Église; ou du moins ils auraient, eux, le mérite d'avoir accompli leur devoir, et le Seigneur la gloire de posséder dans son Église des ministres fidèles. Le même compte sera exigé des princes et des puissants du monde, qui ont reçu de la main libérale de Dieu les honneurs et les biens temporels pour les employer à la gloire de sa divine Majesté, et cependant ne pensent à rien moins qu'à cette obligation.

 

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1043. Je veux que vous déploriez tous ces malheurs, que vous travailliez autant qu'il vous sera possible à propager la connaissance et la gloire du Très-Haut parmi toutes les nations, et que des pierres vous le priez de susciter des enfants d'Abraham (1); car rien n'est au-dessus de sa puissance. Et afin que les Amen se soumettent au joug léger de l'Évangile (2), prier-le aussi d'envoyer à son Église des ministres capables; car la moisson est grande, elle est abondante, et il y a, peu d'ouvriers fidèles et zélés pour la récolter (3). Que la sollicitude et l'affection maternelles avec lesquelles je travaillais avec mon Fils et mon Seigneur pour lui gagner les âmes et les maintenir dans sa doctrine, vous servent de modèle. Entretenez toujours au fond de votre coeur le feu de cette ardente charité. Je veux aussi que le silence et la modestie que, comme vous l'avez vu, je gardai aux noces, soient pour vous et pour vos religieuses une règle inviolable qui vous apprenne à mesurer vos actions et vos paroles, et à conserver partout une grande retenue, surtout quand vous, vous trouverez en présence des hommes; car ces vertus sont les ornements qui embellissent les épouses de Jésus-Christ et qui les lui rendent agréables.

 

(1) )Matth., III, s. — (2) Matth., XI, 30. — (3) Luc., X, 2.

 

 

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CHAPITRE II. La très-pure Marie accompagne notre Sauveur dans ses prédications. — Elle y déploie un grand zèle et s'occupe avec un soin particulier des femmes qui suivent le seigneur. — Elle agit en tout avec une sublime perfection.

 

1044. Je ne m'écarterais pas du sujet de cette histoire, si j'entreprenais d'y rapporter les miracles et les actions héroïques de notre Rédempteur Jésus-Christ, attendu que sa très-sainte Mère a concouru et participé à presque tout ce qu'il a fait. Mais je ne puis assumer une tache si ardue, si au-dessus des forces et de la capacité humaines : car l'évangéliste saint Jean, après avoir écrit un si grand nombre de merveilles de son divin Maître; dit à la fin de son Évangile (1) que Jésus en a opéré tant d'autres, que si elles étaient rapportées en détail, le monde ne pourrait pas obtenir les livres où elles seraient écrites. Ce qui a paru si impossible à l'évangéliste, comment une fille ignorante et plus inutile que la poussière oserait-elle le tenter? Les quatre évangélistes ont écrit même au delà de ce qui était convenable, nécessaire

 

(1) Joan., XXI, 25.

 

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et suffisant pour établir et conserver l'Église : ainsi il serait superflu de le redire dans cette histoire. Toutefois, pour en enchaîner les différentes parties, et pour ne point passer sous silence tant d'oeuvres admirables de notre grande Reine que les évangélistes n'ont pas racontées, il faudra bien en toucher quelques-unes; car je sens qu'il me sera à la fois bien doux et bien utile pour mon avancement d'en fixer le souvenir par écrit. Quant au reste de ce qu'ils n'ont pas marqué dans leurs évangiles, et que je n'ai pas ordre de rapporter, ce sont des choses réservées pour le. séjour de la gloire, où les bienheureux les connaîtront en Dieu avec une joie singulière, et où ils loueront éternellement le Seigneur pour de si hautes merveilles.

1045. Notre Rédempteur Jésus-Christ étant parti de Cana de Galilée, prit le chemin de Capharnaüm, ville près de la mer de Tibériade assez grande et assez peuplée, où il demeura peu de jours, comme le dit l'évangéliste saint Jean (1); parce que, la Pâque étant proche, il résolut d'aller à Jérusalem pour y célébrer cette fête, le quatorzième jour de la lune de mars. Sa très-sainte Mère, ayant quitté sa maison de Nazareth, le suivit dès lors partout où il allait prêcher, ci même jusqu'à la croix; excepté en certaines occasions dans lesquelles elle s'en séparait, comme quand le Seigneur se rendit sur le mont Thabor (2), ou allait opérer des conversions particulières, telles que celle de la Samaritaine, ou bien quand notre

 

(1) Joan., II, 12. — (2) Matth., XVII, 1.

 

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divine Dame elle-même s'arrêtait pour achever d'instruire quelques personnes. Mais elle ne tardait pas à rejoindre son Fils et son Maître, et elle suivit le Soleil de justice jusqu au couchant de sa mort. La Reine du ciel faisait tous ces voyages à pied, à l'exemple de son très-saint Fils. Que si cet adorable Seigneur lui-même succombait parfois à la lassitude, comme l'Évangile le marque (1), que n'aura point du souffrir sa très-pure Mère ! Combien de fatigues n'aura-t-elle pas endurées dans tant de courses faites à travers tous les temps ! La Mère de miséricorde traitait son corps délicat avec tant de rigueur, les peines auxquelles en pareils cas seulement elle se soumit pour nous furent si grandes, que tous les mortels ensemble ne pourront jamais satisfaire pour cette obligation. Le Seigneur permettait quelquefois qu'elle ressentit des douleurs, des brisements tels, qu'il était nécessaire qu'elle fût soutenue par les secours miraculeux qu'il lui accordait : tantôt il lui ordonnait de se reposer quelques jours dans une localité; tantôt il lui rendait le corps si léger, qu'elle pouvait se mouvoir,sans peine comme avec des ailes.

1046. Toute la loi évangélique était écrite dans le coeur de notre incomparable Maîtresse, comme je l'ai marqué en son lieu; néanmoins elle ne laissait pas d'être aussi assidue aux prédications de son très-saint Fils que si elle eût été une nouvelle disciple : et 'à cet effet elle avait prié ses saints anges de l’assister d'une

 

(1) Joan., IV, 6.

 

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manière spéciale et même de l'avertir s'il était besoin, afin qu'elle n'en manquât jamais aucune, lorsqu'elle ne se trouverait pas trop éloignée du divin Maître. Quand il prêchait où enseignait, 'elle l'écoutait toujours i1 genoux, et seule lui offrait le hommages et le culte dus à sa personne et à sa doctrine, du moins autant qu'elle le pouvait. Et comme elle connaissait toujours, (ainsi que je l'ai dit en d'autres endroits) les opérations de l'âme très-sainte de son Fils, découvrant qu'au même moment où il prêchait il priait intérieurement le Père éternel de disposer les coeurs à recevoir la. semence de se sainte doctrine, afin qu'elle y produisit des fruits de vie éternelle, la très-miséricordieuse Mère faisait la même prière pour les auditeurs de notre divin Maître, et appelait sur eux les mêmes bénédictions avec une très-ardente charité que trahissaient ses larmes. Elle leur enseignait en nième temps l'estime qu'ils devaient faire des paroles du Sauveur du monde par le respect religieux et l'attention profonde avec lesquels ils la voyaient les recueillir. Elle pénétra aussi l'intérieur de tous ceux qui assistaient aux prédications de son adorable Fils, c'est-à-dire l'état de grâce ou de péché; de voies ou de vertus dans lequel ils se trouvaient. Et la diversité de ces objets, naturellement cachés à l'entendement humain, produisait en la divine Mère des effets différents et admirables, tous caractérisés. par une sublime charité et par d'autres vertus; car elle s'enflammait du zèle de l'honneur du Seigneur, et. du désir ardent qu'elle avait que les fines ne perdissent point le fruit

 

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de leur rédemption; et le péril qu'elles couraient lorsqu'elles vivaient dans le péché l'excitait à demander leur remède avec une ferveur incomparable. Elle sentait une intime et amère douleur de ce que Dieu ne fût point connu, adoré et servi de toutes ses créatures, et cette douleur égalait la connaissance qu'elle avait des raisons qui la portaient à en gémir, et qu'elle pénétrait au delà de tout ce que les hommes peuvent concevoir. Et lorsque les âmes repoussaient la grâce et les inspirations divines, elle en était si profondément désolée, quelle en versait quelquefois des larmes de sang. De sorte que nous pouvons dire que ce que cette grande Reine souffrit dans ces occasions surpassa infiniment les peines de tous les martyrs ensemble.

1047. Elle montrait unie discrétion et une sagesse extraordinaires dans ses rapports avec les disciples qui suivaient le Sauveur, et que sa Majesté recevait pour ce ministère, témoignant un respect et des égards particuliers ù ceux qui étaient destinés à l'apostolat; mais elle les soignait tous comme une mère, elle pourvoyait à tout comme une puissante lierne, et leur fournissait en cette double qualité la nourriture et les autres choses nécessaires. Quand elle ne pouvait pas se les procurer par les voies ordinaires, elle priait les antes de les leur porter, aussi bien qu'à quelques femmes qui s'étaient mises sous sa conduite. Mais elle ne leur donnait connaissance de ces merveilles qu'autant qui il leur en fallait donner pour les confirmer en la piété et en la foi du Seigneur. Elle prit des peines

 

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inconcevables pour leur avancement spirituel, non-seulement par les prières continuelles et ferventes qu'elle faisait pour eux, mais aussi par son exemple, par ses conseils et par ses instructions, de sorte qu'elle leur tenait lieu en toutes manières de maîtresse très-prudente et de mère très-charitable. Quand les apôtres et les disciples se trouvaient dans quelque doute, car ils en eurent plusieurs au commencement, ou lorsqu'ils sentaient quelque tentation, ils recouraient incontinent h notre grande Dame pour être éclaircis et aidée par cette lumière, par cette charité incomparables qui éclataient en elle; et ils étaient pleinement consolés par la douceur de ses paroles. Elle les instruisait par sa sagesse, les assouplissait par son humilité, et leur inspirait une grande retenue par sa modestie : de sorte qu'ils trouvèrent tous les biens imaginables dans ce divin laboratoire du Saint-Esprit. Elle rendait à Dieu des actions de grâces pour toutes les faveurs qu'ils recevaient, pour la vocation des disciples, pour la conversion des âmes, pour la persévérance des justes, pour tous les actes du vertu qui étaient pratiqués : la connaissance qu'elle en avait la remplissait d'une joie singulière, et la portait à faire de nouveaux cantiques de louange au Seigneur.

1048. il y avait aussi plusieurs femmes qui suivaient notre Rédempteur Jésus-Christ depuis la Galilée et le commencement de ses. prédications, comme le marquent les évangélistes, Saint Matthieu, saint Marc et saint Luc disent (1) que quelques-unes qu’il avait

 

(1) ) Matth., XXVII, 55; Marc, XV, 40 ; Luc., VIII, 2.

 

délivrées des démons et guéries des maladies dont elles étaient affligées, l'accompagnaient et le servaient; car le Maître de la vie n'a exclu aucun sexe de sa suite, de son imitation et de sa doctrine; c'est pourquoi plusieurs femmes le suivirent et l'assistèrent de leurs biens dés qu'il se mit à prêcher. Sa divine sagesse le disposait de la sorte, entre autres fins pour qu'elles accompagnassent sa très-sainte Mère pour une plus grande, bienséance. Notre auguste Reine prenait un soin particulier de ces saintes femmes; elle les réunissait, les instruisait et les menait aux sermons de son très-saint Fils. Et, quoiqu'elle fût si savante en la doctrine de l’Evangile pour leur enseigner le chemin de la vie éternelle, elle cachait pourtant toujours en partie ses trésors de science, et se prévalait de ce qu'on avait ouï dire à son adorable Fils; c'était le texte sur lequel elle établissait les exhortations qu'elle adressait à ces femmes et à plusieurs autres qui l'allaient trouver en divers endroits, avant ou après avoir entendu le Sauveur du monde. Quant à celles qui ne le suivaient pas, la divine liure les laissait initiées, autant qu'il était nécessaire, aux mystères de la foi. Elle amena un très-grand nombre de femmes à la connaissance de Jésus-Christ, et leur ouvrit le chemin du salut éternel et de la perfection évangélique; que si les évangélistes n'en ont fait mention, se bornant à dire que quelques femmes suivaient le Sauveur, ç'a été parce qu'il n'était. pas de leur sujet d'écrire ces particularités. Notre puissante Dame fit des choses admirables parmi ces femmes; elle ne les formait pas

 

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seulement à la foi et aux vertus par ses discours, mais elle leur enseignait encore par son exemple à les pratiquer et à exercer les oeuvrés de charité, visitant elle-même les malades, les pauvres et les affligés; pansant de ses propres mains leurs plaies, les consolant dans leurs afflictions et les assistant dans leurs nécessités. Au reste, s'il fallait rapporter toutes ses couvres en ces circonstances, le récit en exigerait une partie notable de cette histoire.

1049. Les miracles éclatants et innombrables que la Reine du ciel opéra dans le temps que notre Seigneur Jésus-Christ prêchait ne sont pas écrits non plus dans l'histoire de l'Évangile ni dans les autres histoires ecclésiastiques, qui n'ont mentionné que ceux que fit le Seigneur lui-même, et cela autant qu'il était convenable à la foi de l'Église; car il était nécessaire qu'elle fût établie et confirmée en cette même foi avant que de manifester les grandeurs particulières de l'auguste Vierge Mère. Il est certain, selon ce qui m'a été découvert, que non-seulement elle opéra beaucoup de conversions miraculeuses, mais encore qu'elle ressuscita des morts, donna la vue ù des aveugles et guérit plusieurs personnes de leurs maladies. Cela convenait pour plusieurs raisons : premièrement, parce qu'elle était comme coadjutrice de la plus grande ouvre due le Verbe du l'ère éternel vint exécuter dans le monde en y prenant chair humaine, c’est-à-dire de la prédication de son Évangile et de la rédemption des hommes; le même Père éternel ouvrit dans ce dessein les trésors de sa

 

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toute-puissance et de sa bonté infinie, qu'il manifestait par le Verbe incarné et par sa digne Mère; en second lieu, parce qu'il était de la gloire de l'un et de l'autre que la Mère tilt semblable au Fils, et qu'elle arrivât. au plus haut degré de toutes lés grâces et de tous. les mérites qui répondaient à sa dignité et à la récompense qu'elle en devait recevoir, afin qu'elle accréditât par ces merveilles et son très-saint Fils et la doctrine qu'il enseignait, et que par ce moyen elle l'assistât dans son miniature avec plus d'efficace et d'excellence. Si ces miracles de la très-pure Marie ont été cachés, ç'a été par une disposition spéciale du Seigneur lui-même et à la demande de la Mère de la prudence. Ainsi elle les enveloppait sagement des ombres du mystère, afin que toute la gloire en revint au Rédempteur, au nom et en la vertu duquel elle les opérait. Elle gardait aussi la même conduite lorsqu'elle instruisait les âmes, car elle ne parlait point en public ni dans les lieux destinés à ceux qui étaient chargés de in prédication comme ministres de la divine parole, sachant très-bien que telle n'était point la mission des femmes (1); mais elle remplissait la sienne dans des conférences et des conversations particulières, avec une sagesse., une discrétion et une efficace toutes célestes. En se bornant à ce rôle et à force de prières, elle fit de plus grandes conversions que tous les prédicateurs du monde n'en ont fait.

1050. On comprendra mieux cela si l'on considère

 

(1) I Cor., XIV, 34.

 

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qu'outre la vertu divine qui animait ses paroles, elle connaissait le naturel, les qualités, les inclinations, les habitudes de toutes sortes de personnes, les moments, les dispositions et les occasions les plus propres pour les ramener au chemin de la lumière; et elle joignait à cela ses prières, la douceur et la force de ses prudentes paroles. Usant de tous ses dons sous les inspirations de l'ardente charité avec laquelle elle dés:rait faire entrer toutes les âmes dans le chemin du salut et les porter à Dieu, il fallait bien que les couvres qu'elle faisait par de tels moyens fussent admirables et qu'elle affranchit du péché, qu'elle éclairât et qu'elle poussât au bien une infinité d'âmes; car elle ne demandait rien su Seigneur qui ne lui fût accordé; elle donnait à toutes ses couvres la plénitude de la sainteté qui leur était applicable; et, regardant l'oeuvre de la rédemption comme la principale de celles du Seigneur, il est sûr qu’elle y coopéra au delà de ce que l'on peut concevoir en cette vie mortelle. Cette incomparable Dame s'employait à toutes ces choses avec une rare mansuétude, comme une très-innocente colombe, et avec une patience extrême, supportant les imperfections et la grossièreté des nouveaux fidèles, et les éclairant dans leur ignorance; car un très-grand nombre de personnes l'allaient consulter après avoir embrassé la foi du Rédempteur. Elle conservait toujours cette majesté de Reine de l'univers; mais elle était avec cela si douce et si humble, qu'elle seule a pu, à l'imitation du Seigneur lui-même, unir ces perfections su suprême degré. Le Fils et la Mère

 

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traitaient avec tant de bienveillance et de charité toutes sortes de personnes, qu'il n'en est aucune qui ait pu s'excuser de n'avoir pas profité de leurs instructions. Ils conversaient et mangeaient avec les disciples et avec les femmes qui les suivaient, mais avec une retenue et une sobriété remarquables; le Sauveur agit ainsi pour faire voir à tous qu'il était véritablement homme et fils naturel de la très-pure Marie; et ce fut pour ce sujet que sa divine Majesté daigna assister à divers autres festins, comme le racontent les saints évangélistes (1).

 

Instruction que j'ai reçue de l'auguste Marie, Reine du ciel.

 

1051. Ma fille, il est constant que les peines que j'ai prises en accompagnant mon très-saint Fils jusqu'à la croix ont été plus grandes que les mortels ne sauraient se l'imaginer; et je ne travaillai pas moins après sa mort, comme vous le comprendrez quand vous écrirez la troisième partie de cette histoire. J'éprouvais pourtant une joie incomparable au milieu des fatigues et des soins que je prenais de voir que le Verbe incarné avançait le grand ouvrage du salut des hommes, et allait ouvrir le livre des,

 

(1) Matth , IX, 10 ; Joan., XII, 2; Luc., V, 29 ; VII, 36.

 

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mystères cachés de sa divinité et de son humanité très-sainte, scellé de sept sceaux (1); et les hommes ne m'ont pas moins d'obligation de ce que je me réjouissais de leur bien que de la sollicitude avec laquelle je le leur procurais, puisque cette joie et cette sollicitude naissaient d'un même amour. Je veux que vous m'imitiez en cela, comme je vous l'ai dit très. souvent. Et, quoique vous n'entendiez point là voix et la doctrine de mon très-saint Fils par le sens extérieur, vous pouvez néanmoins m'imiter en la vénération avec laquelle je l'écoutais, puisque c'est lui même qui vous parle au coeur et qui vous enseigne la même vérité; ainsi je vous ordonne, quand vous reconnaîtrez cette lumière et cette voix de votre époux et de votre pasteur, de vous jeter à genoux pour lui donner toutes vos attentions avec tout le respect possible, de l'adorer avec de très-humbles actions de grâces, et de graver ses paroles dans votre coeur. Que si vous vous trouvez en quelque endroit publie où vous ne puissiez pratiquer cette humilité extérieure, vous vous contenterez d'en faire des actes intérieurs; mais ne manquez pas de lui obéir en tout avec autant de ponctualité que si vous assistiez réellement à sa prédication car, de même que vous n'auriez pas pu vous estimer heureuse d'occuper alors une place parmi ses auditeurs si vous aviez négligé de mettre en pratique sa doctrine, ainsi vous pouvez l'être maintenant, si vous exécutez ce qu'il vous inspire, quoique vous

 

(1) Apoc., VI, 8.

 

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n'entendiez pas sa voix par l'organe corporel. Votre obligation est grande, ma fille, parce que les miséricordes du Très-Haut et mes bontés sont grandes à votre égard. Ne laissez donc point s'appesantir votre coeur, et ne tombez point dans la pauvreté au milieu de tant de richesses de la divine lumière.

1052. Vous devez écouter avec respect non-seulement la voix intérieure du Seigneur, mais aussi ses ministres, ses prêtres et ses prédicateurs, dont les voix sont les échos de celle du Très-Haut, et les canaux par où se répand la saine doctrine de vie, qui sort de la source éternelle de la vérité divine. C'est en eux que Dieu parle et qu'il fait retentir la voix de sa divine loi; écoutez-les avec tant de respect, que vous ne trouviez jamais rien à blâmer dans leurs discours. Pour vous, tous doivent être savants et éloquents, et vous devez en chacun d'eux ouïr mon Fils et mon Seigneur Jésus-Christ. En vous comportant de la sorte, vous éviterez de tomber dans la folle présomption des gens du monde, qui, pleins d'une vanité répréhensible et d'un orgueil odieux aux yeux de Dieu, méprisent ses ministres et ses prédicateurs, parce qu'ils ne leur parlent pas selon leur goût dépravé. Et comme ils ne cherchent point la vérité divine, ils ne s’attachent qu'aux termes et au style, comme si la parole de Dieu n'était point d'elle même pure et efficace (1), et qu'elle eût besoin d'ornements pour se rendre accessible à l'infirme intelligence de

 

(1) Hebr., IV, 12.

 

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ses auditeurs. Souvenez-vous de cet avis salutaire, faites-en un cas particulier, et soyez attentive à tous ceux que je vous donnerai dans cette histoire; car je veux, comme Maîtresse, vous informer des choses petites aussi bien que des grandes; et il est toujours important d'agir en tout avec perfection. Je vous avertis aussi d'être égale envers tous ceux qui vous parleront, soit qu'ils soient pauvres, soit qu'ils soient riches sans avoir aucune partialité pour personne; car c'est là une autre faute qui est commune entre les enfants d'Adam, et que mon très-saint Fils et moi avons condamnée en nous montrant également affables à tous, et particulièrement à l'égard de ceux qui étaient les plus pauvres, les plus affligés et les plus méprisés. La sagesse humaine regarde l'extérieur des personnes, et non pas les âmes ni les vertus (1); mais la prudence du ciel considère en tous l'image de Dieu. Vous ne devez pas non plus vous troubler si l'on découvre en vous quelques infirmités naturelles, qui sont des peines du premier péché, comme les maladies, la lassitude, la faim et les autres incommodités. On cache bien souvent ces choses-là par hypocrisie nu par orgueil; mais les amis de Dieu ne doivent craindre que le péché, souhaitant plutôt de mourir que de le commettre; tous les autres défauts ne souillent point la conscience, il n’est donc pas nécessaire de les dissimuler.

