ACTES XL

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HOMÉLIE XL. PAUL, APRÈS ÊTRE DEMEURÉ UN GRAND NOMBRE DE JOURS AVEC LES FRÈRES, LEUR FIT SES ADIEUX, ET NAVIGUA POUR LA SYRIE. IL ÉTAIT ACCOMPAGNÉ PAR PRISCILLE ET AQUILA, S'ÉTANT FAIT COUPER LES CHEVEUX A CENCHRÉE, CAR IL AVAIT FAIT UN VOEU. (CHAP. XVIII, VERS. 8, JUSQU'AU VERS. 8 DU CHAP. XIX.)

 

Traduit par M. HOUSEL.

 

 

ANALYSE. 1 et 2. Priscille et Aquila ; leur zèle. — Ils complètent l'instruction d'Apollon. — Zèle de ce disciple. — Divers voyages de saint Paul. — Saint Paul à Ephèse. — Différence entre le baptême de Jean et celui du Christ.

3 et 4. Exhortation à la charité, obstacles qui s'opposent à ce que la charité commence à exister; comment se forme la charité; sa force, ses effets.

 

1. Voyez comme la loi mosaïque n'est plus observée, et comme la conscience est désormais la règle des âmes ! C'était une coutume juive de se tondre la tête par suite d'un voeu. Le sacrifice qui n'avait pas été fait après que Sosthène avait été frappé, devait s'accomplir. Il fallait que Paul s'éloignât; c'est pourquoi il se hâte. Prié par les Ephésiens de rester avec eux, Paul n'accède pas à leur désir. Pourquoi va-t-il de nouveau à Antioche ?En effet: « Il monta à Jérusalem, et ayant salué l'Eglise, il descendit vers Antioche ». Il avait pour cette ville une sorte d'affection humaine. En effet, c'est là que les disciples avaient été qualifiés du nom de chrétiens, et l'apôtre livré à la grâce de Dieu; là qu'il avait achevé son instruction. Il navigua donc vers la Syrie, et laissa les autres à Ephèse pour y instruire les fidèles. Pendant le long séjour qu'ils avaient fait avec lui, ils avaient appris bien des choses, mais n'avaient pas encore cependant abandonné les pratiques judaïques. Une femme fait la même oeuvre que les hommes , elle enseigne. le pense que ce qui l'empêchait d'aller en Asie, (199) c'est que des affaires plus pressantes l'appelaient en Syrie. Remarquez que; prié de rester à Ephèse, il ne se rend pas à la demande qu'on lui fait, parce qu'il était nécessaire qu'il s'en allât. Il ne les quitte pas cependant sans leur promettre de revenir; apprenez de quelle manière. « Paul » , disent les Actes, « vint à Ephèse, et les y laissa. Pour lui, il entra dans la synagogue et discuta avec les Juifs. Comme ils lui demandaient de rester plus longtemps avec eux, il n'acquiesça pas à leur demande; mais il leur fit ses adieux, et leur dit : Il faut que j'aille passer la fête qui arrive, à Jérusalem; ensuite , si Dieu le veut, je reviendrai vers vous. Et il s'éloigna d'Ephèse , et partit pour Césarée. Lorsqu'il fut monté à Jérusalem et qu'il eut salué l'Eglise, il descendit vers Antioche. Il y passa un certain temps, et , lorsqu'il en fut parti , il traversa la Galatie et la Phrygie, en confirmant tous les disciples dans la foi (19-23) ». Remarquez qu'il visite tous les lieux où il est allé auparavant. « Un Juif, nommé Apollon, Alexandrin de naissance, homme éloquent  et instruit dans les Ecritures, vint à Ephèse ». Voici que les hommes érudits entreprennent de prêcher, et les disciples voyagent. Voyez-vous comment se propage la prédication ? « Cet homme était instruit dans la voie du Seigneur , il parlait plein du feu de l'Esprit-Saint et enseignait exactement les choses du Seigneur, quoiqu'il ne connût que le baptême de Jean. Il commença à parler hardiment dans la synagogue; mais Aquila et «Priscille l'ayant entendu, s'emparèrent de lui et lui enseignèrent d'une manière plus exacte la voie du Seigneur (23-26) ». Si cet homme ne connaissait que le baptême de Jean, comment était-il enflammé du feu de l’Esprit-Saint? L'Esprit-Saint, en effet, n'était