ACTES XXXIX

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HOMÉLIE XXXIX. MAIS LORSQU'ILS L'ENTENDIRENT PARLER DE LA RÉSURRECTION DES MORTS, QUELQUES-UNS S'EN MOQUÈRENT ET LES AUTRES DIRENT : « NOUS VOUS ENTENDRONS UNE AUTRE FOIS SUR CE POINT ». — AINSI PAUL SORTIT DU MILIEU D'EUX. (CHAP. XVII, VERS. 32), 33, JUSQU'AU VERS. 19 DU CHAP. XVIII.)

 

ANALYSE. 1 et 2. Saint Paul prêche à Corinthe. — Il comparait devant le proconsul Gallien. — Saint Paul fut conduit à Rome enchaîné, parce que s'il y fût arrivé autrement il en aurait été chassé en qualité de Juif, car le décret d'expulsion porté par Claude contre les hommes de cette nation, était encore récent.

3 et 4, Exhortation à la mansuétude. — Que l'insulteur n'attire le mépris que sur lui-même. — Comparaison entre l'homme emport et l'homme patient. — L'homme patient ressemble à Dieu, l'homme colère au démon.

 

1. Pourquoi Paul, après avoir persuadé les Athéniens au point que ceux-ci lui disaient u Nous vous entendrons une autre fois sur ce « point », et lorsqu'il n'y avait aucun danger, se hâte-t-il de quitter Athènes? Peut-être savait-il qu'il n'y aurait pas grand succès; d'ailleurs le Saint-Esprit le conduisait à Corinthe. «Quelques-uns néanmoins se joignirent à lui et embrassèrent la foi; entre lesquels fut a Denys, sénateur de l'Aréopage, une femme a nommée Damaris, et d'autres avec eux (34). « Après cela, Paul, étant parti d'Athènes, vint à Corinthe (XVIII, 1). Et ayant trouvé un «juif, nommé Aquilas, originaire du Pont, qui était nouvellement venu d'Italie avec Priscille, sa femme, parce que l'empereur Claude avait ordonné à tous les Juifs de sortir de Rome, il se joignit à eux (2). Et parce que leur métier était de faire des tentes et que c'était aussi le sien, il demeurait chez eux et y travaillait (3) ». C'était en effet, comme je l'audit, le Saint-Esprit qui le menait à Corinthe où il devait rester, car les Athéniens, quoique toujours amateurs de nouveaux discours, n'y faisaient guère attention; c'est qu'ils tenaient moins à écouter qu'à parler eux-mêmes, aussi s'éloignaient-ils de l'orateur. Puisque telle était leur habitude, pourquoi accusaient-ils Paul de « paraître annoncer des dieux étrangers? » C'est que ces dogmes étaient pour eux fort obscurs. Cependant il convertit Denys l'Aréopagite et quelques autres, car ceux qui voulaient vivre en hommes de bien ne tardaient pas à écouter sa parole, mais il n'en était pas de même pour les autres. Paul semble s'être contenté de leur laisser les germes de la foi, car la moitié de sa vie s'était déjà écoulée. Il mourut sous Néron ; alors on était sous Claude, époque à laquelle se préparait déjà la guerre contre les Juifs, mais de loin, et comme pour les ramener au bien en attendant, on les renvoyait de Rome comme des pestiférés ! Aussi, c'est la Providence qui permit que. Paul fût emmené en captivité, pour qu'il ne fût pas chassé comme un Juif, mais amené par force et privé de sa liberté.