 

(1) Jacob., II, 2.

 

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CHAPITRE III. De l’humilité de la très-pure Marie dans les miracles que notre Sauveur Jésus-Christ faisait; et de celle qu'elle enseigna aux apôtres à pratiquer dans ceux qu'ils devaient opérer par la vertu divine, et de plusieurs autres choses remarquables.

 

1053. La principale matière de toute l'histoire de la sainte Vierge est (si l'on y fait quelque réflexion) une démonstration très-claire de l'humilité de cette grande Reine et Maîtresse des humbles; cette vertu est si ineffable en elle, qu'on ne saurait dignement la louer ni en exprimer toute la perfection, parce que ni les hommes ni les anses n'en ont jamais pu bien sonder l'impénétrable profondeur. Mais comme le sucre entre dans toutes les confections et dans toutes les potions salutaires, pour les assaisonner à point et leur communiquer m. douceur, quoiqu'elles soient fort différentes, de mime l'humilité entre dans toutes les vertus et dans toutes les actions de la très-pure Marie, et les accommode au goût da Très-Haut et à celui des hommes; de sorte que sa divine Majesté l'a regardée et choisie à cause de son humilité, et c'est par elle que toutes les nations l'appellent bienheureuse (1).

 

(1) Luc., I, 48.

 

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Dans tout le cours de sa vie, la très-prudente Dame ne laissa passer aucun moment ni aucune occasion sans pratiquer les vertus qu'elle pouvait; mais le plus merveilleux, c'est qu'elle n'en pratiquait aucune sans le concours de sa rare humilité. Cette vertu l'éleva au-dessus de tout ce qui n'était pas Dieu; et, comme elle vainquit toutes les créatures, en humilité, elle vainquit aussi par elle, pour ainsi dire, Dieu lui-même, en trouvant tellement grâce à ses yeux, qu'elle ne lui demanda aucune faveur pour elle ni pour les autres, qu'elle ne l'obtint. La victoire que cette très-humble Reine remporta par son humilité fut générale, car elle vainquit dans sa maison (comme je l'ai raconté dans la première partie) sa mère sainte Anne et ses domestiques, afin qu'on lui laissât remplir les plus bas offices : dans le Temple, elle vainquit toutes ses compagnes; dans le mariage, saint Joseph; dans les occupations les plus viles, les anges; dans les louanges, les apôtres et les évangélistes, afin qu'ils ne publiassent pas celles qu'elle méritait; elle vainquit le père et le Saint-Esprit, afin qu'ils ne tissent point éclater les grâces qu'elle en avait reçues; et son très-saint Fils aussi, afin qu'il agit à son égard d'une manière qui ne donnât aucun motif aux hommes de la louer pour les miracles qu'il faisait et pour la doctrine qu'il enseignait.

1054. Cette sorte d'humilité si généreuse, dont je traite maintenant, fut le partage exclusif de la plus humble entre les humbles; car les autres enfants d'Adam et même les anges n y sauraient arriver, à

 

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raison de l'état des personnes, quand même pour d'autres causes nous ne serions pas aussi loin de cette vertu que nous le sommes. Nous découvrirons cette vérité, si nous considérons que les autres mortels ont été, par la morsure de l'ancien serpent, si profondément infectés du venin de l'orgueil, que, pour l'éliminer, la Sagesse divine a ordonné que l'effet même du péché servirait de remède; car à la vue de tant de fautes personnelles Auxquelles chacun de nous se laisse aller, comment ne reconnaîtrions-nous pas notre bassesse, que nous n'avons pas connue au moment où nous avons reçu l'être? Il est évident que, quoique nous ayons une âme spirituelle, elle n'occupe que le dernier degré en cet ordre des cures spirituels, Dieu ayant le plus haut, et la nature angélique se trouvant au milieu; pour ce qui regarde le corps, nous n'avons pas seulement été tirés de l'élément le plus vil, qui est la terre, mais de ce qu'elle a de plus abject, qui est la boue (1). Dieu ne fit point tout cela par hasard, mais' il l'a fait avec une grande sagesse, afin que la houe prit sa place, qu'elle se crût digne du lieu le plus bas, et qu'elle y demeurât toujours, se vit-elle ornée et enrichie de plusieurs grâces, parce qu'elles se trouvent dans un rase fragile (2). Nous avons tous perdu le jugement; nous nous sommes écartés de cette vérité et de cette humilité si propre à l’être de l'homme, et, pour nous y remettre par un autre sujet d'humilité, il faut que la concupiscence rebelle, les passions

 

(1) Gen., II, 7. — (2) II Cor., IV, 7.

 

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que le péché produit en nous et le dérèglement de nos actions nous fassent expérimenter que nous sommes vils et méprisables. Et, bien que nous en ayons une expérience continuelle, elle ne suffit pas pour nous ouvrir les yeux et nous faire avouer que c'est une chose intolérable et inique de souhaiter les honneurs et les applaudissements des hommes, n'étant, comme nous sommes, que cendre et que poussière, et même indignes par nos péchés d'un être si bas et si terrestre.

1055. La seule Marie, sans avoir été atteinte du péché d'Adam ni de ses effets déplorables, pratiqua l'humilité dans sa plus hante perfection: et la simple connaissance de l'être de la créature lui suffit pour qu'elle s'humiliât plus que tous les enfants d'Adam, qui, outre la connaissance qu'ils ont de leur être terrestre , connaissent leurs propres péchés. Si d'autres ont été humbles, ils ont été auparavant humiliés, et se sont trouvés, par cette humiliation, comme forcés d'entrer dans l'humilité, et de dire avec David: Avant que j'eusse été humilié, j'ai péché (1). Et dans un autre verset : Il est   bon, Seigneur, que vous m'ayez humilié; afin que. j'apprenne vos ordonnances pleines de justice (2). Mais la Mère de l'humilité n'entra point dans cette vertu par l'humiliation; elle fut humble avant que d'être humiliée, et elle ne fut jamais humiliée par le péché ni par les passions, mais toujours humble d'une manière généreuse. Que si les anges ne

 

(1) Ps. CXVIII, 67. — (2) Ibid., 71.

 

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doivent point être confondus avec les hommes, parce qu'ils sont d'une nature supérieure et qu'ils n'ont ni passions ni péchés, il n'en a pas été moins impossible à ces esprits célestes de parvenir à l'humilité de la très-pure Marie, quoiqu'ils se soient humiliés devant leur Créateur en se reconnaissant les ouvrages de ses mains. Mais ce que l'auguste Vierge eut de l'être terrestre et humain lui servit précisément à surpasser les mêmes anges en cette vertu, car leur être spirituel ne pouvait pas les porter à s'humilier autant que cette auguste Dame. On peut ajouter à cela la dignité de Mère de Dieu et de Reine de l'univers, puisque aucun des anges n'a pu s'attribuer une excellence qui ait élevé la vertu de l'humilité autant que cette dignité l'élevait en notre incomparable Maîtresse.

1056. L'excellence de cette vertu fut chez elle exceptionnelle et unique, puisque, étant Mère de Dieu et Reine de tout ce qui est créé, n'ignorant pas cette vérité ni les grâces qu'elle avait reçues pour être digne de cette maternité, ni les merveilles qu'elle opérait par leur moyen, et sachant que le Seigneur mettait entre ses mains et à sa disposition tous les trésors du ciel, elle n'éleva néanmoins jamais son coeur au-dessus du rang infime qu'elle avait choisi entre toutes les créatures; elle n'en voulut point sortir, elle Mère du Seigneur ! elle si innocente et si puissante ! elle si favorisée de sa divine Majesté ! elle qui aurait pu se prévaloir des prodiges qu'elle opérait comme de ceux de son très-saint Fils ! O rare humilité! O fidélité inconnue des mortels ! O sagesse, qui surpasse

 

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celle des anges mêmes! Quel est celui qui, étant connu de tous pour le plus grand, se méconnaît lui seul et se regarde comme le plus petit? Quel est celui qui a su se cacher à lui-même ce que tous publient sur son compte? Quel est celui qui s'est cru digne de mépris, étant pour tous un sujet d'admiration? Quel est celui enfin qui, étant dans le plus haut degré d'honneur, a toujours regardé les abaissements avec complaisance, et qui, pouvant avec justice occuper le lieu le plus honorable, a choisi le plus bas (1), et cela non par nécessité ni avec tristesse et impatience, mais spontanément et avec une joie sincère? O enfants d'Adam, combien sommes-nous ignorants en cette science divine ! Comme il est nécessaire que le Seigneur nous cache bien souvent nos propres avantages, ou les balance par quelque contre-poids, par un lest qui nous empêche d'aller en dérive avec tous ses bienfaits, et de former secrètement le dessein de lui ravir la gloire qui lui est due comme à l'auteur de toute chose ! Comprenons donc combien notre humilité est peu solide, si tant est que nous ayons parfois cette vertu, puisque le Seigneur a besoin, pour ainsi dire, quand il veut nous favoriser de quelques-uns de ses dons, de prendre tant de précautions, à cause de la faiblesse de notre humilité, et parce que nous n'en recevons presque jamais aucun sans le rogner nous-mêmes par nos ingratitudes, ou du moins par quelque vaine complaisance.

 

(1) Luc., XIV, 6.

 

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1057. Les anges étaient ravis de l'humilité que la sainte Vierge pratiquait dans les miracles de notre Seigneur Jésus-Christ, parce qu'ils n'étaient pas accoutumés de voir chez les enfants d'Adam, ni même chez eux , cette manière de s'humilier parmi tant d'excellences et tant de merveilles. Ces esprits célestes admiraient moins les miracles du Sauveur (parce qu'ils y avaient déjà découvert sa toute-puissance) que la fidélité incomparable avec laquelle l'auguste Marie rapportait toutes ces choses à la gloire de Dieu; et elle se croyait si indigne, qu'elle regardait comme une faveur singulière que son très-saint Fils ne cessât point de les faire tandis qu'elle se trouvait au monde. Elle pratiquait cette sorte d'humilité sans prendre garde qu'elle était celle qui portait actuellement par ses prières le Sauveur à opérer presque toutes ses merveilles; outre que si les hommes n'eussent point eu, comme je l'ai dit ailleurs, cette grande Reine pour médiatrice auprès de Jésus-Christ, l'univers aurait été privé de la doctrine évangélique, et n'aurait pas mérité de la recevoir.

1058. Les miracles et les oeuvres de notre Seigneur Jésus-Christ étaient si surprenants, si inouïs, qu'il n'était pas possible qu'il n'en rejaillit une grande gloire sur sa très-pure Mère; en effet, non-seulement elle était connue des, disciples et des apôtres, mais les nouveaux fidèles allaient presque tous vers elle pour la consulter, la reconnaissaient pour Mère du véritable Messie, et la félicitaient des prodiges que sou très-saint Fils faisait. Tout cela servait de nouvelle

 

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épreuve à son humilité, car elle s'abîmait dans le néant, et se méprisait elle-même au delà de toutes nos imaginations. Elle ne laissait pourtant pas s'abattre son coeur dans ce mépris d'elle-même; elle y témoignait toute la reconnaissance possible, parce que, dans le temps qu'elle s'humiliait pour toutes les merveilles de Jésus-Christ, elle rendait pour chacune des actions de grâces au Père éternel, et suppléait ainsi à l'ingratitude des mortels. Par le commerce secret que son rime virginale entretenait avec celle du Sauveur, elle l'engageait à détourner la gloire que les auditeurs de sa divine parole lui attribuaient à elle, comme il arriva en quelques occasions que l'on remarque dans les Évangiles. L'une quand il chassa du corps d’un homme un démon qui était muet; et comme les Juifs attribuaient ce miracle à Béelzébub, prince des démons, le Seigneur suscita cette femme fidèle qui, élevant la voix , lui dit : Bienheureux est le rentre qui vous a porté, et bienheureuses sont les mamelles qui vous ont allaité (1). La très-humble et très-prudente Mère, entendant ces paroles, pria intérieurement notre Rédempteur d'empêcher que cette louange ne s'applique à elle; et il exauça sa prière, mais en enchérissant sur tous les éloges en des termes encore mystérieux. Car le Seigneur dit, pour répondre à cette femme : Plutôt bienheureux sont ceux qui écoulent la parole de Dieu et qui la gardent (2). Par cette réponse il détourna l'honneur qu'on donnait à l'auguste Marie

 

(1) Luc., XI, 27. — (2) Ibid., 28.

 

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en qualité de Mère, et le lui décerna lui-même en qualité de sainte, tout en enseignant à ceux qui l'écoutaient l'essentiel de la vertu commune à tous, en laquelle sa Mère se distinguait d'une manière si admirable, quoiqu'ils ne comprissent pas alors son langage.

1059. L'autre occasion nous est signalée par saint Luc, lorsqu'il raconte que l'on dit à notre Sauveur, occupé à prêcher, que sa mère et ses frères désiraient le voir, sans pouvoir l'aborder à cause de la multitude des gens qui l'environnaient. Et la très-prudente Vierge, craignant de recevoir quelques louanges de ceux qui la connaissaient pour Mère du Sauveur; pria cet adorable Seigneur de ne point le permettre, comme il le fit en répondant : Ce sont ceux qui écoutent la parole de Dieu, et qui l'accomplissent, qui sont ma mère et mes frères (1). Dans cette réponse, le Seigneur n'avait pas intention d'exclure sa Mère de l'honneur qu'elle méritait par sa sainteté : au contraire, il entendait la distinguer plus que personne. Mais il s'exprima de façon à ce qu'elle ne fût point louée de ceux qui se trouvaient présents à sa prédication, et que par là même fût satisfait le désir qu'elle avait quelle Seigneur seul fût connu et loué pour ses oeuvres. On doit remarquer ici que je rapporte ces deux cas comme différents, parce que j'ai appris qu'ils n'arrivèrent pas en un même lieu ni en une même circonstance, ainsi qu'on le peut voir par ce que saint

 

(1) Luc., VIII, 21.

 

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Luc en dit dans les chapitres huitième et onzième. Et, comme saint Matthieu rapporte au chapitre douzième (1) le même miracle de la guérison du possédé muet, et qu'il ajoute aussitôt que l'on avertit le Seigneur que sa mère et ses frères étaient dehors qui le demandaient, et les autres détails qui suivent, quelques interprètes sacrés en ont conclu que tout ce qui précède était arrivé dans une seule et même occasion. Mais lorsque, par ordre de mes supérieurs, je demandai de nouvelles explications, il me fut déclaré que les deux faits rapportés par saint Luc ne sont point identiques et arrivèrent en deux circonstances différentes; c'est, du reste, ce que l'on peut inférer du surplus que contiennent les deux chapitres du même évangéliste avant les paroles que j’ai citées ; car après le miracle dont fut l'objet celui qui était possédé du démon, saint Luc fait mention de cette femme qui dit Beatus venter, etc. Et il raconte l'autre fait au chapitre huitième, après que le Seigneur eut prêché la parabole du semeur, et il est certain que l'un et l'autre eurent lieu immédiatement à la suite de ce qui précède dans son récit.

1060. Pour mieux comprendre que les évangélistes ne. se contredisent point, et la raison pour laquelle notre grande Reine alla chercher son très-saint Fils dans les occasions qu'ils indiquent, il faut savoir que la divine Mère se rendait ordinairement aux endroits où prêchait notre Sauveur et Maître

 

(1) Matth., XII, 45et 46.

 

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Jésus-Christ pour deux fins : l'une, pour entendre sa doctrine céleste, comme je l'ai dit ailleurs; l'autre, parce qu'elle voulait lui demander diverses faveurs pour son prochain, comme la conversion de quelques âmes, la guérison des malades, quelques secours pour les nécessiteux : car cette très-miséricordieuse Dame se chargeait de veiller et de pourvoir à ces choses-là, ainsi qu'elle le prouva aux noces de Cana. Elle allait pour ces fins, et pour plusieurs autres également saintes et charitables, chercher le Sauveur, soit quand les saints anges l'avertissaient, soit lorsqu'elle y était portée par la lumière intérieure; ce fut la raison pour laquelle elle l'alla trouver dans les occasions que les évangélistes marquent. Et comme cela arriva non pas une seule, mais maintes fois, et que le nombre des personnes qui assistaient à la prédication du Sauveur était considérable, on eut soin, dans les deux occasions dont les évangélistes font mention et en bien d'autres qu'ils n'ont pas signalées, de l'avertir que sa mère et ses frères le demandaient, et alors il répondit ce que disent saint Matthieu et saint Luc. On ne doit pas être surpris que le Seigneur ait répété les mêmes choses en des lieux différents, comme cette sentence : Quiconque s'élève sera abaissé, et quiconque s'abaisse sera élevé; qu'il dit une fois dans la parabole du publicain et du pharisien, et une autre fois dans celle de ceux qui sont invités à des noces, ainsi que le racontent saint Luc (1) aux chapitres quatorzième et

 

(1) Luc., XIV, 11; XVIII, 14.

 

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dix-huitième, et saint Matthieu dans une autre circonstance (1).

1061. L'auguste Marie ne se. contenta. pas seulement. d'être humble, mais elle voulut aussi enseigner la vertu de l'humilité aux apôtres et. aux disciples, parce qu'il fallait qu'ils y fussent établis pour les dons qu'ils devaient recevoir, et pour les merveilles qu'ils devaient opérer par ces mêmes dons, non-seulement plus tard, lorsque l'Église serait fondée, mais aussi dès ce temps-là auquel ils allaient commencer à prêcher. Les saints évangélistes disent (2) que notre divin Maître envoya premièrement les apôtres, et ensuite les soixante-douze disciples, et qu'il leur donna le pouvoir de guérir les maladies et de chasser les démons. La grande Maîtresse des humbles leur apprit, par son exemple et par ses paroles de vie, comment ils devaient se comporter en opérant ces merveilles. De sorte qu'ils puisèrent dans ses instructions, et obtinrent par ses prières un nouvel esprit d'humilité profonde et de très-haute sagesse pour reconnaître plus clairement qu'ils faisaient ces miracles par la vertu du Seigneur, et qu'ils devaient rapporter toute la gloire de ces oeuvres à son seul pouvoir et â sa seule bonté, rien étant eux-mêmes que les simples instruments : et comme on n'attribue point le mérite d'une belle peinture au pinceau, ni celui de la victoire à l'épée, mais uniquement au peintre et au capitaine ou au soldat qui s'en servent, de même ils

 

(1) Matth., XXIII, 12. — (2) Marc., III, 14, Luc., IX, 2;  X, 2, etc.

 

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devaient rapporter à leur adorable Maître tout l'honneur et toute. la gloire des merveilles qu'ils feraient, puisqu'il est le principe de toutes sortes de biens. Il faut remarquer qu'on ne trouve point dans les Évangiles que le Seigneur ait donné aux apôtres aucune instruction sur l'humilité; avant qu'ils allassent prêcher, parce que notre Maîtresse le fit. Néanmoins, quand les disciples revinrent Avec joie, disant au divin Sauveur qu'ils avaient en son nom assujetti les démons (1), alors il leur rappela qu'il leur avait donné ce pouvoir, et qu'ils ne devaient point se réjouir de ces merveilles, mais de ce que leurs noms étaient écrits dans le ciel. (2). On peut voir par là combien notre humilité est faible, puisque les disciples du Seigneur eux-mêmes ont eu besoin de tant d'avis et de tant de préservatifs pour la conserver.

1062. Cette science de l'humilité, que notre Seigneur Jésus-Christ. et sa très-sainte Mère enseignèrent aux apôtres, fut surtout importante pour fonder ensuite l'Église, à raison même des merveilles qu'Us opérèrent par la vertu de leur Maître, en confirmation de la foi et de la prédication de l'Évangile; car les païens, accoutumés à attribuer aveuglément la divinité à tout ce qui leur paraissait grand et nouveau, voulurent, à la vue des miracles que les apôtres faisaient, les adorer et les reconnaître pour des dieux, comme il arriva en Lycaonie à saint Paul et à saint Barnabé, qui, pour avoir guéri un paralytique, étaient

 

(1) Luc., X, 17. — (2) Ibid., 20.

 

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appelés, saint Paul Mercure, et saint Barnabé Jupiter (1). Et depuis, dans l'île de Malte, parce que saint Paul ne mourut point de la morsure d'une vipère (comme tous ceux qui en étaient mordus), ils dirènt que c'était un Dieu. La très-pure Marie prévoyait tous ces mystères et toutes ces raisons par la plénitude de sa science; et, comme coadjutrice de son très-saint Fils, elle coopérait au grand oeuvre de sa majesté et à la fondation de la loi de grâce. Pendant le temps que le Sauveur prêcha, c'est-à-dire dans les trois dernières années de sa vie, il se rendit trois fois à Jérusalem pour y célébrer la Pâque, et sa bienheureuse Mère l'accompagna toujours et se trouva présente quand il chassa la première fois du Temple avec un fouet ceux qui vendaient des boeufs, des brebis et des colombes dans cette maison de Dieu (2). Elle suivit notre Sauveur dans toutes ces occasions; et, lorsqu'il s'offrait au Père éternel en passant par les lieux où il devait souffrir, elle se joignait à lui par les sentiments d'un séraphique amour et par des actes de vertu divine, sans négliger aucun de ceux qui pouvaient la concerner, et en donnant à tous la plénitude de la perfection qui leur était propre. Elle exerçait d'une manière spéciale la très-ardente charité quelle avait reçu de l'être de Dieu; car, demeurant en Dieu et Dieu en elle (3), il est sûr que la charité qui enflammait le coeur de cette auguste Dame était celle de Dieu

 

(1) Act., XIV, 9, etc.; XXVIII, 6. — (2) Jean., II,15. — (3) I Joan., IV, 16.

 

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même, et elle l'employait à solliciter, avec toute la ferveur dont elle était capable, le bien de son prochain.