pas donné ainsi. Si ceux qui vinrent après lui eurent besoin du baptême du Christ, comment cet homme n'en eût-il pas eu besoin ? Qu'y a-t-il donc à dire ? Ce n'est pas sans raison que l’écrivain a marqué ces deux choses. Il me semble que cet Apollon était l'un des cent-vingt disciples qui furent baptisés avec les apôtres (Act. I, 15) ; ou bien, s'il n'en est pas ainsi, ce qui arriva à Corneille advint aussi pour lui. Mais ne fut-il baptisé qu'après qu'Aquila et Priscille l'eurent instruit plus exactement? Il me paraît certain qu'il avait dû être baptisé, puisque les douze apôtres ne connurent rien parfaitement, pas même ce qui concernait Jésus avant le baptême. Il est donc vraisemblable qu'il avait été baptisé. Du reste, si ceux qui avaient reçu le baptême de Jean se faisaient baptiser de nouveau, il convenait que les disciples le fissent aussi. « Apollon voulant passer en Achaïe, les frères qui l'y avaient engagé écrivirent aux disciples, et les supplièrent de le recevoir. Lorsqu'il y fut allé, il fut très-utile à ceux qui avaient cru par la grâce de Dieu. Il convainquait les Juifs en public avec grande force, et démontrait d'après les Ecritures que Jésus était le Christ. Il advint que, pendant qu'Apollon était à Corinthe, Paul, après avoir parcouru les hautes provinces, vint à Ephèse. Ayant rencontré plusieurs disciples, il leur dit : « Avez-vous reçu le Saint-Esprit après avoir cru? Ils lui répondirent : Nous n'avons pas même ouï dire qu'il y ait un Saint-Esprit. Il leur dit donc : En qui donc avez-vous été baptisés? Ils lui répondirent: Nous avons été baptisés du baptême de Jean. Paul leur dit : Jean a donné le baptême de la pénitence en disant au peuple de croire en Celui qui viendrait après lui, c'est-à-dire, en Jésus-Christ. « Lorsqu'ils l'eurent entendu, ils furent baptisés au nom du Seigneur Jésus; et Paul leur ayant imposé les mains, le Saint-Esprit descendit sur eux; et ils parlaient diverses langues et prophétisaient. Et ils étaient environ douze hommes (27; XIX, 7) ». Ceux-ci, qui ne savaient même pas si l'Esprit-Saint existait, étaient bien éloignés d'Apollon. Ceux qui lui ont expliqué plus complètement la voie du Seigneur, le poussent en avant et lui donnent des lettres pour les frères. « Lorsqu'il y fut allé, il fut très-utile à ceux qui avaient cru,  car il convainquait fortement les Juifs en public, et démontrait d'après les Ecritures que Jésus était le Christ ». Par là Apollon montre combien il était savant dans les Ecritures. Il fermait vigoureusement la bouche aux Juifs, (c'est le sens du mot convainquait). Il augmentait la confiance de ceux qui avaient cru, et les faisait demeurer fidèles à la foi. « Il advint », disent les Actes, « que Paul, après avoir parcouru les hautes provinces, arriva à Ephèse ». Ces provinces sont auprès de Césarée et au delà. « Et ayant rencontré quelques disciples, il leur dit : Avez-vous reçu le Saint-Esprit après avoir été baptisés? » Que ces hommes crussent en Jésus-Christ, cela (200) est évident par cette parole : « Disant qu'ils croient en Celui qui doit venir après lui ». Il ne dit pas : Le baptême de Jean n'est rien, mais : Il est imparfait. Il ne dit pas cela sans raison, mais pour les instruire et leur persuader de se faire baptiser au nom de Jésus-Christ: ce qu'ils firent; et ils reçurent le Saint-Esprit par l'imposition des mains de Paul. « Paul leur ayant imposé les mains, le Saint-Esprit vint en eux ». De sorte que ceux à qui il imposait les mains recevaient le Saint-Esprit. Il est vraisemblable qu'ils avaient le Saint-Esprit, mais sans qu'il se manifestât d'abord; il se montra ensuite par son action en leur faisant parler diverses langues.