« Il demeurait chez eux ». O ciel ! quelle justice il devait trouver chez eux pour y demeurer ! Mais s'il demeure avec eux, c'est surtout parce qu'avec des gens de sa profession (194) il est mieux placé pour ne rien recevoir de personne, selon ce qu'il dit : « Mais je fais cela, et je le ferai toujours, afin d'ôter à ceux qui la cherchent une occasion de se glorifier en paraissant semblables à nous. (II Cor. XI, 12.) Il prêchait dans la synagogue tous les jours de sabbat et cherchait à persuader les Juifs et les gentils (4). Quand Silas et Timothée furent venus de Macédoine, Paul fut encore plus excité par le Saint-Esprit à attester aux Juifs que Jésus était le Christ (5) ». Cela montre qu'ils gênaient ses prédications et même s'y opposaient. Voilà ce qu'ils faisaient. Que fit Paul? Il les abandonne en les frappant de terreur. Il ne leur dit plus : « C'était à vous qu'il fallait d'abord annoncer la parole » (Act. XIII, 46) ; mais il le donne à entendre : « Comme les Juifs le contredisaient et blasphémaient, il secoua ses habits et leur dit. Que votre sang retombe sur votre tête; pour moi, j'en suis innocent, je vais désormais chez les gentils (6). Etant parti de là, il alla dans la maison d'un nommé Juste (1), qui craignait Dieu, dont la maison tenait à la synagogue (7). Crispe, chef d'une synagogue; crut aussi au Seigneur avec toute sa famille : plusieurs Corinthiens, ayant entendu Paul, crurent aussi et furent baptisés (8) ». Voyez comment, après avoir encore dit « désormais », il ne néglige pas les Juifs; il n'avait parlé ainsi que pour exciter leur zèle. Ensuite il vient chez Juste, dont la maison tenait à la synagogue. Il avait choisi ce voisinage pour animer la foi des Juifs, s'ils voulaient s'y prêter. « Crispe, chef d'une synagogue, crut aussi au Seigneur avec toute sa famille ». C'était surtout là une raison suffisante pour les convertir. « Le Seigneur dit à Paul, en vision durant la nuit : ne crains rien, mais parle sans te taire (9) ; car je suis avec toi et personne ne pourra te maltraiter, parce que j'ai dans cette ville un grand peuple (10) ». Voyez toutes les raisons que Dieu emploie pour le convaincre, et surtout celle-ci qui est la plus rassurante : « Car j'ai dans cette ville un grand peuple ». Cependant, dira-t-on, ils se sont emportés contre lui? Mais leur colère a été impuissante, et ils se sont bornés à le conduire devant le proconsul. « Il demeura donc un an et demi à Corinthe, leur enseignant la parole

 

1 La Vulgate met Tite-Juste.

 

de Dieu (11). Or, Gallion étant proton d'Achaïe, les Juifs, d'un commun accord s'élevèrent contre Paul et le menèrent à tribunal (12), en disant : Celui-ci veut persuader aux hommes d'adorer Dieu d'une manière contraire à la loi (13) ». Vous marquez que c'est toujours pour la même raison qu'on l'accuse en public. Remarquez aussi, lorsque les Juifs disent qu'il persuade aux hommes d'adorer Dieu d'une manière contraire à la loi, que le proconsul ne s'en quiète pas et que plutôt il défend Paul. Ecoutez sa réponse : « S'il s'agissait de quelque injustice ou de quelque mauvaise action, je serais obligé de vous écouter ». Cela semble le langage d'un homme juste, et on en est convaincu en observant toute, la sagesse de la réponse. « Comme Paul allait parler, Gallion dit aux Juifs : S'il s'agissait de quelque injustice ou de quelque mauvaise action, je serais obligé de vous écouter (14). Mais s’il ne s'agit que de contestations de doctrine, de mots et de votre loi, démêlez vos différends comme vous l'entendrez, car je ne veux point m'en rendre juge (15). Il les fit retirer ainsi de son tribunal (16). Et tous les gentils, ayant saisi Sosthènes, chef d'une synagogue, le battaient devant le tribunal sans que Gallion s'en mît en peine (17» C'était encore une preuve de justice, car li coups que l'on donnait à cet homme ne semblaient pas au proconsul une offense pou lui-même, tant les Juifs étaient insolents.