 

Instruction que la Reine du ciel m'a donnée.

 

1063. Ma fille, l'ancien serpent a usé de toute sa malice et de toutes ses ruses pour extirper du coeur humain la science de l'humilité, que la bonté du Créateur y a semée comme une semence sainte, et en sa place cet ennemi y a répandu la mortelle ivraie de l'orgueil (1). Or, si l'âme veut arracher ce mauvais grain et recouvrer le trésor de l'humilité qu'elle a perdu, il faut qu'elle veuille être humiliée par les autres créatures, et qu'elle demande au Seigneur avec un coeur sincère cette vertu et les moyens de l'acquérir. Ceux. qui s'appliquent à ,cette science et qui acquièrent une parfaite humilité sont fort rares; car cela demande une entière victoire sur soi-même, à laquelle très-peu de personnes arrivent, même parmi celles qui font profession de vertu, parce que ce virus de l'orgueil a si fort pénétré les puissances humaines, qu'il s'insinue dans presque toutes leurs opérations; de sorte qu'on trouverait à peine une seule action humaine exempte d'une dose de vanité, comme la

 

(1) Matth., XIII, 25.

 

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rose vient avec les épines et le grain avec la paille. C'est pour cela que le Très-Haut fait une si grande estime de ceux qui sont véritablement humbles et qui triomphent entièrement de l'orgueil; qu'il les élève; qu'il les place entre les princes de son peuple (1); qu'il les caresse comme ses enfants, et qu'il les affranchit jusqu'à un certain point de la juridiction des démons c'est aussi pour cette même raison que ces ennemis ne les attaquent qu'avec difficulté, parce qu'ils craignent les humbles, et que les victoires que ceux-ci remportent sur eux les tourmentent beaucoup plus que les peines qu'ils souffrent dans l'enfer.

1064. Je souhaite, ma très-chère fille, que vous possédiez avec plénitude le trésor inestimable de cette vertu, et que vous abandonniez entièrement au Très-Haut votre coeur docile et soumis, afin qu'il y imprime sans aucune résistance, 'comme sur une cire molle, l'image de mes humbles actions. Vous découvrirez en ce que je vous ai manifesté des secrets si cachés de ce mystère, combien est grande l'obligation que vous avez de correspondre à ma volonté, et de ne laisser passer aucune circonstance en laquelle vous puissiez vous humilier et vous avancer en cette vertu sans en profiter, comme vous savez que je l'ai fait, quoique je fusse Mère de Dieu, et absolument pleine de pureté et de grâce; car plus je recevais de faveurs plus je m'humiliais, parce que je croyais qu'elles surpassaient toujours plus mes mérites et qu'elles m'imposaient de

 

(1) Ps., CXII, 8.

 

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nouvelles obligations. Tous les autres enfants d'Adam sont conçus dans le péché (1), et il ne s'en trouve aucun qui ne pèche par lui-même. Que si personne ne peut nier cette vérité, quelle raison pourra-t-on avoir de ne pas s'humilier devant Dieu et devant les hommes? Ce n'est pas une grande humilité, pour des gens qui ont péché, que de s'abaisser au-dessous de la poussière, puisqu'ils reçoivent toujours plus d'honneur qu'ils ne méritent dans leurs propres abaissements. Celui qui est véritablement humble doit choisir une place qui soit au-dessous de celle qui lui est due. Si toutes les créatures le méprisent et l'insultent, s’il se croit digue de l'enfer, tout cela est plutôt justice qu'humilité, car c'est ce qu'il mérite. Mais une profonde humilité va jusqu'à désirer une plus grande humiliation que celle qui est due en justice à celui qui est humble. Ainsi il est certain qu'aucun des mortels ne saurait arriver à cette sorte d'humilité que j'eus, comme vous l'avez entendu et écrit; mais le Très-Haut est satisfait lorsque l'on s'humilie en ce que l'on peut et en ce que l'on doit avec justice.

1065. Que les pécheurs superbes considèrent maintenant leur difformité; qu'ils sachent qu'ils deviennent des monstres de l'enfer en imitant Lucifer dans son orgueil. Ce vice le trouva avec une grande beauté et avec des dons singuliers de la grâce aussi bien que de la nature; et quoiqu'il ait abusé des biens qu'il

 

(1) Ps. L, 7.

 

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avait reçus, il les possédait réellement et pouvait. eu disposer comme de choses propres; mais l'homme, qui n'est que boue , qui a en outre péché, qui s'est souillé par mille abominations, n'est plus qu'un monstre s'il cherche à s'enfler, à se bouffer, et en cette présomption il est pire qu'un démon, parée qu'il n'a pas une nature aussi noble qu'avait Lucifer; il n'en a ni les charmes ni la beauté. Cet ennemi et ses ministres se moquent des hommes qui s'enorgueillissent dans des conditions si basses, parce qu'ils apprécient leur folle et méprisable vanité: Prenez donc bien garde, ma fille, à ces écueils, humiliez-vous plus bas que la terre, sans vous montrer plus sensible qu'elle quand le. Seigneur vous humiliera, ou par lui-même ou par les créatures. Il ne faut pas seulement que vous pensiez que personne vous offense; et si vous avez de l'aversion pour tout ce qui est fictif et mensonger, sachez que rien, ne l'est autant que de souhaiter les applaudissements et les honneurs. Vous ne devez pas non plus attribuer aux créatures ce que Dieu fait pour vous humilier et pour retirer aussi les autres de leur orgueil par des tribulations, car ce serait se plaindre des instruments dont il se sert; et c'est une conduite de la divine miséricorde d'affliger les hommes par des châtiments pour les amener à l'humiliation. Tel est le secret des fléaux dont sa divine Majesté frappe aujourd'hui divers royaumes sans que les peuples veuillent y réfléchir. Humiliez-vous devant le Seigneur pour vous et pour tous vos frères, afin d'apaiser sa colère, comme si vous étiez

 

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la seule coupable et incertaine de l'avoir satisfait; car en cette vie personne ne peut savoir s’il s’est acquitté de ce devoir. Tâchez donc de l'apaiser comme si vous seule l'eussiez offensé; témoignez-lui vos reconnaissances des faveurs que vous en avez reçues et de celles que vous en recevrez, comme si vous en étiez la plus indigne et en même temps la plus chargée d'obligations. Humiliez-vous plus que personne dans cette considération, et travaillez continuellement à satisfaire en partie la divine miséricorde, qui a été si libérale envers vous.

 

CHAPITRE IV. Lucifer se trouble des miracles, de notre Seigneur Jésus-Christ, de ses ouvres, et de celles de saint Jean-Baptiste. — Hérode fait mettre le Précurseur en prison. Il lui fait trancher la tête. —Particularités qui accompagnent la mort du saint.

 

1066. Le Rédempteur du monde, continuant toujours à instruire le peuple et à faire des miracles, sortit de Jérusalem pour aller en Judée, où il demeura quelque temps, baptisant, comme ledit saint Jean dans son Évangile, su chapitre troisième, en ajoutant au quatrième qu'il baptisait par la main de ses

 

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disciples (1). En ce même temps le Précurseur baptisait aussi à Ennon, sur les bords du Jourdain, près de la ville de Salim. Son baptême n'était pas néanmoins, le même que celui de Jésus-Christ, parce que le saint Précurseur ne baptisait que du baptême d'eau et de celui de pénitence; mais notre Sauveur donnait son propre baptême, qui opérait la justification et le pardon efficace des péchés qu'opère aujourd'hui le même baptême, en infusant dans les âmes la grâce et les vertus. Outre cette efficace secrète et les effets de ce sacrement, le Seigneur y ajoutait l'efficace de ses paroles et de sa doctrine, et la grandeur,de ses miracles, qui confirmaient son baptême. C'est pour cela que sa Majesté faisait plus de disciples que Jean, s'accomplissant alors ce que le saint lui-même avait annoncé, qu'il fallait qu'il se rapetissât et que le Seigneur grandit. L'auguste Marie était ordinairement témoin du baptême qu'administrait Jésus-Christ; elle pénétrait les divins effets que produisait dans les âmes cette nouvelle régénération, et elle en témoignait sa reconnaissance à Celui qui en était l'auteur par des cantiques de louange et par de grands actes de vertu, comme si elle-même eût reçu toutes les faveurs que les hommes obtenaient par le moyen de ce sacrement; dé sorte que dans toutes ces merveilles elle acquérait de nouveaux et incomparables mérites.

1067. Quand Dieu eut permis, selon ses adorables dispositions, à Lucifer et à ses ministres de se relever

 

(1) Joan., III, 22, IV, 3.

 

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de l'abattement dans lequel ils étaient tombés à la suite de la victoire que notre Rédempteur Jésus-Christ avait remportée sur eux dans le désert, ce Dragon revint pour épier les couvres de l'humanité très-sainte, et la divine Providence permit que cet ennemi, à qui le principal mystère était toujours caché, remarquât une, partie de ce qu'il devait savoir pour être entièrement confondu dans sa propre malice. Il reconnut le grand fruit de la doctrine, des miracles et du baptême de Jésus-Christ, et que par ce moyen une infinité dames sortiraient de sa juridiction et du péché, et réformeraient leur vie. Il reconnut aussi en sa manière la même chose de la doctrine et du baptême de saint Jean, quoiqu'il ignorât toujours la différence secrète qui se trouvait entre ces divers maîtres et leurs baptêmes; mais il prévit la perte de son empire si les nouveaux prédicateurs, notre Seigneur Jésus-Christ et saint Jean, continuaient leurs couvres. Cette ruine imminente jeta Lucifer dans une extrême confusion; car il s'avouait trop faible pour résister à la puissance du ciel, qu'il rencontrait dans ces hommes nouveaux et dans leur doctrine. Ainsi troublé par la crainte, en dépit de tout son orgueil, il rassembla un nouveau conciliabule auquel les autres princes des ténèbres assistèrent, et leur dit : « Nous avons découvert ces dernières années de grands changements dans le monde; chaque jour ils augmentent, et par là même mes craintes redoublent dans le doute où je suis si le Verbe divin y est venu, comme il l'a promis; et, bien que j'aie parcouru toute la terre, je ne

 

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suis point parvenu à m'assurer du fait. Mais ces deux hommes étranges, qui prêchent et qui m'enlèvent chaque jour un si grand nombre d'âmes, me sont fort suspects et me mettent dans des embarras incroyables; il en est un que je n'ai jamais pu vaincre dans le désert, et l'autre nous y a si complètement vaincus et tellement affaiblis, que nous avons presque perdu courage; si ces hommes continuent comme ils ont commencé, tous nos triomphes passés tourneront à notre propre confusion. Ils ne peuvent pas être tous deux Messies; et je ne sais pas si l'un d'eux le serait; mais la conversion des âmes est une entreprise très-difficile, et je n'ai trouvé personne jusqu'à présent qui en ait tant converti; cela suppose une vertu nouvelle dont il nous importe beaucoup de rechercher et de reconnaître le principe, car il faut que nous en finissions avec ces deux hommes. Suivez-moi donc à l'instant, et employez avec moi toutes vos forces, tout votre pouvoir et toutes vos ruses; sinon tous nos desseins seront renversés. »

1068. Après avoir raisonné de la sorte, ces ministres d'iniquité résolurent de persécuter de nouveau notre Seigneur Jésus-Christ et son saint Précurseur; mais, comme ils ne pénétraient point les mystères cachés dans la Sagesse incréée, il n'y avait que contradiction et incertitude dans les divers renseignements qu'ils se transmettaient et dans les grandes conséquences qu'ils en tiraient; car ils ne savaient à quoi s'arrêter en voyant d'un côté tant de merveilles, et de l'autre tant de choses contraires aux marques

 

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par lesquelles ils s'imaginaient que le Verbe incarne annoncerait sa venue. Or, Lucifer voulant communiquer sa malice à ses satellites et les faire entrer dans son dessein, qui était de découvrir la cause inconnue de l'abattement qu'il sentait, assemblait les démons afin qu'ils l'informassent de ce qu'ils avaient vu et entendu, et il leur promettait de grandes récompenses et des charges considérables dans sa république maudite. Et, afin que la malice de ces ministres infernaux s'embrouillât de plus en plus dans leur confuse rage, le Maître de la vie permit qu'ils eussent une plus grande connaissance de la sainteté de Baptiste. Quoiqu'il ne fit point des miracles comme le Sauveur, les marques de sa sainteté étaient pourtant insignes, et il était admirable en ses vertus extérieures. Sa Majesté cacha aussi au Dragon quelques-unes de ses merveilles les plus extraordinaires, et, dans ce qu'il parvenait 'à savoir, il trouvait une grande ressemblance entre Jésus-Christ et saint Jean; de sorte qu'il hésitait continuellement auquel des deux il attribuerait la dignité et l'office de Messie. Ce sont tous deux, disait-il, de grands saints et de grands prophètes; la vie de l'un, sans être éclatante, est fort extraordinaire, et l'autre opère beaucoup de miracles; leur doctrine est presque la même; ils ne peuvent être tous deux Messies, mais, quels qu'ils soient, je reconnais en eux de mortels ennemis et des saints d'une vertu éminente; il faut par conséquent que je les persécute jusqu'à ce que j'en sois venu à bout.

1069. Le démon commença à concevoir ces craintes

 

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dès qu'il eut vu saint Jean mener dans le désert une vie si nouvelle et si prodigieuse depuis son enfance, et il crut que ce genre de vie surpassait les forces d'un simple mortel. D'autre part, il connut aussi quelques-unes des couvres et des vertus de la vie de notre Seigneur Jésus-Christ qui ne lui paraissaient pas moins admirables, et il les comparait avec celles du saint Précurseur. Mais, comme le Seigneur vivait parmi les hommes d'une manière plus commune, Lucifer s'attachait autant que possible à découvrir ce qu'était saint Jean. Et clans ce désir il, porta les Juifs et les pharisiens de Jérusalem à envoyer au saint des prêtres et des lévites pour savoir de lui qui il était (1), sil était le Christ, comme ils le croyaient par l'inspiration de l'ennemi. Et il fallait que cette impulsion fût,bien forte, puisqu'ils pouvaient observer que saint Jean Baptiste appartenant, comme il était notoire, à la tribu de Lévi, ne pouvait pas être le Messie, car il devait être, selon les Écritures (2), de celle de Juda; et ces pharisiens étaient savants en la loi et n'ignoraient point ces vérités. Mais le démon les troubla, et les porta à faire cette demande, avec une double malice du côté du même démon; car son intention était que le saint répondit sil était le Christ; et que s'il ne l'était pas, il s'enorgueillit de l'estime qu'il s'était acquise parmi le peuple, qui le croyait tel, et qu'il en tirât quelque vanité ou s'attribuât en tout. ou en partie l'honneur qu'on lui faisait. Dans cette malicieuse

 

(1) Joan., I, 19. — (2) Ps. CXXXI, 14.

 

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intention , Lucifer fut très-attentif à la réponse de saint Jean.

1070. Mais le saint Précurseur répondit avec une sagesse admirable, confessant la vérité d'une telle manière, que l’ennemi en fut plats abattu et plus confus qu'auparavant. Il répondit qu'il n'était pas le Christ. On lui demanda ensuite sil était Élie, car les Juifs étaient si grossiers, qu'ils ne savaient pas discerner le premier avènement du Messie d'avec le second; et comme ils trouvaient dans les Écritures qu'Élie devait venir auparavant, ils lui demandèrent s'il était Élie. Il répondit qu'il ne l'était point, mais qu'il était la voix qui, comme baie l'avait prédit, criait dans le désert . Aplanissez le chemin du Seigneur (1). Les personnes qu'on lui envoya firent toutes ces demandes à la suggestion de l'ennemi, parce qu'il croyait que si saint Jean était juste il dirait la vérité, et que s'il n'était pas le Messie, il découvrirait clairement qui il était. Mais quand il entendit qu'il était la voix, il en fut fort troublé, ne sachant pas si le saint voulait dire par là qu'il était le Verbe éternel. Le doute de Lucifer s'accrut, lorsqu'il eut réfléchi que saint Jean n'avait pas voulu découvrir aux Juifs d'une manière claire qui il était. Il s'imagina qu'il avait voulu éluder cette déclaration en disant qu'il était la voix ; car s'il eût dit qu'il était la parole de Dieu, il eût par là même déclaré qu'il était le Verbe. Ainsi cet esprit de confusion crut que, pour le cacher, le saint Précurseur

 

(1) Joan., I, 20 et 21 ; Isa., XL, 3.

 

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n'avait pas dit qu'il était la parole, mais la voix. Toutes ces méprises font voir le grand aveuglement de Lucifer dans le mystère de l'incarnation. Et au moment où il regardait les Juifs comme abusés et séduits, il l'était lui-même. beaucoup plus, nonobstant toute sa perverse théologie.

1071. Cette déception redoubla sa fureur contre Baptiste. Mais, considérant combien il lui avait mal réussi d'attaquer le Seigneur, et qu'il ne lui avait pas été moins impossible de faire tomber saint Jean dans aucun péché considérable, il résolut de chercher quelque autre moyen pour le persécuter. Il en trouva un fort à propos, et voici comment : Le saint Précurseur reprochait à Hérode l'adultère public et scandaleux qu'il commettait avec Hérodiade, femme de Philippe son frère, à qui il l'avait enlevée, comme le disent les évangélistes (1). Hérode savait que Jean était un homme juste et saint; il le craignait et le respectait, et il était même bien aise de l'entendre parler. Mais les impressions salutaires que la raison et la vérité pouvaient produire sur l'esprit de ce méchant prince étaient bientôt détruites par la haine implacable et satanique de cette Hérodiade et par les intrigues de sa fille, digne émule de son abominable mère. Emportée par sa passion criminelle, cette femme était parfaitement disposée à servir d'instrument au démon pour toutes les iniquités. Elle porta le roi à faire trancher la tête à Baptiste, après avoir été elle-même poussée par

 

(1) Matth., XIV, 3 ; Marc., … 17 ; Luc., III, 19.

 

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l'ennemi à assurer par divers moyens le succès de ses desseins. Or, lorsque déjà Hérode avait fait enchaîner et mettre en prison (1) celui qui était la voix de Dieu lui-même et le plus grand entre les enfants des femmes, le jour arriva auquel il célébrait l'anniversaire de sa fatale naissance par un festin et un bal qu'il donna aux grands de sa cour et aux principaux de la Galilée, dont il était roi (2). Et l'impudique Hérodiade ayant introduit sa fille dans cette assemblée afin qu'elle y dansât, celle-ci sut tellement charmer le roi adultère, qu'il lui dit de demander tout ce qu’elle voudrait, et jura de le lui accorder, quand ce serait même la moitié de son royaume. Alors, à l'instigation de sa mère, remplie comme sa fille de la malice du serpent, elle demanda une chose bien plus précieuse que ce royaume et que plusieurs autres: ce fut la tête de Jean-Baptiste qu'elle exigeait qu'on lui apportât à l'instant même dans un bassin, et le roi ordonna qu'on lui obéit à cause de son serment, et pour s'être assujetti à une femme impudique qui s'était rendue maîtresse de toutes ses actions. Un homme rougirait d'être appelé femme, et regarderait ce nom comme un sanglant affront, parce qu'il le priverait du pouvoir et de la noblesse que renferme la qualité d'homme : mais c'est bien un plus grand déshonneur d'être moins qu’une femme, et de se conduire selon ses caprices; car celui qui obéit est inférieur à celui qui lui commande. Cependant il y en, a

 

(1) Marc., VI, 17. — (2) Ibid., 21.

 

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beaucoup qui se dégradent à ce point, sans comprendre que leur avilissement est d'autant plus honteux qu'une femme corrompue est un être plus abject et plus odieux : en effet, quand la femme a perdu cette vertu de la pudeur, il ne lui reste rien qui ne soit fort méprisable devant Dieu et devant les hommes.

1072. Lorsque Baptiste fut pris sur les instances d'Hérodiade, il reçut dans sa prison des faveurs singulières de notre Sauveur, et de sa très-sainte Mère par l'intermédiaire des anges, qui le visitaient très-souvent, par ordre de cette grande Dame, et lui portaient quelquefois à manger des mets qu'ils préparaient eux-mêmes. De son côté , le Seigneur, le consolait intérieurement par des grâces extraordinaires. Mais le démon, qui voulait venir à bout du saint Précurseur, ne laissa point Hérodiade en repos qu'elle ne lui eût procuré la mort, et se servit à cet effet de l'occasion du bal. Il inspira roi Hérode la promesse inconsidérée qu'il fit à la fille d'Hérodiade, et il acheva de l'aveugler en faisant croire à cet impie que son nom serait déshonoré s'il manquait d'accomplir l'inique serment par lequel il avait garanti sa promesse ; c'est ainsi qu'il ordonna qu'on tranchât la tète à saint Jean, comme il est rapporté dans l'Évangile (1). Au même moment la Reine de l'univers connut dans l'intérieur de son très saint Fils, suivant le mode qui lui était ordinaire, que l'heure de la

 

(1) Marc., VI, 27.

 

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mort de Baptiste approchait. Elle se prosterna aux pieds de Jésus-Christ, et le pria avec beaucoup de larmes d'assister son serviteur dans cette dernière heure, de le protéger et de le consoler, afin que la mort qu'il allait souffrir pour sa gloire et pour la défense de la vérité ; frit plus précieuse à ses yeux.

1073. Le. Sauveur témoigna à sa très-sainte Mère que sa prière lui était agréable, il lui dit qu'il voulait l'exaucer en tout point, et lui dit de le suivre. Aussitôt notre Rédempteur et l'auguste Marie, transportés par la vertu divine d'une manière invisible, entrèrent dans la prison, où l'illustre Précurseur était chargé de chaînes et tout couvert de plaies; car Hérodiade, qui voulait s'en défaire, avait prescrit à six de ses domestiques de le flageller sans miséricorde; et pour plaire à leur impudique maîtresse, ils exécutèrent ponctuellement ses ordres impies à trois différentes reprises. Cette femme cruelle espérait par ces mauvais traitements ôter la vie à Baptiste avant qu'arrivât la fête en laquelle Hérode commanda cette injuste exécution. Le démon excita ces barbares satellites à le maltraiter saris pitié, à vomir contre sa personne et contre la doctrine qu'il prêchait toute sorte d'outrages et de blasphèmes ; c'étaient d'ailleurs des gens pervers, dignes serviteurs d'une misérable adultère. La prison du Précurseur fut remplie de lumière, et sanctifiée par la présence de Jésus-Christ, de sa très-sainte Mère et d'une grande multitude d'anges, pendant que les palais d'Hérode servaient de retraite à

 

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d'impurs démons, et de demeure à des ministres beaucoup plus criminels que tous ceux qu'ils avaient fait jeter dans les prisons.