2. Mais reprenons ce qui a été lu précédemment. « Paul s'embarqua pour la Syrie, ayant avec lui Priscille et Aquila », qu'il laissa à Ephèse lorsqu'il y fut parvenu. Il les laissa à Ephèse, ou bien parce qu'il ne voulut pas leur faire partager la fatigue de ses voyages, ou bien parce qu'il voulait qu'ils demeurassent à Ephèse pour -y enseigner. lis habitèrent ensuite Corinthe : on le voit par le témoignage si honorable que Paul leur rend. Il les salue aussi dans son épître aux Romains : j'en conclus qu'ils allèrent ensuite à Rome, comme pour revoir, cette ville qu'ils avaient quittée par l'ordre de Néron. « Et après être descendu vers Césarée, il monta à Jérusalem , et lorsqu'il eut salué l'Eglise , il alla à Antioche. Il y séjourna un certain temps, et en partit pour parcourir la Galatie et la Phrygie ». Il me semble que les fidèles s'étaient rassemblés là, car les apôtres ne se séparaient pas d'eux si promptement. Voyez comment il les presse. Il parcourt de nouveau ces contrées afin de fortifier les disciples par sa présence. « Un Juif, nommé Apollon », disent les Actes, « savant dans les Ecritures, vint à Ephèse ». C'était un homme zélé, c'est pour cela qu'il voyageait. « Celui-ci étant venu en Achaïe convainquait avec force les Juifs en public ». C'est de lui que parle Paul lorsqu'il écrit : « Touchant notre frère Apollon ». (I Cor. XVI, 42.) Qu'il les confondît en public, cela montrait sa confiance ; qu'il le fît avec vigueur, cela prouve son talent ; par les saintes Ecritures , cela témoigne en faveur de sa science. La confiance ne peut rien par elle-même sans le talent de la parole, ni le talent de la parole sans la confiance. Ce n'est donc pas en vain que Paul laissa Aquila à Ephèse : l’Esprit-Saint en disposa ainsi à cause d'Apollon, pour que cet homme fût plus fort pour Corinthe. Et pourquoi donc les Juifs ne firent-ils rien contre cet homme et se révoltèrent-ils contre Paul? Ils savaient que Paul était le Coryphée, ou bien que son nom était célèbre. « Aquila et Priscille le prirent chez eux , et l'instruisirent plus exactement sur les voies de Dieu ». Voyez comme ils agissent avec foi , et non par envie et malveillance. Aquila était instruit, mais il était plutôt instruit lui-même. Comme ils avaient fait un long séjour avec Paul, ils avaient été assez instruits pour pouvoir enseigner les autres. « Comme il voulait passer en Achaïe , ceux qui l'exhortaient écrivirent aux disciples » de le recevoir. L'auteur explique la raison pour laquelle ils écrivent: c'est « afin qu'on le reçoive ».