2. Mais revenons à ce qui précède. « Lorsqu'ils entendirent parler de la résurrection des morts, les uns s'en moquaient, les autres disaient: Nous vous entendrons une autre fois ». Qu'elles étaient cependant grandes et sublimes ces vérités qui attiraient plutôt leur railleries que leur attention ! Ils se moquaient de la résurrection , car « l'homme animal ni saisit pas les choses qui viennent de l'Esprit ». (I Cor. XI, 14.) Ainsi Paul se retira du milieu d'eux. Pourquoi ce mot : « ainsi? » C’est-à-dire que les uns lavaient cru et que les autres l'avaient raillé. « Quittant donc Athènes il vint à Corinthe. Ayant trouvé un Juif nommé Aquila, originaire du Pont, et qui était nouveau venu en Italie, il demeura avec lui et y travailla ». Voyez comme la loi commence à tomber. Aquila était Juif, et il accomplit à Cenchrées le voeu de se faire couper les cheveux (18) ; puis il va en Syrie avec (195) Paul; comme il était du Pont, il ne tient pas à venir à Jérusalem ni dans ses environs, et il en reste éloigné. Paul demeure chez lui et ne rougit pas d'y demeurer ; il y reste comme dans une bonne hôtellerie, plus commode pour lui que tous les palais. Ne riez pas, mes bien-aimés. Un athlète est mieux dans un gymnase que sur des tapis moelleux ; une épée de fer convient mieux au soldat qu'une épée d'or. Au milieu de sa prédication, « il travaillait ». Rougissons donc, nous qui vivons dans l'oisiveté, même quand nous n'avons pas de prédication à faire. « Il discutait dans la synagogue tous les jours de sabbat et cherchait à persuader les Juifs et les gentils. Mais les Juifs a le contredisant avec des paroles de blasphème », il s'éloigna. Par ce moyen, il comptait mieux les attirer. Pourquoi , en effet , quitte-t-il sa maison afin de venir demeurer près de la synagogue ? N'est-ce pas dans une intention de conversion ? car il ne considérait pas le danger qu'il pourrait y avoir. « Il leur attestait » : il n'enseigne plus, mais il atteste. «Les Juifs le contredisant avec des paroles de « blasphème , il secoua ses habits et dit: Que « votre sang retombe sur votre tête ! » S'il le fait, c'est pour les effrayer aussi bien par ses actions que par ses paroles , et il s'exprime avec toute l'énergie d'un homme qui a déjà fait tant de conversions. « Pour moi », dit-il, «j'en suis innocent; désormais je vais chez les gentils ». Ainsi nous sommes responsables du sang de ceux qui nous ont été confiés, lorsque nous les négligeons. De même encore lorsqu'il dit: « Au reste , que personne ne me cause de nouvelles, peines ». (Gal. VI, 17.) C'était pour effrayer , car les Juifs n'étaient jamais aussi terrifiés de ses paroles due lui-même ne souffrait de leur incrédulité. « Partant de là , il vint dans la maison de Juste ». Il voulait ainsi leur faire croire qu'il ne s'occupait plus que des gentils. « Crispus , chef de synagogue, crut au Seigneur ainsi que toute sa famille ». Voilà donc la foi qui s'étend sur une famille tout entière. C'est de ce Crispus , chef de synagogue , qu'il dit: « Je n'ai baptisé personne que Crispus et Gaïus ». (I Cor. I, 14.) Je crois que c'était aussi le même qu'on appelait Sosthènes , dont la fidélité était telle, qu'après avoir été battu, il resta toujours attaché à Paul. « Le Seigneur dit à Paul, dans une vision pendant la nuit : Ne crains rien et parle ». Aussi reste-t-il longtemps dans cette ville, et ce qui l'y engage, ce n'est pas seulement la multitude des fidèles , mais l'attachement qu'il avait pour Jésus-Christ; car le danger n'en était que plus grand lorsque les fidèles devenaient plus nombreux et que parmi eux se trouvait un chef de synagogue. « Ne crains rien », lui dit le Seigneur. Cela suffisait pour le ranimer s'il avait été accessible à la crainte : peut-être aussi n'avait-il éprouvé aucune frayeur ; alors cette exhortation n'était faite que pour l'en détourner. Car, pour fortifier les siens , Dieu n'a pas toujours besoin de permettre qu'ils aient été faibles. En effet, rien ne causait à Paul autant de douleur que l'incrédulité et l'opposition à la foi. Voilà ce qui lui était plus pénible que tous les dangers. « Ne garde pas le silence, car j'ai un grand peuple dans cette ville ». Peut-être alors le Christ lui est-il apparu.