1076. Le saint Précurseur vit le Rédempteur du mande et sa très-sainte Mère environnés d'une grande splendeur, et accompagnés d'anges innombrables; les chaînes dont il était chargé se brisèrent à l'instant, et ses plaies se trouvèrent entièrement guéries; et ressentant une joie ineffable, il se prosterna avec une profonde humilité et une merveilleuse dévotion aux pieds du Verbe incarné et de l'auguste Marie, et leur demanda leur bénédiction; ils eurent ensuite avec lui plusieurs divins entretiens; je ne m'arrête point à les écrire, mais je dirai seulement ce qui m'a le plus touchée dans ma tiédeur. Le Seigneur dit à Baptiste avec une douceur incomparable : « Jean, mon serviteur bien-aimé, comment donc devancez-vous   votre Maître? comment êtes-vous le premier lié, flagellé et affligé, offrez-vous votre vie et souffrez-vous la mort pour la gloire de mon Père, avant que moi-même j'aie souffert? Vos désirs vont bien vite, puisque vous jouissez sitôt du prix des souffrances et des afflictions que j'ai destinées pour mon humanité; mais c'est que mon Père éternel récompense le zèle avec lequel vous avez rempli l'office de mon Précurseur. Que vos ardents souhaits soient accomplis, tendez le cou au glaive, car je l'ordonne de la sorte, afin que vous ayez avec ma bénédiction le bonheur de souffrir et de mourir pour mon nom. J'offre à mon Père votre précieuse

 

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mort en attendant que bientôt l'heure de la mienne arrive. »

1075. Baptiste eut le coeur pénétré de la vertu et de la douceur de ces paroles, inondé des délices de l'amour divin, et il resta quelque temps sans pouvoir parler. Mais, fortifié par la grâce céleste, il se trouva en état de répondre à son Seigneur, et de le remercier de ce bienfait ineffable, un des plus grands qu’il eût reçus de sa main libérale, et il dit avec beaucoup de larmes et de soupirs qui partaient du plus intime de son âme: « Je n'étais pas digne, mon divin Seigneur, de souffrir des peines et des tribulations qui méritassent d'être consolées par une faveur celle que celle de jouir de votre adorable présence, et de la présence de votre sainte Mère, mon auguste Reine, et je suis toujours indigne de ce nouveau bienfait. Permettez néanmoins, Seigneur, que je meure avant vous, afin que je puisse par là glorifier davantage votre infinie miséricorde, et faire mieux connaître votre saint nom; agréez en même temps le désir que je vous offre de subir pour ce saint nom une mort plus pénible à la suite de plue

longs tourments. Qu'Hérode, que les méchants, que l'enfer même triomphent de ma vie; car je la  leur abandonne avec beaucoup de joie pour vous, a mon divin Maître. Acceptez-la, mon Dieu, comme  un sacrifice agréable. Et vous, Mère de mon Sauveur, jetez les yeux de votre très-douce miséricorde sur votre serviteur, et conservez -moi en  votre grâce comme Mère de notre Bien éternel. J'ai

 

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pendant toute ma vie méprisé la vanité , aimé la  croix que mon Rédempteur doit sanctifier, et souhaité de semer dans les larmes (1); mais je n'ai jamais pu mériter cette joie, qui me rend mes souffrances si douces, ma prison si agréable, et la mort   même plus désirable et plus chère que la vie. »

1076. Pendant que Baptiste s'exprimait en ces termes, trois serviteurs d'Hérode entrèrent dans la prison suivis d'un bourreau, car la haine implacable de cette femme aussi cruelle qu'impudique avait pris avec célérité toutes ses mesures. Se soumettant aux ordres impies d'Hérode, le très-saint Précurseur tendit le cou; et le bourreau lui trancha aussitôt la tète. Au moment même où le coup fut porté, le souverain Prêtre Jésus-Christ, qui assistait au sacrifice, reçut entre ses bras le corps du plus grand d'entre les enfants des hommes, -et la très-pure Mère en reçut la tête entre ses mains, offrant tous deux au Père éternel la nouvelle hostie sur l'autel sacré de leurs mains divines. Cela put avoir lieu, non-seulement parce que Jésus et Marie se trouvaient dans la prison d'une manière invisible pour les témoins du crime, mais aussi à cause d'une dispute qui s'élevait entre les serviteurs d'Hérode, pour savoir qui d'entre eux porterait à l'infâme danseuse et à sa mère impie la tête du saint Précurseur. Ils perdirent tellement leur présence d'esprit dans cette contestation , que l'un des trois prit la tête des mains de la Reine du ciel sans

 

(1) Ps. CXXV, 5.

 

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remarquer où il la trouvait, et les autres le suivirent pour la présenter dans un bassin à la fille d'Hérodiade. Notre Rédempteur fit accompagner dans let limbes l'âme de Baptiste par une grande multitude d'anges, et non arrivée causa aux saints patriarches une joie extraordinaire. Quant au Roi et à la Reine de l'univers, ils retournèrent à l'endroit où ils étaient avant de visiter saint Jean. La sainte Église compte beaucoup d'auteurs qui ont écrit sur la sainteté et sur les excellences de ce grand Précurseur, mais il y a encore beaucoup de choses à en dire, et j'en ai appris quelques-unes. Toutefois je ne les rapporterai pas, pour ne pas m'écarter de mon sujet, et pour ne pas trop allonger cette divine histoire. Je me borne à dire que le bienheureux Précurseur reçut dans tout le cours de sa vie de très-grandes faveurs de notre Seigneur Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère; soit en sa naissance, soit dans le désert, soit durant sa prédication, soit à l'heure de sa mort; de sorte que la divine Droite n'en a accordé de semblables à aucune nation.

Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée.

 

1077. Ma fille, vous avez passé fort rapidement sur les mystères de ce chapitre, mais le peu que vous en avez dit renferme de grands enseignements pour

 

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vous et pour tous les enfants de la lumière, ainsi que vous l’avez compris. Gravez ces enseignements dans votre coeur, et considérez sérieusement le contraste que présentent la sainteté et la pureté de Baptiste pauvre, affligé, persécuté, enchaîné, et le caractère odieux du roi Hérode, puissant, riche, adulé, entouré de serviteurs plongés dans les délices de la volupté. Ils étaient tous deux d'une même nature', mais leurs qualités étaient bien différentes; car l'un faisait un bon usage de son libre arbitre et des choses visibles, et l'autre en usait très-mal. Les austérités, la pauvreté, l'humilité, le mépris, les afflictions et le zèle de la gloire du Seigneur firent obtenir à notre serviteur Jean la consolation de mourir entre les bras de mon très-saint Fils et entre les miens : bienfait singulier, au-dessus de toute appréciation humaine. Le faste, la vanité, l'orgueil, la tyrannie et la luxure conduisirent au contraire Hérode à une mort malheureuse que lui fit subir un agent du Très-Haut, et le précipitèrent dans les peines éternelles. Vous devez être persuadée que c'est ce qui arrive maintenant; et ce qui arrivera toujours dans le monde, quoique les hommes n'aient l'air ni de le penser ni de le craindre. Ainsi les uns aiment, et les autres redoutent la vanité et la puissance de la gloire du monde , sans en considérer le terme, et sans songer qu'elles sont plus fugitives que l'ombre et plus corruptibles que l'herbe.

1078. Les hommes ne considèrent pas non plus la On principale, et ne sondent point la profondeur de l'abîme dans lequel les entraînent les vices, même

 

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pendant leur vie présente; car quoique le démon ne puisse leur ôter leur liberté ni avoir aucune juridiction immédiate sur leur volonté; néanmoins, comme ils la lui livrent si souvent par des péchés énormes, il acquiert un si grand pouvoir sur elle, qu'il s'en sert comme d'un instrument dont il a la disposition pour leur faire commettre toutes les iniquités qu'il leur suggère. Les hommes ont sous les yeux mille exemples aussi lamentables les uns que les autres, et pourtant ils ne parviennent point à connaître le danger formidable qu'ils courent, et ne se demandent point où leurs péchés peuvent les faire aboutir, par un juste jugement du Seigneur, comme le criminel Hérode, et comme la complice de son adultère. Pour amener les âmes sur le bord du précipice, Lucifer conduit les mortels par les sentiers de la vanité, de l'orgueil, de la gloire du monde, de la volupté; et il leur représente qu'il n'y a rien de plus grand et de plus désirable. De sorte que les enfants de perdition renoncent dans leur ignorance à la raison pour suivre leurs inclinations dépravées, et s'abandonner aux plaisirs charnels, esclaves volontaires de leur mortel ennemi. Ma fille, le chemin de l'humilité, de l'humiliation, des afflictions, voilà celui que nous avons montré, mon très-saint Fils et moi. C'est là le grand chemin de la vie, nous y avons marché les premiers , et nous nous sommes eu même temps constitués les maîtres et les protecteurs des affligés. El lorsqu'ils nous appellent dans leurs besoins, nous les assistons d'une manière merveilleuse, et par les faveurs les plus

 

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insignes. Les partisans du monde qui recherchent des vaines jouissances et qui fuient le chemin de la croix, se privent de cette protection et de ces bienfaits. Vous avez été appelée dans ce chemin, et vous y êtes attirée par la douceur de mon amour et de ma doctrine. Suivez-moi donc, et faites tous vos efforts pour m'imiter; sachez que vous avez trouvé le trésor caché et la perle précieuse (1) pour lesquels vous devez renoncer à tout ce qui est terrestre et à votre propre volonté, en tant qu'elle pourrait être contraire à celle du Très-Haut.

 

CHAPITRE V. Les faveurs que les apôtres reçurent de notre Rédempteur Jésus-Christ, à cause de la dévotion qu'ils avaient à sa très-sainte Mère. — Judas se perdit pour ne l'avoir pas eue.

 

1079. La conduite de la très-prudente Marie à l'égard du sacré collège des apôtres et des disciples de notre Seigneur Jésus-Christ , était le miracle des miracles, et la merveille des merveilles de la toute-puissance divine. Elle y déployait une sagesse vraiment inexprimable; mais si j'entreprenais de rapporter

 

(1) Matth., XIII, 44.

 

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seulement ce que j'en ai pu comprendre, il faudrait que de ce seul article je fisse un gros volume. J'en dirai quelque chose dans ce chapitre et dans toute la suite de cette histoire quand l'occasion s'en présentera; tout ce que j'en pourrai écrire sera fort au-dessous du sujet; toutefois ce peu sera suffisant pour notre instruction. Le Seigneur inspirait à tous ses disciples, en même temps qu'il les recevait dans son école, les sentiments d'une dévotion singulière et d'un profond respect pour sa très-sainte Mère, tels qu'ils convenaient à des personnes appelées à avoir avec elle des rapports si fréquents et si familiers. Mais bien que les célestes rayons de la divine lumière tombassent sur tous, elle n'était pas égale pour tous, parce que le Seigneur distribuait ses dons selon les qualités de ses ministres, et selon les offices auxquels il les destinait. Les doux et admirables entretiens de leur grande Reine et Maîtresse ne firent ensuite qu’accroître leur vénération et leur respectueux amour; car elle parlait à tous, elle les aimait, les consolait, les instruisait et les secourait dans tous leurs besoins; de sorte qu'ils ne sortaient jamais de sa présence et de sa conversation sans éprouver une joie et une consolation intérieure telles, qu'elles surpassaient même leurs désirs. Mais le fruit plus ou moins salutaire de ces faveurs répondait à la disposition du coeur de ceux qui recevaient cette semence céleste.

1080. Ils ne la quittaient jamais que ravis d'admiration, et concevaient de  très-hautes idées de la prudence, de la sagesse, de le pureté de cette grande

 

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Dame et de sa majestueuse dignité, jointe à une douceur si tranquille et si humble, qu'aucun disciple ne trouvait de termes pour les dépeindre. Le Très-Haut lui-même le disposait ainsi, parée que, comme je l'ai dit au chapitre XXVIII du livre V, le temps de dévoiler au monde cette Arche mystique du nouveau Testament n'était pas encore venu. Et semblables à celui qui, désirant vivement parler sans néanmoins pouvoir découvrir ses pensées, les concentrerait de plus en plus avant dans son coeur, les apôtres, réduits à garder le silence, puisaient dans les faveurs qu'ils obtenaient un plus puissant motif d'aimer et de révérer la très-pure Marie, et de louer intérieurement Celui qui l'avait élevée à un si haut duré de perfection. Comme notre auguste Princesse connaissait, par la science incomparable dont elle était dépositaire, le naturel de chacun, sa grâce, son état et le ministère auquel il était destiné, elle réglait sur cette connaissance les prières qu'elle adressait au Seigneur pour eux, et les instructions, les paroles et les faveurs qui leur étaient convenables, selon leur vocation. Cette manière d'agir, si agréable au Seigneur de la part d'une simple créature, fut pour les saints anges un nouveau sujet d'admiration; et le Tout-Puissant faisait, par sa providence secrète, que les mimes apôtres répondaient de leur côté aux bienfaits qu'ils recevaient par sa très-sainte Mère. Tout cela composait une divine harmonie qui ne frappait que les esprits célestes.

1081. Saint Pierre et saint Jean furent distingués

 

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en ces faveurs et en ces mystères; le premier, parce qu'il devait être le vicaire de Jésus-Christ et le chef de l'Église militante; et c'est à cause de cette dignité à laquelle le Seigneur le destinait que la bienheureuse Vierge aimait et révérait singulièrement saint Pierre; le second, parce qu'il devait tenir la place du même Seigneur en recevant la qualité de fils de cette illustre Reine, et en lui faisant compagnie sur la terre. Ces deux apôtres, sous la garde desquels devaient être partagées l'Église mystique, l'auguste Marie, et l'Église militante des fidèles, furent particulièrement favorisés de cette grande Reine de l'univers. Mais, comme saint Jean était choisi pour la servir' et pour avoir l'Honneur d'être spécialement son fils adoptif, il, reçut des dons particuliers en rapport avec les services qu'il lui devait rendre, et commença dès lors à se distinguer par son zèle. Et, quoique tous les apôtres portassent cette dévotion à un degré si haut qu'il dépasse notre intelligence, l’évangéliste saint Jean pénétra néanmoins plus avant dans les mystères cachés de cette, Cité mystique du Seigneur; c'est là qu'il fut éclairé d'une si vive lumière de la Divinité, qu'à cet égard il surpassa tous les apôtres, comme le témoigne son Évangile; car toutes ces connaissances lui furent accordées par le moyen de la Reine du ciel, et il obtint, par l'amour filial qu'il lui avait voué, le privilège d'être appelé entre tous les apôtres le bien-aimé de Jésus (1); c'est pour cette même raison qu'il reçut

 

(1) Joan., XXI, 20.

 

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aussi de grands bienfaits de notre auguste Dame, car il fut par excellence le disciple bien-aimé de Jésus et de Marie.

1082. Le saint évangéliste avait, outre la vertu de chasteté virginale, entre autres vertus qui ne plaisaient pas moins à la Maîtresse de la perfection, cette simplicité de colombe qui règne dans ses écrits, et une mansuétude sereine qui le rendaient extrêmement affable et pacifique; aussi la divine Mère appelait-elle tous ceux qui étaient doux et humbles de cœur les portraits de son très-saint Fils. C'est à cause de ces qualités qui distinguaient saint Jean que la bienheureuse Vierge lui portait une plus tendre affection, comme lui-même fut mieux disposé à concevoir pour elle l'amour le plus respectueux et le dévouement le plus sincère. De. sorte qu'il commença dès sa première vocation, comme je l'ai dit ailleurs, à se signaler entre tous par sa dévotion à la très-pure Marie, et à lui obéir avec une humilité incomparable. Il s'attachait à elle avec plus d'assiduité que les autres, et autant que possible ne s'éloignait point de sa présence; il l'assistait même dans quelques occupations manuelles auxquelles se livrait la Reine de l'univers, et il eut quelquefois le bonheur de se charger d'humbles travaux, à propos desquels il entrait dans de saintes émulations avec les anges de cette même Reine; mais c'était elle qui triomphait toujours en cette sublime vertu d'humilité, sans que ni les hommes ni les anges aient pu jamais l'égaler en la moindre action. Le disciple bien-aimé était aussi fort ponctuel à informer

 

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sa divine Maîtresse de toutes les merveilles que le Sauveur avait opérées lorsqu'elle était absente, et du nombre des nouveaux disciples qui avaient reçu sa doctrine. Il s'étudiait toujours à connaître ce qui pourrait lui être le plus agréable, et faisait toutes ses actions en conséquence.

1083. Saint Jean se distinguait aussi par le ton respectueux avec lequel il parlait à l'auguste Marie; il l'appelait toujours Madame lorsqu'elle était présente, et en son absence il la désignait sous le nom de Mère de notre maître Jésus-Christ. Et après l'ascension du même Seigneur, il fut le premier qui l'appela Mère de Dieu et du Rédempteur du monde, et en sa présence il lui disait Mère ou Madame. Il lui donnait aussi d'autres titres, tels que ceux de Réparatrice du péché, de Maîtresse des nations. Il fut encore le premier qui l'appela Marie de Jésus, et après lui les premiers fidèles se servirent souvent de ce nom; et le saint évangéliste le lui donna, parce qu'il sut qu'elle l'entendait répéter avec une complaisance infinie. Quant à moi, je désire exprimer toute mon allégresse et toute ma gratitude au Seigneur de ce qu'il a daigné m'appeler sous ce même nom, malgré mon indignité, à la lumière de la sainte Église et de la foi, et à la religion que je professe. Les autres apôtres et les disciples connaissaient la faveur dont saint Jean jouissait auprès de la bienheureuse Vierge, et ils le sollicitaient maintes fois d'être leur intercesseur pour certaines choses qui ils voulaient demander ou proposer à la puissante Reine; et le saint apôtre lui offrait ses

 

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prières avec sa charité ordinaire, sachant mieux que personne combien cette bonne mère était compatissante et miséricordieuse. Je dirai d'autres choses sur ce sujet dans la suite de cette histoire, surtout dans la troisième partie; et il est sûr, que l'on pourrait faire un long ouvrage à ne rapporter que les bienfaits dont ce saint évangéliste fut comblé par la Reine de l'univers.

1084. Après les deux apôtres saint Pierre et saint Jean, l'apôtre saint Jacques, frère du second, fut particulièrement aimé de l'auguste Vierge, et il en obtint des faveurs admirables; j'en raconterai quelques-unes dans la troisième partie. Saint André fut aussi du nombre de ceux qui étaient des plus chers à notre grande Reine, parce qu'elle savait que cet apôtre aurait une dévotion particulière pour la passion et, pour la croix de son divin Maître, et qu'il y mourrait à son exemple. Je ne m'arrête point à énumérer les bienfaits que les autres apôtres en reçurent : je dirai seulement qu'elle les aimait et les vénérait avec la plus juste mesure, .avec autant de charité que d'humilité , les uns pour une vertu, les autres pour une autre, et tous pour son très-saint Fils. La Madeleine vint sur le même rang après sa conversion; car notre divine Princesse la regardait avec une tendre affection à cause de l'amour qu'elle portait à son adorable Fils, et parce qu'elle comprenait que le coeur`de cette illustre pénitente était propre à faire éclater les plus glorieuses merveilles de la droite du Tout-Puissant. La bienheureuse Marie la traitait avec beaucoup de

 

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familiarité entre les autres femmes, et lui découvrait de très-hauts mystères qui augmentaient dé plus en plus son amour envers son divin Maître et envers son auguste Mère. La sainte communiqua à notre Reine les désirs qu'elle avait de se retirer dans quelque solitude pour y servir le Seigneur dans une pénitence et dans une contemplation continuelle; et notre trèsdouce Maîtresse lui donna de sublimes instructions dont elle se servit ensuite dans le désert; et quand elle y alla, ce fut avec son agrément et sa bénédiction : la Mère du Sauveur la visita une fois elle-même dans le désert et lui envoya très-souvent des anges pour la fortifier et la consoler dans cette affreuse solitude. Les autres femmes qui suivaient le Maître de la vie reçurent aussi de très-grandes faveurs de sa très-sainte Mère; comme tous les disciples, elles obtinrent des bienfaits incomparables, qui inspirèrent, aux uns et aux autres la dévotion la plus fervente et la plus tendre pour la Mère de la grâce; car les uns et, les autres puisèrent cette grâce avec abondance en elle et par elle, comme en Celle en qui Dieu l'avait mise en, dépôt pour tout le genre humain. Je ne m'étends pas davantage sur cette matière, qui exigerait de très-longs développements; ils ne sont d'ailleurs pas nécessaires, puisqu'on peut s'instruire à cet égard dans. la sainte Église.

1085. Je dirai seulement quelque chose de ce que j'ai appris sur le perfide apôtre Judas, parce que cette histoire demande ici quelques détails peu connus. Ce que je rapporterai servira de leçon aux pécheurs,

 

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d'exemple aux obstinés, et d'avis à ceux qui sont peu dévots à la très-pure Marie, s'il se trouve un homme qui ne le soit pas assez envers une créature si sainte et si aimable, que Dieu a aimée d'un amour infini; les anges, de toutes leurs forces spirituelles; les apôtres et les saints, du fond de leur âme, et que toutes les créatures doivent aimer avec une pieuse jalousie, sans pouvoir jamais lui donner les affections qui lui sont dues. Ce malheureux apôtre commença, par son indévotion envers cette très-sainte Dame, à s'éloigner du vrai chemin qui conduit à l'amour de Dieu et à la possession de ses dons. Les choses qui m'en ont été découvertes, afin que je les écrivisse avec le reste, sont conformes à celles que je vais dire.