Comment est-il prouvé que ces habitants d'Ephèse avaient reçu le baptême de Jean? De ce qu'à l'interrogation : « Au nom de qui avez-vous été baptisés? » ils répondent ; « Nous avons été baptisés du baptême de Jean». Peut-être étaient-ils allés à Jérusalem dans ce temps; ils étaient sortis vers Jean, et s'étaient fait baptiser; mais, bien que baptisés, ils ne connaissaient pas Jésus. Il ne leur dit pas Croyez-vous en Jésus? mais bien : « Avez-vous reçu le Saint-Esprit? » Il savait qu'ils ne l’avaient pas reçu : Paul veut qu'ils le disent, afin que, sachant ce qui leur manquait, ils le demandassent. « Et Paul leur ayant imposé les mains, l'Esprit-Saint vint sur eux, et ils parlaient diverses langues et prophétisaient». En vertu même du baptême, ils prophétisent. Le baptême de Jean n'avait pas ce privilège, et c'est pour cela qu'il était imparfait. Pour qu'ils soient dignes de ces grâces, Paul les prépare d'avance. C'est pour cela que Jean, lorsqu'il baptisait, voulait qu'on crût en celui qui viendrait après lui. Par là est démontré un grand dogme, à savoir : que ceux qui sont baptisés sont purifiés totalement de leurs péchés. En effet, s'ils n'étaient pas purifiés, ils ne recevraient pas le Saint-Esprit, et ne seraient pas aussitôt dignes de ces grâces. Remarquez que la grâce était double : grâce de parler diverses langues, grâce de prophétiser. C'est donc avec raison que Paul leur dit que le baptême de Jean fut un baptême de pénitence et non de pardon, pour les élever plus haut, et leur persuader que le baptême était dénué de ce don; car le pardon était l'effet du baptême donné en (201) second lieu. Comment ceux-qui reçurent le Saint-Esprit n'enseignaient-ils pas , tandis qu'Apollon qui ne l'avait pas encore reçu enseignait? Parce qu'ils n'étaient ni si fervents, ni si instruits, et que celui-ci était très-instruit et brûlant de zèle. Il me semble que cet homme avait une grande liberté de parole. Cependant s'il parlait exactement de Jésus, il avait besoin d'une instruction plus soignée. Ainsi, bien qu'il ne sût pas toute chose, il attirait l'Esprit-Saint par sa ferveur, comme il arriva à Cornélius. Beaucoup peut-être regrettent le baptême de Jean et voudraient qu'il fût encore donné; mais beaucoup négligeraient de mener une vie vertueuse, ou bien chacun s'imaginerait de rechercher la vertu à cause de ce baptême, et non à cause du royaume des cieux. D'ailleurs il y aurait de nombreux faux prophètes; les hommes d'une vertu éprouvée ne brilleraient guère, et on n'appellerait non plus guère bienheureux ceux qui auraient reçu simplement la foi. De même donc que «Bienheureux sont ceux qui ont cru sans avoir vu », bienheureux sont aussi ceux qui croient sans prodiges. Dites-moi, en effet, n'était-ce pas un reproche. que le Christ faisait aux Juifs, lorsqu'il disait : « Si vous ne voyez des miracles, vous ne croyez point ». (Jean, XX, 29.) Nous ne souffririons pas de l'absence des miracles si nous voulions regarder nos avantages actuels. Nous possédons la source de tous les biens par le baptême. Nous avons reçu le pardon de nos péchés, la sanctification, la participation de l'Esprit-Saint, l'adoption, la vie éternelle. Que voulez-vous de plus? Des prodiges ? Ils ont cessé. Vous avez la foi , l'espérance, la charité qui demeurent; cherchez ces choses, elles sont plus grandes que les prodiges. Rien de comparable à la charité : « La charité est la plus grande de toutes les vertus» (I Cor. XIII, 13) , dit l'Ecriture. Mais de nos jours la charité périclite, le nom seul en reste, mais la chose n'est nulle part , nous sommes divisés entre nous.