« Gallion étant proconsul d'Achaïe : les Juifs d'un commun accord s'élevèrent contre Paul ». Observez que c'est après un an et demi qu'ils s'élèvent contre lui, quand ils n'avaient plus l'usage de leurs propres lois. Ce qui exaltait surtout les Corinthiens, c'est qu'ils savaient que le gouverneur ne s'abaisserait pas jusqu'à une pareille affaire. En effet, ce n'était pas la même chose de l'emporter dans une contestation judiciaire ou d'entendre le gouverneur déclarer aux Juifs qu'il ne s'inquiétait pas de cette affaire. Voyez combien celui-ci est prudent. Il ne répond pas immédiatement : Je ne m'en inquiète pas; mais que dit-il ? « O Juifs, s'il s'agissait de quelque injustice ou de quelque mauvaise action, je serais obligé de vous écouter. Mais s'il ne s'agit que de mots et de votre loi, décidez vous-mêmes; je ne veux pas en être juge : il les renvoya ainsi de son tribunal ». La victoire fut éclatante. « Et tous ayant saisi Sosthènes, chef d'une synagogue, le battaient devant le tribunal, sans que Gallion s'en mit en peine ». Quelle honte pour tous ! « Sans que Gallion s'en mît en peine ». Cependant l'offense retombait sur lui. Mais ceux-ci, livrés à eux-mêmes et pleins de honte, s'abandonnent à leur injuste fureur. Mais pourquoi Paul ne les frappe-t-il pas à leur tour, puisqu'il en avait aussi la permission? C'est qu'il savait réfléchir. Il ne frappa point, pour que le juge connût de quel côté était la douceur. Les assistants en retirèrent un grand enseignement : ils reconnurent, par la bonté des uns et la violence (196) des autres, que ces choses réclamaient la sentence du juge. Aussi celui-ci ne dit pas : Je le défends, de crainte qu'ils ne commissent de nouvelles violences; mais « je ne veux pas. Je ne veux pas », dit-il, « en être juge »,tant il avait de réserve. C'est ce que Pilate disait à propos du Christ : « Prenez-le, et jugez-le selon votre loi ». (Jean, XVIII, 34.) Le proconsul aussi voulait qu'ils jugeassent suivant la loi; mais les Juifs se conduisirent comme des fous ou des gens ivres. Paul vint donc d'Athènes à Corinthe, parce que dans cette dernière ville, Dieu y avait un grand peuple. On le frappa et il garda le silence.

3. Cherchons à l'imiter et ne frappons ceux qui nous frappent que par notre douceur, notre silence, notre patience. Ce sont là les armes les plus puissantes, celles qui font des blessures plus graves et plus pénibles, car les plaies de l'âme sont plus douloureuses que celles du corps. Souvent nous sommes obligés de blesser nos amis; mais, comme c'est dans leur intérêt, ils doivent s'en réjouir. Au contraire, si vous avez une intention offensante., vous frappez le coeur, et vous causez la plus grande douleur possible, car c'est là que les blessures sont cruelles. Nous allons maintenant faire tous nos efforts pour démontrer que la douceur frappe plus que la rudesse. Cela se reconnaît clairement par les faits et l'expérience. Cependant, si vous le permettez, nous allons en faire la démonstration par le raisonnement, quoique nous l'ayons déjà faite plusieurs fois.