1086. Judas vint à l'école de notre adorable Maître Jésus-Christ, attiré extérieurement par la force de sa doctrine, et intérieurement par celle du Saint-Esprit, qui y poussait les autres. Prévenu de ce divin secours, il pria le Sauveur de l'admettre au nombre de ses disciples, et le Seigneur le reçut avec des entrailles de père miséricordieux, qui ne rejette aucun de ceux qui le cherchent avec sincérité. Judas obtint dans le principe d'autres faveurs spéciales de la divine droite, au moyen desquelles il surpassa quelques-uns des autres disciples, et fut appelé au nombre des douze apôtres; car le Seigneur l'aimait selon le bon état présent dans lequel il se trouvait, et les couvres saintes qu'il faisait comme les autres disciples. La Mère de la grâce le regarda aussi alors avec miséricorde; quoiqu'elle prévit déjà par sa science infuse la trahison

 

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qu'il commettrait à la fin de son apostolat, elle ne lui refusa pas son intercession ni sa charité maternelle; elle fit au contraire tous les efforts possibles pour justifier la cause de son très-saint Fils vis-à-vis de ce malheureux apôtre, afin qu'il ne pût alléguer, quand il voudrait se disculper de sa méchanceté, aucune espèce d'excuse valable, même aux yeux des hommes. Et comme elle savait que le caractère de Judas ne se laisserait point vaincre par la rigueur, mais qu'il s'endurcirait plutôt dans son obstination, cette très-prudente Dame veillait à ce qu'il ne manquât jamais soit du nécessaire, soit de l'utile; elle le prévenait par des témoignages particuliers d'amitié, l'accueillait et l'entretenait avec une douce bonté, et le distinguait parmi les autres. De sorte que, si parfois une certaine rivalité s'élevait entre les disciples pour savoir lequel d'entre eux avait le plus part à la bienveillance de notre grande Reine (comme il leur arriva aussi à l'égard de Jésus-Christ, ainsi qu'il est marqué dans l'Évangile), Judas n'eut jamais sujet d'avoir cette jalousie dans le commencement; car cette auguste Dame le favorisa toujours d'une manière singulière, et lui-même se montra plus d'une fois reconnaissant de ses bienfaits.

1087. Mais, comme Judas n'était pas fort aidé de ses inclinations naturelles, et que l'on remarquait chez les disciples et les apôtres certains défauts habituels à des hommes qui n'étaient pas absolument affermis

 

(1) Luc., XXII, 24.

 

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en la perfection ni encore confirmés dans la grâce, cet imprudent disciple commença à se considérer avec quelque complaisance et à se troubler des fautes de ses frères, auxquelles il s'arrêtait plus qu'aux siennes propres (1). Dès qu'il se fut une fois livré sans défiance à cette funeste illusion, sans chercher à en prévenir les suites, la poutre grossit d'autant plus dans ses propres yeux, qu'il examinait avec une présomption plus indiscrète les moindres fétus de paille dans ceux de son prochain; il murmurait des plus petites fautes de ses frères, et prétendait les corriger avec plus d'orgueil que de zèle, pendant qu'il en commettait lui–même de beaucoup plus grandes. Se trouvant parmi les autres apôtres, il représenta saint Jean comme voulant faire l'intrigant auprès de leur divin Maître et de sa bienheureuse Mère, ne comptant pour rien tant de faveurs qu'il recevait de l'un et de l'autre. Néanmoins les désordres de Judas n'étaient jusque-là que des péchés véniels qui ne lui firent point perdre la grâce justifiante. Mais ils étaient aggravés par de très-mauvaises circonstances, et d'ailleurs très-volontaires, car il donna une entrée tout à fait libre au premier, qui fut une vaine complaisance; celui-ci appela incontinent le, second, qui fut une espèce d'envie, et de là s'ensuivit le troisième, qui fut de blâmer intérieurement ses frères, et de juger avec peu de charité leurs actions. Ces péchés ouvrirent la porte à d'autres plus grands, car il laissa aussitôt s'attiédir dans son coeur

 

(1) Luc., VI, 41.

 

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la ferveur de la dévotion , puis se refroidir la charité envers Dieu et envers son prochain; alors le jour commença à baisser et la lumière intérieure s'éteignit en lui, de sorte qu'il regardait déjà les apôtres et même l'auguste Marie avec une espèce de répugnance, s'ennuyant dans leur conversation, et trouvant à redire à leurs actions les plus saintes.

1088. Notre très-prudente Dame connaissait le dérèglement intérieur de Judas, et tachait d'y apporter tout le remède possible pour l'empêcher de tomber dans la mort du,péché; elle l'avertissait avec la douceur la plus touchante, comme un fils bien-aimé, du danger auquel il s'exposait, et employait les raisons les plus fortes pour calmer son esprit. Et quoiqu'elle réussît parfois à calmer l'orage qui commençait à gronder dans le coeur de l'inquiet apôtre, il ne se maintenait pas longtemps dans cette tranquillité; et il était bientôt tourmenté par de nouveaux troubles. Puis, donnant un plus facile accès au démon, il en vint jusqu'à s'irriter contre la plus indulgente des mères, et jusqu'à vouloir cacher, ou nier, ou excuser ses propres fautes, comme s'il eût pu tromper ses divins maîtres par son hypocrisie, ou leur dérober le secret de son coeur. Il perdit alors le respect intérieur qu'il avait pour la Mère de miséricorde, méprisant ses plus charitables avis, et lui reprochant la douceur même de ses leçons et de ses paroles. Par cette audacieuse ingratitude, il perdit la grâce, et encourut tonte l'indignation du Seigneur, qui, pour le punir de ses irrévérences sacrilèges, le laissa dans la, main de son

 

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conseil (1) : car en rejetant lui-même la grâce et l'intercession de la bienheureuse Vierge, il ferma les portes de la miséricorde et de son salut. Cette aversion qu'il conçut pour la plus tendre mère, le porta bientôt à haïr son adorable Maître, à blâmer et critiquer sa doctrine, à trouver trop fatigante la vie, et trop ennuyeux les entretiens des apôtres.

1089. Le Seigneur ne l'abandonna pourtant pas dès lors ; il lui envoyait toujours des secours intérieurs ; et quoiqu'ils fussent moins extraordinaires que ceux qu'il recevait auparavant, ils ne laissaient pas d'être suffisants s'il eût voulu y coopérer. Notre très-charitable Dame y joignait ses douces exhortations et le pressait de se convertir, de s'humilier et de solliciter son pardon de son divin Maître : elle le lui promit de la part du Seigneur lui-même, et s'offrit de prier pour lui et de faire pénitence pour ses péchés, parce qu'elle demandait seulement qu'il s'en repentit et qu'il s'en corrigeât. La Mère de la grâce lui proposa toutes ces choses, pour le tirer du précipice qu’il glissait, sachant très-bien que le plus grand mal n'est pas de tomber, mais de ne point se relever et de persévérer dans le péché. Le superbe disciple ne pouvait point repousser les témoignages que sa conscience lui rendait de son mauvais état; mais commençant à s'endurcir, il craignit la confusion qui aurait pu lui acquérir de la gloire, et tomba dans celle qui aggrava son péché. Il rejeta par cet orgueil les salutaires

 

(1) Eccles., XV, 14.

 

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conseils de la Mère du Sauveur, et, comme pour lui cacher sa malice, il protesta faussement qu'il aimait toujours son adorable Maître, et ses frères, et qu'à cet égard il n'avait pas besoin de s'améliorer.

1090. Notre Seigneur Jésus-Christ et sa très-sainte Mère nous ont laissé un exemple admirable de charité et de patience dans la conduite qu'ils tinrent envers Judas après. sa chute dans le péché: car ils le souffrirent en leur compagnie avec une indulgence telle, qu'ils ne lui témoignèrent jamais le moindre changement, et continuèrent à le traiter avec la même bonté que les autres. C'est pour cela que le désordre intérieur de Judas resta si caché aux apôtres. Toutefois on découvrait dans sa conversation ordinaire et dans son attitude des signes non équivoques de ses mauvaises dispositions, parce qu'il ne nous est pas facile, ni presque possible, de violenter toujours nos inclinations assez pour les dissimuler. dans les choses que nous faisons avec peu de réflexion, nous agissons nécessairement selon notre naturel, et alors nous le trahissons, du moins près de ceux qui nous fréquentent le plus. C'est ce qui arrivait à Judas. Mais comme les apôtres connaissaient l'affabilité et l'affection avec lesquelles notre Rédempteur et sa très-sainte Mère le traitaient, sans pouvoir remarquer aucun changement dans leur conduite, les soupçons qu'ils avaient formés se dissipaient, et ils ne s'arrêtaient point aux apparences qui leur faisaient craindre la chute. C'est pour cette même raison qu'ils furent tous surpris quand le Seigneur leur annonça en la dernière Cène légale

 

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qu'un d'entre eux le trahirait; et que chacun lui dit : Est-ce moi, Seigneur (1) ? Quant à saint Jean, comme il eut quelque connaissance des infidélités de Judas, à cause de la grande familiarité qu'il avait avec le Sauveur et la bienheureuse Vierge, et qu'en conséquence il mettait plus de réserve dans ses rapports avec le traître, le Seigneur lui-même lui découvrit ses sentiments, mais seulement par l'indication de certaines marques, ainsi que le rapporte l'Évangile (2). Car jusqu'alors l'adorable Sauveur n'avait jamais manifesté ce qui se passait en Judas. Cette patience est plus admirable en notre auguste Reine, parce qu'elle était mère , une simple créature, et qu'elle regardait comme fort proche la trahison que le perfide disciple méditait contre son très-saint Fils, qu'elle aimait comme mère et non comme servante.

1091. O ignorance ! ô folie des mortels ! combien différente est notre conduite, lorsque nous recevons quelque légère injure, nous qui en avons mérité de si grandes ! Avec quelle impatience nous supportons les faiblesses de notre prochain , voulant cependant qu'on supporte les nôtres ! Quelle peine n'avons-nous pas quand nous faut pardonner une offense, quoique nous priions tous les jours le Seigneur de pardonner les nôtres (3) ! Comme nous sommes prompts à divulguer sans pitié les fautes de nos frères, et prompts à nous fâcher lorsqu'on parle de nos défauts ! Nous ne

 

(1) Matth., XXVI, 41 ; Marc., XIV, 18. — (2) Luc., XXII, 21 ; Joan., XIII, 18, 26. — (3) Matth., VI, 12.

 

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voulons mesurer personne avec la même mesure dont nous serions bien aises que l'on nous mesurât, et nous ne prétendons pas que l'on nous juge aussi rigoureusement que nous jugeons notre prochain (1). Tout cela n'est que perversité, que ténèbres suscitées par le souffle du dragon infernal, qui veut s'opposer à la suréminente vertu de charité, et troubler l'ordre de la justice divine et de la raison humaine : car Dieu est charité, et celui qui l'exerce parfaitement demeure en Dieu, et Dieu demeure en lui (2). Lucifer n'est que rage et que vengeance, et ceux qui l’imitent demeurent en Lucifer, qui les pousse dans tous les vices qui s'opposent au bien des autres. J'avoue que la beauté de la charité m'a toujours ravie, et que j'ai un très-grand désir de l'avoir pour amie ; mais aussi je vois dans le clair miroir de la merveilleuse charité que Jésus et Marie ont déployée envers l'ingrat apôtre, que je ne suis jamais arrivée au commencement de la plus excellente des vertus.

1092. Mais de peur que le Seigneur ne me reproche mon silence, j'ajouterai une autre cause de la chute de Judas. Le nombre des apôtres et des disciples s'étant accru, le divin Sauveur résolut de confier à quelqu'un d'entre eux le soin de recevoir des aumônes, de les distribuer en qualité de syndic ou économe pour les nécessités communes, et de payer les tributs impériaux ; Jésus leur proposa ces l'onctions sans choisir personne. Judas les envia aussitôt, tandis que tous

 

(1) Matth., VII, 1 et 2. — (2) I Joan., IV, 16.

 

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les autres les redoutaient et désiraient les décliner. Et pour obtenir l'office qu'il convoitait, il ne rougit pas de prier saint Jean d'en parler à notre auguste Reine, afin qui elle le demandât pour lui à son très- saint. Fils. Saint Jean s'acquitta de cette commission Mais comme la très-prudente Mère savait que la prétention de Judas n'était ni juste ni convenable, et qu'elle partait d'un coeur ambitieux et avide des biens de la terre, elle ne voulut point transmettre sa demande à notre divin Maître. Judas fit de nouvelles tentatives par l’intermédiaire de saint Pierre et de quelques autres apôtres, mais toujours en vain; parce que le Très-Haut voulait empêcher par un effet de sa bonté qu'il n'entrât dans cet emploi, ou justifier sa cause après le lui avoir donné. Judas, dont le coeur était déjà tyrannisé par l'avarice, loin de se ralentir pour toutes ces difficultés, redoubla ses funestes empressements, à l’instigation de Satan, qui lui inspirait des pensées d'ambition indignes même de toute personne se trouvant dans un état ordinaire. Que s'il eût été pour les autres honteux et criminel d'y consentir, ce devait l'être beaucoup plus pour Judas, qui était formé à l'école de la plus grande perfection, et éclairé du Soleil de justice, notre Seigneur Jésus-Christ, et de la Lune sans tache, l'auguste Marie. Au jour de l’abondance et de la grâce, tandis que ce divin Soleil l'éclairait, il ne pouvait ignorer qu'il ne frit coupable en obéissant à de pareilles suggestions; et non plus dans la nuit de la tentation, puisqu'alors notre charitable Dame, que nous avons figurée par la lune, influait

 

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sur lui ce qu'il fallait pour le garantir des morsures du serpent. Mais comme il fuyait la lumière et qu'il cherchait les ténèbres, il courait au précipice, et surmontant ses répugnances et sa honte, colorant même sa cupidité d'un vernis de vertu, il ne craignit pas de demander lui-même à la bienheureuse Vierge l'office auquel il aspirait. Il l'aborda, et lui dit que la demande que Pierre et Jean lui avaient faite de sa part procédait du désir qu'il avait de la mieux servir, et de veiller à ce que rien ne manquât à son Fils parce que les autres, ajouta-t-il, ne s'en acquittaient pas comme il fallait; ainsi il la suppliait d'obtenir de son Maître cet emploi pour lui.

1093. La grande Reine de l'univers lui répondit avec beaucoup de mansuétude: « Pesez bien, mon très-cher, ce que vous demandez; examinez si l'intention avec laquelle vous le désirez est droite, et ce réfléchissez s'il vous est avantageux de souhaiter  ce que tous vos frères craignent, et ce qu'ils n'accepteront point, s'ils n'y sont obligés par un commandement exprès de leur Maître. Il vous aime plus que vous ne vous aimez vous-même; et il sait ce qui vous est convenable : abandonnez-vous à sa  très-sainte. volonté; changez de dessein, trichez  d'acquérir l'humilité et l'amour de la pauvreté. Sortez de l'abîme où vous êtes tombé , et soyez  convaincu que mon Fils usera envers vous de sou   amoureuse miséricorde, et que je vous assisterai de  ma protection. » Qui n'aurait pas été touché de ces douces et persuasives paroles, sorties de la bouche de

 

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la plus aimable et plus, divine créature? Mais ce coeur de bronze ne fléchit point, il ne fit au contraire que se roidir et s'irriter intérieurement, comme s'il avait été blessé par notre compatissante Dame, qui,lui offrait le remède de sa maladie 'mortelle; car un violent accès d'ambition et d'avarice dans l'appétit concupiscible excite aussitôt l'appétit,, irascible contre ceux qui s'y opposent, et quiconque en est pris regarde comme des injures les conseils les plus

salutaires. Notre très-prudente et très-douce Princesse ne s'expliqua pas davantage là-dessus, et cessa dès lors de parler à Judas à cause de son obstination..

1094. Judas quitta l'auguste Vierge toujours agité par les mêmes pensées sordides, et abjurant tout sentiment de pudeur et même de foi, il résolut de s'adresser lui-même à notre Seigneur Jésus-Christ. Or s'étant couvert de l'habit de brebis, comme un solliciteur adroit, il se présenta à sa divine Majesté, et lui dit: « Maître, je souhaite d'accomplir votre volonté, et de vous. servir sous le titre d’économe et de dépositaire des aumônes que nous recevons; j'en ferai part aux pauvres conformément à votre doctrine qui nous enseigne de faire à notre prochain ce que nous voudrions qu'il nous fit ; je les distribuerai à propos et selon votre intention, et mieux que l'on n’a fait jusqu'à présent. » Voilà ce que cet hypocrite dit à son Dieu et à son Maître, commettant à la fois plusieurs péchés énormes. Car, outre qu'il mentait en cachant des dispositions contraires à celles qu'il montrait, ambitieux de l'honneur qu'il ne méritait

 

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point, il feignait d'être ce qu'il n'était pas, ne voulant, ni paraître ce qu'il était, ni être ce qu'il désirait paraître. Il murmura aussi contre ses frères, et s'étendit sur ses propres louanges; c'est le sentier battu des ambitieux. Mais ce qu'il y a de plus remarquable, c'est qu'il perdit la foi infuse qu'il avait, prétendant tromper son divin Maître par son hypocrisie. En effet, s'il eût cru alors fermement que Jésus-Christ était véritablement Dieu et homme, il ne se serait pas imaginé de le pouvoir tromper, puisque comme Dieu il scrutait les choses les plus secrètes de son coeur (1), et qu'il pénétrait jusqu'au fond de son âme, non-seulement comme Dieu par sa science infinie, mais encore comme homme par sa science infuse et béatifique; ainsi, si Judas en eût été bien convaincu, il aurait compris que le Sauveur pouvait connaître sa pensée, comme il la connaissait réellement, et il n'aurait pas poursuivi son inique dessein. Mais il ne crut rien de tout cela, et il ajouta l'hérésie à ses autres péchés.

1095. Il arriva à ce disciple infidèle ce que l'apôtre a dit quelque temps après : Ceux, dit-il, qui veulent devenir riches, tombent dans la tentation et dans le piège. de Satan, et en beaucoup de désirs vains et nuisibles, qui précipitent les hommes dans la perte et dans la damnation; car le désir des richesses est la radine de tous les maux, et plusieurs de ceux qui en ont été emportés se sont égarés du chemin de la foi, et se

 

(1) Sap., I, 6.

 

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sont engagés eux-mêmes dans de grandes afflictions (1). C'est le malheur que s'attira ce perfide apôtre par son avarice, qui fut d'autant plus honteuse et d'autant plus répréhensible, qu'il avait un plus grand sujet d'être touché de l'exemple admirable de notre Seigneur Jésus-Christ, de sa très-sainte Mère et du sacré collège des apôtres, dont la, communauté ne recueillait que quelques aumônes fort modiques. Mais le mauvais disciple se flatta qu'elles augmenteraient tant par les miracles de son Maître, que par le grand nombre des personnes qui le suivaient, et qu'alors il pourrait mettre la main sur des sommes plus considérables. Et comme les choses n'arrivaient pas selon ses désirs, il se fâchait contre ces mêmes personnes c'est ainsi qu'il témoigna son mécontentement lorsque la Madeleine répandit un parfum de grand prix sur le Sauveur, et son avarice le portant à faire l'estimation de cette précieuse essence, il dit qu'elle valait plus de trois cents deniers, qui pouvaient être distribués aux pauvres (2). Le chagrin qu'il avait d'en avoir été privé lui faisait tenir ce langage, car il, ne se mettait pas fort en peine des pauvres (3). Au contraire, il se plaignait vivement de ce que la Mère de miséricorde fît tant d'aumônes, et même de ce que le Seigneur n'en reçût pas davantage, comme aussi de ce que les apôtres et les disciples ne lui en procurassent pas, de sorte que, toujours chagrin contre tous, il semblait qu'il en eût été offensé. Quelques

 

(1) I Tim., VI, 9. — (1) Matth., XXVI, 6; Marc., XIV, 6; Joan, XII, 3. — (3) Ibid., 6.

 

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mois avant la mort du Sauveur, il commença à quitter souvent les apôtres et à s'éloigner du Seigneur, parce que leur compagnie le vexait, et il ne les allait trouver que pour ramasser les aumônes. Alors le démon le poussa à abandonner entièrement son Maître, et à le livrer aux Juifs comme il fit.

1096. Mais revenons à la réponse qu'il reçut du Maître de la vie, lorsqu'il lui demanda la charge d'économe, afin qu'on y découvre combien les jugements du Très-Haut sont terribles et impénétrables. Le Sauveur du monde, voyant que le cupide apôtre ne travaillait qu'à sa perdition finale, voulait le soustraire au danger que renfermait sa demande. Et afin qu'il ne trouvât dans son malheur aucune excuse, sa Majesté lui dit: « Savez-vous, ô Judas! ce que vous demandez? Ne soyez pas si cruel envers vous-même, que de chercher les armes et de solliciter le poison dont vous pourriez vous servir pour vous donner la mort. » Judas répartit: « Moi, Seigneur, je ne désire que de vous servir, et que de m'employer à ce qui sera le plus utile à vos disciples, et je le ferai bien mieux dans cet office que dans tout autre, comme je vous le promets. » Par cette opiniâtreté de Judas à chercher et aimer le péril, Dieu justifia sa cause en permettant qu'il s’y engageât et qu'il y pérît malheureusement; car cet ambitieux résista à la grâce et s’endurcit de plus en plus. Lorsque le Seigneur lui mettait devant les yeux l'eau et le leu, la vie et la mort, il étendit la main et choisit lui-même sa perte (1);

 

(1) Eccles., XV,17.