3. Que faire donc pour que nous soyons unis? Réprimander est facile, mais ce n'est là que la moitié de l'oeuvre. Il faut donc montrer comment se forme l'amitié ; il faut nous appliquer à rejoindre les membres désunis. Il n'y a pas seulement à chercher si nous avons une même église, un même dogme; mais, ce qui est grave, c'est que nous soyons en communion pour toute autre chose et que nous n'y soyons pas dans les choses nécessaires; que nous soyons en paix avec tous, et que sous d'autres rapports nous soyons en dissentiment. Ne considérez pas que nous n'excitons pas de luttes journalières, mais bien que nous n'avons plus une charité sincère et stable. Il est besoin d'huile et de ligaments. Pensons que la charité est la marque distinctive des disciples du Christ, que sans elle tout le reste n'est rien, et que la charité est chose facile si nous le voulons. Certes, dit-on, nous savons cela, mais comment s'y prendre pour y arriver? Comment faire pour que cela soit ? Comment s'y prendre pour nous aimer les uns les autres? Commençons par détruire ce qui détruit la charité, et nous l'établirons ensuite. Que personne n'ait souvenir des injures , que nul ne soit jaloux, que nul ne se réjouisse du mal. Voilà les obstacles de la charité. Ce qui la fait naître est tout autre. Il ne suffit pas de montrer quels sont les obstacles à enlever; il faut encore montrer ce qui la fait vivre. Sirach dit bien ce qui détruit la charité, mais non ce qui la concilie, et il indique les injures , la révélation d'un secret confié , et le mal fait par ruse. (Eccli. XXII, 27.) Mais ces choses convenaient aux Juifs charnels. Loin de nous de pareilles choses; nous ne vous conduisons pas par ces moyens, mais par d'autres: Rien ne nous 'est utile sans la charité. Ayez mille biens, qu'en revient-il? Ayez la richesse, soyez dans les délices et sans amis, quel gain en tirerez-vous? Rien même dans les biens de la vie n'est plus beau que la charité; de même que rien n'est plus nuisible que l'inimitié : « La charité couvre la multitude des péchés » (I Pier. IV, 8), l'inimitié soupçonne même ce qui n'est pas. Il ne suffit pas de n'être pas ennemi, mais il faut aimer. Pensez que le Christ l'a ordonné et cela suffit. La persécution forme les amitiés et les noue. Mais, direz-vous, que faire maintenant qu'il n'y a pas de persécution ? Comment s'y prendre pour devenir amis? n'avez-vous pas d'autres amis, dites -moi? Comment êtes-vous leurs amis? Comment persévérez-vous dans leur amitié? Que personne, en attendant, n'ait d'ennemi, c'est déjà, beaucoup; que personne ne porte envie; quand on n'est pas envieux, on n'accuse personne. Nous habitons tous une même terre, nous nous nourrissons des mêmes fruits. Mais tout cela est peu de chose; (202) nous jouissons des mêmes mystères et de la même nourriture spirituelle. Certes, ce sont là les droits de l'amitié. Mais l'affection chaleureuse, qui nous la donnera? dit-on. Qu'est-ce qui fait l'amour des corps, la beauté du corps? Formons-nous donc de belles âmes, et nous serons amoureux les uns des autres; car il ne suffit pas d'aimer, il faut encore être aimé. Obtenons d'abord d'être aimés, et l'autre sera facile. Comment nous ferons-nous aimer? Soyons beaux, et agissons de telle sorte que nous ayons toujours des amants. Que personne ne travaille autant à acquérir des biens, des serviteurs et des maisons-, qu'à se faire aimer, qu'à acquérir une bonne réputation. « La bonne renommée est meilleure que d'a« bordantes richesses ». (Prov. XXII, 1.) L'une demeure, les autres périssent; on peut s'approprier l'une, les autres sont impossibles à garder. Celui qui a une mauvaise réputation, s'en débarrassera difficilement; le pauvre sera vite riche par sa bonne renommée. Que quelqu'un ait dix mille talents, et un autre cent amis, celui-ci est plus riche que le premier. N'agissons pas sans réflexion, mais bien comme pour acquérir une certaine opulence. Comment le pourrons-nous? dit-on. « La gorge douce et la langue gracieuse multiplient les amis ». (Eccli. VI, 5.) Ayons donc une bouche qui parle comme il convient et des moeurs pures. Celui qui est ainsi fait ne saurait rester inconnu.

4. Voyez combien les païens avaient imaginé de liens d'amitié : l'adoption, le voisinage, la parenté. Mais les nôtres sont plus grands que ceux-là; cette table est plus digne de vénération. Beaucoup s'en approchent qui ne se connaissent même pas les uns les autres; c'est la multitude qui en est cause, direz-vous. Nullement, mais notre négligence. Ils étaient trois mille et cinq mille les premiers fidèles, et tous ils n'avaient qu'une âme; maintenant chacun méconnaît son frère, et ne rougit pas de prétexter la foule. Celui qui a de nombreux amis, est invincible à tous, est plus fort que tout tyran. Les gardes de celui-ci ne veillent pas si bien sur lui, que ses amis ne gardent l'autre, et le premier est plus honoré que le second. En effet, le tyran est gardé par ses esclaves, l'autre par ses égaux; le tyran par des gens qui y sont forcés et le craignent; l'autre par des gens qui veillent sur lui de bonne volonté et sans crainte; et on peut voir une chose admirable, beaucoup en un seul, et un seul en beaucoup. Et de même que dans une lyre il y a divers sons et une seule symphonie, et un seul musicien qui pince les cordes de la lyre; ainsi dans ce cas: la lyre est la charité, les sons qui retentissent, les paroles d'amour proférées par charité, formant une seule et même harmonie, une seule symphonie; le musicien est la vertu de la charité qui produit la douce mélodie. Je voudrais vous conduire dans une semblable cité, s'il était possible, où il y aurait une.seule âme, et où il se ferait une symphonie mieux accordée que celle de n'importe quelle lyre et de n'importe quel musicien, une symphonie qui ne laisse entendre aucun son discordant. Cette mélodie charme les anges et le Seigneur des anges, c'est elle qui anime le théâtre tout entier dans le ciel, retient la colère du démon, calme les élans de la passion. Cette mélodie ne charme pas seulement les passions, mais elle ne leur permet pas même de s'éveiller, et les réduit à un silence absolu: De même que dans un théâtre tous écoutent en silence le choeur des musiciens, et qu'on n'entend aucun bruit; ainsi parmi les amis, quand la charité s'exerce, toutes les passions s'apaisent et se calment comme des bêtes sauvages qu'on a charmées et fascinées; au sein des inimitiés, c'est tout le contraire. Mais nous ne dirons rien présentement de l'inimitié, nous ne parlerons que de l'amitié. S'il vous échappe une parole téméraire, personne ne se lève pour vous reprendre, mais tous vous pardonnent. Si vous avez mal agi, personne ne vous soupçonne, on a une grande indulgence; tous tendent la main bien vite à celui qui tombe, tous ont à coeur qu'il se relève.