Quand nous recevons une injure, rien ne nous afflige plus que le jugement de ceux qui en sont témoins ; en effet, ce n'est pas la même chose d'être injurié en public ou en particulier, et' nous supportons bien plutôt l'injure quand elle est secrète, quand personne n'en a été témoin et ne la connaît. Ce n'est donc pas tant l'injure elle-même qui nous afflige que sa publicité : au point que si quel.qu'un nous honorait ,en public et nous injuriait en particulier, nous lui en saurions gré. C'est que l'outrage n'est pas par lui-même ce qui cause notre douleur, c'est le jugement des assistants et la crainte de leur mépris: Que sera-ce donc, si les spectateurs sont pour nous? L'insulteur ne devient-il pas alors l'insulté, puisque les témoins jugent en, notre faveur? Dites-moi, en effet, qui méprisent-ils? Celui qui lance l'outrage, ou celui qui le subit en silence? Un mouvement irréfléchi nous porterait à dédaigner celui qui reçoit l'injure; mais examinons froidement pour ne pas nous laisser entraîner par la passion : alors, qui condamnerons-nous d'un commun accord ? Assurément celui qui fait injure à l'autre, s'il est son inférieur, nous dirons qu'il est fou; s'il est son égal, nous dirons qu'il ne réfléchit pas; s'il lui est supérieur, nous ne l'approuverons pas davantage. Lequel, dites-moi, mérite nos éloges, celui qui se trouble, s'agite, s'emporte et méconnaît ainsi notre commune nature, ou bien celui qui reste tranquille et sans orage dans le port de la sagesse ? Celui-là ne ressemble-t-il pas à un ange, et le premier ressemble-t-il même à un homme ? L'un ne -supporte pas ses chagrins, l'autre supporte même ceux d'autrui ; l'un ne peut se souffrir lui-même, l'autre souffre encore son prochain;-l'un est ballotté par la tempête, l'autre navigue en paix, et son navire est poussé par des vents favorables. Il n'a pas permis à l'ouragan de la colère de gonfler ses voiles et de submerger le vaisseau de son âme; mais un zéphyr bienveillant le conduit avec douceur dans le port de la sagesse. De même que, dans un navire menacé du naufrage, les matelots ne savent ce qu'ils jettent à la mer, si ce sont leurs effets ou ceux qu'ils ont reçus en dépôt, et qu'ils perdent tout, ce qui est précieux comme ce qui ne l'est pas, mais, qu'une fois la tempête apaisée, en réfléchissant à tout ce qu'ils ont ainsi jeté, ils se mettent à pleurer, et que le chagrin de leurs pertes les empêche de jouir du beau temps; de même aussi, ceux chez qui se déchaîne l'orage de la fureur parlent et agissent en désordre' et sans savoir pourquoi ; mais, quand leur colère s'est calmée, ils réfléchissent à leur emportement, ils songent à ce qu'ils ont perdu et ne jouissent pas du calme qui leur est rendu, parce qu'ils se souviennent d'avoir lancé des paroles qui les déshonorent et leur ont fait subir une perte plus grande que celle de leurs richesses, la plus grande de toutes, celle de la considération qui s'attache à la justice et à la douceur.

La colère nous couvre de véritables ténèbres. « L'insensé a dit dans son coeur : il n' a pas de Dieu ». (Ps. XIII, 1.) Peut-être ce mot serait-il juste aussi pour l'homme en colère, et pourrait-on ajouter que l'homme en fureur a dit : il n'y a pas de Dieu. En effet, « il ne s'inquiète pas de l'étendue de sa colère. »

 

197

 

(Ps. X, 4, sec. Heb.) S'il lui survient une pieuse pensée, le voilà qui fuit en désordre, qui ne sait où se réfugier. Si vous n'êtes pas plus affligé que l'homme injurié par vous, injuriez-le encore, continuez; mais le tribunal secret de votre conscience vous a déjà flagellé mille fois. Quand vous saurez que la victime de vos injures n'a prononcé aucune parole amère , n'en serez-vous pas plus affligé ? Dites-moi, comment avez-vous pu outrager si cruellement cet homme si doux, si humble, si modeste ? Voilà ce que nous disons souvent, mais nous ne voyons pas .que la conduite en profite. Eh quoi ! Un homme insulte un homme, un serviteur son compagnon de servitude? Mais pourquoi s'en étonner puisque bien des gens insultent Dieu lui-même?

4. Que cela vous console, si l'on vous offense. On vous a injuriés? mais l'on injurie Dieu lui-même. On vous a insultés? mais on insulte Dieu lui-même. On a craché sur vous ? c'est ce qu'a souffert Notre-Seigneur. Il est comme nous, il souffre les offenses et n'offense pas. Jamais il n'a blessé personne injustement ; loin de là ! jamais il n'a été injurieux ni injuste; c'est donc nous et non pas vous qui sommes avec lui. Supporter l'injure, ç'est le propre de Dieu; injurier sans raison , c'est l'oeuvre du démon. Voilà les deux côtés. On a dit au Christ: « Vous êtes possédé du démon ». (Jean, VII, 20.) Il reçut un soufflet d'un esclave du grand prêtre. (Jean, XVIII, 22.) C'est au niveau de pareilles gens qu'il faut mettre ceux qui insultent injustement. Car si, à propos d'une seule parole, Jésus a donné à Pierre le nom de Satan (Marc, VIII, 33), ce nom s'appliquera encore bien mieux aux Juifs, lorsqu'ils agiront en Juifs; de même qu'ils ont déjà été appelés enfants du diable (Jean, VIII, 44), parce qu'ils faisaient des actions diaboliques. Qui êtes-vous donc, pour outrager, dites-moi ? Ou plutôt, si vous outragez, c'est que vous n'êtes rien; car celui qui mériterait le nom d'homme n'outragerait point. Dans les disputes, on dit souvent : Qui es-tu ? On devrait parler autrement; dire, par exemple : Insulte-moi tant que tu voudras ; tu n'es rien. Nous disons plutôt: Pourquoi m'insultes-tu ? Et l'on nous répond toujours : Parce que je vaux mieux que toi. Cette réponse est l'opposé de la vérité; mais comme nous interrogeons mal, on nous répond mal; c'est notre faute. Nous semblons supposer que ceux qui nous outragent sont des hommes supérieurs; lorsque nous leur disons: Qui es-tu, toi qui m'insultes? On nous répond en conséquence. Il fallait leur dire au contraire : Tu m'insultes? Eh bien ! insulte-moi, car tu n'es rien. C'est plutôt à ceux qui n'injurient jamais, qu'il fallait dire : Qui es-tu, toi qui n'insultes pas? Tu dépasses la nature humaine. L'homme vraiment libre, vraiment noble , est celui qui ne dit rien d'ignoble, même à ceux qui le méritent.