 

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et ainsi fut justifiée la justice et glorifiée la miséricorde du Très-Haut, qui l'avait si souvent pressé de lui ouvrir la porte de son coeur, d'où l'ingrat le chassa pour y faire entrer le démon. Je donnerai dans la suite de cette histoire, sur la malheureuse conduite de Judas, quelques autres détails utiles à l'expérience des mortels, pour ne pas allonger ce chapitre, et parce qu'ils se rattachent à d'autres événements. Quel est celui d'entre les hommes si sujets à pécher, qui né sera saisi d'une vive frayeur, en voyant un de ses semblables, élevé dans l'école de notre Seigneur Jésus-Christ et de sa très-sainte Mère, nourri de leur doctrine, témoin de leurs miracles, opérant les mêmes merveilles que les autres apôtres, passer en si peu de temps de l'apostolat au rôle de démon, et d'innocente brebis qu'il était, devenir un loup ravissant? Judas commença par des péchés véniels, et de ceux-ci il passa aux crimes les plus horribles. Il se livra au démon, qui déjà soupçonnait que notre Seigneur Jésus-Christ était Dieu, et qui déchargea la rage qu'il avait contre le Maître, sur ce malheureux disciple séparé du petit troupeau. Mais si Lucifer n'a fait que redoubler de fureur depuis qu'il a forcément reconnu que Jésus-Christ était véritablement Dieu et le Rédempteur du monde, que peut espérer une âme qui se livre maintenant à un ennemi si cruel, si implacable et si acharné à notre perte?

 

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Instruction que la Reine du ciel m’a donnée.

 

1097. Ma fille, tout ce que vous avez écrit dans ce chapitre est un avis des plus importants pour tous ceux qui vivent en la chair mortelle , et dans le danger de perdre le bien éternel ; car le moyen efficace d'arriver au salit et d'augmenter les degrés de la récompense, se réduit à craindre avec discrétion les jugements du Très-Haut (1), et à s'attirer mon intercession et ma clémence. Je veux que vous sachiez aussi qu'un des divins secrets que mon très-saint Fils découvrit dans la nuit de la Cène à Jean, son bien-aimé et le mien, fut de lui faire connaître qu'il s'était acquis cet amour par celui qu'il me portait, et que Judas était tombé dans le péché pour avoir méprisé la compassion que je lui témoignais. Alors l'évangéliste connut quelques-uns des grands mystères que le Tout-Puissant me communiqua et opéra en moi; il eut aussi connaissance de ce que je devais souffrir en la passion ; et le Seigneur lui ordonna de prendre un soin particulier de moi. La pureté d'une que je demande de vous doit être plus qu'angélique, et si vous vous disposez à l'acquérir, vous participerez aux faveurs que nous fîmes à Jean, et vous serez ma très-chère fille et l'épouse bien-aimée de mon Fils et mon Seigneur. L'exemple que vous offre cet évangéliste,

 

(1) Ps. CXVIII, 120.

 

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et la perte de Judas vous exciteront sans cesse à solliciter mes bonnes grâces et à correspondre par la plus vive reconnaissance à l'amour que je vous témoigne sans que vous l'ayez mérité.

1098. Je veux aussi que vous pénétriez un autre secret qui est fort ignoré du monde , c'est que l'un des péchés que le Seigneur a le plus en horreur, est le peu d’estime que l'on accorde aux justes et aux amis de l'Église, et surtout à moi, qui ai été choisie pour être sa Mère et la protectrice universelle de tous. Et si les injures que l'on fait à des ennemis sont si odieuses su Seigneur (1) et aux saints qui se trouvent dans le ciel, comment souffrira-t-il qu'on en fasse à ses plus chers amis, sur lesquels il tient ouverts les yeux de son amour (2)? Cet avis est beaucoup plus important que vous ne sauriez le concevoir pendant la vie mortelle, et c'est une des marques de réprobation que de mépriser les justes. Évitez ce danger, ne jugez personne (3), et moins encore ceux qui vous reprennent et vous enseignent. Ne vous laissez point incliner vers les choses terrestres, et gardez-vous surtout d'aspirer aux charges qui séduisent l'âme, quand elle ne regarde que ce qu'elles ont de sensible et d'humain, qui troublent le jugement et obscurcissent la raison. Ne désirez point les honneurs, ne portez pas envie à ceux qui les reçoivent, et ne demandez au Seigneur que son saint amour; car la créature est pleine des plus mauvaises inclinations, et si elle ne

 

(1) Matth., XVII, 35. — (2) Ps. XXXIII, 16. — (3) Matth., VII, 1.

 

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les réprime, elle recherche trop souvent ce qui doit être le sujet de sa damnation. Et quelquefois le Seigneur le lui accorde par ses secrets jugements, pour punir son ambition et plusieurs autres péchés qu'elle a commis, ainsi qu'il arriva à Judas. Les hommes reçoivent en ces biens temporels qu'ils souhaitent avec tant d'ardeur, la récompense de quelque bonne oeuvre qu'ils ont pu faire. Vous comprendrez par là combien est grande l'illusion de beaucoup de partisans du monde qui se croient fort heureux quand tout leur réussit au gré de leurs désirs terrestres. Et cependant c'est le plus grand de tous leurs malheurs, parce qu'ils perdent la récompense éternelle qu'obtiennent les justes qui ont méprisé le monde, et qui y ont été éprouvés par toute sorte d'adversités, le Seigneur refusant quelquefois à ceux-ci les choses temporelles qu'ils souhaitent, pour les soustraire à un péril caché. Afin que vous n'y tombiez pas, je vous avertis et vous recommande de ne jamais convoiter aucune chose périssable. Détournez votre volonté de tout ce qui est passager, maintenez-la libre et mattresse; affranchissez-la de la servitude des passions; et ne demandez que ce qui sera conforme à la volonté du Très-Haut; car sa Majesté prend un soin particulier de ceux qui s'abandonnent à sa divine Providence (1).

 

(1) Matth., VI, 30.

 

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CHAPITRE VI. Notre Seigneur Jésus-Christ se transfigure sur le Thabor devant sa très-sainte Mère. — Il se dirige avec elle de la Galilée vers Jérusalem, pour se rapprocher du lieu de la passion. — Ce qui arriva à Béthanie lorsque la Madeleine répandit des parfums sur le Sauveur.

 

1099. Il y avait déjà plus de deux ans et demi que notre Rédempteur Jésus-Christ prêchait et faisait dei miracles en public; de sorte que le temps marqué par la Sagesse éternelle s'approchait auquel il devait re-tourner à son Père par le moyen de sa passion et de sa mort, après avoir en mourant satisfait à la divine justice et racheté le genre humain. Et comme toutes ses oeuvres tendaient à notre salut et à notre instruction, et qu'elles étaient pleines de sagesse divine, cet adorable Sauveur résolut de préparer quelques-uns de ses apôtres au scandale qu'ils recevraient par sa mort (1), en leur manifestant la gloire de son corps passible, qu'ils devaient voir bientôt flagellé et crucifié ; car il voulait qu'ils le vissent transfiguré par la gloire avant qu'il fût défiguré par les bourreaux. Le

 

(1) Matth., XXVI, 31.

 

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Seigneur avait fait cette promesse devant tous peu de temps auparavant, quoiqu'elle ne fût pas pour tous, mais pour quelques-uns seulement, comme le rapporte l'Évangéliste saint Matthieu (1). Il choisit pour cela le Thabor, haute montagne de la Galilée, à deux lieues de Nazareth , du côté de l'orient ; et étant arrivé au sommet de cette montagne avec les trois apôtres Pierre, Jacques et Jean son frère, il se transfigura devant eux, comme le racontent les trois Évangélistes saint Matthieu, saint Marc et saint Luc (2), qui ajoutent qu'outre les trois apôtres s'y trouvèrent les deux prophètes Moïse et Élie, s'entretenant avec Jésus de sa passion. Pendant la transfiguration il vint une voix du ciel de la part du Père éternel, qui dit : Celui-ci est mon Fils bien-ainsi, en qui je me plais uniquement ; écoules-le.

1100. Les Évangélistes ne disent point que la très-pure Marie assistât à la transfiguration, mais ils ne le nient pas non plus ; et s'ils ne se sont pas expliqués là-dessus, c'est parce que cela ne regardait pas leur sujet, et qu'il n'était pas convenable de rapporter dans les Évangiles le miracle caché qui eut lieu. La lumière que j'ai reçue pour écrire cette histoire me découvre qu'au même moment où quelques anges allèrent prendre Moïse et Élie où ils étaient, la bien-heureuse Vierge fut transportée par le ministère de ses saints anges sur la montagne du Thabor, afin

 

(1) Matth., XVI, 38. — (2) Matth., XVII, 1; Marc.,        IX ; Luc., IX, 28.

 

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quelle y vit son très-saint Fils transfiguré, comme effectivement elle le vit, bien qu'elle n'eût pas besoin comme les apôtres d'être affermie dans la foi, quelle avait toujours constante et inébranlable. Mais notre Rédempteur Jésus-Christ eut plusieurs fins en cette merveille de la transfiguration ; et il avait d'autres raisons particulières pour ne pas célébrer un si grand mystère sans que sa très-sainte Mère y fût présente. Car ce qui était une grâce à l'égard des apôtres, était comme dû à notre grande Reine, en sa qualité de coadjutrice dans les oeuvres de la rédemption, à laquelle elle devait concourir jusqu'au pied de la croix; il fallait aussi qu'elle fût fortifiée par cette faveur contre les douleurs que son âme très-sainte devait souffrir : et destinée à être bientôt la Maîtresse de la sainte Église, il était convenable qu'elle fût témoin de ce mystère, et que son adorable Fils ne lui cachât point ce qu'il pouvait si facilement lui découvrir; puisqu'il lui manifestait toutes les opérations de son âme divine. L'amour du Seigneur pour sa bienheureuse Mère était tel, qu'il ne lui permettait pas de lui refuser cette faveur, dans le temps qu'il ne lui en refusait aucune de celles qui pouvaient lui prouver la tendresse de son affection; celle-ci appartenait d'ailleurs à notre auguste Princesse, à raison de son excellence et de sa dignité. C'est pour ces raisons, et pour plusieurs autres qu'il n'est pas nécessaire d'énumérer ici, qu'il m'a été déclaré que la bienheureuse Marie assista à la transfiguration de son très-saint Fils notre Rédempteur.

 

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1101. Elle ne vit pas seulement l'humanité de notre Seigneur Jésus-Christ transfigurée et glorieuse, mais de plus elle vit clairement la Divinité pendant tout le temps que ce mystère dura ; car elle ne devait pas recevoir cette faveur de la manière dont les apôtres la reçurent, mais avec plus d'abondance et de plénitude. Et en la vision même de la gloire du corps, qui fut commune à tous, il y eut une grande différence entre notre auguste Reine et les apôtres, non-seulement parce qu'ils succombèrent de sommeil lorsque le Sauveur se retira su commencement pour prier, comme le rapporte saint Luc (1), mais aussi parce qu'ayant ouï cette voix du ciel, ils furent saisis de frayeur, et tombèrent le visage contre terre, demeurant en cet état jusqu'à ce que le Seigneur leur eût dit de se lever et de ne point craindre, comme le raconte saint Matthieu (2); quant à la divine Mère, elle resta toujours immobile, parce que, outre quelle était accoutumée à d'aussi grands bienfaits, elle se trouvait alors comblée de nouveaux dons de lumière et de force pour voir la Divinité; ainsi elle pouvait regarder fixement la gloire du corps transfiguré sans ressentir la crainte et la faiblesse qu’éprouvèrent les apôtres en la partie sensitive. La bienheureuse Marie avait vu autrefois le corps de son adorable Fils transfiguré, comme je l'ai dit ailleurs; mais dans cette occasion elle le vit avec des circonstances particulières, avec une plus vive admiration, et avec des

 

(1) Luc., IX, 32. — (2) Matth., XVII, 16.

 

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lumières et des faveurs plus extraordinaires; les effets que cette vision produisit en son âme très-pure furent aussi spéciaux ; car elle en sortit toute renouvelée, toute enflammée d'amour, et toute divinisée. Tant qu'elle vécut dans sa chair mortelle, elle conserva l'image de cette vision, qui s'appliquait à l'humanité glorieuse de notre Seigneur Jésus-Christ. Et quoique ce souvenir lui apportât une grande consolation en l'absence de son Fils, lorsque la même image ne lui était point représentée au milieu d'autres bienfaits, que nous rapporterons dans la troisième partie, il ne laissa pas que de lui rendre plus sensibles les affronts de la passion de Celui qu'elle avait contemplé dans les splendeurs de la gloire, dont il lui retraçait le tableau.

1102. On ne saurait trouver dans les langues humaines des termes pour expliquer les effets que produisit en son âme très-sainte cette vision de l'être entier de Jésus-Christ glorieux: non-seulement parce quelle vit briller d'un éclat si divin cette substance que le Verbe avait prise de son propre sang, et qu'elle avait portée dans son sein et nourrie de son propre lait; mais parce qu'elle ouït la voix du Père éternel qui reconnaissait pour Fils celui qui était aussi le sien, et qui le donnait en même temps aux hommes pour maître. Elle pénétrait tous ces mystères, les considérait avec reconnaissance, et en louait dignement le Tout-Puissant. Elle fit de nouveaux cantiques avec ses anges, et célébra ce jour si solennel pour son âme et pour l'humanité de son très-saint Fils. Je ne m'arrête

 

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point à d'autres détails relatifs à ce mystère, ni à dire en quoi consista la transfiguration du corps sacré de Jésus-Christ. Il suffit qu'on sache que son visage devint resplendissant comme le soleil, et ses vêtements plus blancs que la neige (1); et que cette gloire qui rejaillit sur le corps venait de celle que le Sauveur avait toujours en son âme divine et glorieuse. Car le miracle en vertu duquel, au moment de l'incarnation, furent suspendus les effets glorieux que le corps en devait recevoir d'une manière permanente, cessa pour quelque temps en la transfiguration, où le corps très-pur de Jésus-Christ participa à cette gloire de son âme. Ce fut là cette splendeur qui en frappa les témoins. Mais bientôt le même miracle continua à suspendre comme auparavant les effets de l'âme glorieuse de ce divin Sauveur Et comme elle était toujours bienheureuse, ce fut encore une chose merveilleuse que le corps ait joui momentanément d'un privilège qui lui était naturellement perpétuel aussi bien qu'à l'âme.

1103. Après le mystère de la transfiguration, l'auguste Marie fut ramenée en sa maison de Nazareth ; son très-saint Fils descendit de la montagne, et aussitôt il l'alla trouver pour revoir une dernière fois sa patrie et prendre ensuite le chemin de Jérusalem , où il devait souffrir à la Pâque prochaine, qui devait être la dernière pour sa Majesté. Après qu'il eut passé quelques jours à Nazareth, il en sortit accompagné de

 

(1) Matth., XVII, 2.

 

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sa très-sainte Mère, des apôtres, des disciples gui il avait et de plusieurs saintes femmes; traversant la Galilée et la Samarie jusqu'à ce qu'ils fussent arrivés en Judée et à Jérusalem. L'évangéliste saint Luc (1), écrivant ce voyage, dit que le Sauveur afermit son visage pour se rendre à Jérusalem; parce qu'en, par; tant il avait une physionomie joyeuse, il brûlait du désir de parvenir à sa passion, il allait spontanément et librement se sacrifier, avec une volonté efficace, pour le salut du genre humain; ainsi il ne devait plus retourner en Galilée, où il avait opéré tant de prodiges. Dans cette résolution de quitter Nazareth , il glorifia comme homme le Père éternel, et lui rendit des actions de grâces de ce qu'il avait reçu en ce lieu l’être humain, qu'il livrait pour le remède des hommes à la passion et à la mort qu'il allait subir. Entre autres choses que dit notre Rédempteur Jésus-Christ dans cette oraison, que je ne saurais bien traduire par mes paroles, j'entendis ce qui suit :

1104.« Mou l'ère éternel, je vais avec bonne volonté et avec joie accomplir votre commandement, satisfaire votre justice et souffrir jusqu'à la mort; réconcilier, avec vous tous les enfants d'Adam (2), payer la dette de leurs péchés et leur ouvrir les portes du ciel, qu'ils se sont fermées par ces mentes péchés. Je vais chercher ceux qui se sont égarés (3) en se détournant de moi, et je les ramènerai par la force de mon amour. Je vais

 

(1) Luc., IX, 51. — (2) Rom., V, 10. — (3) Luc., XIX, 10.

 

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sembler les dispersés de la maison de Jacob (1), relever ceux qui sont tombés, enrichir les pauvres, rafraîchir ceux qui ont soif, abattre les superbes et élever les humbles. Je veux vaincre l'enfer, et rehausser le triomphe de votre gloire contre Lucifer et contre les vices qu'il a semés dans le monde (2). Je veux arborer l'étendard de la croix (3), sous lequel toutes les vertus et tous ceux qui les pratiqueront doivent combattre. Je veux rassasier mon coeur des opprobres et des affronts dont il est affamé (4), et qui sont si estimables à vos yeux. Je veux m'humilier jusqu'à recevoir la mort des mains de mes ennemis (5), afin que nos amis et nos élus soient honorés et consolés dans leurs tribulations, et soient élevés à de hautes récompenses lorsqu'ils s'humilieront à les souffrir à mort exemple. O Croix désirée! quand est-ce que tu me recevras entre tes bras? O doux opprobres ! ô affronts ! ô douleurs! quand est-ce que vous me conduirez à la mort, pour la vaincre eu ma chair innocente (6)? Peines, affronts, ignominies, verges, épines, passion, mort, venez, venez à moi, qui vous cherche; laissez-vous bientôt trouver par celui qui vous aime et qui tonnait votre valeur. Si le monde vous abhorre, moi je vous convoite. S'il vous méprise dans son ignorance, moi,

qui suis la vérité et la sagesse, je vous appelle, parce a que je vous aime. Venez donc à moi, car si je vous

 

(1) Isa., LVI, 8. — (2) I Joan., III, 8. — (3) Matth., XVI, 24. — (4) Thren., III, 30. — (5)  Philip., II, 8. — (6) Hebr., II, 14.

 

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accepte comme homme, je vous rendrai comme Dieu  l'honneur que le péché et ceux qui l'ont commis vous ont ôté. Venez à moi, ne tardez point de satisfaire mes désirs; que si vous appréhendez de m'aborder parce que je suis tout-puissant, je vous  permets de déployer toutes vos forces et toutes vos rigueurs contre mon humanité. Je ne vous rejetterai point comme font les mortels. Je veux bannir  l'erreur et les illusions des enfants d'Adam, qui aiment la vanité, qui cherchent le mensonge (1),  et qui croient malheureux les pauvres, les affligés  et les méprisés du monde; quand ils verront Celui a qui est véritablement leur Dieu, leur Créateur, leur  Maître et leur Père souffrir les opprobres, les  affronts, les ignominies, les tourments, la nudité  et la mort de la croix, ils abjureront l'erreur et se  feront gloire de suivre leur Dieu crucifié. »

1105. Ce sont là quelques-uns des sentiments que le Maître de la vie notre Sauveur forma dans son coeur, selon l'intelligence qui m'en a été donnée. Et les faits ont manifesté, par l'amour avec lequel il a cherché et enduré les supplices de la passion, de la croix et de la mort, ce que je ne saurais exprimer par mes paroles, de l'estime que l'ors doit faire des souffrances. Mais les enfants de la terre ont encore le coeur appesanti, et ne cessent de s'attacher à la vanité (2). Ayant devant les yeux la vie et la vérité, ils se laissent toujours entraîner à l'orgueil; l'humilité leur déplait, les plaisirs

 

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les enchantent, et ils fuient tout ce qui leur parait pénible. O erreur déplorable! Travailler et se fatiguer beaucoup pour éviter une petite gène! Se résoudre follement à souffrir une confusion éternelle pour. ne pas essuyer le plus léger affront, et même pour ne pas se priver d'un honneur vain et apparent ! Dira-t-on après cela (si on n'a perdu le jugement) que c'est s'aimer soi-même, puisque notre plus mortel ennemi, avec toute sa haine, ne peut nous causer un plus grand préjudice que celui que nous nous causons nous-mêmes lorsque nous faisons quelque chose contre le bon plaisir de Dieu? Certes, nous ne croirions pas notre ami celui qui ne nous flatterait que pour mieux dissimuler sa trahison, et nous tiendrions pour fou celui qui, voyant le piège, s'y jetterait tête baissée pour un misérable cadeau. Si cela est vrai, comme ce l'est en effet, que dirons-nous de la conduite des mortels qui se laissent tromper par le monde? Qui est-ce qui leur a ôté le jugement? Qui est-ce qui les prive de l'usage de la raison? Oh! que le nombre des insensés est grand (1) !

1106. La très-pure Marie fut la seule entre les enfants d'Adam qui, comme l'image vivante de son très saint Fils, se conforma entièrement à sa volonté, à sa vie, à toutes ses oeuvres et à sa doctrine. Elle tut celle qui suppléa par sa prudence et par la plénitude de sa sagesse aux fautes que notre ignorance et notre folie nous font commettre, et qui nous acquit la lumière

 

(1) Eccles., I, 15.

 

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de la vérité au milieu de nos plus épaisses ténèbres. Il arriva, dans la circonstance dont je parle, que cette auguste Reine vit dans l'âme très sainte de son Fils, comme dans un miroir, tous les actes d'amour qu'il faisait; et, comme elle le prenait pour le modèle de ses actions, elle pria conjointement avec lui le Père éternel, et dit intérieurement : « Dieu tout, puissant, Père de miséricorde, je glorifie votre être infini et immuable; je vous bénis et vous bénirai à

jamais de ce qu'après m'avoir créée, vous avez  daigné déployer en ce lieu la puissance de votre bras en m'élevant à la dignité de Mère de votre  Fils unique, et en m'enrichissant de la plénitude de  votre esprit et de vos anciennes miséricordes , que vous avez répandues si abondamment sur notre très-humble servante; et de ce qui ensuite, sans que je l'eusse mérité, votre Fils unique et le mien, en l'humanité qu'il a reçue de ma substance, a bien voulu me souffrir en sa compagnie si désirable, et m'éclairer par les influences de sa grâce et de sa doctrine pendant le cours de trente-trois années. Je quitte Seigneur, aujourd'hui ma patrie, j’accompagne mon Fils et mon Maître, selon votre bon plaisir, pour assister au sacrifice de sa vie et de son être humain qu'il doit offrir pour tous les hommes. Il n'est point de douleur qui soit égale à la mienne (1), puisque je dois voir l'Agneau qui ôte les péchés du monde (2) en proie aux loups ravissants; Celui

 

(1) Thren., I, 12. — (2) jerem., XI, 19.