L'amitié est véritablement un mur inébranlable que ne peuvent prendre ni le démon, ni à plus forte raison les hommes. Il ne se peut que celui qui a de nombreux amis tombe dans le danger. Il n'a aucune occasion de colère, tout l'entretient dans la paix. Il est toujours dans la joie et le contentement; l'envie n'a pas de . prise sur lui,, le souvenir des injures ne saurait trouver place dans son coeur. Voyez comme cet homme mène avec facilité ses affaires temporelles et spirituelles. Qu'est-ce donc qui peut lui être comparé? Il est comme une ville toute environnée de murailles; tout autre est comme une cité sans murs. C'est le fait d'une grande sagesse de pouvoir créer (203) l'amitié. Détruisez l'amitié, et vous aurez tout détruit, vous aurez tout confondu. Si l'image de la charité a tant de puissance, quelle force n'aura pas la vérité elle-même ? Préparons-nous donc des amis, je vous en prie, que chacun s'applique à cet art. — Mais voici, dites-vous, que je m'y applique, mais celui-ci ne s'y applique pas. — Il y aura pour vous une plus grande récompense. — Oui, dites-vous, mais la chose est plus difficile. — Comment, dites-moi? Voici que je vous atteste que si vous vous adjoignez seulement dix amis, et que si vous faites cette oeuvre comme les apôtres ont fait celle de la prédication, les prophètes celle de l'enseignement, la récompense sera grande. Préparons-nous des images royales, c'est là la marque distinctive des disciples. Comment négligeons-nous de faire une oeuvre qui est plus grande que de ressusciter les morts? Le diadème et la pourpre désignent le roi, et quoiqu'on ait des vêtements d'or, si l'on n'a pas la pourpre, le roi ne se montre pas encore. Ainsi, dans le cas présent, prenez cette marque, et vous vous ferez des amis à vous-même et aux autres. Nul ne voudrait haïr étant aimé lui-même. Apprenons quelles sont les couleurs à mélanger pour parvenir à former cette image; soyons affables, allons au-devant des amis. Ne dites pas : Si je vois quelqu'un en retard avec moi, je deviens plus méchant que lui; mais lorsque vous voyez quelqu'un en retard avec vous, allez au-devant et faites cesser sa froideur. Vous le voyez souffrir et vous aggravez son mal? Appliquons-nous surtout à nous prévenir mutuellement par des témoignages d'honneur. (Rom. XII, 10.) Ne pensez pas que ce soit se rabaisser soi-même que de tenir les autres pour supérieurs à nous. Si vous prévenez cet homme par l'honneur que vous lui rendez, vous vous honorez bien plus encore vous-même , à cause de l'honneur que vous vous attirez. Cédons partout aux autres les premières places. N'ayons aucun souvenir du mal qu'on nous a fait, ne nous souvenons que du bien. Rien ne rend si cher qu'un langage gracieux, des paroles bienséantes, un esprit sans morgue, méprisant la gloriole et les honneurs. Si nous agissons ainsi, nous serons inaccessibles aux embûches du diable, et, après avoir suivi avec exactitude les sentiers de la vertu, nous pourrons jouir des biens promis à ceux qui aiment, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec qui appartient gloire, puissance, honneur, au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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