Dites-moi, parmi les accusés, combien s'en trouve-t-il qui ne méritent pas la mort ? Cependant, loin d'être chargé de l'exécution, le juge ne fait que les interroger; et encore ne le fait-il point par lui-même. Si le juge trouve convenable de prendre un intermédiaire pour parler à un méchant homme comme il le mérite, nous devons craindre, à bien plus forte raison, d'outrager nos égaux ; car, si nous les outrageons, ce ne sera pas le moyen de nous élever au-dessus d'eux ; nous devons apprendre, au contraire, que ces outrages retombent sur nous. Voilà pourquoi nous ne devons pas insulter , même les méchants ; quant aux hommes de bien, il y a cette autre raison qu'ils ne le méritent point; enfin, il y a un troisième motif , c'est qu'il ne faut jamais insulter. Du reste, voyez ce qui en résulté quand un homme reçoit une injure ou un dommage, cela s'étend à celui qui l'a causé ainsi qu'aux témoins. Quoi donc? Faut-il faire venir des bêtes féroces pour tout terminer, car il ne reste plias d'autre moyen. Lorsque des hommes se laissent emporter par leurs passions injustes, c'est aux bêtes à les réconcilier. De même quand les maîtres d'une maison se battent entre eux, c'est aux domestiques à les remettre d'accord ; (cela n'est peut-être pas naturel, mais l'occasion l'exige.) Il en est de même ici : Tu m'insultes? soit; car tu n'es pas un homme.

Ainsi l'insulte, qui semble une marque de grandeur et de dignité, ne convient, au contraire, qu'aux esclaves, de même que les hommes libres doivent parler convenablement. C'est aux uns qu'il appartient de faire le mal, aux autres de le supporter. Par exemple, imaginez une domestique voleuse qui soustrait en cachette quelque chose à son maître ; c'est l'image de l'injure : elle ressemble, pour ainsi dire, à un voleur qui s'est glissé dans une maison et cherche à dérober quelque chose; de même l'insulteur guette de tous côtés pour (198) enlever quelque chose de votre honneur. Peut-être réussirons-nous encore à ,l'exprimer par un autre exemple. Si quelqu'un dérobe dans une maison les vases destinés aux 'plus vils usages et les emporte à la vue de tout le monde, il n'est pas seulement honteux pour son vol, ii l'est pour lui-même, qui prend et emporte de pareils objets; de même l'insulteur, vomissant devant tout le monde des paroles impures, salit bien moins les autres que lui-même en proférant des propos qui souillent sa langue et sa pensée. Il en arrive autant quand nous luttons contre les méchants; c'est comme si nous frappions un objet corrompu qui nous salirait nous-mêmes en couvrant nos mains de pourriture. Réfléchissons sur tout cela, je vous en conjure, fuyons ce danger et purifions nos paroles, afin qu'évitant de prononcer aucune injure, nous puissions rester irréprochables pendant cette vie présente, et acquérir les biens promis à ceux qui aiment Dieu, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, auquel, ainsi qu'au Père et au Saint-Esprit, gloire, puissance et honneur, maintenant et à jamais, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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