 

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qui est la splendeur de votre gloire et l'image de votre substance (1); Celui qui est engendré de toute  éternité en égalité de cette même substance et qui  le sera éternellement ; Celui à qui j'ai donné litre  humain dans mon sein virginal livré aux opprobres  et à la mort de la croix, et la beauté de son visage,  qui est la lumière de mes yeux et la joie des anges, défigurée par les tourments (2). Oh! s'il était possible que je subisse moi seule les peines et les douleurs qui l'attendent, et que je me livrasse à la  mort pour lui conserver la vie! Agréez, Père éternel, le sacrifice que je vous offre avec mon bien aimé pour accomplir votre très-sainte volonté. Oh !  que les jours et les heures qui doivent amener la  triste nuit de mes douleurs accourent avec vitesse ! Ce sera un jour heureux pour le genre humain, mais  une nuit affreuse pour mon coeur consterné de l'absente du Soleil qui l’éclairait. O enfants d'Adam, ennemis de vous-mêmes et plongés dans un funeste sommeil ! sortez de votre léthargie, et reconnaissez  l'énormité de vos fautes par les peines qu'elles font  souffrir à votre divin Rédempteur. Reconnaissez-la par mes défaillances, mes angoissés et les amer tomes de ma douleur; commencez enfin à apprécier les ravages du péché. »

1107. Je ne saurais dignement raconter toutes les oeuvres que fit la bienheureuse Vierge lors de ce dernier départ de Nazareth, les pensées qu'elle conçut,

 

(1) Sap., VII, 26; Hebr., I, 3. —(2) Isa., LIII, 2.

 

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les prières qu'elle adressa au Père éternel, les entretiens à la fois si pleins de charmes et si douloureux qu'elle eut avec son très-saint Fils, la grandeur de son affliction, les mérites incomparables qu'elle acquit; parce que le pur amour avec lequel elle souhaitait comme mère la vie de Jésus-Christ et l'exemption des tourments qu'il devait endurer, se trouvant uni à la conformité qu'elle avait à la volonté de cet adorable Sauveur et du Père éternel, son âme en était transpercée du glaive de douleur que Siméon lui avait montré de loin (1). Dans cette désolation, elle tenait à son Fils des discours dictés par la prudence et la sagesse; mais elle y mêlait les plaintes les plus douces et les plus tendres, de ce qu'elle ne pouvait ni empêcher sa passion, ni mourir avec lui. Elle surpassa en ces peines tous les martyrs qui ont paru. et qui paraîtront dans le monde. C'est dans ces dispositions et ces sentiments cachés aux hommes que le Roi et la Reine ale l'univers sortirent de Nazareth pour aller à Jérusalem- en traversant la Galilée, où le Sauveur du monde ne retourna plus pendant sa vie mortelle. Et, comme il voyait que le temps de souffrir et de mourir pour le salut des hommes s'approchait, il fit de plus grandes merveilles pendant les derniers mois qui précédèrent sa passion et sa mort, ainsi que le rapportent les écrivains sacrés, parlant de ce qui arriva depuis qu'il fut sorti de Galilée jusqu'au jour de son entrée triomphale, dans Jérusalem, dont je ferai mention

 

(1) Luc., II, 35.

 

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ci-après, Et jusqu'à cette époque le Seigneur, se mil, lorsque la fête des Tabernacles fut passée, à parcourir et à évangéliser la Judée, en attendant l'heure déterminée où il se devait offrir au sacrifice en la manière et au moment qu'il l'avait résolu.

1108. Sa très-sainte Mère l'accompagna continuellement dans ce voyage, excepté quand parfois ils se séparèrent pour travailler tous deux à des couvres différentes qui regardaient le salut des âmes, et ce n'était que pour fort peu de temps. Saint Jean restait près d'elle dans ces occasions pour lui tenir compagnie et pour la servir; et dès lors l'écrivain sacré découvrit de grands mystères cachés en la très-pure Vierge Mère, et il fut éclairé d'une très-sublime lumière pour les pénétrer. Quand cette puissante Reine s'employait à instruire les âmes et à prier pour leur justification, les merveilles qu'elle opérait étaient plus éclatantes et manifestaient plus hautement sa charité; car elle accorda, comme son très-saint Fils, de plus insignes bienfaits aux hommes dans ces derniers jours qui précédèrent la passion, convertissant plusieurs personnes, guérissant les malades, consolant les affligés, secourant les pauvres, assistant les agonisants, servant tous les malheureux de ses propres mains, et de préférence ceux qui étaient plus délaissés ou atteints de maux plus cruels. Le bien-aimé disciple, qui s'était déjà chargé de la servir, était témoin de tout cela. Mais, comme elle brûlait d'un si ardent amour pour son Fils et son Dieu éternel, et qu'elle le voyait sur le point de passer de ce monde à son Père, et de la

 

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priver ainsi de son aimable présence, elle ressentait une si grande peine lorsqu'il était absent, elle éprouvait un désir si véhément de le voir, qu'elle tombait en des défaillances amoureuses quand il tardait un peu plus qu'à l'ordinaire à venir la rejoindre. Et le Seigneur, qui comme Dieu et comme fils observait ce qui se passait en sa très-amoureuse Mère, lui témoignait sa complaisance par une fidélité réciproque, et lui répondait au plus intime de son âme ces paroles, qui furent ici vérifiées à la lettre : Vous avez blessé mon cœur, ma sœur, vous avez blessé mon coeur par un seul de vos regards (1). Car blessant ainsi , vainquant le coeur de son Fils par son amour, elle l'attirait incontinent en sa présence. Et, selon ce que j'ai appris à cet égard, notre Seigneur Jésus-Christ, en tant qu’homme, ne savait pas rester longtemps éloigné de la très-pure Marie, quand il laissait agir dans toute sa force l'amour qu'il portait à une Mère si tendre; de sorte qu'il était naturellement consolé de la voir; et la beauté de l'âme immaculée de sa Mère adoucissait ses peines et ses fatigues, parce qu'il là regardait comme son fruit unique, exquis entre tous; ainsi la très-douce présence de cette auguste Dame était d'un grand soulagement pour sa Majesté au milieu de ses travaux et de ses peines sensibles.

1109. En ce temps-là, il arriva que le Sauveur, continuant ses merveilles en Judée, ressuscita Lazare, à Béthanie, où il avait été appelé par les deux soeurs

 

(1) Cant., IV, 9.

 

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Marthe et Marie (1). Et comme ce lieu était fort proche de Jérusalem, le miracle y fut aussitôt divulgué. Alors les princes des prêtres et les pharisiens, jaloux de cette merveille, assemblèrent le conseil, où ils résolurent la mort du Sauveur (2), ordonnant à leurs satellites de leur transmettre les nouvelles qu'ils en apprendraient : car, après avoir ressuscité Lazare, le divin Maître se retira dans une ville nommée Éphrem (3), jusqu'à ce que la fête de Pâque, qui approchait, fût arrivée. Quand il fut temps que notre Rédempteur l'allât célébrer par sa mort, il s'ouvrit davantage aux douze disciples, qui étaient ses apôtres; et, leur parlant en particulier, il les avertit que dans cette ville de Jérusalem, où ils se rendaient, le Fils de l'homme, qui n'était autre que lui-même, serait livré aux princes des pharisiens, et qu'il serait, pris, flagellé et outragé jusqu'à mourir sur une croix (4). Cependant les prêtres épiaient toutes ses démarches, pour, savoir s'il viendrait célébrer la Pâque. Six jours avant cette fête il revint à Béthanie, où il avait ressuscité Lazare, et où les deux soeurs le reçurent dans leur maison et préparèrent un copieux souper au divin Sauveur, à sa très-sainte Mère et à tous. ceux qui les accompagnaient pour la célébration de la Pâque; Lazare, que le Seigneur avait ressuscité peu de jours auparavant, se trouvait au nombre des convives (5).

1110. Le divin Maître était pendant le repas appuyé

 

(1) Joan., XI, 17. — (II) Ibid., 47. — (8) Ibid., 54. — (4) Matth., XX, 18. — (5) Joan., XII, 1.

 

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sur le côté, selon la coutume des Juifs, lorsque Marie-Madeleine entra pénétrée d'une céleste lumière, de très-hautes pensées, et de l'amour très-ardent qu'elle avait pour le Sauveur du monde; elle lui versa sur la tête et sur les pieds une précieuse liqueur de nard et d'autres essences aromatiques (1), qu'elle portait dans un vase d'albâtre, et elle lui essuya les pieds avec ses cheveux, comme elle l'avait déjà fait dans la maison du pharisien au temps de sa conversion, ainsi que le marque saint Luc (2). Et quoique les trois autres évangélistes racontent cette seconde onction de la Madeleine d'une manière un peu différente, je n'ai pas appris qu'il s'agisse dans leur récit de deux onctions ni de deux femmes; ils n'ont parlé que d'une seule Madeleine, mue du divin Esprit et du fervent amour qu'elle avait voué à notre Sauveur Jésus-Christ. Là maison fut remplie de la délicieuse odeur de ces parfums, parce qu'il y en avait une assez grande quantité, et la généreuse amante rompit le vase pour mieux l'épuiser à l'honneur de son adorable Maître. L'avare apôtre qui aurait voulu qu'on le lui remit pour le vendre et en toucher le prix, commença à murmurer de cette onction mystérieuse, et à provoquer quelques-uns des autres apôtres à en faire autant, sous prétexte de pauvreté et de charité envers les pauvres, disant qu'on les privait d'une aumône en prodiguant ainsi inutilement une chose d'une si grande valeur, tandis que cette onction n'avait

 

(1) Joan., XII, 3. — (2) Luc., VII, 38.

 

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été faite que par une disposition divine, et que lui-même n'était qu'un hypocrite effronté et cupide.

1111. Le Maître de la vérité et de la vie justifia Madeleine, que Judas voulait faire passer pour imprudente et pour prodigue (1). Il lui recommanda à lui et aux autres en même temps de ne la point inquiéter, parce qu'elle avait fait une bonne oeuvre, qu'il y aurait toujours parmi eux des pauvres à qui ils pourraient faire l'aumône, mais qu'ils n'auraient pas toit jours le moyen de rendre cet honneur à sa personne; et que cette libérale amante, poussée par l'Esprit du ciel, avait répandu ce baume sur son corps pour honorer par avancé sa sépulture; car elle annonçait par cette mystérieuse onction que le Seigneur souffrirait bientôt pour le genre humain, et que sa mort et ses funérailles étaient fort proches. Mais le perfide disciple ne faisait nulle attention à tout cela; au contraire, il fut extrêmement indigné contre son Maître de ce. qu'il avait justifié l'action de Madeleine. Or Lucifer voyant les dispositions de ce coeur endurci, lui lança de nouveaux traits, et lui inspira avec une nouvelle avarice une haine mortelle contre l'Auteur de la vie. Dès lors Judas résolut de machiner sa perte, de faire son rapport aux pharisiens en arrivant à Jérusalem, et de l'accuser auprès d'eux avec l'impudence qu'il montra en effet. Car il les alla trouver secrètement, et leur dit que son Maître enseignait des nouveautés contraires aux lois de Moïse et à celles

 

(1) Matth., XXVI, 10.

 

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des empereurs; qu'il aimait la bonne chère et les gens de mauvaise vie, qu'il en admettait beaucoup dans sa compagnie, soit des hommes, soit des femmes, et qu'il les entraînait à sa suite; enfin, qu'ils devaient songer à y remédier s'ils voulaient prévenir leur irréparable ruine. Et comme les pharisiens partageaient déjà ces sentiments, conduits qu'ils étaient aussi bien que Judas par le prince des ténèbres, ils reçurent cet avis avec plaisir, et convinrent ensuite de la vente de notre Sauveur Jésus-Christ.

1112. Toutes les pensées et les démarches de Judas étaient connues non-seulement de notre divin Maître, mais aussi de sa très-sainte Mère. Néanmoins le Seigneur n'en dit pas un mot à Judas, et ne laissa pas de lui parler comme un père plein de tendresse, et de lui envoyer de saintes inspirations. La Mère de la Sagesse y ajoutait de nouvelles exhortations et des soins particuliers pour arrêter ce disciple sur les bords du précipice. Elle l'appela dans la nuit même du festin (c'était le samedi avant notre dimanche des Rameaux),lui parla en particulier dans les termes les plus pathétiques, et lui représenta, en versant des larmes abondantes, le danger formidable qu'il courait; elle le supplia,de changer de dessein, et s'il était fâché contre son Maître , de tourner sa vengeance contre elle, pour se rendre moins coupable, attendu qu'elle était une simple créature, tandis que Jésus-Christ était son Seigneur et son Dieu. Et pour satisfaire l'avarice insatiable de Judas, elle lui offrit divers cadeaux qu'elle avait reçus de Madeleine à cette

 

(1) Matth., XXVI, 10.

 

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intention. Mais rien ne fut capable de toucher ce cœur obstiné: plus dur que le diamant, il résistait à tous les coups. Au contraire , comme la force des raisons de la bienheureuse Vierge le mettait dans la confusion, il s'en irrita davantage, ne témoignant sa sourde colère que par un sombre silence. Il eut pourtant l'effronterie de prendre ce qu'elle lui donnait, parce qu'il était aussi cupide que perfide. Alors notre très-prudente Reine le quitta pour aller trouver son Fils; et fondant en larmes, elle se prosterna à ses pieds, et lui parla avec une sagesse admirable; mais ses paroles exprimaient tant de douleur, de tendresse et de compassion, qu'elles procurèrent quelque consolation sensible à son Fils bien-aimé, qu'elle voyait affligé en son humanité sainte pour les mêmes raisons qui lui firent dire depuis à ses disciples que son âme était saisie d'une tristesse mortelle (1). Toutes ses peines étaient causées par les péchés des hommes qui ne profiteraient pas de sa passion et de sa mort, comme je le dirai dans la suite.

 

Instruction que notre auguste Maîtresse m'a donnée.

 

1113. Ma fille, puisque, plus vous avancez en ce que vous écrivez de mon histoire, plus vous connaissez

 

(1) Matth., XXVI, 38.

 

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et déclarez l'amour si ardent avec lequel mon Seigneur votre époux et moi aussi embrassâmes la carrière de la souffrance et de la croix, et mieux vous comprenez que ce fut la seule chose que nous choisîmes en la vie mortelle; il est juste qu’éclairée de ces lumières et initiée par votre maîtresse aux secrets de la doctrine de mon Fils, vous fassiez tous vos efforts pour la mettre en pratique. Cette obligation s'accroît pour vous depuis le jour qu'il vous a choisie pour épouse; elle augmente sans cesse, et vous ne sauriez vous en acquitter si vous n'embrassez les afflictions, et si vous ne les aimez d'un amour tel, que pour vous la plus grande de toutes les peines soit de n'en point avoir. Renouvelez chaque jour ce désir dans votre coeur, car je veux que vous soyez fort savante en cette science, que le monde ignore et déteste. Mais remarquez en même temps que Dieu ne veut pas affliger la créature seulement pour l'affliger, mais pour la rendre ,par ce moyen digne des faveurs et des trésors qu'il lui a préparés au delà de tout ce que les hommes peuvent concevoir (1). En preuve de cette vérité, et comme pour gage de cette promesse, le Sauveur a voulu se transfigurer sur le Thabor en ma présence et en celle de quelques-uns de ses disciples. Et dans la prière qu'il y adressa au Père éternel; et qui ne fut connue que de moi seule, après que sa très-sainte humanité se fut humiliée, comme elle le faisait toutes les fois qu'elle commençait une prière, et l'eut glorifié et

 

(1) I Cor., II, 9.

 

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reconnu pour Dieu véritable et infini en ses perfections et en ses attributs, il lui demanda que les corps de tous les mortels qui s'affligeraient pour son amour, et qui souffriraient à son imitation dans la nouvelle loi de grâce, participassent ensuite à la gloire de son propre corps, et qu'ils ressuscitassent su jour du jugement universel, unis de nouveau aux mêmes Ames, afin de jouir de cette gloire, chacun su degré qu'il aurait mérité. Le Père éternel exauça tette prière; c'est pourquoi il voulut confirmer te privilège comme un contrat entre Dieu et les hommes, par la gloire que reçut le corps de leur Rédempteur, en lui donnant pour arrhes la possession de ce qu'il demandait pour tous ceux qui l'imiteraient. C'est le poids que produisent les afflictions si courtes et si légères que souffrent les mortels en se privant des vains et vils plaisirs de la terre (1), et en mortifiant leur chair pour Jésus-Christ, mon Fils et mon Seigneur.

1114. Par les mérites infinis qui accompagnèrent cette demande , cette gloire que les hommes doivent recevoir en qualité de membres de Jésus-Christ, leur divin chef qui la leur a acquise, les ceindra comme une couronne de justice (2). Mais l'union des membres au chef ne peut se réaliser que par la grâce et par l'imitation dans la souffrance, à laquelle correspond la récompense. Que si le moindre travail corporel doit obtenir la couronne, combien belle sera celle de ceux qui souffrent de grandes peines, qui pardonnent les

 

(1) II Cor., IV, 17. — (2) II Tim., IV, 8.

 

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injures, et qui ne s'en vengent que par des bienfaits, comme nous le fîmes à l'égard de Judas? Car non-seulement le Seigneur ne le priva point de l'apostolat, et ne lui témoigna aucune aigreur, mais il l'attendit jusqu'à la fin et jusqu à ce qu’il se fût mis par sa malice dans l'impossibilité de revenir au bien, en se livrant lui-même au démon. Pendant la vie mortelle le Seigneur est fort lent à punir; mais dans la suite la grandeur de la punition suppléera à ce retardement. Et si Dieu montre tant d'indulgence et de longanimité, à combien plus forte raison, un abject vermisseau ne doit-il pas supporter un autre vermisseau semblable à lui ! Vous devez régler votre patience, vos souffrances, et le soin du salut des âmes sur cette vérité et sur le zèle de la charité de votre Seigneur et votre époux. Je ne veux pas dire pour cela que vous tolériez ce que l'on fera contre l'honneur de Dieu, car ce ne serait pas aimer véritablement le bien de votre prochain; mais il faut que vous aimiez l'ouvrage du Seigneur, et que vous n'ayez en horreur que le péché; que vous souffriez et dissimuliez les injures qui vous seront personnelles,-que vous priiez pour tous, et que vous travailliez suivant vos forces au salut de tous. Ne perdez pas courage si vous ne voyez pas aussitôt le fruit de vos efforts; continuez au contraire à présenter au Père éternel les mérites de mon très-saint Fils, raton intercession et celle des anges et des saints; car comme Dieu est amour (1) , et que les bienheureux demeurent en

 

(1) I Joam., IV, 16.

 

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Dieu, ils ne cessent d'exercer la charité en faveur de ceux qui sont dans l'état de voyageurs.

 

CHAPITRE VII. Du mystère caché qui précéda le triomphe de Jésus-Christ dans Jérusalem. — De l'entrée qu'il y fit, et comment il y fut reçu des habitants.

 

1115. Entre les oeuvres de Dieu que l'on appelle du dehors parce qu'il les a faites au dehors de lui-même, la plus grande a été celle de prendre chair humaine, pour souffrir et mourir pour le salut des hommes. La sagesse humaine n'aurait su pénétrer ce mystère (1); si Celui qui en était l'auteur ne le lui eût révélé par tant de témoignages. Malgré cela, il S'est trouvé beaucoup de sages selon la chair qui ont en peine à croire ce mystère, qui était leur véritable bonheur et leur remède efficace. D'autres l'ont cru, mais sans admettre les conditions réelles avec lesquelles il est arrivé. Les autres, qui sont les catholiques, croient, confessent et connaissent ce mystère dans le degré de lainière qu'en a la sainte Église. Et

 

(1) Matth., XVI, 17.

 

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dans cette foi explicite des mystères révélés, nous confessons implicitement ceux qui s'y trouvent,renfermés et qui n'ont pas été manifestés au monde, parce qu'ils n'étaient pas précisément nécessaires au salut; car Dieu réserve les uns pour le temps qu'il juge convenable , les autres pour le dernier jour auquel le secret de tous les coeurs sera révélé devant le juste Juge (1). Le dessein que le Seigneur a eu lorsqu'il m'a prescrit d'écrire cette histoire, comme je l'ai déjà dit et comme je l'ai souvent appris, a été de manifester quelques-uns de ces mystères cachés, sans opinions et sans conjectures humaines; c'est pourquoi j'en si écrit plusieurs qui m'ont été déclarés, tout en sachant que j'en laisse plusieurs autres qui sont dignes d'une grande admiration et d'une vénération singulière. Je veux, à l'égard de ceux que je .manifeste, prévenir la piété et la foi catholique des fidèles; car ceux-ci ne feront pas difficulté de croire l'accessoire, attendu qu'ils confessent déjà par cette même foi le principal des vérités chrétiennes, sur lesquelles est fondé tout ce que j'ai écrit, et tout ce que j'écrirai dans la suite, notamment de la passion de notre Rédempteur.

1116. Le samedi auquel Madeleine versa le baume sur le Seigneur à Béthanie, comme je l'ai rapporté au chapitre précédent, notre divin Maître se retira après le souper dans son oratoire, et la très-sainte Mère ayant laissé Judas dans son obstination,

 

(1) I Cor., IV, 5.

 

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suivit bientôt son très-aimable Fils, et l'imita selon sa coutume, en ses prières et en ses exercices. Le Sauveur allait engager le plus grand combat de sa carrière, lui qui, selon l'expression de David (1), s'était élancé du plus haut du ciel pour y retourner, après avoir vaincu le démon, le péché et la mort. Et comme cet adorable et très-obéissant Fils allait volontairement à la passion et à la croix, au moment où il s'en approchait il s'offrit de nouveau au Père éternel, et s'étant prosterné, il le glorifia et fit du fond de son âme une prière pleine de la plus sublime résignation, par laquelle il accepta les affronts de sa passion, les peines, les ignominies et la mort de la croix pour la gloire de son Père, et pour le rachat de tout le genre humain. Sa bienheureuse Mère était retirée dans un coin de cet oratoire, s'associant à son bien-aimé Fils et Seigneur, de sorte que le Fils et la Mère priaient ensemble avec des larmes et des gémissements.

1117. En cette circonstance, le Père éternel apparut avant minuit sous une forme humaine, avec le Saint-Esprit et une multitude innombrable d'anges. Le Père accepta le sacrifice de Jésus-Christ son très-saint Fils, et consentit, pour pardonner au monde, à ce que la rigueur de sa justice fût exercée sur lui. Le même Père, s'adressant ensuite à la bienheureuse Mère, lui dit: « Marie, notre Fille et notre Épouse, je veux que vous livriez de nouveau; votre Fils,

 

(1) Ps. XVIII, 5.

 

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afin qu'il me soit sacrifié, puisque je le livre pouf la rédemption du genre humain. » L'humble et innocente colombe répondit: « Je ne suis, Seigneur, que cendre et poussière, mille fois indigne d'être Mère de votre Fils unique et Rédempteur du monde. Mais étant soumise à votre bonté ineffable, qui lui a donné la forme humaine dans mon sein, je l'offre et moi avec lui à votre divine volonté. Je vous supplie, Seigneur, de me recevoir, afin que je souffre conjointement avec votre Fils et le mien. » Le hère éternel agréa aussi l'offrande que la très-pure Marie lui faisait comme un sacrifice agréable. Et relevant le Fils et la Mère de l'humble posture où ils étaient, il dit : Voici le fruit béni de la terre que je désire. Alors il éleva le Verbe incarné au trône sur lequel il siégeait, et le mit à sa droite en partageant avec lui son autorité et sa prééminence.

1118. L'auguste Marie resta à l'endroit où elle se trouvait, mais transportée d'une sainte joie, revêtue d'une splendeur céleste et comme toute transformée. Et, voyant son Fils assis à la droite de son Père éternel, elle dit ces premières paroles du psaume cent neuvième, dans lequel David avait prophétisé ce mystère : Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite (1). Notre divine Reine fit sur ces paroles (comme en les paraphrasant) un cantique mystérieux à la louange du Père éternel et du Verbe incarné. Et, après qu'elle eut achevé de parler, le Père

 

(1) Ps., CIX, 1.

 

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continua tout le reste du psaume jusqu'au dernier verset inclusivement, comme accomplissant par son décret immuable tout ce que contiennent ces profondes paroles. Il m'est très -difficile d'exprimer en termes propres les notions qui m'ont été données sur un si haut mystère; mais j'en dirai quelque chose, avec l'aide du Seigneur, afin que l'on pénètre en partie cette merveille si cachée du Tout-Puissant, et ce que le Père éternel en découvrit à la très-pure Marie et aux esprits célestes qui y assistaient.

1119. Or, poursuivant ce que la bienheureuse Vierge avait commencé, il dit : Jusqu'à ce que je réduise vos ennemis à voua servir de marchepied (1). Car, vous étant humiliée suivant ma volonté éternelle, vous avez mérité l'élévation que je vous donne au-dessus de toutes les créatures (2), et de régner à me droite en la nature humaine que vous avez prise, pendant toute la durée des siècles qui ne doivent pas finir; c'est pourquoi je mettrai pendant toute cette éternité vos ennemis sous vos pieds et sous la puissance de votre empire, comme étant leur Dieu et le Restaurateur des hommes, afin que ces mêmes ennemis, qui ne vous ont pas obéi ni reçu, voient votre humanité, c'est-à-dire vos pieds, dans les splendeurs de la plus haute gloire. Et, quoique je n'exécute pas encore cette promesse (afin que le décret de la rédemption du genre humain soit accompli), je veux néanmoins que mes courtisans voient dès à présent ce que les démons

 

(1) Ps. CIX, 1. — (2) Philip., II, 8 et 9.

 

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et les hommes connaîtront dans la suite; savoir, que je vous établis à ma droite, au moment même où vous vous humiliez jusqu'à la mort ignominieuse de la croix; et que si je vous livre à toutes ses rigueurs et à leur malice, c'est pour ma propre gloire, c'est afin qu'ils éprouvent une plus grande confusion lorsque je les mettrai sous vos pieds.

Le Seigneur fera sortir de Sion le sceptre de votre puissance, pour vous faire régner au milieu de vos ennemis (1). Car moi qui suis le Dieu tout-puissant, et Celui qui suis (2), je ferai sortir et soutiendrai véritablement le sceptre de votre puissance invincible; de sorte que non-seulement les hommes vous reconnaîtront pour leur Restaurateur, leur guide, leur chef, et pour le Seigneur de l'univers, après que vous aurez triomphé de la mort en consommant leur rédemption; mais je veux que, dès aujourd'hui, et même avant de subir la mort, vous remportiez le triomphe le plus magnifique, quand ces mêmes hommes méditent votre ruine et vous accablent de leur mépris. Je veux que vous triomphiez de leur malice comme de la mort, et que, cédant à la force de votre puissance, ils en viennent librement jusqu'à vous honorer, vous glorifier et vous adorer en vous rendant un culte respectueux : je veux aussi que les démons soient vaincus et abattus par le sceptre de votre autorité, et que les prophètes et les justes qui vous attendent dans les limbes reconnaissent aussi bien que les anges cette

 

(1) Ps., CIX, 2. — (2) Exod., III, 14.

 

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élévation merveilleuse, que vous avez méritée en mon acceptation et en mon bon plaisir.

Le principe est avec vous au jour de votre force, au milieu de la splendeur de vos saints; je vous ai engendré de mon sein avant l'aurore (1). Au jour de cette force invincible que vous avez pour triompher de vos ennemis, je suis en vous et avec vous comme principe dont vous procédez par la génération éternelle de mon entendement fécond avant que l'aurore de la grâce, par laquelle nous avons résolu de nous manifester aux créatures, fût formée, et dans les splendeurs dont jouiront les saints lorsqu'ils seront béatifiés par notre gloire. Comme homme, votre principe est aussi avec vous, et vous avez été engendré au jour de votre puissance, parce que, dès l'instant où vous avez reçu l'être humain par la génération temporelle, de votre Mère, vous avez été enrichi du mérite que vous donnent maintenant les oeuvres par lesquelles vous vous rendez digne de l'honneur et de la gloire qui doivent couronner votre puissance en ce jour et en celui de mon éternité.

Le Seigneur a juré, et son serment demeurera irrévocable, que vous êtes le Prêtre éternel selon l'ordre de Melchisédech (2). Moi, qui suis le Seigneur et qui suis tout-puissant pour accomplir ce que je promets, j'ai décidé, avec un serment irrévocable, que vous seriez le souverain Prêtre de la nouvelle Église et de la loi de l'Évangile selon l'ancien ordre du prêtre Melchisédech ;

 

(1) Ps. CIX, 3. — (2) Ibid., 4.

 

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car vous serez le véritable Prêtre qui offrirez le pain et le vin que l'oblation de Melchisédech a figurés (1). Je ne me repentirai point de ce décret, parce que cette oblation que vous ferez sera pure et agréable, et je l'accepterai comme un sacrifice de louanges.

Le Seigneur est d votre droite; il écrasera les rois au jour de sa colère (2). Par les oeuvres de votre humanité, dont la droite est la divinité qui lui est unie, et par la vertu de laquelle vous les devez faire, et par le moyen de cette même humanité, je briserai, moi qui suis un Dieu avec vous (3), le pouvoir tyrannique que les princes des ténèbres et du monde, soit les anges apostats, soit les hommes, ont montré en ce qu'ils ne vous ont pas adoré, ni reconnu, ni servi comme leur Dieu et leur chef. Ma justice a déjà frappé un coup quand Lucifer et ses sectateurs ont refusé de vous reconnaître : ce fut pour eux le jour de ma colère; le jour viendra plus tard où elle en frappera un second sur les hommes qui ne vous auront pas reçu, et qui ne se seront pas soumis à votre sainte loi. Je les humilierai et les écraserai tons sous le poids de ma juste indignation.

Il exercera son jugement au milieu des nations, il remplira les ruines; il écrasera sur la terre les têtes d'un grand nombre d'hommes (4). Votre cause étant justifiée contre toux les enfants d'Adam qui ne profiteront pas de la miséricorde dont vous usez envers

 

(1) Gen., XIV, 18. — (2) Ps. CIX, 5. — (3) Joan., X, 30. — (4) Ps. CIX, 6.

 

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eux en les rachetant gratuitement du péché et de la mort éternelle, le même Seigneur, qui n'est autre que moi, jugera avec équité toutes les nations, séparera les justes et les élus d'avec les pécheurs et d'avec les réprouvés, et remplira le vide des ruines qu'ont laissées les anges apostats, qui ne conservèrent ni leur grâce ni leur propre demeure. C'est ainsi qu'il brisera sur la terre la tête des superbes, qui serrant en fort grand nombre à cause de la dépravation et de l'obstination de leur volonté.

Il boira de l'eau du torrent dans le chemin, et c'est pour cela qu'il lèvera la tête (1). l e même Seigneur et le Dieu des vengeances la mettra au comble de la gloire; et, pour juger la terre et rendre aux superbes ce qu'ils auront mérité, il s'élèvera, et, comme s'il buvait le torrent de son indignation, il enivrera ses flèches du sang de ses ennemis (2), et par l'épée de sa vengeance il les renversera dans le chemin par où ils devaient arriver à leur félicité. C'est ainsi qu'il vous fera lever la tête et dominer sur les rebelles indociles à votre loi, infidèles à votre vérité et à votre doctrine. Cette conduite sera fondée en justice sur ce que vous aurez bu le torrent des opprobres et des affronts jusqu'à la mort de la croix, dans le temps que vous aurez opéré leur rédemption.

1120. Telle fut, et plus complète, plus profonde et plus inexplicable encore l'intelligence qu'eut l'auguste Marie des paroles mystérieuses de ce psaume que le

 

(1) Ps. CIX, 7. — (2) Deut., XXVII, 42.

 

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Père éternel prononça. Et; quoique plusieurs soient dites à la troisième personne, elles ne peuvent s'appliquer néanmoins qu'à la propre personne du Père et au Verbe incarné. Tous ces mystères se réduisent principalement à deux points:  l’un qui regarde les menaces contre les pécheurs, les infidèles et les mauvais chrétiens, parce que, ou ils ne reconnaissent point le Rédempteur du monde, ou ils n'ont pas gardé sa divine loi;'l'autre qui renferme les promesses que le Père éternel fit à son Fils incarné de glorifier son saint nom contre et sur ses ennemis. Et comme pour gage et figure de cette exaltation universelle de Jésus-Christ après son ascension et surtout au dernier jugement, le Père voulut qu'il reçut, en son entrée dans Jérusalem, ces applaudissements et cette gloire que les habitants de cette ville lui donnèrent le jour qui suivit celui auquel eut lieu cette vision si mystérieuse, après laquelle le Père et le Saint-Esprit disparurent aussi bien que les anges qui avaient assisté avec admiration à cette scène ineffable. Notre Rédempteur Jésus-Christ et sa bienheureuse Mère passèrent le reste de cette nuit fortunée en de divers entretiens.

1121. Lorsque fut arrivé le jour qui répond au dimanche des Rameaux, le Sauveur s'approcha de Jérusalem avec ses disciples, accompagné d'une grande multitude d'anges qui bénissaient la charité si tendre qu'il manifestait envers les hommes, et son zèle si ardent pour leur salut éternel. Et, ayant marché environ deux lieues, il ne fut pas plutôt arrivé à Bethphagé, qu'il envoya, deux de ses disciples chez un

 

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homme de considération dont la maison n'était pas éloignée (1), et avec son agrément ils amenèrent à leur Maître une ânesse et son poulain, que, personne n'avait encore monté. Et, après que les disciples. les eurent couverts de leurs manteaux, le Sauveur prit le chemin de Jérusalem , et se servit dans ce triomphe de l'ânesse et de l'ânon, ainsi que l'avaient,prédit les prophètes Isaïe et Zacharie plusieurs siècles auparavant (2), afin que les prêtres et les docteurs de. la loi ne pussent prétexter leur ignorance. Les quatre, évangélistes ont aussi décrit ce triomphe merveilleux de Jésus-Christ, et racontent ce que virent ceux qui y assistèrent (3). Pendant que le Rédempteur s'avançait, les disciples et tout le peuple avec eux le reconnaissaient par leurs acclamations pour le Messie, pour le fils de David, le Sauveur du monde et le véritable Roi. Les uns disaient : la paix soit dans le ciel et la gloire dans les lieux les plus hauts; béni soit le Roi qui vient au nom du Seigneur; les autres disaient : Hosanna, Fili David ! Sauvez-nous, Fils de David; béni soit le règne de notre père David, qui est déjà arrivé. Tous. coupaient des palmes et des branches d'arbres en signe de triomphe et d'allégresse, et les répandaient eu étendant leurs manteaux sur le chemin par où devait passer le nouveau triomphateur des armées, notre Seigneur Jésus-Christ.

1122. Toutes ces marques de culte et d'admiration,

 

(1) Matth., XXI,1. — (2) Isa., LXII, 11 ; Zach., IX, 9. — (3) Matth., XXI, 1 ; Marc, XI, 8 ; Luc., XIX, 36 ; Joan., XII, 18.

 

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toutes ces acclamations que les hommes donnaient au Verbe incarné prouvaient le pouvoir de sa Divinité, d'autant plus que c'était le moment auquel les prêtres et les pharisiens l'attendaient dans cette même ville pour le faire mourir. Car s'ils n'eussent été mus et excités intérieurement par la vertu divine qui éclatait dans les miracles qu'il avait faits, il n'eût pas été possible que tant de gens réunis, dont beaucoup étaient idolâtres et les autres ses ennemis déclarés, l'eussent publiquement reconnu pour le véritable Roi, pour le Sauveur et le Messie, et se fussent soumis à un homme pauvre, humble et persécuté, qui venait sans pompe guerrière, sans armes, sans escorte, sans richesses, sans chars de triomphe ni chevaux superbes. En apparence, tout lui manquait; il entrait sur un petit ânon; il paraissait n'avoir rien que de méprisable dans l'opinion d'un monde plein de vanité; son air, toujours grave, serein, majestueux, répondait seul à sa dignité cachée, mais tout le reste était contraire à ce que le monde estime et applaudit. Ainsi l'on découvrait par ses effets la puissance divine, qui mouvait par sa force les coeurs des hommes et les contraignait à se soumettre à leur Créateur et Restaurateur.

1123. Mais, outre le mouvement universel que l'on remarqua dans Jérusalem à cause de la divine lumière dont le Seigneur éclaira l'esprit de tous ses habitants, afin qu'ils reconnussent notre Sauveur, ce triomphe s'étendit sur toutes les créatures, ou sur plusieurs plus capables de raison, pour accomplir ce que le Père éternel avait promis à son Fils, comme

 

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on l'a vu plus haut. Car, tandis que notre Sauveur Jésus-Christ faisait son entrée dans Jérusalem, l'ange saint Michel fut envoyé aux limbes pour donner connaissance de ce mystère aux saints, aux patriarches et aux prophètes qui s'y trouvaient; ils eurent tous en même temps une vision particulière de cette entrée et de ses circonstances, de sorte que du fond de leur retraite ils adorèrent notre divin maître, le reconnurent pour le véritable Dieu et le Rédempteur du mondé, et lui firent de nouveaux cantiques de gloire et de louanges pour son triomphe admirable sur la mort, sur le péché et sur l'enfer. Le pouvoir divin s'étendit aussi sur les coeurs de beaucoup d'autres personnes qu'il toucha dans l'univers entier. Ainsi ceux qui avaient quelque connaissance de Jésus-Christ, non-seulement dans la Palestine et dans les lieux circonvoisins, mais en Égypte et en d'autres royaumes, se sentirent poussés à adorer en esprit le Rédempteur en cette heure solennelle, comme ils le firent avec une joie singulière que leur causa l'influence de la divine lumière qu'ils reçurent à cet effet, quoiqu'ils ne comprissent bien ni le principe ni le but de l'impulsion à laquelle ils obéissaient. Elle ne leur fut pourtant pas inutile, car elle les fit singulièrement avancer dans la foi et dans la pratique des bonnes couvres. Et, afin que le triomphe que notre Sauveur remportait dans cette occasion sur la mort fût plus glorieux, le Très-Haut ne permit pas qu'elle eût en ce jour le moindre droit sur la vie d'aucun des mortels; il ne mourut donc personne dans le monde ce jour-là, quoique bien

 

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des gens fussent naturellement morts, si le Tout-puissant ne l'eût empêché, afin que le triomphe de Jésus-Christ fût tout à fait prodigieux.

1124. Cette victoire que le Sauveur remporta sur la mort fut suivie de celle qu'il remporta sur l'enfer; et celle-ci fut beaucoup plus glorieuse, quoiqu'elle fût plus cachée. Car dans le même temps que les hommes commencèrent à invoquer notre divin Maître et à le reconnaître pour le Sauveur et pour le Roi qui venait au nom du Seigneur, les démons sentirent le pouvoir de sa droite qui les chassa du monde tous tant qu'ils étaient, et les précipita dans les profonds cachots de l'enfer, de sorte que durant le peu de temps que Jésus-Christ continua encore sa marche, il ne resta aucun esprit malin sur la terre; tous roulèrent dans les abîmes, aussi pleins de terreur que de rage. Dès lors ils craignirent plus qu'ils n'avaient encore fait, que le Messie ne se trouvât dans le monde , et se communiquèrent le sujet de cette crainte, comme je le dirai dans le chapitre suivant. Le triomphe du Sauveur dura jusqu'à ce qu'il fût entré dans Jérusalem, et les saints anges qui l'accompagnaient adressèrent à sa divinité, dans un concert d'harmonie ineffable, de nouvelles hymnes de louanges. En entrant dans la ville au milieu des applaudissements de tous ses habitants, il descendit de l'ânon, et dirigea ses pas du côté du Temple, où il opéra les merveilles que les évangélistes racontent, et qui excitèrent une admiration universelle. Il renversa les tables de ceux qui vendaient et achetaient

 

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dans le Temple, témoignant le zèle qu'il avait pour l'honneur de la maison de son Père, et en chassa ceux qui en faisaient une maison de négoce et une caverne de voleurs (1). Mais aussitôt que le triomphe fut achevé,. la droite du Seigneur suspendit l'influence qu'elle avait fait sentir aux coeurs des habitants de cette ville. Les justes en profitèrent en restant justifiés ou en devenant meilleurs; les autres reprirent leurs vices et leurs mauvaises habitudes, parce qu'ils n'usèrent pas de la lumière et des inspirations que la bonté divine leur envoya. Et parmi tant de personnes qui avaient reconnu publiquement notre Seigneur Jésus-Christ pour le roi de Jérusalem, il n'y en eut pas une seule qui s'offrît à le loger, et qui le reçût dans sa maison (2).

1125. Le Sauveur demeura dans le Temple, où il instruisit le peuple jusqu'au soir. Et pour attester le respect que l'on devait avoir pour ce saint lieu, pour cette maison de prière, il ne voulut pas permettre qu'on lui apportât même un vase d'eau pour boire; et sans avoir pris ce rafraîchissement ni aucune nourriture, il s'en retourna ce même soir à Béthanie, d'où il était parti, et continua ensuite de se rendre les jours suivants à Jérusalem jusqu'à sa Passion (3). La bienheureuse Vierge passa ce jour-là à Béthanie retirée dans sa solitude, d'où elle voyait par une vision particulière tout ce qui arrivait dans le triomphe

 

(1) Matth., XXI, 12; Luc., XIX, 45. — (2) Marc., XI, 11. — (3) Matth., XXI, 17 et 18.

 

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admirable de son Fils et de son Maître. Elle vit ce que les anges faisaient dans le ciel, ce que les hommes faisaient sur la terre, ce qu'éprouvaient les démons dans l’enfer, et comment en toutes ces merveilles le Père éternel accomplissait les promesses qu'il avait faites à son Fils incarné et lui donnait l'empire sur tous ses ennemis. Elle vit aussi tout ce que notre Sauveur fit dans ce triomphe et dans le Temple. Elle entendit cette voix du Père qui vint du ciel d'une manière intelligible pour tous les assistants, et qui, répondant à notre Seigneur Jésus-Christ , lui dit : Je vous ai glorifié, et je vous glorifierai de nouveau (1). Ces paroles faisaient connaître qu'outre la gloire et le triomphe que le Père avait donnés ce même jour au Verbe incarné, il le glorifierait de nouveau et l'exalterait après sa mort : car les paroles du Père éternel renferment tout cela ; et c'est ce que l'auguste Marie entendit et pénétra avec une joie inexprimable.

 

Instruction que j'ai reçue de notre grande Reine.

 

1126. Ma fille, vous avez moins écrit que vous n'avez connu des mystères cachés du triomphe que mon très-saint Fils reçut le jour qu'il entra dans Jérusalem,

 

(1) Joa., XII, 28.

 

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et de ce qui le précéda: mais vous en connaîtrez beaucoup plus dans le Seigneur, parce qu'on ne saurait tout pénétrer dans l'état de voyageur. Les mortels sont néanmoins assez instruits et détrompés par ce qui leur en a été découvert, pour comprendre combien les jugements du Seigneur sont différents de leurs jugements, et combien ses pensées sont au-dessus de leurs pensées (1). Le Très- Haut regarde le coeur et l'intérieur des créatures (2), où se trouve la beauté de la fille du Roi (3), et les hommes ne regardent que ce qui- est apparent et sensible. C'est pour cela qui aux yeux de la divine sagesse les justes et les élus sont estimés et élevés quand ils s'abaissent et s'humilient; et que les superbes sont humiliés et regardés avec horreur quand ils s'élèvent. Cette science, ma fille, est ignorée de presque tous les hommes: c'est pourquoi les enfants des ténèbres ne savent désirer et rechercher d'autre honneur, d'autre élévation que, ceux que leur donne le monde. Et quoique les enfants de la sainte Église sachent et confessent que cette gloire est vaine et inconsistante , qu'elle se flétrit comme la fleur et l'herbe des champs, ils ne laissent pas, dans la pratique, que d'oublier cette vérité. Et comme leur conscience privée de la lumière de la grâce ne leur rend pas le témoignage fidèle des vertus, ils sollicitent auprès des hommes l'estime et les applaudissements qu'ils peuvent accorder, quoique tout cela ne soit que fausseté et que

 

(1) Isa., LV, 9. — (2) I Reg., XVI, 7. — (3) Ps. XLIV, 13.

 

 

 

 

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